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[1994] 3 C.F. 629

T-2318-93

Roy Lee et Allan Mathieson (requérants)

c.

Sous-commissaire, Service correctionnel du Canada, Région du Pacifique (intimé)

Répertorié : Lee c. Canada (Sous-commissaire, Service correctionnel, Région du pacifique) (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Vancouver, 17 mai 1994; Ottawa, 7 juin 1994.

Pénitenciers — Demande d’annulation visant la deuxième décision relative au transfèrement des détenus dans un établissement à sécurité maximale élevée en raison de soupçons relatifs à un complot d’évasion — Le commissaire a statué sur le grief au troisième palier des requérants alors qu’une demande de contrôle judiciaire visant la décision de transfèrement était pendante, en dépit de l’art. 81(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, exigeant que l’examen d’un grief soit suspendu pendant la durée d’un autre recours judiciaire — La Cour fédérale a annulé la décision initiale de transfèrement — Les détenus ont reçu un nouvel avis de transfèrement non sollicité — Le sous-commissaire a rendu une nouvelle décision de transfèrement — A été examiné l’affidavit ne faisant pas état des motifs prévus à l’art. 27(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition pour la non-communication de renseignements — La documentation relative au transfèrement n’était pas complète parce qu’elle ne renfermait pas le rapport récapitulatif requis par la directive du commissaire — Le commissaire doit rendre une nouvelle décision après avoir fourni aux requérants tous les renseignements en sa possession exception faite de ceux qui sont protégés aux termes de l’art. 27(3).

Contrôle judiciaire — Demande d’annulation de la décision relative au transfèrement des détenus dans un établissement à sécurité maximale élevée — Crainte raisonnable de partialité de la part du sous-commissaire parce que le supérieur de celui-ci avait auparavant rejeté un grief et confirmé, par là, le transfèrement — Possibilité que des renseignements supplémentaires fournis à un autre détenu, présumé impliqué dans le complot, n’aient pas été communiqués aux requérants — L’argument des requérants voulant que les détails du complot fournis par l’informateur ne garantissent pas la véracité de ceux-ci car ils peut s’agir d’un amalgame de renseignements tirés d’une émission de télévision et d’une tentative d’évasion passée est demeuré partiellement sans réponse — Le commissaire doit rendre une nouvelle décision après avoir fourni aux requérants tous les renseignements en sa possession exception faite de ceux qui sont protégés aux termes de l’art. 27(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Il s’agit d’une demande d’annulation visant les décisions relatives au transfèrement des requérants d’un établissement à sécurité maximale à un établissement à sécurité maximale élevée, fondée sur l’absence d’audition équitable. Les requérants avaient été transférés au mois de septembre 1992, lorsque les responsables de l’établissement ont eu vent d’un complot concernant une évasion qui devait avoir lieu au mois d’octobre 1992, au moyen d’armes et d’un hélicoptère. Les requérants ont déposé un grief au troisième palier, au mois de novembre 1992. Celui-ci a été rejeté par le commissaire au mois de mars 1993, mais après le dépôt par les requérants de demandes d’annulation des décisions de transfèrement. Bien que la Cour ait annulé lesdites décisions au mois de juillet 1993, les requérants n’ont pas été transférés de l’établissement à sécurité maximale élevée; ils ont reçu de nouveaux avis de la recommandation du directeur visant le transfèrement non sollicité, lesquels étaient presque identiques aux avis initiaux mais comportaient des renseignements supplémentaires qui avaient été donnés à un autre détenu présumé avoir trempé dans le complot. Les requérants ont répondu à ces avis, le directeur a confirmé sa recommandation et le sous-commissaire a de nouveau accepté cette recommandation et décidé que le transfèrement des requérants était approprié. Les requérants ont soutenu que le complot était le fruit de l’imagination d’un informateur et se composait de détails concoctés à partir d’une évasion par hélicoptère qui avait réussi en 1990 et d’un plan d’évasion décrit dans l’émission de télévision « Top Cops », dont les détails étaient vraisemblablement connus de tous les détenus. Les requérants ont prétendu qu’on leur a donné trop peu de renseignements pour leur permettre de répondre aux allégations. Ils ont fait valoir également qu’ils pouvaient raisonnablement craindre que le sous-commissaire rende une décision partiale, car le supérieur de celui-ci avait, en rejetant le grief, confirmé la décision de transfèrement.

Le paragraphe 27(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit que le commissaire peut empêcher, dans la mesure jugée strictement nécessaire, la communication de renseignements au délinquant s’il a des motifs raisonnables de croire que celle-ci mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite. Le paragraphe 81(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition énonce que lorsqu’un délinquant décide de prendre un recours judiciaire en plus de présenter une plainte ou un grief, l’examen de la plainte ou du grief est suspendu jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue dans le recours judiciaire ou que le détenu s’en désiste.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Il se peut qu’un autre détenu ait obtenu des renseignements qui n’avaient pas encore été fournis aux requérants. Il faut déterminer si les renseignements communiqués suffisent à permettre à la personne concernée de réfuter la preuve présentée contre elle. Il n’est pas déclaré dans l’affidavit portant sur les renseignements donnés aux requérants que les critères établis au paragraphe 27(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ont été appliqués dans l’examen de la question de savoir si des renseignements supplémentaires auraient pu être fournis. Il est particulièrement troublant que le directeur n’ait jamais entièrement répondu à l’argument des requérants selon lequel le niveau des détails fournis au sujet du complot ne garantissait pas la véracité de ceux-ci puisqu’il s’agissait d’un amalgame de renseignements tirés de l’émission « Top Cops » et de l’évasion par hélicoptère du pénitencier de Kent.

Le sous-commissaire ne disposait pas, pour rendre sa décision relativement au transfèrement, de toute la documentation qu’il aurait dû avoir en sa possession. La directive no 540 du commissaire prévoit que la documentation relative au transfèrement doit comprendre un rapport récapitulatif. Ce dernier rapport n’a pas été fourni en l’espèce.

En ce qui concerne la partialité, il est douteux qu’un subordonné puisse songer à modifier une décision prise par son supérieur avec toute l’objectivité et l’indépendance que suppose une décision équitable.

Finalement, le paragraphe 81(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition n’a pas été suivi, car le commissaire a statué sur le grief au troisième palier après le dépôt de la demande de contrôle judiciaire.

Les décisions devraient être annulées en raison du non-respect du paragraphe 81(1) du Règlement et de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Si la question du transfèrement non sollicité pour des motifs découlant des renseignements obtenus pendant les mois d’août et de septembre 1992 doit être tranchée de nouveau, la décision devrait être prise par le commissaire et non par l’un de ses subordonnés. Le commissaire devra motiver entièrement sa décision et s’assurer de fournir au préalable aux requérants tous les renseignements dont il dispose, exception faite de ceux qui entrent dans les catégories décrites au paragraphe 27(3) de la Loi, afin que ceux-ci puissent présenter des observations appropriées à leur égard.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 27(1),(3).

Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, art. 81(1).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Demaria c. Comité régional de classement des détenus, [1987] 1 C.F. 74; (1986), 21 Admin. L.R. 227; 30 C.C.C. (3d) 55; 53 C.R. (3d) 88; 5 F.T.R. 160; 69 N.R. 135 (C.A.); Lee c. Canada (Sous-commissaire, Service correctionnel, région du Pacifique), [1994] 1 C.F. 15; (1993), 67 F.T.R. 54 (1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Gallant c. Canada (Sous-commissaire, Service correctionnel Canada), [1989] 3 C.F. 329; (1989), 36 Admin. L.R. 261; 68 C.R. (3d) 173; 35 F.T.R. 79; 92 N.R. 292 (C.A.); Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106 D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; 13 C.R. (3d) 1; 15 C.R. (3d) 315; 30 N.R. 119; Gough c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1991] 2 C.F. 117; (1990), 45 Admin. L.R. 304; 3 C.R. (4th) 325; 5 C.R.R. (2d) 145; 40 F.T.R. 91 (1re inst.).

DOCTRINE

Service correctionnel Canada, Directive du commissaire no 540, « Normes relatives aux transfèrements de détenus », en date du 1er novembre 1992.

DEMANDE d’annulation visant la seconde décision relative au transfèrement des requérants d’un établissement à sécurité maximale à un établissement à sécurité maximale élevée, fondée sur l’absence d’audition équitable. Demande accueillie.

AVOCATS :

Peter Benning et Sasha P. A. Pawliuk pour les requérants.

David L. Fitzsimmons pour l’intimé.

PROCUREURS :

Peter Benning, Abbotsford (Colombie- Britannique), pour les requérants.

Sasha Pawliuk, Abbotsford (Colombie- Britannique), pour les requérants.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Reed : Les requérants demandent que soient annulées par ordonnance les décisions de les transférer de l’établissement à sécurité maximale Kent, près d’Agassiz, en Colombie-Britannique, à un établissement à sécurité maximale élevée, l’unité spéciale de détention du pénitencier de la Saskatchewan, à Prince-Albert, en Saskatchewan. Les requérants demandent à la Cour d’annuler ces décisions parce qu’on les a privés d’une audition équitable : (1) ils n’ont pas reçu suffisamment de renseignements sur les motifs du transfèrement pour être en mesure de répondre utilement à ces motifs; (2) les observations qu’ils ont faites n’ont d’aucune façon été prises en considération par le sous-commissaire, Service correctionnel du Canada, région du Pacifique (le sous-commissionnaire)[1]; (3) les décisions ont été prises par un décisionnaire partial ou à tout le moins par un décisionnaire à l’égard duquel il existait une crainte raisonnable de partialité. Ils font valoir qu’il y a eu violation non seulement des règles de la justice naturelle reconnues en common law, mais aussi des exigences de justice fondamentale garanties par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés[2].

Le 2 septembre 1992, les requérants furent placés en quartier d’isolement à l’établissement Kent après que les responsables de l’établissement eurent eu vent d’un complot d’évasion ourdi par les requérants et trois autres personnes. Le 8 septembre 1992, les requérants ont été avisés du fait que le directeur de l’établissement Kent (le directeur)[3] recommandait qu’ils soient transférés à un établissement à sécurité maximale élevée. Les requérants ont appris que ces recommandations faisaient suite à la transmission de renseignements voulant qu’ils soient impliqués dans un complot d’évasion au moyen d’armes et d’un hélicoptère, et indiquant que cette évasion devait avoir lieu au cours du mois d’octobre 1992.

Les requérants ont demandé une prolongation du délai de 48 heures prévu pour répondre à ces allégations, ce qui leur fut refusé. Le 11 septembre 1992, par suite de la décision du sous-commissaire, les requérants furent transférés à l’unité spéciale de détention du pénitencier de la Saskatchewan, à Prince-Albert (Saskatchewan).

L’avocat des requérants a par la suite présenté au sous-commissaire des observations au sujet du transfèrement. Le 6 octobre 1992, l’avocat des requérants a écrit au sous-commissaire adjoint pour dénoncer le fait que l’un des autres détenus censément impliqués dans le complot, M. Rocha, avait reçu plus de renseignements que n’en avaient obtenus les requérants. Une réponse a été reçue le 21 octobre 1992. Le sous-commissaire a déclaré qu’il refusait de modifier la décision originale au sujet du transfèrement des requérants, et il a joint les renseignements qui avaient été fournis à M. Rocha. Il s’agissait d’un document intitulé [traduction] « L’essentiel des renseignements de sécurité préventive » (l’essentiel). Le 23 novembre 1992, les requérants ont déposé ce qu’on appelle un grief au troisième palier auprès du commissaire du Service correctionnel du Canada (le commissaire). Ce grief n’a pas été entendu immédiatement, pour des raisons qu’il n’est pas nécessaire de décrire ici. Le 10 février 1993, les requérants ont déposé devant cette Cour (numéros du greffe T-344-93 et T-345-93) des demandes d’ordonnances tendant à l’annulation des décisions de transfèrement. Le 8 mars 1993, le commissaire a entendu les griefs au troisième palier et les a rejetés. Le 28 juillet 1993, le juge Rothstein a rendu des ordonnances annulant les décisions de transfèrement arrêtées par le sous-commissaire[4].

À la suite des ordonnances rendues par le juge Rothstein, les requérants ne furent pas transférés de l’unité spéciale de détention de Prince-Albert à un autre établissement. Le 30 juillet 1993, ils ont reçu de nouveaux avis de la recommandation faite par le directeur pour le transfèrement non sollicité de l’établissement Kent. Ces avis étaient presque identiques à ceux qui avaient été signifiés aux requérants au mois de septembre de l’année précédente, mais on y avait ajouté les renseignements qui leur avaient été donnés par la suite en octobre (l’essentiel). Le 17 août 1993, l’avocat des requérants a répondu à ces avis et, le 2 septembre 1993, le directeur a confirmé sa recommandation de transfèrement non sollicité du 30 juillet 1993. Le 13 septembre 1993, le sous-commissaire a de nouveau accepté la recommandation du directeur et décidé que le transfèrement des requérants à l’unité spéciale de détention de Prince-Albert était approprié. C’est cette deuxième décision de transfèrement qui est attaquée en l’espèce.

Renseignements suffisants

Comme il en a déjà été fait mention, les renseignements qui ont été communiqués aux requérants en juillet 1993 étaient les mêmes que ceux qui leur avaient été remis le 21 octobre 1992. En voici la teneur :

[traduction] Les renseignements suivants constituent « l’essentiel » des renseignements de sécurité préventive à l’égard d’un complot d’évasion violente. Les renseignements proviennent de diverses sources, primaires et secondaires, qui sont décrites lorsque cela peut se faire sans danger.

1.   Un groupe de détenus appartenant à la population carcérale générale était en train de préparer une tentative d’évasion violente, par hélicoptère, de l’établissement Kent pour le mois d’octobre 1992. Trois détenus devaient s’enfuir. Il s’agissait de Roy LEE, d’Allan MATHIESON ainsi que d’un autre détenu, dont l’identité n’est pas connue du personnel.

2.   LEE, qui purge une peine d’emprisonnement à perpétuité, aurait des liens avec des gangs asiatiques. Sa famille, dont certains membres auraient aussi de tels liens, est originaire de Singapour.

3.   MATHIESON a une DLO établie au 96-08-30. Il a été transféré à Kent en février 1992 en provenance d’une unité spéciale de détention. Il avait été placé dans cette unité en juin 1990 après avoir participé à un complot d’évasion à l’établissement de Collins Bay (Ontario). Ce complot d’évasion prévoyait le recours aux armes, à la force et à des contacts avec des gens de l’extérieur et avec d’autres détenus. MATHIESON a été reconnu coupable et condamné à 6 ans de prison sous le chef de complot d’évasion, en février 1990, par suite de sa participation au complot.

4.   Des armes automatiques étaient déjà prévues et devaient être fournies par l’intermédiaire de la famille d’un autre détenu, Rajinder BENJI. Son frère devait participer au complot et d’autres personnes liées à son groupe à New Westminster étaient aussi considérées comme des ressources.

5.   ROCHA, un bon ami de LEE, devait être libéré le 1992-09-30. Ils avaient purgé une partie de leurs peines ensemble à Millhaven, puis avaient tous deux été transférés à Kent le 27 mars 1992. ROCHA devait être l’organisateur en chef de l’extérieur. Il devait s’entendre avec les frères de BENJI et de LEE pour réaliser le plan projeté.

6.   En vertu de ce plan, ROCHA devait, avec de l’aide, s’emparer de l’hélicoptère et du pilote qui avaient été utilisés dans l’évasion de FORD. Les conspirateurs estimaient que ce pilote connaissait très bien la région, et notamment les alentours de l’établissement. Il était prévu de retenir la femme et la famille de celui-ci en otage pendant le déroulement des opérations, afin de garantir la collaboration du pilote. Il était prévu que les membres de sa famille seraient tués s’il refusait son concours ou si l’évasion échouait.

7.   L’évasion devait se produire peu après 14 h un jour de semaine, alors que les candidats à l’évasion et leurs complices, y compris David MACDONALD, se trouvaient dans la cour principale puisque, à l’exception de MACDONALD, ils sont tous affectés aux travaux de cuisine. Les miradors ne sont normalement pas occupés à cette heure.

8.   Un peu avant l’arrivée de l’hélicoptère, les complices devaient prendre en otage les deux gardiens du gymnase et les emmener dans la cour. Il s’agissait d’éviter par leur présence que le personnel de sécurité ne tire sur les détenus.

9.   L’hélicoptère devait faire un tour au-dessus de la cour principale pour y larguer deux lots d’armes automatiques (des Uzzis), ROCHA devait se trouver à bord de l’hélicoptère, armé d’un AK-47. Dans un lot, le chargeur devait être en place pour usage immédiat. Dans le deuxième lot, le chargeur devait être à part, au cas où le chargeur de la première arme se bloque sous l’impact du largage.

10. L’hélicoptère devait virer et faire demi-tour rapidement, avant d’atterrir dans la zone entre les courts de tennis et la clôture séparant la cour et l’unité résidentielle, ceci afin d’obliger les patrouilles motorisées à tirer à travers quatre clôtures, s’ils décidaient de tirer pour tenter d’atteindre l’hélicoptère.

11. L’hélicoptère devait quitter l’établissement en direction sud-est, ce qui devait lui permettre de gagner de l’altitude et de la vitesse avant de voler au-dessus de la route périphérique et de prêter flanc aux tirs à partir du sol.

12. L’hélicoptère devait alors filer directement vers le sud, pour atteindre le mont Cheam en territoire américain et se poser dans un « parc » de l’État de Washington. L’endroit exact n’est pas connu, mais on estimait que l’hélicoptère mettrait de 10 à 15 minutes pour atteindre le parc.

13. Les étapes subséquentes du plan ne sont pas connues. Il faut toutefois noter que LEE, par l’intermédiaire de ses liens avec des gangs asiatiques, pouvait organiser des mesures appropriées de cueillette et de dissimulation.

14. Le 1992-09-03, après l’isolement des conspirateurs, des membres du personnel ont procédé à des fouilles particulières de certaines cellules et d’autres endroits en se fondant sur les renseignements fournis. Ils ont trouvé, comme on s’y attendait, plusieurs articles vestimentaires de cuisinier appartenant à d’autres détenus, dans la cellule de MACDONALD. MACDONALD, qui n’était pas affecté aux travaux de cuisine, aurait eu besoin des « blancs de cuisinier » pour pouvoir se rendre au gymnase pour la période d’exercice de l’après-midi.

15. Le 1992-09-04, un membre du personnel s’est plaint délibérément au cours d’une discussion avec un détenu source de ce que la direction ne disait jamais rien au personnel. Le détenu a répondu que les cinq détenus placés en isolement « conspiraient pour prendre quelqu’un en otage et s’évader ». Lorsqu’il a été prié de donner plus de détails sur ce commentaire, le détenu a refusé d’en dire plus. La mention d’une prise d’« otage » est importante puisque cet élément était totalement inconnu du personnel d’exécution à cette époque, et qu’elle dénote une connaissance du complot au sein de la population carcérale.

16. Une enquête effectuée par des services policiers a confirmé que les associations sur lesquelles pourraient censément compter LEE et BENJI existent et que les personnes en cause ont les ressources pour fournir l’aide et les armes nécessaires à l’exécution de ce plan. Une évaluation indépendante des renseignements par la GRC a conduit les enquêteurs a conclure qu’il s’agit d’une menace réelle et crédible pour la société. Par conséquent, ils ont pris d’importantes mesures pour protéger plusieurs personnes au sein de la collectivité.

17. Des renseignements supplémentaires montrent que BENJI a, par l’intermédiaire de sa famille, transmis à son avocat l’ordre de vérifier s’il existe aux États-Unis des mandats visant ROCHA. Si ROCHA était libéré, on lui fournirait un endroit où demeurer de même qu’une automobile, et on le mettrait en contact avec les associés de BENJI. Ces arrangements se sont poursuivis même après la mise en isolement.

Selon les requérants, ce plan est le fruit de l’imagination d’un informateur et il est composé de détails concoctés à partir d’une évasion par hélicoptère réussie (au moins le temps de quelques jours) qui a eu lieu à l’établissement Kent en 1990, et d’un plan d’évasion à l’établissement de Collins Bay, auquel avait participé le requérant Mathieson. Comme ce dernier plan avait été décrit dans le programme de télévision « Top Cops », on pouvait s’attendre à ce que tous les détenus de l’établissement Kent en connaissent les détails.

Les requérants prétendent que, compte tenu de la nature de ce qui leur est reproché, on leur a donné trop peu de renseignements pour leur permettre de répondre aux allégations. Les requérants font notamment valoir qu’il n’y a pas eu communication adéquate de renseignements puisque l’intimé, en dépit de la demande des requérants : (1) n’a pas donné assez de précisions sur les dates ni les endroits où, à l’intérieur de l’établissement Kent, auraient eu lieu des réunions entre les prétendus conspirateurs; (2) ne leur a pas communiqué tous les renseignements dont avait disposé M. Rocha à l’audition sur le maintien en incarcération; (3) a refusé de divulguer tout détail relatif aux allégations selon lesquelles le requérant avait des liens avec des gangs asiatiques; (4) a refusé de répondre à toute question au sujet des prétendues caractéristiques de l’informateur lesquelles ont trait à la crédibilité de cette personne ou au motif ayant pu la pousser à transmettre les renseignements aux responsables de la prison (les requérants prétendent savoir qui est l’informateur).

En ce qui a trait à la première allégation, quant aux demandes des requérants au sujet des dates, heures et lieux des réunions, l’intimé a donné la réponse suivante :

[traduction] Ces réunions ont été observées par le personnel du SCC. Nous ne connaissons pas le contenu des conversations qui ont pu avoir lieu au cours de ces réunions, et ces renseignements n’ont servi qu’à valider les renseignements des informateurs selon lesquels vous, et les autres personnes identifiées, vous connaissiez et étiez en communication les uns avec les autres.

Cette réponse donne implicitement une confirmation qu’on ne connaissait ni les dates, ni les heures ni les lieux des réunions, mais que le personnel de la prison, à partir d’observations générales, savait que les cinq personnes se connaissaient. Je ne serais pas prête à qualifier la réponse donnée de dissimulation de renseignements justifiant en soi l’annulation de l’ordonnance de transfèrement. Elle devrait plutôt être interprétée comme un aveu selon lequel on ne connaissait ni les dates, ni les heures ni les lieux des réunions.

En ce qui a trait à la demande d’accès aux renseignements qui avaient été fournis à Rocha, le sous-commissaire a déclaré dans une lettre à l’avocat des requérants, en octobre 1992, que l’essentiel qui avait été fourni à cette époque était constitué :

[traduction] … [des] mêmes renseignements que ceux qui ont été fournis à la Commission nationale des libérations conditionnelles et à M. Rocha au sujet du plan d’évasion. J’ai examiné les renseignements fournis à M. Rocha et je conclus que même si l’essentiel des renseignements a été présenté différemment, leur teneur n’est pas incompatible avec celle des renseignements qui ont été remis à M. Lee pour lui permettre de présenter sa réponse à la recommandation de transfèrement.

Après l’expédition de cette lettre et l’obtention de l’essentiel, M. Rocha a signé un affidavit, le 28 janvier 1993, dans lequel il déclarait avoir reçu plus de renseignements pour les fins de son audition sur le maintien en incarcération que n’en avaient obtenus les requérants Lee et Mathieson, et qu’[traduction] « une portion seulement des renseignements » qui lui avaient été communiqués étaient exposés dans l’essentiel. Le 17 août 1993, après la signification des deuxièmes avis de recommandation de transfèrement non sollicité, l’avocat des requérants a écrit la lettre suivante au directeur :

[traduction] … dans mes lettres du 6 octobre, j’ai déclaré comprendre que d’autres renseignements avaient été communiqués au cours de l’audition de M. Rocha, et que nous n’avions pas encore reçu par écrit d’autres renseignements qui furent divulgués et qui peuvent avoir un effet sur le prétendu complot reproché à M. Lee et à M. Mathieson

Avec la plus grande déférence, la permission d’obtenir « l’essentiel » sur l’incarcération de Martinho Rocha, si je puis décrire ainsi l’annexe A du 30 juillet, qui constituerait la totalité des renseignements auxquels mes clients doivent répondre, n’est d’aucune utilité en ce qui a trait à la réponse à apporter aux allégations. À la présente étape des procédures à tout le moins, nous n’avons observé aucune tentative visant à donner suite aux réponses et aux questions antérieures soulevées à l’égard des observations précédentes et de la poursuite subséquente.

Il semble que Rocha ait pu obtenir des renseignements supplémentaires qui n’ont pas encore été communiqués aux requérants. Ni le directeur ni le sous-commissaire n’ont assurément apporté une réponse claire à la prétention qu’il en est ainsi.

Pour ce qui est de la demande de communication concernant la source de l’affirmation selon laquelle la famille de M. Lee avait des liens avec les gangs asiatiques et concernant certaines activités et caractéristiques des informateurs ayant révélé le prétendu complot aux autorités pénitentiaires, il est bien établi en droit qu’on peut taire l’identité des informateurs. Ce principe a d’autant plus d’application en contexte carcéral, où la sécurité de personnes peut être en jeu. Il est également bien établi en droit que les garanties applicables en matière de poursuite relative à un acte criminel, par exemple, ne jouent pas à l’égard de décisions relevant de l’administration pénitentiaire. Ainsi, il n’était pas nécessaire que le directeur soit convaincu hors de tout doute raisonnable de l’existence du complot. Ses décisions peuvent reposer sur des critères beaucoup moins rigoureux pour assurer la sécurité de l’établissement.

Les requérants plaident principalement, en l’espèce, qu’étant donné la nature des allégations, savoir un complot visant l’accomplissement futur de certains actes, il faut divulguer plus de renseignements au sujet du ou des informateurs que dans d’autres cas. Comme il n’existe aucun élément de preuve concret étayant ou réfutant ces allégations, les requérants soutiennent qu’il faut donc, vu la nature de celles-ci, donner des renseignements supplémentaires concernant, par exemple, le ou les informateurs, autrement ils pourraient être victimes de tout détenu qui échafauderait une histoire vraisemblable.

Relativement aux faits de la présente espèce, la nature de la preuve présentée par affidavit est particulièrement troublante. M. David Dick, employé du Service correctionnel du Canada, a souscrit un affidavit portant sur les renseignements qui ont été donnés aux requérants. On peut y lire ce qui suit :

[traduction] 3. Le contenu du dossier de sécurité concernant le transfèrement de Roy Kenshin Lee, S.E.D. 843482B, et d’Allan Mathieson, S.E.D. 852290A, de l’établissement Kent à l’unité spéciale de détention du pénitencier de la Saskatchewan, lequel transfèrement a donné lieu au présent litige, m’a été montré et est joint au présent affidavit comme « pièce A », exception faite des documents dont la divulgation pourrait révéler l’identité d’informateurs confidentiels.

4. Les documents dont la divulgation pourrait révéler l’identité d’informateurs confidentiels ont été résumés dans un document faisant partie de la pièce A et intitulé « L’essentiel des renseignements de sécurité préventive ».

Dans la décision, Demaria c. Comité régional de classement des détenus, [1987] 1 C.F. 74, le juge Hugessen, qui s’exprimait au nom de la Cour d’appel fédérale, a écrit, à la page 78 :

Il incombe toujours aux autorités d’établir qu’elles n’ont refusé de transmettre que les renseignements dont la non-communication était strictement nécessaire à de telles fins [la protection de la sécurité de l’informateur] … En dernière analyse, il s’agit de déterminer non pas s’il existe des motifs valables pour refuser de communiquer ces renseignements mais plutôt si les renseignements communiqués suffisent à permettre à la personne concernée de réfuter la preuve présentée contre elle. [Je souligne.]

La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, prévoit ce qui suit :

27. (1) Sous réserve du paragraphe (3), la personne ou l’organisme chargé de rendre, au nom du Service, une décision au sujet d’un délinquant doit, lorsque celui-ci a le droit en vertu de la présente partie ou des règlements de présenter des observations, lui communiquer, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle-ci, ou un sommaire de ceux-ci.

(3) Sauf dans le cas des infractions disciplinaires, le commissaire peut empêcher, dans la mesure jugée strictement nécessaire toutefois, la communication de renseignements au délinquant s’il a des motifs raisonnables de croire que celle-ci mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite. [Je souligne.]

L’auteur de l’affidavit ne déclare pas que ces critères ont été appliqués dans l’examen de la question de savoir si des renseignements supplémentaires auraient pu être fournis. Est également troublant le fait que le directeur n’ait jamais entièrement répondu à l’argument formulé dès le mois de septembre 1992 par l’avocat des requérants, selon lequel le niveau des détails fournis au sujet du complot ne garantissait pas la véracité de ceux-ci puisqu’il s’agissait d’un amalgame de renseignements tirés de l’émission « Top Cops » et de l’évasion par hélicoptère qui avait eu lieu à l’établissement Kent et qui était connue de tous. De fait, le sous-commissaire s’est appuyé sur des détails concernant l’évasion par hélicoptère pour réfuter, dans la réponse qu’il a faite à l’avocat, l’argument voulant que l’accessibilité totale des renseignements tirés de l’émission « Top Cops » pouvait faire douter de la crédibilité de l’information.

Examen convenable

Les requérants soutiennent que le sous-commissaire n’a pas convenablement examiné les arguments soumis en leur nom. Les réponses qu’il a données à ces arguments dénotent, certes, un niveau important de négligence. Comme il en a été fait mention plus haut, la réponse à la question concernant les lieux, les dates et les heures des réunions est au mieux ambiguë; au pire, elle indique qu’il ne s’est pas concentré sur la question posée. Quant à la réponse donnée à la requête visant à obtenir communication des renseignements fournis à M. Rocha, elle souligne son ignorance du fait qu’après la remise de l’essentiel, au mois d’octobre 1992, M. Rocha a continué d’affirmer qu’il avait obtenu des renseignements supplémentaires et que l’avocat des requérants a demandé d’avoir accès à ces renseignements. Comme je l’ai mentionné, en outre, l’argument selon lequel les renseignements donnés aux autorités pénitentiaires n’étaient pas fiables parce qu’ils étaient accessibles à tout l’établissement, bien qu’il ait été reçu en ce qui concerne les renseignements tirées de l’émission « Top Cops » ne l’a pas été en ce qui concerne l’évasion par hélicoptère.

Un autre facteur semble indiquer que l’examen a été défectueux. Le sous-commissaire ne disposait pas, pour rendre sa décision relativement au transfèrement, de toute la documentation qu’il aurait dû avoir en sa possession. En effet, la Directive du commissaire no 540, 1992-11-01 (Normes relatives aux transfèrements de détenus) prévoit ce qui suit au paragraphe 3 :

3.   Lorsqu’un transfèrement non sollicité ou interrégional est envisagé, lorsqu’une recommandation de refus d’un transfèrement intrarégional a été formulée ou après qu’un transfèrement d’urgence a été effectué, le décideur doit avoir certains documents en sa possession, aux fins d’examen. Cette exigence ne s’applique pas dans le cas de transfèrements ayant rapport au placement initial. La documentation en vue d’un transfèrement doit comprendre les renseignements ou documents suivants et peut en inclure d’autres :

a.    demande de transfèrement formulée par le détenu (dans les cas des transfèrements volontaires seulement);

b.   avis de recommandation du transfèrement non sollicité, s’il y a lieu;

c.    réponse écrite du détenu, ou un résumé de la réponse verbale du détenu;

d.   notes de service sur la sécurité préventive;

e.   rapport récapitulatif sur l’évolution du cas;

f.    rapport sur le profil criminel;

g.   feuille de recommandations et de décision relatives au transfèrement;

h.   résumé administratif des services de santé. [Je souligne.]

L’avocat des requérants soutient qu’en l’espèce le rapport récapitulatif sur l’évolution du cas n’a pas été fourni. Il prétend de plus que le rapport récapitulatif qui aurait dû être remis devait faire état de la conduite des requérants du 11 septembre 1992 jusqu’à maintenant, c’est-à-dire pendant leur incarcération au pénitencier de la Saskatchewan, et que cette donnée constituait un élément pertinent de toute évaluation du risque. Je ne suis pas convaincue du bien-fondé de cette dernière affirmation. La décision qui a été reprise est celle du mois de septembre 1992 concernant le transfèrement des détenus. Le document pertinent serait, à mon avis, le rapport récapitulatif établi à cette date.

Crainte raisonnable de partialité

Les requérants font valoir, en dernier lieu, qu’ils pouvaient raisonnablement craindre que le sous-commissaire rende une décision partiale car le supérieur du sous-commissaire, le commissaire, avait antérieurement décidé de procéder au transfèrement des requérants lorsqu’il avait statué, le 8 mars 1993, sur le grief au troisième palier que ceux-ci avaient déposé.

Dans la décision qu’il a rendue le 28 juillet 1993, le juge Rothstein a affirmé, aux pages 27 et 28 :

… en ce qui concerne les décisions du 21 octobre 1992, je relève que c’est le sous-commissaire intérimaire qui a décidé de ne pas modifier les décisions prises, le 10 septembre 1992, par son supérieur, le sous-commissaire. Mais ce n’est pas sur ce point-là que je me suis fondé pour conclure que les décisions du sous-commissaire intérimaire, en date du 21 octobre 1992, n’étaient pas conformes aux exigences normales de l’équité procédurale. Je doute d’ailleurs fort qu’un subordonné puisse songer à modifier une décision prise par son supérieur avec toute l’objectivité et l’indépendance que suppose une décision équitable. [Je souligne.]

Le paragraphe 81(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition[5] prévoit ce qui suit :

81. (1) Lorsque le délinquant décide de prendre un recours judiciaire concernant sa plainte ou son grief, en plus de présenter une plainte ou un grief selon la procédure prévue dans le présent règlement, l’examen de la plainte ou du grief conformément au présent règlement est suspendu jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue dans le recours judiciaire ou que le détenu s’en désiste. [Je souligne.]

Cette disposition n’a pas été suivie en l’espèce. Le commissaire a statué, le 8 mars 1993, sur le grief au troisième palier déposé par les requérants le 23 novembre 1992, c’est-à-dire après le dépôt de la demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour, le 10 février 1993. On a fait valoir que cette disposition visait précisément à empêcher ce qui s’est produit en l’espèce. Il faut, dès lors, se demander quelles conséquences entraîne ce manquement au Règlement.

Il se peut que, pour des motifs tenant à la nécessité, une décision soit maintenue bien qu’elle soit entachée de partialité ou qu’existe une crainte raisonnable de partialité à son égard. Certaines décisions doivent être prises, et doivent être prises par une personne se trouvant dans la position du décideur contesté. On soutient que c’est le cas en l’espèce.

L’avocat des requérants fait valoir que la théorie de la nécessité ne s’applique pas dans les cas où les décideurs se sont volontairement placés dans la position donnant prise à la partialité et ont même, en agissant ainsi, contrevenu au règlement qui, s’il avait été respecté, aurait empêché la situation de se produire. Il soutient qu’au minimum l’affaire aurait dû être déférée au commissaire pour qu’il en décide et non laissée au sous-commissaire. Je dois dire que je ne suis pas convaincue que le commissaire a délibérément contrevenu au Règlement. Je suis d’avis que cette conduite est, en toute probabilité, simplement le fruit d’une négligence. Le commissaire ne savait pas qu’une demande de contrôle judiciaire avait été déposée ou bien il n’avait pas été mis au courant de la portée du Règlement en question. Quoi qu’il en soit, une situation de crainte de partialité existe indubitablement.

Conclusions

Étant donné les nombreuses difficultés soulevées par cette affaire, il est évident que la décision prise nécessite révision. Je conviens que si la décision ne devait pas être carrément annulée, il s’agirait d’une espèce où il conviendrait que la Cour ordonne à l’intimé de justifier la non-divulgation de renseignements supplémentaires aux détenus, et que cette justification devrait comporter la communication à la Cour (à huis clos et sans divulgation aux requérants ni à leur avocat) des renseignements fondant la décision, des sources de ceux-ci et de la raison pour laquelle il n’était pas possible de communiquer plus de renseignements aux requérants[6]. J’insiste sur le fait que le rôle de la Cour n’est pas de dire après coup quelle décision le sous-commissaire ou le commissaire aurait dû rendre. La Cour a le droit, toutefois, d’exiger que le sous-commissaire ou le commissaire la convainque que les renseignements qu’il a tus sont compris dans les catégories décrites par le juge Hugessen dans l’affaire Demaria, précitée, et visés au paragraphe 27(3) de la Loi.

Je suis d’avis, toutefois, d’annuler carrément la décision. Ma conclusion repose sur le non-respect du paragraphe 81(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et sur les arguments relatifs à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. L’action la plus appropriée, en l’espèce, consiste à annuler les décisions et à ordonner que, si la question du transfèrement des intimés pour des motifs découlant des renseignements obtenus pendant les mois d’août et de septembre 1992 doit être tranchée de nouveau, ce soit le commissaire qui prenne la décision et non l’un de ses subordonnés. Le commissaire devra, naturellement, motiver entièrement sa décision et s’assurer de fournir au préalable aux requérants tous les renseignements dont il dispose, exception faite de ceux qui entrent dans les catégories décrites au paragraphe 27(3) de la Loi, afin que ces derniers puissent y répondre utilement.



[1] Cette désignation vise quiconque agit à titre de délégué du sous-commissaire ou occupe ce poste par intérim.

[2] Qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]; Gallant c. Canada (Sous-commissaire, Service correctionnel Canada), [1989] 3 C.F. 329 (C.A.); Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Demaria c. Comité régional de classement des détenus, [1987] 1 C.F. 74 (C.A.).

[3] Le terme « directeur » vise ici quiconque agit à titre de délégué pour la personne qui occupe ce poste, et quiconque occupe ce poste par intérim.

[4] Lee c. Canada (Sous-commissaire, Service correctionnel, région du Pacifique), [1994] 1 C.F. 15 (1re inst.).

[5] DORS/92-620.

[6] Gough c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1991] 2 C.F. 117 (1re inst.); Lee c. Canada (Sous-commissaire, Service correctionnel, région du Pacifique), précité, renvoi no 4.

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