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[2002] 2 C.F. 99

IMM-5527-00

2001 CFPI 971

Man Tin Kwan (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Kwan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Muldoon— Winnipeg, 24 mai; Ottawa, 30 août 2001.

Droit administratif — Appels prévus par la loi — Contrôle judiciaire du rejet par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié d’un appel interjeté du rejet par un agent des visas de la demande de résidence permanente d’une enfant adoptée — L’art. 77(3) de la Loi sur l’immigration permet au parrain d’interjeter appel à la Section d’appel du rejet d’une demande de résidence permanente sur une question de droit, de fait ou mixte de fait et de droit — L’appel prévu par l’art. 77(3) n’est pas un contrôle judiciaire, mais un appel de novo, c.-à-d. une toute nouvelle audience au cours de laquelle la Commission examine l’ensemble du dossier, entend les arguments de l’appelant et de l’agent préposé au cas — La Commission a examiné la preuve soumise à l’agent des visas, a analysé les conclusions tirées, a entendu des allégations d’erreurs — Elle n’est pas tenue de se prononcer sur l’existence des prétendues erreurs — Une interprétation large de la définition de nouvelle audience s’impose — La Commission n’a pas à confirmer ou à infirmer la décision de l’agent des visas, mais à déterminer si la personne parrainée est membre de la catégorie de la famille — La première étape consiste à interjeter appel de la décision de l’agent des visas devant la Commission, puis de demander le contrôle judiciaire de la décision de la Commission — La Cour a refusé de se pencher sur la décision de l’agent des visas.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Contrôle judiciaire du rejet par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié d’un appel interjeté du rejet par un agent des visas de la demande de résidence permanente d’une enfant adoptée au motif que l’adoption n’a pas créé un véritable lien de filiation — Dans l’art. 2(1) du Règlement sur l’immigration de 1978, le terme « adopté » s’entend de la personne adoptée conformément aux lois d’un pays étranger dont l’adoption crée avec l’adoptant un véritable lien de filiation, à l’exclusion de la personne adoptée dans le but d’obtenir son admission au Canada ou celle d’une personne apparentée — Demande rejetée — 1) Objectifs visés par la définition : éviter les adoptions dont l’objectif est de se soustraire aux exigences de la sélection en matière d’immigration; éviter les adoptions dont l’objectif est le parrainage de la famille biologique; promouvoir l’unification des familles en assurant que les enfants adoptés de moins de 19 ans qui ont réellement besoin d’assistance parentale sont autorisés à immigrer au Canada — L’exigence de la loi qui précise que l’adoption doit créer un véritable lien de filiation oblige les agents d’immigration à faire une évaluation qualitative du lien de filiation et non seulement à vérifier qu’il existe — En faisant cette évaluation, la Commission s’est conformée au critère et au but de la loi — 2) Les trois conditions comprises dans la définition d’« adopté » doivent toutes être remplies pour que la demande soit accueillie — L’examen de la preuve permet de déterminer si les conditions sont remplies — 3) La relation entre les parents biologiques et l’enfant après son adoption est pertinente quant à savoir si l’adoption a créé un véritable lien de filiation entre l’enfant et ses parents adoptifs, même si ce n’est pas le facteur déterminant — La séparation de l’enfant d’avec ses parents adoptifs est également pertinente — La Commission a examiné tous les faits avant de conclure que la relation n’était pas authentique — Elle n’a pas tenu compte de considérations non pertinentes — 4) Aucune preuve n’a été présentée montrant quel était l’intérêt supérieur de l’enfant — La Cour ne peut spéculer au sujet des effets de la législation en l’absence de preuves — Les questions certifiées : 1) La relation de l’enfant adopté avec ses parents biologiques est-elle un facteur pertinent en droit lorsqu’il faut interpréter et appliquer le terme « adopté » de l’art. 2(1) du Règlement sur l’immigration; 2) Le principe énoncé dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), qui veut qu’il est préférable d’adopter des interprétations de la législation qui respectent les valeurs contenues dans le droit international coutumier ainsi que dans les traités qui lient le Canada s’applique-t-il aux décisions non discrétionnaires ou au parrainage d’enfants étrangers résidant à l’étranger?

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a rejeté un appel du rejet par un agent des visas de la demande d’établissement de la prétendue fille adoptive du demandeur. En 1995, le demandeur, qui est un résident canadien, a présenté un engagement à fournir de l’aide à titre de répondant dans le cadre de la demande de résidence permanente de sa fille adoptive, Qi Wen Zhao. Le dossier a été retiré en 1996, mais a été réactivé en 1998. La femme du demandeur est la cousine du père de l’enfant. Le demandeur et sa femme ont affirmé que le but de l’adoption était d’accueillir un enfant chez eux. Leur décision d’adopter découle d’un mariage tardif suivi d’une fausse couche et de l’impossibilité de concevoir. L’adoption a eu lieu lorsque l’enfant a eu 10 ans. Elle a continué de résider en Chine avec ses parents naturels, qui prenaient soin d’elle et la soutenaient financièrement. L’agent des visas a rejeté la demande parce qu’elle n’était pas convaincue qu’il existait un véritable lien de filiation. L’alinéa 77(3)a) de la Loi sur l’immigration établit pour le répondant un droit d’appel devant la Section d’appel, sur une question de droit, de fait ou mixte, à l’encontre du rejet d’une demande du droit d’établissement. La Section d’appel a conclu que l’adoption a été réalisée dans le but d’obtenir l’admission de l’enfant au Canada et que l’adoption n’a pas créé un véritable lien de filiation. Après avoir refusé de se prononcer sur les prétendues erreurs de droit qu’aurait commises l’agent des visas, au motif que les appels dont elle est saisie sont considérés comme de nouvelles audiences, la Section d’appel a rejeté l’appel.

Aux termes du paragraphe 2(1) du Règlement sur l’immigration de 1978, « adopté » s’entend d’une personne adoptée conformément aux lois d’un pays étranger dont l’adoption crée avec l’adoptant un véritable lien de filiation. Cette définition exclut la personne adoptée dans le but d’obtenir son admission au Canada ou celle d’une personne apparentée. Le demandeur soutient que la Commission ne devrait pas évaluer la qualité du lien de filiation, mais seulement son existence. Il soutient que c’est seulement lorsqu’une adoption vise un abus du régime d’immigration ou d’aide sociale qu’une adoption n’est pas authentique. Il soutient également que pour qu’une adoption contrevienne aux exigences de la législation, elle doit être faite uniquement dans le but d’obtenir l’admission au Canada—lorsque l’obtention de l’admission au Canada n’est pas le seul objectif de l’adoption, le Règlement n’interdit pas l’admission de l’enfant adopté.

Les questions en litige étaient de savoir si la Commission a commis une erreur 1) en refusant de se saisir des prétendues erreurs de droit de l’agent des visas; 2) en ne se reportant pas à l’objectif de la législation; 3) en interprétant la définition du terme « adopté »; 4) en évaluant l’authenticité du lien; 5) en n’examinant pas l’intérêt supérieur de l’enfant.

Jugement : la demande doit être rejetée.

1) Dans l’arrêt Kahlon c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), la Cour d’appel a conclu qu’un appel à la Commission est une audition de novo au sens large. Une audition de novo est abordée comme si la Section d’appel était saisie de la question pour la première fois et ce n’est pas comment l’agent des visas est arrivé à sa conclusion qui est en cause, mais bien la question de savoir si la personne parrainée est membre de la catégorie de la famille. Un appel logé en vertu du paragraphe 77(3) n’est pas un contrôle judiciaire, mais une toute nouvelle audition dans laquelle la Commission examine tout le dossier et écoute les prétentions du demandeur et de l’agent chargé du dossier. Si le répondant peut convaincre le tribunal que les conclusions de l’agent d’immigration n’étaient pas fondées, son appel est accueilli.

La Commission a examiné la preuve présentée à l’agent des visas et discuté ses conclusions. La Commission a aussi écouté les allégations au sujet des prétendues erreurs. La seule chose que la Commission n’a pas faite a été de décider si l’agent des visas avait commis une erreur de droit. Bien qu’il aurait pu être salutaire que la Commission se prononce à ce sujet, elle n’y était pas obligée. La Cour est liée par l’interprétation large donnée par la Cour d’appel dans l’arrêt Kahlon à la définition de l’audition de novo.

La première étape consiste à en appeler de la décision de l’agent des visas à la Commission dans une audition de novo. Si la Commission commet la même erreur que l’agent des visas, ou une erreur différente, il y a alors lieu de solliciter le contrôle judiciaire de la décision de la Commission devant la Section de première instance de la Cour fédérale. La Cour a par conséquent refusé d’examiner la décision de l’agent des visas.

2) La modification apportée en 1993 à la définition de « adopté » ajoutait l’exigence que l’adoption crée un « véritable » lien de filiation, et, bien que la version modifiée n’indique pas quand l’adoption doit être réalisée, la définition du terme « fille » indiquant qu’il comprend une personne de sexe féminin qui a été adoptée avant l’âge de 19 ans, la modification vient augmenter l’âge limite d’adoption, qui passe de 13 à 19 ans. La nouvelle définition mentionne spécifiquement les formes d’abus qu’on veut contrôler. Il y a donc trois objectifs visés par la définition modifiée du terme « adopté » au Règlement : éviter les adoptions dont l’objectif est de se soustraire aux exigences de la sélection en matière d’immigration; éviter les adoptions dont l’objectif est le parrainage de la famille biologique; promouvoir l’unification des familles en assurant que les enfants adoptés de moins de 19 ans qui ont réellement besoin d’assistance parentale sont autorisés à immigrer au Canada. La législation n’a pas pour but spécifique d’éliminer qu’on fasse pression sur le régime d’aide sociale, même si le fait de prévenir les abus du régime d’immigration peut en fait empêcher des travailleurs sans qualifications d’entrer au Canada. Toutefois, la législation essaie d’éviter ce résultat en décourageant, sinon en empêchant, les adoptions de convenance. La Commission n’a pas à aller plus loin que le critère de la loi. L’adoption doit créer un véritable lien de filiation. Cela oblige les agents d’immigration à faire une évaluation qualitative du lien de filiation et non seulement à vérifier qu’il existe. Il y a eu très peu de contacts entre l’enfant et ses parents adoptifs alors qu’il y a des liens très forts entre l’enfant et ses parents biologiques. Il est tout à fait possible que l’enfant adopté puisse éventuellement chercher à parrainer ses parents biologiques dans le cadre d’une demande d’immigration. Le critère exige qu’on évalue l’authenticité du lien entre Qi Wen Zhao et ses parents adoptifs. En faisant cette évaluation, la Commission a appliqué le critère de la loi et respecté les objectifs de la législation.

3) La définition du terme « adopté » indique qu’une demande doit être rejetée dès que l’une ou l’autre des trois conditions n’est pas satisfaite, c.-à-d. l’adoption doit avoir été effectuée conformément aux lois du pays, elle doit avoir créé un véritable lien de filiation et elle ne doit pas avoir été effectuée dans le but de l’obtention d’une admission au Canada. Il faut examiner la preuve et déterminer si ces conditions sont respectées.

4) Plusieurs facteurs doivent être pris en compte en évaluant l’authenticité de l’adoption. La relation entre les parents biologiques et l’enfant après son adoption est souvent pertinente, même si ce n’est pas le facteur déterminant. La Commission a examiné les faits suivants : Mme Zhao voulait vraiment avoir son propre enfant; le nom de l’enfant n’avait pas été changé; l’adoption n’était pas généralement connue à l’extérieur de la famille biologique de l’enfant; l’autorité parentale n’était pas passée des parents biologiques aux parents adoptifs; la seule influence du demandeur sur les parents naturels ou l’enfant était liée au fait qu’il envoyait de l’argent à toute la famille; l’enfant a continué à appeler ses parents adoptifs « tante » et « oncle » après son adoption; l’enfant a continué à considérer ses parents biologiques comme les détenteurs de l’autorité parentale; l’enfant ne serait pas considéré être l’enfant des parents adoptifs avant son arrivée au Canada, moment où le lien de filiation prendrait naissance. En évaluant la relation avec les parents biologiques et en examinant la question du transfert de l’autorité aux parents adoptifs la Commission n’a pas tenu compte de considérations non pertinentes.

La séparation entre l’enfant adoptif et le parent adoptif n’est qu’un facteur parmi plusieurs dont on doit tenir compte. La Commission a évalué tous les facteurs pour arriver à sa conclusion qu’il n’y avait pas de lien véritable, étant donné qu’il y avait eu très peu de contacts sinon aucun avec les parents adoptifs depuis la naissance de l’enfant. Les affaires qu’on nous a mentionnées font ressortir des efforts beaucoup plus importants de la part des demandeurs que ceux qu’on trouve ici. De plus, personne ne s’est enquis du statut de la demande de Qi Wen Zhao durant les trois années où elle a été retirée, ce qui indique que peu d’efforts ont été consentis par les deux couples de parents pour concrétiser cette adoption.

5) Le demandeur n’a présenté aucune preuve qui appuierait son argument selon lequel il est dans l’intérêt supérieur des enfants adoptifs d’encourager leurs parents biologiques à continuer à s’en occuper jusqu’à ce qu’ils arrivent au Canada. Le demandeur soutient qu’il y a plusieurs effets pervers qui sont causés par l’application de l’exigence que le lien soit véritable, comme la « création d’orphelins ». Le demandeur n’a présenté aucune preuve à cet effet, sauf pour une déclaration de l’avocat qui veut que ces situations se produisent tout le temps dans sa pratique. Qi Wen Zhao est restée avec ses parents biologiques et on ne peut dire que ce fait ne correspondait pas à son intérêt supérieur. La Commission n’a jamais exigé que les parents biologiques coupent leurs liens avec leur enfant et elle a examiné tout le dossier qu’on lui a présenté. La Cour ne peut spéculer au sujet des effets de la législation en l’absence de preuves.

La Cour a certifié les questions suivantes : 1) La relation de l’enfant adopté avec ses parents biologiques est-elle un facteur pertinent en droit lorsqu’il faut interpréter et appliquer le terme « adopté » du paragraphe 2(1) du Règlement sur l’immigration de 1978; 2) le principe énoncé dans l’arrêt Baker, qui veut qu’il est préférable d’adopter des interprétations de la législation qui respectent les valeurs contenues dans le droit international coutumier ainsi que dans les traités qui lient le Canada, s’applique-t-il aux décisions non discrétionnaires ou au parrainage d’enfants étrangers résidant à l’étranger?

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3, art. 3.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 6(2)a) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 3), 77(3) (mod. par L.C. 1999, ch. 31, art. 134).

Règlement sur l’immigration, C.R.C., ch. 940, art. 2 « adopté ».

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1) « adopté » (mod. par DORS/93-44, art. 1), « fille » (mod. par DORS/85-225, art. 1; 93-44, art. 1), « fille à charge » (édicté par DORS/92-101, art. 1), « parent » (édicté par DORS/93-44, art. 1), 4(3) (mod. par DORS/93-44, art. 4).

JURISPRUDENCE

DÉCISION SUIVIE :

Kahlon c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 7 Imm. L.R. (2d) 91; 97 N.R. 349 (C.A.F.).

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Rattan c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 73 F.T.R. 195 (C.F. 1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Edrada (1996), 108 F.T.R. 60 (C.F. 1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Sharma (1995), 101 F.T.R. 54 (C.F. 1re inst.); Jeerh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 2 Imm. L.R. (3d) 96; 167 F.T.R. 315 (C.F. 1re inst.); Horbas c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 C.F. 359 (1985), 22 D.L.R. (4th) 600 (1re inst.); Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 33 Imm. L.R. (2d) 28 (S.A.I.); Pabla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 2054 (1re inst.) (QL); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Cansino c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), W94-00057, décision en date du 19-1-96 (S.A.I.); Roy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] D.S.A.I. no 1910 (QL).

DOCTRINE

Black’s Law Dictionary, 6th ed. St. Paul, Minn. : West Publishing, 1990, « hearing de novo ».

Dukelow, Daphne A. and Betsy Nuse. The Dictionary of Canadian Law, 2nd ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1995, « hearing de novo ».

Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, Gaz. C. 1993.II.630.

Sullivan, Ruth. Statutory Interpretation. Concord, Ont. : Irwin Law, 1997.

Waldman, Lorne. Immigration Law and Practice, loose-leaf. Markham, Ont. : Butterworths, 1992.

DEMANDE de contrôle judiciaire du rejet par la section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié d’un appel interjeté de la décision d’un agent des visas de refuser la demande de résidence permanente de l’enfant adoptée du demandeur au motif que l’adoption n’a pas créé un véritable lien de filiation. (Kwan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] D.S.A.I. no 1909 (QL)). Demande rejetée.

ONT COMPARU :

David Matas pour le demandeur.

Kevin E. Staska pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas, Winnipeg, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Muldoon :

1.         Introduction

[1]        La présente demande, introduite en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5], sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la section d’appel ou la Commission) [[2000] D.S.A.I. no 1909 (QL)]. Le 11 octobre 2000, la Commission a rejeté un appel du rejet par un agent des visas de la demande d’établissement au Canada de Qi Wen Zhao, la prétendue fille adoptive du demandeur.

2.         La procédure en contexte

[2]        Le 17 février 1995, le demandeur, Man Tin Kwan, qui est un résident canadien, a présenté à Citoyenneté et Immigration Canada un engagement à fournir de l’aide dans le cadre du parrainage de sa prétendue fille adoptive, Qi Wen Zhao, qui faisait une demande de résidence permanente. Qi Wen Zhao avait prétendument été adoptée trois mois plus tôt, le 9 novembre 1994. Elle avait alors 10 ans. Le 7 septembre 1995, Qi Wen Zhao a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie de la famille à l’ambassade du Canada à Beijing.

[3]        Rien ne s’est produit dans ce dossier entre le 23 mai 1995 et le 9 juin 1998. Les notes STIDI [Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration] indiquent que le dossier a été retiré le 20 juin 1996, mais on n’a trouvé aucun document qui pourrait expliquer pourquoi. Le dossier a été réactivé le 9 juin 1998 et, le 18 août 1998, Qi Wen Zhao a été reçue en entrevue par un agent des visas, en présence d’un interprète cantonais. Cette entrevue a eu lieu à l’ambassade du Canada à Beijing.

[4]        Dans une lettre en date du 26 août 1998, Qi Wen Zhao a été informée du rejet de sa demande de résidence permanente :

[traduction]

La présente porte sur votre demande de résidence permanente au Canada.

J’ai terminé l’évaluation de votre demande et, selon moi, le fait de vous accorder le droit d’établissement au Canada serait contraire à la Loi sur l’immigration ainsi qu’au Règlement sur l’immigration de 1978. Par conséquent, je ne peux vous délivrer un visa d’immigrant.

Votre demande est rejetée parce que vous êtes membre d’une catégorie de personnes non admissibles décrite à l’alinéa 19(2)d) de la Loi sur l’immigration, étant donné que vous ne satisfaisez pas aux exigences du paragraphe 2(1) du Règlement sur l’immigration de 1978 qui porte sur la délivrance d’un visa.

Le paragraphe 2(1) du Règlement porte que le terme « adopté » veut dire une personne adoptée conformément aux lois d’une province ou d’un pays étranger ou de toute subdivision politique de celui-ci, dont l’adoption crée avec l’adoptant un véritable lien de filiation. Cette définition exclut la personne adoptée dans le but d’obtenir son admission au Canada ou celle d’une personne apparentée.

Vous avez été adoptée en 1994 par la cousine de votre père et son mari, alors que vous aviez 10 ans. Lors de votre entrevue avec un agent des visas le 18 août 1998, vous avez déclaré résider présentement avec vos parents biologiques, qui prennent soin de vous et qui assument les frais relatifs à ces soins. Vous avez déclaré avoir toujours vécu avec vos parents biologiques. Vous avez déclaré que vous désiriez vous rendre au Canada pour obtenir une meilleure éducation. La personne qui vous parraine a immigré au Canada en 1986, alors que vous n’aviez que 2 ans, et vous avez déclaré ne pas l’avoir vue à nouveau avant 1994, lorsqu’elle est revenue pour un séjour d’un mois afin de remplir les documents relatifs à l’adoption. Vous n’avez pas vu cette personne depuis 1994 et avez déclaré que les échanges épistolaires se limitent à l’envoi de cartes à Noël, au Nouvel An et à votre anniversaire. Vous n’avez pu nous donner aucun renseignement quant à la vie que la personne qui vous parraine mène au Canada, ou quant à l’endroit où elle vit. Vos parents travaillent tous les deux et ont déclaré qu’ils n’ont pas de difficultés qui feraient qu’ils ne pourraient prendre soin de vous et de vos jeunes sœurs.

La documentation présentée et les renseignements que vous m’avez donnés à l’entrevue n’ont pu me convaincre qu’il existait entre vous et la personne qui vous parraine un véritable lien de filiation. Comme vous avez toujours été sous la garde de vos parents biologiques, je dois conclure que l’adoption a été réalisée dans le but d’obtenir l’admission au Canada et, par conséquent, que vous êtes non admissible en vertu de l’alinéa 19(2)d) de la Loi sur l’immigration.

[5]        Le demandeur a été informé du rejet de la demande de résidence permanente de Qi Wen Zhao dans une lettre datée du 27 août 1998.

[6]        Le demandeur a fait appel de cette décision à la section d’appel de la Commission en vertu du paragraphe 77(3) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.C. 1999, ch. 31, art. 134) (la Loi). Le 4 octobre 2000, une formation d’un membre de la Commission a rejeté l’appel. Le demandeur sollicite maintenant une ordonnance annulant la décision de la Commission. L’affaire a été entendue le 24 mai 2001 à Winnipeg.

3.         Énoncé des faits

[7]        Le membre de la section d’appel a résumé les faits dans les conclusions que l’on trouve aux paragraphes 16 à 26 :

Voici mes conclusions relativement à la preuve produite en l’espèce.

L’appelant, aujourd’hui âgé de 68 ans, a eu six enfants d’un premier mariage, enfants qui ont entre 32 et 42 ans. Il s’est remarié en 1986, avec une femme de 37 ans. Il est retraité, il possède une grande maison et a du temps à consacrer à d’autres enfants. Le dernier de ses enfants biologiques a quitté la maison familiale en 1994.

Mme Zhao a déclaré qu’elle désirait avoir son propre enfant biologique. L’appelant et sa femme ont envisagé l’adoption en 1989, après une fausse couche de Mme Zhao. Elle avait alors 40 ans. Pour expliquer le temps écoulé avant l’adoption en 1994, Mme Zhao a affirmé qu’entre 1989 et 1994, elle espérait encore tomber enceinte.

Selon les dires de l’appelant et de Mme Zhao, ils ont adopté la requérante dans le but de l’accueillir chez eux. Leur décision d’adopter découle d’un mariage tardif suivi d’une fausse couche et de l’impossibilité de concevoir pendant cinq ans. Je suis persuadée que Mme Zhao désire véritablement avoir son propre enfant, et M. Zhou [sic] est entièrement d’accord. Je note pourtant que ce sont les parents biologiques qui ont d’abord proposé l’adoption. Selon l’appelant, les parents biologiques ont fait cette proposition en 1992, tandis que Mme Zhao affirme qu’ils l’ont faite en 1988, soit, d’après ses souvenirs, un an après la naissance du troisième enfant des parents biologiques. De plus, la requérante a déclaré qu’il était préférable pour elle de venir au Canada, car ses parents sont pauvres et ne peuvent lui « offrir des choses ». J’estime que la principale motivation des parents biologiques était de permettre l’admission de la requérante au Canada.

D’après l’appelant, il était clair pour les parents biologiques et les parents adoptifs que l’adoption profiterait aux parents biologiques, qui doivent respecter la politique de l’enfant unique dictée par le gouvernement chinois. Les parents biologiques ont trois enfants, nés en 1984, en 1985 et en 1987. Selon la preuve, seul le premier enfant donne droit aux différentes prestations accordées par l’État. En outre, ce dernier impose une amende pour les deuxième et troisième enfants, que les parents biologiques doivent élever à leurs frais. La preuve indique que les parents adoptifs envoient de l’argent aux parents biologiques pour les aider à payer cette amende; cet argent est destiné aux autres enfants des parents biologiques, et non à la requérante.

À mes yeux, il n’est pas évident que les parents biologiques profitent de cette adoption en raison de la politique de l’enfant unique. La naissance des deuxième et troisième enfants constituait une violation de cette politique, elle entraînait une amende et des frais non couverts par l’État. Pourtant, c’est l’aînée qui a été donnée en adoption, parce que, selon Mme Zhao, elle connaissait déjà l’enfant avant de venir au Canada. Rien ne permet de penser que les avantages conférés à l’aînée seraient automatiquement accordés au deuxième enfant. Comme rien n’indique non plus si l’appelant et sa femme continueront d’envoyer des fonds à la famille biologique de la requérante en raison de la politique de l’enfant unique. J’estime donc que la preuve ne montre pas, selon la prépondérance des probabilités, que les parents biologiques tirent un avantage financier particulier de cette adoption, mais je suis convaincue, à partir de cette même preuve, que les conditions de vie de la requérante seront améliorées grâce à la situation financière des parents adoptifs. J’estime également que la preuve corrobore l’intention des parents biologiques : celle d’assurer un meilleur avenir à leur aînée en permettant son admission au Canada.

Je crois que les parents biologiques désirent donner un plus bel avenir à leur fille aînée en la faisant admettre au Canada. Toutefois, il ne s’agit pas de leur seule motivation, car d’autres éléments de preuve crédibles indiquent que l’appelant et Mme Zhao souhaitaient accueillir un enfant chez eux pour fonder une seconde famille. C’est ainsi qu’ils ont adopté la requérante en 1994, quand elle avait dix ans et qu’elle avait besoin de parents en raison de son âge. Ces conclusions doivent cependant être envisagées à la lumière de la preuve dans son ensemble.

Une fois établi le but de l’adoption, je dois me demander si, selon la prépondérance des probabilités, l’adoption a permis de créer un véritable lien de filiation. D’après moi, la preuve démontre, selon la prépondérance des probabilités, que ce lien n’a pas été créé. Le nom de l’enfant n’a pas été modifié et l’adoption n’a pas été annoncée en dehors de la famille biologique de la requérante, car, aux dires de cette dernière, les gens « faisaient des commérages ». Cette explication ne me paraît pas convaincante, d’autant qu’on n’a pas précisé en quoi ces « commérages » auraient pu s’avérer problématiques. Toujours d’après moi, la preuve indique, selon la prépondérance des probabilités, que l’autorité parentale n’est pas passée des parents biologiques aux parents adoptifs. La seule influence exercée par l’appelant sur les parents biologiques ou la requérante relève des fonds qu’il envoyait et qui étaient destinés à toute la famille, et non à la seule requérante. De plus, je constate que la requérante continue de nommer l’appelant et sa femme « oncle » et « tante ». Il ressort de la preuve que la requérante continue de percevoir ses parents biologiques comme un symbole d’autorité. Les témoins ont déclaré que la requérante ne serait considérée comme la fille de l’appelant et de Mme Zhao qu’à son arrivée au Canada, moment où le lien de filiation serait créé.

Cet élément de preuve est incompatible avec la création, au moment de l’adoption, d’un véritable lien de filiation. Je m’en remets à la jurisprudence de la Section d’appel, selon laquelle la définition d’« adopté » présuppose la création du lien de filiation lors de l’adoption, quels que soient les obstacles géographiques. On ne peut s’attendre à ce que ce lien soit entièrement développé; il est d’ailleurs qualifié, dans Cansino, de « naissant ». En l’espèce, l’adoption a été entamée en 1994, mais l’appelant et sa femme ne sont pas devenus des symboles d’autorité pour l’enfant et n’ont pas assumé la responsabilité de son existence. Leur contribution suivie ayant été de nature financière, elle ne suffit pas à démontrer un lien de filiation. La preuve ne permet pas de comprendre pourquoi le lien de filiation n’a pas été créé, même quand on tient compte de la distance qui séparait les personnes concernées. On ne saurait se contenter d’affirmer que le lien de filiation sera créé après l’arrivée de l’enfant au Canada.

Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’adoption avait pour but de permettre l’admission de la requérante au Canada, et que la preuve ne démontre pas que l’adoption a donné lieu à un lien de filiation authentique.

L’appel est rejeté pour défaut de compétence. [Je souligne.]

4.         Les questions en litige

a. La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant de se saisir des prétendues erreurs de droit de l’agent des visas?

b. La Commission a-t-elle commis une erreur en ne se reportant pas à l’objectif de la législation?

c. La Commission a-t-elle commis une erreur dans son interprétation de la définition du terme « adopté »?

d. La Commission a-t-elle commis une erreur en évaluant l’authenticité du lien?

e. La Commission a-t-elle commis une erreur en n’examinant pas l’intérêt supérieur de l’enfant?

5.         Le refus de se saisir des prétendues erreurs de droit de l’agent des visas

Les prétentions du demandeur

[8]        Voici ce que la Commission déclare aux paragraphes 2 à 4 de sa décision :

L’agent des visas estimait insuffisante la preuve indiquant que l’adoption avait permis de créer un véritable lien de filiation, en partie parce que l’enfant vivait toujours avait ses parents biologiques, cousins de la femme de l’appelant, Shu Zhueng Zhao. L’agent des visas a aussi noté qu’il y avait eu peu de contacts personnels entre l’appelant et l’enfant adoptée entre 1986, lorsqu’elle avait deux ans, et 1994, lorsqu’elle avait dix ans et que les démarches d’adoption ont été entamées. Après 1994, ni l’appelant ni sa femme n’ont rendu visite à la requérante, qui les considère comme son « oncle » et sa « tante ». Enfin, depuis l’adoption, les éléments de preuve concernant des contacts entre l’enfant et ses parents adoptifs ne sont pas nombreux.

Le conseil de l’appelant a allégué que l’agent des visas n’avait pas appliqué le bon critère réglementaire en se reportant à la définition d’«adopté » et en concluant que la requérante n’appartenait pas à la catégorie des parents. En outre, le conseil a affirmé que la conclusion selon laquelle l’adoption visait l’admission de la requérante au Canada découlait de la détermination que, selon l’agent des visas, il n’existait pas une preuve suffisante d’un lien de filiation authentique. Il a ajouté qu’aucun élément de preuve ne concernait le but de l’adoption. Enfin, il a fait valoir qu’en ne recevant pas les parents adoptifs en entrevue pour connaître leur motivation, qui constitue un facteur à prendre en compte pour déterminer le but de l’adoption, l’agent des visas a pour ainsi dire commis un manquement à la justice naturelle.

Je ne me pencherai pas sur les erreurs invoquées par le conseil de l’appelant, car elles n’ont aucune incidence en l’espèce. Depuis que la Cour fédérale a rendu sa décision dans Kahlon, les appels dont est saisie la Section d’appel sont considérés comme de nouvelles audiences. Ainsi, la présente procédure permet de remédier à tout problème causé par le traitement ou la non-disponibilité de la preuve. Le fardeau de la preuve repose sur l’appelant. Par conséquent, j’analyserai la preuve et les observations en l’espèce pour trancher. [Je souligne.]

[9]        Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en refusant de se saisir de la question de savoir si l’agent des visas avait commis les erreurs de droit énoncées dans ses prétentions. Pour ce faire, la Commission s’est appuyée sur l’arrêt Kahlon c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 7 Imm. L.R. (2d) 91 (C.A.F.), où la Cour a déclaré, à la page 94, qu’un appel à la Commission est « une audition de novo au sens large ». Le demandeur soutient que l’audition devant la Commission est de novo en ce que la Commission peut arriver à des conclusions de fait différentes en se fondant sur la preuve qu’on lui présente, puisqu’elle n’est pas limitée à la considération du dossier présenté à l’agent des visas. Toutefois, l’audition demeure un appel de la décision de l’agent des visas et la Commission doit se prononcer à savoir si des erreurs ont été commises. Le demandeur soutient que la Commission ne peut refuser de se prononcer au sujet des erreurs de droit et que le fait de ne pas s’être prononcée constitue une erreur qui entache sa compétence.

[10]      Le demandeur soutient que le législateur avait l’intention de créer un processus d’appel et non une deuxième audience d’immigration. Étant donné que le demandeur s’est adressé à la Commission en invoquant des erreurs de droit, il avait le droit de savoir si ces erreurs avaient effectivement été commises. Le demandeur soutient que même si la Commission a bien examiné et jugé les questions juridiques de fond qui lui étaient présentées, elle a quand même commis une erreur en ne s’arrêtant pas à la question de savoir si l’agent des visas avait examiné les questions juridiques de façon correcte. De plus, il soutient qu’en cas d’erreur de droit commise par l’agent des visas, le demandeur doit automatiquement avoir gain de cause dans son appel. Cette allégation est discutable.

[11]      Finalement, le demandeur soutient que l’ensemble de la jurisprudence dont notre Cour est saisie porte sur la compétence de la section d’appel de conclure différemment sur les faits lors de l’audition de novo. La jurisprudence présentée par le défendeur serait, aux dires du demandeur, à distinguer puisqu’elle ne porte pas sur la question de savoir si la Commission doit examiner les erreurs de droit.

Les prétentions du ministre

[12]      Le ministre soutient que la conséquence de l’arrêt Kahlon, précité, est que la Commission peut décider de ne pas examiner les prétendues erreurs de l’agent des visas. Le juge Mahoney, parlant au nom de la Cour d’appel fédérale, déclare ceci, aux pages 92 à 94 :

Dans l’arrêt Gana c. Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration), [1970] R.C.S. 699, la nature de l’appel devant la Commission d’appel de l’Immigration en vertu de la législation antérieure a été examinée. Je souscris au point de vue exprimé par le juge en chef Thurlow dans son jugement concourant dans l’affaire Mohamed c. M.E.I., [1986] 3 C.F. 90 à la page 95.

Le libellé des dispositions législatives applicables a été quelque peu modifié depuis que la décision de la Cour suprême dans Gana c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, [1970] R.C.S. 699, et de cette Cour dans Srivastava c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, [1973] C.F. 138, ont été rendues, mais j’estime que l’intention du Parlement est toujours la même que sous l’ancienne législation, c’est-à-dire, instituer et maintenir à titre de cour d’archives une commission ayant les pouvoirs de statuer judiciairement sur les faits dont dépend l’admissibilité d’une personne et non simplement de s’attacher au bien-fondé quant à la procédure ou au fond de la décision administrative prise par un agent des visas relativement à ces exigences imposées par la loi.

[…]

Compte tenu de cette décision, j’estime que l’audition d’un appel par la Commission d’appel de l’immigration est une audition de novo au sens large. Encore une fois, je souscris au point de vue exprimé par le juge en chef Thurlow à la page 94 de l’affaire Mohamed.

À mon avis, la question que doit trancher la Commission à l’occasion d’un appel interjeté en vertu de l’article 79 de la Loi ne consiste pas à se demander si la décision administrative d’un agent des visas de rejeter une demande parce que les renseignements portés à sa connaissance indiquaient que la personne sollicitant son admission au Canada appartenait à une catégorie inadmissible a été prise régulièrement. Elle consiste plutôt à déterminer si, au moment de l’instruction de l’appel, la personne en cause fait effectivement partie de la catégorie interdite. [Je souligne.]

[13]      Le ministre soutient que la façon dont l’agent des visas a pris sa décision n’est pas pertinente, étant donné que la question dont la Commission est saisie consiste à savoir si la décision était correcte. Dans Rattan c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 73 F.T.R. 195 (C.F. 1re inst.), Mme le juge Reed déclare ceci, aux pages 198 et 199 :

La section d’appel a considéré l’appel interjeté sous le régime de l’article 77 comme plus qu’un simple examen de la décision de l’agent d’immigration sur la base des éléments de preuve dont ce dernier disposait. Elle a entendu le témoignage additionnel de la requérante, qui n’avait pas été rendu devant l’agent d’immigration auteur du refus initial. Elle s’est fondée sur les éléments de preuve dont elle disposait pour trancher les points litigieux.

Un appel sous le régime de l’art. 77 n’est pas un contrôle judiciaire lorsque seulement l’exactitude de la décision de l’agent d’immigration est à l’examen. C’est ce qui se dégage de l’art. 77(3), qui permet des appels pour des questions de fait, et de la procédure suivie qui permet au répondant, au Canada, d’appeler des témoins et de produire d’autres éléments de preuve. Le rôle de la section d’appel consiste, non pas à déterminer si la décision de l’agent d’immigration a à juste titre été prise, mais à déterminer si la personne parrainée appartient à la catégorie des personnes exclues par le paragraphe 4(3) du Règlement : Mohammed c. Canada (Ministre de L’Emploi et de l’Immigration), [1986] 3 C.F. 90 (C.A.F.), à la p. 94, le juge en chef Thurlow. À cette fin, elle doit examiner le témoignage du répondant et la décision de l’agent d’immigration pour se décider. Si le répondant peut convaincre le tribunal que les conclusions de l’agent d’immigration n’étaient pas fondées, son appel est accueilli. [Je souligne.]

[14]      Par conséquent, le ministre soutient que la Commission n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a refusé de se prononcer au sujet d’erreurs que l’agent des visas aurait pu commettre.

Analyse

[15]      L’alinéa 77(3)a) de la Loi établit un droit d’appel pour les répondants des demandeurs qui n’ont pu obtenir le droit d’établissement au Canada :

77. […]

(3) S’il est citoyen canadien ou résident permanent, le répondant peut, sous réserve des paragraphes (3.01) et (3.1), en appeler devant la section d’appel en invoquant les moyens suivants :

a) question de droit, de fait ou mixte;

[16]      Dans l’arrêt Kahlon, précité, la Cour d’appel a conclu qu’un appel à la Commission est une audition de novo au sens large. Comme l’indique Ruth Sullivan, dans l’ouvrage Statutory Interpretation (Concord, Ont. : Irwin Law, 1997), à la page 41, les tribunaux doivent utiliser le sens ordinaire des mots à moins qu’il y ait un motif de les interpréter autrement. Voici comment les termes « audition de novo » sont définis dans le Black’s Law Dictionary, 6th ed. (St. Paul, Minn. : West Publishing, 1990), à la page 721 :

[traduction]

Généralement, entendre de nouveau ou pour la deuxième fois, suppose que le procès en entier est instruit comme la première fois et qu’il y a révision de l’audition antérieure. Instruire de nouveau une affaire, comme si la cause n’avait pas déjà été entendue et si comme aucune décision n’avait encore été rendue […] Au cours d’une audition « de novo », la cour instruit l’affaire comme un tribunal de première instance et non comme un tribunal d’appel.

The Dictionary of Canadian Law, 2nd ed., (Dukelow and Nuse, Scarborough, Ont., Carswell, 1995), définit « audition de novo » comme suit, à la page 549 :

[traduction]

« […] une nouvelle audition qui ne se limite pas à examiner la question de savoir si le tribunal a agi de façon correcte au vu de la preuve et de la documentation qui lui étaient présentées… » Newterm Ltd., Re (1988), 38 M.P.L.R. 17, à la p. 19, 70 Nfld. & P.E.I.R. 216, 215 A.P.R. 216 (Nfld.T.D.), le juge Steele.

[17]      La Cour ne retient pas la prétention du demandeur qu’une audition de novo ne porterait que sur des erreurs de fait. Une audition de novo est abordée comme si la section d’appel était saisie de la question pour la première fois et ce n’est pas la conclusion de l’agent des visas qui est en cause, mais bien la question de savoir si la personne parrainée est membre de la catégorie de la famille. Un appel logé en vertu du paragraphe 77(3) n’est pas un contrôle judiciaire, mais une toute nouvelle audition dans laquelle la Commission examine tout le dossier et écoute les prétentions du demandeur et de l’agent chargé du dossier. Dans Rattan, précité, à la page 199, le juge Reed déclare « [s]i le répondant peut convaincre le tribunal que les conclusions de l’agent d’immigration n’étaient pas fondées, son appel est accueilli ».

[18]      En l’instance, la Commission a examiné la preuve présentée à l’agent des visas et discuté ses conclusions. La Commission a aussi écouté les allégations au sujet des prétendues erreurs. La seule chose que la Commission n’a pas faite a été de décider si l’agent des visas avait commis une erreur de droit. Bien qu’il aurait pu être salutaire que la Commission se prononce à ce sujet, même s’il ne s’agissait que d’éviter des problèmes à l’avenir, elle n’y était pas obligée. C’est le répondant qui devait convaincre la Commission que la personne qu’elle parrainait était membre de la catégorie de la famille. Afin de mieux étayer son dossier, l’avocat aurait pu vouloir démontrer les prétendues erreurs de l’agent des visas. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a adopté une interprétation large de la définition de l’audition de novo et notre Cour n’a pas l’intention de lui donner une interprétation plus étroite en obligeant la Commission à examiner les prétendues erreurs de droit de l’agent des visas. Notre Cour est liée par l’arrêt Kahlon, précité.

[19]      Notre Cour n’est pas non plus d’accord avec la prétention du demandeur que le fait de ne pas décider si la décision de l’agent des visas était correcte accorde automatiquement gain de cause au demandeur dans son appel. L’objectif de la Commission n’est pas de confirmer ou de rejeter la décision de l’agent des visas, mais bien de déterminer si la personne parrainée est membre de la catégorie de la famille. Après tout, le paragraphe 77(3) porte sur une autorisation d’en appeler et non de demander le contrôle judiciaire, ce qui veut dire que la décision de l’agent des visas pourrait être écartée au besoin.

[20]      Dans sa plaidoirie, le demandeur a soutenu que si les prétendues erreurs de droit de l’agent des visas ne peuvent être soulevées devant la Commission, la seule réparation que le demandeur peut obtenir face à la décision de l’agent des visas est un contrôle judiciaire en Cour fédérale. Cette proposition est incorrecte puisque, aux termes du paragraphe 77(3), c’est la Commission qui a compétence pour réexaminer les décisions de l’agent des visas pour tout motif d’appel portant sur une question de droit, de fait ou mixte. La première étape consiste à en appeler de la décision de l’agent des visas à la Commission dans une audition de novo. Si la Commission commet la même erreur que l’agent des visas, ou une erreur différente, il y a alors lieu de solliciter le contrôle judiciaire de la décision de la Commission devant la Section de première instance de la Cour fédérale.

[21]      Étant donné les conclusions de la Cour quant à la nature d’une audition de novo, et le fait que la présente procédure est un contrôle judiciaire de la décision de la section d’appel, la Cour décide de ne pas examiner la décision de l’agent des visas. Elle n’examinera que les prétentions du demandeur qui portent sur des erreurs qui auraient été prétendument commises par la Commission.

6.         Le défaut de se reporter à l’objectif de la législation

[22]      Aux paragraphes 6 à 10 de la décision portée en appel, la Commission déclare ceci :

1. Aucun abus du processus d’immigration

Le conseil soutient que la définition d’« adopté » doit être interprétée à la lumière des intentions du législateur, qui désirait prévenir tout abus du processus d’immigration. Il a fait valoir, sans pour autant présenter un élément de preuve, que Citoyenneté et Immigration Canada (« CIC ») cherchait à empêcher le recours à l’adoption pour permettre le parrainage de parents autrement non admissibles, et que les modifications apportées en 1993 à la définition visaient à prévenir les adoptions aux fins d’immigration.

Le conseil a ajouté que l’âge de l’enfant adopté constitue l’un des facteurs à considérer pour évaluer l’authenticité de l’adoption. Par exemple, si l’enfant adopté a moins de 13 ans, on peut présumer que l’adoption est authentique. L’enfant a besoin de parents, et il n’y a pas abus du processus d’immigration.

Je reconnais que l’âge de l’enfant à l’adoption peut être considéré pour évaluer l’authenticité aussi bien que le but de l’adoption. Je ne suis cependant pas convaincue qu’il s’agit d’un facteur déterminant. Je souligne que les modifications apportées en 1993 au Règlement sur l’immigration de 1978 (le « Règlement ») ne prévoient pas un tel critère. Et même si j’étais convaincue du contraire, rien ne me permet de conclure que 13 ans constitue l’âge approprié. En l’espèce, la requérante avait dix ans quand l’adoption a été entreprise. C’est un facteur que j’ai pris en compte pour déterminer si elle appartient à la catégorie des parents.

2. Il n’est pas nécessaire de disséquer la relation

Le conseil de l’appelant prétend qu’il n’est pas nécessaire de « disséquer » la relation entre les appelants et leur fille adoptive pour prévenir un abus du processus d’immigration. Il avance qu’il suffit de démontrer l’existence d’un lien de filiation pour que la requérante corresponde à la définition d’« adopté ». Il ne suggère cependant aucun critère à appliquer pour prouver l’existence de ce lien.

À cet égard, la Section d’appel est liée par les décisions de la Cour fédérale dans Sharma et Edrada, qui traitent toutes deux de la définition d’« adopté » avant qu’elle ait été modifiée. Je souligne que même avant l’ajout de l’élément « lien de filiation authentique » et de l’élément concernant le but de l’adoption, la Section d’appel était tenue, par ces décisions de la Cour fédérale, de procéder à une analyse des faits propres à la relation. J’ai également abordé la question en rendant ma décision dans Capiendo, affaire au cours de laquelle le conseil avait soulevé le même point.

Le contexte législatif

[23]      L’alinéa 6(2)a) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 3] de la Loi autorise tout citoyen canadien ou résident permanent à parrainer la demande d’établissement d’une personne qui est membre de la catégorie de la famille :

6. […]

(2) Les citoyens canadiens et les résidents permanents peuvent, s’ils y sont autorisés par les règlements, parrainer la demande d’établissement d’un parent, […]

[24]      Le paragraphe 2(1) du Règlement [Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172] définit le terme « parent » [édicté par DORS/93-44, art. 1] comme suit :

2. (1) […]

« parent » À l’égard d’un répondant […]

[…]

b) un fils à sa charge ou une fille à sa charge;

[25]      Le paragraphe 2(1) du Règlement définit les termes « fille à charge » [édicté par DORS/92-101, art. 1] comme suit :

2. (1) […]

« fille à charge » Fille :

a) soit qui est âgée de moins de 19 ans et n’est pas mariée,

[26]      Le paragraphe 2(1) du Règlement définit le terme « fille » [mod. par DORS/85-225, art. 1; 93-44, art. 1] comme suit :

2. (1) […]

« fille » désigne, par rapport à une personne, une personne du sexe féminin

[…]

b) qui a été adoptée par cette personne avant l’âge de 19 ans.

[27]      Le paragraphe 2(1) définit le terme « adopté » [mod., idem] comme suit :

2.(1) […]

« adopté » Personne adoptée conformément aux lois d’une province ou d’un pays étranger ou de toute subdivision politique de celui-ci, dont l’adoption crée avec l’adoptant un véritable lien de filiation. La présente définition exclut la personne adoptée dans le but d’obtenir son admission au Canada ou celle d’une personne apparentée. [Je souligne.]

Les prétentions du demandeur

[28]      Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’objectif de la législation lorsqu’elle a conclu que Qi Wen Zhao ne satisfaisait pas à la définition du terme « adopté » que l’on trouve au Règlement. Afin de bien identifier l’objectif de la législation, le demandeur présente le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, C. Gaz. 1993.II.630 (RÉIR) qui accompagnait les modifications au Règlement au sujet des enfants adoptés :

Description

Ces modifications suppriment l’ancienne distinction entre les enfants adoptés à l’étranger et les enfants naturels aux fins de détermination d’appartenance à la catégorie de la famille. Afin de réduire le nombre d’adoptions de convenance éventuelles (adoptions faites aux fins d’immigration ou en vue d’un éventuel parrainage par l’enfant adopté de sa famille naturelle), les modifications ne traitent d’adoptions que lorsque l’enfant concerné a besoin d’assistance parentale.

Dans le passé, les enfants adoptifs étaient admissibles à titre de membres de la catégorie de la famille seulement lorsque l’adoption avait eu lieu avant que l’enfant ait atteint l’âge de treize ans. De la même façon, un enfant adoptif était admissible soit comme personne à charge d’un immigrant indépendant, soit comme membre de la catégorie de la famille parrainé, s’il avait été adopté avant d’atteindre l’âge de treize ans.

Les dispositions précédentes empêchaient l’adoption d’un enfant de plus de treize ans, même si cet enfant avait réellement besoin d’assistance parentale. Le Comité parlementaire sur les droits à l’égalité avait soulevé cette question dans son rapport Égalité pour tous. Les dispositions précédentes ont également fait l’objet de requêtes devant les tribunaux dans lesquelles on alléguait qu’elles étaient discriminatoires et contraires à la disposition concernant l’égalité dans la Charte canadienne des droits et libertés. En outre, la restriction par rapport à l’âge n’était pas conforme à la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies et ne tenait pas compte des négociations sur l’adoption internationale qui ont eu lieu dans le cadre de la Conférence de La Haye de droit international privé.

Les modifications étendent l’admissibilité d’un enfant adoptif aux fins d’immigration aux enfants de moins de dix-neuf ans, rendant ainsi les dispositions relatives à l’adoption conformes aux autres dispositions d’immigration concernant le parrainage d’enfants et les personnes à charge.

Les modifications visent également à régler la question de l’utilisation éventuelle des dispositions sur l’adoption en vue de se soustraire aux exigences de l’immigration. Le lien de parenté créé par l’adoption empêcherait normalement l’enfant adoptif de parrainer des membres de sa famille naturelle. Afin d’éviter le mauvais usage des dispositions relatives à l’adoption aux fins d’immigration, les modifications empêchent les adoptions de convenance. En prenant comme modèle l’article sur le mariage de convenance, les modifications permettent d’évaluer l’authenticité de l’adoption.

Solutions de rechange envisagées

En raison des possibilités d’abus, le maintien du statu quo a été considéré attentivement. Toutefois, il en est ressorti qu’il fallait élaborer une approche qui tient compte à la fois des considérations d’égalité et d’équité, du bien-être de l’enfant et du recours aux dispositions relatives à la catégorie de la famille en vue de se soustraire aux exigences de l’immigration.

[29]      Le demandeur dépose aussi l’affidavit suivant, souscrit par Richard Clive Harrison :

[traduction]

Je, Richard Clive Harrison, domicilié dans la ville de Nepean, dans la province de l’Ontario, AFFIRME CE QUI SUIT SOUS SERMENT :

1. Je suis un agent de programmes rattaché à la Direction générale des politiques et du développement des programmes de la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada.

2. J’ai examiné les dossiers de politiques de 1961 à ce jour [1977], qui se trouvent au siège social de la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada à Hull (Québec), ainsi que les dossiers de cette Commission et de l’ancien ministère de la Main-d’œuvre et de l’Immigration qui se trouvent aux Archives nationales du Canada, dossiers qui portent sur les adoptions dans un contexte d’immigration. Voici les renseignements que j’ai extraits de ces dossiers.

3. Vers 1974, on a constaté l’existence d’un problème causé par les personnes qui arrivaient au Canada dans le but d’être adoptées par des parents, leur objectif ultime étant d’obtenir le droit d’établissement en vertu des alinéas 31(1)f) ou g) du Règlement sur l’immigration, partie I.

4. Les provinces du Manitoba et de l’Ontario ont exprimé leurs préoccupations à ce sujet. Le problème a continué à se manifester en 1976, alors que le ministère des Services sociaux et communautaires de l’Ontario a fait état d’à peu près 900 adoptions par des parents en Ontario en 1975, la plupart de ces adoptions visant des personnes venant de l’extérieur du Canada. Très peu de ces enfants tombaient dans la catégorie de personnes décrite à l’alinéa 31(1)g), puisqu’ils n’avaient pas été identifiés par une agence d’adoption ou placés auprès de l’une d’elles. En fait, l’un des parents, ou les deux, vivaient habituellement à l’extérieur du Canada et étaient dans une situation matérielle qui n’était pas moins bonne que celle de leurs compatriotes.

5. Un échantillonnage auprès de six conseillers du ministère de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, travaillant au Centre d’immigration du Canada dans la région de l’Ontario, prélevé au cours d’une période de deux semaines quelque temps avant le [illisible] avril 1976, porte que ces six conseillers avaient reçu 16 demandes au nom d’enfants adoptés au Canada. De ces 16 demandes, neuf visaient des frères ou des sœurs, cinq étaient pour des neveux et nièces et deux étaient présentées par des pères présumés. Trois des 16 enfants avaient moins de 16 ans et 5 avaient plus de 17 ans. Cet échantillonnage semblait être assez représentatif de la situation dans la Région.

6. Il est aussi devenu évident que l’âge d’adoption des fils et des filles dans la catégorie des personnes à charge parrainées était utilisé pour se soustraire au processus de sélection en autorisant l’adoption et le parrainage de personnes qui pouvaient entrer dans le marché du travail dès leur arrivée. Par conséquent, les personnes qui auraient dû être évaluées comme des demandeurs indépendants entraient comme enfants adoptés et évitaient d’avoir à satisfaire aux critères de l’évaluation du marché du travail. Cette procédure était aussi utilisée par des demandeurs qui n’auraient pu se qualifier dans la catégorie des demandeurs indépendants, mais qui pouvaient organiser leur adoption. En conséquence, on voyait arriver des jeunes travailleurs qui n’avaient pas fait l’objet d’un processus de sélection et qui étaient peu qualifiés.

7. Les dossiers indiquent que durant toute cette période l’objectif du ministère de la Main-d’œuvre et de l’Immigration et des provinces était de préparer un règlement qui ferait une place aux adoptions dans le processus d’immigration, tout en empêchant les abus. La question a été examinée sous plusieurs angles, bien qu’aucune étude statistique approfondie ne semble avoir été faite. Les préoccupations fondamentales étaient la protection de l’intérêt supérieur des enfants, le développement d’un lien véritable de filiation et la prévention des abus du régime d’immigration. Parmi les solutions proposées, il a été question de fixer une différence minimale d’âge entre le parent et l’enfant, ainsi que d’ajuster la limite d’âge pour l’adoption afin de correspondre à [illisible].

8. C’est dans ce contexte que le Règlement sur l’immigration de 1978 est venu exiger que les enfants adoptés le soient avant leur treizième anniversaire de naissance, afin d’obtenir les avantages prévus pour les fils et les filles en cette qualité en vertu du Règlement sur l’immigration de 1978. L’âge de 13 ans a été fixé pour empêcher le type d’abus du régime d’immigration qu’on avait identifié.

9. Cet affidavit est présenté dans le cadre de l’appel de Gerardo Morzan Decayanon et il ne vise aucun objectif illégitime.

[30]      Le demandeur soutient que la définition actuelle du terme « adopté » vise deux objectifs : autoriser l’adoption d’enfants de moins de 19 ans et éviter qu’on se soustraie aux exigences de l’immigration. Le demandeur soutient que la législation veut prévenir deux types d’abus : le premier est celui où un enfant obtient l’admission au Canada dans l’intention de parrainer sa famille biologique; le deuxième est lorsqu’un enfant est adopté afin d’éviter l’évaluation plus exigeante qui vise les travailleurs indépendants et qu’il obtient un emploi dès son arrivée au Canada. Le demandeur soutient que c’est ce dernier type d’abus qui est visé par la législation. Le défendeur définit l’objectif de la législation comme étant la prévention de l’immigration illégale d’enfants qui obtiennent un emploi ou qui s’en remettent au régime d’aide sociale, ou qui sont forcés par leurs parents adoptifs à travailler ou à obtenir de l’aide sociale.

[31]      En l’instance, l’enfant aurait été adoptée à l’âge de 10 ans. Le demandeur soutient qu’on ne l’a pas adoptée pour qu’elle obtienne un emploi, et qu’il n’y a pas non plus de preuve que ses parents la confieraient au régime d’aide sociale. Par conséquent, la Commission a commis une erreur en ne faisant pas état de l’abus potentiel qui serait causé au régime d’immigration si on autorisait Qi Wen Zhao à entrer au Canada.

[32]      Le demandeur soutient que la Commission ne devrait pas évaluer la qualité du lien de filiation, mais seulement son existence. La Commission ne devrait pas non plus examiner la question de savoir si l’adoption a pour objectif d’accorder un environnement familial stable à l’enfant. Le demandeur soutient que c’est seulement lorsqu’une adoption vise un abus du régime d’immigration ou d’aide sociale qu’une adoption n’est pas authentique, la Commission devant spécifiquement conclure que c’est le cas.

Les prétentions du ministre

[33]      Le ministre soutient que l’objectif de la définition du terme « adopté » est d’empêcher une utilisation abusive des dispositions sur l’adoption pour atteindre des objectifs d’immigration inappropriés, comme c’est le cas lorsqu’on veut se soustraire au processus de sélection réglementaire. Les préoccupations notées par le demandeur font partie des diverses possibilités d’abus du régime d’immigration.

[34]      Le ministre soutient, au paragraphe 22 de son mémoire, que le législateur a précisément confié à la Commission la tâche d’examiner s’il y avait un véritable lien de filiation afin d’éviter les abus potentiels du régime d’immigration. Par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour aller plus loin que le critère législatif et décider d’admettre un enfant du fait que son admission ne présenterait pas un fardeau pour les services sociaux, nonobstant l’absence d’un lien véritable. La section d’appel doit déterminer s’il y a un lien véritable de filiation et elle ne devrait jamais faillir à cette tâche. En l’instance, la Commission s’en est acquittée de façon résolue.

Analyse

[35]      La Cour n’est pas convaincue que la version que présente le demandeur des objectifs de la définition du terme « adopté » soit la bonne. Avant la modification de 1993, la définition du terme « adopté » en vertu du Règlement sur l’immigration, C.R.C., ch. 940, article 2, était rédigée comme suit :

2. […]

« adopté », par rapport à un enfant, signifie adopté conformément aux lois d’une province du Canada ou aux lois d’un pays autre que le Canada ou d’une subdivision politique de ce pays, lorsque l’adoption a créé entre l’adoptant et l’enfant un lien […] de filiation et qu’elle a été prononcée avant le 13e anniversaire de naissance de l’enfant.

[36]      La définition du terme « adopté » a été modifiée par DORS/93-44 et elle est présentement rédigée comme suit :

2. (1) […]

« adopté » Personne adoptée conformément aux lois d’une province ou d’un pays étranger ou de toute subdivision politique de celui-ci, dont l’adoption crée avec l’adoptant un véritable lien de filiation. La présente définition exclut la personne adoptée dans le but d’obtenir son admission au Canada ou celle d’une personne apparentée.

[37]      On note tout de suite un premier changement, savoir que le législateur a ajouté l’exigence que l’adoption crée un « véritable lien de filiation ». La définition précédente ne supposait que l’existence d’un « lien de filiation ».

[38]      Deuxièmement, l’ancienne définition du terme « adopté » exigeait que l’adoption soit prononcée « avant le 13e anniversaire de naissance de l’enfant ». La version modifiée n’indique pas quand l’adoption doit être réalisée. La définition du terme « fille » indique qu’il comprend une personne de sexe féminin qui a été adoptée avant l’âge de 19 ans. Par conséquent, la modification vient augmenter l’âge limite d’adoption, qui passe de 13 à 19 ans.

[39]      Finalement, la nouvelle définition mentionne spécifiquement les formes d’abus qu’on veut contrôler : la définition du terme « adopté » « exclut la personne adoptée dans le but d’obtenir son admission au Canada ou celle d’une personne apparentée ».

[40]      Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation place ces changements en contexte. Il porte que le Règlement vise à réduire le nombre d’adoptions de convenance éventuelles, qui sont définies comme des adoptions faites aux fins d’immigration ou en vue d’un éventuel parrainage par l’enfant adopté de sa famille naturelle. Le RÉIR indique clairement que les adoptions faites aux fins d’immigration visent à se soustraire aux exigences de l’immigration. Lorsque l’interprétation des lois est en cause, comme c’est le cas en l’instance, le RÉIR peut assister la Cour dans sa tâche d’interprétation.

[41]      Dans l’affidavit de M. Harrison, il est question des problèmes qui se posent lorsqu’on cherche à se soustraire aux exigences de l’immigration. Il note que l’âge d’adoption dans la catégorie des personnes à charge parrainées était utilisé pour se soustraire au processus de sélection en matière d’immigration, en autorisant l’adoption et le parrainage de personnes qui pouvaient entrer dans le marché du travail dès leur arrivée au Canada. Par conséquent, les personnes qui auraient dû être évaluées comme des demandeurs indépendants entraient comme enfants adoptés et évitaient d’avoir à satisfaire aux critères plus exigeants de l’évaluation du marché du travail. En conséquence, on voyait arriver au Canada des jeunes travailleurs qui n’avaient pas fait l’objet d’un processus de sélection et qui étaient peu qualifiés. À l’époque, le législateur avait voulu éviter ce problème en fixant l’âge limite d’adoption à 13 ans aux fins de l’admission au Canada.

[42]      Il est facile d’imaginer que certaines familles ont eu des difficultés à cause de cette limite d’âge, et le RÉIR note que l’interdiction visant les enfants de plus de 13 ans venait empêcher l’adoption d’enfants qui avaient réellement besoin d’assistance parentale. Le Comité parlementaire sur les droits à l’égalité avait soulevé cette question et des requêtes en vertu de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985) appendice II, no 44]] ont été déposées devant les tribunaux. De plus, la restriction liée à l’âge n’était pas conforme à au moins deux traités internationaux ratifiés par le Canada. Par conséquent, le législateur a porté la limite d’âge à 19 ans. Toutefois, en enlevant la limite qui était fixée à 13 ans, les difficultés qu’on avait connues avec les adoptions de convenance pouvaient facilement se reproduire. Par conséquent, le législateur a adopté le critère du lien « véritable » pour éviter les adoptions de convenance, en autorisant l’évaluation de l’aspect authentique de l’adoption. Le RÉIR déclare aussi que le lien véritable créé par l’adoption empêcherait l’enfant adoptif de parrainer des membres de sa famille naturelle.

[43]      Le législateur a considéré le maintien du statu quo pour éviter les abus, mais il a conclu qu’il fallait élaborer une approche qui tenait compte à la fois des considérations d’égalité et d’équité, du bien-être de l’enfant et de la tendance à se soustraire aux exigences de l’immigration. Par conséquent, le fait d’exiger que l’adoption crée un lien véritable de filiation était de toute évidence un choix délibéré du législateur et il exige qu’on évalue l’authenticité de l’adoption.

[44]      La Cour conclut qu’il y a trois objectifs visés par la définition modifiée du terme « adopté » au Règlement : d’éviter les adoptions dont l’objectif est de se soustraire aux exigences de la sélection en matière d’immigration; d’éviter les adoptions dont l’objectif est le parrainage de la famille biologique; et de promouvoir l’unification des familles en assurant que les enfants adoptés de moins de 19 ans qui ont réellement besoin d’assistance parentale sont autorisés à immigrer au Canada. Le critère de la loi intègre les objectifs de la législation en exigeant que les agents d’immigration évaluent l’authenticité du lien de filiation avant de conclure que l’enfant peut recevoir le droit d’établissement à titre de membre de la catégorie de la famille.

[45]      L’allégation du demandeur qui porte que le seul objectif de la législation est d’éliminer les abus est trompeuse. La législation vise en effet à prévenir les abus, mais elle vise aussi à promouvoir l’unification des familles lorsqu’il existe un lien véritable de filiation. Le point de vue exprimé par le demandeur qui veut que l’objectif de la législation serait d’empêcher les enfants adoptés de devenir une charge pour le régime d’aide sociale est imprécise. La législation n’a pas pour but spécifique d’éliminer qu’on fasse pression sur le régime d’aide sociale, même si le fait de prévenir les abus du régime d’immigration peut en fait empêcher des travailleurs sans qualifications d’entrer au Canada. Toutefois, la législation essaie d’éviter ce résultat en décourageant, sinon en empêchant, les adoptions de convenance. La Commission n’a pas à aller plus loin que le critère de la loi. Si on le faisait, les agents d’immigration devraient évaluer si l’admission d’un enfant au Canada causerait des pressions sur le régime d’aide sociale, nonobstant l’absence d’un véritable lien de filiation.

[46]      Le demandeur soutient aussi que l’objectif de la législation est d’empêcher les parents adoptifs de forcer l’enfant adopté à entrer sur le marché du travail ou à se prévaloir du régime d’aide sociale. Cette allégation est de la spéculation et le problème visé trouve son remède dans une évaluation de l’authenticité du lien de filiation. Le demandeur soutient qu’il n’y a aucune suggestion que les parents adoptifs de Qi Wen Zhao la confieraient au régime d’aide sociale, non plus qu’elle entrerait sur le marché du travail à son arrivée. Toutefois, c’est pour tester la véracité de telles allégations que la législation exige que les fonctionnaires canadiens évaluent l’authenticité du lien de filiation.

[47]      Le demandeur soutient aussi que ce n’est pas la qualité du lien de filiation qui est en cause, mais bien son existence, et que la Commission ne devrait pas se préoccuper de l’intensité de la relation. Cette allégation entre en contradiction avec l’exigence explicite de la loi qui précise que l’adoption doit créer un véritable lien de filiation. Il est clair que ceci oblige les agents d’immigration à faire une évaluation qualitative du lien de filiation et non seulement à vérifier qu’il existe.

[48]      Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Edrada (1996), 108 F.T.R. 60 (C.F. 1re inst.), le ministre en appelait d’une décision de la Commission qui accueillait l’appel d’un répondant. La Commission avait décidé que la seule question à trancher était celle de savoir si l’adoption était légalement valable. La Cour a annulé la décision en déclarant que la Commission devait aussi déterminer si l’adoption avait créé un lien de filiation. Le juge MacKay déclare, à la page 64 :

À mon avis, l’art. 2(1) du Règlement tel qu’il était en vigueur à l’époque, faisait au tribunal l’obligation, une fois qu’il a conclu que les conditions d’adoption prévues par la loi du pays étranger étaient remplies, d’examiner si un lien de filiation s’est créé entre le père et l’enfant adoptifs. La définition du terme « adopté » à l’art. 2(1) implique une investigation en deux étapes, savoir en premier lieu si la loi du pays étranger en matière d’adoption a été respectée et, en second lieu, s’il s’est créé un lien entre père et mère et enfant.

Si le législateur avait voulu prévoir que l’observation de la loi applicable du pays étranger concerné est le seul facteur permettant de conclure que quelqu’un est adopté au sens de la Loi et du Règlement, il n’aurait servi à rien d’incorporer dans la définition le membre de phrase « lorsque l’adoption crée un lien entre père et mère et enfant ». Il faut, à mon avis, que ce membre de phrase ait un sens. Afin de prouver l’adoption au regard de cette définition, il est nécessaire d’établir l’existence d’un lien de filiation, outre l’observation des lois applicables en la matière.

À mon avis, le tribunal a commis en l’espèce une erreur de droit en concluant que, pour juger si Randy avait été adopté au sens de la Loi et du Règlement, il lui suffisait d’examiner si les lois des Philippines en matière d’adoption avaient été respectées pour établir le lien de filiation. Le tribunal était tenu en outre de juger, à la lumière des faits de la cause, si l’adoption a effectivement créé un lien de filiation entre l’intimé et Randy. Il s’est refusé à examiner cette question, qui est essentielle dans l’application de la Loi et du Règlement. Par ce refus, il a commis une erreur de droit. [Je souligne.]

[49]      Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Sharma (1995), 101 F.T.R. 54 (C.F. 1re inst.), le ministre en appelait d’une décision de la Commission qui accueillait un appel d’un répondant. Le juge Wetston déclare, à la page 56 :

2. Existe-t-il un lien de filiation?

En ce qui concerne la seconde question qui consiste à savoir si l’adoption a créé un lien de filiation, il est évident que la Section d’appel a commis une erreur en omettant d’apprécier les circonstances factuelles entourant l’adoption. En concluant qu’une adoption valide suivant le droit étranger entraîne la création d’un lien de filiation, la Section d’appel ne peut avoir considéré l’arrêt Singh, précité, de la Cour d’appel fédérale. Un lien de filiation n’est pas établi automatiquement dès lors qu’il est satisfait aux exigences d’une adoption en pays étranger. En d’autres termes, même si l’adoption satisfait aux dispositions de la HAMA, il y a tout de même lieu d’analyser la question de savoir si l’adoption a créé un lien de filiation, de sorte qu’elle satisfait aux exigences de la définition du terme « adoption » à l’art. 2(1) du Règlement sur l’immigration de 1978. Si je doute, étant donné les faits en l’espèce, que le lien de filiation requis ait été établi, il s’agit là d’une décision qui relève de la Section d’appel. [Je souligne.]

[50]      Finalement, l’avocat du demandeur n’a pas, dans ses allégations, fait état du problème causé lorsque les enfants adoptés cherchent à parrainer leurs parents biologiques, forme d’abus qui est certainement visé par la législation. En l’instance, il y a eu très peu de contacts entre l’enfant et ses parents adoptifs alors qu’il y a des liens très forts entre l’enfant et ses parents biologiques. Dans une telle situation, il est tout à fait possible que l’enfant adopté puisse éventuellement chercher à parrainer ses parents biologiques dans le cadre d’une demande d’immigration.

[51]      En résumé, le critère de la loi reflète clairement les objectifs du législateur. Le critère exige qu’on évalue l’authenticité du lien entre Qi Wen Zhao et ses parents adoptifs. En faisant cette évaluation, la Commission a appliqué le critère de la loi et respecté les objectifs de la législation.

7.         Les erreurs dans l’application de la définition du terme « adopté »

a.    L’objectif principal de l’adoption

[52]      Au paragraphe 22 de sa décision, le membre de la section d’appel déclare ceci :

Je crois que les parents biologiques désirent donner un plus bel avenir à leur fille aînée en la faisant admettre au Canada. Toutefois, il ne s’agit pas de leur seule motivation, car d’autres éléments de preuve crédibles indiquent que l’appelant et Mme Zhao souhaitaient accueillir un enfant chez eux pour fonder une seconde famille. C’est ainsi qu’ils ont adopté la requérante en 1994, quand elle avait dix ans et qu’elle avait besoin de parents en raison de son âge. Ces conclusions doivent cependant être envisagées à la lumière de la preuve dans son ensemble.

Les prétentions du demandeur

[53]      La définition du terme « adopté » dans le Règlement exclut une personne qui est adoptée dans le but d’obtenir son admission au Canada. Le demandeur soutient que pour qu’une adoption contrevienne aux exigences de la législation, elle doit être faite uniquement dans le but d’obtenir l’admission au Canada. Lorsque l’obtention de l’admission au Canada n’est pas le seul objectif de l’adoption, le Règlement n’interdit pas l’admission de l’enfant adopté. Au paragraphe 28 de la page 10 de la réponse du demandeur, on trouve les affirmations suivantes :

[traduction]

28. Aux fins de l’adoption, le législateur a fourni un guide précis pour arriver à une conclusion aux fins de l’immigration. Ce guide est l’aspect véritable du lien de filiation.

29. Le critère principal du Règlement est l’objectif d’immigration. Étant donné que l’objectif d’immigration doit être identifié en examinant d’autres faits puisqu’il n’est vraisemblablement pas déclaré ouvertement par les parties, le Règlement dit à ceux qui administrent la Loi quels sont les autres faits qu’ils doivent examiner, savoir l’authenticité du lien de filiation. Toutefois, lorsque le critère principal de l’objectif est satisfait, il n’y a pas lieu d’aller plus loin. Aux fins du Règlement, l’aspect véritable est présumé dès que le demandeur a convaincu l’agent des visas ou que l’appelant a convaincu la Commission que l’objectif de l’adoption n’était pas l’immigration.

Les propositions du demandeur que je viens de citer sont totalement erronées. L’authenticité ne peut être présumée et certainement pas en démontrant que « l’adoption » ne vise pas un objectif d’immigration. Il ne doit jamais en être ainsi.

Les prétentions du ministre

[54]      Le ministre soutient que le critère de la loi exige que l’adoption crée un lien véritable de filiation et que la Commission a conclu qu’un tel lien n’avait pas été créé en l’instance. De plus, le ministre présente la déclaration de Mme le juge Sharlow, qu’on trouve au paragraphe 7 de Jeerh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 2 Imm. L.R. (3d) 96 (C.F. 1re inst.), à l’appui de la proposition qui veut que la Commission ait agi de façon raisonnable en concluant que l’adoption était à des fins d’immigration étant donné l’absence d’un lien véritable :

La troisième condition est remplie si Gurnek n’a pas été adopté dans le but d’obtenir son admission au Canada ou celle d’une personne apparentée. Le tribunal a conclu que cette condition n’avait pas été remplie, mais il n’a fourni aucun motif à cet égard si ce n’est sa conclusion sur la deuxième condition. En d’autres termes, vu sa conclusion selon laquelle la deuxième condition n’avait pas été remplie, le tribunal a conclu que la troisième condition n’avait pas été remplie non plus. Si l’adoption n’a pas créé un véritable lien de filiation, il est raisonnable de conclure que le but de l’adoption était de faciliter l’immigration de Gurnek au Canada. Toutefois, si le tribunal a commis une erreur en concluant qu’il n’existait pas de véritable lien de filiation, il a forcément commis une erreur en concluant comme il l’a fait relativement à la troisième condition. [Je souligne.]

L’avocat du demandeur a tout simplement mal interprété la déclaration du juge. Elle ne parle pas d’une présomption de lien véritable.

Analyse

[55]      L’avocat du demandeur déclare dans son mémoire du droit que [traduction] « où l’objectif de l’adoption est l’admission au Canada, même si c’est l’objectif principal, sans toutefois être le seul objectif de l’adoption, le Règlement n’interdit pas l’admission de l’enfant ». Cette proposition ne peut être retenue étant donné la définition donnée au terme adopté, qui « exclut la personne adoptée dans le but d’obtenir son admission au Canada ».

[56]      Bien qu’il ne soit pas clair si le juge Sharlow appuyait ou réitérait le point de vue du tribunal dans Jeerh, précité, on peut avec raison avancer la possibilité d’une conclusion voulant que l’objectif de l’adoption était d’obtenir l’adoption de l’enfant au Canada en l’absence d’un lien véritable de filiation. Toutefois, la Cour n’a pas à trancher cette question étant donné que la Commission a conclu que le critère de la loi n’était pas satisfait puisqu’il n’y avait pas en l’instance de lien véritable.

b.    Le critère de l’adoption est à deux volets

Les prétentions du demandeur

[57]      Le demandeur soutient que le critère de l’adoption est à deux volets et qu’il est semblable à celui du mariage de convenance, qui est défini au paragraphe 4(3) [mod. par DORS/93-44, art. 4] du Règlement :

4. (1) […]

(3) La catégorie de parents ne comprend pas le conjoint qui s’est marié principalement dans le but d’obtenir l’admission au Canada à titre de parent et non dans l’intention de vivre en permanence avec son conjoint.

[58]      Dans Horbas c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 C.F. 359 (1re inst.), le juge Strayer a conclu que pour qu’une demande de parrainage par le conjoint soit rejetée, il faut que le demandeur ne satisfasse à aucun des deux volets du critère. Le demandeur soutient que le même principe s’applique ici : pour qu’on refuse l’entrée, l’adoption doit ne pas avoir créé de lien véritable et elle doit avoir eu comme seul but des fins d’immigration. Une fois que la Commission a conclu que le demandeur voulait adopter l’enfant, l’avocat de ce dernier déclare qu’elle aurait dû mettre fin à son enquête et accueillir l’appel.

[59]      Le demandeur présente aussi la déclaration suivante du juge Reed, que l’on trouve à la page 199 de Rattan, précité :

On ne s’attend pas à ce que le conjoint parrainé déclare expressément qu’il n’a pas l’intention de résider en permanence avec le conjoint répondant. En fait, on ne s’y attend guère. Dans ces cas, des conclusions sont habituellement tirées d’un certain nombre d’aspects de la preuve.

Les prétentions du ministre

[60]      Le ministre soutient que la prétendue adoption ne satisfait pas au critère de la loi si elle ne crée pas un lien véritable de filiation ou si son objectif était l’immigration. Si la Commission conclut à l’existence de l’un ou l’autre de ces facteurs, elle peut rejeter l’appel parce qu’il ne satisfait pas au critère établi par la loi.

Analyse

[61]      Le demandeur semble considérer que le désir d’adopter un enfant est l’équivalent de la création d’un lien véritable. Le critère de la loi exige qu’on aille plus loin que les bonnes intentions. De plus, la définition du terme « adopté » ne doit pas être interprétée en utilisant la définition du mariage de convenance. Une simple lecture de l’article portant sur le mariage de convenance fait ressortir que deux éléments doivent être présents : la personne doit s’être mariée principalement dans le but d’obtenir l’admission au Canada et elle ne doit pas avoir l’intention de vivre en permanence avec son conjoint. Comme le déclare le juge Sharlow dans Jeerh, précité, aux paragraphes 4 à 7, une simple lecture de la définition du terme « adopté » indique qu’une demande doit être rejetée dès que l’une ou l’autre des trois conditions n’est pas satisfaite :

Par conséquent, Gurnek est le fil du demandeur pour l’application du Règlement seulement si trois conditions sont remplies.

La première condition est remplie si Gurnek a été adopté par le demandeur conformément aux lois de l’Inde. Le tribunal n’a pas fait de remarques sur cette condition, et je considère comme un fait établi que cette condition a été remplie.

La deuxième condition est remplie si l’adoption a créé un véritable lien de filiation entre le demandeur et Gurnek. Le tribunal a conclu que cette condition n’avait pas été remplie. Les motifs invoqués au soutien de cette conclusion sont examinés ci-après.

La troisième condition est remplie si Gurnek n’a pas été adopté dans le but d’obtenir son admission au Canada ou celle d’une personne apparentée. [Je souligne.]

[62]      L’extrait de Rattan, précité, indique qu’on doit examiner la preuve afin de déterminer si les parties à un mariage n’ont pas l’intention de vivre ensemble. Le même raisonnement s’applique aux adoptions de convenance, étant donné qu’il est improbable que les parties en cause admettent qu’il s’agit d’une adoption de convenance.

8.         L’évaluation de l’authenticité du lien

a.    Conclusion contradictoire

Les prétentions du demandeur

[63]      Le demandeur soutient que la section d’appel s’est contredite en rejetant l’appel après avoir conclu que l’adoption était authentique. Le demandeur cite plusieurs extraits pour démontrer qu’un lien véritable de filiation a été créé. Au paragraphe 19 de sa décision, la Commission déclare ceci : « Je suis persuadée que Mme Zhao désire véritablement avoir son propre enfant, et M. Zhou [sic] est entièrement d’accord ». Au paragraphe 22 de sa décision, le membre déclare que « d’autres éléments de preuve crédibles indiquent que l’appelant et Mme Zhao souhaitaient accueillir un enfant chez eux pour fonder une seconde famille ». À la page 28 de la transcription de l’audience, le membre de la Commission déclare que [traduction] « les motivations en l’instance ne me causent pas de préoccupations ». Finalement, à la page 30 de la transcription, elle déclare [traduction] « je suis convaincue que les motivations sont les bonnes ».

Les prétentions du ministre

[64]      Le ministre soutient que la Commission ne s’est pas contredite : un parent adoptif peut désirer avoir un enfant, sans avoir encore créé de lien de filiation avec un enfant donné. Il n’y a rien de contradictoire à conclure que l’adoption n’a pas créé un « lien véritable de filiation » malgré le fait que Mme Zhao désirait vraiment avoir son propre enfant. Le ministre soutient qu’on ne peut pas constater l’existence d’une adoption, étant donné que les « parents » adoptifs n’ont pas créé de lien de filiation avec Qi Wen Zhao, nonobstant le fait que Mme Zhao déclare vouloir un enfant. Cela ne suffit pas. Après tout, la section d’appel a conclu que Mme Zhao veut véritablement avoir son propre enfant, mais que dans les circonstances il n’existait pas de lien véritable de filiation. Elle a eu raison de conclure ainsi et il n’y a aucune contradiction.

Analyse

[65]      Le fait que Mme Zhao voulait un enfant ne suffit pas à satisfaire au critère de la loi qui exige l’existence d’un lien véritable. Le fait qu’elle voulait avoir un enfant chez elle illustre sa motivation pour procéder à une adoption, mais il n’établit pas l’existence d’un lien véritable.

b.    Couper les ponts avec les parents

[66]      Au paragraphe 13 de sa décision, la Commission déclare ceci :

4. La relation avec les parents biologiques n’est pas pertinente

Selon le conseil de l’appelant, le fait que l’enfant adopté demeure en relation avec les parents biologiques ne devrait pas exclure la conclusion qu’il existe un véritable lien de filiation entre l’enfant et les parents adoptifs. Je suis d’accord avec le principe, mais je précise que c’est la nature de la relation avec les parents biologiques qui peut être déterminante relativement à l’authenticité de l’adoption. À mon avis, la relation de l’enfant avec les parents biologiques n’est qu’un des facteurs à envisager. Qu’un enfant adopté continue d’aimer ses parents biologiques n’empêche pas le tribunal, à mes yeux, de conclure à l’existence d’un lien de filiation authentique entre les parents adoptifs et l’enfant. Toutefois, si l’enfant adopté perçoit toujours ses parents biologiques comme un symbole d’autorité sans reconnaître ses parents adoptifs et sans s’engager dans une relation avec eux, cette situation peut dissuader le tribunal de l’existence d’un véritable lien de filiation. [Je souligne.]

[67]      Elle ajoute, au paragraphe 23 :

Une fois établi le but de l’adoption, je dois me demander si, selon la prépondérance des probabilités, l’adoption a permis de créer un véritable lien de filiation. D’après moi, la preuve démontre, selon la prépondérance des probabilités, que ce lien n’a pas été créé. Le nom de l’enfant n’a pas été modifié et l’adoption n’a pas été annoncée en dehors de la famille biologique de la requérante, car, aux dires de cette dernière, les gens « faisaient des commérages ». Cette explication ne me paraît pas convaincante, d’autant qu’on n’a pas précisé en quoi ces « commérages » auraient pu s’avérer problématiques. Toujours d’après moi, la preuve indique, selon la prépondérance des probabilités, que l’autorité parentale n’est pas passée des parents biologiques aux parents adoptifs. La seule influence exercée par l’appelant sur les parents biologiques ou la requérante relève des fonds qu’il envoyait et qui étaient destinés à toute la famille, et non à la seule requérante. De plus, je constate que la requérante continue de nommer l’appelant et sa femme « oncle » et « tante ». Il ressort de la preuve que la requérante continue de percevoir ses parents biologiques comme un symbole d’autorité. Les témoins ont déclaré que la requérante ne serait considérée comme la fille de l’appelant et de Mme Zhao qu’à son arrivée au Canada, moment où le lien de filiation serait créé. [Je souligne.]

Les prétentions du demandeur

[68]      Dans Cansino c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (19 janvier 1996), W94-00057 (S.A.I.), à la page 6, une formation de la Commission a présenté une liste d’éléments à examiner lorsqu’il faut évaluer l’existence d’un lien véritable de filiation :

a)    la motivation et les intentions des parties à l’adoption;

b)    l’historique de l’adoption et des parties en cause;

c)    la nature du lien, avant et après l’adoption, entre l’enfant et ses parents adoptifs et biologiques;

d)    le transfert de l’autorité et de la responsabilité vis-à-vis l’enfant adopté, des parents biologiques aux parents adoptifs;

e)    les arrangements conclus par les parents biologiques et adoptifs pour réaliser l’adoption.

La formation note que l’évaluation des indices d’un lien véritable de filiation doit nécessairement être faite en contexte. Des considérations culturelles, sociales, économiques, religieuses et pratiques vont s’appliquer de façon différente à chaque famille adoptive et il y a lieu de les examiner et de les soupeser avec un grand soin.

[69]      Le demandeur soutient qu’en vertu du droit canadien la relation entre l’enfant et ses parents biologiques n’est pas pertinente, pas plus avant qu’après l’adoption. Le demandeur soutient que la question du transfert de l’autorité des parents biologiques aux parents adoptifs n’est pas pertinente. Le demandeur soutient qu’il est possible que les deux ensembles de parents aient un lien véritable de filiation avec l’enfant adopté. L’existence d’un lien de filiation avec les parents biologiques n’empêche pas l’existence d’un lien de filiation avec les parents adoptifs. L’objectif du législateur n’était pas d’encourager qu’un enfant coupe les ponts avec ses parents biologiques avant d’arriver au Canada.

Les prétentions du ministre

[70]      Le ministre soutient que la section d’appel a clairement reconnu qu’un lien pourrait subsister entre les parents biologiques et l’enfant adopté après l’adoption, et qu’elle a déclaré clairement que le fait qu’un enfant adopté continue d’aimer ses parents biologiques n’empêchait pas de conclure à l’existence d’un véritable lien de filiation entre les parents adoptifs et l’enfant. Il est clair que la Commission n’exigeait pas que les parents naturels coupent tous les liens avec leur enfant. En fait, ce que la Commission a considéré pertinent est que l’autorité réside dans une de ces situations et non dans l’autre.

[71]      Le ministre soutient que l’évaluation de la relation de l’enfant avec ses parents biologiques après l’adoption facilite l’évaluation de sa relation avec ses parents adoptifs. De plus, le ministre soutient que la Commission ne s’attendait pas à ce que la relation entre les parents adoptifs et l’enfant soit parfaite lorsqu’elle a procédé à son évaluation de la bonne foi de cette adoption. Il ne s’agissait que d’un facteur parmi d’autres.

Analyse

[72]      Le RÉIR déclare que le lien de parenté créé entre le parent et l’enfant adoptif empêcherait normalement ce dernier de parrainer ses parents biologiques à son arrivée. Par conséquent, en évaluant si un enfant adopté pourrait vouloir parrainer ses parents biologiques, la relation entre l’enfant et ses parents biologiques après l’adoption est pertinente lorsqu’il s’agit d’appliquer le critère de la loi.

[73]      De plus, plusieurs facteurs doivent être pris en compte en évaluant l’authenticité de l’adoption, la nature des liens de l’enfant avec ses parents biologiques étant seulement un facteur. Il s’agit d’une analyse très subjective. Dans l’ouvrage Immigration Law and Practice, feuilles mobiles (Markham, Ont. : Butterworths, 1992), L. Waldman déclare, au paragraphe 10.145.24 :

[traduction]

10.145.24 La deuxième question soulevée dans les cas d’adoption est celle de savoir si l’on a créé un véritable lien de filiation, et celle de savoir si l’adoption a été réalisée dans le but de faciliter l’admission du demandeur au Canada. Il est clair que cette question est très subjective. En examinant l’authenticité d’une adoption, la Section d’appel examine toute la preuve qui lui est présentée afin de déterminer si un lien véritable de filiation a été créé. La Commission examinera donc la preuve portant sur les liens entre l’enfant et les parents adoptifs, les communications entre l’enfant et les parents adoptifs, l’appui financier accordé à l’enfant par les parents adoptifs et le contrôle exercé sur la vie de l’enfant par les parents adoptifs. L’explication du pourquoi de l’adoption est aussi une considération pertinente. Aucun de ces facteurs n’est en soi concluant et la Commission doit tous les examiner afin de déterminer si l’on a créé un lien de filiation. [Je souligne.]

[74]      Dans Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 33 Imm. L.R. (2d) 28 (S.A.I.), une formation de la Commission déclare, aux pages 32 et 33 :

[traduction]

La question est alors la suivante : qu’est-ce qui constitue un véritable lien de filiation? Ou, plus exactement, quels sont les facteurs qui pourraient être pris en considération pour évaluer l’authenticité d’un lien de filiation créé par une adoption au sens du Règlement sur l’immigration de 1978?

La réponse à cette question peut sembler intuitive, mais, après réflexion, on se rend compte qu’elle est fondamentalement complexe, comme dans tous les cas où des considérations humaines sont en cause. On peut cependant se servir du principe généralement accepté selon lequel les parents agissent normalement dans le meilleur intérêt de leurs enfants.

En conséquence, le tribunal a cerné certains des facteurs utilisés pour évaluer l’authenticité du lien de filiation. Ces facteurs sont les suivants :

a) les motifs des parents adoptifs;

b) dans une moindre mesure, les motifs et la situation des parents naturels;

c) l’autorité et l’influence exercées par les parents adoptifs sur l’enfant adopté;

d) le fait que l’autorité des parents adoptifs a supplanté celle des parents naturels;

e) les rapports de l’enfant avec ses parents naturels après l’adoption;

f) le traitement accordé à l’enfant adopté par les parents adoptifs en comparaison de celui accordé à leurs enfants naturels;

g) les rapports entre l’enfant adopté et les parents adoptifs avant l’adoption;

h) les changements découlant du nouveau statut de l’enfant adopté, p. ex., des registres, des droits, etc., et notamment la reconnaissance, par des documents, que l’enfant est le fils ou la fille des parents adoptifs;

i) les dispositions et mesures prises par les parents adoptifs relativement au soin, au soutien et à l’avenir de l’enfant.

Cette liste de facteurs n’est pas exhaustive. Certains d’entre eux peuvent ne pas s’appliquer à une affaire donnée, alors que d’autres facteurs, qui ne sont pas mentionnés dans la liste, peuvent être pertinents. [Je souligne.]

[75]      Finalement, dans Pabla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 2054 (1re inst.) (QL), le juge Blais déclare, aux paragraphes 25 à 27 :

2. La qualification du lien de filiation effectuée par la Commission est-elle raisonnable?

La Commission s’est basée sur les éléments suivants pour conclure qu’il n’existait pas de véritable lien de filiation :

a) les contradictions entre le témoignage du demandeur et celui de sa femme au sujet du moment où l’enfant est venu vivre avec la femme du demandeur;

b) le demandeur, sa femme et le père naturel de l’enfant ont donné trois dates différentes pour ce qui est du moment où l’enfant est allé vivre avec la femme du demandeur;

c) la demande de résidence permanente de l’enfant indique qu’elle a vécu avec ses parents naturels jusqu’à l’âge de neuf ans;

d) le demandeur n’a pas assisté à la cérémonie d’adoption et n’a pas fourni d’explication crédible à ce sujet;

e) la femme du demandeur n’a pas été voir l’enfant depuis 1994;

f) le demandeur n’a pas exercé son autorité parentale sur l’enfant.

J’estime néanmoins que la Commission n’a pas tenu compte de nombreux autres faits non contestés qui indiquaient qu’il existait un véritable lien de filiation entre ces personnes.

Je suis d’accord avec l’avocat du demandeur lorsqu’il affirme que le tribunal n’a pas tenu compte des éléments de preuve suivants lorsqu’il a conclu que l’adoption n’avait pas entraîné la création d’un lien de filiation :

[traduction]

- L’enfant avait pratiquement cessé d’avoir des contacts avec ses parents naturels et depuis son adoption vivait chez le fondé de pouvoir du demandeur. Compte tenu de ces éléments, il est difficile de savoir si l’enfant a pu préserver sa relation avec ses parents naturels et si l’on considère que le demandeur n’est pas son parent, l’enfant n’aurait alors plus de parent. Un tel résultat serait bien sûr absurde.

- Le demandeur a déclaré qu’il avait toujours subvenu aux besoins de l’enfant depuis son adoption.

- L’appelant a également déclaré qu’il envoyait des cadeaux en Inde.

- L’appelant a également déclaré qu’il allait voir son enfant deux fois par an et qu’il demeurait avec elle pendant toute la durée de ces visites. Cela est tout à fait inhabituel et indique que le demandeur s’intéresse vivement à son enfant et qu’il souhaite établir des liens étroits avec elle malgré la distance.

- Le demandeur a déclaré qu’il passait tout son temps avec son enfant lorsqu’il était en Inde.

- Il a déclaré que sa femme était demeurée en contact avec l’enfant après le mariage et que celle-ci avait vécu avec son épouse pendant les premières années de la vie de sorte qu’elles avaient pu établir des liens étroits entre elles.

- Il est déclaré que les parents naturels n’avaient pas subvenu aux besoins des enfants [sic] depuis l’adoption.

- La preuve documentaire comprend des pièces faisant état de nombreux appels téléphoniques aux enfants [sic] qui confirment son témoignage sur ce point ainsi que des affidavits attestant le caractère véritable du lien de filiation. [Je souligne.]

[76]      Cet examen démontre que la relation entre les parents biologiques et l’enfant après son adoption est souvent pertinente, même si ce n’est pas le facteur déterminant. En l’instance, la Commission a examiné les faits suivants :

a. Mme Zhao voulait vraiment avoir son propre enfant;

b. Le nom de l’enfant n’avait pas été changé;

c. L’adoption n’était pas généralement connue à l’extérieur de la famille biologique de l’enfant;

d. L’autorité parentale n’était pas passée des parents biologiques aux parents adoptifs;

e. La seule influence du demandeur sur les parents naturels ou l’enfant était liée au fait qu’il envoyait de l’argent à toute la famille;

f. L’enfant a continué à appeler ses parents adoptifs « tante » et « oncle » après son adoption;

g. L’enfant a continué à considérer ses parents biologiques comme les détenteurs de l’autorité parentale; et

h. L’enfant ne serait pas considéré être l’enfant des parents adoptifs avant son arrivée au Canada, moment où le lien de filiation prendrait naissance.

[77]      La Cour conclut qu’en évaluant la relation avec les parents biologiques et en examinant la question du transfert de l’autorité aux parents adoptifs la Commission n’a pas tenu compte de considérations non pertinentes. Au cours de sa plaidoirie, l’avocat du demandeur a admis que le transfert de l’autorité parentale est un indicateur de l’authenticité du lien, comme on le voit à la page 101 de la transcription.

c.    La séparation de l’enfant d’avec ses parents adoptifs comme facteur jouant au détriment du lien de parenté

[78]      Voici ce que la Commission déclare aux paragraphes 11 et 12 de sa décision :

Le conseil allègue que le manque d’argent pour aller voir un enfant adoptif dans son pays ne devrait pas empêcher le tribunal de conclure à l’existence d’un lien de filiation authentique. Je suis d’accord. Ce n’est pas le manque d’argent pour se déplacer ni l’obstacle géographique qui constitueraient pareil empêchement, mais bien le manque de participation dans la vie de l’enfant, de telle sorte que les parents adoptifs au Canada paraissent ne pas assumer de responsabilité parentale. Si l’allégation du conseil était valable, le seul facteur à prendre à compte serait celui de savoir si les parents adoptifs sont allés voir l’enfant adoptif dans son pays. En l’espèce, la décision ne repose pas sur le manque de fonds pour se rendre en Chine ou sur la distance entre les parents adoptifs et l’enfant. Tout un ensemble de facteurs ont été pris en compte, conformément à la jurisprudence de la Section d’appel.

3. Le lien de filiation est prospectif et prend naissance avec l’arrivée de l’enfant au Canada

Le conseil avance que l’existence du lien ne doit faire l’objet d’un examen qu’après l’arrivée de l’enfant au Canada. À l’évidence, il n’y aurait donc pas d’examen, car l’enfant n’arrivera pas au Canada tant qu’on n’aura pas établi qu’il appartient à la catégorie des parents et qu’il n’aura pas obtenu de visa. Cette assertion va à l’encontre des décisions rendues par la Cour fédérale dans Sharma et Edrada, mais aussi de l’intention du législateur, qui a prévu que le lien doit nécessairement faire l’objet d’un examen avant qu’on délivre un visa au nom de l’adopté, conformément au Règlement. [Je souligne.]

Les prétentions du demandeur

[79]      Le demandeur soutient que la Commission ne peut évaluer l’authenticité du lien entre les parents adoptifs et de l’enfant alors qu’ils sont séparés et qu’il est impossible pour eux d’avoir un tel lien alors que le ministre interdit qu’ils soient réunis. De plus, la distance et le manque d’argent peuvent empêcher le développement d’un lien jusqu’à ce que l’enfant arrive au Canada.

[80]      Le demandeur soutient que le droit canadien ne se préoccupe que de la nature du lien existant après que l’enfant arrive au Canada, et que le lien qui existe après l’adoption mais avant l’immigration de l’enfant au Canada n’est pas pertinent. Le demandeur soutient que le critère approprié consiste à savoir si, bien que le lien de filiation puisse à certains égards être virtuel, il n’est pas virtuel au point de ne pas exister, comme il est mentionné dans Roy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] D.S.A.I. no 1910 (QL), au paragraphe 9 :

Dans la présente affaire, l’appelante a fourni à Lady Roxanne une aide financière continue. Que l’appelante vienne aussi en aide à d’autres membres de sa famille ne diminue en rien l’aide qu’elle fournit à Lady Roxanne. La preuve révèle que les autres membres de la famille ne reçoivent pas les mêmes montants que Lady Roxanne et qu’ils n’en reçoivent pas avec la même fréquence. On ne doit pas évoquer l’existence du système de la famille élargie pour nier celle d’une authentique adoption. Pour ce qui est de leurs communications courantes, le tribunal constate que Lady Roxanne parle tagalog et ne peut communiquer ni avec Kathleen ni avec Daddy Roy en anglais. Ses parents naturels n’ont pas le téléphone et doivent se rendre à l’extérieur de la ville pour téléphoner. On ne peut se fier au service postal pour ce qui est de livrer le courrier à temps. Dans ces circonstances, que les preuves de communications n’abondent pas, cela n’altère pas le lien de filiation qui existe. Le tribunal conclut que la famille Roy a cherché avec constance à assurer le mieux-être de Lady Roxanne et l’a considérée comme un membre de la famille. L’appelante a subvenu aux besoins de l’enfant. Elle connaît la taille de ses vêtements et se tient au courant de ses résultats scolaires par l’entremise de la mère naturelle de l’enfant. Kathleen a joué avec Lady Roxanne au cours de son séjour aux Philippines et elle a hâte d’avoir une jeune sœur. M. Roy a envisagé de faire apprendre le français, sa langue maternelle, à Lady Roxanne. La famille entière a fait des projets en prévision de sa venue au Canada. Les projets d’avenir de la famille ont leur raison d’être non pas parce que la situation reste à créer, mais parce que les liens de filiation sont dynamiques et que les projets d’avenir influent sur le caractère authentique de l’adoption. Ainsi, bien que le lien de filiation puisse à certains égards être virtuel ou incomplet, il n’est pas virtuel au point de ne pas exister. [Je souligne.]

Les prétentions du ministre

[81]      Le ministre soutient que l’existence d’un lien véritable de filiation est une question de fait qui est de la compétence de la Commission. Chaque élément de preuve doit être évalué dans le contexte de l’ensemble de la preuve. Après avoir examiné toute la preuve pertinente, la Commission a conclu que le lien de filiation ne s’était pas développé, même si on tenait compte de la séparation géographique. De plus, la Commission a tenu compte de tous les facteurs soulevés par le demandeur.

Analyse

[82]      Dans l’ouvrage Immigration Law and Practice, précité, L. Waldman déclare ce qui suit, au paragraphe 10.145.25 :

[traduction]

10.145.25 Il n’y a pas encore de jurisprudence en Cour fédérale qui facilite l’établissement des paramètres d’évaluation d’un lien de filiation véritable. On prétend toutefois que l’agent des visas, et la Commission en appel, devraient examiner la question de savoir si les parents adoptifs ont établi des liens émotifs réels avec l’enfant adopté et ont démontré une affection et des préoccupations authentiques. Toutefois, l’évaluation de la preuve doit être faite dans le contexte d’une réalité qui fait que l’enfant adoptif ne peut être réuni à ses parents adoptifs étant donné les exigences de la Loi sur l’immigration qui font que l’enfant doit demander et obtenir un visa d’immigration avant de venir au Canada. Les distances qui séparent les parents adoptifs et leur enfant sont souvent telles qu’il est très difficile pour eux de créer un lien étroit avant que l’enfant n’arrive au Canada. Dans certaines circonstances, et nonobstant le fait que l’adoption a eu lieu, les parents adoptifs arriveront à la conclusion que l’intérêt supérieur de l’enfant est de le laisser avec ses parents biologiques. Le Règlement sur l’immigration empêche les parents adoptifs d’amener l’enfant au Canada. Lorsqu’ils tiennent compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, les parents peuvent décider de laisser l’enfant avec ses parents biologiques lorsqu’il n’y a pas d’alternative viable. Ce fait n’est pas en soi concluant lorsqu’il s’agit de déterminer si l’on a créé un lien véritable de filiation. [Je souligne.]

[83]      La séparation de l’enfant d’avec ses parents adoptifs était aussi un facteur dans Jeerh, précité, où le juge Sharlow déclare, aux paragraphes 13 et 14 :

Dans les circonstances de l’espèce, il était inévitable que la distance séparerait le demandeur et Gurnek. Cette séparation s’est également prolongée, en partie en raison du temps qu’exigent la procédure de parrainage et la présente demande. Il ne peut être surprenant que le demandeur ne connaisse pas Gurnek et sa vie de tous les jours aussi bien que s’ils avaient vécu ensemble. Le tribunal a tiré lui-même des conclusions à l’égard des succès scolaires de Gurnek, qui ne peuvent pas se justifier sans une preuve de la signification des notes attribuées.

Lorsque le témoignage du demandeur est examiné dans son entier en tenant compte des circonstances, rien de ce qu’il a dit n’est logiquement en contradiction avec la conclusion que le lien entre le demandeur et Gurnek constitue un véritable lien de filiation. Si rien n’indique l’opinion du tribunal quant au reste du témoignage, je ne peux pas conclure qu’il était raisonnablement fondé à rendre la décision qu’il a rendue.

[et dans Pabla, au paragraphe 29, où le juge Blais dit :]

Après avoir examiné soigneusement la décision de la Commission à la lumière de celle du juge Sharlow, je suis convaincu que la Commission n’a pas tenu compte du contexte, de la distance et de la séparation; en particulier, elle n’a pas pris en considération les efforts déployés par le demandeur pour établir et maintenir un lien de filiation, et elle a ainsi commis une erreur annulable.

[84]      De la même façon que la question de la rupture des liens familiaux, la séparation entre l’enfant adoptif et le parent adoptif n’est qu’un facteur parmi plusieurs dont on doit tenir compte. La Cour est convaincue que la Commission a évalué tous les facteurs pour arriver à sa conclusion qu’il n’y avait pas de lien véritable, étant donné qu’il y avait eu très peu de contacts sinon aucun avec les parents adoptifs depuis la naissance de l’enfant. Les affaires qu’on nous a mentionnées font ressortir des efforts beaucoup plus importants de la part des demandeurs que ceux qu’on trouve ici. De plus, la Cour note que personne ne s’est enquis du statut de la demande de Qi Wen Zhao durant les trois années où elle a été retirée, ce qui indique que peu d’efforts ont été consentis par les deux ensembles de parents pour concrétiser cette adoption.

9.         L’intérêt supérieur de l’enfant

[85]      Voici ce que la Commission déclare au paragraphe 14 :

5. L’« intérêt supérieur » de l’enfant est l’élément principal

Le conseil soutient que, suivant la cause Baker, lue en parallèle avec la Convention relative aux droits de l’enfant, l’« intérêt supérieur » doit être de l’élément principal de toutes les actions, y compris l’interprétation d’« adopté ». Il appuie son argument exclusivement sur la cause et la convention mentionnées ci-dessus. Il n’a fourni aucune analyse ni aucune application possible de son assertion. Il ne m’a pas convaincue. Il n’a pas démontré que les principes établis dans Baker s’appliquent au parrainage d’un enfant résidant à l’étranger. Et même si j’étais disposée à appliquer ce principe, rien n’indique en l’espèce, hormis les spéculations du conseil, quel est l’« intérêt supérieur » de la requérante. [Je souligne.]

Les prétentions du demandeur

[86]      Le demandeur soutient qu’en matière d’adoption, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la considération primordiale. Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada déclare ceci, au paragraphe 70 :

Les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent, toutefois, être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire. Comme le dit R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), à la p. 330 :

[traduction] [L]a législature est présumée respecter les valeurs et les principes contenus dans le droit international, coutumier et conventionnel. Ces principes font partie du cadre juridique au sein duquel une loi est adoptée et interprétée. Par conséquent, dans la mesure du possible, il est préférable d’adopter des interprétations qui correspondent à ces valeurs et à ces principes. [Je souligne.]

[87]      L’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant, [1992] R.T. Can. no 3, porte que :

Article 3

1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

[88]      Le demandeur soutient que le fait d’obliger les parents naturels à couper leurs liens avec l’enfant n’est pas dans l’intérêt supérieur de celui-ci. Le fait de couper les liens avec l’enfant amène les parents biologiques à renoncer à leurs responsabilités avant que les parents adoptifs puissent l’assumer au Canada. Les enfants sont souvent confiés à des amis, à des parents ou à des étrangers, avec une procuration, afin de satisfaire aux exigences d’immigration canadiennes. Cet abandon se continue durant tout le processus d’immigration et ces enfants deviennent des orphelins si leur demande est rejetée. Par conséquent, le demandeur soutient qu’il est dans l’intérêt supérieur des enfants adoptifs d’encourager leurs parents biologiques à continuer à s’en occuper jusqu’à ce qu’ils arrivent au Canada.

[89]      Le membre de la Commission a conclu qu’il n’y avait aucune preuve présentée indiquant quel était l’intérêt supérieur de l’enfant en cause. Le demandeur soutient que l’intérêt supérieur de l’enfant en cause est à déduire de la preuve.

Les prétentions du ministre

[90]      Le ministre soutient que la Commission n’a jamais prétendu qu’il était nécessaire que les liens de parenté avec l’enfant soient coupés pour qu’elle puisse évaluer l’authenticité du lien de filiation entre l’enfant et les parents adoptifs. Le texte de l’article 3(1) de la Convention relative aux droits de l’enfant du N.U., cité dans l’arrêt Baker et au paragraphe 59 (page 74) du mémoire du demandeur, a en fait été examiné par le défendeur, nonobstant l’affirmation du demandeur à l’effet contraire : décision de la Commission, paragraphe 14, section 5, dossier du demandeur, page 50.

[91]      Le ministre soutient que l’arrêt Baker, précité, ne s’applique pas en l’instance comme le prétend le demandeur. La Cour suprême du Canada a affirmé que les traités internationaux ne s’appliquent pas directement en droit canadien, même s’ils ont été signés et ratifiés par le Canada. Ces traités internationaux peuvent aider à l’approche contextuelle utilisée pour interpréter la législation. De plus, la décision dont il est question dans l’arrêt Baker était de nature discrétionnaire et la Cour a utilisé les traités internationaux pour se faire une opinion au sujet d’une demande « pour raisons humanitaires ». En l’instance, le fait de décider qu’un enfant « adopté » est membre de la catégorie de la famille ne constitue pas une décision discrétionnaire, puisque la décision est prise en application d’un critère imposé par la loi. Par conséquent, l’arrêt Baker, précité, ne s’applique pas comme le demandeur le soutient lorsqu’il faut décider des questions de parrainage en matière d’adoption.

Analyse

[92]      Le demandeur n’a présenté aucun fait à la Commission ou à notre Cour qui appuierait son argument. La Cour n’est pas d’accord que l’intérêt supérieur de cet enfant peut être déduit de la preuve sans que le demandeur ne présente ses prétentions ou ses éléments de preuve. Le demandeur soutient qu’il y a plusieurs effets pervers qui sont causés par l’application de l’exigence que le lien soit véritable, comme la « création d’orphelins ». Toutefois, le demandeur n’a présenté aucune preuve à cet effet, sauf pour une déclaration de l’avocat qui veut que ces situations se produisent tout le temps dans sa pratique. Qi Wen Zhao n’était pas soumise au risque mentionné ici. En fait, elle est restée avec ses parents biologiques et on ne peut dire que ce fait ne correspondait pas à son intérêt supérieur. La Commission n’a jamais exigé que les parents biologiques coupent leurs liens avec leur enfant et elle a examiné tout le dossier qu’on lui a présenté. La Cour ne peut spéculer au sujet des effets de la législation en l’absence de preuves, sauf pour dire que les parents qui confient leurs enfants à des étrangers pour faciliter leur admission au Canada illustrent tout à fait la définition d’une adoption de convenance.

10.       Dispositif

[93]      La section d’appel a bien tranché cette affaire. Les arguments du défendeur sont confirmés. La demande est rejetée.

11.       Questions à certifier

[94]      Le demandeur veut faire certifier les questions suivantes :

1. La Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié peut-elle refuser de se saisir des prétentions d’un demandeur qui allègue des erreurs de droit dans le cadre d’un appel en vertu du paragraphe 77(3) de la Loi sur l’immigration, au motif que l’appel est une audition de novo?

2. Une adoption peut-elle être considérée avoir comme objectif l’immigration au sens du paragraphe 2(1) du Règlement sur l’immigration lorsqu’elle est motivée par deux objectifs, dont un seul est lié à l’immigration? Un agent des visas peut-il rejeter la demande d’immigration d’un enfant adopté lorsque l’adoption a créé un lien véritable de filiation, au motif que celle-ci a été réalisée à des fins d’immigration?

3. La relation de l’enfant adopté avec ses parents biologiques est-elle un facteur pertinent en droit lorsqu’il faut interpréter et appliquer le terme « adopté » du paragraphe 2(1) du Règlement sur l’immigration?

4. Une preuve que le lien de filiation complet commencerait après l’arrivée de l’enfant au Canada peut-elle en droit être opposée à la l’enfant et à ses parents adoptifs lorsqu’il s’agit de déterminer si l’enfant est « adopté » au sens du paragraphe 2(1) du Règlement sur l’immigration?

5. Le principe énoncé dans l’arrêt Baker, qui veut qu’il est préférable d’adopter des interprétations de la législation qui respectent les valeurs contenues dans le droit international coutumier ainsi que dans les traités qui lient le Canada s’applique-t-il aux décisions non discrétionnaires ou au parrainage d’enfants étrangers résidant à l’étranger?

La Cour ne certifiera pas toutes ces questions. La Cour, partageant en cela l’avis du défendeur, considère qu’il n’y a pas lieu de certifier les première, seconde et quatrième questions. Bien que le défendeur aurait voulu qu’aucune des questions ne soient certifiées, la Cour certifie les troisième et cinquième, nonobstant ses réserves.

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