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[2002] 3 C.F. 125

T-361-99

2001 CFPI 1046

Mediterranean Shipping Company S.A. Genève (demanderesse)

c.

Sipco Inc. (défenderesse)

Répertorié : Mediterranean Shipping Co. S.A. Genève c. Sipco Inc. (1re inst.)

Section de première instance, juge BlaisMontréal, 26 juin; Ottawa, 25 septembre 2001.

Droit maritime — Transport de marchandisesAction visant à obtenir le paiement du fret maritime dû pour le transport de neuf conteneursCargaison de sept conteneurs maritimes de pneus antérieurement livrée avec un manquant à l’arrivéeLes six autres conteneurs n’ont pu être dédouanés parce que le connaissement parlait de sept conteneursLa défenderesse alléguait que son client lui avait réclamé des frais et notamment des frais d’entreposage, de manutention et de réinspectionLa défenderesse plaidait en défense la compensation en common law et en equity et présentait une demande reconventionnelle pour les pertes subies en raison des manquements au contrat et de la négligence de la demanderesseSuivant la preuve et les faits admis, la défenderesse devait à la demanderesse 30 150 $US pour le fret maritimeSauf en cas de disposition contraire au contrat, la défenderesse ne peut pas, en défense, opposer la compensation entre sa demande de dommages-intérêts et la réclamation de la demanderesse au chef du fret impayéLa défenderesse ne pouvait donc invoquer la compensation en equityComme le contrat ne permettait pas la compensation, la défenderesse ne pouvait non plus invoquer le moyen de défense tiré de la compensation en vertu de la common lawLa demanderesse a fait preuve de négligence lors de la manutention du septième conteneur, mais la demande reconventionnelle est rejetée parce que la défenderesse n’a pas prouvé ses dommages.

Droit maritime — PratiquePoursuivie pour non-paiement de fret maritime, la défenderesse a plaidé la compensation en défense et a présenté une demande reconventionnelle pour être indemnisée des dommages subis par suite des manquements au contrat et de la négligence de la demanderesseLa demande reconventionnelle n’était pas prescrite en vertu des règles de La Haye-Visby, dont l’art. III(6) décharge de toute responsabilité le transporteur à l’égard des marchandises, sauf si une action est intentée dans l’année de leur délivranceLe délai d’un an commence à courir à compter de la livraison et non du déchargementLa livraison a lieu le jour où la dernière marchandise a été déchargée et a été effectivement livrée ou est présumée avoir été livréeLa défenderesse affirme que le septième conteneur a été livré en juillet 1998La défense et demande reconventionnelle a été déposée en juin 1999, avant l’expiration du délai d’un an de la livraison.

Droit maritime — Responsabilité délictuelleCargaison de sept conteneurs de pneus arrivant avec un manquantLes six autres conteneurs n’ont pu être dédouanés parce que le connaissement parlait de sept conteneursPoursuivie pour non-paiement de fret maritime, la défenderesse a présenté une demande reconventionnelle pour être indemnisée des dommages subis par suite de la négligence de la demanderesseElle alléguait que son client lui avait réclamé des frais d’entreposage, de manutention et de réinspectionL’art. III(6) des règles de La Haye-Visby, incorporées au droit canadien par la Loi sur le transport des marchandises par eau, oblige le transporteur à procéder de façon appropriée et soigneuse au chargement, à la manutention, à l’arrimage, au transport, à la garde, aux soins et au déchargement des marchandises qu’il transporteL’obligation imposée lors du chargement est très vasteExamen des principes de preuve qui reviennent constamment dans la jurisprudence relative aux RèglesLa demanderesse a fait preuve de négligence lors de la manutention du septième conteneur, mais la défenderesse a une part de responsabilité en raison du fait qu’elle a demandé que le connaissement soit signé même s’il n’était pas exactLa responsabilité de la demanderesse n’est pas limitée par les clauses du connaissement, étant donné que l’art. III(8) des règles de La Haye-Visby déclare nulle et non avenue toute clause dans un contrat de transport exonérant le transporteur ou le navire de responsabilité pour perte ou dommage concernant des marchandises provenant de négligenceLa défenderesse est toutefois déboutée de sa demande reconventionnelle parce qu’elle n’a pas prouvé ses dommages.

EquityPoursuivie pour non-paiement de fret maritime à la suite du transport par mer de marchandises, la défenderesse cherchait à opérer la compensation entre la créance de la demanderesse et les dommages qu’elle affirmait avoir subis par suite des manquements au contrat et de la négligence commis par la demanderesse lors d’un transport maritime antérieur au cours duquel un conteneur était arrivé en retard, ce qui lui avait fait subir des frais d’entreposage, de manutention et de réinspectionSauf en cas de disposition contraire stipulée au contrat, la défenderesse ne peut pas, en défense, opposer la compensation entre sa demande de dommages-intérêts et la réclamation de la demanderesse au chef du fret impayéLa défenderesse n’a pas le droit à une compensation en equity.

Il s’agit d’une action en paiement de la somme de 30 150 $US (43 189,88 $CAN), à titre de fret maritime, et de frais connexes pour le transport par mer de neuf conteneurs de pneus entre Toronto et Bandar Abbas, dans le golfe Persique, aux termes d’un connaissement signé le 22 avril 1998. Quatre mois plus tôt, la défenderesse avait expédié à Bandar Abbas sept conteneurs maritimes dans lesquels se trouvaient des pneus. Six des sept conteneurs maritimes sont arrivés dans les délais prévus, mais le septième n’est parvenu à destination que plusieurs mois plus tard, après avoir selon toute vraisemblance été laissé à Halifax. En raison de cette erreur de livraison, il n’a pas été possible de dédouaner les six premiers conteneurs parce que, suivant les documents joints à la cargaison, sept conteneurs devaient passer la douane. La défenderesse affirmait que son client iranien lui a réclamé des frais et qu’elle avait engagé d’autres dépenses telles que des frais de transfert, d’entreposage, d’assurance, de manutention et de réinspection des six premiers conteneurs, des honoraires d’avocats, la valeur de remplacement des pneus, qui avaient subi des dommages à cause des retards dans la livraison, et des frais bancaires. La défenderesse affirmait qu’elle avait le droit, en common law et en equity, d’opérer compensation entre sa créance et celle de la demanderesse. Elle affirmait également que, par suite des manquements au contrat de la demanderesse, elle n’avait pas réussi à obtenir d’autres commandes de son client et qu’elle avait subi un manque à gagner relativement à une nouvelle opération. La demanderesse affirmait que la défenderesse n’avait pas le droit d’opérer compensation relativement à un contrat de transport différent; elle ajoutait que le connaissement stipulait expressément que la créance sur fret du transporteur ne pouvait faire l’objet d’une compensation; elle soutenait qu’une demande de dommages-intérêts fondée sur des manquements au contrat ou une négligence ne pouvait faire l’objet d’une compensation avec une créance sur fret et affirmait que la demande de dommages-intérêts était sans rapport avec le contrat de transport. En réponse à la demande reconventionnelle, la demanderesse affirmait que le contrat de transport prévoyait que le fret est toujours dû, peu importe que les marchandises arrivent ou non à destination ou qu’elles subissent des avaries en cours de transport. La demanderesse affirmait en outre que la défenderesse n’avait pas le droit d’opérer compensation entre le fret et la créance qu’elle peut avoir contre la demanderesse. La demanderesse soutenait aussi que le connaissement était expressément assujetti aux règles de La Haye-Visby, qui l’exonéraient de toute responsabilité relativement aux avaries en cause et qui lui donnaient le droit de limiter sa responsabilité. La demanderesse soutenait que l’action était prescrite aux termes des règles en question.

Les questions en litige consistent à savoir : 1) si la défenderesse doit à la demanderesse la somme de 30 150 $US pour le fret maritime et les frais connexes; 2) si la défenderesse a le droit d’opérer compensation entre sa créance et celle de la demanderesse; 3) si la demanderesse a violé son contrat ou a fait preuve de négligence lors de la manutention des sept conteneurs maritimes et si la défenderesse a subi des dommages.

Jugement : la demande de la demanderesse est accueillie et la demande reconventionnelle de la défenderesse est rejetée au motif qu’elle n’a pu fournir de preuves au sujet des dommages qu’elle prétend avoir subis.

1) Il incombait à la demanderesse de prouver que la défenderesse lui devait les frais qu’elle réclamait. La Cour disposait de suffisamment d’éléments de preuve au sujet du transport maritime des neuf conteneurs pour pouvoir conclure, en tenant compte des faits admis par les parties, que la défenderesse devait à la demanderesse la somme de 30 150 $US.

2) La compensation s’entend du « droit du débiteur d’obtenir l’extinction totale ou partielle de sa dette liquidée en opérant compensation entre sa créance et celle de son créancier ». Sauf en cas de disposition contraire stipulée au contrat, la défenderesse ne peut pas opposer la compensation entre sa demande de dommages-intérêts et la réclamation de la demanderesse au chef du fret impayé. Invoquant une clause du connaissement, la demanderesse soutenait que le contrat de transport prévoyait que la créance sur fret du transporteur ne pouvait faire l’objet d’une compensation. La défenderesse n’était pas au courant des clauses limitatives et d’exclusion que la demanderesse invoquait, parce que les parties avaient convenu que la demanderesse fournirait la documentation pertinente, mais la demanderesse n’avait jamais signalé à l’attention de la défenderesse le détail des clauses de ces documents. Pour ce qui est du moyen tiré de la compensation, il importe peu que la défenderesse ait été ou non au courant de la clause limitative relative à la compensation, puisqu’elle ne pouvait invoquer ce moyen de défense en equity et que, comme le contrat ne permet pas la compensation, elle ne pouvait non plus invoquer ce moyen de défense en vertu de la common law. Si la défenderesse voulait invoquer la compensation, elle aurait dû insérer une clause en ce sens dans le contrat. Même si le connaissement était muet au sujet du moyen de défense tiré de la compensation, la défenderesse n’aurait pu faire valoir ce moyen que si le contrat le prévoyait expressément.

La défenderesse a également introduit une demande reconventionnelle pour les dommages qu’elle affirmait avoir subis en raison de la violation du contrat et de la négligence de la demanderesse. La demanderesse soutenait que la demande reconventionnelle de la défenderesse était prescrite en vertu des règles de La Haye-Visby, qui ont été incorporées en droit interne canadien en vertu de la Loi sur le transport des marchandises par eau, dont le troisième alinéa de l’article III(6) décharge de toute responsabilité le transporteur et le navire, sauf si une action est intentée dans l’année de délivrance des marchandises ou de la date à laquelle elles auraient dû être délivrées. Suivant la demanderesse, la défenderesse avait introduit son action plus d’un an après l’arrivée prévue de la cargaison. Le délai de prescription d’un an commence à courir à la date de livraison et non à la date du déchargement, et la livraison a lieu le jour où les dernières marchandises, en l’occurrence, le septième conteneur, sont déchargées et sont effectivement ou présumément livrées. La défenderesse affirmait que le septième conteneur avait été livré au cours de la première semaine de juillet 1998. Compte tenu du fait que la défenderesse avait déposé sa défense et demande reconventionnelle le 18 juin 1999, la défenderesse a introduit son action dans l’année de la livraison et, en conséquence, la demande reconventionnelle de la défenderesse n’est pas prescrite en vertu des règles de La Haye-Visby.

3) L’article III(2) des règles de La Haye-Visby oblige le transporteur à procéder de façon appropriée et soigneuse au chargement, à la manutention, à l’arrimage, au transport, à la garde, aux soins et au déchargement des marchandises transportées. Cette obligation lors du chargement est vaste. Elle signifie que la cargaison doit être chargée dans de bonnes conditions de sécurité, qu’elle est chargée sans retard et qu’elle est arrimée de manière qu’on puisse la trouver pour la décharger rapidement et sans danger. En matière de demandes d’indemnité pour pertes ou avaries de marchandises, il existe trois principes de preuve qui reviennent constamment dans toute la jurisprudence relative aux règles de La Haye-Visby : 1) le transporteur est présumé responsable de la perte ou de l’avarie subie par les marchandises reçues en bon état lorsqu’elles sont constatées manquantes ou débarquées en mauvais état; 2) les parties sont en règle générale tenues de faire la preuve de tous les faits dont elles ont eu connaissance; 3) la charge de la preuve oblige à rapporter la preuve des faits dans la mesure du raisonnable. Après avoir examiné la preuve de chacune des parties, la Cour conclut que la demanderesse a fait preuve de négligence lors de la manutention du septième conteneur. La défenderesse a toutefois une part de responsabilité en raison du fait qu’elle a demandé que le connaissement soit signé même si seulement six des sept conteneurs avaient été livrés, causant ainsi des problèmes avec les douaniers iraniens.

La responsabilité de la demanderesse n’est pas limitée par les clauses du connaissement. L’article III(8) des règles de La Haye-Visby dispose que toute clause dans un contrat de transport exonérant le transporteur ou le navire de responsabilité pour perte ou dommage concernant des marchandises provenant de négligence est nulle, non avenue et sans effet.

La défenderesse est déboutée de sa demande reconventionnelle parce qu’elle n’a présenté aucune preuve pour établir ses dommages. Les éléments de preuve qu’elle a soumis au sujet des frais de transfert, d’entreposage, d’assurance et de manutention des six premiers conteneurs ne sont pas suffisants pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a subi les dommages en question. Il n’y a pas de facture de l’entrepôt, de détails sur la façon dont les divers frais ont été calculés ou de date au sujet de la durée de l’entreposage. La défenderesse aurait dû être au courant de ces détails et elle aurait dû les soumettre en preuve. La défenderesse n’a pas réussi non plus à démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’elle a versé la somme de 15 000 $US à son client pour la réinspection de la cargaison. Le seul élément de preuve au sujet des débours de la défenderesse est une déclaration, dans un affidavit, au sujet de leur montant. Aucun document n’a été soumis à l’appui de cet argument. Sans plus d’explications, cette affirmation n’est pas suffisante pour établir selon la prépondérance des probabilités que cette somme a été engagée ou payée. Comme aucun élément de preuve n’a été soumis pour appuyer l’allégation que la défenderesse a engagé des honoraires d’avocat en raison de la négligence de la demanderesse, la défenderesse n’a pas droit au remboursement de ses frais. Bien que la preuve tende à démontrer qu’une réclamation a été formulée pour obtenir le remplacement des pneus défectueux (en raison de la longue période au cours de laquelle ils sont demeurés dans les conteneurs), aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet de la suite qui a été donnée à une telle réclamation. Au sujet des frais et intérêts bancaires, il n’y a aucun élément de preuve qui justifie la somme réclamée. Quant au présumé manque à gagner, il n’y a aucune preuve qu’un contrat exécutoire a été conclu entre la défenderesse et son client. Même si des contrats avaient été valablement conclus, la preuve n’établit pas, selon la prépondérance des probabilités, que les contrats ont été perdus en raison de la négligence de la demanderesse.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement et Protocole de signature, Bruxelles, 25 août 1924 (« Règles de La Haye »).

Loi sur le transport de marchandises par eau, L.C. 1993, ch. 21, art. 7(1).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 189(1).

Règles de la Haye-Visby, qui constituent l’annexe I de la Loi sur le transport de marchandises par eau, L.C. 1993, ch. 21, ann. I, art. III(2),(6),(8), IV(2)(q), VII.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

S/S Steamship Co. c. Eastern Carribean Container Line S.A., [1986] 2 C.F. 27; (1986), 26 D.L.R. (4th) 472; 66 N.R. 74 (C.A.); Pantainer Ltd. c. 996660 Ontario Ltd. (exerçant son activité sous le nom de Molisana Imports) (2000), 5 B.L.R. (3d) 237; 183 F.T.R. 211 (C.F. 1re inst.); Loeb v. S.S. Washington Mail, 150 F. Supp. 207 (S.D. N.Y. 1956); Francosteel Corp. c. Fednav Ltd. (1990), 37 F.T.R. 184 (C.F. 1re inst.).

DOCTRINE

Tetley, William. Marine Cargo Claims, 3rd ed., Montréal, Yvon Blais, 1988.

ACTION en paiement du fret maritime et de frais connexes pour le transport par mer de neuf conteneurs de pneus entre Toronto et Bandar Abbas; demande reconventionnelle pour dommages subis en raison de la violation du contrat et/ou de la négligence lors du transport par mer de sept conteneurs de pneus en vertu d’un connaissement antérieur. L’action est accueillie et la demande reconventionnelle est rejetée pour défaut de prouver les dommages.

ONT COMPARU :

J. Kenrick Sproule pour la demanderesse.

Stephen M. Turk pour la défenderesse.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sproule & Pollack, Montréal, pour la demanderesse.

Davis & Turk, Toronto, pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Blais : La Cour est saisie d’une action simplifiée introduite par Mediterranean Shipping Company (la demanderesse) en vue d’obtenir le paiement du fret maritime et des frais connexes qui lui sont dus pour le transport par mer de neuf conteneurs.

[2]        Dans sa défense, Sipco Inc. (la défenderesse) a plaidé la compensation en common law et en equity en invoquant les dommages qu’elle a subis lors du transport par mer de sept conteneurs maritimes. La défenderesse a également introduit une demande reconventionnelle pour les pertes qu’elle affirme avoir subies en raison des présumés manquements au contrat et de la négligence dont la demanderesse se serait rendue coupable lors de l’expédition, le 20 janvier 1998, des sept conteneurs maritimes et de la violation par la demanderesse du connaissement correspondant. Les pertes alléguées par la défenderesse dans sa demande reconventionnelle sont supérieures au montant de la compensation invoquée à titre de moyen de défense.

FAITS

Demande principale

[3]        La demanderesse, un transporteur contractuel, réclame la somme de 43 189,88 $CAN, avec intérêts, au motif que la défenderesse lui doit la somme de 30 150 $US, qui représente le fret maritime et les frais connexes relatifs au transport par mer de neuf conteneurs qui auraient contenu 462 pneus tout-terrains entre Toronto et Bandar Abbas, dans le golfe Persique, aux termes du connaissement no MSCU-MO82233585, signé le 22 avril 1998 à Montréal.

[4]        La demanderesse explique que la défenderesse a refusé et/ou négligé de lui payer la somme susmentionnée de 30 150 $US malgré le fait qu’elle l’a dûment mise en demeure à plusieurs reprises de s’exécuter.

Défense et demande reconventionnelle

[5]        La défenderesse explique que, le 20 janvier 1998, aux termes du connaissement no MSCU-MO7499293, elle a expédié à la demanderesse, de Toronto à Bandar Abbas, dans le golfe Persique, sept conteneurs maritimes dans lesquels se trouvaient des pneus évalués à environ 250 000 $US. La livraison des sept conteneurs maritimes s’inscrivait dans le cadre d’une série de livraisons effectuées à un client iranien, ce que la demanderesse savait.

[6]        La défenderesse explique en outre que six des sept conteneurs maritimes sont arrivés à Bandar Abbas dans les délais prévus. Cependant, un des conteneurs n’est pas arrivé à destination selon l’échéancier prévu et les modalités du contrat. Le septième conteneur maritime est en effet demeuré à Halifax, en Nouvelle-Écosse, et a fini par arriver à Bandar Abbas au début de juillet 1998, plusieurs mois après la date prévue de son arrivée.

[7]        En raison de cette erreur de livraison, il n’a pas été possible de dédouaner les six premiers conteneurs à cause du fait que, suivant les documents établis par la demanderesse au sujet de la cargaison, sept conteneurs devaient passer la douane.

[8]        La défenderesse a été mise au courant de l’erreur de livraison par son client iranien et a immédiatement signalé le problème à la demanderesse, à la suite de quoi le conteneur manquant a été retrouvé et a finalement été livré à Bandar Abbas. La demanderesse avait en fait perdu la trace du septième conteneur et ne disposait d’aucune information indiquant que ce conteneur se trouvait toujours au chantier maritime de Halifax.

THÈSE DE LA DEMANDERESSE

Demande principale

[9]        La demanderesse réclame ce qui suit :

a) La somme de 43 189,88 $CAN;

b) Les intérêts au taux préférentiel de la Banque du Canada, calculés entre le 22 avril 1998 et la date du paiement;

c) Les dépens de l’action.

[10]      La demanderesse estime que la somme de 30 150 $US équivaut au moins à 43 189,88 $CAN et que la défenderesse lui doit effectivement et en réalité au moins 43 189,88 $CAN.

Défense et demande reconventionnelle

[11]      Dans sa réponse et sa défense à la demande reconventionnelle, la demanderesse affirme que les moyens tirés de la compensation ne sont pas pertinents et qu’ils sont mal fondés, étant donné qu’ils se rapportent à un contrat de transport différent, qui ne fait pas l’objet de la présente action et qui, plus particulièrement, est sans rapport avec la créance sur fret de la demanderesse.

[12]      La demanderesse explique que la défenderesse n’a pas le droit d’opérer compensation entre sa présumée créance fondée sur les manquements au contrat ou la négligence qu’elle lui reproche et la créance sur fret de la demanderesse pour les raisons suivantes :

a) Les modalités du contrat de transport applicable prévoient que la créance sur fret du transporteur ne peut faire l’objet d’une compensation, ainsi qu’il est stipulé à l’article 16 du connaissement applicable;

b) La demande de dommages-intérêts fondée sur les manquements au contrat ou sur la négligence reprochés à la demanderesse ne peut faire l’objet d’une compensation avec une créance sur fret, selon les règles de droit applicable;

c) La demande de dommages-intérêts dont la défenderesse cherche à opposer la compensation avec la créance sur fret de la demanderesse est sans rapport avec le contrat de transport en vertu duquel la demanderesse a introduit son action en recouvrement du fret impayé.

[13]      En réponse à la demande reconventionnelle de la défenderesse, la demanderesse affirme que les modalités du contrat de transport qui fait l’objet de la demande principale de la demanderesse et qui régissent également le contrat de transport sur lequel la défenderesse fonde sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts prévoient que le fret est toujours dû à la demanderesse, que le bâtiment qui transporte les marchandises arrive ou non à destination, que des marchandises se perdent au cours du voyage et que les marchandises subissent des avaries en cours de transport ou qu’il y ait des manquants à l’arrivée.

[14]      La demanderesse affirme en outre qu’elle a le droit d’être payée pour la totalité du fret par la défenderesse et que celle-ci n’a en aucun cas le droit d’opérer compensation entre le fret et la créance qu’elle peut avoir contre la demanderesse, y compris en cas de manquants ou d’avaries à l’arrivée, ainsi qu’il ressort de l’article 16 des connaissements pertinents.

[15]      À titre subsidiaire, la demanderesse affirme que l’article premier des connaissements pertinents stipule que ses modalités sont assujetties aux règles de La Haye [Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement et Protocole de signature, Bruxelles, 25 août 1924] et/ou aux Règles de La Haye-Visby [qui constituent l’annexe I de la Loi sur le transport des marchandises par eau, L.C. 1993, ch. 21].

[16]      En conséquence, les dommages qui ont pu se produire en raison de la présumée livraison en retard d’un des conteneurs sont imputables à une cause au sujet de laquelle les règles de La Haye ou des règles de La Haye-Visby exonèrent le transporteur de toute responsabilité, en l’occurrence :

- périls de la mer;

- acte ou omission du chargeur ou propriétaire des marchandises, de son agent ou représentant;

- insuffisance d’emballage;

- vices cachés ou vices propres de la marchandise;

- toute autre cause ne provenant pas du fait ou de la faute du transporteur ou du fait ou de la faute de ses agents ou préposés.

[17]      Le transporteur (la demanderesse) a de plus le droit de limiter sa responsabilité conformément aux modalités des connaissements pertinents et selon les dispositions des règles de La Haye et des règles de La Haye-Visby.

[18]      En tout état de cause, la demanderesse affirme que les dommages allégués sont extrêmement exagérés et qu’ils dépassent de beaucoup les avaries que la cargaison aurait subies lorsqu’elle a été déchargée du navire et/ou livrée aux termes des connaissements.

[19]      Qui plus est, la présente action a été introduite plus d’un an après la livraison, au port de déchargement, de la cargaison visée par la demande reconventionnelle de la défenderesse.

[20]      L’action serait à première vue prescrite en vertu des règles de La Haye ou des règles de La Haye-Visby. La demanderesse invoque l’application du droit maritime canadien et se prévaut de toutes les modalités, conditions et mentions figurant sur les connaissements pertinents qui s’appliquent en sa faveur.

THÈSE DE LA DÉFENDERESSE

Défense et demande reconventionnelle

[21]      La défenderesse affirme que la demanderesse n’a pas exécuté le contrat aux termes duquel elle s’était engagée envers la défenderesse à transporter et à livrer les sept conteneurs maritimes au client de la défenderesse à Bandar Abbas. La défenderesse soutient également à titre subsidiaire que la demanderesse a fait preuve de négligence lors de la manutention des sept conteneurs maritimes.

[22]      En raison des manquements au contrat et de la négligence dont la demanderesse s’est rendue coupable lors du transport des sept conteneurs maritimes, la défenderesse a subi des dommages pour lesquels elle a le droit, en common law et en equity, d’opérer compensation entre sa créance et celle de la demanderesse. La défenderesse explique que son client iranien lui a réclamé des frais de même que d’autres dépenses tels que :

- frais de transfert, d’entreposage, d’assurance et de manutention des six premiers conteneurs qui n’ont pu être dédouanés qu’après l’arrivée du septième conteneur : 9 334 $US;

- frais de réinspection des sept conteneurs en raison de l’interruption du dédouanement régulier et en temps opportun des conteneurs réclamés par le client iranien et débours engagés pour permettre au représentant de la défenderesse de se rendre à Bandar Abbas : 16 750 $US;

- honoraires d’avocats engagés en Iran : 2 900 $US;

- valeur de remplacement CAF des articles défectueux (en raison de la longue période (six mois) au cours de laquelle les pneus sont demeurés dans les conteneurs) : 29 754 $US;

- frais et intérêts bancaires résultant de la signature d’un cautionnement d’exécution d’un montant de 104 000 $US que le client iranien devait consentir à titre de garantie : 4 183 $US.

[23]      La somme totale dont la défenderesse réclame la compensation s’élève à 62 921 $US.

[24]      La défenderesse affirme qu’elle a tenu la demanderesse parfaitement au courant de tous les événements entourant les problèmes d’expédition et ses rapports avec son client iranien. Elle ajoute qu’à plusieurs reprises, le représentant de la demanderesse a déclaré, reconnu et garanti à la défenderesse que la demanderesse rembourserait intégralement à la défenderesse tous les frais et toutes les dépenses engagés en raison des problèmes d’expédition.

[25]      La défenderesse réclame également dans sa demande reconventionnelle les dommages-intérêts suivants :

a) Dommages-intérêts pour inexécution de contrat et/ou négligence et/ou inobservation de garantie pour la somme de 32 771 $US, après compensation des sommes susmentionnées, ou pour la somme de 62 921 $US avant compensation des sommes en question;

b) dommages-intérêts pour manque à gagner pour la somme de 150 000 $US, qui a été portée à 192 265 $US à l’audience;

c) intérêts calculés au taux préférentiel de la Banque du Canada;

d) les dépens extrajudiciaires.

[26]      Dans sa demande reconventionnelle, la défenderesse se fonde sur les allégations articulées dans la défense.

[27]      Par suite des manquements au contrat et/ou la négligence de la demanderesse relativement à l’expédition des sept conteneurs, dont les détails ont déjà été exposés, la défenderesse n’a pas réussi à obtenir d’autres commandes de sa cliente iranienne, contrairement à ce qui avait été envisagé et approuvé, et a de ce fait subi un manque à gagner relativement à une nouvelle opération portant sur une vente de pneus tout-terrains évaluée à 2 300 000 $US. Cette vente lui aurait permis de réaliser un bénéfice brut de 150 000 $US, somme qui a été modifiée au procès et qui a été portée à 192 265 $US, que la défenderesse réclame maintenant à la demanderesse en common law et en equity.

QUESTIONS EN LITIGE

1. La défenderesse doit-elle à la demanderesse la somme de 30 150 $US, qui représente le fret maritime et les frais connexes pour le transport par mer de neuf conteneurs qui auraient contenu 462 pneus tout-terrains entre Toronto et Bandar Abbas, dans le golfe Persique, aux termes du connaissement no MSCU-MO82233585?

2. La défenderesse a-t-elle le droit d’opérer compensation entre sa créance et la créance de la demanderesse en raison des dommages qu’elle aurait subis par suite de la violation par la demanderesse du contrat qu’elle a conclu avec elle ou de la négligence de la demanderesse lors du transport et de la livraison de sept conteneurs maritimes au client de la défenderesse à Bandar Abbas aux termes du connaissement nMSCU-MO7499293?

3. La demanderesse a-t-elle violé le contrat qu’elle a conclu avec la défenderesse ou a-t-elle fait preuve de négligence lors de la manutention des sept conteneurs maritimes et la défenderesse a-t-elle subi des dommages?

ANALYSE

1.         La défenderesse doit-elle à la demanderesse la somme de 30 150 $US, qui représente le fret maritime et les frais connexes pour le transport par mer de neuf conteneurs qui auraient contenu 462 pneus tout-terrains entre Toronto et Bandar Abbas, dans le golfe Persique, aux termes du connaissement no MSCU-MO82233585?

[28]      La défenderesse ne conteste pas le fait que la demanderesse a engagé les frais en question et que la défenderesse ne les lui a pas remboursés. Il incombe toutefois à la demanderesse de prouver que la défenderesse lui doit les frais qu’elle réclame.

[29]      On trouve à l’onglet 4 des réponses de la demanderesse à l’interrogatoire écrit des éléments de preuve relatifs au transport maritime des neuf conteneurs. Le 12e document que l’on trouve à l’onglet 4 est la référence de réservation concernant l’expédition des marchandises aux termes du connaissement MSCU-MO82233585.

[30]      Le 29e document est une description de l’expédition. La mention du prix de 30 150 $US y figure.

[31]      Le 30e document est un avenant au connaissement MSCU-MO82233585.

[32]      Compte tenu des éléments de preuve soumis à la Cour et des faits admis par les parties, je conclus sans hésiter que la défenderesse doit à la demanderesse la somme de 30 150 $US.

2.         La défenderesse a-t-elle le droit d’opérer compensation entre sa créance et la créance de la demanderesse en raison des dommages qu’elle aurait subis par suite de la violation par la demanderesse du contrat qu’elle a conclu avec elle ou de la négligence de la demanderesse lors du transport et de la livraison de sept conteneurs maritimes au client de la défenderesse à Bandar Abbas aux termes du connaissement nMSCU-MO7499293?

[33]      Voici en quels termes l’auteur W. Tetley définit la compensation dans son ouvrage Marine Cargo Claims, 3e éd. (Montréal : Yvon Blais, 1988), à la page 894 :

[traduction] On peut de nos jours définir la compensation comme le droit du débiteur d’obtenir l’extinction totale ou partielle de sa dette liquidée en opérant compensation entre sa créance et celle de son créancier.

[34]      Tetley retrace l’évolution du droit canadien en matière de compensation aux pages 904 à 908 de son ouvrage :

[traduction]

1) Introduction

La jurisprudence canadienne relative à la compensation entre les créances sur facultés et les créances sur fret a longtemps été flottante. Nos tribunaux ont d’abord penché pour la position américaine, mais se sont par la suite rapprochés davantage de la position anglaise. Dans les décisions les plus anciennes concernant tant le transport maritime que le transport terrestre, les tribunaux permettaient la compensation entre les créances sur facultés et les créances sur fret. Aucun tribunal n’a toutefois laissé entendre que la compensation pouvait avoir lieu après l’expiration du délai de prescription d’un an prévu par les règles de La Haye pour l’introduction des poursuites.

Bien que les Règles de la Cour fédérale et le principe de la compensation en equity aient été invoqués pour permettre la compensation, deux juridictions d’appel se sont prononcées contre la compensation entre les créances sur facultés et les créances sur fret.

2) Le droit au fret

Tout comme en Angleterre et aux États-Unis, le fret est exigible au Canada dès la livraison de la cargaison et ce, même si la cargaison a subi des avaries, à moins que le contrat de transport ne stipule le contraire. Habituellement, le connaissement ou le contrat d’affrètement par charte-partie déclare que le fret est dû « qu’il y ait perte ou non du navire ou de la cargaison, ». Cette stipulation ne fait que répéter le droit fondamental du transporteur au paiement du fret.

3) Jurisprudence canadienne antérieure

À l’origine, les tribunaux canadiens compétents en matière d’amirauté permettaient la compensation entre les créances sur facultés et les créances sur fret. En cas de contestation de la créance sur facultés, les deux réclamations étaient instruites en même temps sous forme de demande et de demande reconventionnelle.

De même, les tribunaux saisis de demandes relatives au transport terrestre ont favorisé le droit du propriétaire de la cargaison d’invoquer la perte ou les avaries subies par la cargaison à titre de moyen de défense ou de demande reconventionnelle en réponse à une action en recouvrement du fret.

La Cour suprême du Canada admettait par ailleurs l’introduction d’une demande reconventionnelle par le transporteur pour contribution aux avaries communes en réponse à une demande fondée sur les avaries subies par la cargaison.

4) Les Règles de la Cour fédérale

Les Règles de la Cour fédérale ont toujours favorisé la compensation entre les créances sur fret et les réclamations pour perte ou avaries à la cargaison. L’article 418 [maintenant l’article 186] des Règles vise un acte de procédure qui ressemble à plusieurs égards au moyen de défense du dédommagement qui est reconnu en droit américain. En voici le texte :

« Lorsqu’une demande d’une somme d’argent (d’un montant précisé ou non) faite par un défendeur sert à fonder une défense contre tout ou partie d’une demande faite par le demandeur, elle peut être incluse dans la défense sous forme de compensation ou de set-off avec la demande du demandeur, qu’elle soit ou ne soit pas également faite à titre de demande reconventionnelle. »

On constate à la lecture de cette disposition que le moyen de défense tiré de la compensation peut aussi être invoqué dans le cadre d’une demande reconventionnelle. L’article 1717 [maintenant l’article 189] des Règles prévoit pour sa part ce qui suit :

« (1) Un défendeur dans une action qui prétend avoir droit à un redressement contre un demandeur dans l’action relativement à une question qui se pose à n’importe quel moment ou dans n’importe quelles circonstances, peut, au lieu d’intenter une action distincte, faire une demande reconventionnelle relativement à cette question.

(2) Une demande reconventionnelle doit être comprise dans le même document que les moyens de défense. »

[…]

5) Compensation en equity

Les tribunaux d’amirauté canadiens jouissent d’une compétence en equity qui leur confère un pouvoir discrétionnaire qu’ils ont à l’occasion tenté d’utiliser pour opérer compensation entre une créance sur facultés et une créance sur fret. La compensation en equity serait plus exactement qualifiée de « moyen de défense en equity », étant donné que [traduction] « le défendeur peut, en equity, se servir de sa perte pour réduire ou éteindre le prix du contrat. Elle est de la nature d’un moyen de défense. »

6) La position actuelle

Les deux arrêts récents que la Cour d’appel fédérale a rendus dans les affaires St. Lawrence Construction Ltd. c. Federal Commerce and Navigation Co. Ltd. et S/S Steamship Co. Ltd. c. Eastern Caribbean Container Line semblent avoir mis un terme à la tendance vers une application plus large de la compensation à titre de moyen de défense en droit maritime.

D’ailleurs, dans le jugement St. Lawrence Construction Ltd., le juge de première instance s’est dit d’avis que la question de la compensation du fret impayé était devenue « quelque peu théorique ». Il a conclu, après avoir cité plusieurs décisions, qu’il ne pouvait y avoir de moyen de défense fondé sur la compensation, étant donné que la créance n’était liquidée que lorsqu’elle est fixée par convention ou à la suite d’un renvoi. La Cour d’appel s’est ralliée au juge de première instance et a fait observer que les deux jugements du Québec invoqués par l’intimée en première instance avaient été bien réfutés par « la jurisprudence récente qui semble appuyer fortement l’argument de l’appelante suivant lequel il n’est pas permis d’opérer compensation avec le fret en pareil cas. ».

Dans l’arrêt S/S Steamship Co. Ltd., la Cour d’appel fédérale a également désapprouvé l’utilisation de la compensation comme moyen de défense à une créance sur fret, mais pour des motifs différents. Dans son raisonnement, la Cour d’appel n’a pas assujetti le droit à la compensation à la liquidation de la créance. La Cour a plutôt statué que la règle d’amirauté anglaise était « une règle de fond établie de longue date qui fait partie du droit maritime canadien tel qu’il est défini à l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale » :

«“droit maritime canadien  » désigne le droit dont l’application relevait de la Cour de l’Échiquier du Canada, en sa qualité de juridiction d’amirauté, en vertu de la Loi sur l’Amirauté ou de quelque autre loi, ou qui en aurait relevé si cette Cour avait eu, en sa juridiction d’amirauté, compétence illimitée en matière maritime et d’amirauté, compte tenu des modifications apportées à ce droit par la présente loi ou par toute autre loi du Parlement du Canada. »

Le juge de première instance avait également reconnu l’applicabilité de la règle d’amirauté anglaise, mais comme elle n’avait pas « été clairement endossée par les tribunaux canadiens », le juge de première instance s’était dit « disposé à conclure que, en l’espèce, la défense de compensation doit être accueillie » […]

Les motifs invoqués par la Cour d’appel fédérale pour justifier son refus de reconnaître la compensation à titre de moyen de défense dans une demande portant sur des avaries à la cargaison semblent s’accorder avec la définition de l’expression « droit maritime canadien » que la Cour suprême du Canada a donnée par la suite dans l’arrêt Le Buenos Aires Maru :

« […] L’expression “droit maritime canadien” comprend donc tout cet ensemble de règles de droit appliquées en 1934 en Angleterre par la Haute Cour, en sa juridiction d’amirauté, qui peuvent avoir été à l’occasion modifiées par le Parlement fédéral et qui se sont développées jusqu’à ce jour au gré des précédents judiciaires. »

Il existe donc au Canada un consensus suivant lequel il n’est pas permis d’opérer compensation entre une créance sur facultés et la créance sur fret du transporteur et ce, même si un tribunal anglais a permis une compensation en equity dans le cas d’un loyer d’affrètement à temps. [Renvois omis.]

[35]      Dans l’arrêt S/S Steamship Co. c. Eastern Carribean Container Line S.A., [1986] 2 C.F. 27 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a conclu que le principe de droit maritime anglais qui interdisait la compensation faisait partie du droit maritime canadien. La Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit [aux pages 28 à 30] :

L’appelante avait obtenu un jugement par défaut condamnant Eastern Caribbean Container Line S.A. (« Eastern ») à lui payer la somme de 111 296,05 $. Elle a entamé des procédures de saisie-arrêt contre Brunswick International Seafoods Ltd. (« Brunswick ») dont il était allégué qu’elle devait une somme de 8 700 $US à Eastern, cette somme représentant le fret prévu dans un connaissement maritime pour le transport de marchandises. Une ordonnance prescrivant à Brunswick d’exposer les raisons pour lesquelles elle ne devrait pas payer a été prononcée conformément à la Règle 2300(1) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]. Brunswick, comparais-sant pour satisfaire à cette ordonnance, a nié être redevable de cette somme. Elle n’a pas nié avoir promis de payer à Eastern la somme de 8 700 $US à titre de fret pour le transport par bateau d’une certaine quantité de poisson de Saint John, au Nouveau-Brunswick, à Port-au-Prince, en Haïti; elle n’a pas non plus nié qu’Eastern ait, en fait, transporté le poisson jusqu’à sa destination. Elle a toutefois dit qu’Eastern s’était engagée à livrer le poisson à Port-au-Prince le 1er juin 1984 et ne l’avait, en fait, livré que le 26 juin 1984. Brunswick a affirmé qu’ayant, à cause de ce retard, subi des dommages s’élevant à 12 000 $US, elle a le droit de recouvrer cette somme d’Eastern. Elle a conclu que ne devant, en conséquence, rien à Eastern, la demande d’ordonnance de saisie-arrêt devait être rejetée.

[…]

Le juge Dubé a reconnu à bon droit [à la page 287] qu’« [u]n examen de la common law anglaise en matière d’amirauté révèle que la compensation des dommages-intérêts ne peut être soulevée comme moyen de défense à une action pour fret dû en vertu d’un connaissement ». Selon son opinion [à la page 291], toutefois, cette interdiction « n’a pas été clairement endossée par les tribunaux canadiens »; pour ce motif, il dit [à la page 292] être « disposé à conclure que, en l’espèce, la défense de compensation doit être accueillie ».

À notre avis, la règle d’amirauté anglaise dont il est question en l’espèce est une règle de fond établie de longue date qui fait partie du droit maritime canadien tel qu’il est défini à l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10]. Il importe peu qu’elle n’ait pas « été clairement endossée par les tribunaux canadiens »; il suffit qu’elle n’ait été clairement rejetée dans aucune des décisions mentionnées par le juge Dubé.

Par conséquent, il aurait dû conclure que Brunswick n’avait pas le droit d’opposer la compensation entre sa demande de dommages-intérêts et la réclamation d’Eastern au chef du fret. [Renvois omis.]

[36]      Dans l’affaire Pantainer Ltd. c. 996660 Ontario Ltd. (exerçant son activité sous le nom de Molisana Imports) (2000), 5 B.L.R. (3d) 237 (C.F. 1re inst.), la Cour était saisie d’une requête en jugement sommaire présentée par les demanderesses en vue de recouvrer des sommes dues par la défenderesse pour le fret et certains frais accessoires. La défenderesse affirmait que les avaries causées à la cargaison et les pertes financières imputables aux présumés manquements au contrat commis par la demanderesse lui donnait le droit d’exiger la compensation entre sa créance et la créance sur fret de la demanderesse. Le juge Teitelbaum a conclu ce qui suit [aux paragraphes 84, 85 et 94] :

La règle générale voulant que le fret soit payé sans aucune déduction, à moins d’une entente contraire entre les parties, est dérivée de l’arrêt Aries Tanker Corporation v. Total Transport Ltd., [1977] 1 Lloyd’s Rep. 334 (H.L.), souvent cité comme l’affaire Aries, où lord Simon of Glaisdale a déclaré à la page 340 :

[traduction] Le fret, qui représente la règle établie à l’origine, reste inchangé, comme un affleurement de roches précambriennes dépassant d’un magma de dépôts sédimentaires. Les éditions successives de Scrutton et Carver précisent qu’en l’absence de stipulation contraire, le fret doit être payé sans aucune déduction. Les chartes-parties ont toujours été négociées en tenant compte de cette règle.

En l’espèce, la défenderesse prétend que le dommage aux marchandises et les pertes financières attribuables, selon ce qu’allègue la défenderesse, aux manquements aux contrats par les demanderesses lui donnent un droit de compensation contre la demande portant sur le fret. Toutefois, selon les conditions des documents de transport, les parties n’avaient pas convenu de déroger à la règle générale voulant que le fret soit payé sans déduction et on ne trouve de clause pénale dans aucun des contrats.

[…]

Je suis d’avis qu’aucune clause des conditions fixées par les parties ne suggère que l’ancienne règle anglaise voulant que le fret soit payable sans déduction ne s’applique pas et, en conséquence, je conclus que la défenderesse doit la somme de 144 037,98 $ aux demanderesses.

[37]      Par conséquent, sauf en cas de disposition contraire stipulée au contrat, il semble que la défenderesse ne puisse, en défense, opposer la compensation entre sa demande de dommages-intérêts et la réclamation de la demanderesse au chef du fret impayé.

[38]      Suivant la demanderesse, les modalités du contrat de transport applicable prévoient que la créance sur fret du transporteur ne peut faire l’objet d’une compensation, ainsi qu’il est stipulé à l’article 16 du connaissement applicable.

[39]      L’article 16 du connaissement MSCU- MO7499293 (annexe E de l’affidavit de Ata Olfati) stipule :

[traduction] 16. Fret. Le fret est toujours dû au transporteur, que le navire ou les marchandises arrivent ou non au port de destination, que le navire ou les marchandises se perdent au cours du voyage et que les marchandises subissent des avaries en cours de transport ou qu’il y ait des manquants à l’arrivée. Le transporteur a droit au paiement de la totalité du fret (en tant que faux fret sans déduction) de la part du marchand pour la totalité des marchandises que, malgré son engament ferme, il n’a pas pu livrer au navire. Le marchand n’a en aucun cas le droit d’opérer compensation entre le fret et la créance qu’il peut avoir contre le transporteur, y compris en cas de fuites, de tassage, de manquants ou d’avaries. Le marchand est tenu de payer les frais supplémentaires causés par le défaut de livrer la marchandise conformément aux dispositions de l’article 5.

a)    La pesée des marchandises ne peut avoir lieu à bord du navire qu’avec la permission du transporteur. Les dépenses entraînées par la pesée des marchandises à bord du navire, de même que les dépenses supplémentaires entraînées par le déchargement et la livraison en raison de la pesée des marchandises à bord du navire sont supportées par le marchand, malgré tout usage en vigueur au port en question.

b)    Une fois que les marchandises ont été expédiées, le marchand ne peut les retirer qu’avec le consentement du transporteur et contre versement de la totalité du fret et d’une indemnité pour les dépenses entraînées par ce retrait.

c)    Le marchand est tenu de payer la totalité des droits, taxes, frais et autres dépenses se rapportant aux marchandises.

d)    Le marchand rembourse le transporteur en proportion de la valeur du fret correspondant à toute hausse de la prime d’assurance contre les risques de guerre et de toute hausse du salaire du capitaine, des officiers et de l’équipage imputable aux risques de guerre, de même qu’à toute augmentation du coût du combustible de soute et toute déviation ou retard causés par la guerre ou par des activités s’y apparentant ou à la suite d’ordres donnés par l’État à cet égard. [Non souligné dans l’original.]

[40]      Il convient cependant de signaler que, dans son affidavit, Ata Olfati, un des administrateurs et dirigeants de la défenderesse, explique qu’il avait été convenu entre la demanderesse et la défenderesse que la demanderesse fournirait :

-      un connaissement visant la totalité du chargement avec un avenant confirmant le contenu de chaque chargement, le nombre de conteneurs, les couvercles de conteneurs, le poids et le nombre de pneus se trouvant dans chaque conteneur;

-      des listes d’emballage;

-      des factures de fret;

-      des certificats de classification attestant que les marchandises, avec leur description complète, ont été transportées à bord d’un navire classé par la S/S Steamship Co. Ltd. en sa qualité de mandataire de la demanderesse.

[41]      Ata Olfati souligne que la demanderesse n’a jamais signalé à l’attention de la défenderesse le détail des clauses de ces documents. La demanderesse n’a jamais passé en revue les clauses de ces documents avec la défenderesse. La défenderesse n’était pas au courant des clauses limitatives et d’exclusion que la demanderesse invoque maintenant.

[42]      En ce qui concerne le moyen tiré de la compensation, je crois qu’il importe peu que la défenderesse ait été ou non au courant de la clause limitative relative à la compensation, puisqu’elle ne peut invoquer ce moyen de défense en equity et que, comme le contrat ne permet pas la compensation, elle ne peut non plus invoquer ce moyen de défense en vertu de la common law. Si la défenderesse voulait invoquer la compensation, elle aurait dû insérer une clause en ce sens dans le contrat et inviter la demanderesse à y consentir. Même si le connaissement était muet au sujet du moyen de défense de la compensation, la défenderesse n’aurait pu faire valoir ce moyen de défense que si le contrat prévoyait expressément qu’elle pouvait le faire.

[43]      Néanmoins, bien que le moyen de défense de la compensation ne peut être invoqué, la défenderesse a également introduit une demande reconventionnelle pour les dommages qu’elle affirme avoir subis en raison de la violation du contrat et de la négligence de la demanderesse. Étant donné qu’une demande reconventionnelle est essentiellement une action indépendante, la défenderesse peut malgré tout obtenir des dommages-intérêts pour les pertes qu’elle affirme avoir subies.

[44]      Le paragraphe 189(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] dispose :

189. (1) Le défendeur qui fait valoir contre le demandeur un droit de réparation peut, au lieu d’intenter une action distincte, faire une demande reconventionnelle.

[45]      La demanderesse est d’avis que l’action de la défenderesse est prescrite en vertu des règles de La Haye ou des règles de La Haye-Visby. Les règles en question ont été incorporées à notre droit interne en vertu de la Loi sur le transport des marchandises par eau, L.C. 1993, ch. 21. Le paragraphe 7(1) est ainsi libellé :

7. (1) Les règles de La Haye-Visby ont force de loi au Canada.

[46]      Le troisième paragraphe de l’article III(6) des règles de La Haye-Visby (annexe I de la Loi sur le transport des marchandises par eau prévoit ce qui suit :

Article III

6. […]

Sous réserve des dispositions du paragraphe 6bis, le transporteur et le navire seront en tout cas déchargés de toute responsabilité, à moins qu’une action ne soit intentée dans l’année de délivrance des marchandises ou de la date à laquelle elles eussent dû être délivrées. Ce délai peut toutefois être prolongé par un accord conclu entre les parties postérieurement à l’événement qui a donné lieu à l’action.

[47]      Il est possible que la date d’arrivée de la marchandise au port de destination ne corresponde pas à la date de livraison dont il est question à l’article III(6) des règles de La Haye-Visby.

[48]      Dans son ouvrage précité, Marine Cargo Claims, W. Tetley explique que le délai d’un an commence à courir à compter de la livraison et non du déchargement. Voici la définition qu’il donne du mot « livraison » aux pages 671 et 672 :

[traduction] La livraison effective a lieu lorsque le transporteur ou le manutentionnaire ou le préposé de la gare maritime remet effectivement la possession des marchandises au destinataire ou à la personne désignée par le destinataire.

[…]

Il y a présomption de livraison lorsqu’un avis a été donné au sujet du lieu et de la date d’arrivée du navire, que les marchandises ont été déchargées en un lieu sûr et approprié, qu’elles ont été séparées et sont prêtes à être livrées et qu’un délai raisonnable a été accordé au destinataire pour les enlever. [Renvoi omis.]

[49]      À la page 673, W. Tetley poursuit en expliquant ce qui suit :

[traduction] Dans le cas d’une cargaison importante, la livraison a lieu le jour où la dernière marchandise a été déchargée et a été effectivement livrée ou est présumée avoir été livrée. [Renvoi omis.]

[50]      À la note 9 de la page 673 de Marine Cargo Claims, l’auteur cite la décision Loeb v. S.S. Washington Mail, 150 F. Supp. 207 (S.D. N.Y. 1956) et affirme ce qui suit :

[traduction] Un navire a déchargé sa cargaison le 8 octobre 1951. Le destinataire a reçu une partie de la cargaison le 11 octobre 1951. Il manquait cependant une partie de la cargaison et le tri de toute la cargaison déchargée du navire s’est poursuivi jusqu’au 31 octobre 1951, date à laquelle les dernières marchandises ont été livrées à divers destinataires et où l’on a conclu que le reste de la cargaison avait été perdue Le destinataire a intenté une poursuite le 14 octobre 1952 relativement aux manquants en question et le tribunal a statué que le procès pouvait valablement être intenté jusqu’au 31 octobre 1952.

[51]      Il ressort de la preuve que, suivant les renseignements fournis par la défenderesse, le septième conteneur n’est arrivé à destination qu’au début du mois de juillet 1998. La demanderesse n’a jamais informé la défenderesse de la date à laquelle elle croit que le septième conteneur est arrivé à destination.

[52]      La demanderesse/défenderesse reconventionnelle explique ce qui suit en réponse à la question 5e) qui lui a été posée lors de l’interrogatoire écrit :

[traduction] La demanderesse se reporte ici aux pièces 15, 17 et 18 de son affidavit. Le septième conteneur a été chargé à bord de l’« Atlantic Cartier » V. 818 à Halifax le 12 mai 1998 et a été transbordé sur le MSC « Martina » V. 9821-1 qui a quitté Anvers le 26 mai 1998. Le conteneur est arrivé par la suite au port de destination au début de juin. Il n’existe pas de documents à l’appui à ce moment-ci au sujet de la date exacte de l’arrivée à destination.

[53]           Il y a lieu de noter, comme l’explique W. Tetley dans son ouvrage Marine Cargo Claims, précité, à la page 673, que :

[traduction] Les clauses du connaissement qui déclarent que la livraison a lieu au moment du déchargement sont nulles et de nul effet en ce qui concerne le délai de prescription d’un an applicable aux actions en justice, parce que les règles de La Haye et les règles de La Haye-Visby prévoient que les actions en justice se prescrivent par un an à compter de la livraison et non du déchargement de la marchandise. [Renvoi omis.]

[54]      La demanderesse a déposé sa déclaration le 2 mars 1999. La défenderesse a déposé sa défense et demande reconventionnelle le 18 juin 1999. Suivant la demanderesse, la défenderesse a introduit son action plus d’un an après l’arrivée prévue de la cargaison.

[55]      Selon les affidavits et l’interrogatoire des témoins, on ne sait pas avec certitude la date précise à laquelle le septième conteneur a été livré.

[56]      J’accepte que le délai de prescription d’un an commence à courir à la date de livraison et non à la date du déchargement, comme W. Tetley l’affirme à la page 671 de son ouvrage (op.cit.), et que la livraison a lieu le jour où les dernières marchandises, en l’occurrence, le septième conteneur, sont déchargées et sont effectivement ou présumément livrées, comme le signale encore W. Tetley à la page 673 (op.cit.).

[57]      Dans son affidavit, M. Olfati affirme que le septième conteneur a été livré au cours de la première semaine de juillet 1998. M. Olfati a répété cette affirmation lors du contre-interrogatoire qu’il a subi au procès (à la page 203 de la transcription).

[58]      Compte tenu du fait que la défenderesse a déposé sa défense et demande reconventionnelle le 18 juin 1999, la défenderesse a introduit son action dans l’année de la livraison et, en conséquence, la demande reconventionnelle de la défenderesse n’est pas prescrite en vertu des règles de La Haye ou des règles de La Haye-Visby.

3.         La demanderesse a-t-elle violé le contrat qu’elle a conclu avec la défenderesse ou a-t-elle fait preuve de négligence lors de la manutention des sept conteneurs maritimes et la défenderesse a-t-elle subi des dommages?

[59]      L’article III(2) des règles de La Haye-Visby dispose :

Article III

[…]

2. Le transporteur, sous réserve des dispositions de l’article IV, procédera de façon appropriée et soigneuse au chargement, à la manutention, à l’arrimage, au transport, à la garde, aux soins et au déchargement des marchandises transportées.

[60]      Dans son ouvrage Marine Cargo Claims, précité, Tetley explique, à la page 527, que cette obligation lors du chargement est vaste :

[traduction] Cette obligation, lors du chargement, est extrêmement large. Elle signifie que la cargaison doit être chargée dans de bonnes conditions de sécurité, qu’elle est chargée sans retard et qu’elle est arrimée de manière qu’on puisse la trouver pour la décharger rapidement et sans danger.

[61]      Il poursuit à la page 530 :

[traduction] L’obligation imposée au transporteur lors du chargement est rigoureuse en raison des mots « de façon appropriée et soigneuse ». Il existe une abondante jurisprudence erronée suivant laquelle l’obligation de « procéder au chargement » que l’on trouve au par. 3(2) au nombre des obligations de procéder « au chargement, à la manutention, à l’arrimage, au transport, à la garde, aux soins et au déchargement » n’est pas stricte mais qu’il suffit pour le transporteur de faire preuve de diligence raisonnable lors du chargement. L’expression « diligence raisonnable » n’apparaît dans les règles de La Haye et les règles de La Haye-Visby qu’aux articles 3(1) et 4(1), c.-à-d. lorsqu’il s’agit de mettre le navire en état de navigabilité, et à l’alinéa 4(2)p) lorsqu’il est question de « vices cachés échappant à une diligence raisonnable ». L’obligation applicable au chargement dont il est question à l’article 3(2) n’est pas modifiée par les mots « diligence raisonnable », mais par l’expression « de façon appropriée et soigneuse », qui dénote une obligation rigoureuse. [Renvois omis.]

[62]      À la page 133 de Marine Cargo Claims, précité, Tetley déclare qu’en matière de demandes d’indemnité pour pertes ou avaries de marchandises, il existe trois principes de preuve qui reviennent constamment dans toute la jurisprudence relative aux règles de La Haye et les règles de La Haye-Visby. Voici comment Tetley formule ces principes [aux pages 133, 137 et 139] :

[traduction] […] Le transporteur est présumé responsable de la perte ou de l’avarie subie par les marchandises reçues en bon état lorsqu’elles sont constatées manquantes ou en mauvais état au débarquement.

[…]

[…] les parties sont en règle générale tenues de faire la preuve de tous les faits dont ils ont eu connaissance.

[…]

[…] la charge de la preuve n’oblige pas la partie sur qui elle repose à faire la preuve de toutes les circonstances jusqu’à l’absurdité, mais à rapporter la preuve des faits dans la mesure du raisonnable.

[63]      Il explique aussi, à la page 142, que bien que les règles de La Haye-Visby ne précisent pas l’ordre dans lequel le créancier maritime sur facultés et la personne qu’il poursuit doivent présenter leur preuve, il existe une similitude frappante en ce qui concerne l’ordre de présentation de la preuve exigé par les tribunaux des divers pays qui ont adopté les règles de La Haye-Visby. Cet ordre est le suivant, aux pages 142 et 143 :

[traduction]

(i)    Le demandeur doit d’abord faire la preuve de sa perte;

(ii)   Le transporteur doit ensuite prouver : a) la cause de la perte; b) qu’il a exercé une diligence raisonnable pour mettre le navire en bon état de navigabilité en ce qui concerne la perte en question; c) qu’il est dégagé de toute responsabilité en vertu d’une des clauses d’exonération de responsabilité prévues aux règles;

(iii)  Le demandeur peut ensuite invoquer divers moyens;

(iv)  Finalement, il y a un moyen terme où les deux parties peuvent rapporter diverses autres preuves supplémentaires.

1) Ce que le demandeur doit prouver :

Au départ, la charge de la preuve incombe au demandeur, qui doit prouver les six éléments suivants pour établir le bien-fondé de sa cause :

a)    Le demandeur est le propriétaire des marchandises et/ou est la personne qui a le droit de présenter la demande;

b)    Le contrat ou le délit;

c)    La personne visée par la demande est la personne responsable;

d)    La perte ou le dommage a eu lieu alors que les marchandises se trouvaient entre les mains du transporteur. Pour ce faire, on établit habituellement l’état dans lequel étaient les marchandises lorsque le transporteur les a reçues et leur état lors du déchargement;

e)    L’ampleur matérielle du dommage ou de la perte;

f)     La valeur pécuniaire réelle de la perte ou du dommage.

2) Ce que le transporteur doit prouver :

Le transporteur doit alors prouver les trois éléments suivants :

a)    La cause de la perte;

b)    La diligence raisonnable exercée pour mettre le navire en bon état de navigabilité en ce qui concerne la perte en question;

c)    L’un des moyens d’exonération suivants :

(i)    une erreur dans la navigation ou dans la conduite du navire;

(ii)   un incendie;

(iii)  un péril de la mer ou un autre moyen d’exonération analogue, c’est-à-dire les cas de force majeure, les faits de guerre, les faits d’ennemis publics, la contrainte de prince, la quarantaine, les grèves, les émeutes, et les sauvetages;

(iv)  des actes ou des omissions du chargeur;

(v)   un vice propre à la marchandise;

(vi)  une insuffisance d’emballage;

(vii) des vices cachés;

(viii) toute autre cause.

3) Moyens que le demandeur peut alors invoquer :

a)    Négligence lors du chargement;

b)    Négligence lors de l’arrimage;

c)    Absence d’une partie de la cargaison;

d)    Négligence lors du déchargement. [Renvois omis.]

[64]      Voici ce que le juge Rouleau a déclaré, dans le jugement Francosteel Corp. c. Fednav Limited (1990), 37 F.T.R. 184 (C.F. 1re inst.), au sujet du fardeau de la preuve en matière de négligence [à la page 194] :

Les précédents sont clairs : il incombe au demandeur de prouver que les biens ont été endommagés au moment où ils étaient entre les mains du transporteur. Pour ce faire, il cherche habituellement à montrer que les biens ont été remis au transporteur en bon état et qu’ils ont été reçus endommagés. Le transporteur doit ensuite illustrer que les dommages s’inscrivent dans une clause d’exemption prévue dans les règles de La Haye; s’il réussit, il incombe au demandeur de prouver que les dégâts sont le résultat d’une négligence de la part du transporteur. Si toutefois ce dernier ne peut établir que les dégâts font l’objet d’une exemption, il lui appartient alors de prouver que sa propre négligence ne serait pas la source des pertes. (Voir Vancouver SS. Co. c. Herdman & Sons (1933), 45 Ll. L. Rep. 223; Kruger Inc. et al c. Baltic Shipping Co. (1989), 57 D.L.R. (4th) 498, à la p. 502; Associated Metals et Minerals Corp. c. Etelac Suomin Laiva (1989), A.M.C. 677; Caemint Food Inc. (1981), A.M.C. 1801).

[65]      Pour décider si les parties ont satisfait aux règles de preuve exposées par Tetley, je vais maintenant évaluer la preuve écrite et les témoignages donnés par les témoins au procès.

[66]      Au sujet de ce que la demanderesse doit prouver, la défenderesse a établi les faits suivants :

a) La défenderesse est la propriétaire des marchandises;

b) Il existe un contrat valide entre les parties et la demanderesse a fait preuve de négligence lors de la manutention du septième conteneur;

c) La personne visée par la demande (la demanderesse, en l’occurrence) est la personne responsable;

d) La perte ou le dommage a eu lieu alors que les marchandises se trouvaient entre les mains du transporteur, c.-à-d. entre les mains de la demanderesse;

e) La défenderesse a établi l’ampleur matérielle du dommage ou de la perte, en l’occurrence la livraison du septième conteneur au cours de la première semaine de juillet 1998 alors que ce conteneur était censé être livré en mars, conformément aux déclarations de la défenderesse;

f) La défenderesse a présenté certains éléments de preuve au sujet de la valeur pécuniaire réelle de la perte ou du dommage. [Nous reviendrons plus loin sur cette question.]

[67]      Pour répondre aux éléments établis par la défenderesse, le transporteur (la demanderesse, en l’espèce) a prouvé ce qui suit :

a) Il ressort des affidavits et du contre-interrogatoire des témoins que, en droit, la cause de la perte est une erreur de manutention du septième conteneur, ce que le transporteur semble admettre;

b) Le transporteur a exercé une diligence raisonnable pour mettre le navire en bon état de navigabilité en ce qui concerne la perte en question.

[68]      À mon avis, le transporteur n’a pas réussi à invoquer l’un des moyens d’exonération de responsabilité mentionnés par Tetley pour expliquer le retard de quatre mois qu’accusait la livraison du septième conteneur.

[69]      Finalement, la Cour doit évaluer les moyens que la défenderesse peut faire valoir pour expliquer la perte. Voici ces arguments :

a) Il y a probablement eu négligence lors du chargement lorsqu’on s’est rendu compte que seulement six des sept conteneurs avaient été chargés à bord. La défenderesse a malgré tout insisté pour qu’il soit indiqué au connaissement que sept conteneurs avaient été chargés malgré le fait qu’en réalité, seulement six conteneurs avaient été chargés à bord. La demanderesse ne prétend pas que la cargaison a été livrée en mauvais état. Elle affirme que les dommages se sont produits lorsque les conteneurs étaient entreposés;

b) Il n’y a pas de preuve ou d’argument qu’il y a eu négligence lors de l’arrimage;

c) La demanderesse affirme qu’il manquait de la marchandise, en février, lors du chargement, à Halifax. Néanmoins, la cargaison a finalement été intégralement livrée en juillet 1999, de sorte que la perte véritable n’est pas l’absence d’une partie de la cargaison, mais la négligence lors de la livraison du septième conteneur;

d) Il n’y a pas de preuve ou d’argument qu’il y a eu négligence lors du déchargement.

[70]      Pour être bref, seulement six conteneurs ont été chargés le 2 février 1998.

[71]      Suivant les témoignages entendus au procès, M. Manuk, qui était un employé de la demanderesse, a reçu un appel téléphonique de M. Saeed, un consultant de la défenderesse, au sujet du fait que seulement six conteneurs avaient été chargés à bord du navire. Le représentant de la défenderesse a ensuite demandé que le connaissement porte sur sept conteneurs même si seulement six avaient été expédiés.

[72]      Il ressort de ce témoignage que le 3 février 1998, le lendemain du départ du navire de Halifax avec six conteneurs, les deux parties étaient au courant qu’il manquait un conteneur.

[73]      À mon avis, pour respecter son contrat et son engagement commercial, la demanderesse aurait dû prendre toutes les mesures possibles pour s’assurer que le septième conteneur soit chargé à bord du prochain navire disponible en partance de Halifax pour l’Europe.

[74]      Or, ce n’est pas ce qui s’est produit. Ce n’est que lorsque les six conteneurs ont été entreposés en Iran et que les Iraniens se sont aperçus qu’il manquait un conteneur que la demanderesse s’est finalement réveillée et a pris des mesures pour retracer le conteneur à Halifax et pour l’expédier en Iran.

[75]      C’est à ce moment précis que le transporteur a commencé à rechercher le conteneur manquant et qu’il a fait le nécessaire pour l’expédier de Halifax, où il se trouvait encore en mai, jusqu’à sa destination finale, où il est arrivé en juillet.

[76]      Les employés de la demanderesse ont témoigné de bonne foi et je n’ai aucune hésitation à conclure que la demanderesse a fait preuve de négligence lors de la manutention du septième conteneur.

[77]      Il ressort toutefois aussi de la preuve que, compte tenu du fait que le connaissement portait sur sept conteneurs, il y a eu un problème lors du déchargement lorsque la cliente de la défenderesse a essayé de dédouaner les six conteneurs et que les autorités douanières iraniennes se sont rendu compte qu’il n’y avait que six conteneurs et non sept, contrairement à ce qui était déclaré sur le connaissement.

[78]      Je tiens donc également compte du fait que la défenderesse a une part de responsabilité en raison du fait qu’elle a demandé que le connaissement soit signé même s’il n’était pas exact. De fait, c’est ce point précis qui a causé des problèmes à la livraison, lorsque les douaniers iraniens se sont dits préoccupés par le fait que seulement six conteneurs étaient livrés alors que le connaissement déclarait que sept conteneurs étaient censés être livrés.

[79]      La demanderesse a affirmé, à l’audience, que le connaissement limite sa responsabilité envers la défenderesse. La demanderesse invoque les articles 4 et 17 du connaissement, dont voici le texte :

[traduction]

4. CADRE DU VOYAGE. Le voyage entrepris aux termes des présentes englobe les ports d’escale habituels, prévus ou annoncés, qu’ils soient nommés ou non dans le présent contrat, de même que les ports situés à l’intérieur ou à l’extérieur de l’itinéraire géographique habituel, prévu ou annoncé et ce, même si ce faisant, le navire peut naviguer au-delà du port de déchargement ou dans la direction opposée ou s’écarter de la route directe ou habituelle ou prendre une direction contraire. Le navire peut faire escale dans tout port dans le cadre du présent voyage ou de tout voyage ultérieur. Le navire peut omettre de faire escale dans tout port prévu ou non et peut faire escale dans le même port à plusieurs reprises, que le navire soit sur lest ou qu’il soit chargé. Il peut, avant de se rendre au port de déchargement ou après y être arrivé, régler les compas, passer en cale sèche ou en cale de halage, être mis au radoub, changer de poste de mouillage, faire l’objet d’un dégazage, d’une démagnétisation ou de mesures semblables, se ravitailler, en carburant ou en fournitures, débarquer tout passager clandestin, demeurer dans un port déterminé, naviguer sans pilote, remorquer et être remorqué et sauver ou tenter de sauver des vies ou des biens, tout ce qui précède étant compris dans le voyage visé par le contrat. Le navire ne doit jamais être appelé à aller à un endroit où il ne peut sans danger se rendre et demeurer toujours à flot, en sécurité.

[…]

17. DURÉE DE LA RESPONSABILITÉ. Le transporteur et son mandataire ne peuvent être tenus responsables, à quelque titre que ce soit, des pertes ou avaries subies par les marchandises avant le chargement ou après le déchargement, indépendamment de la façon dont ces pertes ou avaries surviennent. Le marchand assume entièrement les risques relatifs aux marchandises qui se trouvent sous la garde du transporteur ou de ses préposés avant le chargement ou après le déchargement, qu’elles soient acheminées vers le bateau ou depuis celui-ci et qu’elles soient en attente d’expédition, placées à terre ou entreposées, chargées à bord de pontons ou d’embarcations appartenant au transporteur, ou qu’elles soient en voie de transbordement. Le transporteur ne peut être tenu responsable de quelque perte ou avarie découlant de quelque cause que ce soit. Si les marchandises sont expédiées en provenance ou à destination des États-Unis d’Amérique, la COGSA des É.-U. s’applique avant le chargement et après le déchargement tant et aussi longtemps que les marchandises demeurent sous la garde et le contrôle du transporteur.

[80]      La demanderesse invoque également l’article 7, qui prévoit ce qui suit :

[traduction] 7. DATES DE DÉPART ET D’ARRIVÉE. Les dates de départ et d’arrivée figurant aux listes de position des navires de ligne du transporteur, horaires d’appareillage et autres avis sont données sans garantie et toute demande portant sur un changement de date est irrecevable, même dans le cas de non-départ du navire pour quelque cause que ce soit. Le transporteur a le droit de modifier sans préavis les dates d’appareillage et d’arrivée.

[81]           L’article III(8) des règles de La Haye-Visby dispose :

Article III

[…]

8. Toute clause, convention ou accord dans un contrat de transport exonérant le transporteur ou le navire de responsabilité pour perte ou dommage concernant des marchandises provenant de négligence, faute ou manquement aux devoirs ou obligations édictés dans le présent article ou atténuant cette responsabilité autrement que ne le prescrivent les présentes règles sera nul, non avenu et sans effet.

[82]      L’article VII des règles de La Haye-Visby prévoit par ailleurs ce qui suit :

Article VII

[…]

Aucune disposition des présentes règles ne défend à un transporteur ou à un chargeur d’insérer dans un contrat des stipulations, conditions, réserves ou exonérations relatives aux obligations et responsabilités du transporteur ou du navire pour la perte ou les dommages survenant aux marchandises, ou concernant leur garde, soin et manutention, antérieurement au chargement et postérieurement au déchargement du navire sur lequel les marchandises sont transportées par eau.

[83]      À la page 843 de Marine Cargo Claims, précité, Tetley explique ce qui suit :

[traduction] Le critère régissant la validité d’une clause limitative déterminée est celui de savoir si elle contrevient aux règles de La Haye ou aux règles de La Haye-Visby ou si elle diminue la responsabilité du transporteur prévue par les règles en question.

Une règle empirique permettant de vérifier la validité d’une clause de limitation de responsabilité consiste à se demander si elle tombe sous le coup de l’exception prévue à l’alinéa 4(2)q). C’est ce que le tribunal a expliqué de façon succincte dans l’affaire Canadian National Steamships v. Bayliss (Lady Drake) :

« Le moyen de défense tiré de l’exception précitée prévue au connaissement ne peut produire d’effets distincts; il se confond avec les exceptions énumérées à l’alinéa IV(2)q) des règles. En d’autres termes, cette clause n’accorde pas au transporteur une plus grande protection que celle que lui confère par ailleurs l’alinéa q) en question. » [Renvois omis.]

[84]      L’article IV(2)q) est ainsi libellé :

Article IV

[…]

2. Ni le transporteur ni le navire ne seront responsables pour perte ou dommage résultant ou provenant :

[…]

q) de toute autre cause ne provenant pas du fait ou de la faute du transporteur ou du fait ou de la faute des agents ou préposés du transporteur, mais le fardeau de la preuve incombera à la personne réclamant le bénéfice de cette exception et il lui appartiendra de montrer que ni la faute personnelle ni le fait du transporteur n’ont contribué à la perte ou au dommage.

[85]      Aux pages 852 et 853 de son ouvrage Marine Cargo Claims, précité, Tetley explique en outre ce qui suit :

[traduction] La Cour suprême des États-Unis a posé le principe applicable en ce qui concerne la validité des clauses limitatives dans l’arrêt The Vallescura, qui a été rendu avant l’adoption de la COGSA. Dans cette affaire, le connaissement prévoyait une exception dans le cas de « dégradation ». Sans déclarer l’exception invalide, la Cour a obligé le transporteur à remplir les obligations que la Harter Act mettait à sa charge, en l’occurrence s’occuper de la cargaison, prévoir un arrimage approprié, etc. :

En l’espèce, la stipulation en cause concernait une exonération de responsabilité dans le cas d’un type particulier de préjudice, la dégradation. Mais la dégradation de marchandises périssables ne constitue pas une cause, mais bien un effet. Elle peut être attribuable à une foule de causes, dont, pour certaines, comme les défauts inhérents de la cargaison, ou, selon le contrat, un péril de la mer faisant en sorte qu’il soit impossible d’assurer une ventilation adéquate, le transporteur n’est pas responsable. Pour d’autres, comme une négligence lors de l’arrimage ou le défaut de s’occuper comme il se doit de la cargaison au cours du voyage, pour lesquelles le transporteur est responsable. La stipulation n’ajoute donc rien aux causes de préjudice pour lesquelles le transporteur pouvait revendiquer une exonération de responsabilité. Elle ne pouvait le soustraire à sa responsabilité pour manque de diligence dans l’arrimage ou la garde de la cargaison.

[…]

Dans l’affaire Levatino v. Gen. Steam Navigation Co., une partie de la cargaison de châtaignes avait été déchargée, à la suite de quoi le navire avait été envoyé en cale sèche pendant une journée. Le reste de la cargaison avait été déchargée après le passage en cale sèche, mais le marché avait subi un fléchissement de 40 % dans l’intervalle. Le tribunal a statué ce qui suit :

Eu égard aux circonstances de la présente affaire, les clauses d’exonération de responsabilité stipulées dans les connaissements prévoyaient que le transporteur n’était pas tenu de livrer la cargaison à temps pour répondre aux besoins d’un marché déterminé ou dans tout autre délai précis. Elles stipulaient en outre que le transporteur n’était pas responsable des dommages particuliers ou des dommages indirects et qu’il pouvait envoyer le navire en cale sèche. Ces dispositions des connaissements sont exécutoires sur le plan juridique et sont parfaitement valables parce qu’elles ne visent nullement à soustraire le transporteur aux conséquences de sa négligence, de sa faute ou de son défaut d’accomplir les obligations qu’il avait contractées envers le demandeur. [Renvois omis.]

Autrement dit, la clause n’accordait pas au transporteur plus de droits que ceux que lui reconnaissaient les règles.

[86]      À mon avis, la demanderesse essaie d’invoquer les clauses de limitation de responsabilité qui sont stipulées dans le connaissement pour se soustraire aux conséquences de sa négligence. Or, cela n’est pas permis par l’article III(8) des règles de La Haye-Visby et j’en conclus donc que la responsabilité de la demanderesse n’est pas limitée par les clauses du connaissement.

[87]      Il reste toutefois à savoir si la défenderesse peut obtenir des dommages-intérêts.

[88]      Avant de pousser plus loin toute analyse concernant le type de dommages-intérêts que la défenderesse peut obtenir en vertu du contrat ou du fait de la négligence de la demanderesse, je vais examiner la question de savoir si la défenderesse a démontré qu’elle a subi un préjudice.

[89]      La défenderesse affirme qu’elle a subi un préjudice en raison du fait que le septième conteneur n’est arrivé à destination qu’en juillet. La défenderesse réclame la somme de 62 921 $US à titre de dommages-intérêts. Ces dommages-intérêts s’établissent de la manière suivante dans la facture commerciale en date du 14 décembre 1998 que la défenderesse a fait parvenir à la demanderesse :

a) frais de transfert, d’entreposage, d’assurance et de manutention des six premiers conteneurs9 334 $US;

b) frais de réinspection de la cargaison et débours engagés par la défenderesse pour se rendre à Bandar Abbas16 750$;

c) honoraires d’avocats : 4 350 $CAN à 1,5 $US = 1 $CAN = 2 900 $US;

d) valeur de remplacement CAF des articles défectueux : 29 754 $US;

e) frais bancaires et d’intérêts engagés par la défenderesse : 4 183 $US.

[90]      La défenderesse réclame également la somme de 192 265 $US à titre de dommages-intérêts pour le manque à gagner qu’elle affirme avoir subi.

[91]      La demanderesse a soutenu à l’audience qu’aucun de ces chefs de dommages n’avait été prouvé.

[92]      En ce qui concerne les frais de transfert, d’entreposage, d’assurance et de manutention, la demanderesse fait remarquer qu’il n’y avait pas de facture de mise en entrepôt de douane ni d’élément de preuve au sujet de la somme qu’un entrepôt aurait fait payer au réceptionnaire.

[93]      La défenderesse a souligné qu’elle avait déposé en preuve une copie d’une traite bancaire (onglets 17 et 23 de la liste de documents de la défenderesse) démontrant que la défenderesse avait indemnisé son acheteur de la somme de 7 000 000 rials ou qu’elle lui avait versé cette somme, et que, sur ce montant, 4 000 000 rials auraient servis au paiement de l’entreposage. La défenderesse a également fait remarquer qu’elle avait soumis en preuve une télécopie datée du 27 juin 1998 (onglet 15 de la liste de documents de la défenderesse) qui lui avait été envoyée par le centre d’achat et de distribution de produits, le client de la défenderesse en Iran, qui affirmait que la défenderesse devait 7 000 000 rials à son client relativement à six conteneurs expédiés. Le client de la défenderesse expliquait dans cette télécopie qu’il avait payé 4 000 000 rials pour l’entreposage, l’assurance locale et le transfert du conteneur d’un endroit à un autre et que les frais de surestarie dus pour ce conteneur s’élevaient à 3 000 000 rials.

[94]      La défenderesse a également fait observer que son client lui avait envoyé une seconde télécopie le 8 août 1998 (onglet 19 de la liste de documents de la défenderesse) pour lui demander d’émettre un chèque au montant de 7 000 000 rials pour [traduction] « les frais afférents aux conteneurs qui (illisible) sont arrivés en retard ».

[95]      Toutefois, à l’audience, la demanderesse a expliqué que Robert Woo avait, par message électronique (onglet 23 de la liste de documents modifiée de la demanderesse), communiqué avec son représentant en Iran pour s’enquérir de la date d’arrivée à Bandar Abbas du navire collecteur transportant les six conteneurs. Il lui a posé des questions au sujet du temps d’entreposage gratuit au terminal et des frais d’entreposage et lui a demandé si ces conditions étaient négociables.

[96]      L’avocat de la demanderesse a ensuite expliqué que le représentant avait répondu par lettre (onglet 23 de la liste de documents modifiée de la demanderesse) que le temps d’entreposage gratuit dont les conteneurs pouvaient bénéficier au port de déchargement était de 20 jours. Il a également précisé les tarifs d’entreposage en rials. L’avocat de la demanderesse a fait un calcul rapide d’après la date d’arrivée des six conteneurs, laquelle était réputée être la première semaine de mai aux fins du calcul, malgré le fait que tous s’entendaient pour dire que les conteneurs étaient probablement arrivés plus tard au cours du mois de mai. L’avocat a également souligné, sur le fondement de la preuve, que les conteneurs avaient été gardés en entreposage pendant plus d’un mois. Il a cependant retenu une période de 45 jours pour ses calculs, étant donné que les conteneurs auraient pu arriver au cours de la première semaine de mai.

[97]      Sans tenir compte de la période d’entreposage gratuite de 20 jours, l’avocat de la demanderesse a calculé à 36 000 rials les frais d’entreposage. Suivant le représentant de la demanderesse, les frais d’entreposage se détaillaient comme suit :

- 15 jours à 400 rials par jour;

- 15 jours à 800 rials par jour;

- 15 jours à 1 200 rials par jour;

[98]      Ainsi que l’avocat de la demanderesse l’a souligné, le montant calculé est loin des millions de rials auxquels la défenderesse arrive. Il y a une différence marquée entre 4 000 000 rials et 36 000 rials. L’avocat de la demanderesse a soutenu que, bien que, suivant la preuve, la défenderesse ait payé 7 000 000 rials pour le transfert, l’entreposage, l’assurance et la manutention, la preuve ne permet pas de savoir ce que le paiement de cette somme visait.

[99]      Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que les éléments de preuve soumis par la défenderesse au sujet des frais de transfert, d’entreposage, d’assurance et de manutention des six premiers conteneurs ne sont pas suffisants pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que la défenderesse a subi les dommages en question. Il n’y a pas de facture de l’entrepôt, de détails sur la façon dont les divers frais ont été calculés ou de date au sujet de la durée de l’entreposage. La défenderesse aurait dû être au courant de ces détails et elle aurait dû les soumettre en preuve.

[100]   La preuve n’est pas suffisante pour prouver que la défenderesse a dû payer des frais pour le transfert, l’entreposage, l’assurance et la manutention des six conteneurs en raison de l’arrivée tardive du septième conteneur.

[101]   En ce qui concerne le deuxième chef de dommages, en l’occurrence les frais de réinspection de la cargaison et les débours que la défenderesse a engagés pour se rendre à Bandar Abbas, l’avocat de la demanderesse a fait remarquer que le dossier ne contient aucune facture de quelqu’un qui aurait pu inspecter la cargaison. Bien qu’il ait été mentionné qu’un rapport a été fait, ce rapport n’a pas été soumis en preuve. L’avocat de la demanderesse a fait observer que les résultats du rapport n’étaient pas connus et qu’aucune facture n’avait été soumise relativement à cette inspection.

[102]   L’avocat de la défenderesse a expliqué que les documents 22, 24, 27 et 28 sont utiles pour évaluer le coût de réinspection de la cargaison. Le document 22 est la télécopie du 8 août 1998 du centre d’achat et de distribution de produits. Suivant cette télécopie, le client de la défenderesse réclame la somme de 15 000 $US à la défenderesse.

[103]   Le document 24 est une lettre adressée par la défenderesse à son client pour confirmer qu’elle prendra les mesures nécessaires pour lui remettre la somme de 15 000 $US. Le document 27 est une lettre de la Banque Royale du Canada confirmant la remise de la somme de 15 000 $US au client de la défenderesse. Le document 28 confirme également que le client de la défenderesse a reçu la somme de 15 000 $US.

[104]   Bien que les documents susmentionnés fassent état du transfert de la somme de 15 000 $US du client de la défenderesse à cette dernière, ces documents n’expliquent pas l’objet du transfert. La seule explication qui a été fournie au sujet de ce paiement est celle qu’a donnée Ata Olfati dans les réponses aux questions posées lors de l’interrogatoire écrit. Il a expliqué que les marchandises avaient été inspectées par la société de génie et d’inspection industriels (SGII) en Iran et que le bureau de la défenderesse à Téhéran l’avait informé que la SGII soumettait un rapport au client au sujet d’un certain nombre de pneus que la SGII avait examinés. M. Olfati a également déclaré que la somme de 15 000 $US servait à payer le coût de réinspection de la cargaison.

[105]   À mon avis, la preuve est insuffisante et je ne puis conclure que la défenderesse devait payer 15 000 $US à son client pour la réinspection de la cargaison. J’accepte que la défenderesse a payé la somme de 15 000 $US à son client, mais la preuve ne me permet pas de conclure que la somme payée visait la réinspection de la cargaison, étant donné que le seul élément de preuve dont nous disposons est la simple affirmation de M. Olfati et qu’aucun autre document n’a été présenté pour appuyer ses dires. Ainsi que la demanderesse l’a fait remarquer, un rapport aurait été préparé, mais il n’a pas été déposé en preuve et aucune facture n’a été soumise pour confirmer que la cargaison a effectivement été réinspectée. Il n’y a pas non plus de preuve au sujet de la date à laquelle la réinspection aurait été effectuée. Il n’y a pas d’éléments de preuve provenant des personnes qui ont procédé à la réinspection et même le client de la défenderesse n’a pas expliqué dans son témoignage ce pour quoi cette somme était versée. La défenderesse n’a pas réussi à démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’elle a versé la somme de 15 000 $US à son client pour la réinspection de la cargaison.

[106]   En ce qui a trait aux débours qui auraient été engagés, l’avocat de la demanderesse a fait remarquer que, bien que les documents montrent qu’ils se rapportent effectivement à des déplacements, aucune facture n’a été soumise relativement à quelque type de déplacement que ce soit. De plus, il n’est pas possible de savoir pourquoi une personne s’est rendue là-bas et on n’a pas entendu cette personne à ce sujet. L’avocat de la demanderesse s’est dit d’avis qu’il y a absence totale du type de documents qu’une personne soumettrait pour faire la preuve de cette dépense.

[107]   Une fois de plus, le seul élément de preuve dont nous disposons au sujet des débours de la défenderesse est le témoignage de M. Olfati, qui affirme, dans son affidavit supplémentaire, que les frais de déplacement s’élevaient à 1 750 $US. Aucun document n’a été soumis à l’appui de cet argument. Il n’y a pas le moindre élément de preuve documentaire qui démontre que la somme de 1 750 $US a jamais été payée pour des frais de déplacement et j’estime que, sans plus d’explications et faute de documents à l’appui, l’affirmation de M. Olfati n’est pas suffisante pour établir selon la prépondérance des probabilités que cette somme a été engagée ou payée.

[108]   L’avocat de la demanderesse a ensuite examiné les honoraires d’avocat réclamés par la défenderesse et a fait remarquer une fois de plus qu’aucune note d’honoraires n’avait été produite en preuve. Il a fait observer qu’il n’est pas possible de savoir ce que ces honoraires d’avocat pouvaient viser et il a ajouté que, là encore, il n’y avait pas le moindre élément permettant de justifier ce poste.

[109]   J’ai examiné la preuve et la seule mention d’honoraires d’avocat se trouve dans la « facture commerciale » que la défenderesse a envoyée à la demanderesse. Comme aucun élément de preuve n’a été soumis pour appuyer l’allégation que la défenderesse a engagé des honoraires d’avocat en raison de la négligence de la demanderesse, je ne puis conclure que la défenderesse a droit au remboursement de ses frais.

[110]   Sur la question de la valeur de remplacement CAF des articles défectueux, l’avocat de la demanderesse a souligné que ce volet d’assurance ne pouvait faire l’objet d’une déclaration de sinistre car ce risque était assuré en Iran. En second lieu, l’avocat de la demanderesse a fait valoir qu’il n’y avait aucune preuve établissant qu’il y avait des articles défectueux. Il a expliqué que, malgré la simple affirmation que 35 articles étaient défectueux, il n’avait pas été démontré que l’on avait remplacé ces articles ou qu’on avait expédié 35 autres articles. De plus, il n’y a aucun élément de preuve au sujet des dommages matériels entraînés par le retard qu’avait accusé le dédouanement des marchandises. Il existe toutefois des éléments de preuve tendant à démontrer que la défenderesse a été payée en entier et qu’elle a été libérée de sa garantie d’exécution.

[111]   Sur cette question, la défenderesse a soumis en preuve une télécopie que son client lui a fait parvenir le 22 octobre 1998 pour confirmer que l’on avait constaté que 35 articles étaient défectueux par suite des dommages subis à cause du transport prolongé. La défenderesse a également soumis un document qui explique comment le montant réclamé par son client, 29 754 $US, avait été calculé.

[112]   La preuve ne permet pas de conclure que la somme a été versée par la défenderesse à son client ou que les pneus ont été remplacés. Bien que la preuve tende à démontrer qu’une réclamation a été formulée, aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet de la suite qui a été donnée à une telle réclamation.

[113]   Au sujet des frais et intérêts bancaires engagés par la défenderesse, l’avocat de la demanderesse maintient qu’il n’y a aucun élément de preuve qui justifie la somme réclamée par la défenderesse.

[114]   La défenderesse a soumis une télécopie envoyée le 25 août 1998 par la Société Générale (Canada) à la défenderesse pour l’informer que la Société Générale s’apprêtait à soustraire une somme de 3 829,40 $CAN du dépôt canadien de la défenderesse. La somme de 2 980,85 $CAN précisée dans la télécopie visait la commission et les frais relatifs au solde dû selon des lettres datées du 1er octobre 1997 et du 1er mai 1998. Une somme de 339,64 $CAN visait la somme réclamée par la Banque Tejerat dans sa communication du 25 août 1998, ainsi que la somme de 308,91 $CAN réclamée par la Banque Tejerat dans sa communication du 25 août 1998. Une somme supplémentaire de 200 $CAN a été ajoutée pour couvrir le coût de la communication/du télex de la Société Générale.

[115]   Dans une lettre datée du 26 novembre 1998, la Société Générale a informé la défenderesse que la garantie d’exécution avait été annulée et qu’elle trouverait en annexe un chèque correspondant au remboursement du dépôt majoré des intérêts, moins la commission et les frais d’envoi de la télécopie du 25 août 1998 de la Société Générale.

[116]   L’avocat de la demanderesse a fait observer qu’il semblait que la somme de 2 980,85 $CAN était un solde dû au titre de la garantie d’exécution avant que celle-ci ne soit prolongée. L’avocat de la demanderesse a fait valoir que ce fait permettait de conclure à l’absence d’éléments justifiant la réclamation.

[117]   Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que la somme de 2 980,85 $CAN dont il est question dans la lettre du 12 mai 1998 vise le solde dû mentionné dans les lettres du 10 octobre 1997 et du 1er mai 1998 et que cette somme semble en conséquence se rapporter au solde impayé avant la prorogation de la garantie. Qui plus est, il y a lieu de noter que la défenderesse réclame la somme de 4 183 $US à titre de frais et intérêts bancaires. La défenderesse n’a toutefois pas expliqué comment elle en arrivait à cette somme et la preuve soumise ne permet pas de conclure que la défenderesse a engagé des frais s’élevant à 4 183 $US. En outre, on ne sait pas avec certitude ce que visaient les sommes précisées dans la télécopie du 25 août 1998. Il en ressort que la Banque Tejerat a réclamé certaines sommes dans ses communications du 25 août 1998, mais dans les communications qui ont été déposées en preuve on ne réclame pas le même montant que celui qui figure dans la télécopie. Il n’est donc pas possible de savoir à quoi se rapportent les montants réclamés ou s’ils concernent la prolongation de la garantie d’exécution.

[118]   Finalement, l’avocat de la demanderesse a plaidé qu’il n’y a aucune pièce au sujet du manque à gagner que la défenderesse prétend avoir subi. Il existe une facture qui, selon ce que prétend la défenderesse, constate l’existence du contrat qu’elle a perdu. L’avocat de la demanderesse a fait observer qu’il n’y a aucune preuve de l’existence d’un contrat exécutoire et qu’en raison de ce fait, il est très difficile de savoir comment la défenderesse peut se plaindre d’avoir subi une perte commerciale. L’avocat de la demanderesse soutient qu’il y a une absence complète de tout élément démontrant l’existence d’un contrat ou même l’existence de quelque lien que ce soit, en admettant qu’il y ait eu négligence, entre la perte de ce contrat et la présumée négligence.

[119]   Suivant la défenderesse, la société Kala Resana, du ministère de l’Énergie, a reçu pour instructions du centre d’achat et de distribution des produits, le client de la défenderesse en Iran, de « retenir » la délivrance imminente d’une lettre de crédit qui faisait suite à une nouvelle commande confirmée visant la fourniture de 60 conteneurs supplémentaires de pneus évalués à 2 064 000 $US en attendant que soit réglée la question du conteneur manquant de l’envoi n8.

[120]   La défenderesse a également expliqué qu’une autre commande de suivi concernant la fourniture et la livraison de 1 000 pneus supplémentaires évalués à 748 000 $US qui avait été passée par le ministère de la Voirie et des Transports avait été mise en suspens compte tenu des renseignements communiqués par le centre d’achat et de distribution des produits au sujet du conteneur manquant.

[121]   En ce qui concerne la commande de la société Kala Resana, la défenderesse a soumis une facture pro forma datée du 11 juin 1997 qu’elle avait envoyée à la société Kala Resana. Cette facture confirme que le prix des pneus tout-terrains serait de 2 064 240 $US et précise les diverses conditions de l’offre. Il y est également précisé que l’offre vaut pour 21 jours à compter de la date de sa formulation.

[122]   La défenderesse a également soumis une télécopie datée du 31 janvier 1998 provenant de la société Kala Resana et précisant, au sujet de la lettre de crédit, que des démarches auprès de la banque avaient été entreprises par l’intermédiaire de la banque conseillère de la société Kala Resana et que, si tout allait bien, la société Kala Resana serait en mesure d’annoncer dans les plus brefs délais l’ouverture de cette lettre de crédit selon les conditions en question.

[123]   La demanderesse affirme qu’il n’y a aucun élément de preuve qui permette d’affirmer qu’il existait un contrat exécutoire.

[124]   M. Olfati a expliqué à l’audience que, pour qu’il y ait conclusion d’un contrat exécutoire avec le client iranien, il fallait envoyer une facture pro forma. Sur le fondement de la facture pro forma qui précise toutes les modalités et conditions, le client passe ensuite sa commande. Suivant M. Olfati, la confirmation de la commande se trouve dans la télécopie envoyée le 31 janvier 1998 par la société Kala Resana pour préciser que des démarches avaient été entreprises auprès de la banque par l’intermédiaire de sa banque conseillère. M. Olfati a expliqué que la télécopie datée du 31 janvier 1998 était la confirmation de l’existence d’un contrat exécutoire liant le client iranien et la défenderesse.

[125]   La défenderesse a également soumis une facture pro forma datée du 19 décembre 1997 à l’appui de son argument qu’elle n’avait pas été en mesure d’obtenir une commande de suivi pour la fourniture et la livraison de 1 000 pneus supplémentaires en raison de la négligence de la demanderesse. Cette facture pro forma précise par ailleurs les modalités et les conditions de l’offre et confirme que la facture pro forma est valide pour une période de 30 jours à compter de sa délivrance.

[126]   À mon avis, la preuve n’est pas suffisante pour me permettre de conclure que des contrats exécutoires ont été conclus entre la défenderesse et son client. En tout état de cause, même si je devais conclure que des contrats ont été valablement conclus, la preuve n’établit pas, selon la prépondérance des probabilités, que les contrats ont été perdus en raison de la négligence de la demanderesse. Je ne dispose pas du moindre élément de preuve qui démontre que le contrat, s’il en est, a été annulé du fait de la négligence de la demanderesse. En conséquence, aucuns dommages-intérêts ne seront accordés au titre du prétendu manque à gagner de la défenderesse.

[127]   En conclusion, la demande de la demanderesse est accueillie et la demande reconventionnelle de la défenderesse est rejetée.

LA COUR :

- Condamne la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 46 174,73 $CAN, majorée des intérêts, lesquels seront calculés au taux de huit pour cent à compter du 22 avril 1998 et jusqu’au paiement, au taux de change de 1,5315 mutuellement convenu par les parties;

- Rejette la demande reconventionnelle de la défenderesse, compte tenu du fait que la défenderesse ne peut fournir de preuves au sujet des dommages qu’elle prétend avoir subis;

- Reporte à plus tard sa décision au sujet des dépens et ordonne aux parties de lui soumettre des observations par écrit au sujet des dépens au plus tard le 19 octobre 2001.

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