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[2002] 1 C.F. 496

IMM-2661-00

2001 CFPI 933

Jeannine Elise Redding (demanderesse)

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Redding c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Lemieux Edmonton, 23 mai; Ottawa, 22 août 2001.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes non admissibles — Examen de la jurisprudence sur la non-admissibilité pour raisons d’ordre médical — La demande de résidence permanente de la demanderesse, qui était affligée du diabète juvénile, ainsi que d’une néphropathie diabétique et d’hypertension contrôlée, a été rejetée au motif que son admission risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé — La loi exige que la réponse à la question du « fardeau excessif » soit formulée sous forme de probabilités — Le médecin doit examiner la situation particulière de la personne en cause — Lorsqu’il se penche sur la question du « fardeau excessif », le médecin doit disposer de certains éléments de preuve se rapportant à la prestation des services pertinents — Le médecin agréé ne peut ignorer les rapports médicaux établis par les spécialistes de la partie demanderesse — Lorsqu’il aborde la question des frais, le médecin agréé doit communiquer les éléments pertinents à la partie demanderesse pour que celle-ci puisse formuler ses observations à ce sujet.

La demande de résidence permanente de la demanderesse a été rejetée au motif qu’elle faisait partie de la catégorie de personnes non admissibles visées au sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l’immigration. La demanderesse était affligée du diabète juvénile, ainsi que d’une néphropathie diabétique et d’hypertension contrôlée. Les médecins de Citoyenneté et Immigration Canada se sont dit d’avis que la maladie évoluait de telle sorte qu’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que la demanderesse ait besoin de soins continus de spécialistes, d’investigations en milieu hospitalier et qu’elle doive finalement être hospitalisée à plusieurs reprises, ce qui imposerait un fardeau excessif pour nos services de santé. Le médecin de l’État a écarté les rapports médicaux soumis au nom de la demanderesse suivant lesquels avec un rigoureux contrôle glycémique et une médication appropriée, et compte tenu du soin méticuleux avec lequel la demanderesse soignait son diabète, il était fort possible que son état de santé ne se détériore pas au point où elle doive être hospitalisée.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Lorsqu’un médecin se penche sur la question de savoir si l’état de santé d’une personne entraînera un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé canadiens, la loi exige qu’il formule sa réponse sous forme de probabilités (Badwal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration). En l’espèce, le médecin agréé a écrit que la régulation de la glycémie et de l’hypertension chez la demanderesse depuis 1991 « ne garantit pas une issue aussi favorable durant la décennie suivante ». Il a ajouté que la demanderesse serait « peut-être obligée plus tard de consulter des spécialistes ». De plus, le médecin en est arrivé à la conclusion que la demanderesse n’était pas admissible pour des raisons de santé en tenant compte de la population générale des diabétiques au lieu d’examiner la situation particulière de la demanderesse (Lau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration).

L’expression « fardeau excessif » n’est pas définie dans la Loi ou le Règlement. On a bien essayé, à l’article 22 du Règlement sur l’immigration de 1978 de proposer une définition, mais cet article a été jugé invalide dans plusieurs décisions de la Cour fédérale. Dans le jugement Rabang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), où elle a expliqué le type d’analyse que le concept de « fardeau excessif » oblige à effectuer, la Cour a fait remarquer qu’en l’absence de preuve sur la disponibilité, la rareté ou les coûts de services sociaux ou de santé dont l’intéressé aura probablement besoin, il est impossible d’apprécier le caractère raisonnable de l’avis du médecin agréé.

De toute évidence, le médecin agréé n’a pas tenu compte des divers rapports médicaux qui contredisaient ses conclusions.

On ne peut reprocher à l’auteur de la décision de s’être appuyé sur des renseignements qui n’avaient pas été communiqués à la demanderesse lorsqu’il s’est fondé sur le Guide du médecin, car ce guide n’est rien de plus qu’un recueil de connaissances médicales. Toutefois, le défaut de communiquer les documents de l’Association canadienne du diabète et le rapport de Santé Canada constituait une erreur justifiant le contrôle judiciaire de la décision, étant donné que cette omission a eu pour effet d’empêcher la demanderesse de participer véritablement au processus décisionnel.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)a).

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 22 (mod. par DORS/78-316, art. 2).

JURISPRUDENCE

décisions appliquées :

Badwal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 64 D.L.R. (4th) 561; 9 Imm. L.R. (2d) 85; 107 N.R. 92 (C.A.F.); Lau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 146 F.T.R. 116; 43 Imm. L.R. (2d) 8 (C.F. 1re inst.); Rabang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1934 (1re inst.) (QL); Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l’Énergie), [1994] 1 R.C.S. 159; (1994), 112 D.L.R. (4th) 129; 20 Admin. L.R. (2d) 79; 14 C.E.L.R. (N.S.) 1; [1994] 3 C.N.L.R. 49; 163 N.R. 241; Hersi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 2136 (1re inst.) (QL); Maschio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 137 F.T.R. 210 (C.F. 1re inst.).

décisions examinées :

Thangarajan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 4 C.F. 167; (1999), 176 D.L.R. (4th) 125; 1 Imm. L.R. (3d) 118; 242 N.R. 183 (C.A.); Mo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 FCT 66; [2001] A.C.F. no 216 (1re inst.) (QL).

décisions mentionnées :

Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 100 F.T.R. 193; 29 Imm. L.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.); Ning c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 134 F.T.R. 303; 39 Imm. L.R. (2d) 50 (C.F. 1re inst.); Manto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 572; [2001] A.C.F. no 864 (1re inst.) (QL); Poon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 75 (C.F. 1re inst.); Ludwig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 111 F.T.R. 271; 33 Imm. L.R. (2d) 213 (C.F. 1re inst.).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la demande de résidence permanente de la demanderesse a été rejetée au motif qu’elle n’était pas admissible pour des raisons d’ordre médical. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Karen D. Swartzenberger pour la demanderesse.

Tracy J. King pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Karen D. Swartzenberger, Edmonton, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Lemieux :

INTRODUCTION

[1]        Jeannine Redding (la demanderesse) est une citoyenne américaine et elle est célibataire. Elle est titulaire de deux diplômes d’études universitaires supérieures, l’un de l’université de Victoria et l’autre de l’université de l’Alberta. Elle est présentement titulaire d’un visa d’emploi canadien en cours de validité et elle travaille pour l’Alberta Motor Association, au service d’élaboration des programmes et de perfectionnement du personnel à Edmonton (Alberta).

[2]        En septembre 1999, elle a présenté une demande en vue de devenir résidente permanente au Canada. Le 11 avril 2000, M. Raymond Gabin, vice-consul du Consulat général du Canada à Buffalo, l’a informée que sa demande de résidence permanente était rejetée parce qu’elle faisait partie de la catégorie de personnes non admissibles visées au sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] (la Loi), dont voici le texte :

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

a) celles qui souffrent d’une maladie ou d’une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu’un médecin agréé, dont l’avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut :

(i) soit que ces personnes constituent ou constitueraient vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques,

(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. [Non souligné dans l’original.]

[3]        La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

CONTEXTE

[4]        La demande de résidence permanente de Mlle Redding était accompagnée d’un rapport médical rédigé par le Dr G. Mazurek, qui signalait que la demanderesse était affligée du diabète juvénile, ainsi que d’une néphropathie diabétique et d’hypertension contrôlée.

[5]        Le formulaire de rapport médical de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), qui fait partie de la demande de résidence permanente, invite le médecin à cocher toutes les cases appropriées qui correspondent à ses constatations. Le Dr Mazurek a coché les deux cases suivantes sur les trois qui figuraient sur le formulaire :

A.    Examen normal ou affections mineures qui, normalement, répondent bien à un traitement de courte durée assuré à titre externe. AUCUNE CHIRURGIE IMMÉDIATE REQUISE. Le requérant peut être suivi par un généraliste et il aura des besoins minimaux d’hospitalisation ou de services sociaux. AUCUNE TUBERCULOSE ACTIVE NI COMPORTEMENT DANGEREUX (p. ex. ENFANTS NORMAUX, diabète et / ou hypertension contrôlés non accompagnés de lésions significatives des organes cibles, cataractes ne nécessitant pas une chirurgie immédiate, troubles psychiatriques qui sont bien contrôlés et où le requérant est apte au travail et demeurera vraisemblablement autonome, etc.).

B.    Affections qui nécessitent un suivi périodique par un spécialiste, mais qui peuvent normalement être soignées sans hospitalisations répétées ou utilisation des services sociaux (p. ex. cardiopathie congénitale ou rhumatismale totalement asymptomatique où le besoin d’hospitalisation et / ou d’intervention chirurgicale semble très improbable au cours des 10 prochaines années, polyarthrite rhumatoïde bien contrôlée avec une incidence fonctionnelle minimale, etc.). Le requérant devrait pouvoir fonctionner de façon indépendante et être autonome (aucun besoin prévu de soins à domicile ou en maison de soins pour patients chroniques). Aucun signe d’arriération mentale ou de retard de développement. AUCUNE TUBERCULOSE ACTIVE NI COMPORTEMENT DANGEREUX. Tout au plus une hospitalisation mineure est plausible. [Non souligné dans l’original.]

[6]        La seule case que le docteur Mazurek n’a pas cochée sur le formulaire médical de CIC était la case C :

C.    Affections qui nécessitent une investigation plus approfondie ou des soins spécialisés. Requérant chez qui :

(1)   Une SURVEILLANCE ET DES SOINS À DOMICILE / EN ÉTABLISSEMENT sont nécessaires;

(2)   Des HOSPITALISATIONS MAJEURES OU RÉPÉTÉES (en particulier pour des interventions comportant le remplacement d’une articulation, une transplantation, une chirurgie cardiaque, des soins prodigués par un sous-spécialiste, etc.) sont probables;

(3)   L’utilisation répétée à titre externe d’INSTALLATIONS HOSPITALIÈRES SPÉCIALISÉES comme les services de DIALYSE ou les services spécialisés dans le traitement du CANCER est nécessaire;

(4)   Des SERVICES SOCIAUX intermittents / continus ou une FORMATION PÉDAGOGIQUE / PROFESSIONNELLE SPÉCIALISÉE sont nécessaires;

(5)   Une DÉTÉRIORATION semble probable;

(6)   L’acquisition normale ou le maintien de l’AUTONOMIE SEMBLE DOUTEUX;

(7)   Une TUBERCULOSE ACTIVE semble présente (ou une maladie infectieuse grave et facilement transmissible);

(8)   Le COMPORTEMENT semble poser un DANGER POTENTIEL pour autrui. [Non souligné dans l’original.]

[7]        Voici les exemples qui sont donnés à la case C :

EXEMPLES : démence et troubles psychiatriques causant une angoisse cliniquement significative ou qui rendent déficiente l’aptitude du requérant à fonctionner socialement, professionnellement ou dans d’autres sphères d’activité importantes; insuffisance rénale, néphropathie diabétique ou patient sous dialyse rénale ou ayant une affection rénale avec risque de détérioration, cardiopathie symptomatique de toute étiologie ou maladie vasculaire périphérique symptomatique ou déficience fonctionnelle causée par un accident cérébro-vasculaire etc.; parkinsonisme, sclérose en plaques ou troubles génétiques / héréditaires susceptibles de causer un déficit fonctionnel suivi de maladies néoplastiques; infections chroniques ou affections auto-immunes ou dégénératives avec complications nécessitant un traitement à long terme. [Non souligné dans l’original.]

Je tiens à signaler que Mme Redding avait joint à sa demande deux autres rapports médicaux contenant des pronostics favorables.

[8]        La partie médicale de la demande de résidence permanente a été examinée par le Dr St-Germain, dont l’opinion a été reprise par le Dr Waddell (tous les deux consultants pour CIC). La partie explicative du rapport du Dr St-Germain daté du 26 janvier 2000 renferme les constatations suivantes :

[traduction] Diabète sucré avec atteinte des organes cibles

Cette demanderesse de 35 ans souffre depuis longtemps de diabète sucré de type 1 avec des signes cliniques d’atteinte des organes cibles tels que rétinopathie, néphropathie et neuropathie. Cette maladie évolue de telle sorte qu’on peut raisonnablement s’attendre à ce que la demanderesse ait besoin de soins continus de spécialistes, d’investigations en milieu hospitalier et qu’elle doive finalement être hospitalisée à plusieurs reprises. Les exigences associées au traitement d’un diabète sucré compliqué imposent un fardeau excessif pour les services de santé canadiens. La demanderesse est donc inadmissible au sens du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l’immigration.

Autre trouble : Hypertension [Non souligné dans l’original.]

[9]        Après avoir reçu le rapport du Dr St-Germain, le vice-consul Gabin a informé la demanderesse, dans une lettre datée du 4 février 2000, de l’avis médical qu’il avait reçu, et l’a invitée à lui fournir de plus amples renseignements médicaux avant qu’une décision finale ne soit prise.

[10]      La demanderesse a fourni d’autres renseignements médicaux, soit les opinions médicales de trois spécialistes : la Dre Ginsberg, son endocrinologue, le Dr Kovithavongs, son néphrologue, et la Dre Uniat, spécialiste en rétinopathie diabétique.

[11]      La Dre Ginsberg, qui a travaillé à l’Université de l’Alberta pendant plus de 15 ans, a fait remarquer, dans un rapport daté du 30 mars 2000, qu’elle suivait la demanderesse depuis 1991 et que celle-ci souffrait depuis l’âge de huit ans d’un diabète de type 1. La Dre Ginsberg a affirmé qu’entre 1991 et 1996, elle avait vu la demanderesse tous les trois ou quatre mois pour un bilan et qu’elle l’avait examinée récemment aux fins de son rapport. Elle ne l’avait pas vue depuis 1996 [traduction] « du fait qu’en raison de son excellent contrôle glycémique, seule la supervision du Dr Kovithavongs était requise ».

[12]      La Dre Ginsberg a écrit que l’attention méticuleuse avec laquelle la demanderesse soigne son diabète avait donné d’excellents résultats, notamment en ce qui concerne la stabilisation des complications diabétiques possibles. Elle ajoutait que bien que Mme Redding eût déjà subi une chirurgie pour des cataractes dans les deux yeux, la rétinopathie diabétique non proliférante bénigne dont elle souffrait était stable depuis des années. La Dre Ginsberg a mentionné que la demanderesse présentait certains signes subtils de neuropathie périphérique, mais que le filament était demeuré intact. Selon la Dre Ginsberg :

[traduction] L’administration précoce d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, son excellent équilibre diabétique et, surtout, la stabilité de sa néphropathie sur une période d’environ 10 ans donnent à penser que cette stabilité persistera.

Je tiens à signaler qu’elle n’a aucun antécédent d’acidocétose et qu’elle n’a jamais dû être hospitalisée depuis que je la connais. Malgré ses antécédents, elle a peu fait appel au système de santé et a requis un minimum d’attention comparativement à bien d’autres de mes patients diabétiques.

Pour ce qui est de l’évaluation antérieure aux fins de l’immigration, bien que je reconnaisse qu’elle aura besoin à l’occasion de soins de spécialistes, je ne suis pas d’avis qu’elle aura nécessairement besoin d’investigations en milieu hospitalier ni d’être hospitalisée de façon répétée. Cette opinion se fonde non seulement sur mon expérience, mais sur le fait qu’elle a très bien réussi à équilibrer sa glycémie et que son état est demeuré stable au cours de la dernière décennie. [Non souligné dans l’original.]

[13]      Le deuxième rapport médical, daté du 27 mars 2000, a été rédigé par le Dr Kovithavongs, de la Division de la néphrologie et de l’immunologie, Département de médecine, Université de l’Alberta. La partie pertinente de son opinion se lit comme suit :

[traduction] Je ne peux que réitérer le fait qu’elle se présente de façon assidue pour ses bilans de santé réguliers, qu’elle observe la médication, qu’elle vérifie toujours sa glycémie quatre fois par jour et s’injecte de l’insuline quatre fois par jour en fonction de sa glycémie, qu’elle ne fume pas et qu’elle a toujours continué de faire de l’activité physique. En conséquence, j’aimerais insister à nouveau sur les faits suivants : sa pression artérielle est toujours normale, son hémoglobine A1C est toujours inférieure à 8 %, qui est le seuil établi pour un bon équilibre, sa protéinurie est normale, l’état de ses yeux est stable, et sa fonction rénale est stable depuis les cinq ou six dernières années où je la suis.

J’aimerais également mentionner que plusieurs essais cliniques effectués au cours de la dernière décennie montrent les effets positifs d’un contrôle glycémique strict et de l’usage d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine sur l’issue à long terme de la néphropathie diabétique. Je pense que l’évolution naturelle de la néphropathie diabétique chez les diabétiques de type 1 a changé. Il y a dix ans, un patient atteint de néphropathie diabétique pouvait passer d’une fonction rénale relativement normale à une insuffisance rénale terminale en l’espace d’un an. Aujourd’hui, certains de mes patients ont une fonction rénale stable depuis une décennie parce qu’ils suivent les recommandations médicales et prennent bien soin d’eux-mêmes. La patiente dont il est question est, parmi les personnes que j’ai eu à suivre, celle qui observe le plus scrupuleusement mes recommandations. Elle mérite qu’on jette un second regard à sa demande. [Non souligné dans l’original.]

[14]      Le troisième rapport médical, rédigé par la Dre Uniat et daté du 29 février 2000, mentionne que la demanderesse est suivie par ce médecin depuis 1995 et que ce dernier l’a examinée chaque année pour sa rétinopathie diabétique. Au cours des cinq années, l’état de la demanderesse est demeuré très stable et son acuité visuelle est demeurée à 20/20 dans les deux yeux. La Dre Uniat a affirmé que la demanderesse présentait des signes de « rétinopathie diabétique non proliférante bénigne et qu’elle n’avait pas besoin pour le moment d’intervention ». Elle a affirmé ce qui suit :

[traduction] Nous continuons de la suivre chaque année. Avec un bon contrôle de sa glycémie et de sa pression artérielle, le pronostic en ce qui concerne le maintien de son acuité visuelle et la possibilité d’éviter l’évolution vers une rétinopathie plus agressive demeure excellent. La durée du diabète et le contrôle des sucres sanguins sont des facteurs importants eu égard à la rétinopathie progressive, mais ni l’un ni l’autre ne peut être utilisé séparément comme indicateur de la progression future de la rétinopathie. [Non souligné dans l’original.]

[15]      Le vice-consul Gabin a envoyé les trois rapports médicaux au Dr St-Germain pour qu’il les examine. Le Dr St-Germain a écrit par la suite ce qui suit :

[traduction] J’ai examiné les nouveaux renseignements de même que notre dossier médical sur cette demanderesse et je suis d’avis que les nouveaux renseignements ne modifient pas l’évaluation actuelle de non-admissibilité pour raisons de santé. Le Dr Walter G. Waddell, FRCSC, abonde dans ce sens.

[16]      Après avoir reçu ce rapport, le vice-consul Gabin a écrit à la demanderesse le 11 avril 2000 pour l’informer qu’elle était toujours non admissible pour des raisons de santé.

LA PREUVE DANS LA PRÉSENTE INSTANCE EN CONTRÔLE JUDICIAIRE

[17]      À l’appui de sa demande, la demanderesse a déposé un affidavit auquel elle a joint tous les rapports médicaux susmentionnés. Pour le défendeur, des affidavits ont été déposés par M. Raymond Gabin et par le Dr Waddell. Il n’y a pas eu de contre-interrogatoire au sujet de ces affidavits.

[18]      Voici les paragraphes essentiels de l’affidavit souscrit le 19 juillet 2000 par le Dr Waddell :

[traduction]

10. J’ai examiné le Guide du médecin. J’ai aussi acquis au cours de ma carrière en chirurgie une connaissance générale du diabète sucré de l’adulte équilibré par la diète et / ou des hypoglycémiants oraux ainsi que du diabète juvénile insulinodépendant.

11. Le diabète sucré de l’adulte bénin et non compliqué est souvent considéré comme une affection médicalement admissible vu qu’une supervision régulière par un omnipraticien est habituellement tout ce dont le patient a besoin. Le diabète sucré de type 1 chez l’adulte exige un traitement à l’insuline, a un pronostic moins favorable et requiert une supervision régulière de la part d’un omnipraticien avec la consultation périodique de spécialistes.

12. Les organes cibles mentionnés dans la partie explicative de cette demande sont le rein, les yeux et les nerfs périphériques. Les autres organes cibles couramment atteints chez les patients souffrant de diabète sucré sont le coeur (cardiopathie ischémique), le cerveau (accident vasculaire cérébral) ou les artères (artériopathies oblitérantes). Rien n’indique la présence d’une maladie patente dans les autres sites possibles chez cette demanderesse, mais une observation minutieuse est requise vu que cette maladie existe depuis longtemps.

13. Le traitement du diabète sucré évolue; à l’avenir, une surveillance informatisée de la glycémie permettant un contrôle précis de la « pompe à insuline » ou la transplantation de cellules de Langerhans pourra offrir des solutions « curatives » pour cette maladie.

14. La plupart des jeunes femmes bien portantes peuvent consulter un omnipraticien deux ou trois fois par année et un gynécologue à l’occasion. Les diabétiques insulinodépendants consulteront habituellement leur médecin traitant une fois par mois et rencontreront des spécialistes consultants à intervalles réguliers tous les trois, six ou douze mois.

15. La demanderesse a été suivie par un endocrinologue, un ophtalmologue et un néphrologue; elle sera peut-être obligée plus tard de consulter en cardiologie, en neurologie et/ou en chirurgie vasculaire.

16. L’absence de complications depuis 1991 associée à une bonne régulation de la glycémie et de l’hypertension chez la demanderesse est un point positif mais ne garantit pas une issue aussi favorable durant la décennie suivante. La pratique actuelle consistant à réguler de façon précise le diabète et l’hypertension n’est couramment acceptée que depuis moins d’une décennie.

17. Je pense que le diabète sucré de l’adulte équilibré par la diète et / ou des hypoglycémiants oraux ainsi que le diabète juvénile insulinodépendant sont des problèmes de santé importants. Je suis également d’avis que la plupart des autorités conviendraient que le pronostic est moins favorable dans le cas du diabète (sucré) insulinodépendant.

18. Par conséquent, à la lumière de ce qui vient d’être dit, je crois que la surveillance continue que cette maladie exige de même que les complications courantes du diabète sucré et de l’hypertension grèvent de façon importante les ressources des services de santé et services sociaux canadiens.

19. Cet avis est entériné par l’Association canadienne du diabète et un rapport de Santé Canada intitulé Le diabète au Canada […]

20. En conséquence, la demanderesse a été classée dans la catégorie M5 sur la déclaration officielle de refus. [Non souligné dans l’original.]

[19]      À l’affidavit du Dr Waddell est jointe la pièce «K », qui est une transcription fidèle du Résumé de critères tiré du Guide du médecin où l’on explique les différents critères et les constatations retrouvées sur la déclaration officielle de refus. La cote M5 attribuée à la demanderesse se fonde sur le critère suivant :

[traduction] Souffre d’une maladie qui entraînera vraisemblablement un fardeau pour les services sociaux ou de santé à un point tel que la requérante est actuellement considéré comme une personne non admissible au sens du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la loi. Toutefois, il est permis de croire que le traitement sera efficace au point de pouvoir éventuellement envisager la possibilité d’admettre la requérante. [Non souligné dans l’original.]

QUESTIONS EN LITIGE

[20]      1) Le médecin a-t-il commis une erreur en n’examinant pas la bonne question? 2) Le médecin a-t-il commis une erreur en n’évaluant pas la situation particulière de la demanderesse? 3) Le médecin a-t-il commis une erreur en analysant mal la question du fardeau excessif? 4) Le médecin a-t-il ignoré la preuve? 5) Le médecin a-t-il manqué à son obligation d’agir avec équité en se fondant sur le Guide du médecin et en citant des publications de l’Association canadienne du diabète et un rapport de Santé Canada sans les avoir auparavant divulgués à la demanderesse?

ANALYSE

1) Le médecin a-t-il commis une erreur en n’examinant pas la bonne question?

[21]      Lorsqu’un médecin se penche sur la question de savoir si l’état de santé d’une personne entraînera un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé canadiens, la loi exige qu’il formule sa réponse sous forme de probabilités. Dans l’arrêt Badwal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 64 D.L.R. (4th) 561 (C.A.F.), le juge MacGuigan écrit : [à la page 564] :

Même s’il n’est pas obligatoire que le pronostic soit certain, la Cour a déclaré dans l’arrêt Re Hiramen c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1986), 65 N.R. 67, comme motif indépendant de sa décision que la Loi exige une expression de la probabilité que des mots comme « pourrait » (could) et « peut » (may) ne suffisent pas à exprimer. Voir l’arrêt Hiramen à la page 68 : « Cette inscription, outre qu’elle ne constitue pas l’avis requis, exprime une possibilité plutôt qu’une probabilité ».

Ce n’est pas que le simple usage du mot « peut » dans l’exposé narratif du profil médical peut amener « d’une manière décisive à une conclusion d’insuffisance », point de vue qui a été rejeté par le juge Marceau pour la majorité dans l’arrêt Pattar. C’est plutôt que l’exposé narratif fait dépendre le fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé de la détérioration de l’état de santé actuel du requérant, éventualité dont on a dit qu’elle était tout simplement possible. En d’autres mots, on déduit la probabilité d’un traitement de la simple possibilité que l’état de santé se détériore.

Il faut conclure qu’en l’absence de détérioration, ce qui d’après l’exposé narratif du profil médical ne constitue qu’une possibilité, il n’y aura pas de fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Le profil médical est donc contradictoire, amenant à conclure que le médecin n’a pas examiné les points pertinents.

La médecine n’est pas une science exacte, mais le Parlement exige un jugement sur les probabilités fondé sur une évaluation de l’état de santé actuel du requérant. [Non souligné dans l’original.]

[22]      En l’espèce, voici ce que le médecin agréé a déclaré au paragraphe 16 de son affidavit :

[traduction] L’absence de complications depuis 1991 associée à une bonne régulation de la glycémie et de l’hypertension chez la demanderesse est un point positif mais ne garantit pas une issue aussi favorable durant la décennie suivante. [Non souligné dans l’original.]

[23]      En outre, au paragraphe 15 de son affidavit, le Dr Waddell indique qu’ [traduction] « elle sera peut-être obligée plus tard de consulter en cardiologie, en neurologie et/ou en chirurgie vasculaire ». [Mon souligné dans l’original.]

[24]      Dans l’arrêt Badwal, précité, la Cour a bien précisé que la question à se poser et à laquelle il faut répondre est celle de savoir si, compte tenu de la prépondérance de la preuve, l’état de santé de Mme Redding entraînerait ou risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

[25]      À mon avis, dans les deux paragraphes précités, le médecin a appliqué, au paragraphe 16, une norme trop sévère au sujet de l’évolution probable de l’état de santé de la demanderesse au cours des dix prochaines années lorsqu’il s’est prononcé sur la détérioration de son état de santé actuel. En revanche, au paragraphe 15, il a adopté une norme trop faible en formulant sous forme de possibilité les autres organes cibles qui pourraient être affectés par une détérioration de son état de santé actuel.

2) Le médecin a-t-il commis une erreur en n’évaluant pas la situation particulière de la demanderesse?

[26]      Le médecin a formulé les conclusions suivantes aux paragraphes 15, 17 et 18 de son affidavit :

[traduction]

15. Les diabétiques insulinodépendants consulteront habituellement leur médecin traitant une fois par mois et rencontreront des spécialistes consultants à intervalles réguliers tous les trois, six ou douze mois.

[…]

17. Je pense que le diabète sucré de l’adulte équilibré par la diète et / ou des hypoglycémiants oraux ainsi que le diabète juvénile insulinodépendant sont des problèmes de santé importants. Je suis également d’avis que la plupart des autorités conviendraient que le pronostic est moins favorable dans le cas du diabète (sucré) insulinodépendant.

18. Par conséquent, à la lumière de ce qui vient d’être dit, je crois que la surveillance continue que cette maladie exige de même que les complications courantes du diabète sucré et de l’hypertension grèvent de façon importante les ressources des services de santé et services sociaux canadiens. [Non souligné dans l’original.]

[27]      Il ressort à mon avis de ces passages que le médecin en est arrivé à la conclusion que la demanderesse n’était pas admissible pour des raisons de santé en tenant compte de la population générale des diabétiques au lieu d’examiner la situation particulière de la demanderesse.

[28]      Dans le jugement Lau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 146 F.T.R. 116 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard déclare ce qui suit au paragraphe 10 :

À mon avis, les médecins agréés ont omis de respecter l’obligation de procéder à une évaluation individualisée quand on évalue un cas de non-admissibilité pour raisons d’ordre médical. Il ressort clairement de la jurisprudence qu’une conclusion de non-admissibilité pour raisons d’ordre médical ne peut reposer uniquement sur l’état de santé qui est évalué; il faut plutôt examiner soigneusement les circonstances personnelles de l’intéressé. Le juge Cullen a exprimé cette obligation en termes concis dans l’arrêt Poste c. Canada (M.C.I.) (22 décembre 1997), IMM-4601-96, aux pages 20 et 21 :

Les médecins agréés sont tenus d’évaluer la situation de chaque personne qui se présente devant eux en fonction de son caractère unique. Les médecins agréés sont maintenant tenus de par la loi de donner une opinion sur le fardeau susceptible d’être imposé aux services sociaux. Il ne suffit pas qu’un médecin agréé donne une opinion sur ce fardeau en général; l’opinion doit être ancrée fermement sur la situation personnelle de la personne en cause et l’ensemble des circonstances de l’espèce. Celles-ci incluraient le degré de soutien de la famille et son engagement envers la personne, ainsi que les ressources particulières de la collectivité. Lorsqu’une personne risque d’entraîner un fardeau excessif dans un cas, dans un cadre différent, il se peut que la même personne n’entraîne qu’un léger fardeau, voire aucun. Les médecins agréés doivent examiner la situation particulière de la personne en cause. Autrement, il est fait abstraction d’une preuve convaincante, et les opinions concernant le fardeau imposé aux services sociaux ne sont plus fondées et ne peuvent être confirmées par la présente Cour. [Non souligné dans l’original.]

[29]      Lorsque je lis les paragraphes 15, 17 et 18 de l’affidavit du Dr Waddell, je n’arrive pas à voir comment il a pu saisir les aspects particuliers de l’affection médicale de Mlle Redding. Il utilise des expressions du type [traduction] « la plupart des autorités conviendraient que le pronostic est moins favorable dans le cas du diabète insulinodépendant », « les patients diabétiques consulteront habituellement », « la surveillance continue que cette maladie exige et les complications courantes ». Les déclarations du Dr Waddell peuvent être vraies pour la moyenne ou la majorité des patients diabétiques qui sont insulinodépendants. Toutefois, les renseignements fournis par la demanderesse montrent que son état est stable et que le pronostic est excellent. Le Dr Waddell ne traite tout simplement pas de son cas.

3) Le médecin a-t-il commis une erreur en analysant mal la question du « fardeau excessif »?

[30]      L’expression « fardeau excessif » n’est définie ni dans la Loi ni dans le Règlement sur l’immigration de 1978 DORS/78-172] (le Règlement), modifiés, bien qu’à l’article 22 [mod. par DORS/78-316, art. 2] du Règlement, on trouve une certaine énumération de certains facteurs pertinents. Or, l’article 22 a été jugé invalide par plusieurs juges de notre Cour (le juge Cullen dans le jugement Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 100 F.T.R. 193 (C.F. 1re inst.); le juge Rothstein, maintenant juge à la Cour d’appel, dans le jugement Ning c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 134 F.T.R. 303 (C.F. 1re inst.); et le juge O’Keefe dans le jugement Manto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 572; [2001] A.C.F. no 864 (1re inst.) (QL). L’invalidité de l’article 22 du Règlement ne fait pas partie des questions litigieuses qui m’ont été soumises.

[31]      Le juge Rothstein a défini cette expression lorsqu’il a cerné l’objet du sous-alinéa 19(1)a)(ii)[*] dans l’arrêt Thangarajan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), [1999] 4 C.F. 167 (C.A.) dans lequel il déclare [au paragraphe 9] :

Les services sociaux et de santé ne sont pas illimités et gratuits. Le sous-alinéa 19(1)a)(ii) vise clairement à faire en sorte que, dans la mesure du possible, les immigrants éventuels n’empêchent pas ni ne restreignent l’accès aux services sociaux et de santé par les citoyens canadiens et les résidents permanents en entraînant un fardeau excessif pour ces services. L’alinéa 19(1)a) s’applique uniquement quand un immigrant éventuel est jugé souffrir d’une maladie ou d’une invalidité. [Non souligné dans l’original.]

[32]      Dans le jugement Mo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 66; [2001] A.C.F. no 216 (1re inst.) (QL), le juge O’Keefe affirme, aux paragraphes 37 et 38, ce qui suit au sujet du fardeau excessif :

Il convient tout d’abord de souligner que le simple fait de souffrir d’une maladie ou d’un trouble ne rend pas une personne non admissible. Ce sont les conséquences de sa maladie qui importent. Si, en raison de sa nature, de sa gravité ou de sa durée probable, la maladie entraînerait ou risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé, le candidat à l’immigration n’est pas admissible au Canada pour des raisons d’ordre médical.

Le fardeau est excessif lorsqu’il est « plus qu’un fardeau normal » (Yogeswaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1997), 129 F.T.R. 151 (C.F. 1re inst.). [Non souligné dans l’original.]

[33]      Quoi qu’il en soit, c’est le juge Sharlow, qui siégait alors à la Section de première instance, qui a le mieux expliqué le type d’analyse que le concept de « fardeau excessif » oblige à effectuer. Le juge Sharlow a examiné à fond le droit sur cette question dans le jugement Rabang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1934 (1re inst.) (QL), où elle écrit [aux paragraphes 14, 20 et 21] :

La preuve que contient le dossier médical étaye l’avis du médecin agréé dans la mesure où elle porte sur l’état de santé de Patrick et sur le fait qu’à l’avenir, il aura probablement besoin de soins médicaux, de soins thérapeutiques, et d’enseignement spécial. Cependant, sauf une exception de peu d’importance (dont il sera question au paragraphe suivant), il n’y a pas de preuve sur ce que j’appelle les aspects non médicaux de l’avis, soit la disponibilité, la rareté ou les coûts de services sociaux ou de santé financés à même les deniers publics, établissant ce que Patrick exigera probablement. Comme on n’a pas tenté de pallier ce manque de preuve par un affidavit, il est impossible d’apprécier le caractère raisonnable de l’avis du médecin agréé selon lequel on peut raisonnablement s’attendre à ce que les besoins de Patrick entraînent un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada.

[…]

Dans un certain nombre d’affaires dont notre Cour a été saisie, des éléments de preuve établissant le coût social ont été produits pour justifier l’avis d’un médecin agréé sur le fardeau excessif. Je renvoie, à titre d’exemple, à l’affaire Ma, précitée, à la décision Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1639 IMM-228-99 (29 octobre 1999) (C.F. 1re inst.), et à l’instance qui s’est déroulée devant la Section de première instance dans l’affaire Thangarajan, précitée (décision publiée à (1998), 152 F.T.R. 91), et dans l’affaire connexe Yogeswaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 129 F.T.R. 151 […]

On a également soutenu, pour le compte du ministre, qu’il incombait aux demandeurs de convaincre le médecin agréé que le fardeau que Patrick entraînerait sur les services sociaux et de santé financés à même les deniers publics ne serait pas excessif, et que ces derniers n’ont produit aucun élément de preuve à cet égard. Cet argument ne traite pas du problème fondamental que soulève la présente affaire. Le problème est que le dossier ne contient aucun élément de preuve sur la question cruciale du fardeau excessif. [Non souligné dans l’original.]

[34]      Dans le jugement Manto, précité, le juge O’Keefe déclare [au paragraphe 26] :

Lorsqu’il détermine si un trouble médical particulier entraîne un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé, le médecin doit disposer de certains éléments de preuve se rapportant à la prestation des services sociaux ou de santé au Canada. [Non souligné dans l’original.]

[35]      Les affidavits du défendeur souffrent des mêmes lacunes que celles qui ont été constatées dans l’affaire Manto, précitée (voir également le jugement Poon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 75 (C.F. 1re inst.).

[36]      Le médecin agréé a essayé d’aborder la question des frais. Il y a lieu de se demander en l’espèce si le fait que cet élément n’a pas été divulgué à la demanderesse, qui n’a pas eu la possibilité de formuler ses observations à ce sujet devant les autorités de l’immigration constitue un manquement aux principes d’équité procédurale.

4) Le médecin a-t-il ignoré la preuve?

[37]      À mon avis, le médecin en est arrivé à ses conclusions sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait en l’espèce. Il déclare dans son affidavit :

[traduction] Le diabète sucré de l’adulte bénin et non compliqué est souvent considéré comme une affection médicalement admissible vu qu’une supervision régulière par un omnipraticien est habituellement tout ce dont le patient a besoin. Le diabète sucré de type 1 chez l’adulte exige un traitement à l’insuline, a un pronostic moins favorable et requiert une supervision régulière de la part d’un omnipraticien avec la consultation périodique de spécialistes.

[…]

La plupart des jeunes femmes bien portantes peuvent consulter un omnipraticien deux ou trois fois par année et un gynécologue à l’occasion. Les diabétiques insulinodépendants consulteront habituellement leur médecin traitant une fois par mois et rencontreront des spécialistes consultants à intervalles réguliers tous les trois, six ou douze mois. [Non souligné dans l’original.]

[38]      De toute évidence, il ne tient pas compte des divers rapports médicaux qui contredisent ses conclusions. Ces rapports confirment tous que la demanderesse ne consulte pas les divers spécialistes aussi souvent que ce qu’a indiqué le médecin pour un cas typique.

[39]      Dans le jugement Mo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précité, le juge O’Keefe a conclu [au paragraphe 46] :

Après avoir examiné les rapports médicaux et les autres documents qui ont été versés au dossier et qui ont été examinés par les médecins, j’en arrive à la conclusion que l’avis médical qui a été donné en l’espèce est entaché d’une erreur de fait manifestement déraisonnable, étant donné que les éléments d’information dont les médecins disposaient ne permettaient pas de conclure que Kok Ho Wong avait besoin de soins spéciaux et d’une surveillance constante. Je suis d’avis que les éléments de preuve que j’ai examinés en l’espèce justifient la conclusion contraire. Cette erreur de fait manifestement déraisonnable constitue une erreur de compétence et l’avis en question n’est pas un avis valablement donné en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi. [Non souligné dans l’original.]

5) Le médecin a-t-il manqué à son obligation d’agir avec équité en se fondant sur le Guide du médecin et en citant des publications de l’Association canadienne du diabète et un rapport de Santé Canada sans les avoir auparavant divulgués à la demanderesse?

[40]      En règle générale, l’obligation d’agir avec équité à laquelle sont soumis les organismes administratifs exige que l’auteur de la décision divulgue suffisamment de renseignements à l’intéressé pour lui permettre de véritablement participer au processus. Dans l’arrêt Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l’énergie), [1994] 1 R.C.S. 159, la Cour suprême a déclaré ce qui suit [aux pages 181 et 182] :

En général, les exigences en matière d’équité procédurale comportent le droit de l’intéressé à la divulgation par le décideur administratif de suffisamment de renseignements pour lui permettre de véritablement participer au processus d’audition : voir In re le Conseil de la Radio-Télévision canadienne et in re la London Cable TV Ltd., [1976] 2 C.F. 621(C.A.), aux pp. 624 et 625. L’étendue de la divulgation requise pour satisfaire aux règles de justice naturelle variera en fonction des faits, plus particulièrement du type de décision à prendre et de la nature de l’audition à laquelle ont droit les parties concernées. [Non souligné dans l’original.]

[41]      En ce qui concerne la divulgation d’une déclaration médicale, voici ce que le juge Dawson a déclaré dans le jugement Hersi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 2136 (1re inst.) (QL) [aux paragraphes 15 à 17] :

Le décideur est tenu de fournir des renseignements plus complets lorsqu’il est démontré qu’il s’est fondé sur des éléments d’information nouveaux ou sur des politiques internes qui ne sont pas mentionnés dans la lettre d’équité. Voir, par exemple, Maschio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 138 F.T.R. 210 (C.F. 1re inst.).

Dans des contextes ne concernant pas les lettres d’équité ni l’alinéa 19(1)a) de la Loi, les tribunaux ont jugé que le devoir d’agir équitablement exigeait que soit communiquée une évaluation des risques négative pour une demande visant à obtenir l’autorisation de rester au Canada pour des raisons d’ordre humanitaire (Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 189 D.L.R. (4th) 268 (C.A.F.)) ainsi que des rapports sommaires dans le contexte des avis de danger émis aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi (Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), [2000] 1 C.F. 619(C.F. 1re inst.)).

Il convient toutefois de rappeler que l’étendue de l’obligation d’agir équitablement peut varier selon le contexte. Les éléments dont il y a lieu de tenir compte, comme l’a noté la Cour suprême dans Baker, précité, comprennent notamment la nature de la décision prise, le processus suivi pour la prendre, le contexte législatif plus large dans lequel est prise la décision, l’importance de celle-ci pour la personne concernée et les attentes légitimes de celle-ci. [Non souligné dans l’original.]

[42]      Le juge ajoute ce qui suit [au paragraphe 20] :

Pour pouvoir participer utilement à un processus décisionnel, il faut être clairement informé de la situation, avoir l’occasion de présenter des éléments de preuve et des observations se rapportant à la décision à prendre et que le dossier soit examiné de façon approfondie par un décideur impartial.

[43]      Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’on ne saurait prétendre qu’en se fondant sur le Guide du médecin, l’auteur de la décision s’est appuyé en l’espèce sur des renseignements qui n’ont pas été communiqués à la demanderesse. Le Guide est un recueil de connaissances médicales et constitue à ce titre un traité ou une revue médicale. (Voir le jugement Ludwig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 111 F.T.R. 271 (C.F. 1re inst.).)

[44]      Je suis toutefois aussi d’avis que le défaut de communiquer les documents de l’Association canadienne du diabète et le rapport de Santé Canada constitue une erreur justifiant le contrôle judiciaire de la décision, étant donné que cette omission a eu pour effet d’empêcher la demanderesse de participer véritablement au processus décisionnel. Ainsi que je l’ai déjà signalé, ces documents portaient sur la question des frais.

[45]      Le défendeur affirme que, dans la lettre contenant la déclaration médicale, le vice-consul précisait la preuve qu’il fallait faire. Je ne suis pas d’accord avec cet argument. La lettre contenant la déclaration médicale informait la demanderesse que, suivant l’avis d’un médecin agréé, elle souffrait d’une affection qui était susceptible de la rendre non admissible pour des raisons médicales. L’auteur de la lettre invitait la demanderesse à présenter de nouveaux renseignements médicaux qui ne se trouvaient pas au dossier avant qu’il prenne une décision définitive. La demanderesse ne savait pas que l’auteur de la décision se fonderait sur le Manuel de l’Association canadienne du diabète ou sur le rapport de Santé Canada pour se prononcer sur la demande. Je fais miens les propos que le juge Reed a tenus dans le jugement Maschio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 138 F.T.R. 210 (C.F. 1re inst.) [au paragraphe 19] :

Si le requérant avait été correctement informé des critères appliqués par les médecins et du contenu de son dossier médical, il aurait pu leur fournir les renseignements donnés par Dr Lo Cicero et Dr Falk pour qu’ils les examinentplutôt que de les présenter à la Cour afin d’appuyer sa prétention que la décision des médecins n’est pas bien fondée. Il est peu probable que la Cour substitue son opinion à l’avis médical des médecins del’immigration.

DISPOSITIF

[46]      Pour les motifs exposés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du vice-consul Raymond Gabin est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas et à d’autres médecins agréés pour qu’ils rendent une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs.



[*] Note de l’arrêtiste : Au 31-8-01, la modification de 1992 à l’art. 19(1)<i>a</i>), L.C. 1992, ch. 49, art. 11, n’était pas en vigueur.

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