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[1994] 1 C.F. 102

T-2927-91

Vancouver Island Peace Society, Anne A. Pask et Gregory P. Hartnell (requérants)

c.

Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, le premier ministre du Canada, le ministre de la Défense nationale, le secrétaire d’État aux Affaires extérieures, le ministre des Transports et le ministre de l’Environnement (intimés)

Répertorié : Vancouver Island Peace Society c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay—Vancouver, 9, 10, 11, 12 juin; Ottawa, 18 juin 1993.

Environnement — Demande de contrôle judiciaire de deux décrets approuvant les visites effectuées dans les ports canadiens par des navires à propulsion nucléaire et à charge nucléaire — Les requérants allèguent qu’il n’a pas été satisfait aux exigences du Décret sur les lignes directrices en ce sens qu’on n’a effectué aucune évaluation initiale des effets néfastes que peuvent avoir sur l’environnement les visites projetées, et qu’aucune proposition n’a été soumise au ministre de l’Environnement en vue de la tenue d’un examen public — Les décrets contestés ne sont pas assujettis au Décret sur les lignes directrices.

Couronne — Prérogatives — La prérogative royale approuvant la visite aux ports canadiens de navires de guerre étrangers n’est pas restreinte par les lois citées par les requérants — Les décrets ont été pris dans le cadre de la compétence et du pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil en vertu d’une prérogative reconnue — Ils ne sont pas assujettis au Décret sur les lignes directrices — L’allégation de mauvaise foi contre le gouverneur en conseil n’a pas été établie.

Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Demande de mandamus visant à contraindre les intimés à tenir une évaluation initiale comme l’exige l’art. 10(1) du Décret sur les lignes directrices, demande de certiorari visant à annuler les décisions du gouverneur en conseil — Décisions prises dans l’exercice de la prérogative royale en matière de relations internationales et de défense nationale — Un certiorari et un mandamus ne peuvent être accordés lorsque la décision est de nature législative, et non administrative ou judiciaire.

Compétence de la Cour fédérale — Section de première instance — Compétence exclusive de la Section de première instance en vertu de l’art. 18(1) de la Loi sur la Cour fédérale pour connaître de toute procédure engagée contre la Couronne, dont la requête introductive d’instance de contrôle judiciaire — Les questions sont du ressort des tribunaux et doivent être examinées au fond.

Preuve — Admissibilité des affidavits — Il n’est pas tenu compte des témoignages d’opinion des déposants qui ne sont pas des experts aux termes de la Règle 482 — Les questions étant de nature juridique, et non scientifique ou technique, la preuve d’expert n’est pas admissible — La preuve par ouï-dire est désormais admissible lorsqu’elle est fiable et nécessaire — Les passages des affidavits et des pièces pertinents quant aux questions dont la Cour est saisie sont admissibles à titre de ouï-dire.

Pratique — Parties — Jonction — Il est contre-indiqué de constituer le premier ministre intimé lorsqu’aucune réparation n’est demandée contre lui — C’est à bon droit que les autres ministres ont été constitués intimés — Il n’existe aucune loi ou règle qui oblige de mettre en cause le procureur général comme intimé dans une requête introductive d’instance, plutôt que Sa Majesté la Reine — Le défaut de nommer le procureur général à la place de Sa Majesté n’entraîne pas l’irrecevabilité de la présente demande.

Pratique — Plaidoiries — Requête en radiation — Le pouvoir discrétionnaire de radier une requête introductive d’instance de contrôle judiciaire ne doit être exercé que si la requête introductive d’instance est irrecevable.

Il s’agit d’une demande de certiorari visant à faire annuler deux décisions (décrets) prises par le gouverneur en conseil approuvant les visites aux ports canadiens de navires à propulsion nucléaire (NPN) et de navires à charge nucléaire (NCN) sous réserve de certaines conditions, et de mandamus visant à contraindre les intimés à tenir un examen préalable ou une évaluation initiale comme l’exige le Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement (Décret sur les lignes directrices). Ces décisions ont été prises après qu’un rapport sur l’évaluation environnementale des visites eut été rédigé par le ministère de la Défense nationale; vu l’évaluation environnementale, le rapport a conclu qu’il y avait suffisamment de confiance en la sécurité des visites de NCN et de NPN et en la forte possibilité que leurs répercussions néfastes sur l’environnement soient minimes pour qu’elles continuent. Les requérants ont plaidé que les deux décrets avaient été pris dans l’exercice abusif de la prérogative royale puisque le Parlement a, par des lois, retiré de la prérogative l’autorité d’adopter ces décrets. Ils ont également soutenu que les décrets ne respectaient pas les exigences du Décret sur les lignes directrices, et qu’ils ont été pris de mauvaise foi, puisqu’ils étaient fondés sur un examen inadéquat en matière d’environnement. La présente demande soulève bon nombre de questions de procédure et de fond : 1) une requête préliminaire en vue de radier la demande; 2) la compétence de la Cour en ce qui a trait aux parties intimées, aux décrets et à la réparation demandée; 3) l’admissibilité de la preuve déposée par les requérants; 4) la compétence de la Cour en ce qui a trait aux décrets en tant que décisions prises dans l’exercice de la prérogative royale; 5) l’application du Décret sur les lignes directrices; 6) l’allégation des requérants comme quoi le gouverneur en conseil aurait agi de mauvaise foi.

Jugement : la demande doit être rejetée.

1) Lorsqu’elle est saisie d’une requête préliminaire en radiation d’une requête introductive d’instance, la Cour doit trancher la requête préliminaire avant de statuer sur le fond de la requête introductive d’instance. La compétence inhérente de la Cour de contrôler sa propre procédure comprend le pouvoir discrétionnaire de radier une requête introductive d’instance de contrôle judiciaire. Cependant, ce pouvoir discrétionnaire ne doit être exercé que si la requête introductive d’instance est manifestement irrecevable. Compte tenu des circonstances en l’espèce, et vu le moment où la requête préliminaire des intimés a été présentée, la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour radier la requête introductive d’instance.

2) Il était manifestement contre-indiqué de constituer le premier ministre intimé lorsqu’aucune réparation n’est demandée relativement aux décisions prises, au plan juridique, par son bureau. C’est à bon droit que les autres ministres ont été constitués intimés, vu que les requérants demandent qu’une ordonnance soit rendue contre chacun d’eux pour les obliger à respecter, par mandamus, le Décret sur les lignes directrices. Il n’existe aucune loi ou règle qui oblige de mettre en cause le procureur général du Canada comme intimé dans une requête introductive d’instance, plutôt que Sa Majesté la Reine, s’il s’agit de contester une décision de l’État prise par le gouverneur en conseil. Dans le cas des procédures engagées contre les offices fédéraux, le paragraphe 18(1) de la Loi sur la Cour fédérale confère une compétence exclusive à la Section de première instance pour connaître de toute procédure engagée contre la Couronne, ce qui, compte tenu des récentes modifications apportées à la Loi, devrait inclure les requêtes introductives d’instance de contrôle judiciaire. Si Sa Majesté la Reine fait partie des intimés nommés dans une requête introductive d’instance, le défaut de nommer le procureur général à la place de Sa Majesté ne devrait pas entraîner l’irrecevabilité de la demande qui se rapporte aux décrets. Un tribunal ne peut accorder de bref de certiorari ou d’autre réparation par voie de contrôle judiciaire lorsque la décision contestée est de nature législative, plutôt qu’administrative ou judiciaire. Ce qui constitue une décision législative dont la Cour ne peut connaître doit être discrétionnaire, d’application générale et fondé sur l’exercice du jugement, après avoir évalué les facteurs relatifs à des questions de principe qui ne relèvent pas des préoccupations ou des méthodes classiques des tribunaux. Les décrets étaient surtout fondés sur des préoccupations d’ordre politique, compte tenu des intérêts du Canada en relations internationales, dans la sécurité nationale et dans la défense. Manifestement, ces décrets sont des décisions de nature législative, prises dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et qui échappent au contrôle judiciaire dans la mesure où elles relèvent de la compétence du gouverneur en conseil en vertu de la prérogative. La requête n’avait pas simplement pour objet essentiel de contester le bien-fondé des décisions prises. Les arguments avancés méritent d’être examinés au fond et il est faux de dire qu’ils ne sont pas du ressort des tribunaux. L’évaluation des effets qu’une proposition pourrait avoir sur l’environnement est une question qui relève entièrement du pouvoir du « ministère responsable », tout comme la question de savoir si les préoccupations du public au sujet d’une proposition rendent souhaitable un examen public. La Défense nationale a déterminé qu’un examen public n’était pas souhaitable vu qu’aucun examen n’a été recommandé ou entrepris. À cette étape, il n’existe aucune obligation juridique de réaliser un examen public en vertu du Décret sur les lignes directrices ou d’une autre règle de droit. Par conséquent, rien n’autorise la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire d’intervenir au moyen d’une ordonnance de la nature d’un mandamus.

3) Les passages des affidavits qui, comme l’allèguent les intimés, soulèvent des questions qui ne sont pas du ressort des tribunaux, sont pertinents, mais seulement en ce qui a trait à l’allégation des requérants comme quoi le gouverneur en conseil aurait agi de mauvaise foi. Les déposants appelés par les requérants ne répondent pas aux conditions qui en feraient des témoins-experts, et la Cour n’a pas à tenir compte de leur avis, comme elle tiendrait compte des avis d’experts qui répondent aux conditions prévues à la Règle 482. En outre, la preuve d’expert n’avait pas rapport aux questions principales dont la Cour était saisie, puisqu’il s’agissait de questions juridiques concernant l’autorité du gouverneur en conseil et le processus suivi pour en arriver aux décisions contestées en l’espèce, et non de questions de nature scientifique ou technique. Dans la mesure où les affidavits déposés renferment les avis des nombreux déposants, ils ne respectent pas la Règle 332(1), si bien qu’ils sont inadmissibles. L’admission de la preuve par ouï-dire est désormais fondée sur des principes, dont les principaux sont la fiabilité de la preuve et sa nécessité. Les passages des affidavits et des pièces que les intimés ont qualifiés de ouï-dire et qui se rapportent aux questions dont la Cour est saisie étaient donc admissibles.

4) La prérogative royale comprend l’ensemble des divers pouvoirs, droits, privilèges, immunités et devoirs reconnus dans notre droit comme dévolus à Sa Majesté et exercés par le gouverneur en conseil agissant sur l’avis des ministres. La prérogative est assujettie au principe de la souveraineté du Parlement et celui-ci peut, par une loi, retirer la prérogative ou en réglementer l’exercice. Aucune des lois ni aucun des règlements cités par les requérants, soit la Loi sur le contrôle de l’énergie atomique et ses règlements d’application, la Loi sur la marine marchande du Canada, le Règlement sur le transport par mer des marchandises dangereuses, ainsi que la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, n’influe sur la prérogative de la Couronne d’autoriser les escales de navires de guerre, qu’ils soient à propulsion ou à charge nucléaire, appartenant à des pays étrangers amis. Aucun d’eux n’influe sur ce pouvoir de la Couronne par déduction nécessaire. En adoptant ces lois et règlements, le Parlement n’a pas voulu retirer ou limiter la prérogative royale de permettre aux NPN et aux NCN de faire escale dans les ports canadiens, dans la mise en œuvre des relations internationales du Canada et de sa politique en matière de défense. Les décrets ont été pris dans les limites de l’autorité et du pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil en vertu de sa prérogative reconnue.

5) Un des aspects de la question relative à l’application du Décret sur les lignes directrices est de savoir si ce Décret, et la loi en vertu de laquelle il a été pris, c’est-à-dire la Loi sur le ministère de l’Environnement, peuvent avoir une incidence sur la prérogative du gouverneur en conseil d’adopter les décrets contestés. Il ressort des deux textes législatifs que leurs dispositions, de par leurs objets et leur contexte, lient implicitement la Couronne. Cependant, le Parlement ne voulait pas que la Loi aille jusqu’à toucher au pouvoir du gouverneur en conseil de réglementer des questions relatives aux relations internationales, à la politique de défense et à la sécurité nationale. Il n’existe aucune obligation positive de réglementation en vertu d’une loi fédérale en l’espèce. Il n’existe aucune obligation d’autoriser les escales effectuées par des navires de guerre étrangers; cette question relève entièrement du pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil. Ce dernier n’est pas lié par le Décret sur les lignes directrices et il n’existait aucune condition préalable selon laquelle le Décret sur les lignes directrices devait être appliqué avant l’adoption des décrets.

6) Ce n’est pas un cas où le gouverneur en conseil, prétendant agir en vertu de la prérogative, a, en fait, agi dans un dessein abusif, vu qu’il dépassait les limites de sa prérogative. Les allégations des requérants portant que le gouverneur en conseil a fait fi des conseils des hauts fonctionnaires du ministère de l’Environnement en n’appliquant pas le Décret sur les lignes directrices et que sa décision visait principalement à éviter un examen public ne sont pas appuyées par la preuve. Rien ne permet de conclure, à partir des critiques formulées par les requérants à l’égard du rapport de la Défense nationale, que le rapport a été rédigé de mauvaise foi et que les décisions du gouverneur en conseil étaient entachées de mauvaise foi ou prises dans un dessein abusif au delà des limites de la prérogative en matière de relations internationales et de politique de défense et de sécurité.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, DORS/84-467, art. 10, 11, 12, 13, 20.

Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 16, art. 4.

Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37.

Loi de 1987 sur les transports nationaux, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28, art. 64.

Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, ch. I-23, art. 16.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 17.

Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, ch. N-17, art. 64.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5), 28, 48(1).

Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9.

Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22.

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, art. 23(1).

Loi sur le Conseil des ports nationaux, S.R.C. 1970, ch. N-8.

Loi sur le contrôle de l’énergie atomique, L.R.C. (1985), ch. A-16, art. 11, 18.

Loi sur le ministère de l’Environnement, S.R.C. 1970 (2e supp.), ch. 14, art. 6(2) (mod. par S.C. 1978-79, ch. 13, art. 14).

Loi sur le ministère de l’Environnement, L.R.C. (1985), ch. E-10, art. 6.

Loi sur l’immunité des États, L.R.C. (1985), ch. S-18.

Règlement sur le transport par mer des marchandises dangereuses, DORS/81-951.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, R. 332(1), 400, 419, 482 (mod. par DORS/90-846, art. 18), 1604 (édicté par DORS/92-43, art. 19), 1618 (édicté, idem).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS SUIVIES :

Angus c. Canada, [1990] 3 C.F. 410; (1990), 72 D.L.R. (4th) 672; 5 C.E.L.R. (N.S.) 157; 111 N.R. 321 (C.A.); Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106; (1983), 143 D.L.R. (3d) 577; 46 N.R. 91; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1; confirmant [1983] 1 C.F. 745; (1983), 49 N.R. 363 (C.A.); Éthier c. Canada (Commissaire de la GRC), [1993] 2 C.F. 659 (C.A.); infirmant [1992] 1 C.F. 109; (1991), 45 F.T.R. 310 (1re inst.); R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531; (1990), 59 C.C.C. (3d) 92; 79 C.R. (3d) 1; 113 N.R. 53; 41 O.A.C. 353; R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915; (1992), 94 D.L.R. (4th) 590; 75 C.C.C. (3d) 257; 15 C.R. (4th) 133; 139 N.R. 323; 55 O.A.C. 321.

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304; Laker Airways Ltd. v. Department of Trade, [1977] Q.B. 643 (C.A.); Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, [1984] 3 All E.R. 935 (H.L.); Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225; [1989] 5 W.W.R. 385; (1989), 26 C.P.R. (3d) 289; 98 N.R. 161; Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; (1992), 88 D.L.R. (4th) 1; [1992] 2 W.W.R. 193; 84 Alta. L.R. (2d) 129; 3 Admin. L.R. (2d) 1; 7 C.E.L.R. (N.S.) 1; 132 N.R. 321.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Conseil de la tribu Carrier-Sekani c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1992] 3 C.F. 316; (1992), 93 D.L.R. (4th) 198; 5 Admin. L.R. (2d) 38 (C.A.); Organisation nationale anti-pauvreté c. Canada (Procureur général), [1989] 3 C.F. 684; (1989), 60 D.L.R. (4th) 712; 26 C.P.R. (3d) 440; 99 N.R. 181 (C.A.); infirmant [1989] 1 C.F. 208; (1988), 32 Admin. L.R. 1; 21 C.P.R. (3d) 305; 21 F.T.R. 33 (1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Centennial Packers Ltd. c. Canada Packers Inc. et autre (1986), 13 C.P.R. (3d) 187; 9 F.T.R. 232 (C.F. 1re inst.); Wells c. Canada (Ministre des Transports), T-2160-92, juge en chef adjoint Jerome, ordonnance en date du 19-4-93, C.F. 1re inst., encore inédite; Vancouver Island Peace Society c. Canada, [1992] 3 C.F. 42 (1re inst.).

DÉCISION CITÉE :

Kealey c. Canada (Procureur général), [1992] 1 C.F. 195; (1991), 1 Admin. L.R. (2d) 138; 46 F.T.R. 107 (1re inst.).

DOCTRINE

Canada. Comité mixte permanent d’Examen de la réglementation. Procès-verbaux et témoignages, no 28 (3 juin 1993).

Sopinka, John et al. The Law of Evidence in Canada. Toronto : Butterworths, 1992.

DEMANDE de contrôle judiciaire de deux décisions du gouverneur en conseil, prises par les décrets C.P. 1991-2083 et C.P. 1991-2084, par lesquels il a approuvé les visites aux ports canadiens de navires de guerre à propulsion nucléaire et à charge nucléaire. Demande rejetée.

AVOCATS :

Robert Moore-Stewart pour les requérants.

Harry J. Wruck pour les intimés.

PROCUREURS :

Robert Moore-Stewart, Victoria, pour les requérants.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge MacKay : La présente demande de contrôle judiciaire vise à obtenir des ordonnances de la nature d’un certiorari et d’un mandamus à l’encontre des intimés nommés, ou de certains d’entre eux, relativement aux décisions prises par le gouverneur en conseil, le 30 octobre 1991, sur recommandation du secrétaire d’État aux Affaires extérieures et du ministre de la Défense nationale. Par ces décisions, prises dans les décrets C.P. 1991-2083 et C.P. 1991-2084 respectivement, le gouverneur en conseil a approuvé ce qui suit :

a. les visites aux ports canadiens de navires de guerre à propulsion nucléaire appartenant aux États-Unis d’Amérique et au Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et de l’Irlande du Nord portant des ogives nucléaires ou capables d’en être porteurs (« navires à charge nucléaire » ou « NCN »), sous réserve de certaines conditions;

b. les visites aux ports de Halifax, Esquimalt et Nanoose, de navires de guerre à propulsion nucléaire (« NPN ») appartenant aux États-Unis d’Amérique et au Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et de l’Irlande du Nord, sous réserve de certaines conditions.

Dans ses motifs de l’ordonnance rendue relativement à une demande interlocutoire en l’espèce, mon collègue, M. le juge Strayer, a bien décrit la thèse des requérants dans le passage suivant (voir le jugement Vancouver Island Peace Society c. Canada, [1992] 3 C.F. 42 (1re inst.), aux pages 44 et 45) :

La demande principale vise deux décisions (nos 2083 et 2084 de 1991) que le gouverneur en conseil a prises le 30 octobre 1991. Il est allégué que ces décrets approuvaient notamment les visites effectuées par des navires de guerre à propulsion nucléaire et à charge nucléaire dans les ports canadiens. En effet, les requérants disent que ces décrets ont été adoptés sans que les intimés aient satisfait aux exigences du Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, DORS/84-467, en ce sens qu’on n’a effectué aucune évaluation initiale des effets néfastes que les visites proposées peuvent avoir sur l’environnement, comme l’exige le paragraphe 10(1) du Décret, et que la proposition n’a pas été soumise au ministre de l’Environnement pour qu’un examen public soit mené par une commission conformément à l’article 12 de ce Décret. Il est en outre allégué que le « ministère responsable », soit le ministère de la Défense nationale, n’a pas déterminé, conformément à l’article 13 du Décret, si la proposition devait être soumise au ministre de l’Environnement en vue de la tenue d’un examen public par une commission par suite des « préoccupations du public au sujet de la proposition ». Les requérants demandent donc un mandamus en vue d’obliger le ministre de la Défense nationale ou d’autres ministres [c’est-à-dire le secrétaire d’État aux Affaires extérieures et/ou le ministre des transports] à effectuer l’évaluation initiale pour déterminer s’il peut y avoir des « effets néfastes sur l’environnement », comme l’exige l’article 10, à soumettre la proposition au ministre de l’Environnement pour qu’un examen public soit mené par une commission, probablement en vertu de l’article 12, et à se conformer par ailleurs au Décret. Les intimés [c’est-à-dire Vancouver Island Peace society et autres] invoquent les articles 12, 13 et 20 du Décret comme fondement, lorsqu’il s’agit d’obliger le ministre de l’Environnement à mener l’examen public. En outre, les requérants demandent un certiorari en vue de faire annuler les décisions susmentionnées du gouverneur en conseil.

La requête introductive d’instance à l’origine de la présente demande a été déposée le 22 novembre 1991. La requête était accompagnée des affidavits de Frederick Knelman et Al Rycroft, qui sont tous les deux administrateurs de l’association requérante, et des affidavits des requérants Anne A. Pask et Gregory P. Hartnell. Par la suite, les requérants ont déposé quelque 42 affidavits supplémentaires, y compris deux autres affidavits de M. Knelman et deux autres de M. Rycroft. À l’origine, la demande devait être entendue le 25 février 1992. Par consentement des parties, cette date a ensuite été reportée au 9 juin 1992. L’audience, d’une durée de quatre jours, allait être tenue à Vancouver. Le 6 avril 1992, mon collègue le juge Strayer a entendu une requête des intimés pour que la demande principale soit instruite par voie d’action. Cette requête a été rejetée par une ordonnance datée du 10 avril 1992, pour les motifs, datés du 14 avril, que j’ai cités, en partie, ci-dessus.

Les questions en litige

Les parties soulèvent un certain nombre de questions, dont certaines, de nature préliminaire, portent sur la procédure, tandis que d’autres portent sur le fond de la demande.

L’avocat des requérants plaide que les décrets contestés en l’espèce ont été pris dans l’exercice abusif de la prérogative royale puisque le Parlement a, par des lois, effectivement retiré de la prérogative l’autorité d’adopter ces décrets, en particulier par l’adoption de la Loi sur le contrôle de l’énergie atomique, L.R.C. (1985), ch. A-16, et de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, et des règlements autorisés sous leur empire, surtout le Règlement sur le transport par mer des marchandises dangereuses, DORS/81-951. À l’audience, l’avocat des requérants a également fait valoir que l’adoption, par le Parlement, de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 16 (édicté par L.C. 1988, ch. 22, maintenant compris dans l’édition à feuilles mobiles des L.R.C. (1985), ch. C-15.3), a effectivement restreint la prérogative royale, empêchant la prise de ces décrets. En outre, l’avocat des requérants soutient que les décrets ne respectaient pas une « condition préalable », savoir le Décret sur les lignes directrices [Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement , DORS/84-467], et qu’ils ont été pris de mauvaise foi, puisqu’ils étaient fondés sur un examen inadéquat en matière d’environnement qui n’était pas conforme au Décret sur les lignes directrices et puisqu’il n’a pas été tenu compte de l’intérêt public pour un examen public en matière d’environnement.

Ces allégations sont contestées par les intimés et elles soulèvent, en outre, un certain nombre de questions de procédure, y compris une demande préliminaire visant à radier la requête introductive d’instance.

Bon nombre des questions soulevées sont étroitement liées. Bien qu’il puisse être superflu de les traiter toutes, puisqu’elles ont été débattues à fond, les conclusions relatives à toutes les questions d’importance sont énoncées dans les présents motifs. Dans ces motifs, nous allons exposer le contexte essentiel de la demande et nous traiterons ensuite les questions préliminaires de procédure avant d’aborder les questions de fond soulevées, sous les rubriques générales suivantes :

- requête préliminaire en vue de radier la demande,

- compétence de la Cour en ce qui a trait aux parties intimées, aux décrets et à la réparation demandée,

- admissibilité de la preuve déposée par les requérants,

- compétence de la Cour en ce qui a trait aux décrets en tant que décisions prises dans l’exercice de la prérogative royale,

- application du Décret sur les lignes directrices,

- allégation des requérants comme quoi le gouverneur en conseil aurait agi de mauvaise foi.

Voici un résumé de mes conclusions. Les questions préliminaires de procédure soulevées par les intimés ne règlent pas la présente demande. Pour ce qui est des questions de fond soulevées, je conclus qu’un certiorari ne devrait pas être décerné pour annuler les décisions du gouverneur en conseil. Les décisions prises dans les décrets contestés en l’espèce ont été prises dans l’exercice de la prérogative royale en matière de relations internationales et de défense nationale, pouvoirs qui n’ont pas été retirés ou dont l’exercice n’a pas été réglementé par des lois édictées par le Parlement. Il s’agit de pouvoirs discrétionnaires qui ne sont pas assujettis, pour ce qui est des décisions prises, au Décret sur les lignes directrices. Il n’a pas été établi en l’espèce que les décisions ont été prises de mauvaise foi, comme l’allèguent les requérants. Puisque le Décret sur les lignes directrices ne s’applique pas, aucun des intimés n’est tenu de faire un examen préalable ou une évaluation initiale sous le régime du Décret sur les lignes directrices, et rien ne justifie une ordonnance de mandamus pour entreprendre un tel examen. Que le Décret sur les lignes directrices s’applique ou non aux décisions du gouverneur en conseil en l’espèce, aucun des intimés n’a l’obligation légale de soumettre la question des visites autorisées par ces décisions à un examen public des effets de ces visites sur l’environnement, compte tenu des préoccupations du public à leur sujet. Par conséquent, rien ne permet des décerner des brefs de mandamus à l’encontre de l’un ou l’autre des intimés.

Je vais maintenant exposer les faits essentiels, puis les questions présentées à l’audition de la présente demande.

Historique

C’est en 1967 que le gouvernement du Canada a adopté pour la première fois sa politique de permettre aux NPN et aux NCN des États-Unis et du Royaume-Uni de faire escale dans des ports canadiens. Le pouvoir d’approuver des escales par ces types de navires a été délégué au ministère de la Défense nationale en 1972. Conformément à cette politique, ces deux types de navires font, en moyenne, soixante escales par année dans les ports canadiens. Les NPN font escale dans les ports de Halifax, d’Esquimalt et de Nanoose; les NCN font escale dans ces ports et dans d’autres ports des côtes est et ouest et des Grands Lacs.

En juin 1990, le ministre de l’Environnement, intimé, a annoncé à la Chambre des communes des réformes au processus fédéral d’évaluation environnementale. Cette annonce avait été précédée par un important processus de consultation, d’une durée de deux ans, auprès de personnes et d’organismes intéressés. Dans l’annonce, il a notamment été question de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, projetée à l’époque et édictée par la suite comme L.C. 1992, ch. 37 (non encore en vigueur). Le gouvernement s’est également engagé à établir des politiques pour réformer le processus d’évaluation environnementale. Ce processus avait été établi par le Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, (« le Décret sur les lignes directrices »), DORS/84-467, édicté en juin 1984, en application du paragraphe 6(2) de la Loi sur le ministère de l’Environnement [S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 14], modifié par la Loi de 1979 sur l’organisation du gouvernement [S.C. 1978-79, ch. 13, art. 14] (maintenant l’article 6 de la Loi sur le ministère de l’Environnement, L.R.C. (1985), ch. E-10). Bien que le Décret sur les lignes directrices n’ait pas été modifié à la suite de l’annonce du ministre, celui-ci a précisé que le gouvernement allait exiger que toutes les initiatives proposées ayant rapport avec la politique fassent l’objet d’une évaluation environnementale, évaluation qui aboutirait à une déclaration publique sur leurs répercussions environnementales.

À la suite des initiatives annoncées en juin 1990, le ministère de la Défense nationale a entrepris une évaluation environnementale de la politique qui consistait à maintenir pour les NPN et les NCN l’autorisation de faire escale dans les ports canadiens. Un rapport des résultats de cette évaluation a été rendu public le 30 octobre 1991. Il n’y a eu aucune consultation publique dans le cadre de cet examen. Cependant, il est dit dans le rapport que [traduction] « récemment, plusieurs municipalités et groupes d’intérêts de la côte ouest ont demandé que ces visites (escales) fassent l’objet d’une évaluation environnementale ». Dans le rapport, il est également question de l’élaboration d’une liste de questions préoccupantes établies notamment [traduction] « par l’interprétation des préoccupations soulevées par les groupes d’intérêts et les collectivités ».

Le rapport de la Défense nationale s’intitule [traduction] « Évaluation environnementale de la politique ». A. T. Downs, directeur général suppléant—Environnement—du Ministère et auteur de l’affidavit des intimés, atteste que ce rapport avait appuyé une demande pour que le gouverneur en conseil approuve les escales effectuées par des navires à propulsion nucléaire ou à charge nucléaire dans les ports canadiens. Les paragraphes suivants sont tirés de ce rapport :

[traduction] JUSTIFICATION DE LA POLITIQUE ET POSSIBILITÉS

6. La décision du gouvernement du Canada d’approuver la continuation des visites de NPN et de NCN vise à sauvegarder la politique qui consiste à autoriser ces visites. Cette politique est un élément essentiel de la politique du Canada en matière de sécurité. Elle vise à contribuer à la dissuasion stratégique et à démontrer clairement notre engagement et notre solidarité envers nos alliés de l’OTAN.

7. Une modification de la politique qui risquerait d’interrompre les visites est inacceptable, vu l’importance, pour la sécurité nationale du Canada, de la dissuasion nucléaire et le préjudice que causerait toute interruption à la dissuasion. Cette possibilité est également rejetée à cause de son effet éventuel sur les relations avec les alliés du Canada qui percevraient à juste titre une telle modification comme une abrogation des responsabilités du Canada au sein de l’alliance. Cependant, il y a une marge de manœuvre dans les domaines suivants :

a) un examen complet et détaillé des répercussions environnementales des visites de NPN et de NCN a été entrepris conformément au mécanisme du Plan vert qui demande à tous les organismes fédéraux d’examiner les politiques actuelles pour en connaître les répercussions sur l’environnement;

b) s’ils étaient jugés nécessaires, à la suite de l’étude détaillée susmentionnée, des changements aux procédures de visites et aux mesures de réaction en cas d’urgence pourraient être introduits pour réduire autant que possible, dans les limites raisonnables, les risques que posent de telles visites.

DESCRIPTION DES ACTIVITÉS DU PROJET LIÉES AUX OPTIONS POLITIQUES.

10. Des notes diplomatiques échangées entre le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni renferment des assurances comme quoi toutes les armes nucléaires seront entreposées, désarmées, dans des magasins spéciaux et ne seront pas déplacées ou transférées pendant qu’elles se trouvent en eaux canadiennes. Ces notes renferment également d’autres assurances comme quoi toutes les mesures de sécurité prises dans leurs ports d’attache seront observées pendant que les navires se trouvent en eaux canadiennes. Les armes conventionnelles sont également entreposées désarmées, selon la méthode normale.

11. Les procédures de navigation et d’amarrage que doivent suivre les NCN dans les ports sont les mêmes que pour les navires ordinaires, que ce soit les navires marchands ou les navires de guerre canadiens. Les NPN ne sont autorisés à entrer dans le port ou à le quitter que le jour, lorsque les conditions de visibilité réglementaires sont respectées et les navires sont accompagnés par des remorqueurs.

CONTEXTES ENVIRONNEMENTAUX

14. Voici les principaux éléments de l’environnement qui risquent d’être touchés :

a) la qualité de l’air;

b) la qualité de l’eau;

c) la faune aquatique (élément lié à la qualité de l’eau);

d) la pêche (élément lié à la qualité de l’eau et à la faune aquatique);

e) la santé et la sécurité pour les humains (élément lié à la qualité de l’air, la qualité de l’eau et la pêche);

f) l’économie locale (cet élément peut être lié à la pêche);

g) le tourisme local (élément lié à tous les éléments précédents);

15. Les listes et les descriptions détaillées des éléments importants de l’écosystème (ÉIÉ) de chaque port ne sont pas encore disponibles. Elles seront élaborées pendant les évaluations des ports et les évaluations environnementales détaillées.

ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE

16. Détermination des questions. Une liste des questions préoccupantes a été élaborée conjointement par des experts en sécurité nucléaire et en répercussion sur l’environnement (y compris le ministère des Pêches et des Océans et Environnement Canada), et par l’interprétation des préoccupations soulevées par des groupes d’intérêts et les collectivités. Voici les questions identifiées :

a) le risque pour la sécurité associé aux accidents nucléaires éventuels;

b) les effets, sur la faune aquatique, de l’exposition à de faibles taux de radiation;

c) les effets à long terme, sur la santé des humains, de l’exposition directe et indirecte à de faibles taux de radiation;

d) l’impact économique de l’approvisionnement auprès des fournisseurs locaux et des activités touristiques et récréatives des équipages des NPN et NCN en visite;

e) l’impact social de la présence, dans la collectivité, d’un nombre éventuellement important de militaires alliés;

f) les questions relatives à la qualité de l’eau et à l’élimination des déchets, c’est-à-dire les questions liées à l’élimination habituelle des vidanges des navires, des eaux usées et des rebuts;

g) les effets de la présence de ces navires sur le trafic du port et la fourniture des services d’amarrage;

h) la sécurité des passages de sous-marins en plongée dans les zones de pêche;

Le rapport examine les préoccupations énumérées au paragraphe 16, puis traite brièvement de « l’atténuation des effets et de la surveillance ». Il comprend cinq annexes intitulées, respectivement : [traduction] A—Description des visites portuaires des NCN et des NPN; B—Systèmes de sécurité des armes nucléaires; C—Description du réacteur nucléaire des navires de guerre; D—Résultats de la surveillance canadienne; E—Assurances américaines concernant le passage de sous-marins. Le rapport intégral comprend un document distinct de trois pages, intitulé : [traduction] Résumé des conclusions—Évaluation environnementale de la politique. Ce résumé renferme le paragraphe suivant :

[traduction] RÉSUMÉ DES RÉPERCUSSIONS

13. Bien que toutes les répercussions éventuelles aient été jugées minimes, une bonne partie des données fournies au soutien de ces conclusions viennent de nos alliés et du dossier historique. En 1990, on a décidé de mettre à jour les évaluations pour les visites de NPN et de NCN. En outre, conformément au Plan vert, un examen environnemental de la politique actuelle qui consiste à autoriser ces visites est en voie d’être réalisé en même temps que les évaluations des ports. Par conséquent, toutes les répercussions éventuelles dont il est question dans le présent rapport feront l’objet d’une étude supplémentaire approfondie pour confirmer l’analyse et, au besoin, pour élaborer de meilleurs plans et procédures afin de garantir que les conditions les plus sûres soient toujours en place.

Le rapport du Ministère renfermait la conclusion suivante :

[traduction] 27. Vu la présente évaluation, nous concluons que les intéressés ont suffisamment confiance en la sécurité des visites de NCN et de NPN et en la forte possibilité que leurs répercussions néfastes sur l’environnement soient minimes pour permettre qu’elles continuent. L’importance des visites pour la défense et la politique étrangère du Canada est telle que les incertitudes qui demeurent n’ont pas à être examinées comme condition préalable à la continuation des visites.

28. Le Ministère propose que le gouvernement approuve la continuation des visites de NPN et de NCN et que les mesures suivantes soient mises en œuvre :

a) la continuation des évaluations environnementales particulières et des évaluations des ports pour veiller à ce que toutes les mesures possibles de sécurité et d’atténuation des risques soient identifiées;

b) l’examen et l’amélioration des plans d’intervention en cas d’urgence nucléaire des Forces canadiennes conformément aux recommandations qui seront données à la suite des évaluations environnementales particulières et des évaluations des ports, intégrées aux évaluations effectuées par les autorités civiles.

Le même jour où ce rapport a été rendu public, le gouverneur en conseil, sur recommandation de deux des ministres intimés, le ministre aux Affaires extérieures et le ministre de la Défense nationale, a pris les décrets qui font l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Le premier, C.P. 1991-2083, approuve les visites aux ports canadiens de navires de guerre à charge nucléaire appartenant aux États-Unis et au Royaume-Uni et le second, C.P. 1991-2084, approuve les visites de navires de guerre à propulsion nucléaire appartenant aux mêmes pays, mais seulement aux ports de Halifax, Esquimalt et Nanoose. Pour les deux types de navires, ces escales sont assujetties à des conditions. Les deux décrets sont semblables quant à la forme et ils renferment les mêmes conditions. C.P. 1991-2083 est libellé en ces termes :

Sur recommandation du secrétaire d’État aux Affaires extérieures et du ministre de la Défense nationale, il plaît à son Excellence le Gouverneur général en conseil d’approuver des visites aux ports canadiens de navires de guerre à propulsion nucléaire appartenant aux États-Unis d’Amérique et au Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et de l’Irlande du Nord portant des ogives nucléaires ou capables d’en être porteurs, sous réserve des conditions suivantes :

a) la certification écrite des gouvernements de ces pays que toutes les précautions de sécurité et les procédures à suivre en rapport avec les opérations de tels navires dans leurs ports d’attache seront strictement observées lors des visites dans les ports canadiens; et

b) la confirmation écrite des gouvernements de ces pays que toutes réclamations, sauf celles qui sont régies par la Convention entre les États-parties au Traité de l’Atlantique Nord sur le statut de leurs forces, qui peuvent être présentées à la suite d’un accident ou incident nucléaire, seront traitées par le biais des voies diplomatiques en conformité avec les procédures d’usage pour le règlement de réclamations de nature internationale selon les principes de droit et d’« equity » généralement reconnus.

Comme nous l’avons noté précédemment, la présente demande de contrôle judiciaire a été introduite par le dépôt de la requête introductive d’instance le 22 novembre 1991. Dans son affidavit fait sous serment le 21 novembre 1991, Alan Rycroft, un administrateur de la Vancouver Island Peace Society, requérante, (« l’association ») affirme que celle-ci a été constituée en association en septembre 1991, sous le no S-28048, en vertu des lois de la Colombie-Britannique. Les buts de l’association sont notamment, d’une part, la sensibilisation des citoyens de l’agglomération urbaine de Victoria et de l’Île de Vancouver, et le public canadien, aux dangers que représentent les escales effectuées dans les ports canadiens par des navires à propulsion nucléaire et à charge nucléaire et, d’autre part, la mise en œuvre de mesures et d’activités visant à mettre fin à ces escales. M. Rycroft atteste que le conseil d’administration de l’association a accepté, à l’unanimité, que celle-ci se porte « demanderesse », c’est-à-dire requérante, en l’instance.

Un autre administrateur de l’association requérante, M. Frederick Knelman, auteur, professeur d’université titulaire d’un doctorat en physique et en génie, ayant plus de quarante ans d’expérience en recherche et en rédaction d’ouvrages sur la technologie nucléaire et des questions connexes, a également déposé un affidavit au soutien de la requête introductive d’instance le 22 novembre 1991, et il en a déposé deux autres par la suite. M. Knelman a fait l’objet de distinctions honorifiques comme environnementaliste et pour ses efforts pour la cause de la paix. Dans ses affidavits, il exprime ses avis sur les accidents maritimes impliquant des navires à propulsion nucléaire et à charge nucléaire, le risque d’accident qui pourrait survenir pendant que des NPN et des NCN font escale dans des ports canadiens, le manque de mesures appropriées si un accident devait survenir pendant une telle escale, les dangers et les dommages auxquels on pourrait s’attendre en cas d’accident et le besoin d’examiner publiquement la politique qui permet les escales de NPN et de NCN au moyen d’une évaluation environnementale. Ses avis sont tirés d’écrits et de documents qui sont du domaine public. Cependant, en lisant son affidavit, je constate que ses sources de renseignements représentent elles-mêmes des avis et revêtent un caractère plutôt conjectural parce que les gouvernements intéressés ont pour politique de traiter comme secrets les renseignements sur les NPN et les armes nucléaires, y compris les renseignements sur les accidents qui se produisent à bord de NPN et de NCN.

Les autres requérants qui ont déposé des affidavits avec la requête introductive d’instance sont des particuliers. Dans son affidavit, Mme Pask se décrit comme une militante pour la paix, une personne du troisième âge, membre du groupement appelé les « Raging Grannies » (les grand-mères militantes), et une résidente de longue date de la ville de Victoria. En tant qu’ancienne infirmière de santé publique, elle dit vouloir éviter les accidents nucléaires, elle dit appuyer la cause de la paix et elle dit avoir visité plusieurs fois des lieux d’essais ou d’accidents nucléaires. Elle souhaite prévenir un accident nucléaire dans les ports urbains car, dit-elle, un accident constitue [traduction] « un scénario impensable, dont les conséquences se répercuteraient sur plusieurs générations ». Dans son affidavit, fait sous serment le 14 janvier 1992, Gregory P. Hartnell, l’autre particulier qui s’est porté requérant, se décrit lui-même comme un artisan et un éditeur, un résident de longue date de Victoria, et un citoyen sincèrement préoccupé des risques de blessures ou de mort par la destruction générale qui pourrait résulter de la politique du gouvernement canadien de permettre à des navires à charge nucléaire et à propulsion nucléaire de mouiller ou de venir à quai dans les ports de Victoria et d’Esquimalt. Il est le président de la Greater Victoria Concerned Citizens Association, il s’est porté candidat à la mairie de Victoria en 1990, il est personnellement préoccupé par les questions environnementales et il atteste qu’une grande partie de la population, y compris lui-même, croit à la nécessité d’un [traduction] « examen public en matière d’environnement », en ce qui concerne la politique visant à permettre aux NPN et aux NCN de faire escale dans les ports canadiens et, je présume, à Esquimalt et à Victoria en parti- culier.

Une autre question importante dans le présent litige consiste à savoir d’où provient le pouvoir de prendre les décrets contestés en l’espèce. L’avocat des intimés affirme expressément que les décrets sont fondés sur la prérogative royale en matière d’affaires étrangères et de défense nationale. Bien que ces navires fassent escale dans les ports canadiens depuis plus de deux décennies, le ministère de la Défense nationale, conformément aux orientations annoncées par le ministre de l’Environnement en juin 1990, a fait l’étude des effets de ces escales sur l’environnement. Cependant, l’avocat des intimés affirme expressément que cette étude n’a pas été entreprise sous le régime du Décret sur les lignes directrices. Il fait valoir que ce décret ne s’applique pas aux décisions du gouverneur en conseil, particulièrement lorsque ces décisions sont prises dans l’exercice de la prérogative royale.

Requête préliminaire en vue de radier la demande

Au début de l’audience, le 9 juin, j’ai d’abord tranché une demande présentée au nom des intimés, en date du 4 juin 1992, pour que la requête introductive d’instance soit radiée, conformément à la Règle 419 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663], et vu la compétence inhérente de la Cour pour contrôler sa propre procédure. Au soutien de cette demande, les intimés ont plaidé que la Cour n’avait pas compétence pour accorder la réparation demandée, vu que celle-ci était demandée contre la mauvaise partie et que la requête introductive d’instance ne révélait aucune cause d’action ou constituait un emploi abusif des procédures de la Cour, puisqu’un certiorari ne pouvait être obtenu pour contester la validité des deux décrets en cause. En outre, l’avocat des intimés a soutenu qu’il serait inopportun que la Cour accorde la réparation demandée par voie de mandamus puisque cette réparation ne relevait pas de la compétence de la Cour ou qu’elle constituerait l’exercice d’une fonction d’appel ou usurperait le pouvoir discrétionnaire conféré à certains des intimés. Enfin, l’avocat des intimés a affirmé que les questions soulevées par les requérants n’étaient pas du ressort des tribunaux et que la demande constituait un emploi abusif de la procédure de la Cour. À l’audience, l’avocat des intimés a également fait valoir, au soutien de la requête en radiation, que les documents déposés par les requérants, c’est-à-dire les nombreux affidavits, étaient tellement viciés et défectueux que le recours dirigé contre les intimés était dénué de fondement.

Bien entendu, la présente instance n’est pas une action visée par la Règle 419 qui prévoit les demandes de radiation des plaidoiries. Pourtant, l’avocat des intimés a soutenu que le pouvoir discrétionnaire de radier, prévu par cette règle dans le cas des actions, était inhérent à la compétence de la Cour en matière de requêtes. Selon lui, la Cour d’appel, dans l’arrêt Conseil de la tribu Carrier-Sekani c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1992] 3 C.F. 316 (C.A.) [ci-après appelé Alcan] a implicitement reconnu que cette Cour connaissait d’une requête préliminaire en radiation d’une requête introductive d’instance en vue d’un contrôle judiciaire. À tout le moins, selon lui, la Cour d’appel, dans cet arrêt, a statué que, lorsque la Cour était saisie d’une requête préliminaire en radiation d’une requête introductive d’instance, la Cour devait trancher la requête préliminaire avant de statuer sur le fond de la requête introductive d’instance, du moins lorsque la requête préliminaire a été pleinement débattue tandis que la requête introductive d’instance ne l’a pas été.

Je n’ai aucun doute que la compétence inhérente de la Cour pour contrôler sa propre procédure comprend le pouvoir discrétionnaire de radier une requête introductive d’instance de contrôle judiciaire. Cependant, ce pouvoir discrétionnaire ne doit être exercé que si la requête introductive d’instance est manifestement irrecevable. Lorsque la Cour est saisie d’une requête, et notamment d’une requête de contrôle judiciaire, le requérant est habituellement entendu et l’intimé qui s’oppose à la réparation demandée répond en invoquant tous les arguments au soutien du rejet de la requête. Il se peut que des questions de compétence ou des questions relatives à la manière dont la requête et les documents présentés à l’appui sont formulés amènent la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire de radier une requête, sans que celle-ci ne soit plaidée au fond. Dans le jugement Centennial Packers Ltd c. Canada Packers Inc. et autre (1986), 13 C.P.R. (3d) 187 (C.F. 1re inst.) mon collègue, M. le juge Cullen, a ordonné la radiation d’une requête introductive d’instance à cause d’une irrégularité de procédure, irrégularité qui ne pouvait être corrigée dans ce cas. Dans Wells c. Canada (Ministre des Transports), T-2160-92, ordonnance en date du 19/4/93, C.F. (1re inst.), encore inédite, le juge en chef adjoint Jerome a annulé une requête introductive d’instance en vue du contrôle d’une décision du Commissaire à l’information, au motif que la question qu’elle soulevait avait l’autorité de la chose jugée. Souvent, le tribunal appelé à exercer son pouvoir discrétionnaire devra apprécier la situation dans laquelle la requête a été présentée et la réparation demandée. Dans bien des cas, une appréciation complète n’est possible que si le requérant a l’occasion de faire valoir sa cause, d’après la requête introductive d’instance et les affidavits présentés à son appui. Dans le cas particulier où la requête préliminaire en radiation a été déposée, sans toutefois avoir été entendue, juste avant la date à laquelle doit commencer une audience spéciale pour examiner la requête introductive d’instance, il pourrait être plus expéditif, et utile à la Cour, dans son appréciation de la demande de contrôle judiciaire, de permettre au requérant de faire une présentation complète de sa demande. En l’espèce, les intimés plaident qu’il serait plus expéditif d’accueillir la requête préliminaire en radiation, vu que la Cour pourrait ainsi éviter un débat sur le fond de la demande de contrôle judiciaire. Cependant, l’avocat des requérants soutient que, pour répondre aux questions soulevées dans la requête préliminaire en radiation, il faut traiter plusieurs questions qui seraient abordées par ailleurs dans un débat sur le fond de la requête introductive d’instance.

Compte tenu des circonstances en l’espèce, et vu le moment où la requête préliminaire des intimés a été présentée, je n’ai pas été convaincu que la Cour dût exercer son pouvoir discrétionnaire pour radier la requête introductive d’instance. La requête en radiation des intimés a été rejetée, sous réserve de leur droit de soulever, en réponse à la requête introductive d’instance, tous les arguments soulevés à l’appui de la requête en radiation pour justifier le refus de la réparation demandée par les requérants et le rejet de la requête introductive d’instance.

Compétence de la Cour en ce qui a trait aux parties intimées, aux décrets et à la réparation demandée

Les intimés s’opposent à la requête introductive d’instance et à la manière dont elle est formulée, et leurs objections, dit-on, intéressent la compétence de la Cour pour entendre la présente demande. Premièrement, les intimés soutiennent qu’ils n’auraient pas dû être constitués parties à l’instance vu que les décisions dont on demande le contrôle sont celles du gouverneur en conseil. Deuxièmement, les intimés prétendent qu’un certiorari ne peut être accordé en l’espèce parce que les décisions contestées sont de nature législative, et non administrative ou judiciaire, parce que les questions soulevées par les requérants ne sont pas du ressort des tribunaux et parce que les décisions ont été prises dans l’exercice valide de la prérogative. Troisièmement, les intimés font valoir qu’un mandamus ne peut être accordé en l’espèce pour obliger les ministres à ordonner un examen public en matière d’environnement.

Je vais d’abord examiner la première question de procédure soulevée, savoir si la demande est dirigée contre les bonnes parties. L’avis de requête introductive d’instance des requérants est adressée à Sa Majesté la Reine du chef du Canada, au premier ministre et aux ministres de la Défense nationale, des Affaires extérieures, des Transports et de l’Environnement. La réparation demandée comprend un certiorari pour annuler les décrets en cause, à titre de décisions prises par le gouverneur général en conseil, et un mandamus, ou une réparation de cette nature

1. pour obliger le ministre de la Défense nationale, le secrétaire d’État aux Affaires extérieures ou le ministre des Transports à prendre les mesures suivantes :

a)   faire un examen préalable ou une évaluation initiale afin de déterminer la nature et l’étendue des effets néfastes que peuvent avoir sur l’environnement les visites susmentionnées effectuées par des navires de guerre à propulsion nucléaire et à charge nucléaire dans les ports canadiens, et spécialement aux ports d’Esquimalt et de Victoria;

b)   soumettre au ministre de l’Environnement la proposition portant sur les visites susmentionnées effectuées par des navires nucléaires pour qu’elle fasse l’objet d’un examen public par une commission;

c)   respecter par ailleurs le Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, DORS/84-467 relativement aux visites susmentionnées effectuées par des navires nucléaires.

2. pour obliger le ministre de l’Environnement à tenir un examen public, conformément aux articles 12, 13 et 20 du Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement.

Je remarque que le premier ministre du Canada ne fait l’objet d’aucune demande de réparation, même s’il est constitué intimé. Dans son plaidoyer, l’avocat des requérants a affirmé que le premier ministre avait été mis en cause parce qu’il était l’ultime responsable du pouvoir exécutif. Néanmoins, il n’est pas le représentant légal du gouverneur en conseil et il ne serait ni efficace, ni approprié de le mettre en cause à cette fin. En l’espèce, les requérants plaident, au fond, que le premier ministre a participé, avec les ministres, aux décisions de ne pas faire tenir un examen public en matière d’environnement, comme l’exige la loi. Cette thèse est fondée, d’une part, sur l’argument selon lequel le Décret sur les lignes directrices s’applique aux décisions prises en l’espèce sous forme de décrets et, d’autre part, sur l’argument selon lequel le Décret sur les lignes directrices exige un examen public. Cependant, même si cette thèse était exacte, il est manifestement contre-indiqué de constituer le premier ministre intimé lorsqu’aucune réparation n’est demandée relativement aux décisions prises, au plan juridique, par son bureau.

C’est à bon droit que les autres ministres ont été constitués intimés, vu que les requérants demandent qu’une ordonnance soit rendue contre chacun d’eux pour les obliger à respecter, par mandamus, le Décret sur les lignes directrices.

Les intimés prétendent que pour pouvoir contester, devant la Cour, les décisions en cause, c’est-à-dire les décrets, il faut absolument mettre en cause le procureur général du Canada, à défaut de quoi, le recours est dirigé contre la mauvaise partie. Lorsqu’il s’agit de contester une décision du gouverneur général en conseil, il est courant de constituer intimé le procureur général du Canada comme représentant de Sa Majesté, pratique qui n’a pas été suivie en l’espèce.

L’avocat des intimés invoque les commentaires de M. le juge Marceau, s’exprimant au nom de la Cour d’appel dans l’arrêt Alcan, précité, à la page 331, et, si seuls des ministres avaient été constitués intimés en l’espèce, comme c’était le cas pour la requête introductive d’instance dans l’affaire Alcan, l’affaire serait réglée. Comme l’a affirmé le juge Marceau, les ministres ne sont pas les représentants légaux du gouverneur en conseil et, dans cette affaire, le sous-procureur général, lequel représentait les ministres constitués intimés, c’est-à-dire les ministres de l’Environnement et des Transports, ne pouvait être réputé représenter le procureur général du Canada en tant que représentant du gouverneur en conseil.

Contrairement à ce qui s’est passé dans l’affaire Alcan, les requérants en l’espèce ont dirigé leur requête introductive d’instance contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada, en plus des ministres nommés, chacun à titre d’intimé. C’est apparemment la procédure qui a été suivie dans la requête introductive d’instance en certiorari pour annuler les décisions du gouverneur général en conseil contestées dans l’affaire Angus c. Canada, [1990] 3 C.F. 410 (C.A.). Dans cette affaire, Sa Majesté la Reine et le ministre des Transports avaient été constitués intimés. Cependant, l’avocat des intimés en l’espèce prétend que la question de savoir si la bonne partie avait été constituée intimée n’avait pas été soulevée dans cette affaire, comme elle l’avait été subséquemment dans l’affaire Alcan. Pour montrer ce qui constitue la pratique normale, les intimés ont également invoqué le jugement Organisation nationale anti-pauvreté c. Canada (Procureur général), [1989] 1 C.F. 208 (1re inst.), infirmé pour d’autres motifs, sans commentaire sur cette question, par [1989] 3 C.F. 684 (C.A.). Cependant, dans cette affaire, une requête introductive d’instance dirigée contre le gouverneur en conseil en vue d’obtenir un certiorari pour annuler un décret a été transformée, par modification autorisée par consentement, en action en jugement déclaratoire dirigée contre le procureur général.

À mon avis, les jugements Alcan et Organisation nationale anti-pauvreté ne permettent pas de trancher la question soulevée en l’espèce. Ici, les requérants ont mis en cause Sa Majesté la Reine comme partie intimée. Puisque le sous-procureur général avait été informé de ce fait dans la requête introductive d’instance, on peut considérer que le procureur général a été informé des demandes de réparation des requérants dirigées contre Sa Majesté la Reine et que l’avocat du ministère de la Justice représente tous les intimés, y compris Sa Majesté, dont le représentant est le gouverneur général en conseil lorsqu’il agit, comme il l’a fait en l’espèce, pour prendre des décrets. Je remarque que l’avocat des intimés n’a pas désavoué sa responsabilité de représenter Sa Majesté la Reine en l’espèce. Il a plutôt tenté de faire valoir simplement que le procureur général du Canada n’avait pas été constitué intimé, comme il se doit, selon lui.

Il n’existe aucune loi ou règle qui oblige de mettre en cause le procureur général du Canada comme intimé dans une requête introductive d’instance, plutôt que Sa Majesté la Reine, s’il s’agit de contester une décision de l’État prise par le gouverneur général en conseil. Dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, le juge Estey, s’exprimant au nom de la Cour suprême, a mentionné la procédure habituelle qui consiste à mettre en cause le procureur général comme la partie qui représente le gouverneur en conseil. Cependant, le juge n’a pas dit si cette procédure était essentielle.

Dans une poursuite dirigée contre l’État, la pratique autorisée semble dépendre du tribunal devant lequel l’action a été introduite. Le paragraphe 23(1) de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, modifié par L.C. 1990, ch. 8, art. 21 et 29, dispose en partie :

23. (1) Les poursuites visant l’État peuvent être exercées contre le procureur général du Canada…

Par ailleurs, le paragraphe 48(1) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] dispose en partie :

48. (1) Pour entamer une procédure contre la Couronne, il faut déposer au greffe de la Cour l’original et deux copies de l’acte introductif d’instance, qui peut suivre le modèle établi à l’annexe…

Or, dans l’intitulé de la cause du modèle qui se trouve à l’annexe de la Loi, modèle établi pour une action plutôt qu’une requête, Sa Majesté la Reine est identifiée comme « défenderesse ». Pareillement, à la Règle 400 des Règles de la Cour fédérale, qui porte sur les actions intentées contre la Couronne, il est question de « déclaration ou statement of claim (Formule 11) », laquelle formule renvoie à son tour à la Formule 2 [mod. par DORS/90-846, art. 25] où, dans « l’intitulé de l’action ou de la procédure », dans une déclaration contre Sa Majesté, « Sa Majesté la Reine » est nommée défenderesse. Par conséquent, devant cette Cour, une procédure engagée contre la Couronne sous forme d’action est prise contre Sa Majesté la Reine, et non contre le procureur général, comme c’est le cas devant les autres tribunaux en application de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif.

Dans le cas des procédures engagées contre les offices fédéraux, le paragraphe 18(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifié par L.C. 1990, ch. 8, art. 4 confère une compétence exclusive à la Section de première instance, sous réserve de la compétence accordée à la Cour d’appel en vertu de l’article 28, pour « connaître de toute demande … et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral ».

L’expression « procédure contre la Couronne » n’est pas définie dans la Loi sur la Cour fédérale, ni d’ailleurs, dans la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif. Cependant, à mon avis, il n’y a aucune raison pour laquelle cette expression, employée dans l’ancienne Loi, devrait exclure les requêtes introductives d’instance, maintenant que les modifications à la Loi sur la Cour fédérale apportées par L.C. 1990, ch. 8 ne semblent plus exiger qu’une demande de réparation dirigée contre le procureur général soit engagée sous forme d’action, comme c’était le cas avant l’entrée en vigueur de la Loi modificatrice et conformément à l’ancienne Règle 603 des Règles de la Cour fédérale, maintenant abrogée [DORS/92-43, art. 5]. En vertu de la Loi modificatrice, la réparation s’obtient par voie de contrôle judiciaire en application de l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5], et les Règles de la Cour fédérale ont été modifiées par l’ajout de la Partie V.1 [Règles 1600 à 1619, édictées par DORS/92-43, art. 19] qui porte sur les demandes de contrôle judiciaire. Ces modifications, lesquelles sont entrées en vigueur le 1er février 1992, soit après le dépôt de la requête en l’espèce, comprennent la Règle 1604 qui prévoit maintenant la signification des documents au procureur général du Canada dans tous les cas où les procédures sont engagées par une requête introductive d’instance de contrôle judiciaire. La signification au procureur général se fait habituellement par la signification au sous-procureur général.

Je ne suis pas disposé à rejeter la requête en certiorari au motif que ce recours est dirigé contre la mauvaise partie, comme le soutiennent les intimés. Bien que le procureur général ne soit pas mis en cause à titre de représentant légal du gouverneur général en conseil, les requérants ont constitué Sa Majesté la Reine intimée. Si la présente demande avait été une action, cette formule aurait été appropriée. Dans le cas d’une action, M. le juge Teitelbaum a statué qu’il suffisait de constituer Sa Majesté la Reine défenderesse et que, si le demandeur n’avait pas l’intention de poursuivre le procureur général personnellement, il était redondant de le mettre en cause. (Voir Kealey c. Canada (Procureur général), [1992] 1 C.F. 195 (1re inst.)). À mon avis, si Sa Majesté la Reine fait partie des intimés nommés dans une requête introductive d’instance, le défaut de nommer le procureur général à la place de Sa Majesté ne devrait pas entraîner l’irrecevabilité de la demande qui se rapporte aux décrets.

Le deuxième grand argument préliminaire des intimés intéresse la compétence de la Cour pour contrôler ou annuler par voie de certiorari les décrets en cause. Les intimés prétendent qu’il s’agit de décisions de nature législative, et non administrative ou judiciaire, que les questions soulevées par les requérants ne sont pas du ressort des tribunaux et que les décisions ont été dûment prises dans l’exercice de la prérogative. Pour chacun de ces motifs, les intimés affirment que la Cour n’a pas compétence pour annuler le décret ou rendre un jugement déclaratoire au même effet, si un tel jugement était demandé. Les arguments des intimés sont quelque peu liés. Je traiterai plus loin, dans les présents motifs, l’argument qui porte sur la prérogative. J’aborde maintenant les autres arguments comme les autres questions préliminaires.

Comme le veut un principe maintes fois énoncé, un tribunal ne peut accorder de bref de certiorari ou d’autre réparation par voie de contrôle judiciaire lorsque la décision contestée est de nature législative, plutôt qu’administrative ou judiciaire. S’exprimant au nom de la Cour d’appel dans l’arrêt Alcan, précité, à la page 331, M. le juge Marceau a affirmé ce qui suit :

Il est aussi hors de doute que, aussi étendu qu’il ait pu devenir, le bref de certiorari est un recours de common law qui a été conçu et qui existe toujours pour le contrôle des conclusions ou décisions administratives, non pas des prescriptions législatives.

Dans cet arrêt, la Cour a jugé que le Décret sur les lignes directrices ne s’appliquait pas aux décisions des ministres en cause. Le juge Marceau a ensuite parlé d’un arrêté pris sur recommandation du ministre de l’Environnement, conformément à l’article 6 de la Loi sur le ministère de l’Environnement. Cet arrêté prévoyait que le Décret sur les lignes directrices ne s’appliquait pas aux travaux d’achèvement du projet Kemano. Le juge Marceau a statué que cet arrêté portant exemption, comme il l’a nommé, relevait du pouvoir délégué par le Parlement, en vertu de la Loi, de prendre des arrêtés pour établir des lignes directrices en matière d’environnement. Le juge a fait les commentaires suivants sur l’arrêté, à la page 345 :

Qu’on voie dans cet arrêté une modification apportée au Décret sur les lignes directrices pour en exempter expressément le projet, ou la simple confirmation que celui-ci ne tombe pas dans son champ d’application, c’est-à-dire un simple éclaircissement, il me semble que du fait qu’il a été pris en application de l’article 6 de la Loi sur le ministère de l’Environnement, il était clairement autorisé par la loi. Le pouvoir d’adopter des règlements et autres textes s’entend forcément aussi du pouvoir de les clarifier ou modifier, à condition bien entendu que ce pouvoir ne soit pas exercé de façon qui irait à l’encontre de la volonté du législateur.

Bien entendu, l’arrêt Alcan portait sur l’exercice du pouvoir délégué par le Parlement de prendre des règlements, pouvoir que la Cour d’appel a considéré, dans cette affaire, comme un pouvoir de prendre des décisions de nature législative. Cette partie de l’arrêt a été récemment critiquée dans le Neuvième rapport du Comité mixte permanent d’examen de la réglementation, du 3 juin 1993, Sénat et Chambre des communes, Ottawa. La critique formulée dans le rapport part du principe selon lequel une délégation, par le Parlement, d’un pouvoir législatif général ne devrait pas être interprétée, sauf disposition expresse, comme comprenant le pouvoir d’exempter des cas particuliers du règlement général. Un tel principe ne semble pas encore avoir été reconnu en jurisprudence canadienne en ce qui a trait au pouvoir réglementaire. La critique n’a aucune incidence en l’espèce, puisque les décrets en cause sont d’application générale et ne peuvent être aisément qualifiés de décrets portant exemption.

Un arrêt antérieur de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106 illustre les limites du contrôle judiciaire sur les décisions du gouverneur en conseil qui sont prises en vertu du pouvoir délégué par le Parlement dans une loi. Confirmant la validité et l’applicabilité d’un décret pris en application de la Loi sur le Conseil des ports nationaux, S.R.C. 1970, ch. N-8, M. le juge Dickson (tel était alors son titre) a dit ce qui suit, à la page 111 :

Les décisions prises par le gouverneur en conseil sur des questions de commodité publique et de politique générale sont sans appel et ne peuvent être examinées par voie de procédures judiciaires. Comme je l’ai déjà indiqué, bien qu’un décret de Conseil puisse être annulé pour incompétence ou pour tout autre motif péremptoire, seul un cas flagrant pourrait justifier une pareille mesure. Tel n’est pas le cas ici.

Après avoir discuté des divers facteurs qui auraient pu motiver le gouvernement de l’époque à prendre le décret, le juge Dickson a poursuivi en ces termes à la page 115 :

Je mentionne ces différents éléments de preuve non pas pour examiner les considérations qui ont pu motiver le gouverneur en conseil à prendre le décret, mais pour démontrer que l’extension du port a été une question économique et politique plutôt qu’une question de compétence ou de droit pur. Le gouverneur en conseil a manifestement cru avoir des motifs raisonnables de prendre le décret … qui étendait les limites du port de Saint-Jean et nous ne pouvons nous enquérir de la validité de ces motifs afin de déterminer la validité du décret.

Dans l’arrêt Procureur générale du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, précité, la Cour suprême du Canada a statué qu’une autre mesure prise par décret, cette fois en application de l’article 64 de la Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, ch. N-17 et ses modifications, n’était pas du ressort des tribunaux. En vertu de cette loi, le gouverneur en conseil était autorisé à examiner et trancher des appels de décisions du CRTC. Au nom de la Cour, le juge Estey a conclu que le pouvoir délégué permettait de trancher des appels à la lumière des préoccupations politiques, économiques et sociales de l’époque et que le gouverneur en conseil n’était pas tenu d’observer les principes de l’équité procédurale. Les tribunaux n’avaient pas compétence pour contrôler ses décisions rendues dans les limites prévues par la loi habilitante. Par conséquent, il semblerait que même lorsque le gouverneur en conseil s’est vu conférer le pouvoir d’arbitrer un différend qui oppose des intérêts divergents, sur appel des décisions de certains organismes administratifs, les décisions rendues par décret ne peuvent être contrôlées lorsque le tribunal juge que le pouvoir exercé échappe à sa compétence de contrôle à la lumière des facteurs dont doit tenir compte le gouverneur en conseil.

L’avocat des intimés a cité plusieurs autres arrêts, mais je n’en mentionnerai qu’un seul qui, bien qu’il portât sur une autre question, intéressait un cas qui rappelle celui-ci; en effet, la décision en cause du gouverneur en conseil était fondée sur l’exercice de sa prérogative en matière de traités et de défense nationale. Dans l’arrêt Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441, la Cour suprême du Canada a rejeté un appel d’une décision de la Cour d’appel [[1983] 1 C.F. 745] qui avait radié une déclaration dans une action où l’on avait contesté la décision du gouvernement de permettre les essais de missiles de croisière au-dessus du territoire canadien par les États-Unis. Les demandeurs avaient allégué que cette décision contrevenait à leurs droits garantis par la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annxe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et, dans l’action, ils ont demandé un jugement déclaratoire en ce sens, une injonction pour interdire les vols de missiles de croisière au-dessus du territoire canadien et des dommages-intérêts. Il n’y a eu aucun débat sur la source du pouvoir qui autorisait la mesure prise par le gouvernement; les intéressés avaient admis que la décision avait été prise dans l’exercice de la prérogative en matière de relations internationales, de traités et de défense nationale.

Bien que la Cour suprême ait clairement reconnu que les décisions du gouverneur en conseil fondées sur sa prérogative sont susceptibles de contrôle judiciaire en cas de violation de la Charte canadienne des droits et libertés, les faits dans cette affaire n’ont pas soulevé de questions relatives à la Charte. S’exprimant au nom de la majorité de la Cour, le juge en chef Dickson a conclu que rien ne permettait à la Cour d’intervenir relativement au décret car, à son avis, il n’y avait aucun lien entre cette décision—savoir, permettre les essais de missiles de croisière—et le préjudice allégué, c’est-à-dire le risque accru de guerre nucléaire. Dans un jugement concordant, Mme le juge Wilson a conclu que les questions soulevées dans la déclaration portaient essentiellement sur le bien-fondé de la décision rendue dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui relevait de la prérogative royale en vertu de la Constitution, et que les tribunaux n’avaient pas compétence pour connaître de la question. En ce sens, la question soulevée n’était pas du ressort des tribunaux.

Qu’est-ce qui constitue une décision législative dont la Cour ne peut connaître, sous réserve des questions relatives à la compétence de l’auteur de la décision, savoir, en l’espèce, le gouverneur en conseil? À tout le moins, il me semble que la décision doive répondre aux conditions suivantes : elle doit être discrétionnaire, elle doit habituellement—mais pas toujours—être d’application générale et elle doit être fondée sur l’exercice du jugement, après avoir évalué les facteurs relatifs à la politique générale, l’intérêt public, la commodité publique, la moralité, la politique, l’économie, les obligations internationales, la défense et la sécurité nationales, ou à des préoccupations d’ordre social, scientifique ou technique, c’est-à-dire des questions de principe qui ne relèvent pas des préoccupations ou des méthodes classiques des tribunaux. Il n’est pas toujours facile de qualifier un pouvoir de « législatif » ou de justifier ce qualificatif. À mon avis, la meilleure façon d’apprécier les pouvoirs délégués par une loi consiste à se demander si le pouvoir en cause relève de l’autorité déléguée à la lumière des facteurs dont doit tenir compte le délégataire, dans les limites de l’intention du Parlement. Lorsque l’on allègue une prérogative, il s’agira de se demander si le pouvoir a été exercé dans le cadre de cette prérogative.

En l’espèce, les décrets étaient surtout fondés sur des préoccupations d’ordre politique, compte tenu des intérêts du Canada en relations internationales, dans la sécurité nationale et dans la défense. À l’examen, il n’est nullement question de pouvoir légal dans le texte des décrets. Ce qui en constitue l’essence, et que l’on pourrait appeler leur « caractère véritable », savoir autoriser les escales de certains types de navires de guerre exploités par des pays amis à des conditions garanties par leurs gouvernements, est clairement une question qui relève de la politique en matière de relations internationales et de défense nationale. Je signale, pour référence ultérieure dans les présents motifs, qu’à mon avis, les décrets ne se rapportent pas essentiellement à la réglementation de l’énergie atomique, au transport par mer des marchandises dangereuses ou à la réglementation de l’environnement. Cependant, j’admets que les escales effectuées par les navires autorisés dans ces décrets peuvent avoir une incidence sur ces questions.

Manifestement, les décrets contestés en l’espèce sont des décisions de nature législative, prises dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et qui échappent au contrôle judiciaire dans la mesure où elles relèvent de la compétence du gouverneur en conseil en vertu de la prérogative. La question de savoir si c’est effectivement le cas sera traitée après l’examen des autres questions préliminaires soulevées.

Si les intimés plaident que les questions soulevées par les requérants ne sont pas du ressort des tribunaux, s’appuyant sur les motifs de Madame le juge Wilson dans l’arrêt Operation Dismantle, précité, c’est parce qu’ils estiment que la requête vise, au fond, à contester le bien-fondé des décisions, prises par décret, de permettre les escales de NPN et de NCN, ou de les permettre sans avoir d’abord entrepris le processus d’évaluation et d’examen publics en matière d’environnement. C’est peut-être là le but ultime que visent les requérants, mais ce but ne soulève pas de questions dont cette Cour peut connaître. Mon collègue le juge Strayer, saisi d’une requête préliminaire dans ce dossier (Vancouver Island Peace Society c. Canada, précité, à la page 49) a déjà insisté sur ce point. Selon l’avocat des requérants, la requête introductive d’instance n’a pas pour objet d’inviter la Cour à évaluer le bien-fondé de la décision. Dans leur requête, les requérants demandent plutôt à la Cour de reconnaître que les décisions ont été prises d’une manière incompatible avec les pouvoirs légitimes du gouverneur en conseil. La preuve présentée par affidavit, notamment sur le risque posé par les escales de NPN et de NCN et le fait qu’une bonne partie de la population soit en faveur d’un examen public en matière d’environnement, vise non pas à convaincre la Cour que le gouverneur en conseil avait tort mais plutôt à démontrer que l’État a fait fi, de mauvaise foi allègue-t-on, de la preuve pertinente qu’il avait à sa disposition, si bien que le gouverneur en conseil a outrepassé sa compétence en prenant les décisions en cause.

À mon avis, les arguments des requérants méritent d’être examinés dans l’optique dans laquelle ils ont été avancés, c’est-à-dire en rapport avec la thèse selon laquelle le Décret sur les lignes directrices s’applique en l’espèce relativement aux décisions contestées mais qu’il n’en a pas été tenu compte, et que l’État a fait fi d’une preuve qui était fournie. Par conséquent, à mon sens, la requête n’a pas simplement pour objet essentiel de contester le bien-fondé des décisions prises. À mon avis, les arguments avancés par les requérants méritent d’être examinés au fond et il est faux de dire qu’ils ne sont pas du ressort des tribunaux.

Les intimés ont fait valoir un dernier argument préliminaire concernant la compétence de la Cour en rapport avec la réparation demandée par voie de mandamus contre les ministres nommés pour les obliger à tenir compte du fait qu’une bonne partie de la population s’intéresse aux escales de NPN et de NCN, à ordonner un examen préalable ou une évaluation initiale et à soumettre la question à un examen public par une commission, conformément aux dispositions du Décret sur les lignes directrices. Selon les intimés, ce décret ne s’applique pas aux décisions en cause. En outre, même si le décret s’appliquait, il ressort clairement du décret lui-même qu’il appartient au « ministère responsable » de juger de la nécessité d’un examen public.

Les articles 10, 11, 12, 13 et 20 du Décret sur les lignes directrices, invoqués par les requérants, disposent :

10. (1) Le ministère responsable s’assure que chaque proposition à l’égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision est soumise à un examen préalable ou à une évaluation initiale, afin de déterminer la nature et l’étendue des effets néfastes qu’elle peut avoir sur l’environnement.

(2) Les décisions qui font suite à l’examen préalable ou à l’évaluation initiale visés au paragraphe (1) sont prises par le ministère responsable et ne peuvent être déléguées à nul autre organisme.

11. Aux fins de l’examen préalable et de l’évaluation initiale visés au paragraphe 10(1), le ministère responsable dresse, en collaboration avec le Bureau, les listes suivantes :

a) une liste des divers types de propositions qui n’auraient aucun effet néfaste sur l’environnement et qui, par conséquent, seraient automatiquement exclus du processus; et

b) une liste des divers types de propositions qui auraient des effets néfastes importants sur l’environnement et qui seraient automatiquement soumises au Ministre pour qu’un examen public soit mené par une commission.

12. Le ministère responsable examine ou évalue chaque proposition à l’égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision, afin de déterminer :

a) si la proposition est d’un type compris dans la liste visée à l’alinéa 11a), auquel cas elle est réalisée telle que prévue;

b) la proposition est d’un type compris dans la liste visée à l’alinéa 11b), auquel cas elle est soumise au Ministre pour qu’un examen public soit mené par une commission;

c) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l’environnement sont minimes ou peuvent être atténués par l’application de mesures techniques connues, auquel cas la proposition est réalisée telle que prévue ou à l’aide de ces mesures, selon le cas;

d) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l’environnement sont inconnus, auquel cas la proposition est soumise à d’autres études suivies d’un autre examen ou évaluation initiale, ou est soumise au Ministre pour qu’un examen public soit mené par une commission;

e) si, selon les critères établis par le Bureau, de concert avec le ministère responsable, les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l’environnement sont importants, auquel cas la proposition est soumise au Ministre pour qu’un examen public soit mené par une commission; ou

f) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l’environnement sont inacceptables, auquel cas la proposition est soit annulée, soit modifiée et soumise à un nouvel examen ou évaluation initiale.

13. Nonobstant la détermination des effets d’une proposition, faite conformément à l’article 12, le ministère responsable soumet la proposition au Ministre en vue de la tenue d’un examen public par une commission, chaque fois que les préoccupations du public au sujet de la proposition rendent un tel examen souhaitable.

20. Lorsque les effets d’une proposition ont été déterminés conformément aux alinéas 12b), d) ou e) ou à l’article 13, le ministère responsable soumet la proposition au Ministre pour examen public.

La question de savoir si le Décret sur les lignes directrices s’applique aux décisions en cause, rendant nécessaire une évaluation initiale conformément à l’article 10, est traitée plus loin dans les présents motifs, sous une autre rubrique. Cependant, à mon avis, l’évaluation des effets qu’une proposition pourrait avoir sur l’environnement est une question qui relève entièrement du pouvoir du « ministère responsable », tout comme la question de savoir si les préoccupations du public au sujet d’une proposition rendent souhaitable un examen public. Le Décret sur les lignes directrices n’impose aucune obligation de soumettre une proposition à un examen public par une commission tant qu’un « ministère responsable » n’a pas jugé qu’une proposition risquait d’avoir des effets néfastes inconnus sur l’environnement et, dans ce cas, je présume, la proposition ne devra pas faire l’objet, entre temps, d’autres études ou examens (alinéa 12d )), ou que les effets néfastes que la proposition aurait ou pourrait avoir étaient importants (alinéas 12b) et e)), ou encore, indépendamment de la manière dont les effets sur l’environnement ont pu être évalués en application de l’article 12, que les préoccupations du public au sujet de la proposition rendaient souhaitable un examen public (article 13).

Les intimés affirment que l’évaluation environnementale réalisée par la Défense nationale n’a pas été entreprise en application du Décret sur les lignes directrices. Il est clair qu’aucune détermination des effets néfastes éventuels sur l’environnement n’a été faite en l’espèce, conformément à l’article 12. En outre, bien que les préoccupations du public au sujet des escales et, implicitement, son sentiment de la nécessité d’un examen public soient reconnus, le ministère de la Défense nationale n’a pas déterminé qu’un tel examen ait été souhaitable. J’en déduis que la Défense nationale a déterminé qu’un examen public n’était pas souhaitable vu qu’aucun examen n’a été recommandé ou entrepris. Même si le Décret sur les lignes directrices s’appliquait en l’espèce et même si la Défense nationale était un ministère responsable, celle-ci n’aurait aucune obligation de soumettre la question à un examen public tant qu’elle n’aurait pas conclu, après une évaluation initiale, que les effets néfastes éventuels sur l’environnement étaient inconnus, mais que la proposition devait aller de l’avant quand même, ou que ces effets étaient importants, comme il est prévu aux alinéas 12b), d) ou e).

À cette étape, il n’existe aucune obligation juridique de réaliser un examen public en vertu du Décret sur les lignes directrices ou d’une autre règle de droit. En l’absence d’obligation publique imposée par la loi, obligation dont la partie à laquelle elle incombe a refusé de s’acquitter, rien n’autorise la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire d’intervenir au moyen d’une ordonnance de la nature d’un mandamus. Comme l’a plaidé l’avocat des ministres, je conclus qu’il y a lieu de rejeter la demande visant à obtenir une telle ordonnance à leur égard puisqu’à cette étape, aucun d’entre eux n’a l’obligation de soumettre la question à un examen public par une commission ou d’entreprendre l’examen de cette question à cette fin.

Admissibilité de la preuve déposée par les requérants

Une autre grande question préliminaire soulevée par les intimés porte sur l’admissibilité de la preuve déposée par les requérants sous forme d’affidavits. L’avocat des intimés a présenté des observations complètes et détaillées sur pratiquement chacun des 46 affidavits déposés par les requérants et les pièces qui leur étaient annexées. Selon lui, plusieurs passages de ces documents se rapportent à des questions qui ne sont pas du ressort des tribunaux, tandis que d’autres passages renferment des avis ou de la preuve par ouï-dire. Il fait valoir que tous ces passages sont inadmissibles en preuve au soutien de la requête.

Comme je l’ai déjà mentionné, je suis prêt à admettre que les requérants, dans leur requête, contestent essentiellement les décisions en cause aux plans de la compétence et de la procédure, et non le bien-fondé de ces décisions. Je ne suis donc pas disposé à rejeter certains passages des affidavits du fait qu’ils soulèvent, comme l’allèguent les intimés, des questions qui ne sont pas du ressort des tribunaux. Dans la mesure où ces passages sont par ailleurs admissibles, je considère plutôt qu’ils sont pertinents, mais seulement en ce qui a trait à l’allégation des requérants comme quoi le gouverneur en conseil aurait agi de mauvaise foi. Ces passages portent particulièrement sur l’évaluation du risque que posent les escales par les NPN et les NCN dans les ports canadiens et leurs effets néfastes éventuels, sur les allégations selon lesquelles il n’y aurait pas de planification adéquate en cas d’accident ou de surveillance adéquate des effets qu’auraient sur l’environnement des escales autorisées, même s’il n’y avait pas d’accident, et sur le sentiment d’un grand nombre de particuliers et d’organismes publics ou privés, notamment en Colombie-Britannique, qui souhaitent la tenue d’un examen public sur les effets néfastes éventuels sur l’environnement.

Selon les intimés, il y aurait un second motif qui rendrait inadmissibles de très longs passages dans la plupart des affidavits. En effet, selon les intimés, ces passages relatent des avis et du ouï-dire, ce dernier étant constitué de lettres, d’articles de journaux et d’autres documents publiés comme sources d’information. Les intimés allèguent l’inadmissibilité de cette preuve en s’appuyant sur la Règle 332 des Règles de la Cour fédérale qui dispose, en partie :

Règle 332. (1) Les affidavits doivent se restreindre aux faits que le témoin est en mesure de prouver par la connaissance qu’il en a, sauf en ce qui concerne les requêtes interlocutoires pour lesquelles peuvent être admises des déclarations fondées sur ce qu’il croit et indiquant pourquoi il le croit.

Une requête introductive d’instance de contrôle judiciaire, comme celle en l’espèce, n’est pas une requête interlocutoire et les affidavits présentés à l’appui d’une telle requête doivent être conformes à la Règle 332(1), sauf dans des cas tout à fait exceptionnels.

L’un de ces cas est l’affidavit d’un expert présenté à l’instruction, conformément à la Règle 482 [mod. par DORS/90-846, art. 18]. En l’espèce, l’avocat des requérants prétend que plusieurs des déposants sont des experts de par leur formation et leur expérience, ou des « experts profanes » qui ont acquis des connaissances après avoir longuement et sérieusement étudié les questions qui se rapportent aux effets que peuvent avoir sur l’environnement les escales effectuées par les NPN et les NCN dans les ports canadiens. Bien que j’accorde foi à la manière dont l’avocat des requérants a décrit les connaissances spécialisées de ces gens, aucun d’eux ne répond aux conditions qui en feraient des témoins-experts aux fins de la présente requête et la Cour n’a pas à tenir compte de leur avis, comme elle tiendrait compte des avis d’experts qui répondent aux conditions prévues à la Règle 482, qui dispose, en partie :

Règle 482. (1) Aucune preuve sur l’examen en chef d’un expert ne doit être reçue à l’instruction (sauf ordre contraire donné par la Cour dans un cas particulier) au sujet d’une question à moins

a) que cette question n’ait été définie par les plaidoiries ou par accord des parties déposé en vertu de la Règle 485;

b) qu’un affidavit énonçant la preuve proposée n’ait été déposé et qu’une copie n’ait été signifiée aux autres parties au moins 30 jours avant le début de l’instruction;

c) que l’expert ne soit disponible à l’instruction pour contre-interrogatoire.

Des conditions essentielles énoncées dans cette Règle pour recevoir la preuve d’experts à l’instruction n’ont pas été remplies. La présente instance n’est pas une instruction où des témoins sont entendus et peuvent être contre-interrogés, et les questions exigeant une preuve d’expert n’ont pas été définies par les parties, notamment par voie d’accord. En outre, la preuve d’expert n’a pas rapport aux questions principales dont la Cour est saisie, c’est-à-dire des questions juridiques concernant l’autorité du gouverneur en conseil et le processus suivi pour en arriver aux décisions contestées en l’espèce. Ces questions ne sont pas de nature scientifique ou technique, si bien que la preuve d’expert n’est pas admissible pour aider la Cour à les résoudre (voir Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada (Toronto : Butterworths, 1992), aux pages 536 et 537). Dans la mesure où les affidavits déposés renferment les avis des nombreux déposants, ils ne respectent pas la Règle 332(1), si bien qu’ils sont inadmissibles. La notion d’« avis » peut soulever des questions. Cependant, en l’espèce, la seule limite que j’imposerais est que le déposant qui exprime son propre « avis » sur l’opportunité de faire un examen public en matière d’environnement peut être considéré comme attestant du fait que tel est son avis, et ce fait est admissible, s’il est pertinent, en ce qui a trait aux questions dont la Cour est saisie.

Pour ce qui est de la preuve par ouï-dire, la Règle 332(1) ne semble plus correspondre tout à fait à l’état du droit. Dans l’arrêt Éthier c. Canada (Commissaire de la GRC), [1993] 2 C.F. 659 (C.A.), rendu après l’audition de la présente demande, la Cour d’appel a infirmé la décision de mon collègue, M. le juge Cullen (Éthier c. Canada (Commissaire de la GRC), [1992] 1 C.F. 109 (1re inst.)) qui, s’appuyant sur la Règle 332(1), avait radié un affidavit et les pièces qui renfermaient du ouï-dire dans une demande en certiorari. S’appuyant sur les arrêts R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531 et R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, M. le juge Hugessen, pour la Cour d’appel, a affirmé [à la page 660] que « ces deux arrêts ont clarifié et simplifié radicalement le droit canadien en matière de ouï-dire ». Comme l’a affirmé le juge en chef Lamer dans l’arrêt Smith [à la page 933], ils ont « annoncé la fin de l’ancienne conception, fondée sur des catégories d’exceptions, de l’admission de la preuve par ouï-dire. L’admission de la preuve par ouï-dire est désormais fondée sur des principes, dont les principaux sont la fiabilité de la preuve et sa nécessité ».

Par conséquent, je ne radie pas ces passages des affidavits et des pièces que les intimés ont qualifiés de ouï-dire. Une telle preuve est admissible, conformément aux principes précités, si elle se rapporte aux questions dont la Cour est saisie, par exemple au soutien de l’argument des requérants voulant que le gouverneur en conseil ait agi de mauvaise foi. Je n’ai pas l’intention d’examiner cette preuve dans les détails et évaluer son admissibilité à la lumière des principes précités car, compte tenu des circonstances de la présente demande, circonstances que j’énonce plus loin en traitant cette question, cela me semble inutile pour conclure comme je l’ai fait.

Avant de terminer cette analyse des affidavits présentés pour les requérants en l’espèce, je voudrais répéter les commentaires exprimés par mon collègue M. le juge Strayer, dans ses motifs rejetant la demande préliminaire des intimés pour que cette instance soit transformée en action (voir Vancouver Island Peace Society c. Canada, précité, aux pages 49 et 50). Comme lui, je ne doute aucunement de la sincérité et du sens civique des déposants. Ce sont des titulaires de charges publiques, des membres de profession, de simples citoyens, dont certains ont servi le Canada avec distinction dans les Forces armées et à plusieurs autres titres. Ils représentent plusieurs organisations vivement préoccupées par l’environnement et la paix, en plus d’agir à titre personnel. Ils constituent une coalition de groupes d’intérêts divers et valables, tous préoccupés par les risques que représentent, selon eux, pour l’environnement, les escales effectuées par les NPN et les NCN dans les ports canadiens et par la nécessité, selon eux, de procéder à un examen public de ces risques. Je ne doute pas de la sincérité de leurs préoccupations. Néanmoins, une bonne partie du contenu de leurs affidavits n’a qu’une valeur probante limitée par rapport aux questions dont la Cour est saisie. Certains éléments sont hors de propos, par exemple, les préoccupations au sujet d’un décret qui ne fait pas l’objet du présent litige, bien qu’il ait été adopté le même jour que ceux qui sont contestés en l’espèce. Ce décret autorise des sous-marins de la marine américaine à passer par le détroit de Dixon. Un autre exemple est l’appui qu’a donné la législature de la Colombie-Britannique et d’autres, dans des décisions prises après l’adoption des décrets, en faveur d’un examen public des préoccupations environnementales au sujet des escales autorisées. À mon sens, quelques-uns des affidavits déposés auraient suffi à faire prendre connaissance à la Cour de la preuve pertinente, le cas échéant. Bien que cette Cour ne conseille pas les requérants sur la meilleure manière de présenter leur cause, l’issue de la procédure judiciaire ne dépend pas du nombre d’affidavits présentés à l’appui d’une cause et la procédure se limite, en vertu du droit et des règles de pratique, à traiter des questions juridiques distinctes, ou des questions de fait auxquelles on applique le droit. La procédure judiciaire ne peut résoudre toutes les questions qui préoccupent les citoyens, si sincères et si généralisées que soient ces préoccupations.

Compétence de la Cour en ce qui a trait aux décrets en tant que décisions prises dans l’exercice de la prérogative royale.

Les requérants prétendent que l’adoption des décrets en tant que décisions prises en vertu de la prérogative est illégale puisque le Parlement, en adoptant certaines lois, a effectivement retiré le pouvoir qui a censément été exercé en l’espèce.

La prérogative royale comprend l’ensemble des divers pouvoirs, droits, privilèges, immunités et devoirs reconnus dans notre droit comme dévolus à Sa Majesté et exercés, en vertu de notre Constitution, par le gouverneur en conseil agissant sur l’avis des ministres. Les décisions du gouverneur en conseil relativement aux questions qui relèvent de son pouvoir discrétionnaire issu de la prérogative peuvent être prises par décret. Traditionnellement, les tribunaux ont reconnu que dans les limites de ces pouvoirs, le gouverneur en conseil pouvait agir dans le domaine des affaires internationales, notamment en concluant des traités et en prenant des mesures intéressant la défense et la sécurité nationales. Bien entendu, la prérogative est assujettie au principe de la souveraineté du Parlement et celui-ci peut, par une loi, retirer la prérogative ou en réglementer l’exercice. Le pouvoir du gouverneur en conseil dans l’exercice de la prérogative est également assujetti à la Charte canadienne des droits et libertés (voir l’arrêt Operation Dismantle, précité).

Selon les requérants, en édictant les lois mentionnées précédemment dans l’exposé des questions soulevées dans la présente demande, le Parlement a effectivement retiré au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre les décrets contestés en l’espèce. Les lois mentionnées sont la Loi sur le contrôle de l’énergie atomique et ses règlements d’application, la Loi sur la marine marchande du Canada et, particulièrement, le Règlement sur le transport par mer des marchandises dangereuses, ainsi que la Loi canadienne sur la protection de l’environnement. Les requérants allèguent que ces lois [traduction] « régissent les matières auxquelles les décrets sont censés s’appliquer ».

Les requérants invoquent l’arrêt de la Cour d’appel d’Angleterre dans l’affaire Laker Airways Ltd. v. Department of Trade, [1977] Q.B. 643. Dans cet arrêt, la Cour a jugé qu’il était illégal pour un ministre de retirer une désignation à un transporteur aérien autorisé en vertu d’un traité international lorsque cette désignation avait été accordée conformément à un pouvoir prévu par la loi. La loi limitait l’exercice de la prérogative, même en matière de traités, en prévoyant un processus dont l’État et les ministres ne pouvaient faire abstraction à leur gré. Les requérants citent les propos de lord Denning, M.R. (aux pages 705 et 706) :

[traduction] Vu que la prérogative est un pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé pour le bien public, il s’ensuit que les tribunaux peuvent en examiner l’exercice comme pour tout autre pouvoir discrétionnaire dévolu à l’exécutif. À plusieurs époques de notre histoire, l’exécutif a allégué le caractère absolu de pouvoirs discrétionnaires accordés par la prérogative, tout comme il a allégué le caractère absolu de pouvoirs discrétionnaires accordés par une loi ou un règlement. Parfois, les juges ont maintenu ces allégations de l’exécutif—notamment dans l’arrêt Ship Money, Rex v. Hampden (1637) 3 State Tr. 826 et dans un ou deux arrêts rendus pendant la Seconde Guerre mondiale, et peu de temps après. Cependant, les juges ne l’ont pas fait dernièrement. Les deux principaux arrêts ont été rendus dans les affaires Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food [1968] A.C. 997 et Secretary of State for Education and Science v. Tameside Metropolitan Borough Council [1976] 3 W.L.R. 641, où la Chambre des lords a statué que lorsque des pouvoirs discrétionnaires étaient confiés à l’exécutif par une loi, les tribunaux pouvaient examiner l’exercice de ces pouvoirs pour s’assurer qu’ils sont employés à bon droit, et non de façon abusive ou erronée. Par l’expression « erronée », je veux dire entachée d’une erreur de fait ou de droit. Pareillement, il me semble que lorsque des pouvoirs discrétionnaires sont confiés à l’exécutif en vertu de la prérogative—conformément au pouvoir de faire des traités—les tribunaux peuvent en examiner l’exercice pour veiller à ce qu’ils ne soient pas employés de façon abusive ou erronée.

Par la suite, dans l’arrêt Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, [1984] 3 All E.R. 935, à la page 955, lord Roskill, de la Chambre des lords, a mis en doute les commentaires précités de lord Denning. Lord Roskill, qui avait été membre de la Cour d’appel au moment où celle-ci avait rendu l’arrêt Laker Airways, a qualifié de [traduction] « beaucoup trop large » et de commentaire incident, l’affirmation de lord Denning selon laquelle la prérogative, si elle était exercée de façon abusive ou erronée, était susceptible d’être révisée.

Les arrêts Laker Airways et Council of Civil Service Unions consacrent effectivement les principes constitutionnels selon lesquels le Parlement, par une loi, peut retirer à la Couronne ses prérogatives, limiter ces prérogatives ou en réglementer l’exercice. Dans chaque cas, il appartient au tribunal de déterminer, par l’interprétation de l’intention du Parlement, dans quelle mesure les prérogatives ont été réduites par un texte de loi, le cas échéant.

En l’espèce, j’ai étudié les arguments des requérants en ce qui a trait à chacune des lois mentionnées, en plus d’avoir examiné chaque loi et règlement cité. J’ai examiné le tout à la lumière de l’article 17 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, et de la jurisprudence qui s’y rapporte. Cet article dispose :

17. Sauf indication contraire y figurant, nul texte ne lie Sa Majesté ni n’a d’effet sur ses droits et prérogatives.

Dans l’arrêt Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225, à la page 281, le juge Dickson, juge en chef à l’époque, s’exprimant pour la majorité de la Cour suprême, a affirmé ce qui suit au sujet de cet article (à l’époque, l’article 16 de la même Loi, S.R.C. 1970, ch. I-23) :

Il me semble que les termes « mentionnée ou prévue » contenus à l’art. 16 peuvent comprendre : (1) des termes qui lient expressément la Couronne (« Sa Majesté est liée »); (2) une intention claire de lier qui … « ressort du texte même de la loi », en d’autres termes, une intention qui ressort lorsque les dispositions sont interprétées dans le contexte d’autres dispositions … et (3) une intention de lier lorsque l’objet de la loi serait « privé […] de toute efficacité » si l’État n’était pas lié ou, en d’autres termes, s’il donnait lieu à une absurdité (par opposition à un simple résultat non souhaité). Ces trois éléments devraient servir de guide lorsqu’une loi comporte clairement une intention de lier la Couronne.

Dans l’arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, aux pages 59 à 61, M. le juge La Forest a conclu que la Couronne, c’est-à-dire, dans cette affaire, la Couronne du chef de l’Alberta, était liée par la Loi sur la protection des eaux navigables [L.R.C. (1985), ch. N-22], même si cette Loi ne le prévoyait pas expressément, vu l’intention du Parlement, qui s’infère par déduction nécessaire ou logique, et parce que, s’il n’en était pas ainsi, la loi serait privée de toute efficacité.

Lorsque l’on examine les lois qui, selon les requérants, ont censément influé sur la prérogative de prendre les décrets contestés en l’espèce, il est clair que seule la Loi canadienne sur la protection de l’environnement lie expressément la Couronne. Cependant, j’estime qu’aucune de ces lois n’influe sur la prérogative de la Couronne d’autoriser les escales de navires de guerre, qu’ils soient à propulsion ou à charge nucléaire, appartenant à des pays étrangers amis. À mon avis, aucune des lois citées, ou les règlements pris sous leur empire, n’influe sur ce pouvoir de la Couronne par déduction nécessaire. Cela ne veut pas dire que certains droits de Sa Majesté ne sont pas touchés, mais plutôt que ce pouvoir en particulier ne l’est pas. Je vais maintenant brièvement examiner les lois invoquées par les requérants.

La Loi sur le contrôle de l’énergie atomique et ses règlements d’application réglementent la production de l’énergie atomique, ainsi que l’utilisation et la possession de substances réglementées, c’est-à-dire, pour le profane, les matières radioactives. Tout ce qui précède doit faire l’objet de licences accordées par la Commission de contrôle de l’énergie atomique, à moins que la Commission, conformément à son pouvoir délégué, n’accorde une dispense dans un cas donné. Le régime réglementaire est essentiellement complet pour le Canada, en vertu de l’article 18 qui déclare à l’avantage général du Canada les ouvrages et entreprises destinés à la production et aux applications et usages de l’énergie atomique, ou à la production, à l’affinage ou au traitement des substances réglementées. Interprété littéralement, cet article ne viserait pas, à mon avis, les navires de pays étrangers qui font escale dans les ports canadiens. En vertu de l’article 11 de la Loi, certaines compagnies, constituées ou acquises sous le régime de lois antérieures, appartiennent en propriété exclusive au ministre, ou à une autre compagnie, agissant à titre de fiduciaire de Sa Majesté. Cet article prévoit également que ces compagnies sont les mandataires de Sa Majesté. Cependant, ni la Loi ni les règlements n’influent directement, de toute autre manière, sur les droits de Sa Majesté. À mon avis, la Loi et les règlements ont pour objet de réglementer la production, l’usage, ou l’application de l’énergie atomique ou des substances réglementées au Canada et d’en assurer la sécurité. Ces textes ne vont pas jusqu’à réglementer les escales effectuées par des NPN et des NCN appartenant à des puissances étrangères amies dans les ports canadiens ou leur navigation dans les eaux canadiennes.

La Loi sur la marine marchande du Canada et le Règlement sur le transport par mer des marchandises dangereuses pris en application de la Loi intéressent l’immatriculation et l’exploitation des navires, leur dotation en personnel, les qualifications de l’équipage et une foule d’autres questions qui touchent à la réglementation des navires marchands qui participent à des opérations commerciales au Canada, ou des navires canadiens qui se trouvent à l’extérieur des eaux canadiennes. Plusieurs de leurs dispositions, mais non pas toutes, ont également trait aux bateaux de pêche et aux embarcations de plaisance possédés au Canada. La Loi ne s’applique généralement pas aux navires étrangers, sauf, à certains égards, pour ce qui est de leur navigation en eaux canadiennes. Pareillement, la Loi ne s’applique pas aux navires de guerre canadiens et il serait étonnant de l’appliquer aux navires de guerre étrangers. À mon avis, le Règlement sur le transport par mer des marchandises dangereuses ne s’applique pas non plus aux navires de guerre étrangers. Je conclus que le Parlement ne veut pas que la Loi sur la marine marchande du Canada et le Règlement sur le transport par mer des marchandises dangereuses s’appliquent aux navires de guerre, appartenant à des puissances étrangères amies, qui font escale dans les ports canadiens.

J’arrive à la même conclusion en ce qui a trait à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, même si cette Loi prévoit expressément, à l’article 4, qu’elle lie Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province. La Loi elle-même porte sur diverses questions en matière d’environnement et accorde un pouvoir réglementaire, exercé en collaboration avec les provinces, pour promouvoir des objectifs, des directives et des codes de pratique en matière de qualité de l’environnement, pour réglementer les substances toxiques et les substances nutritives dans les eaux canadiennes, pour contrôler les opérations de ministères et d’organismes fédéraux, pour limiter la pollution atmosphérique internationale et l’immersion de déchets en mer. De toutes ces questions, seule la dernière peut être considérée comme se rapportant directement aux navires étrangers. Cependant, à mon sens, la Loi ne visait pas la réglementation des escales par des navires de guerre étrangers.

Dans le cas de chaque loi et règlement, j’insiste sur le fait que la réglementation des escales effectuées par des NPN et des NCN appartenant à des États étrangers amis dans des ports canadiens ne fait pas partie des objets que visait le Parlement en les édictant. Comme je l’ai déjà mentionné, tel est le caractère véritable des décrets et ceux-ci ne sont pas pris en rapport avec la réglementation de l’énergie atomique, le transport par mer des marchandises dangereuses ou la réglementation de conditions environnementales néfastes, même si les escales effectuées par les navires autorisés en l’espèce peuvent avoir une incidence sur ces questions. Il n’est pas convaincant d’affirmer que le Parlement a employé des termes généraux dans ces textes et qu’il n’a pas expressément exempté de leur application les escales effectuées par des navires de guerre étrangers. Comme le signalent les intimés, les principes du droit international—qui influent sur l’interprétation des lois à moins que le Parlement n’affirme clairement le contraire—prévoient, dans le cadre de la théorie de l’immunité des États—que les navires appartenant à un État étranger et consacré à des usages publics, comme le sont les navires de guerre, ne sont pas assujettis au droit étranger, du moins en ce qui a trait à son exécution. Aucune de sanctions pénales prévues dans les lois invoquées en l’espèce ne pourrait être exécutée en cas de violation par ces navires faisant escale. Ce principe fait partie du droit canadien, en vertu de la Loi sur l’immunité des États, L.R.C. (1985), ch. S-18.

Après avoir pris connaissance des dispositions de la Loi sur le contrôle de l’énergie atomique, la Loi sur la marine marchande du Canada, le Règlement sur le transport par mer des marchandises dangereuses et la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, et après avoir examiné le contexte historique des problèmes qu’ils doivent résoudre, je ne suis pas convaincu que le Parlement voulût retirer ou limiter la prérogative royale de permettre aux NPN et aux NCN de faire escale dans les ports canadiens, dans la mise en œuvre des relations internationales du Canada et de sa politique en matière de défense. En outre, je conclus que ces lois et règlements ne sont pas privés de toute efficacité ou que leurs objets ne sont pas, en fait, annihilés, du fait que je reconnaisse qu’ils ne vont pas jusqu’à limiter le pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil de permettre les escales par des navires de guerre appartenant à des puissances étrangères amies. Par conséquent, je conclus que les lois citées par les requérants n’ont aucune incidence sur la prérogative royale exercée en l’espèce. Les décrets ont été pris dans les limites de l’autorité et du pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil en vertu de sa prérogative reconnue.

Application du Décret sur les lignes directrices

L’argument des requérants selon lequel le gouverneur en conseil était assujetti au Décret sur les lignes directrices est fondé en grande partie sur l’argument que j’ai maintenant réglé, savoir que la prérogative exercée en l’espèce était abusive, puisque le Parlement avait, dans une loi, retiré le pouvoir de prendre les décrets contestés. Puisque je conclus le contraire, ce fondement de l’application du Décret sur les lignes directrices disparaît. Les requérants ne peuvent donc plus prétendre que le ministre de la Défense nationale ou le secrétaire d’État aux Affaires extérieures étaient les responsables d’une proposition assujettie à ce décret, ou que le ministre des Transports serait un ministère responsable en application de la Loi sur la marine marchande du Canada et du Règlement sur le transport par mer des marchandises dangereuses.

Il reste à examiner un autre aspect de la question relative à l’application du Décret sur les lignes directrices. En effet, il y a lieu de se demander si ce Décret, et, nécessairement, la loi en vertu de laquelle il a été pris, c’est-à-dire la Loi sur le ministère de l’Environnement, peuvent avoir une incidence sur la prérogative du gouverneur en conseil d’adopter les décrets contestés en l’espèce. L’arrêt Angus c. Canada, précité, portait sur une question à peu près semblable, bien que formulée en termes différents, savoir si l’application du Décret sur les lignes directrices était une condition préalable à une mesure prise par le gouverneur en conseil, non pas en vertu de la prérogative mais en vertu d’un pouvoir délégué par le Parlement. Au nom de la majorité de la Cour d’appel, M. le juge MacGuigan a conclu que le Décret sur les lignes directrices ne s’appliquait pas aux décisions du gouverneur en conseil prises conformément à l’article 64 de la Loi de 1987 sur les transports nationaux [L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28], puisque le législateur ne voulait certainement pas que le gouverneur en conseil comprît « un ministère, une commission ou un organisme du gouvernement du Canada » auxquels s’appliquait expressément le Décret sur les lignes directrices dans des termes compatibles avec la disposition légale habilitante, c’est-à-dire l’article 6 de la Loi sur le ministère de l’Environnement.

Dans cet arrêt, bien qu’il ait souscrit au résultat, M. le juge Décary est arrivé à une autre conclusion sur l’application du Décret sur les lignes directrices. En effet, il a statué que ce décret s’appliquait et qu’il constituait une condition préalable à l’exercice du pouvoir par le gouverneur en conseil en application de la Loi de 1987 sur les transports nationaux. Les requérants demandent à cette Cour de suivre la décision du juge Décary, J.C.A., d’autant plus que, dans un jugement rendu plus tard, M. le juge La Forest, au nom de la Cour suprême, dans l’arrêt Friends of the Oldman River Society, précité, à la page 46 a qualifié d’utile l’analyse globale, par le juge Décary, J.C.A. de l’application du Décret sur les lignes directrices. Puisqu’il n’était pas saisi de la question, le juge La Forest a expressément refusé de commenter l’application du Décret sur les lignes directrices au gouverneur en conseil.

Bien entendu, cette Cour est liée par le jugement de la majorité de la Cour d’appel dans l’arrêt Angus. Cependant, même si ce jugement ne précisait pas aussi clairement que le Décret sur les lignes directrices ne s’appliquait pas aux décisions du gouverneur en conseil, j’arriverais à la même conclusion en l’espèce. Je le ferais essentiellement pour les mêmes motifs que j’ai énoncés précédemment en ce qui a trait à l’application de la Loi sur le contrôle de l’énergie atomique et d’autres lois dans le cas des décrets pris en l’espèce. Il ressort du texte de la Loi sur le ministère de l’Environnement et du Décret sur les lignes directrices que ces dispositions, de par leurs objets et leur contexte, lient implicitement la Couronne. C’est manifestement ce que voulait le Parlement. Cependant, celui-ci ne voulait pas que la Loi aille jusqu’à toucher au pouvoir du gouverneur en conseil de réglementer des questions relatives aux relations internationales, à la politique de défense et à la sécurité nationale, et d’autoriser des navires de guerre, à propulsion ou à charge nucléaire, appartenant à des États étrangers amis, de faire escale dans des ports canadiens. Qui plus est, la loi n’est pas privée de son efficacité du fait qu’elle ne s’applique pas à ce pouvoir.

Enfin, il y a un autre motif pour lequel le Décret sur les lignes directrices ne s’applique pas, à mon avis, en l’espèce. Dans son analyse du décret dans l’arrêt Friends of the Oldman River Society, le juge La Forest a affirmé ce qui suit (à la page 47) :

Je ne veux pas dire pour autant que le Décret sur les lignes directrices reçoit application chaque fois qu’un projet peut comporter des répercussions environnementales sur un domaine de compétence fédérale. Il doit tout d’abord s’agir d’une « proposition » qui vise une « entreprise ou activité à l’égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions ». (Je souligne.) À mon avis, l’interprétation qu’il faut donner à l’expression « participe à la prise de décisions » est que le gouvernement fédéral, se trouvant dans un domaine relevant de sa compétence en vertu de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, doit avoir une obligation positive de réglementation en vertu d’une loi fédérale relativement à l’entreprise ou à l’activité proposée. On n’a pas pu vouloir que le Décret sur les lignes directrices soit invoqué chaque fois qu’il existe certaines possibilités de répercussions environnementales sur un domaine de compétence fédérale. En conséquence, l’expression « participe à la prise de décisions » dans la définition du terme « proposition » ne devrait pas être interprétée comme ayant trait à des questions relevant généralement de la compétence fédérale. Cette expression signifie plutôt une obligation légale. Si cette obligation existe, il s’agit alors de déterminer qui est le « ministère responsable » en la matière, puisque c’est ce ministère qui exerce le pouvoir de décision à l’égard de la proposition et qui doit donc entamer le processus d’évaluation visé par le Décret sur les lignes directrices .

M’inspirant de cette analyse, je conclus qu’il n’existe aucune obligation positive de réglementation en vertu d’une loi fédérale en l’espèce. On ne peut pas non plus affirmer qu’une telle obligation découle de la prérogative exercée en l’espèce. Il n’existe aucune obligation d’autoriser les escales effectuées par des navires de guerre étrangers; cette question relève entièrement du pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil. Par conséquent, il n’y aurait aucun ministère responsable, à moins que ce ne soit le ministère de la Défense nationale auquel, encore une fois dans l’exercice de sa prérogative, le gouverneur en conseil a, dit-on, déjà confié la responsabilité d’autoriser les escales une fois que la politique avait été approuvée. Une telle situation, c’est-à-dire le fait de créer une obligation positive de réglementation, non pas par une loi mais par une délégation de la prérogative, peut éventuellement soulever une question. Les parties en l’espèce n’ont pas débattu la question de savoir si les tribunaux pouvaient intervenir pour assurer le bon exercice d’une telle autorité déléguée par prérogative. Je remarque que cette question a été traitée par certains membres de la Chambre des lords dans l’arrêt Council of Civil Service Unions, précité.

Je conclus que le gouverneur en conseil n’est pas lié par le Décret sur les lignes directrices et qu’il n’existait aucune condition préalable selon laquelle le Décret sur les lignes directrices devait être appliqué avant l’adoption des décrets en cause. Par conséquent, rien ne permet de rendre une ordonnance de la nature d’un mandamus pour obliger les intimés à entreprendre un examen préalable ou une évaluation initiale conformément au Décret sur les lignes directrices.

Allégations des requérants comme quoi le gouverneur en conseil aurait agi de mauvaise foi

Les requérants prétendent qu’il y a lieu d’accorder un certiorari vu que selon eux, la prérogative aurait été exercée de mauvaise foi en l’espèce. Or, cette réparation ne peut être accordée que dans un cas extraordinaire, où le tribunal juge, d’après la preuve présentée, que le gouverneur en conseil, prétendant agir en vertu de la prérogative, a, en fait, agi dans un dessein abusif, vu qu’il dépassait les limites de sa prérogative. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

Les allégations de mauvaise foi portées par les requérants sont fondées sur trois perceptions. Premièrement, ils soutiennent que le gouverneur en conseil a fait fi des conseils des hauts fonctionnaires du ministère de l’Environnement, lesquels prétendaient que le Décret sur les lignes directrices était applicable en l’espèce et suggéraient implicitement la tenue d’un examen public de la politique suivie, particulièrement à la lumière des préoccupations exprimées par plusieurs citoyens, préoccupations dont certains ministres du Cabinet avaient personnellement été informés. Les requérants prétendent que la manière dont la décision a été prise visait principalement à éviter un examen public. Cette dernière conclusion n’est pas appuyée par la preuve. L’allégation selon laquelle le gouverneur en conseil aurait agi en dépit de conseils explicites en faveur de la tenue d’un examen public est fondée sur une note de service renfermant une recommandation comme quoi le Décret sur les lignes directrices s’appliquait aux décisions prises en l’espèce, si bien que le processus qui y était prévu devait être suivi. Cette note de service, quoique non signée, porte les noms de fonctionnaires du Bureau fédéral d’examen des évaluations environnementales. Il porte la mention « secret » et il est annexé comme pièce à l’affidavit de David Williams, fait sous serment le 7 février 1992. M. Williams et d’autres seraient apparemment entrés en possession de ce document d’une manière ou d’une autre. Si l’on présume, pour l’instant, qu’il s’agit d’un document gouvernemental admissible en preuve, bien qu’il s’agisse d’un ouï-dire, vu les principes de la nécessité et de la fiabilité, une question que je n’ai pas à résoudre en l’espèce, rien ne prouve que le document ait été présenté au gouverneur en conseil, ou que dans le processus d’appréciation des conseils, l’on n’en ait pas tenu compte ou que l’on ne l’ait pas soigneusement examiné, soit au ministère de l’Environnement, à titre de conseiller de la Défense nationale, soit à ce dernier Ministère, dans le processus qui a mené au rapport en faveur de la mesure prise par le gouverneur en conseil.

Deuxièmement, les requérants soutiennent que la mesure prise était simplement destinée à éviter un examen public malgré les préoccupations connues qu’avait le public au sujet des escales des NPN et des NCN. Il ressort des affidavits qu’au moins certains des ministres intimés avaient été informés, par lettre, des préoccupations généralisées du public qui favorisait un examen public de la politique visant à permettre aux NPN et aux NCN américains et britanniques de faire escale, surtout à Victoria et à Esquimalt. Le fait qu’ils l’aient su et la mention dans le rapport de la Défense nationale qui recommandait la mesure prise en l’espèce, des préoccupations du public au sujet des escales et des risques perçus par des groupes d’intérêts ne permettent pas de conclure, en l’absence d’une obligation juridique de réaliser un examen public, que le gouverneur en conseil a agi de mauvaise foi, au sens juridique. D’après la preuve qui ressort des affidavits et du rapport public du ministère de la Défense nationale, certains ministres, intimés en l’instance, étaient au courant des préoccupations du public. Cependant, rien ne prouve que la Défense nationale ou le gouverneur en conseil n’ont pas tenu compte de ce facteur en prenant leurs décisions.

Enfin, l’avocat des requérants soutient que le rapport du ministère de la Défense nationale est tellement défectueux, tellement erroné sous plusieurs rapports et si superficiel qu’il ne saurait constituer un effort fait de bonne foi pour évaluer les effets que les escales effectuées par des NPN et des NCN pourraient avoir sur l’environnement. Ces arguments, vigoureusement mis de l’avant, sont fondés sur les avis de déposants et sur la preuve par ouï-dire tirée de rapports publiés et annexés à un certain nombre d’affidavits. Ils sont également fondés sur les attentes des requérants, lesquels croient qu’un examen public, sous le régime du Décret sur les lignes directrices, donnerait un rapport plus détaillé. Ces dernières attentes ne sauraient constituer une preuve. Les avis de déposants quant au bien-fondé de la politique adoptée ne sont pas non plus admissibles en preuve. En ce qui a trait au ouï-dire provenant de sources publiées, vu que, d’après les requérants eux-mêmes, les renseignements sur les NPN et les NCN, leur fonctionnement et les risques qu’ils posent, sont gardés secrets par les gouvernements intéressés, il n’y a vraiment rien qui permette de juger de la fiabilité de la preuve par ouï-dire présentée en l’espèce sur ces questions. Les requérants critiquent le rapport de la Défense nationale car, selon eux, il serait fondé dans une large mesure sur des renseignements provenant de gouvernements étrangers. Cependant, l’on doit présumer, en l’espèce, que ces renseignements sont plus fiables que les renseignements que pouvaient se procurer les requérants et qu’ils ont présentés en l’espèce. Rien ne permet de conclure, à partir des critiques formulées par les requérants à l’égard du rapport de la Défense nationale, que le rapport a été rédigé de mauvaise foi et que les décisions du gouverneur en conseil étaient entachées de mauvaise foi ou prises dans un dessein abusif au delà des limites de la prérogative en matière de relations internationales et de politique de défense et de sécurité.

Conclusion

Par ces motifs, j’ai conclu que la requête introductive d’instance était irrecevable et j’en ordonne le rejet.

N’ayant pas été convaincu par les arguments préliminaires de procédure soulevés par les intimés, j’arrive à cette conclusion sur le fond de la demande. Je conclus que les décrets C.P. 1991-2083 et C.P. 1991-2084, datés tous les deux du 30 octobre 1991, ont été pris dans l’exercice de la prérogative royale en matière de relations internationales et de défense nationale, prérogative qui n’a pas été retirée, ou dont l’exercice n’a pas été réglementé, par des lois du Parlement. En ce qui a trait aux décisions prises, cette prérogative n’est pas assujettie au Décret sur les lignes directrices. Il ne s’agissait pas de décisions prises de mauvaise foi, comme l’allèguent les requérants. Par conséquent, rien ne permet de décerner une ordonnance de la nature d’un certiorari.

Puisque je conclus que le Décret sur les lignes directrices ne s’applique pas, rien ne permet de rendre une ordonnance de la nature d’un mandamus pour obliger les intimés à réaliser un examen préalable ou une évaluation initiale conformément à ce décret. Estimant que le Décret sur les lignes directrices ne s’applique pas en l’espèce, je conclus également que, même si ce décret s’appliquait, il n’impose à aucun des intimés, à sa lecture, l’obligation de soumettre la question des escales par des NPN et des NCN étrangers à un examen public des préoccupations relatives à l’environnement. Rien ne permet donc de rendre une ordonnance de la nature d’un mandamus contre les intimés.

Conformément à la Règle 1618 [édictée par DORS/92-43, art. 19] des Règles de la Cour fédérale, vu que je conclus qu’il n’y a pas de raison spéciale d’en ordonner autrement, les frais ne sont pas adjugés relativement à la présente demande de contrôle judiciaire.

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