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[2002] 1 C.F. 468

A-552-00

2001 CAF 255

Jeanette Black et 512 compagnons de travail qui ont convenu d’être liés par le résultat (demandeurs)

c.

La Commission de l’assurance-emploi du Canada et le procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Black c. Canada (Commission de l’assurance-emploi) (C.A.)

Cour d’appel, juges Rothstein, Sexton et Evans, J.C.A. Vancouver, 28 juin; Ottawa, 30 août 2001.

Assurance-emploi — Contrôle judiciaire de la décision d’un juge-arbitre selon laquelle la demanderesse et ses compagnons de travail n’étaient pas admissibles au bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’ils n’étaient pas visés par la disposition relative à la réadmissibilité figurant dans la LA-E, à savoir l’art. 36(4) — L’art. 36(4) prévoit que les prestataires qui sont sans travail par suite d’un conflit collectif sont admissibles au bénéfice des prestations s’ils prouvent qu’ils « ne particip[aient] pas au conflit collectif qui a causé l’arrêt de travail, qu’il[s] ne le finan[çaient] pas et qu’il[s] n’y [étaient] pas directement intéressé[s] » — La demanderesse était une « employée interne » de la ville de Vancouver et elle était membre de la section locale 15 — Les « employés externes », qui étaient membres de la section locale 1004, avaient déclenché une grève — La demanderesse n’a pas franchi et n’a pas tenté de franchir les piquets de grève — Elle a soutenu que l’ordonnance relative aux services essentiels (l’OSE) de la Labour Relations Board de la Colombie-Britannique, qui prévoyait que la ville ne pouvait pas laisser travailler les membres d’un syndicat sauf pour fournir un service essentiel, l’empêchait de travailler — Demande rejetée — 1) Sens de « participe » — La conduite du prestataire et de son agent négociateur au cours de la période qui a précédé la délivrance de l’OSE est pertinente — Si un syndicat a été activement mêlé aux événements qui ont mené à la délivrance de l’OSE, ses membres ne peuvent pas par la suite alléguer qu’ils ont droit à des prestations d’A-E parce qu’ils ne participaient pas personnellement au conflit collectif — Compte tenu de toutes les circonstances, y compris le fait que la section locale 15 était intéressée au résultat du conflit collectif opposant la section locale 1004 et l’employeur commun, les stratégies de négociation coordonnées des deux sections locales du syndicat national et les communications continues existant entre elles et le fait que la demanderesse avait la possibilité de se dissocier avant que la ville demande qu’une OSE soit rendue, le juge-arbitre a eu raison de statuer que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle n’avait pas participé au conflit collectif — 2) Sens de « directement intéressé » — La question de l’absence d’intérêt direct n’est pas tranchée uniquement par rapport aux conventions collectives en vigueur — Ces énoncés ne sont pas nécessairement incompatibles avec l’existence d’un intérêt direct voulant que des négociations puissent être nécessaires avant qu’un syndicat obtienne, dans sa convention collective, les mêmes conditions que l’autre syndicat — En l’absence d’une convention officielle, la pratique passée établie peut prouver l’existence d’un intérêt direct — Compte tenu de l’objet de la Loi, de l’approche libérale exigée par la C.S.C. à l’égard de son interprétation et de l’emploi de l’adverbe « directement » en vue de qualifier le mot « intéressé », il n’y avait pas lieu de s’écarter du critère énoncé dans l’arrêt Presho v. Insurance Officer, dans lequel il avait été statué qu’un groupe de travailleurs était uniquement « directement intéressé » si le résultat du conflit collectif s’appliquait automatiquement d’une façon générale par suite d’une convention collective obligatoire ou non ou par suite d’une coutume ou d’une pratique établies en matière de relations de travail — Compte tenu de la preuve, le juge-arbitre a eu raison de statuer que la demanderesse avait omis d’établir qu’elle n’était pas directement intéressée au conflit collectif avant que la section locale 15 conclue une convention collective avec la ville — Toutefois, il a commis une erreur en confirmant la conclusion implicite du conseil arbitral selon laquelle la demanderesse était « directement intéressé[e] » au résultat du conflit opposant la section locale 1004 à la ville après que la section locale 15 eut tenu un scrutin en vue de ratifier l’accord préliminaire — Selon la preuve non contredite, la ville n’avait pas l’habitude de modifier les conventions qui avaient déjà été conclues lorsqu’une convention était négociée par la suite avec une autre unité de négociation — Cette erreur n’était pas pertinente, puisque la demanderesse n’avait pas établi qu’elle ne participait pas au conflit collectif.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire que Jeanette Black avait présentée pour son propre compte et pour le compte de 512 compagnons de travail en vue de faire annuler la décision par laquelle un juge-arbitre avait conclu qu’elle n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle était sans travail en raison d’un arrêt de travail résultant d’un conflit collectif à son lieu de travail. La demanderesse exerçait un emploi auprès de la ville de Vancouver à titre d’« employée interne »; elle était membre du Syndicat canadien de la fonction publique (le SCFP), section locale 15. Les « employés externes » de la ville étaient membres d’une unité de négociation distincte; ils étaient représentés par le SCFP, section locale 1004. Après l’expiration des conventions collectives, la section locale 1004 a voté en faveur d’une grève. L’employeur et les deux sections locales ont conclu un accord sur les services qui étaient nécessaires pour permettre à la ville de fournir les services essentiels, dont les conditions ont été incorporées dans une ordonnance de la Labour Relations Board de la Colombie-Britannique (l’OSE). Les deux sections locales ont signé des accords préliminaires qui étaient assujettis à la ratification par leurs membres, mais les membres de la section locale 1004 ont voté en faveur du rejet de l’accord préliminaire et ont dressé des piquets de grève le 6 août 1997. Les membres de la section locale 15 n’ont pas franchi et n’ont pas tenté de franchir les piquets de grève. La section locale 15 a reporté le scrutin de ratification relatif à l’accord préliminaire en attendant le résultat du scrutin tenu par la section locale 1004 au sujet de l’accord modifié. La section locale 1004 a rejeté l’accord modifié ainsi que les recommandations d’un médiateur. La section locale 15 a subséquemment voté, le 26 août, en faveur de l’accord préliminaire du 27 juillet. La demanderesse n’avait pas travaillé pendant que la section locale 1004 faisait la grève, cette grève ayant duré jusqu’au 17 septembre. La demande qu’elle a présentée en vue d’obtenir des prestations d’assurance-emploi a été rejetée par la Commission de l’assurance-emploi du Canada, qui a en outre statué que la demanderesse n’avait pas réussi à établir qu’elle était visée par les dispositions relatives à la réadmissibilité en convainquant la Commission qu’elle n’avait pas participé au conflit et qu’elle n’y était pas directement intéressée. Le paragraphe 36(4) de la Loi sur l’assuranceemploi (la LA-E) prévoit que les prestataires qui sont sans travail par suite d’un conflit collectif sont admissibles au bénéfice des prestations s’ils prouvent qu’ils « ne particip[aient] pas au conflit collectif qui a causé l’arrêt de travail, qu’il[s] ne le finan[çaient] pas et qu’il[s] n’y [étaient] pas directement intéressé[s] ». Un conseil arbitral a confirmé la décision de la Commission. Le juge-arbitre a rejeté l’appel interjeté contre la décision du conseil arbitral; il a statué que le fait que l’OSE contraignait l’employeur à empêcher les membres d’un syndicat de travailler, sauf pour accomplir les tâches nécessaires au maintien des services désignés essentiels, était insuffisant pour établir que la demanderesse n’avait pas volontairement participé à la grève. Le juge-arbitre a tiré cette conclusion en se fondant sur le fait que la section locale 15 avait participé à la négociation de l’OSE, qui était une ordonnance qui n’aurait pas été nécessaire si les membres de la section locale 15 avaient indiqué qu’ils avaient l’intention de franchir les piquets de grève. Enfin, le juge-arbitre a conclu que la demanderesse avait omis de démontrer qu’elle n’était pas directement intéressée à la grève déclenchée par la section locale 1004.

Il s’agissait de savoir si la demanderesse avait établi qu’elle n’avait pas « participé » à un conflit collectif et qu’elle n’y était pas « directement intéressée » au sens du paragraphe 36(4).

Arrêt : la demande est rejetée.

Dans l’arrêt Hills c. Canada (Procureur général), la Cour suprême du Canada a indiqué qu’étant donné que la LA-E vise à assurer des prestations aux personnes sans travail, il est justifié de donner une interprétation libérale aux dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations. De plus, le mot « participe » exige que l’employé prenne vraiment part au conflit de travail; l’expression « directement intéressé » exige qu’il ait quelque chose à gagner ou à craindre de ce conflit. La demanderesse a soutenu que sa participation au conflit collectif était involontaire parce que l’OSE l’empêchait de travailler. Afin de déterminer si un prestataire a le droit de se prévaloir du paragraphe 36(4), il est pertinent de tenir compte de la conduite du prestataire et de son agent négociateur au cours de la période qui a précédé la délivrance de l’OSE. Si un syndicat a été activement mêlé aux événements qui ont mené à la délivrance de l’OSE, ses membres ne peuvent pas par la suite alléguer qu’ils ont droit à des prestations d’assurance-emploi parce qu’ils ne participaient pas personnellement au conflit, et ce, indépendamment du degré de participation du syndicat au conflit ou de l’intérêt que le syndicat a dans le conflit, ainsi que de toutes les autres circonstances pertinentes. La question de savoir si la demanderesse avait démontré qu’elle ne participait pas personnellement et activement au conflit collectif était en bonne partie une question de fait que le conseil arbitral devait trancher à la lumière de toutes les circonstances de l’espèce, sous réserve d’un appel portant sur le caractère manifestement déraisonnable. Compte tenu de la preuve dont il disposait, il était loisible au conseil arbitral de conclure que la demanderesse ne s’était pas acquittée de l’obligation légale qui lui incombait de prouver que, pour l’application du paragraphe 36(4), elle ne participait pas au conflit collectif. Les membres de la section locale 15 étaient clairement intéressés au résultat du conflit collectif opposant la section locale 1004 et l’employeur commun; les deux sections locales avaient des stratégies de négociation coordonnées et des communications continues; de plus, la demanderesse avait la possibilité de se dissocier du syndicat en indiquant qu’elle était prête à travailler pendant que la section locale 1004 faisait la grève avant que la ville demande qu’une OSE soit rendue. De plus, il importait de noter que la ville avait demandé l’ordonnance qui avait empêché la demanderesse de travailler parce qu’il était prévu qu’en cas de grève, les membres de la section locale 15 ne se présenteraient pas au travail si, ce faisant, ils devaient franchir les piquets de grève dressés par la section locale 1004. Eu égard aux circonstances, le point de vue adopté par la ville était raisonnable. On a également accordé une certaine importance au fait que les conditions de l’OSE, à part les conditions types de l’ordonnance globale, étaient assujetties à la négociation entre les deux sections locales d’une part et la ville d’autre part. Toutefois, étant donné que la Labour Relations Board avait compétence pour imposer une OSE unilatéralement, la participation « volontaire » de la section locale 15 à la procédure engagée devant la Commission n’était que l’un des faits dont le conseil arbitral avait le droit de tenir compte en tirant sa conclusion finale. Le juge-arbitre n’a pas commis d’erreur en statuant que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle n’avait pas participé au conflit collectif qui avait causé l’arrêt de travail.

La demanderesse a soutenu qu’elle n’était pas « directement intéressé[e] » au résultat du conflit collectif parce que les conditions auxquelles la section locale 1004 conclurait un règlement avec l’employeur ne s’appliqueraient pas nécessairement à la section locale 15. Elle s’est fondée sur l’arrêt Presho v. Insurance Officer, dans lequel la Chambre des lords avait dit qu’un groupe de travailleurs était uniquement « directement intéressé » à un conflit opposant un autre groupe de travailleurs à un employeur commun si le résultat s’appliquait automatiquement d’une façon générale par suite d’une convention collective légalement obligatoire ou non ou par suite d’une coutume ou d’une pratique établies en matière de relations de travail. Le critère énoncé dans l’arrêt Presho a été adopté par le juge-arbitre en tant que définition de l’expression « directement intéressé », mais dans l’arrêt Légaré c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), notre Cour a dit, sans faire mention de l’arrêt Presho, qu’un groupe n’est pas « automatiquement » directement intéressé au conflit collectif auquel un autre groupe est mêlé, mais qu’il s’agit d’une question plus complexe qui doit être résolue à la lumière des faits de chaque espèce. Ces énoncés ne sont pas incompatibles avec l’arrêt Presho, en ce sens que la question de l’absence d’intérêt direct ne peut pas être uniquement tranchée par rapport aux conventions en vigueur. De plus, ces énoncés ne sont pas nécessairement incompatibles avec l’existence d’un intérêt direct voulant que des négociations puissent être nécessaires avant que le syndicat du prestataire obtienne dans sa convention collective les mêmes conditions que l’autre syndicat. En outre, en l’absence d’une convention officielle, il doit peut-être exister une pratique passée établie lorsqu’il s’agit de prouver l’existence d’un intérêt direct. Toutefois, cela ne sera pas nécessairement suffisant si, par exemple, certains éléments de preuve montrent que l’employeur n’avait pas l’intention de s’y conformer dans le conflit en question. Compte tenu de l’objet de la Loi, de l’approche exigée selon l’arrêt Hills à l’égard de son interprétation et de l’emploi de l’adverbe « directement » en vue de qualifier le mot « intéressé », il n’y avait pas lieu de s’écarter du critère énoncé dans l’arrêt Presho. L’admissibilité d’une personne au bénéfice des prestations ne devrait pas être déterminée à l’aide de conjectures relatives à la question de savoir si le groupe dont fait partie le prestataire pouvait tirer parti du règlement conclu par un autre groupe. Il doit exister un « lien réel » entre le prestataire et le conflit.

Il n’y a pas un intérêt direct dans un conflit collectif simplement parce que, lorsque ce conflit prend fin, un employé est en mesure de reprendre un emploi rémunéré. Si cette proposition était exacte, les employés qui sont sans travail par suite d’un conflit collectif ne seraient pas admissibles au bénéfice des prestations. Cela aurait pour effet de restreindre la portée du paragraphe 36(4) à un point tel que son effet serait presque éliminé et cela serait incompatible avec la condition voulant que l’intérêt du prestataire soit « direct » ainsi qu’avec l’arrêt Hills. Il n’a pas été allégué que, selon les conditions d’une convention, qu’elle soit légalement exécutoire ou non, la ville était tenue d’incorporer dans une convention collective future conclue avec la section locale 15 les conditions de toute convention collective conclue avec la section 1004. De plus, aucun élément de preuve ne montrait qu’il existait une « pratique établie » selon laquelle l’employeur accorderait à la section locale 15 les avantages dont il avait convenu avec la section locale 1004. Toutefois, certains éléments de preuve montraient que l’on pouvait bien s’attendre à ce que la section locale 15 bénéficie des avantages négociés avec la section locale 1004. Une lettre d’une représentante de la ville, dans laquelle il était dit que la ville n’avait pas l’habitude de modifier une convention conclue avec un groupe d’employés simplement parce qu’un autre syndicat avait obtenu une augmentation de salaire plus élevée ou de meilleurs avantages n’établissait pas selon la prépondérance des probabilités qu’il n’y avait pas de pratique établie selon laquelle, si la section locale 1004 avait accepté l’accord préliminaire modifié avant que la section locale 15 conclue un règlement, la section locale 15 aurait obtenu de la ville, dans sa convention collective, les mêmes avantages pour ses membres. Par conséquent, compte tenu de la preuve dont disposait le conseil, le juge-arbitre n’a pas commis d’erreur en confirmant la conclusion largement factuelle tirée par le conseil, à savoir que la demanderesse avait omis d’établir qu’elle n’était pas directement intéressée au conflit collectif avant que la section locale 15 conclue une convention collective avec la ville.

Toutefois, le juge-arbitre a commis une erreur en confirmant la conclusion implicite du conseil selon laquelle la demanderesse avait continué à être « directement intéressé[e] » au résultat du conflit opposant la section locale 1004 à la ville, après que la section locale 15 eut tenu un scrutin en vue de ratifier l’accord préliminaire et eut ainsi conclu une convention collective avec la ville. Selon la preuve non contredite, la ville n’avait pas l’habitude de modifier les conventions qui avaient déjà été conclues lorsqu’une convention était négociée par la suite avec une autre unité de négociation. La conclusion du conseil selon laquelle la demanderesse avait continué à être directement intéressée au conflit collectif après que son syndicat eut conclu une convention collective a été tirée sans tenir compte des éléments dont il disposait et le juge-arbitre n’aurait pas dû confirmer la conclusion du conseil sur ce point. Toutefois, l’erreur commise par le juge-arbitre n’était pas pertinente, puisqu’il a été conclu qu’il n’avait pas commis d’erreur en statuant que la demanderesse avait omis d’établir qu’elle ne participait pas au conflit collectif.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Labour Relations Code, R.S.B.C. 1996, ch. 244, art. 72, 73.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(4)d) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), 28(1)m) (mod., idem, art. 8), (2) (mod., idem).

Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 36(1),(4), 115(2)c).

JURISPRUDENCE

décision appliquée :

Presho v. Insurance Officer, [1984] A.C. 310 (H.L.); inf. [1983] I.C.R. 595 (C.A.).

distinction faite d’avec :

Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513; (1988), 48 D.L.R. (4th) 193; 30 Admin. L.R. 187; 88 CLLC 14,011; 84 N.R. 86.

décisions examinées :

Knox (In re) (1989), CUB 16770; Légaré c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), [1998] A.C.F. no 216 (C.A.) (QL).

décisions citées :

Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Carrozzella, [1983] 1 C.F. 909 (1982), 83 CLLC 14,013; 45 N.R. 541 (C.A.); CUB 3443; Shea (In re) (1990), CUB 19034; Fraser (In re) (1999), CUB 48815.

DOCTRINE

Canada. Développement des ressources humaines. Guide de la détermination de l’admissibilité. Ottawa : Développement des ressources humaines Canada, feuilles mobiles.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d’un juge-arbitre selon laquelle la demanderesse n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle était sans travail en raison d’un arrêt de travail résultant d’un conflit collectif à son lieu de travail (Black (In re) (2000), CUB 48786). Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Paul Tétrault pour les demandeurs.

Curtis S. Workun et Edward Burnet pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Syndicat canadien de la fonction publique, Burnaby (Colombie-Britannique), pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A. :

A.        INTRODUCTION

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire que Jeanette Black a présentée en vue de faire annuler la décision (Black (In re) (2000), CUB 48786) par laquelle un juge-arbitre avait conclu qu’elle n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle était sans travail en raison d’un arrêt de travail résultant d’un conflit collectif à son lieu de travail : Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, paragraphe 36(1). Mme Black a également présenté cette demande pour le compte de 512 compagnons de travail qui ont convenu d’être liés par le résultat.

[2]        Il s’agit de déterminer si le juge-arbitre a commis une erreur susceptible de révision en rejetant la prétention selon laquelle, même si elle était visée par l’exclusion générale concernant les personnes qui étaient sans travail par suite d’un conflit collectif, la demanderesse était réadmissible au bénéfice des prestations en vertu du paragraphe 36(4) de la Loi. En vertu de cette disposition, les prestataires qui sont sans travail par suite d’un conflit collectif sont néanmoins admissibles au bénéfice des prestations s’ils prouvent qu’ils « ne particip[aient] pas au conflit collectif qui a causé l’arrêt de travail, qu’il[s] ne le finan[çaient] pas et qu’il[s] n’y [étaient] pas directement intéressé[s] » [soulignement ajouté].

B.        HISTORIQUE

[3]        La demanderesse exerçait un emploi auprès de la ville de Vancouver à titre d’« employée interne »; elle était membre du Syndicat canadien de la fonction publique (le SCFP), section locale 15 (la section locale 15). Les « employés externes » de la ville étaient membres d’une unité de négociation distincte; ils étaient représentés par le SCFP, section locale 1004 (la section locale 1004). La convention collective de chaque unité de négociation a expiré le 31 décembre 1996 et, le 5 février 1997, les deux sections locales ont entamé des négociations avec l’employeur afin de conclure de nouvelles conventions.

[4]        Le 4 mai 1997, la section locale 1004 a voté en faveur d’une grève et, le 16 juin, elle a signifié un avis en ce sens à la ville. La ville voulait s’assurer qu’en cas de grève, les services essentiels continuent à être fournis. Elle a donc demandé à la Labour Relations Board de la Colombie-Britannique de rendre une ordonnance relative aux services essentiels (l’OSE). Avec l’aide d’un médiateur de la Commission, l’employeur et les deux sections locales ont conclu, le 25 juin, un accord sur les services essentiels dont les conditions ont été incorporées deux jours plus tard dans une ordonnance de la Commission.

[5]        L’ordonnance s’appliquait aux employés qui étaient membres de chacune des sections locales. La première partie de l’ordonnance, l’«ordonnance globale », renfermait les conditions types qui figurent dans la plupart de pareilles ordonnances et n’avait pas fait l’objet de négociations. L’ordonnance globale stipulait entre autres que les employés qui accomplissaient les tâches désignées dans la partie spécifique de l’ordonnance devaient travailler, mais que les autres membres des syndicats n’étaient pas autorisés à travailler dans les lieux touchés. La partie spécifique de l’ordonnance, qui avait fait l’objet de négociations, indiquait les tâches nécessaires en vue de permettre à la ville de fournir des services qui étaient désignés comme essentiels dans l’ordonnance.

[6]        Le 16 juillet 1997, la section locale 1004 a signifié un autre avis de grève, en disant que ses membres avaient l’intention de déclencher la grève le 21 juillet. Le 24 juillet, les membres de la section locale 15 ont également voté en faveur de la grève. Néanmoins, la médiation s’est poursuivie et, le 27 juillet, les deux sections locales ont signé avec la ville des accords préliminaires qui étaient assujettis à la ratification par les membres des unités de négociation respectives. Le 30 juillet, les membres de la section locale 1004 ont voté en faveur du rejet de l’accord préliminaire conclu entre leur section locale et la ville.

[7]        Le 6 août, les membres de la section locale 1004 ont dressé des piquets de grève dans deux lieux de travail de la ville, avant que le syndicat déclenche officiellement la grève. Toutefois, le lendemain, la grève a reçu la sanction officielle du syndicat et des membres de la section locale 1004 ont participé à un piquet de grève devant l’hôtel de ville et d’autres lieux de travail. Les membres de la section locale 15 employés à ces endroits étaient touchés parce que l’OSE empêchait la plupart d’entre eux de travailler à ces endroits pendant la grève. Aucun membre de la section locale 15 n’a franchi ou n’a tenté de franchir les piquets de grève de la section locale 1004 le 6 août ou par la suite.

[8]        Dans l’intervalle, le 6 août, la ville et la section locale 1004 se sont entendues au sujet de certaines modifications à apporter à l’accord préliminaire, encore une fois sous réserve de la ratification par les membres. Lorsque la section locale 15 a appris la chose, elle a décidé d’attendre le résultat du scrutin tenu par la section locale 1004 le 10 août au sujet de l’accord modifié. Elle a donc reporté au 26 août le scrutin de ratification relatif à l’accord préliminaire qui devait initialement être tenu le 7 août. Toutefois, le 10 août, la section locale 1004 a rejeté l’accord modifié et, le 25 août, elle a également voté en faveur du rejet des recommandations du médiateur désigné par le Ministère du Travail.

[9]        Néanmoins, le 26 août 1997, la section locale 15 a voté à la majorité simple en faveur de l’accord préliminaire du 27 juillet, qui est ainsi devenu la nouvelle convention collective. La grève déclenchée par la section locale 1004 a été réglée d’une façon définitive le 16 septembre seulement.

[10]      La demanderesse n’avait pas travaillé pendant que la section locale 1004 faisait la grève, cette grève ayant duré du 7 août jusqu’à la date de retour au travail, le 17 septembre. La demande qui a été présentée en vue de l’obtention de prestations d’assurance-emploi pour cette période a été rejetée par la Commission de l’assurance-emploi du Canada pour le motif que la demanderesse était sans travail par suite d’un conflit collectif. En outre, la demanderesse n’avait pas réussi à établir qu’elle était visée par les dispositions relatives à la réadmissibilité en convainquant la Commission qu’elle n’avait pas participé au conflit et qu’elle n’y était pas directement intéressée.

[11]      Pour son propre compte et pour le compte de 512 employés qui avaient convenu d’être liés par le résultat, Mme Black a interjeté appel contre ce refus devant un conseil arbitral, qui a confirmé la décision de la Commission. Par une décision majoritaire, le conseil a statué que Mme Black ne pouvait pas se fonder sur l’OSE en vue de justifier le fait qu’elle était sans travail parce que son syndicat, la section locale 15, avait été en communication avec la section locale 1004 au cours des négociations relatives au contrat et avait travaillé avec cette dernière, et ce, jusqu’au 27 juillet 1997, date à laquelle les sections locales ont conclu des accords préliminaires avec la ville. En outre, en sa qualité de signataire de l’OSE, la section locale 15 était directement intéressée au conflit.

C.        DÉCISION DU JUGE-ARBITRE

[12]      Le juge-arbitre a rejeté l’appel interjeté contre la décision du conseil arbitral. Il a statué que Mme Black n’avait pas réussi à établir qu’elle était visée par l’une ou l’autre des dispositions relatives à la réadmissibilité figurant au paragraphe 36(4) qui sont ici pertinentes. Le fait que l’OSE contraignait l’employeur à empêcher les membres d’un syndicat de travailler, sauf pour accomplir les tâches nécessaires au maintien des services désignés essentiels, était insuffisant pour établir que la demanderesse n’avait pas volontairement participé à la grève.

[13]      Le juge-arbitre a tiré cette conclusion en se fondant sur le fait que la section locale 15 avait participé à la négociation de l’OSE, qui était une ordonnance dont la ville n’aurait pas eu besoin si les membres de la section locale 15 avaient indiqué qu’ils avaient l’intention de franchir les piquets de grève de la section locale 1004. Il a également conclu que, même si les sections locales 15 et 1004 constituaient en droit des syndicats distincts, elles avaient de fait travaillé en étroite collaboration pendant presque toute la durée des négociations et, qu’en leurs qualités d’entités affiliées au SCFP national, elles avaient souscrit au principe de la solidarité. Ainsi, en vertu de l’acte constitutif du SCFP national et des règlements administratifs de la section locale 15, les membres qui franchissaient les piquets de grève du syndicat commettaient une infraction. En l’absence de quelque tentative faite par Mme Black et les 512 autres demandeurs pour se dissocier des mesures prises par la section locale, la participation de leur syndicat au conflit collectif liait ceux-ci.

[14]      Enfin, le juge-arbitre a conclu que Mme Black avait omis de démontrer qu’elle n’était pas directement intéressée à la grève déclenchée par la section locale 1004. En particulier, il a fait remarquer que la section locale 15 avait reporté le scrutin de ratification tant que la section locale 1004 n’aurait pas voté au sujet de l’accord préliminaire modifié, en prévoyant que la ville offrirait à la section locale 15 tout salaire ou tout avantage additionnel qu’elle avait convenu d’accorder à la section locale 1004.

D.        CONTEXTE LÉGISLATIF

[15]      Seules les dispositions suivantes de la législation sur l’assurance-emploi sont ici pertinentes :

Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23

36. (1) Sous réserve des règlements, le prestataire qui a perdu un emploi ou qui ne peut reprendre un emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l’usine, à l’atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n’est pas admissible au bénéfice des prestations avant :

a) soit la fin de l’arrêt de travail;

b) soit, s’il est antérieur, le jour où il a commencé à exercer ailleurs d’une façon régulière un emploi assurable.

[…]

(4) Le présent article ne s’applique pas si le prestataire prouve qu’il ne participe pas au conflit collectif qui a causé l’arrêt de travail, qu’il ne le finance pas et qu’il n’y est pas directement intéressé.

[16]      Afin d’expliquer le contexte législatif dans lequel les ordonnances relatives aux services essentiels sont accordées en Colombie-Britannique, je reproduirai ci-dessous les dispositions pertinentes de la loi provinciale :

[traduction]

Code du travail, R.S.B.C. 1996, ch. 244

72 (1)       Si un conflit survient après le début de la négociation collective, l’une ou l’autre des parties au conflit peut demander au président d’enquêter ou le président peut, de son propre chef,

a)    enquêter sur la question de savoir si le conflit présente un danger pour la santé, la sécurité ou le bien-être des résidents de la ColombieBritannique et

b)    faire rapport des résultats de l’enquête au ministre.

(2) a)    Après avoir reçu un rapport du président en ce qui concerne un conflit, ou

b)    de son propre chef, s’il estime qu’un conflit présente un danger pour la santé, la sécurité ou le bien-être des résidents de la Colombie-Britannique,

le ministre peut demander à la commission de désigner comme services essentiels les installations, productions et services que la commission considère comme nécessaires ou essentiels en vue d’empêcher le danger immédiat et sérieux pour la santé, la sécurité ou le bien-être des résidents de la Colombie-Britannique.

(3)       Lorsque le ministre donne une directive en vertu du paragraphe (2), le président adjoint de la section de la médiation peut désigner un médiateur ou des médiateurs en vue d’aider les parties à en arriver à une entente au sujet de la désignation des services essentiels.

(4)       Le médiateur désigné en vertu du paragraphe (3) fait rapport au président adjoint de la section de médiation dans les 15 jours qui suivent sa désignation ou dans tout délai additionnel dont les parties auront convenu.

(5)   La commission

a)    doit, dans un délai de 30 jours de la réception du rapport du médiateur, désigner des installations, des productions et des services comme services essentiels en vertu du paragraphe (2), et

b)    peut, à sa discrétion, incorporer dans la désignation ainsi faite toute recommandation faite par le médiateur.

(6)       Si le ministre donne une directive en vertu du paragraphe (2) avant le début d’une grève ou d’un lock-out, la grève ou le lock-out ne doit pas avoir lieu tant que la commission n’a pas désigné les services essentiels.

(7)       Si le ministre donne une directive en vertu du paragraphe (2) après le début d’une grève ou d’un lock -out, la grève ou le lock-out peut se poursuivre sous réserve de toute désignation des services essentiels par la commission.

(8)       Si la commission désigne des installations, des productions et des services comme services essentiels, l’employeur et le syndicat doivent fournir ces installations, productions et services et en assurer le maintien complet et ne doivent pas restreindre ou limiter les activités d’une installation, d’une production ou d’un service ainsi désigné.

(9)       Une désignation effectuée en vertu du présent article peut être modifiée ou révoquée et être remplacée par une autre désignation et, malgré l’article 135, la commission peut, à sa discrétion, sur demande ou de son propre chef, refuser de déposer son ordonnance au greffe de la Cour suprême.

73 (1)       Tout employeur, syndicat ou employé touché par une directive donnée ou par une désignation effectuée en vertu de l’article 72 au sujet du conflit doit se conformer à la directive ou à la désignation.

(2)       Si une désignation est effectuée en vertu de l’article 72, la relation existant entre l’employeur et ses employés, pendant que la désignation est encore en vigueur, est régie par les conditions de la dernière convention collective qui s’appliquait à l’employeur et au syndicat sauf dans la mesure où cette convention collective est modifiée par la commission dans la mesure nécessaire en vue d’assurer la mise en oeuvre de la désignation des services essentiels.

(3)       La Commission peut, en vertu de l’article 72, désigner des installations, des productions et des services fournis ou maintenus par les employés de l’employeur qui sont représentés par un autre syndicat qui n’est pas en cause dans un conflit avec l’employeur en matière de négociation collective.

E.        ANALYSE

[17]      Les arguments que l’avocat de Mme Black a invoqués au sujet des questions de participation et d’intérêt direct étaient en bonne partie fondés sur l’arrêt Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513. J’examinerai donc au départ les effets que cet arrêt a en l’espèce.

[18]      L’arrêt Hills, précité, portait sur la disposition figurant au paragraphe 36(4), laquelle n’est pas ici en cause, à savoir si l’appelant avait établi qu’il n’avait pas financé le conflit collectif qui avait causé l’arrêt de travail à son lieu de travail, par suite duquel il était sans travail. La décision n’est donc pas directement pertinente, étant donné qu’en l’espèce ce sont les autres dispositions relatives à la réadmissibilité qui sont en cause, à savoir la non-participation au conflit et l’absence d’intérêt direct dans le conflit. Néanmoins, les motifs que Mme le juge L’Heureux-Dubé a rédigés au nom de la majorité se rapportent clairement à la détermination des questions soulevées dans la présente demande.

[19]      Premièrement, le juge L’Heureux-Dubé a énoncé, à la page 537, l’approche à adopter à l’égard de l’interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi en général et, en particulier, à l’égard de la disposition qui figure maintenant à l’article 36 :

Comme la Loi vise à assurer des prestations aux personnes sans travail, il est justifié de donner une interprétation libérale aux dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations, étant donné que la Loi n’est pas conçue pour priver des avantages qu’elle confère les victimes innocentes d’un conflit de travail et compte tenu également du fait que les employés cotisent à la caisse d’assurance-chômage.

[20]      De plus, en examinant les dispositions du paragraphe 36(4) qui sont ici pertinentes, le juge a dit ce qui suit, à la page 552 :

Le mot « participe » exige que l’employé prenne vraiment part au conflit de travail, l’expression « directement intéressé », qu’il ait quelque chose à gagner ou à craindre de ce conflit […]

Dans le jugement qu’il a prononcé en dissidence, le juge Lamer [alors juge puîné] a exprimé sur ce point, à la page 561, le même avis que le juge L’HeureuxDubé :

Le verbe « participer » sous-entend inévitablement un rôle actif et personnel dans le conflit de travail en cours; l’adverbe « directement », qui qualifie la nature de l’intérêt du prestataire, établit forcément un lien réel entre ce dernier et le conflit.

Toutefois, contrairement à la majorité, le juge Lamer a conclu, à la page 563, que la participation active et personnelle n’était pas nécessaire à l’égard du « financement ».

[21]      Par conséquent, les questions à trancher en l’espèce dépendent en fin de compte de la question de savoir si, pour l’application du paragraphe 36(4), le juge-arbitre devait considérer la conduite de la demanderesse au cours du conflit collectif comme étant autre qu’une participation active volontaire au conflit et de la question de savoir si la demanderesse avait quelque chose à gagner ou à perdre, en ce qui concerne le résultat du conflit, de sorte qu’elle était « directement intéressée ».

[22]      La question de savoir si une prestataire établit qu’elle n’a pas participé à un conflit collectif et qu’elle n’y était pas directement intéressée comporte tant des éléments de droit que des éléments de fait. Il s’agit d’une distinction importante puisque, en appel, le juge-arbitre peut modifier les conclusions de fait tirées par le conseil arbitral uniquement si ce dernier a tiré ces conclusions de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance : Loi sur l’assurance-emploi, alinéa 115(2)c). Or, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par le juge-arbitre en vertu de l’alinéa 28(1)m) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, notre Cour est également assujettie à des restrictions dans son examen des conclusions de fait sur lesquelles la décision est fondée : paragraphe 28(2) [mod., idem] et alinéa 18.1(4)d) [édicté, idem, art. 5].

Première

question           

 

Le juge-arbitre a-t-il commis une erreur susceptible de révision en statuant que la prestataire avait omis d’établir qu’elle ne participait pas à l’arrêt de travail auquel se livraient les membres de la section locale 1004 et, partant, qu’elle n’était pas devenue réadmissible au bénéfice des prestations en vertu du paragraphe 36(4) même si une OSE qui l’empêchait de travailler était en vigueur?

[23]      L’avocat de Mme Black a concédé que les employés qui ne se présentent pas au travail parce que les membres d’un autre syndicat participent à un piquet de grève à leur lieu de travail ne sont normalement pas admissibles au bénéfice des prestations en vertu du paragraphe 36(1). Le refus de franchir les piquets de grève ou l’omission de tenter de franchir les piquets de grève est réputé constituer une participation volontaire et active à un conflit collectif et empêcher l’employé d’être réadmissible en vertu du paragraphe 36(4) : Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Carrozzella, [1983] 1 C.F. 909 (C.A.).

[24]      Toutefois, l’avocat a soutenu qu’il existait en l’espèce une preuve claire montrant que si la demanderesse n’était pas au travail au cours de la grève déclenchée par la section locale 1004, c’était parce qu’elle n’accomplissait pas une tâche désignée dans l’OSE que les sections locales 1004 et 15 avaient négociée avec la ville comme nécessaire au maintien d’un service désigné essentiel. Conformément à l’ordonnance, la ville ne pouvait pas laisser travailler les membres de la section locale 15, et notamment à la demanderesse, qui n’étaient pas affectés aux tâches prescrites. La participation de la demanderesse au conflit collectif avait donc été involontaire.

[25]      L’avocat a en outre soutenu qu’il n’était pas loisible au conseil arbitral de faire des conjectures au sujet du fait que la demanderesse aurait franchi les piquets de grève de la section locale 1004 si l’OSE n’avait pas été en vigueur. Selon l’avocat, la présente affaire était analogue à celles dans lesquelles des piquets de grève avaient été dressés, mais où les prestataires n’avaient pas franchi ces piquets parce que l’employeur avait déclaré qu’il n’y aurait pas de travail qu’ils puissent effectuer tant que le conflit n’aurait pas pris fin. Il a été statué dans ces cas-là que les employés n’avaient pas participé à un conflit collectif, pour l’application du paragraphe 36(4), et les juges-arbitres ont refusé de faire des conjectures au sujet du fait que les prestataires individuels auraient franchi les piquets de grève s’il y avait eu du travail qu’ils puissent accomplir à leur lieu de travail : CUB 3443; Shea (In re) (1999), CUB 19034.

[26]      L’avocat affirmait donc qu’une personne qui ne peut pas aller travailler à cause d’une OSE ne participe pas à un conflit collectif pour l’application du paragraphe 36(4) parce que l’omission de se présenter au travail ne constituait pas une participation personnelle et active au conflit. Le conseil et le juge-arbitre ont donc commis une erreur de droit eu égard aux événements qui s’étaient produits avant la délivrance de l’OSE et, en particulier, eu égard à la relation existant entre la section locale 1004 et la section locale 15 au cours de la période de négociation et au rôle que la section locale 15 avait eu dans la négociation de l’OSE.

[27]      La question de savoir si l’existence d’une OSE qui empêchait la prestataire de travailler prouve que cette dernière ne participait pas à un conflit collectif est une question suffisamment générale pour être considérée à bon droit comme une question de droit touchant l’interprétation de la Loi. Lorsqu’elles sont tranchées par un juge-arbitre, pareilles questions peuvent faire l’objet d’un examen selon la norme de la décision correcte.

[28]      Toutefois, à mon avis, l’interprétation du mot « participe » préconisée pour le compte de Mme Black est trop stricte. Afin de déterminer si un prestataire a le droit de se prévaloir du paragraphe 36(4) parce qu’il n’est qu’un simple spectateur qui est mêlé à un conflit impliquant un tiers, il me semble pertinent de tenir compte de la conduite du prestataire et de son agent négociateur au cours de la période qui a précédé la délivrance de l’OSE. Si un syndicat a été activement mêlé aux événements qui ont mené à la délivrance de l’OSE, ses membres ne peuvent pas par la suite alléguer qu’ils ont droit à des prestations d’assurance-emploi parce qu’ils ne participaient pas personnellement au conflit, et ce, indépendamment du degré de participation du syndicat au conflit ou de l’intérêt que le syndicat a dans le conflit, ainsi que de toutes les autres circonstances pertinentes.

[29]      Selon moi, il n’a pas été statué, dans l’arrêt Hills, précité, que les membres d’un syndicat ne sont jamais liés par les actions de leur syndicat, mais uniquement que dans ce cas-là, il n’était pas loisible de conclure que l’appelant participait au conflit collectif, pour l’application du paragraphe 36(4). Dans cette affaire-là, le président du syndicat international auquel le syndicat du prestataire était affilié avait versé une contribution à un autre syndicat affilié pendant que les membres de ce syndicat, qui étaient également des employés de l’employeur des prestataires, faisaient la grève. La contribution provenait du fonds de grève du syndicat international, qui était contrôlé par le président. Conformément à l’acte constitutif du syndicat international, les syndicats locaux affiliés remettaient au syndicat international la quote-part des membres, qui était automatiquement versée dans le fonds de grève du syndicat.

[30]      Le juge L’Heureux-Dubé a statué que même si la somme versée par le président du syndicat servait clairement à financer le conflit collectif par suite duquel le prestataire était sans travail, le paiement effectué par le président ne pouvait pas être attribué aux membres de façon à les empêcher de bénéficier de la disposition relative à la réadmissibilité figurant dans ce qui est maintenant le paragraphe 36(4). Le juge a fait remarquer qu’un syndicat n’est pas l’agent de ses membres et que les mesures prises par ses représentants ne lient donc pas nécessairement les membres. Un syndicat conclut une convention collective à titre de partie contractante indépendante et, en sa qualité d’agent négociateur accrédité des membres, il recouvre et débourse les cotisations syndicales en tant qu’entité juridique distincte des membres.

[31]      Toutefois, à mon avis, les faits de l’affaire Hills, précitée, sont essentiellement différents de ceux de la présente espèce. Premièrement, dans cette affaire-là, les contributions des membres au fonds de grève du syndicat n’étaient pas destinées à un conflit collectif particulier, et certainement pas à la grève déclenchée par d’autres employés contre leur employeur commun. Après que le fonds de grève eut été remis au syndicat international, les débours y afférents ne relevaient pas du contrôle des membres ou de leur section locale. Il serait donc possible de dire que le syndicat de M. Hills, la section locale, a contribué d’une façon fort indirecte au conflit collectif à son lieu de travail.

[32]      Par contre, en l’espèce, la section locale 15 et la section locale 1004 du syndicat, qui faisait la grève, avaient activement collaboré aux négociations distinctes, mais parallèles, avec l’employeur commun; M. Gorman, agent du SCFP national qui représentait Mme Black dans les appels devant le conseil et devant le juge-arbitre, a tenu les deux sections locales au courant de l’évolution du conflit après le 27 juillet et a signé l’accord préliminaire de la section locale 15 et l’accord final de la section locale 1004; les deux sections locales étaient parties à la négociation des conditions de l’OSE dans laquelle étaient désignées les tâches que les membres étaient tenus d’accomplir en vue d’assurer la prestation continue des services désignés essentiels. La section locale 15 était donc directement mêlée aux événements ayant mené au conflit collectif qui a eu pour effet d’interrompre l’emploi de Mme Black.

[33]      Deuxièmement, dans l’affaire Hills, précitée, le prestataire n’avait absolument aucun intérêt dans l’issue du conflit collectif en raison duquel il était sans travail. D’autre part, en l’espèce, indépendamment de la question de savoir si Mme Black était « directement intéressée » au sens qu’a cette expression au paragraphe 36(4), la conduite des deux sections locales donne fortement à entendre que la section locale 15 et ses membres étaient loin d’être de simples spectateurs n’ayant aucun intérêt dans le conflit opposant la section locale 1004 et la ville de Vancouver.

[34]      Par conséquent, avant le début des négociations avec la ville, les deux sections locales avaient sans succès demandé à négocier ensemble. Les conventions collectives avaient pris fin à la même date; les sections locales avaient commencé à négocier les nouvelles conventions en même temps et avaient collaboré pendant les négociations collectives parallèles. Enfin, la section locale 15 a reporté la tenue du scrutin à l’égard de l’accord préliminaire conclu avec l’employeur jusqu’à ce que la section locale 1004 tienne son scrutin au sujet de l’offre modifiée qui lui avait été faite. Les membres de la section locale 15 étaient clairement intéressés au résultat du conflit opposant la section locale 1004 à leur employeur commun.

[35]      Troisièmement, si le prestataire, dans l’affaire Hills, précitée, n’avait pas souscrit à l’utilisation de ses cotisations syndicales aux fins de la création d’un fonds de grève, il semble que la seule solution immédiate consistait à quitter son emploi. Comme on peut s’y attendre, la Cour suprême du Canada a conclu que, dans le contexte d’une demande de prestations d’assurance-emploi, cette solution n’était pas réaliste. En théorie, le prestataire aurait également pu avoir recours au processus démocratique de son syndicat, et il aurait pu tenter de faire modifier l’acte constitutif du syndicat ou de faire en sorte que des représentants différents soient élus. Toutefois, pareilles mesures n’avaient en pratique rien à voir avec le problème immédiat auquel M. Hills faisait face.

[36]      Il n’existe aucun élément de preuve au sujet de la question de savoir si, avant que la ville ait demandé qu’une OSE soit rendue, les demandeurs ici en cause comprenaient qu’en cas de grève et si l’OSE prenait effet, ils ne seraient pas rémunérés par leur employeur et seraient réputés ne pas être admissibles à des prestations d’assurance-emploi en vertu du paragraphe 36(1). Néanmoins, il n’était pas plus réaliste de s’attendre à ce que les demandeurs se dissocient de leur syndicat en faisant savoir qu’ils étaient prêts à travailler pendant que la section locale 1004 faisait la grève, qu’il ne l’était de s’attendre à ce que M. Hills quitte son emploi à un moment où il y avait énormément de chômage. Somme toute, lorsqu’aucune OSE n’est en vigueur, les prestataires doivent normalement franchir, ou tenter de franchir, un piquet de grève pour avoir droit aux prestations d’assurance-chômage, et ce, même s’ils risquent de se voir imposer des mesures disciplinaires par leur syndicat parce qu’ils n’ont pas respecté les piquets de grève d’un autre syndicat.

[37]      À mon avis, l’arrêt Hills, précité, n’étaye donc pas la thèse selon laquelle les mesures prises par un syndicat dans le cadre d’un conflit collectif ne peuvent jamais être attribuées à un membre du syndicat de façon à l’empêcher d’établir qu’il ne participait pas au conflit qui a mené à l’interruption de son emploi. Par conséquent, la question de savoir si la demanderesse avait démontré qu’elle ne participait pas personnellement et activement au conflit collectif est en bonne partie une question de fait que le conseil arbitral doit trancher à la lumière de toutes les circonstances de l’espèce, sous réserve d’un appel portant sur le caractère manifestement déraisonnable.

[38]      Compte tenu de la preuve dont il disposait, il était à mon avis loisible au conseil arbitral de conclure que Mme Black ne s’était pas acquittée de l’obligation légale qui lui incombait de prouver que, pour l’application du paragraphe 36(4), elle ne participait pas au conflit collectif. J’ai déjà fait mention de l’intérêt que la section locale 15 et ses membres avaient dans le conflit collectif opposant la section locale 1004 et l’employeur commun, des stratégies de négociation coordonnées des deux sections locales du syndicat national et des communications continues entre ces deux sections locales ainsi que de la possibilité que la demanderesse avait de se dissocier avant que la ville demande qu’une OSE soit rendue.

[39]      De plus, il importe de noter que la ville a demandé l’ordonnance qui a empêché Mme Black de travailler parce qu’il était prévu qu’en cas de grève, les membres de la section locale 15 ne se présenteraient pas au travail si, ce faisant, ils devaient franchir les piquets de grève dressés par la section locale 1004.

[40]      Le point de vue adopté par la ville était fort raisonnable. Comme je l’ai déjà mentionné, les deux sections locales étaient affiliées au SCFP national et la section locale 15 avait établi que tout membre qui franchissait les piquets de grève d’un autre syndicat commettait une infraction; à compter du moment où les contrats avaient expiré jusqu’au 27 juillet, la section locale 15 avait collaboré et assuré la coordination avec la section locale 1004 au cours de la procédure de négociation; aucun membre de la section locale 15 n’avait franchi les piquets de grève restreints dressés par les membres de la section locale 1004 avant que la grève soit devenue officielle. En outre, les sections locales estimaient que leurs intérêts étaient étroitement liés, comme le montre la tentative qu’elles avaient faite pour négocier ensemble, à laquelle la ville s’était opposée avec succès.

[41]      Il est également possible d’accorder une certaine importance au fait que les conditions de l’OSE, à part les conditions types de l’ordonnance globale, étaient assujetties à la négociation entre les deux sections locales d’une part et la ville d’autre part. Toutefois, étant donné que la Labour Relations Board avait compétence pour imposer une OSE unilatéralement, la participation « volontaire » de la section locale 15 à la procédure engagée devant la Commission n’était que l’un des faits dont le conseil arbitral avait le droit de tenir compte en tirant sa conclusion finale.

[42]      Eu égard aux circonstances de l’espèce, et puisque je reconnais que les dispositions de la Loi relatives à la réadmissibilité doivent être interprétées d’une façon libérale, j’estime que le juge-arbitre n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en confirmant la décision du conseil arbitral selon laquelle Mme Black n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle avait omis de démontrer qu’elle n’avait pas participé au conflit collectif qui avait causé l’arrêt de travail.

[43]      Cela est suffisant pour statuer sur la demande. Toutefois, au cas où je me trompe au sujet de la question de la participation, et puisqu’elle a été pleinement débattue, j’examinerai brièvement la deuxième question.

Deuxième

Question       

Le juge-arbitre a-t-il commis une erreur susceptible de révision lorsqu’il a conclu que Mme Black avait omis d’établir qu’elle n’était pas « directement intéressé[e] » au conflit pour l’application du paragraphe 36(4)?

[44]      L’avocat de Mme Black a invoqué deux arguments sur ce point. En premier lieu, la demanderesse n’était pas « directement intéressé[e] » au résultat du conflit collectif opposant la section locale 1004 à la ville parce que les conditions auxquelles la section locale 1004 conclurait finalement un règlement avec l’employeur ne s’appliqueraient pas nécessairement à la section locale 15. Subsidiairement, le juge-arbitre a commis une erreur susceptible de révision en concluant que Mme Black était encore directement intéressée au conflit après le 26 août 1997, lorsque, en ratifiant l’accord préliminaire du 27 juillet, la section locale 15 avait conclu une nouvelle convention collective avec la ville.

[45]      À l’appui de sa première proposition, l’avocat s’est fondé sur l’arrêt Presho v. Insurance Officer, [1984] A.C. 310 (C.L.), lorsque, en interprétant des dispositions légales identiques à celles qui existent en l’espèce, lord Brandon a dit, à la page 318, qu’un groupe de travailleurs était uniquement « directement intéressé » à un conflit opposant un autre groupe de travailleurs à un employeur commun si les deux conditions ci-après énoncées étaient remplies :

[traduction] Selon la première condition, quel que puisse être le résultat du conflit collectif, les employeurs communs appliqueront ce résultat non seulement au groupe de travailleurs qui sont membres d’un syndicat participant au conflit, mais aussi aux autres groupes de travailleurs qui sont membres des autres syndicats concernés. Selon la deuxième condition, le résultat du conflit devrait automatiquement s’appliquer « d’une façon générale », comme on l’a correctement dit, si l’une ou l’autre des trois circonstances suivantes existe : premièrement, il existe une convention collective légalement obligatoire; deuxièmement, il existe une convention collective qui n’est pas légalement obligatoire; ou troisièmement, il existe une coutume et une pratique établies en matière de relations de travail dans le lieu de travail en cause.

[46]      La Chambre des lords, qui s’est prononcée en faveur de Mme Presho, a infirmé la décision de la Cour d’appel ([1983] I.C.R. 595), qui avait statué que la prestataire était uniquement indirectement intéressée parce qu’il devrait peut-être y avoir des négociations officielles entre le syndicat de la prestataire et la direction pour que le syndicat de la prestataire bénéficie du résultat du conflit avec l’autre syndicat. Lord Brandon a dit, à la page 319, que l’on attribuait ainsi [traduction] « un sens trop strict » à l’expression dans ce contexte.

[47]      Le critère énoncé dans l’arrêt Presho a été adopté par le juge-arbitre dans Knox (In re) (1989), CUB 16770 en tant que définition générale de l’expression « directement intéressé » à un conflit collectif pour l’application du paragraphe 36(4) de la Loi sur l’assurance-emploi. De plus, même s’il n’a pas été expressément désigné en tant que tel, le critère énoncé dans l’arrêt Presho est inclus dans les explications que la Commission a données au sujet de l’assurance-emploi dans le document intitulé : Guide de la détermination de l’admissibilité, au paragraphe 8.8.1.

[48]      Toutefois, dans l’arrêt Légaré c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), [1998] A.C.F. no 216 (C.A.) (QL), notre Cour a dit, dans des motifs fort brefs où il n’est pas fait mention de l’arrêt Presho, précité, qu’un groupe n’est pas « automatiquement » directement intéressé au conflit collectif auquel un autre groupe est mêlé, mais qu’il s’agit d’une question plus complexe qui doit être résolue à la lumière des faits de chaque espèce.

[49]      À mon avis, ces énoncés ne sont pas incompatibles avec l’arrêt Presho, précité, en ce sens que la question de l’absence d’intérêt direct dans le conflit collectif ne peut pas être uniquement tranchée par rapport aux conventions en vigueur. De plus, ces énoncés ne sont pas nécessairement incompatibles avec l’existence d’un intérêt direct voulant que des négociations puissent être nécessaires avant que le syndicat du prestataire obtienne dans sa convention collective les mêmes conditions que l’autre syndicat. En outre, en l’absence d’une convention officielle, il doit peut-être exister une pratique passée établie lorsqu’il s’agit de prouver l’existence d’un intérêt direct. Toutefois, cela ne sera pas nécessairement suffisant si, par exemple, certains éléments de preuve montrent que l’employeur n’avait pas l’intention de s’y conformer dans le conflit en question : voir par exemple Fraser (In re) (1999), CUB 48815.

[50]      Compte tenu de l’objet de la Loi, de l’approche exigée selon l’arrêt Hills, précité, à l’égard de son interprétation et de l’emploi de l’adverbe « directement » en vue de qualifier le mot « intéressé », je ne vois pas pourquoi il faudrait s’écarter du critère énoncé dans l’arrêt Presho. L’admissibilité d’une personne au bénéfice des prestations ne devrait pas être déterminée à l’aide de conjectures relatives à la question de savoir si le groupe dont fait partie le prestataire pouvait tirer parti du règlement conclu par un autre groupe. C’est ainsi que j’interprète les remarques que le juge Lamer a faites dans l’arrêt Hills, précité, lorsqu’il a dit qu’il doit exister un « lien réel » entre le prestataire et le conflit.

[51]      Je ne puis retenir l’argument de la Commission selon lequel Mme Black était directement intéressée au conflit collectif parce que, lorsque ce conflit prendrait fin, elle serait en mesure de reprendre un emploi rémunéré. Si cette proposition était exacte, les employés qui sont sans travail par suite d’un conflit collectif ne seraient pas admissibles aux prestations. Cela aurait pour effet de restreindre la portée du paragraphe 36(4) à un point tel que son effet serait presque éliminé et cela serait incompatible avec la condition voulant que l’intérêt du prestataire soit « direct » ainsi qu’avec l’arrêt Hills, précité.

[52]      En l’espèce, il n’est pas allégué que, selon les conditions d’une convention, qu’elle soit légalement exécutoire ou non, la ville était tenue d’incorporer dans une convention collective future conclue avec la section locale 15 les conditions de toute convention collective conclue avec la section 1004. La Commission n’a produit aucun élément de preuve montrant directement qu’il existait une « pratique établie » selon laquelle la ville de Vancouver accorderait à la section locale 15 les avantages dont elle avait convenu avec la section locale 1004.

[53]      Toutefois, certains éléments de preuve dont j’ai déjà tenu compte montrent que l’on pouvait bien s’attendre à ce que la section locale 15 bénéficie des avantages négociés avec la section locale 1004. Les deux sections locales avaient non seulement coordonné leurs activités de négociation, mais la section locale 15 avait en outre décidé de reporter son scrutin de ratification en attendant que la section locale 1004 tienne un scrutin au sujet de l’accord préliminaire, en croyant sans doute que, si la section locale 1004 acceptait l’offre améliorée que la ville lui faisait, on offrirait des conditions similaires à ses membres. Il faut également se rappeler que les sections locales avaient tenu compte de leurs intérêts et que les questions qui les opposaient à l’employeur étaient suffisamment similaires pour qu’elles veuillent négocier ensemble.

[54]      Il importe de souligner qu’une fois qu’ils ne sont plus admissibles au bénéfice des prestations en vertu du paragraphe 36(1), les prestataires ont la charge de prouver qu’ils y sont de nouveau admissibles en vertu du paragraphe 36(4). En tentant de s’acquitter de l’obligation de prouver l’absence d’intérêt direct, l’avocat de Mme Black a signalé certains éléments de preuve figurant dans une lettre qu’une représentante de la ville, Mme Marilyn Clark, avait envoyée à la Commission, dans laquelle il était dit que la ville n’avait pas l’habitude de modifier une convention conclue avec un groupe d’employés simplement parce qu’un autre syndicat avait obtenu une augmentation de salaire plus élevée ou de meilleurs avantages. De fait, l’avocat a souligné que les membres de la section locale 15 n’avaient pas obtenu l’indemnité de retour au travail de 700 $ que la section locale 1004 avait négociée dans le cadre de sa convention collective.

[55]      Toutefois, à mon avis, étant donné les autres éléments de preuve dont disposait le conseil, indiquant qu’il était fort possible qu’un avantage soit obtenu, cette preuve n’établit pas selon la prépondérance des probabilités qu’il n’y avait pas de pratique établie selon laquelle, si la section locale 1004 avait accepté l’accord préliminaire modifié avant que la section locale 15 conclue un règlement, la section locale 15 aurait obtenu de la ville, dans sa convention collective, les mêmes avantages pour ses membres.

[56]      Par conséquent, compte tenu de la preuve dont disposait le conseil en l’espèce, le juge-arbitre n’a pas commis d’erreur en confirmant la conclusion largement factuelle tirée par le conseil, à savoir que Mme Black avait omis d’établir qu’elle n’était pas directement intéressée au conflit collectif avant que la section locale 15 conclue une convention collective avec la ville. Le fait que ni le conseil ni le juge-arbitre n’ont expressément abordé la question de la définition de l’expression « directement intéressé » telle qu’elle a été expliquée dans l’arrêt Presho, précité, n’aurait pas constitué un motif justifiant l’annulation de la décision du juge-arbitre et le renvoi de l’affaire au conseil.

[57]      Toutefois, même si les prestataires ont la charge de prouver les faits nécessaires visant à établir la réadmissibilité en vertu du paragraphe 36(4), le juge-arbitre a commis une erreur à mon avis en confirmant la conclusion implicite du conseil selon laquelle Mme Black avait continué à être « directement intéressé[e] » au résultat du conflit opposant la section locale 1004 à la ville, après que la section locale 15 eut tenu un scrutin en vue de ratifier l’accord préliminaire, le 26 août, et eut ainsi conclu une convention collective avec la ville.

[58]      Selon la preuve non contredite dont disposait le conseil, la ville n’avait pas l’habitude de modifier les conventions qui avaient déjà été conclues lorsqu’une convention était négociée par la suite avec un autre unité de négociation. Cette preuve est étayée par le fait que la section locale 15 n’a pas obtenu l’indemnité de retour au travail de 700 $ que la ville s’était engagée à verser aux membres de la section locale 1004 dans le cadre du règlement conclu avec cette unité. Le conseil a donc conclu que Mme Black avait continué à être directement intéressée au conflit collectif après que son syndicat eut conclu une convention collective, et ce, sans tenir compte des éléments dont il disposait et le juge-arbitre n’aurait pas dû confirmer la conclusion du conseil sur ce point.

[59]      Toutefois, l’erreur commise par le juge-arbitre n’est pas pertinente, puisque je conclus qu’il n’a pas commis d’erreur en confirmant la décision du conseil selon laquelle Mme Black avait omis d’établir qu’elle ne participait pas au conflit collectif.

F.         CONCLUSIONS

[60]      Pour ces motifs, et malgré les habiles arguments invoqués par l’avocat de la demanderesse, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

Rothstein, J.C.A. : Je souscris à cet avis.

Sexton, J.C.A. : Je souscris à cet avis.

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