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[2002] 1 C.F. 76

T-1576-99

T-1671-00

2001 CFPI 795

Hoechst Marion Roussel Canada (demanderesse)

c.

Procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Hoechst Marion Roussel Canada c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, protonotaire Aronovitch —Ottawa, 13 mars et 13 juillet 2001.

Pratique — Parties — Qualité pour agir — Demande visant à obtenir que le personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (le personnel du Conseil) soit constitué partie défenderesse, conformément à la règle 104 des Règles de la Cour fédérale (1998), aux demandes de contrôle judiciaire du rejet par le Conseil des allégations de partialité, de manquement aux règles de justice naturelle et de défaut de compétence — La règle 104 permet l’ajout d’une « personne » qui aurait dû être jointe ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer le règlement complet de toutes les questions en litige — Le personnel du Conseil a allégué qu’il aurait dû être désigné à titre de défendeur conformément à la règle 303(1) qui oblige le demandeur à désigner à titre de défendeur toute personne directement touchée — Le personnel du Conseil, qui est constitué d’employés qui travaillent sous la surveillance du président du Conseil et sont engagés pour appuyer les fins de l’organisme, n’est pas visé par la définition du mot « personne » à la règle 2 — La Loi sur les brevets ne confère pas de statut spécial au personnel du Conseil et ne fait pas de lui une entité distincte de l’organisme — La qualité pour agir est conférée au personnel du Conseil par les Règles du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés — Ces règles ne peuvent être considérées comme un texte législatif liant la Cour — En 1996 (arrêt ICN), la Cour d’appel fédérale a statué que le personnel du Conseil ne jouit pas d’une qualité pour agir indépendante de celle du Conseil — L’arrêt ICN n’est pas devenu chose du passé par suite des modifications apportées aux Règles de la Cour fédérale en 1998 — Étant donné qu’un mandat d’origine législative est conféré au Conseil, le personnel du Conseil n’est pas « une partie directement touchée » ni une personne qui « aurait dû être constituée comme partie » ou dont la présence « est nécessaire » devant la Cour — Demande rejetée.

Pratique — Parties — Intervention — Demandes présentées 1) par le personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (le personnel du Conseil) et 2) par le Conseil en vue d’intervenir, conformément à la règle 109 des Règles de la Cour fédérale (1998), dans des demandes de contrôle judiciaire relatives aux décisions par lesquelles le Conseil a rejeté des allégations de partialité, de manquement aux règles de justice naturelle et de défaut de compétence — La Cour peut autoriser une « personne » à intervenir dans une instance conformément à la règle 109 — 1) Puisque le personnel du Conseil n’est pas une « personne » aux fins de la constitution comme partie en vertu de la règle 104, il ne peut être considéré comme une « personne » aux fins de la règle 109 — 2) La règle 109 exige la présentation d’un avis de requête qui explique de quelle manière la personne désire participer à l’instance et en quoi sa participation aidera la Cour à trancher les questions de fait ou de droit de l’instance en question — D’autres facteurs que la Cour a pris en compte dans le passé demeurent pertinents, notamment la possibilité pour les parties existantes de présenter toute la preuve pertinente ou de faire valoir de façon satisfaisante la position de l’intervenant proposé — Les tribunaux se sont montrés peu enclins à accepter que des organismes plaident devant eux le bien-fondé de leurs propres décisions, appuyant de ce fait l’une des parties au litige, d’autant plus que la décision peut être renvoyée à l’organisme — Dans ses décisions récentes, la Cour a restreint le droit d’intervention d’un tribunal à la présentation d’arguments concernant la compétence essentielle dudit tribunal — La participation du Conseil au premier contrôle judiciaire aiderait la Cour à trancher les questions en litige concernant les pratiques et les politiques de l’organisme — Le Conseil est autorisé à intervenir uniquement pour expliquer le rôle de son président et de son personnel relativement à l’exécution du mandat dont il est investi en vertu de la loi habilitante ainsi que ses règles et politiques, mais seulement dans la mesure où le procureur général ne fournit pas par ailleurs ses explications — Le Conseil ne pourra pas commenter la norme d’examen applicable — Le Conseil est autorisé à intervenir dans la deuxième demande concernant sa compétence — Il est autorisé à formuler des arguments au sujet de la compétence dont il est investi par la loi, dans la mesure où le procureur général ne s’est pas déjà exprimé à ce sujet — Il n’est pas autorisé à commenter la norme d’examen applicable.

Brevets — Pratique — Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés — Demandes de contrôle judiciaire de décisions du Conseil — Le personnel du Conseil peut-il avoir qualité pour agir que ce soit comme partie ou comme intervenant? — La Loi sur les brevets ne confère aucun statut spécial au personnel du Conseil et ne fait pas de lui une entité distincte de l’organisme — La qualité pour agir devant le Conseil est conférée au personnel du Conseil par les Règles du Conseil qui ne peuvent être considérées comme un texte législatif liant la Cour — Le Conseil lui-même peut intervenir uniquement pour expliquer les politiques et les pratiques de l’organisme puisque c’est la première occasion pour la Cour d’examiner le mandat et les politiques du Conseil du point de vue de l’indépendance de ce dernier.

Il s’agit d’une demande présentée par le personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (le personnel du Conseil) qui veut être ajouté comme partie défenderesse, conformément à la règle 104 des Règles de la Cour fédérale (1998), ou comme intervenant, conformément à la règle 109, dans deux demandes de contrôle judiciaire connexes, ainsi que d’une demande présentée par le Conseil afin d’être ajouté comme intervenant. La demanderesse a déposé un avis dans lequel elle a demandé au Conseil d’annuler son avis d’audience visant à décider si Hoechst Marion Roussel Canada (HMRC) avait fixé un prix excessif à l’égard de ses timbres de nicotine Nicoderm. Dans la partie I de sa décision, le Conseil a rejeté les allégations de HMRC qui accusait l’organisme d’avoir fait preuve de partialité institutionnelle et de manquement aux règles de justice naturelle en plus d’avoir rédigé un avis d’audience imprécis. Dans la partie II de sa décision, le Conseil a rejeté les autres allégations de la demanderesse, y compris l’allégation selon laquelle il n’avait pas compétence pour faire enquête sur l’établissement du prix du produit Nicoderm étant donné qu’il ne s’agissait pas d’un médicament visé par la Loi sur les brevets. HMRC a demandé le contrôle judiciaire des décisions visées par la partie I et la partie II.

Le Conseil a été créé en vertu de la Loi sur les brevets. Le personnel du Conseil relève directement du président de celui-ci, qui est chargé de la conduite des travaux du Conseil et de la gestion de son personnel. Le Conseil maintient une distinction administrative entre ses fonctions d’enquête et de poursuite et sa fonction décisionnelle. Le personnel du Conseil surveille l’établissement du prix des médicaments brevetés et fait enquête à ce sujet. Après une étape intérimaire de conformité volontaire, le personnel du Conseil prépare un rapport au sujet du prix excessif d’un produit et le remet au président qui décide s’il est souhaitable de tenir une audience dans l’intérêt public et qui réunit ensuite un comité de membres du Conseil pour trancher la question. Le rôle du comité se limite à entendre et trancher la question de fond. Les Règles du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés prévoient que le personnel du Conseil peut être « partie » aux fins des procédures tenues devant le Conseil. C’est le personnel du Conseil qui s’occupe des poursuites et qui présente l’affaire portant sur l’établissement d’un prix excessif devant un comité du Conseil. Il instruit son propre avocat qui présente la cause en son nom. Le comité du Conseil consulte son propre conseiller juridique. Au cours des deux audiences ayant donné lieu aux décisions sous examen, le personnel du Conseil avait l’entière responsabilité de l’affaire à titre de proposant de la compétence du Conseil quant à la délivrance de l’avis d’audience de celui-ci.

Le personnel du Conseil a soutenu qu’il aurait dû être désigné à titre de défendeur conformément à la règle 303 des Règles de la Cour fédérale (1998) qui oblige le demandeur à désigner toute « personne » directement touchée, exception faite d’un tribunal.

Il s’agissait de déterminer si le personnel du Conseil devrait avoir qualité pour agir, que ce soit comme partie ou comme intervenant, dans le contrôle judiciaire de la décision du Conseil, et si le Conseil devrait être autorisé à intervenir à l’examen de sa propre décision.

Jugement : la demande du personnel du Conseil est rejetée en entier et le Conseil est autorisé à intervenir dans un but limité.

La question préliminaire à trancher dans tous les cas où une entité soutient qu’elle a qualité pour agir à titre de partie ou d’intervenant est de savoir si l’entité en question est une « personne » au sens des Règles de la Cour fédérale (1998). La règle 104 permet l’ajout d’une « personne » qui aurait dû être jointe ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer le règlement complet de toutes les questions en litige dans une instance. De la même façon, la Cour peut autoriser une « personne » à intervenir dans une instance conformément à la règle 109. La règle 2 prévoit que le mot « personne » s’entend notamment « d’un office fédéral, d’une association sans personnalité morale et d’une société de personnes ». Elle définit une « association sans personnalité morale » de la manière suivante : « groupement … constitué d’au moins deux personnes qui exercent leurs activités sous un nom collectif dans un but commun ou pour une entreprise commune ». Le personnel du Conseil, formé d’employés qui travaillent sous la surveillance du président du Conseil et sont engagés pour appuyer les fins de l’organisme, ne constitue pas une « association sans personnalité morale » dont les membres exercent leurs activités « sous un nom collectif dans un but commun ou pour une entreprise commune ». Il existe une seule entreprise constituée en vertu de la Loi sur les brevets et c’est le Conseil. La Loi sur les brevets ne confère aucun statut spécial au personnel du Conseil et ne fait pas de lui une entité distincte de l’organisme. Le « nom collectif » et la qualité pour agir qui sont reconnus au personnel du Conseil pour la présentation des causes devant les comités de celui-ci découlent des Règles du Conseil que l’organisme a lui-même promulguées et qui ne peuvent être considérées comme un texte législatif liant la Cour fédérale.

Dans l’arrêt ICN Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés), la Cour d’appel fédérale a statué que le personnel du Conseil ne jouit pas d’une qualité pour agir indépendante de celle du Conseil. L’arrêt ICN n’est pas chose du passé depuis les modifications apportées aux Règles de la Cour fédérale en 1998. Dans l’arrêt ICN, la Cour souligne qu’aucun caractère distinctif n’est accordé au personnel en vertu d’un texte législatif et que la loi applicable ne comporte aucune disposition conférant au personnel du Conseil une identité ou lui reconnaissant un objet distinct de ceux du Conseil. Le Conseil a pour mandat de présenter et de protéger l’intérêt public, dans la mesure où ce mandat est conféré par un texte législatif, et c’est là sa vocation. Par conséquent, le personnel du Conseil ne peut être considéré comme « une partie directement touchée » au sens de la règle 303. Pour la même raison, le personnel du Conseil ne peut être considéré comme une personne qui « aurait dû être constituée comme partie » ou dont la présence « est nécessaire » devant la Cour au sens de la règle 104.

Puisque le personnel du Conseil n’est pas une « personne » aux fins de la constitution comme partie, il n’est pas une « personne » aux fins de l’intervention. Puisqu’il ne respectait pas les exigences des Règles de la Cour fédérale (1998), sa demande a été rejetée en entier.

La règle 109, qui a été ajoutée dans le cadre de la révision faite en 1998, oblige une partie qui cherche à intervenir à indiquer comment elle désire participer à l’instance et comment cette participation aidera la Cour à trancher les questions de fait ou de droit. D’autres facteurs que la Cour a pris en compte dans le passé demeurent pertinents, notamment la possibilité pour les parties existantes de présenter toute la preuve pertinente ou de faire valoir de façon satisfaisante la position de l’intervenant proposé. Les tribunaux se sont montrés peu enclins à accepter que des organismes plaident devant eux le bien-fondé de leur décision sous examen, appuyant de ce fait l’une des parties au litige, d’autant plus que la décision attaquée peut, après le contrôle en question, être renvoyée à l’organisme pour nouvelle décision. Récemment, la Cour fédérale a interprété de façon très restrictive le droit d’intervention d’un tribunal, limitant ce droit à la présentation d’arguments concernant la compétence essentielle du tribunal et interdisant fermement à celui-ci de commenter le bien-fondé de sa décision sous examen.

La première demande de contrôle judiciaire soulève la question de la partialité institutionnelle et met en cause l’organisation, la structure et la procédure internes du Conseil. Comme cette demande représente la première occasion pour la Cour d’examiner le mandat, les pratiques et les politiques du Conseil purement du point de vue de l’indépendance de celui-ci, la participation de ce dernier aux procédures de contrôle judiciaire aiderait la Cour à trancher les questions en litige qui concernent les pratiques de l’organisme et les nombreuses politiques qu’il applique conformément à son mandat. Le Conseil devrait donc être autorisé à intervenir uniquement pour expliquer le rôle de son président et de son personnel relativement à l’exécution du double mandat dont il est investi en vertu de sa loi habilitante ainsi que de ses règles et politiques, mais seulement dans la mesure où le procureur général ne fournit pas par ailleurs ces explications. Ce faisant, le Conseil ne pourra pas commenter la norme d’examen applicable ni la mesure dans laquelle il a respecté cette norme. Il n’y avait aucune raison, dans les circonstances, d’autoriser le Conseil à interjeter appel de la décision que la Cour rendra lors du contrôle, même si la règle 109 reconnaît explicitement la possibilité d’un appel par un intervenant.

La deuxième demande de contrôle judiciaire concerne strictement l’objet de la compétence spécialisée du Conseil. L’intervention du Conseil aidera la Cour à trancher les questions qui concernent le fondement de la compétence spécialisée du Conseil. Ce dernier est autorisé à formuler des arguments au sujet de la compétence dont il est investi, en vertu de l’article 83 de la Loi sur les brevets, dans la mesure où le procureur général ne se sera pas déjà exprimé à ce sujet. Il ne pourra pas commenter la norme d’examen applicable ni la mesure dans laquelle il a respecté la norme en question et il n’est pas autorisé à interjeter appel.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi modifiant la Loi de 1992 sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2.

Loi modifiant la Loi sur les brevets et prévoyant certaines dispositions connexes, L.C. 1987, ch. 41.

Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19).

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 83 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 7), 86(2) (édicté, idem; L.C. 1995, ch. 1, art. 62), 93(2) (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 7), 96(2) (édicté, idem).

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1600 (édictée par DORS/92-43, art. 19).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 2 « association sans personnalité morale », « personne », 104, 109, 303.

JURISPRUDENCE

décisions appliquées :

ICN Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés), [1997] 1 C.F. 32 (1996), 138 D.L.R. (4th) 71; 68 C.P.R. (3d) 417; 200 N.R. 376 (C.A.); Vancouver Wharves Ltd. c. International Longshoremen’s and Warehousemen’s Union, Local 514 (1985), 60 N.R. 118 (C.A.F.); Lignes Aériennes Canadien Pacifique Ltée c. A.C.P.L.A., [1988] 2 C.F. 493 (1988), 84 N.R. 81 (C.A.); Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier et al. (1997), 143 F.T.R. 24 (C.F. 1re inst.); Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d’Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684; (1978), 12 A.R. 449; 89 D.L.R. (3d) 161; 7 Alta. L.R. (2d) 370; 23 N.R. 565.

distinction faite d’avec :

Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 447 (1994), 17 Admin. L.R. (2d) 2; 164 N.R. 361 (C.A.).

décisions examinées :

Caimaw c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983; (1989), 62 D.L.R. (4th) 437; [1989] 6 W.W.R. 673; 40 B.C.L.R. (2d) 1; 40 Admin. L.R. 181; 89 CLLC 14,050; Ferguson Bus Lines Ltd. c. Syndicat uni du transport, section locale 1374, [1990] 2 C.F. 586 (1990), 68 D.L.R. (4th) 699; 43 Admin. L.R. 18; 108 N.R. 293 (C.A.); CIBA-Geigy Canada Ltée c. Canada (Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés), [1994] 3 C.F. 425 (1994), 26 Admin. L.R. (2d) 253; 55 C.P.R. (3d) 482; 77 F.T.R. 197 (1re inst.); conf. par (1994), 56 C.P.R. (3d) 377; 170 N.R. 360 (C.A.F.); ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Canada (Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés) (1996), 66 C.P.R. (3d) 45; 108 F.T.R. 190 (C.F. 1re inst.).

décisions citées :

Stevens c. Canada (Commissaire, Commission d’enquête), [1998] 4 C.F. 125 (1998), 228 N.R. 133 (C.A.); Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2000), 4 C.P.R. (4th) 421; 186 F.T.R. 84 (C.F. 1re inst.); Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (1996), 44 Admin. L.R. (2d) 250; 121 F.T.R. 42 (C.F. 1re inst.); Société Radio-Canada c. Paul (1997), 50 Admin. L.R. (2d) 181; 130 F.T.R. 315 (C.F. 1re inst.); Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 72 C.P.R. (3d) 187; 126 F.T.R. 209 (C.F. 1re inst.); Canada (Procureur général) et al. c. Commission royale d’enquête sur l’approvisionnement en sang au Canada et al. (1996), 109 F.T.R. 144 (C.F. 1re inst.).

DEMANDES présentées par le personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés dans le but d’être constitué défendeur ou intervenant dans deux demandes de contrôle judiciaire connexes, et par le Conseil en vue d’intervenir dans l’examen de ses propres décisions. La demande du personnel du Conseil est rejetée en entier et celle du Conseil est accueillie dans un but limité.

ONT COMPARU :

Martin W. Mason pour la demanderesse.

F. B. Woyiwada pour le défendeur.

Guy J. Pratte pour l’intervenant proposé le « personnel du Conseil ».

Gordon K. Cameron et Nancy K. Brooks pour l’intervenant proposé « le Conseil ».

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson LLP, Ottawa, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada, Ottawa, pour le défendeur.

Borden Ladner Gervais LLP, Ottawa, pour l’intervenant proposé le « personnel du Conseil ».

Blake, Cassels & Graydon LLP, Ottawa, pour l’intervenant proposé « le Conseil ».

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le protonotaire Aronovitch : Les présents motifs concernent deux demandes entendues ensemble dans le contexte des demandes de contrôle judiciaire indiquées ci-dessus à l’égard de deux décisions qu’a rendues le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (le Conseil).

[2]        La première demande porte sur l’intéressante proposition selon laquelle le personnel à l’emploi du Conseil peut avoir qualité pour agir, que ce soit comme partie ou comme intervenant, dans les demandes de contrôle judiciaire relatives aux décisions du Conseil. La seconde demande concerne la portée de la participation d’un organisme administratif à l’examen de sa propre décision.

LES FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE

[3]        Le 20 avril 1999, le Conseil a délivré un avis d’audience visant à décider si Hoechst Marion Roussel Canada, Inc. (HMRC) avait fixé un prix excessif à l’égard des timbres de nicotine qu’elle commercialise sous le nom de « Nicoderm ».

[4]        HMRC a déposé un avis dans lequel elle a demandé au Conseil d’annuler son avis d’audience pour différents motifs liés à la compétence de l’organisme. Le Conseil a examiné ces motifs en deux parties.

[5]        Dans la partie I de sa décision sur la compétence, en date du 3 août 1999, le Conseil a rejeté les allégations de HMRC, qui accusait l’organisme d’avoir fait preuve de partialité institutionnelle et de manquement aux règles de justice naturelle, en plus d’avoir rédigé un avis d’audience imprécis.

[6]        Dans la partie II de sa décision sur la compétence, datée du 8 août 2000, le Conseil a rejeté les autres allégations de la demanderesse, y compris l’allégation selon laquelle le Conseil n’avait pas compétence pour faire enquête sur l’établissement du prix du produit Nicoderm, étant donné qu’il ne s’agissait pas d’un « médicament » visé par la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, et ses modifications (la Loi sur les brevets) et que HMRC n’était pas un « breveté » en vertu de cette même Loi.

[7]        Les instances dans lesquelles le personnel du Conseil et le Conseil lui-même désirent participer sont les demandes de contrôle judiciaire de HMRC à l’égard des décisions visées par la partie I et la partie II, soit les dossiers de la Cour portant respectivement les numéros T-1576-00 et T-1671-99.

[8]        Dans le dossier de la Cour no T-1576-99, HMRC invoque les arguments suivants : la procédure que le Conseil a suivie pour tenir une audience n’assure pas l’existence d’un tribunal équitable et impartial, contrairement aux principes de justice naturelle; il y a un chevauchement inadmissible des fonctions d’enquête et les fonctions décisionnelles de la part du personnel et du président du Conseil; enfin, par l’entremise de son personnel et de son président, le Conseil a tiré des conclusions avant la délivrance de l’avis d’audience, ce qui permet raisonnablement de craindre que les questions à débattre à l’audience n’aient été tranchées à l’avance.

[9]        Dans le dossier de la Cour no T-1671-00, la demanderesse demande une suspension de l’instance engagée par la délivrance de l’avis d’audience du Conseil et l’annulation de la décision que celui-ci a rendue le 8 août 2000, au motif qu’il a commis une erreur en concluant que le produit Nicoderm était un « médicament » et que HMRC était un « breveté » pour l’application de l’article 83 [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 7] de la Loi sur les brevets.

[10]      Les demandes en l’espèce sont présentées séparément. La première est présentée au nom du personnel du Conseil et la seconde, au nom du Conseil lui-même. Le personnel du Conseil veut être ajouté comme partie défenderesse et, subsidiairement, comme intervenant dans les deux demandes connexes, que ce soit en son propre nom ou au nom du Conseil.

[11]      Si le personnel du Conseil a gain de cause dans l’une ou l’autre de ses demandes, le Conseil désire être ajouté comme intervenant, compte tenu de la portée restreinte de son intervention. Si le personnel du Conseil se voit nier toute qualité pour agir, le Conseil demande, subsidiairement, l’autorisation d’intervenir et d’exercer en pareil cas des droits de participation beaucoup plus larges dans les demandes, y compris le droit d’interjeter appel des décisions de la Cour au sujet de celles-ci.

La création et l’organisation du Conseil

[12]      Le Conseil a été créé en vertu des modifications qui ont été apportées à la Loi sur les brevets et qui sont entrées en vigueur le 7 décembre 1987 (Loi modifiant la Loi sur les brevets et prévoyant certaines dispositions connexes, L.C. 1987, ch. 41). Les commentaires suivants qui concernent le mandat du Conseil sont tirés d’une décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans ICN Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés), [1997] 1 C.F. 32 (C.A.), à la page 43. Tout au long des présents motifs, je cite abondamment cette décision que j’appellerai ci-après ICN. L’extrait qui suit est un résumé des fonctions dont le Conseil était investi à l’origine :

Entre 1987 et 1993, le rôle du Conseil a été de veiller à ce que le breveté n’exige pas un prix excessif pendant la période où le titulaire de licence ne peut bénéficier des effets de celle-ci (voir Kuharchuk, à la page 18; et Marusyk, à la page 160). Le Conseil devait également recueillir auprès des sociétés pharmaceutiques des renseignements relatifs à leurs dépenses de recherche et de développement, afin de savoir dans quelle mesure l’industrie investissait au Canada (Horton, à la page 148). Avec le temps, toutefois, ces modifications se sont elles aussi révélées inadéquates.

[13]      Plus loin dans son jugement, la Cour d’appel fait allusion aux modifications apportées à la Loi sur les brevets relativement au Règlement ADC (Loi modifiant la Loi de 1992 sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2, et Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133). Un des changements découlant de ces modifications réside dans la consolidation des pouvoirs du Conseil au chapitre des redressements et des sanctions, comme la Cour l’a résumé à la page 45 :

Le Conseil est désormais habilité, notamment, à infliger des amendes ou des réductions de prix lorsque le prix d’un médicament est excessif, à mieux contrôler le prix de lancement d’un nouveau médicament breveté et à infliger une amende ou une peine d’emprisonnement advenant le non-respect de l’une de ses ordonnances, lesquelles sont exécutoires comme s’il s’agissait d’ordonnances de la Cour fédérale. Pour résumer, les modifications visent à permettre au Conseil d’infléchir l’établissement du prix des médicaments brevetés à l’instar de la concurrence que favorisait l’octroi de licences obligatoires.

[14]      Le Conseil se compose d’au plus cinq membres, y compris le président, et peut embaucher du personnel, en vertu de la Loi sur les brevets, notamment, à titre temporaire, « retenir les services d’experts ».

[15]      Le personnel du Conseil relève directement du président de celui-ci, qui est le premier dirigeant de l’organisme en vertu du paragraphe 93(2) de la Loi sur les brevets. À ce titre, le président est chargé de la conduite des travaux du Conseil et de la gestion de son personnel.

[16]      Le Conseil maintient une distinction administrative entre ses fonctions d’enquête et de poursuite, d’une part, et sa fonction décisionnelle, d’autre part. Le personnel du Conseil surveille l’établissement du prix des médicaments brevetés et fait enquête à ce sujet. Dans le cadre de ces activités, il peut communiquer avec d’autres spécialistes du domaine pour obtenir leur avis. Il existe une étape intérimaire de conformité volontaire conformément aux lignes directrices du Conseil. Enfin, le personnel du Conseil prépare un rapport au sujet du prix excessif d’un produit donné et le remet au président. Se fondant sur le rapport, le président décide s’il est souhaitable de tenir une audience dans l’intérêt public. Le président réunit ensuite un comité de membres du Conseil pour trancher la question. Apparemment, le rôle du comité se limite à entendre et trancher la question de fond. (CIBA-Geigy Canada Ltée c. Canada (Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés), [1994] 3 C.F. 425(1re inst.); confirmé par (1994), 56 C.P.R. (3d) 377 (C.A.F.) (ci-après CIBA).

[17]      Le personnel du Conseil a qualité pour agir lors des audiences tenues devant le Conseil, en vertu des Règles du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (les Règles du Conseil). Ces Règles ont été prises en application du paragraphe 96(2) [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 7] de la Loi sur les brevets, qui autorise le Conseil à établir des règles régissant les pratiques et procédures à suivre dans l’exercice de son activité.

[18]      Les Règles du Conseil prévoient que le personnel à l’emploi de l’organisme peut être « partie » aux fins des procédures tenues devant le Conseil. Les ministres de la Couronne fédérale et provinciale peuvent également comparaître comme parties et sont explicitement mentionnés au paragraphe 86(2) [édicté, idem; L.C. 1995, ch. 1, art. 62] de la Loi sur les brevets, qui nomme les ministres en question.

[19]      En pratique, c’est le personnel du Conseil qui s’occupe des poursuites et qui présente l’affaire portant sur l’établissement d’un prix excessif devant un comité du Conseil. À cette fin, le personnel du Conseil instruit son propre avocat, qui présente la cause en son nom. Le comité du Conseil consulte en même temps son propre conseiller juridique. À la page 77 de l’affaire ICN, la Cour commente les rapports entre le Conseil et son personnel :

Les rapports entre le Conseil et son personnel sont décrits comme suit par la majorité des membres du Conseil dans la décision Genentech, précitée, à la page 320 :

[traduction] Lorsqu’il tient une audience relativement au prix d’un médicament breveté, le personnel du Conseil agit indépendamment du Conseil. Par l’entremise de son propre avocat, le personnel du Conseil présente des éléments de preuve, analyse la preuve des autres parties et formule des observations sur des questions de procédure, de compétence, de droit et de fond pendant le déroulement de la procédure.

[20]      Au cours des deux audiences ayant donné lieu aux décisions sous examen en l’espèce, le personnel du Conseil a agi comme partie et était effectivement la seule partie qui a comparu devant le comité saisi de l’affaire, exception faite de HMRC. Le personnel du Conseil avait l’entière responsabilité de l’affaire à titre de proposant de la compétence du Conseil quant à la délivrance de l’avis d’audience de celui-ci. À cette fin, le personnel du Conseil a présenté une preuve factuelle, fait témoigner des experts et contre-interrogé des témoins, en plus de plaider longuement devant le comité. Le procureur général du Canada (le procureur général) n’a pas participé aux procédures.

La qualité pour agir du personnel du Conseil selon la jurisprudence de la Cour

[21]      J’ai déjà fait allusion aux affaires qui concernent le Conseil et dont la Cour fédérale a été saisie jusqu’à maintenant, soit les affaires CIBA et ICN.

[22]      La première affaire, CIBA, portait également sur un timbre de nicotine que Ciba-Geigy vendait, cette fois, sous le nom de « Habitrol » et sur le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le Conseil a rejeté la demande que Ciba-Geigy avait formulée en vue d’obtenir des documents liés aux questions en litige avant une prochaine audition devant l’organisme. L’auteur de la demande de contrôle judiciaire était Ciba-Geigy. Le Conseil était intimé et était représenté par deux avocats distincts. En appel, les mêmes avocats qui avaient occupé en première instance ont comparu au nom du Conseil et ont été désignés séparément respectivement à titre d’avocat du personnel du Conseil et d’avocat du Conseil. Chaque avocat a eu une occasion séparée de s’adresser à la Cour.

[23]      Dans l’affaire ICN, la demanderesse a soutenu que le Conseil n’avait pas compétence pour décider si le prix que les appelantes avaient modifié à l’égard de leur médicament vendu sous le nom commercial « Virazole » était excessif, notamment parce que l’invention du breveté ne portait pas sur un « médicament » au sens de la Loi sur les brevets. En première instance, le juge de première instance a modifié avec le consentement des parties l’intitulé de la cause pour ajouter le personnel du Conseil comme partie intimée et pour faire du Conseil un intervenant au lieu d’un intimé [(1996), 66 C.P.R. (3d) 45].

[24]      Ainsi, en appel, le personnel du Conseil était la partie intimée. À la fin de ses motifs, sous la rubrique « Les questions connexes », la Cour d’appel a commenté la qualité pour agir du personnel du Conseil à titre de partie intimée. Après avoir passé en revue la structure législative du Conseil, la Cour en est arrivée à la conclusion suivante aux pages 77 et 78 :

C’est sur ces dispositions législatives que le personnel du Conseil fonde son droit d’être constitué partie intimée à la demande de contrôle judiciaire. Je ne puis faire droit à cette prétention.

[…]

Il demeure néanmoins que la loi habilitante du Conseil n’est pas rédigée de façon à accorder au personnel du Conseil, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la même qualité indépendante que celle dont jouit, par exemple, le directeur des enquêtes et recherches dans le domaine de la concurrence. Je ne laisse pas entendre que les rôles distincts joués par le Conseil et par son personnel ne sont pas fondés sur le plan juridique. Non plus que le Conseil a en quelque sorte délégué ses obligations légales ou omis d’exercer son pouvoir discrétionnaire. Je suis convaincu que le régime actuel est efficient du point de vue administratif. J’estime cependant que le personnel du Conseil ne jouit pas d’une qualité pour agir indépendante de celle du Conseil. [Non souligné à l’original.]

LE PERSONNEL DU CONSEIL À TITRE DE PARTIE OU D’INTERVENANT

[25]      Comme je l’ai déjà mentionné, le personnel du Conseil cherche principalement à être ajouté comme partie aux instances conformément à la règle 104 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] (les Règles de la Cour fédérale) ou à faire reconnaître sa qualité pour agir devant la Cour [traduction] « au nom ou sous l’égide » du Conseil. Subsidiairement, le personnel du Conseil demande, conformément à la règle 109 des Règles de la Cour fédérale, l’autorisation d’intervenir en l’espèce, que ce soit en son nom ou au nom du Conseil, ainsi que de larges pouvoirs semblables à ceux d’une partie. En qualité d’intervenant, le personnel du Conseil demande le droit de présenter la preuve, de procéder à des contre-interrogatoires sur affidavits et, en dernier ressort, d’interjeter appel de la décision de la Cour.

[26]      Une comparution au nom ou sous l’égide du Conseil sous-entend une façon de procéder semblable à celle de l’affaire CIBA, où le Conseil était l’intimé (le défendeur) désigné, tandis que le personnel du Conseil était identifié et reconnu séparément et autorisé à formuler des observations de son propre chef, tant en première instance qu’en appel.

[27]      Le personnel du Conseil soutient vigoureusement que s’il n’a pas qualité pour agir dans les demandes de contrôle judiciaire, le Conseil ne pourra présenter son expertise devant la Cour, ce qui nuira à l’intérêt public et au consommateur, notamment si, après ce stade préliminaire, la Cour devait être saisie de la décision éventuelle du Conseil concernant le prix. De l’avis du personnel, il est illogique qu’il soit en mesure de préparer et de présenter la cause devant le Conseil, mais non devant la Cour fédérale, ce qui a pour effet de priver le Conseil de la possibilité d’utiliser les services des avocats de son choix pour défendre sa compétence spécialisée.

[28]      Le personnel du Conseil allègue effectivement qu’il aurait dû être désigné lui-même à titre de défendeur conformément à l’alinéa 303(1)a) des Règles de la Cour fédérale et que la désignation du procureur général n’est qu’une solution de compromis dans les circonstances.

[29]      Selon le personnel, le comité du Conseil qui est saisi de l’instance est le « tribunal » et l’arbitre visé par l’interdiction énoncée à la règle 303. Les arrêts comme Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d’Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684 (Northwestern Utilities); et Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 447 (C.A.) (Bernard), où la procédure par laquelle une instance décisionnelle défend sa propre décision est dûment remise en question, ne sauraient s’appliquer au personnel du Conseil, qui n’est pas l’arbitre en l’espèce, mais est chargé de s’occuper de l’affaire comme poursuivant. À cet égard, le personnel du Conseil se fonde sur l’arrêt Bernard, où la Cour d’appel fédérale a statué que la Commission des droits de la personne ne pouvait être partie intimée dans une demande de contrôle judiciaire relative à sa propre décision, mais lui a plutôt accordé l’autorisation d’intervenir. L’avocat du personnel du Conseil souligne que, dans cette affaire, le juge Décary a reconnu que la Commission des droits de la personne pourrait être considérée comme une « personne intéressée » au sens de l’ancienne Règle 1600 [des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 (édicté par DORS/92-43, art. 19)] dans des affaires où c’est elle qui a engagé la plainte : arrêt Bernard, précité, à la page 459, note 21.

[30]      En ce qui a trait à l’autre condition exigée par la règle 303, selon laquelle la personne désignée à titre de défendeur doit être « directement touchée » par la décision de la Cour, le personnel du Conseil fait valoir que, dans la mesure où la décision de la Cour concernera l’intérêt public, le personnel sera directement touché à titre de seul représentant et protecteur de cet intérêt.

[31]      Le personnel du Conseil ajoute qu’en raison des fonctions qu’il exerce et du fait qu’il a été reconnu à titre de partie devant le Conseil et d’entité distincte dans chacune des affaires plaidées devant la Cour fédérale, il possède un caractère distinct suffisant pour être visé par la définition actuelle du mot « personne » qui est énoncée dans les Règles de la Cour fédérale [règle 2].

[32]      Le personnel du Conseil ajoute même que l’arrêt ICN est dépassé, parce que cette décision a été rendue avant les modifications apportées aux Règles de la Cour fédérale, et repose uniquement sur une conclusion concernant la personnalité juridique du personnel du Conseil. La portée des Règles de la Cour fédérale qui, avant 1998, prévoyaient qu’une personne demandant le statut de partie devait être une entité juridique distincte a été élargie, comme l’indiquent les définitions suivantes de la règle 2 :

2. […]

« association sans personnalité morale » Groupement, à l’exclusion d’une société de personnes, constitué d’au moins deux personnes qui exercent leurs activités sous un nom collectif dans un but commun ou pour une entreprise commune.

« personne » S’entend notamment d’un office fédéral, d’une association sans personnalité morale et d’une société de personnes.

[33]      Selon le personnel du Conseil, la définition n’est pas exhaustive et n’exige pas qu’une personne demandant d’être reconnue comme partie ou intervenant soit une entité juridique. L’avocat du personnel fait valoir que celui-ci constitue effectivement un groupe de personnes exerçant leurs activités sous un nom collectif dans un but commun et peut donc être considéré comme une « association sans personnalité morale » au sens de la règle. De l’avis du personnel, non seulement la Cour l’a-t-elle reconnu dans le passé, mais les nouvelles Règles ont une portée suffisamment large pour permettre à la Cour de reconnaître la personnalité distincte du personnel du Conseil à titre de « personne » aux fins des Règles de la Cour fédérale (1998).

[34]      Plus précisément, en ce qui a trait à la demande qu’il a présentée pour être constitué partie conformément à l’alinéa 104(1)b) des Règles de la Cour fédérale, le personnel du Conseil affirme que sa présence est indubitablement nécessaire pour assurer l’adjudication complète et le règlement des questions en litige, parce qu’il est la partie la plus au courant des questions de fait et de droit soulevées dans les demandes de contrôle judiciaire. Au soutien de cet argument, le personnel du Conseil présente en preuve les observations étoffées qu’il a formulées devant le Conseil, notamment celles qui concernent la preuve d’expert et la portée de l’application des cinq brevets en litige dans le dossier de la Cour no T-1671-00.

[35]      Souscrivant aux arguments du personnel, l’avocat du Conseil fait valoir que HMRC aurait dû désigner le personnel à titre de défendeur et reconnaît que celui-ci peut être considéré comme une « association sans personnalité morale » au sens des Règles de la Cour fédérale. Il ajoute que le personnel du Conseil jouit d’une cohésion beaucoup plus grande comparativement à certains groupes civiques ou environnementaux qui ont été reconnus comme des « personnes » aux fins des Règles de la Cour fédérale. L’avocat du Conseil considère le personnel de celui-ci comme un groupe identifiable de personnes dont le but commun consiste à s’occuper des poursuites. De plus, dans la mesure où une conclusion de la Cour pourrait avoir pour effet de suspendre une poursuite, le personnel du Conseil serait une personne « directement touchée » au sens de la règle 303.

[36]      Le Conseil souligne qu’il ignore la position que le procureur général prendra dans la demande de contrôle judiciaire et affirme que la présence du personnel est nécessaire pour assurer la présence devant la Cour d’une partie qui défendra énergiquement le bien-fondé de la décision de l’organisme.

Analyse

[37]      La question préliminaire à trancher dans tous les cas où une entité soutient qu’elle a qualité pour agir à titre de partie ou d’intervenant est de savoir si l’entité en question est une « personne » au sens des Règles de la Cour fédérale.

[38]      Ainsi, la règle 303, que le personnel du Conseil invoque pour dire qu’il aurait dû être désigné à titre de défendeur, oblige le demandeur à désigner toute « personne » directement touchée, exception faite d’un tribunal. La règle 104 permet l’ajout d’une « personne » qui aurait dû être jointe ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer le règlement complet de toutes les questions en litige dans une instance. De la même façon, la Cour peut autoriser une « personne » à intervenir dans une instance conformément à la règle 109.

[39]      Dans les nouvelles Règles de la Cour fédérale qui sont entrées en vigueur après l’arrêt <I>ICN</I>, la définition du mot « personne » qui, j’en conviens, n’est pas exhaustive, a été élargie. Cela étant dit, je refuse de reconnaître que le personnel du Conseil, constitué d’employés qui travaillent sous la surveillance du président du Conseil et sont engagés pour appuyer les fins de l’organisme, puisse être considéré comme une « association sans personnalité morale », c’est-à-dire un groupement constitué d’au moins deux personnes « qui exercent leurs activités sous un nom collectif dans un but commun ou pour une entreprise commune ».

[40]      Il existe une seule entreprise constituée en vertu de la Loi sur les brevets et c’est le Conseil. À mon avis, la Loi sur les brevets ne renferme aucune disposition qui confère un statut spécial au personnel du Conseil ou qui fait de lui une entité distincte de l’organisme. À cet égard, les commentaires que la Cour a formulés dans l’affaire Bernard au sujet du statut possible de la Commission des droits de la personne ne sont pas utiles pour le personnel du Conseil. La qualité pour agir que le personnel du Conseil peut invoquer en vertu de sa loi habilitante n’est pas comparable à celle que la Commission possède en vertu de sa propre loi.

[41]      Le « nom collectif » et la qualité pour agir qui sont reconnus au personnel du Conseil pour la présentation des causes devant des comités de celui-ci découlent des Règles du Conseil que l’organisme lui-même a promulguées. À mon avis, ces règles ne peuvent être considérées comme un texte législatif liant la Cour. En revanche, je souligne qu’un droit d’intercéder devant le Conseil est accordé, en vertu du paragraphe 86(2) de la Loi sur les brevets, au ministre de l’Industrie ainsi qu’à d’autres ministres désignés par règlement. De plus, tout ministre fédéral qui désire intervenir serait représenté par le procureur général du Canada, à l’instar du commissaire de la concurrence, qui a le droit d’intervenir en vertu de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34 [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19].

[42]      Effectivement, je conviens avec le procureur général et la demanderesse que l’arrêt ICN n’est pas chose du passé. Dans l’arrêt ICN, la Cour souligne qu’aucun caractère distinctif n’est accordé au personnel en vertu d’un texte législatif et que la loi applicable ne comporte aucune disposition conférant au personnel du Conseil une identité ou lui reconnaissant un objet distinct de ceux du Conseil. Comme la Cour d’appel l’a reconnu, c’est le Conseil qui est investi d’un double mandat [à la page 78] :

Dans les faits, le Conseil est tenu d’agir en tant que poursuivant et en tant que juge afin de s’acquitter de son mandat légal.

[43]      Par conséquent, le Conseil a pour mandat de présenter et de protéger l’intérêt public, dans la mesure où ce mandat est conféré par un texte législatif, et c’est là sa vocation. Je ne puis donc souscrire à l’argument du personnel du Conseil selon lequel il pourrait être considéré comme « une partie directement touchée » au sens de la règle 303.

[44]      Dans la même veine et pour la même raison, le personnel du Conseil ne peut être considéré comme une personne qui « aurait dû être constituée comme partie » ou dont la présence « est nécessaire » devant la Cour au sens de la règle 104. À mon avis, le personnel du Conseil n’a aucune raison de soutenir qu’il doit être lié par la décision découlant des demandes de contrôle judiciaire ou que les questions en litige dans celles-ci ne peuvent faire l’objet d’une instruction complète ni être réglées à moins qu’il ne soit partie. (Voir l’arrêt Stevens c. Canada (Commissaire, Commission d’enquête), [1998] 4 C.F. 125 (C.A.), à la page 126.)

[45]      En ce qui concerne l’intervention du personnel du Conseil, je ne suis pas d’accord avec le procureur général lorsqu’il dit que, même si le personnel n’est pas une « personne » aux fins de la constitution comme partie, il pourrait être considéré comme une « personne » aux fins de l’intervention au motif que sa compétence spécialisée pourrait être utile pour la Cour. Les instances concernées en l’espèce sont des demandes de contrôle judiciaire et non des auditions de novo. Dans la mesure où la compétence spécialisée en question peut être pertinente, elle est examinée comme il se doit dans le contexte du droit d’intervention du Conseil ainsi que de la portée de cette intervention.

[46]      Qui plus est, je ne vois aucune raison de permettre au personnel du Conseil d’être reconnu sous le nom du Conseil. Il est indéniable que ni la Cour non plus que les parties seraient bien desservies par cet artifice qui, de plus, doit être fondé sur ce qui n’est pas sous-entendu ou admis par ailleurs, soit le fait que le Conseil est partie en bonne et due forme aux instances concernées en l’espèce. Si la Cour en arrive à la conclusion que les arguments concernant la compétence spécialisée du Conseil seraient utiles pour elle et autorise de ce fait celui-ci à intervenir dans les instances, le Conseil pourra désigner l’avocat de son choix, qui le représentera et plaidera la compétence spécialisée de l’organisme dans la mesure où il le jugera opportun.

[47]      En dernier lieu, l’avocat du personnel du Conseil estime que, dans le contexte de la présente demande, je dois admettre le caractère distinctif de celui-ci, car procéder autrement aurait pour effet de trancher à l’avance, au fond, la question en litige dans le dossier de la Cour no T-1576-99. À mon avis, la Cour d’appel fédérale a dûment reconnu, dans l’arrêt ICN, le « rôle distinct » du personnel et la séparation des fonctions de nature décisionnelle de celles qui concernent les poursuites. Les présents motifs portent uniquement sur la question de savoir si le personnel du Conseil respecte les exigences des Règles de la Cour fédérale qui s’appliquent. Comme j’ai répondu par la négative à cette question, je rejette en entier la demande du personnel du Conseil.

LE CONSEIL COMME INTERVENANT

[48]      Le Conseil ne demande pas d’être constitué comme partie, mais désire intervenir dans les deux demandes. En fait, l’évolution des Règles de la Cour fédérale et des décisions rendues dans ce domaine a essentiellement eu pour effet d’empêcher un office ou un tribunal d’être reconnu comme partie lors de l’examen de ses propres décisions. Le principe a été codifié comme suit à la règle 303 des Règles de la Cour fédérale :

303. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le demandeur désigne à titre de défendeur :

a) toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée, autre que l’office fédéral visé par la demande;

(b) toute autre personne qui doit être désignée à titre de partie aux termes de la loi fédérale ou de ses textes d’application qui prévoient ou autorisent la présentation de la demande.

(2) Dans une demande de contrôle judiciaire, si aucun défendeur n’est désigné en application du paragraphe (1), le demandeur désigne le procurer général du Canada à ce titre. [Non souligné à l’original.]

[49]      En somme, le procureur général peut être désigné à titre de défendeur lorsqu’il n’y a par ailleurs aucune partie directement touchée sauf l’office fédéral. Une exception explicite à la règle interdisant à un office fédéral d’être partie aux demandes de contrôle judiciaire concernant ses propres décisions est énoncée comme suit au paragraphe 303(3) des Règles :

303. […]

(3) La Cour peut, sur requête du procureur général du Canada, si elle est convaincue que celui-ci est incapable d’agir à titre de défendeur ou n’est pas disposé à le faire après avoir été ainsi désigné conformément au paragraphe (2), désigner en remplacement une autre personne ou entité, y compris l’office fédéral visé par la demande. [Non souligné à l’original.]

Cette disposition permet de remplacer le procureur général par un office fédéral à titre de partie défenderesse lorsque le procureur général désigné à titre de défendeur cherche subséquemment à se récuser parce qu’il est incapable d’agir à ce titre ou qu’il n’est pas disposé à le faire.

[50]      Habituellement, un office ou un tribunal ne peut intervenir qu’avec la permission de la Cour, à moins qu’il ne soit autorisé à le faire par sa loi habilitante. La règle 109 a été ajoutée dans le cadre des révisions apportées en 1998 aux anciennes Règles de la Cour fédérale. Elle oblige une partie qui cherche à intervenir à indiquer comment elle désire participer à l’instance et, surtout, comment cette participation aidera la Cour à trancher les questions de fait ou de droit de l’instance en question. Bien que ce dernier élément constitue un facteur clé de la décision concernant la demande d’autorisation, d’autres facteurs que la Cour a pris en compte dans le passé demeurent pertinents. Ces facteurs comprennent la possibilité pour les parties existantes de présenter toute la preuve pertinente ou de faire valoir de façon satisfaisante la position de l’intervenant proposé (voir Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2000), 4 C.P.R. (4th) 421 (C.F. 1re inst.), à la page 429).

[51]      Le droit d’une instance décisionnelle de participer au contrôle judiciaire de ses propres décisions et la portée de cette participation sont des questions controversées qui ont été abondamment commentées dans la jurisprudence. Les tribunaux se sont montrés peu enclins à accepter que des organismes plaident devant eux le bien-fondé de leur décision sous examen, appuyant de ce fait l’une des parties au litige, d’autant plus que la décision attaquée peut, après le contrôle en question, être renvoyée à l’organisme pour nouvelle décision.

[52]      Dans l’arrêt Northwestern Utilities, déjà mentionné dans les présents motifs, la participation d’un organisme administratif aux procédures de contrôle de sa décision a été considérablement restreinte. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a entendu un pourvoi de la Public Utilities Board (la commission) et de Northwestern Utilities Ltd. En vertu de sa loi habilitante, la commission avait le droit de participer aux appels de ses décisions et d’être entendue à cette occasion. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Estey a décrit comme suit les limites de la participation de la commission, aux pages 709 et 710 :

Cette Cour, à cet égard, a toujours voulu limiter le rôle du tribunal administratif dont la décision est contestée à la présentation d’explications sur le dossier dont il était saisi et d’observations sur la question de sa compétence, même lorsque la loi lui confère le droit de comparaître […] Lorsque la loi donne à un tribunal administratif le droit de comparaître et de plaider, ce dernier aurait tout avantage à suivre les principes énoncés par le juge Aylesworth dans l’arrêt International Association of Machinists v. Genaire Ltd. and Ontario Labour Relations Board (1958), 18 D.L.R. 588, aux pp. 589-590 :

[traduction] Il ne fait aucun doute qu’en appel d’une décision du Conseil, celui-ci peut se faire représenter par un avocat qui plaidera sa cause devant le tribunal d’appel. Nous estimons toutefois approprié que la plaidoirie traite non du fond de l’affaire […] mais plutôt de la compétence ou du défaut de compétence du Conseil. Si l’avocat du Conseil mène sa plaidoirie de la sorte, l’impartialité du Conseil sera d’autant mieux mise en valeur et sa dignité et son autorité en seront d’autant mieux garanties. En même temps, le tribunal d’appel bénéficiera de toutes les observations que l’avocat du Conseil jugera utiles de présenter sur la question de la compétence.

Lorsque la loi constitutive ou organique ne dit rien du rôle ni du statut du tribunal dans les procédures d’appel ou d’examen judiciaire, cette Cour a limité ledit rôle à la seule question de la compétence pour rendre l’ordonnance contestée […]

la « compétence » n’inclut pas la transgression du pouvoir d’un tribunal par l’inobservation des règles de justice naturelle. [Non souligné à l’original.]

[53]      L’arrêt Northwestern Utilities a été appliqué avec empressement dans l’affaire Vancouver Wharves Ltd. c. Syndicat international des débardeurs et magasiniers, section locale 514 (1985), 60 N.R. 118 (C.A.F.), où le juge Hugessen s’est exprimé comme suit à la page 120 du jugement :

J’aurais cru que la simple prudence, sans parler de la convenance, aurait inspiré au Conseil de n’intervenir qu’avec une réserve extrême dans un débat judiciaire à l’égard duquel les parties aux procédures qui se sont déroulées devant le Conseil lui-même sont toujours en opposition devant les tribunaux.

Plus tard, dans l’arrêt Lignes Aériennes Canadien Pacifique Ltée c. A.C.P.L.A., [1988] 2 C.F. 493(C.A.), aux pages 498 et 499, le juge Hugessen a confirmé le droit d’un tribunal de formuler des arguments, mais uniquement sur la question de sa propre compétence, « dans un sens restreint ».

[54]      La Cour suprême du Canada a réexaminé la question dans Caimaw c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983 (ci-après Paccar). Dans cette affaire, on a soutenu que le Conseil des relations de travail, dont la décision était contestée, avait perdu sa compétence après avoir rendu une décision qui était manifestement déraisonnable. Dans ce contexte, le juge La Forest a conclu que le Conseil avait le droit non seulement d’expliquer le dossier dont la Cour était saisie et de formuler des arguments établissant qu’il avait la compétence voulue pour procéder à l’enquête, mais également le droit de faire des observations appuyant le caractère raisonnable de la décision et démontrant qu’il n’avait pas perdu sa compétence par suite d’une interprétation manifestement déraisonnable de ses pouvoirs.

[55]      À cet égard, le juge La Forest a approuvé sans réserve les remarques suivantes du juge Taggart, de la Cour d’appel, à la page 1016 :

[traduction] Le fondement traditionnel de la notion selon laquelle un tribunal administratif ne devrait pas comparaître pour défendre le bien-fondé de sa décision est l’impression qu’il serait malséant et déplacé pour lui de se mettre dans cette position. Mais lorsque le point en litige devient, notamment en relation avec le critère de l’interprétation manifestement déraisonnable, la question de savoir si la décision était raisonnable, il existe une raison de principe impérieuse de permettre au tribunal de présenter des arguments. En effet, le tribunal est le mieux placé pour attirer l’attention de la cour sur les considérations, enracinées dans la compétence ou les connaissances spécialisées du tribunal, qui peuvent rendre raisonnable ce qui autrement paraîtrait déraisonnable à quelqu’un qui n’est pas versé dans les complexités de ce domaine spécialisé. Il peut arriver, dans certains cas, que les parties au différend ne présentent pas adéquatement ces considérations à la cour, soit parce qu’elles n’en perçoivent pas l’importance, soit parce qu’elles estiment ne pas avoir intérêt à le faire. [Non souligné à l’original.]

[56]      Dans l’arrêt Paccar, la Cour suprême a souligné que, contrairement à la situation qui existait dans l’affaire Northwestern Utilities, où l’organisme en question avait présenté une « argumentation détaillée et approfondie » à l’appui du bien-fondé de sa décision, la commission des relations de travail n’a pas soutenu que sa décision était correcte, mais plutôt qu’elle était raisonnable, de sorte qu’elle n’a pas dépassé les limites accordées à un tribunal administratif dans des procédures de contrôle judiciaire.

[57]      Dans l’arrêt Ferguson Bus Lines Ltd. c. Syndicat uni du transport, section locale 1374, [1990] 2 C.F. 586 la Cour d’appel fédérale a eu l’occasion d’examiner l’arrêt Paccar et l’a interprété de façon restrictive. Elle a conclu qu’une intervention autre que celle qui porte sur la compétence principale et spécialisée d’un organisme ne devrait pas être approuvée, parce qu’elle nuit à l’impartialité de l’organisme en question. S’attardant à « l’insistance inexplicable » du Conseil des relations de travail alors que la compétence de celui-ci n’était « aucunement contestée » ainsi qu’à l’absence de considérations enracinées, le juge Mahoney a formulé les remarques suivantes à la page 590 :

À mon avis, la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Paccar ne donne pas au Conseil une excuse raisonnable pour demander d’être entendu dans tous les cas où l’on soutient que l’une de ses décisions est manifestement déraisonnable. Comme la Cour l’a dit dans l’arrêt Paccar, ce n’est que lorsque les connaissances de l’organisme en question peuvent ajouter des éléments autrement imperceptibles pour un profane dans le domaine qu’une participation susceptible à ce point de lui nuire devrait être tolérée. C’est dans cette mesure restreinte que l’on a repris, dans l’arrêt Paccar, les critères établis de façon concluante dans Northwestern Utilities. En outre, l’existence d’une controverse de cette nature ne permet pas au Conseil de soulever des questions autres que des questions portant véritablement sur sa compétence.

[58]      Récemment, la Cour fédérale a interprété de façon très restrictive le droit d’intervention d’un tribunal, restreignant ce droit à la présentation d’arguments concernant la compétence essentielle du tribunal et interdisant fermement à celui-ci de commenter le bien-fondé de sa décision sous examen (voir : Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (1996), 44 Admin. L.R. (2d) 250 (C.F. 1re inst.) (ci-après Bell Canada (1996)); et Société Radio-Canada c. Paul (1997), 50 Admin. L.R. (2d) 181 (C.F. 1re inst.) (ci-après Paul)).

[59]      L’arrêt Northwestern Utilities a également été vigoureusement appliqué dans la très récente décision que la Cour fédérale a rendue au sujet de la participation d’un tribunal à une demande de contrôle judiciaire dans des circonstances où l’indépendance du tribunal en question était en litige. Dans l’affaire Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier et al. (1997), 143 F.T.R. 24 (C.F. 1re inst.), Mme le juge McGillis a examiné une demande d’intervention du président du Tribunal canadien des droits de la personne dans une procédure de contrôle judiciaire relative à une décision que le Tribunal avait rendue alors que son indépendance était en litige. Mme le juge a statué que, même en supposant que la question de l’indépendance concerne la compétence, il serait impossible pour le président du Tribunal de formuler des arguments à ce sujet sans commenter également le bien-fondé de la décision. Elle a donc rejeté la demande d’intervention, jugeant que l’intervention dans les circonstances nuirait à l’apparence d’impartialité du Tribunal, ce qui irait à l’encontre des principes énoncés dans l’arrêt Northwestern Utilities.

[60]      Cependant, il convient de souligner que Mme le juge McGillis a statué subsidiairement qu’en tout état de cause, l’intervention du président ne serait d’aucune utilité, puisque la preuve déjà présentée était complète. Le greffier du Tribunal avait en effet présenté une preuve étoffée au sujet de la structure et des pratiques de celui-ci. De plus, la Commission canadienne des droits de la personne avait déposé une argumentation détaillée au soutien de la décision du Tribunal concernant l’indépendance de celui-ci.

Le droit d’appel

[61]      Parmi les droits que le Conseil cherche à obtenir en intervenant dans les présentes demandes de contrôle judiciaire, mentionnons celui d’interjeter appel des décisions éventuelles de la Cour. Bien que ce droit ait été associé dans le passé à ceux d’une partie plutôt que d’un intervenant, la règle 109 reconnaît désormais explicitement cette possibilité. Ce droit peut être obtenu sur demande à la Cour et a été accordé aux intervenants lorsque la situation s’y prêtait (voir : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 72 C.P.R. (3d) 187 (C.F. 1re inst.) et Canada (Procureur général) et al. c. Commission royale de l’enquête sur l’approvisionnement en sang au Canada et al. (1996), 109 F.T.R. 144 (C.F. 1re inst.)). L’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Cour a été refusée dans les affaires Bell Canada (1996) et Paul.

Analyse

Dossier de la Cour no T-1576-99

[62]      J’examine maintenant la demande d’intervention du Conseil à la lumière des principes exposés ci-dessus. Bien qu’il ne cherche pas à présenter des éléments de preuve, le Conseil veut formuler des observations verbales et écrites au sujet de la norme d’examen, [traduction] « afin d’attirer l’attention de la Cour sur les considérations, enracinées dans la compétence spécialisée du Conseil, qui permettraient à la Cour de conclure qu’il a respecté la norme d’examen » ainsi que pour éclairer la Cour au sujet des rôles du Conseil, du président et du personnel de l’organisme en ce qui concerne l’exécution de leur mandat d’origine législative.

[63]      Le procureur général appuie totalement la demande du Conseil en se fondant sur l’arrêt Paccar. Pour sa part, HMRC soutient que le Conseil peut commenter le dossier dont il est saisi ainsi que sa compétence, mais non les questions qui sont liées à l’équité procédurale, notamment la question de savoir si les structures du Conseil donnent lieu à une crainte de partialité.

[64]      Cette première demande soulève la question de la partialité institutionnelle et met en cause l’organisation, la structure et la procédure internes du Conseil. Il s’agit d’un cas où le Conseil doit faire preuve de prudence. Cela étant dit, même si la Cour fédérale a déjà eu l’occasion de commenter la structure et l’organisation du Conseil, la présente demande représente la première occasion pour elle d’examiner le mandat, les pratiques et les politiques de l’organisme purement du point de vue de l’indépendance de celui-ci. Je suis donc convaincue que la participation du Conseil aux procédures de contrôle judiciaire aiderait la Cour à trancher les questions en litige qui concernent les pratiques de l’organisme et les nombreuses politiques qu’il applique conformément à son mandat. Dans ce contexte, j’autoriserais le Conseil à intervenir uniquement pour présenter des observations, sur la foi du dossier dont la Cour est saisie, visant à expliquer le rôle de son président et de son personnel relativement à l’exécution du double mandat dont il est investi en vertu de sa loi habilitante ainsi que de ses règles et politiques, mais uniquement dans la mesure où le procureur général ne fournit pas par ailleurs ces explications. Ce faisant, le Conseil ne pourra commenter la norme d’examen applicable ou la mesure dans laquelle il a respecté cette norme. (J’ajoute ce dernier point, parce qu’il pourrait être déduit implicitement du libellé de la demande d’autorisation du Conseil.) Enfin, je ne vois aucune raison, dans les circonstances, d’autoriser le Conseil à interjeter appel de la décision que la Cour rendra lors du contrôle.

Dossier de la Cour no T-1671-00

[65]      Dans cette demande, qui concerne strictement l’objet de la compétence spécialisée du Conseil, le procureur général et celui-ci invoquent à nouveau l’arrêt Paccar pour demander à la Cour d’autoriser le Conseil à intervenir sur la même base que dans l’affaire no T-1576-99, ce qui comprendrait le droit de commenter la norme d’examen applicable ainsi que d’interjeter appel de la décision éventuelle de la Cour.

[66]      Dans les circonstances, j’estime que le Conseil devrait être autorisé à intervenir et que son intervention aidera la Cour à trancher les questions en litige dans la demande de contrôle judiciaire qui concernent le fondement de la compétence spécialisée du Conseil. Le Conseil est donc autorisé à formuler des arguments, en se fondant sur le dossier dont la Cour est saisie, au sujet de la compétence dont il est investi en vertu de l’article 83 de la Loi sur les brevets, encore là, dans la mesure où le procureur général ne se sera pas déjà exprimé à ce sujet. Si la Cour a d’autres questions concernant le fondement de la compétence spécialisée, le Conseil sera présent pour y répondre.

[67]      Le Conseil souligne qu’il ignore la position que le procureur général prendra dans la présente demande de contrôle judiciaire. L’avocat de celle-ci admet que son bureau n’a aucun intérêt particulier dans le résultat de la demande de contrôle judiciaire, parce que son rôle et son mandat consistent à aider la Cour à en arriver à une décision conforme aux règles de droit. Il convient que, compte tenu du mandat dont elle est investie, le procureur général pourrait prendre la même position que la demanderesse dans la demande de contrôle judiciaire sans chercher à se récuser conformément au paragraphe 303(3) des Règles de la Cour fédérale.

[68]      Je conviens, comme le Conseil le souligne, qu’un organisme ou un tribunal dont la décision fait l’objet d’un contrôle a le droit de s’attendre à ce qu’une partie soit présente lors du contrôle judiciaire pour s’opposer à la partie demanderesse et défendre le caractère raisonnable de la décision de l’organisme en question. En supposant, comme je dois le faire à ce moment-ci, que le procureur général s’opposera avec l’énergie nécessaire à la partie demanderesse lors du contrôle judiciaire et qu’elle-même et le Conseil, par son intervention, soulèveront toutes les considérations enracinées dans la compétence principale du Conseil qui seront utiles pour la Cour, je ne vois aucune raison, dans les circonstances, d’autoriser également le Conseil à commenter la norme d’examen applicable ou la mesure dans laquelle il a respecté la norme en question ni de l’autoriser à interjeter appel.

[69]      Par conséquent, je trancherai les présentes demandes au moyen d’ordonnances distinctes et je donnerai des directives compatibles avec les présents motifs au sujet du mode d’intervention. Les présents motifs ne portent pas atteinte au droit du Conseil de présenter une nouvelle demande afin d’élargir la portée de son intervention si le procureur général, tout en demeurant partie, ne contredit pas la demanderesse lors du contrôle judiciaire.

FRAIS

[70]      Les frais de la demande du personnel du Conseil sont adjugés à la demanderesse, quelle que soit l’issue de la cause. Le procureur général n’a pas demandé de frais et aucuns ne lui sont accordés. Chaque partie doit payer ses propres frais liés à la demande du Conseil.

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