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[2002] 1 C.F. 247

T-107-99

2001 CFPI 868

George Piscitelli, exerçant son activité sous le nom de Millennium Wines & Spirits (demandeur)

c.

La Régie des alcools de l’Ontario et Le registraire des marques de commerce (défendeurs)

Répertorié : Piscitelli c. Régie des alcools de l’Ontario (1re inst.)

Section de première instance, juge BlaisToronto, 14 juin; Ottawa, 8 août 2001.

Marques de commerce — Marques officielles — La marque « Millennium » a fait l’objet d’un enregistrement en liaison avec des vins — Demande de contrôle judiciaire de l’avis public donné par le registraire — La RAO déclare avoir adopté et employé la marque dans l’affiche d’un magasin indiquant [traduction] « Ayez l’oeil sur les spéciaux des fêtes du millennium à votre succursale de la RAO » — Une marque officielle peut-elle être radiée par la Cour? — La norme de contrôle en présence d’une preuve nouvelle est celle de la décision correcte — La Cour a le pouvoir de rendre un jugement déclarant que la marque officielle ne fait naître aucun des droits ou interdictions prévus aux art. 9 et 11 de la Loi — La simple assertion de l’adoption et de l’emploi suffit devant le registraire, mais ne suffit pas devant la Cour lorsque de sérieux doutes sont soulevés — L’affiche du magasin ne peut constituer l’adoption ou l’emploi car le mot « millennium » ne se démarque aucunement du contexte — Le fait que la RAO disposait des éléments de preuve mais n’a pas fourni les détails entraîne une conclusion qui lui est défavorable.

Le demandeur a obtenu l’enregistrement de la marque de commerce « Millennium » en juin 1998 en liaison avec des vins. En novembre 1998, la défenderesse a demandé au registraire de donner un avis public, conformément au sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, d’adoption et emploi de « Millennium » comme marque officielle. En décembre 1998, le registraire a fait paraître un avis d’adoption et emploi de cette marque officielle au Journal des marques de commerce. Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du registraire de donner cet avis public.

La défenderesse allègue avoir adopté et employé pour la première fois la marque officielle en septembre 1998 dans une annonce parue dans un magasin de la RAO, qui était ainsi rédigée : [traduction] « Ayez l’oeil sur les spéciaux des fêtes du millennium à votre succursale de la RAO ». Il semble que cette allégation ait été corroborée dans un message de courrier électronique entre deux membres du personnel de la RAO. La défenderesse a en outre allégué avoir adopté et employé pour la première fois la marque officielle en liaison avec divers produits alcooliques mis en vente, en novembre 1998.

Les questions en litige étaient de savoir si une marque officielle peut être radiée par une action en justice et si la défenderesse avait adopté et employé la marque officielle avant le 12 novembre 1998.

Jugement : la demande est accueillie.

Dans les cas où la Cour peut disposer d’une preuve nouvelle qui aurait pu avoir un effet sur la décision du registraire, la norme de contrôle est celle de la décision correcte : Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.).

Les marques officielles ne peuvent pas être radiées, mais si la Cour juge que la défenderesse a donné des indications fausses sur les faits concernant l’article 9 de la Loi, on pourrait accorder une réparation par la voie d’un jugement déclaratoire portant que la marque officielle ne fait naître aucun des droits ou interdictions prévus aux articles 9 et 11 de la Loi.

Si, devant le registraire, une simple affirmation que les marques officielles ont été adoptées et employées suffit, le demandeur a soulevé suffisamment de doutes au sujet de l’adoption et de l’emploi de la marque officielle par la défenderesse pour que la simple assertion de la défenderesse ne suffise pas à établir l’adoption et l’emploi de la marque officielle.

La présentation de l’affiche en septembre 1998 ne peut constituer l’adoption ou l’emploi de « millennium » par la défenderesse comme marque officielle car le mot millennium ne se démarque aucunement du contexte.

S’agissant de l’adoption de la marque officielle en liaison avec divers produits alcooliques mis en vente en novembre 1998, le demandeur a soulevé de sérieux doutes sur l’adoption et l’emploi de la marque officielle par la défenderesse. Dans ce cas, la défenderesse ne peut se contenter d’une simple assertion comme preuve. En l’espèce, comme la défenderesse dispose des éléments de preuve sur l’adoption et l’emploi de la marque officielle et est en mesure de les fournir, on peut tirer une conclusion défavorable de son défaut de fournir des détails relatifs à l’adoption et à l’emploi de la marque officielle.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 2e).

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5].

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 2 « emploi » ou « usage », 3, 4, 9(1)n)(iii), 11.

JURISPRUDENCE

décisions appliquées :

Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (2000), 5 C.P.R. (4th) 180; 252 N.R. 91 (C.A.); Société canadienne des postes c. Post Office, [2001] 2 C.F. 63 (2000), 8 C.P.R. (4th) 289; 191 F.T.R. 300 (1re inst.); Hearst Communications c. Agora Cosmopolitan National New Magazine, Inc., T-1845-99 (1re inst.), jugement en date du 2-5-00; Assoc. des Grandes Soeurs de l’Ontario c. Les Grands Frères du Canada (1997), 75 C.P.R. (3d) 177 (C.F. 1re inst.); conf. par (1999), 86 C.P.R. (3d) 504; 242 N.R. 171 (C.A.F.); Techniquip Ltd. c. Assoc. olympique canadienne (1998), 80 C.P.R. (3d) 225; 145 F.T.R. 59 (C.F. 1re inst.); Insurance Corporation of British Columbia c. Registraire des marques de commerce, [1980] 1 C.F. 669 (1979), 44 C.P.R. (2d) 1 (1re inst.); Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, [2001] 1 C.F. 577 (2000), 9 C.P.R. (4th) 496 (1re inst.).

DOCTRINE

Hughes, Roger T. et T. B. Ashton. Hughes on Trade Marks, édition à feuilles mobiles (Toronto : Butterworths, 1984).

Morrow, A. David. « Official Marks » in G. F. Henderson, ed., Trade-marks Law of Canada (Toronto : Carswell, 1993) 377.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision du registraire des marques de commerce de donner un avis public de l’adoption de « Millenium » comme marque officielle. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Mark L. Robbins et Anthony Cole pour le demandeur.

Julie A. Thorburn et S. John Page pour la défenderesse RAO.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 Bereskin & Parr, Toronto, pour le demandeur.

 Cassels Brock & Blackwell LLP, Toronto, pour la défenderesse RAO.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Blais : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5)], de la décision du registraire des marques de commerce (le registraire) de donner un avis public, selon le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi), d’adoption et emploi par la défenderesse, la Régie des alcools de l’Ontario (défenderesse et RAO) de la marque officielle « Millennium » en liaison avec des marchandises et des services.

LES FAITS

[2]        Le demandeur est le propriétaire de l’enregistrement canadien no 495,886 de la marque de commerce « Millennium » (la marque Millennium). L’enregistrement délivré le 11 juin 1998 vise [traduction] « les boissons alcooliques, nommément les vins ».

[3]        Le 12 novembre 1998, la défenderesse a demandé au registraire de donner un avis public, conformément au sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi, d’adoption et emploi de « Millennium » comme marque officielle (la marque officielle).

[4]        Le 16 décembre 1998, le registraire a fait paraître un avis d’adoption et emploi de cette marque officielle au Journal des marques de commerce.

Les faits en litige

[5]        La défenderesse déclare avoir adopté et employé pour la première fois la marque officielle « Millennium » le 28 septembre 1998 dans une annonce parue dans un magasin de détail de la RAO à Toronto. Elle a adopté et employé pour la première fois la marque officielle en liaison avec divers produits alcooliques mis en vente, le 10 novembre 1998.

[6]        Le demandeur indique toutefois que l’affiche placée le 28 septembre 1998 qui comportait le mot millennium se lisait comme suit :

[traduction] Les fêtes du nouveau millénaire vont bientôt commencer dans les établissements de la RAO. Ayez l’œil sur les spéciaux des fêtes du millennium à votre succursale de la RAO.

[7]        Le demandeur signale également que la défenderesse, pour corroborer son allégation sur l’affichage de l’annonce, s’appuie sur un message de courrier électronique envoyé, semble-t-il, par Mme Randi Apple à Mme Fitzpatrick. Mmes Apple et Fitzpatrick travaillent toujours pour la RAO, mais n’ont pas témoigné au procès.

[8]        Le demandeur note en outre que la défenderesse a allégué que, le 10 novembre 1998, elle a adopté pour la première fois la marque officielle en liaison avec divers produits alcooliques mis en vente. Il fait toutefois observer qu’il n’existe aucune preuve directe de ces ventes.

[9]        Le demandeur soutient aussi que le premier affichage public du mot « millennium » par la RAO date du 11 septembre 1999, date où le service Vintages de la RAO a publié un catalogue où figurait le mot « millennium » sur la page de couverture.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]      1. Une marque officielle peut-elle être radiée par une action en justice?

2.    La défenderesse a-t-elle adopté et employé la marque officielle avant le 12 novembre 1998?

3.    La défenderesse est-elle autorisée en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi d’adopter en connaissance de cause comme marque officielle la marque de commerce déposée d’un autre commerçant au Canada?

4.    Le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi est-il incompatible avec l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III] et par conséquent ultra vires du Parlement du Canada, ce qui le rend inopérant?

5.    Le sous-alinéa 9(1)n)(iii) peut-il être interprété de manière à ne pas contrevenir à la Déclaration canadienne des droits ou à la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]]?

ANALYSE

La norme de contrôle

[11]      Dans l’affaire Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, [2001] 1 C.F. 577 (1re inst.), le juge McKeown a estimé que la norme de contrôle applicable était la même qu’il s’agisse d’un appel ou d’une demande de contrôle judiciaire. Il a déclaré ensuite [aux paragraphes 14 et 15] :

La norme de révision habituellement appliquée en matière d’oppositions aux marques de commerce est celle que le juge Ritchie a énoncée dans l’arrêt Benson & Hedges (Canada) Limited v. St. Regis Tobacco Corporation, [1969] R.C.S. 192, à la page 200 :

 [traduction] À mon avis la décision du registraire sur la question de savoir si une marque de commerce crée de la confusion doit être considérée comme étant d’un grand poids et la conclusion d’un fonctionnaire qui, au cours de son travail quotidien, doit rendre des décisions sur ce point et sur d’autres questions connexes en vertu de la Loi ne doit pas être rejetée à la légère, mais comme l’a déclaré le juge Thorson, alors président de la Cour de l’Échiquier, dans l’affaire Freed and Freed Limited v. The Registrar of Trade Marks et al :

[…] le fait de se fonder sur la décision du registraire portant que deux marques se ressemblent au point de créer de la confusion ne doit pas aller jusqu’à décharger le juge qui entend l’appel de cette décision de l’obligation de trancher la question en tenant compte des circonstances de l’espèce.

Le juge Rothstein, J.C.A., a adopté cette position dans l’arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.), où il s’est exprimé comme suit, à la page 168 :

[…] en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, […] les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[12]      Le demandeur s’appuie sur l’arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.) et il fait valoir que dans les cas où la Cour peut disposer d’une preuve nouvelle qui aurait pu avoir un effet sur la décision du registraire, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. La Cour d’appel fédérale a déclaré dans l’arrêt Brasseries Molson [au paragraphe 51] :

Je pense que l’approche suivie dans les affaires Benson & Hedges et McDonald’s Corp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s’il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d’un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l’objet d’une certaine déférence. Compte tenu de l’expertise du registraire, et en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

[13]      Le demandeur soutient qu’il existe une preuve additionnelle qui aurait pu avoir un effet sur la décision du registraire. Il note qu’avant de décider de donner un avis public de la marque officielle en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi, le registraire n’avait pas de preuve de l’adoption et de l’emploi de la marque par la défenderesse. Le registraire ne disposait que de la demande d’avis public de la défenderesse, datée du 12 novembre 1998, qui affirme :

[traduction] La marque officielle a été adoptée et employée par la requérante [la défenderesse, la RAO] en liaison avec des marchandises et services.

[14]      En l’espèce, j’estime que les parties ont déposé une preuve additionnelle qui aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire et sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Je dois donc en venir à mes propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

1-    Une marque officielle peut-elle être radiée par une action en justice?

[15]      Le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi prévoit :

9. (1) Nul ne peut adopter à l’égard d’une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu’on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit :

[…]

n) tout insigne, écusson, marque ou emblème :

[…]

(iii) adopté et employé par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des marchandises ou services,

à l’égard duquel le registraire, sur la demande de Sa Majesté ou de l’université ou autorité publique, selon le cas, a donné un avis public d’adoption et emploi;

[16]      La défenderesse soutient qu’une marque officielle ne peut être révoquée par une action en justice.

[17]      Il est vrai que la Loi ne prévoit pas de révocation d’une marque officielle. R. T. Hughes et T. P. Ashton, dans l’ouvrage Hughes on Trade Marks, éd. à feuilles mobiles (Toronto : Butterworths, 1984), donnent l’explication suivante [au paragraphe 29] :

[traduction] Il est peu probable qu’une marque visée à l’article 9 puisse être révoquée au moyen d’une action intentée devant les tribunaux étant donné que la Loi ne contient aucune disposition prévoyant la révocation d’une telle marque.

[18]      A. David Morrow [dans un article intitulé « Official Marks »], dans l’ouvrage de G. F. Henderson, Trade-marks Law of Canada (Toronto : Carswell, 1993) 337, indique à la page 388 :

[traduction] La Loi ne comporte aucune disposition visant la radiation ou l’annulation sous une forme ou sous une autre de l’effet de l’avis public d’une marque officielle donné en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii), ou de tout autre avis public susceptible de constituer une condition préalable à l’application des autres alinéas de l’article. On a dit que les « enregistrements » au titre de l’article 9 étaient pratiquement inattaquables. En pratique, le registraire des marques de commerce est disposé à donner des avis publics de retrait de marques officielles visées par l’article 9, mais on ne sait pas dans quelle mesure ils auraient un effet juridique.

[19]      A. David Morrow déclare plus loin :

[traduction] Il est probablement incorrect de parler de la « validité » ou de l’« invalidité » d’un avis public de marque officielle donné en vertu de l’article 9. L’avis public n’est qu’un élément du droit à la protection. Si une autorité publique, lorsqu’elle demande la protection, donnait des indications fausses sur l’une ou l’autre des conditions préalables, par exemple sur sa qualité d’autorité publique ou sur l’adoption ou l’emploi de la marque officielle pour des marchandises ou des services, l’avis public n’aurait pas d’effet juridique. Il faut penser que les tribunaux ont le pouvoir de déclarer qu’en raison de l’inobservation par l’autorité publique alléguée des conditions du sous-alinéa 9(1)n)(iii), l’avis public n’a pas pour effet d’empêcher l’adoption, l’emploi ou l’enregistrement ultérieurs de marques semblables. En ce sens, les tribunaux doivent avoir le pouvoir de contrôler l’effet juridique des marques officielles. Comme il n’y a pas de disposition d’« annulation » d’un avis public et qu’il n’est pas nécessaire qu’il y en ait, il doit exister un mécanisme par lequel un jugement déclarant que l’avis public de la marque est sans effet juridique puisse être répertorié et repéré par quiconque fait une recherche au Bureau des marques de commerce.

[20]      Si le registraire a été induit en erreur sur des points qui sont des conditions requises par l’article 9 de la Loi pour donner un avis public d’une marque officielle, la marque en question ne peut à mes yeux être valide du fait que l’autorité cherchant à conserver la marque officielle n’y avait pas droit à l’origine. Dans ce cas, je pense qu’on peut déclarer que la marque officielle ne fait naître aucun des droits ou des interdictions prévus aux articles 9 et 11 de la Loi, comme l’a ordonné Mme le juge Tremblay-Lamer dans la décision Société canadienne des postes c. Post Office, [2001] 2 C.F. 63 (1re inst.) [au paragraphe 64] :

L’appel est accueilli. Le registraire a commis une erreur en convenant que la défenderesse a adopté et employé la marque au Canada. L’avis public de la marque officielle « Mailsort » ne fait jouer aucun des droits ou interdictions prévus aux articles 9 et 11 de la Loi.

[21]      De même, dans l’affaire Hearst Communications c. Agora Cosmopolitan National New Magazine, Inc. (2 mai 2000), dossier no T-1845-99 (C.F. 1re inst.), en statuant sur une requête en vue d’obtenir un jugement par défaut, la Cour a déclaré une marque officielle invalide et inopposable. Par suite du jugement, un avis en ce sens a été publié au Journal des marques de commerce.

[22]      À mon avis, si je devais conclure que la défenderesse a donné des indications fausses sur les faits concernant l’article 9 de la Loi, on pourrait accorder une réparation par la voie d’un jugement déclaratoire portant que la marque officielle ne fait naître aucun des droits ou interdictions prévus aux articles 9 et 11 de la Loi.

2-    La défenderesse a-t-elle adopté et employé la marque officielle avant le 12 novembre 1998?

[23]      Dans le jugement Assoc. des Grandes Soeurs de l’Ontario c. Les Grands Frères du Canada (1997), 75 C.P.R. (3d) 177 (C.F. 1re inst.), dont l’appel a été rejeté par la Cour d’appel fédérale (1999), 86 C.P.R. (3d) 504, le juge Gibson explique [à la page 222] :

Le dernier point en ce qui a trait à l’opposabilité se rattache à la question de savoir si l’AGSO a adopté et employé la marque LES GRANDES SOEURS DU CANADA avant que le registraire n’ait donné avis public de son adoption et de son emploi conformément à l’alinéa 9(1)n) de la Loi. Tel qu’il a été mentionné précédemment dans les présents motifs, dans la décision Canadian Olympic Association c. Donkirk International Inc., le juge Teitelbaum écrit [à la page 307] :

Sur la base des prétentions exprimées, les avocats de la demanderesse et de la défenderesse conviennent que pour bénéficier de la protection de l’article 9, la marque devait être adoptée et employée au Canada, avant que le registraire n’ait notifié au public son adoption et son emploi.

Vu les faits qui lui avaient été soumis, le juge Teitelbaum a conclu que les marques en cause avaient été adoptées et employées avant la publication de l’avis d’adoption et d’emploi. Implicitement il semble avoir accepté les moyens de l’avocat sur cette question. Je ne puis en arriver à une autre conclusion, compte tenu du libellé clair de l’alinéa 9(1)n) de la Loi selon lequel l’adoption et l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des marchandises et services, avant la publication par le registraire d’un avis public d’adoption et d’emploi, est une condition préalable à son opposabilité. La simple publication de l’avis d’adoption et d’emploi ne constitue pas, à mon sens, une preuve concluante d’une telle adoption et d’un tel emploi. De plus, le fardeau d’établir une telle adoption et un tel emploi dans le contexte des marques de commerce incombait aux demanderesses. La preuve soumise à la Cour s’est révélée insuffisante pour les décharger de ce fardeau. En conséquence, je conclus que la marque des Grands Frères et Soeurs du Canada est inopposable à la défenderesse.

[24]      S’agissant du fardeau de la preuve, le demandeur se fonde sur l’affaire Techniquip Ltd. c. Assoc. olympique canadienne (1998), 80 C.P.R. (3d) 225 (C.F. 1re inst.) [à la page 233], qui fournit une interprétation de l’article 9 selon laquelle la Loi « impose en outre aux autorités publiques l’obligation de prouver l’adoption et l’emploi dans tous les cas où survient un différend ».

[25]      Toutefois, dans l’affaire Ordre des architectes de l’Ontario, précitée, le juge McKeown a déclaré [aux paragraphes 23 à 25] :

Enfin, je dois décider si la défenderesse a adopté et employé ses marques conformément aux exigences de l’article 9 de la Loi sur les marques de commerce. Une marque officielle l’emporte sur toute disposition de toute loi. Il importe de souligner la différence entre une marque de commerce et une marque officielle. La marque officielle n’est pas définie dans la Loi. Il ne s’agit pas d’une marque de commerce et il n’y a aucun emploi ou adoption présumé, contrairement à la situation qui existe dans le cas des marques de commerce visées par la Loi sur les marques de commerce. Les marques officielles doivent être des marques existantes et ne peuvent être des marques proposées. Par conséquent, en demandant au registraire de donner un avis public de l’adoption et de l’emploi d’une marque officielle en liaison avec des marchandises ou des services, le demandeur doit effectivement avoir adopté et employé la marque officielle en liaison avec des marchandises ou des services.

La preuve présentée sur ce point est ténue. La demande d’avis public renferme simplement l’allégation selon laquelle [traduction] « le demandeur a adopté et employé les marques officielles en liaison avec des services ». Cependant, exiger davantage équivaudrait à imposer à l’autorité publique l’obligation de fournir une preuve de l’adoption et de l’emploi effectifs au moment de la demande d’avis public. Cette obligation n’est pas imposée à l’égard des demandes relatives aux marques de commerce, le registraire exigeant simplement une indication de la date du premier emploi de celle-ci.

À mon avis, il incombe au demandeur de présenter des éléments de preuve à l’appui de son opposition. Selon certains éléments de preuve versés au dossier, la défenderesse avait adopté et employé les marques de l’AATO à la date de la demande d’avis public. Le registraire n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que la défenderesse, agissant d’elle-même et par l’entremise de ses membres, en qualité de titulaires de licence, avait adopté et employé les marques de l’AATO à titre de marques officielles.

[26]      S’agissant du fardeau de la preuve, j’estime qu’il incombait à la défenderesse d’établir l’adoption et l’emploi de la marque devant le registraire. Cependant, je partage aussi l’avis du juge McKeown dans l’affaire Ordre des architectes de l’Ontario, précitée, que si devant le registraire, une simple affirmation que les marques officielles ont été adoptées et employées suffit, devant moi le demandeur doit présenter des éléments de preuve à l’appui de son opposition, et démontrer que la marque n’était pas adoptée ou employée par la défenderesse. Par ailleurs, si le demandeur dépose une preuve suffisante qui réfute la simple allégation de la requérante devant le registraire, la défenderesse aurait alors tout intérêt à présenter une autre preuve qu’une simple affirmation pour établir l’adoption et l’emploi de la marque.

[27]      L’avis public de l’adoption et de l’emploi de la marque officielle par la défenderesse a été donné le16 décembre 1998. La défenderesse doit donc avoir adopté et employé la marque officielle avant cette date.

[28]      La défenderesse a présenté l’affidavit de M. Tom Wilson, le directeur du service Vintages, Vins haut de gamme et spiritueux de choix de la RAO. Dans son témoignage devant moi, M. Wilson déclare :

[traduction] La défenderesse a adopté et employé pour la première fois la marque officielle dans une annonce affichée à Toronto le 28 septembre 1998.

La pièce « B » jointe à l’affidavit est un message de courrier électronique de Randi Apple à Mary Fitzpatrick, daté du 29 septembre 1998, confirmant que la marque officielle a été adoptée et employée pour la première fois dans une annonce du 28 septembre 1998. Le message de courrier électronique comporte ce qui suit :

Mary, je vous informe, comme vous l’aviez demandé, qu’hier après-midi (lundi 28 septembre) une affiche a été placée au bureau du service à la clientèle du magasin no 217 avec le texte suivant :

« Les fêtes du nouveau millénaire vont bientôt commencer dans les établissements de la RAO. Ayez l’oeil sur les spéciaux des fêtes du millennium à votre succursale de la RAO. »

La défenderesse a adopté la marque officielle pour la première fois en liaison avec divers produits alcooliques mis en vente, le 10 novembre 1998.

[29]      Le demandeur fait observer que la défenderesse, pour corroborer son allégation que l’affiche a effectivement été placée, s’appuie sur un message de courrier électronique qui aurait été envoyé, semble-t-il, par Mme Randi Apple à Mme Fitzpatrick. Mmes Apple et Fitzpatrick travaillent toujours pour la RAO, mais n’ont pas témoigné au procès.

[30]      Je conviens avec le demandeur qu’il aurait été plus approprié que la preuve soit présentée par des personnes ayant eu une connaissance directe de la chose. Cependant, je suis disposé à accepter que le message de courrier électronique constitue un témoignage des personnes concernées qu’une affiche portant le mot millennium a été placée dans un établissement de la RAO à Toronto.

[31]      Le demandeur allègue en outre que même dans l’hypothèse où l’affiche aurait effectivement été placée, le simple affichage d’une annonce ne constitue pas l’adoption ou l’emploi de millennium comme marque officielle. Le mot « millennium » est plutôt utilisé de manière descriptive dans l’affiche, et non comme une marque ou une marque officielle selon le sous-alinéa 9(1)n)(iii).

[32]      La défenderesse soutient qu’en adoptant et en employant la marque officielle dans une annonce, elle a employé et adopté la marque officielle à titre de « marque officielle ».

[33]      Le Loi ne définit pas l’expression « marque officielle ». Sur cette question, le juge Cattanach a déclaré dans le jugement Insurance Corporation of British Columbia c. Registraire des marques de commerce, [1980] 1 C.F. 669 (1re inst.) [aux pages 676 à 679] :

Il me reste à parler du terme « marque » de l’article 9(1)n). Il n’a pas de connotations précises, comme les précédents, bien qu’il ait une signification héraldique mineure en ce qu’il peut s’entendre de brisures comme le lambel du Prince de Galles, qui désigne le fils aîné. Toutefois, en langage courant, une marque est une devise, un timbre, une étiquette, une marque de fabrique, une inscription, un signe écrit, etc. qui indique la propriété, la qualité, etc.

L’article 2 de la Loi définit ainsi l’expression « marque de commerce » :

2. […]

« marque de commerce » signifie

a) une marque qui est employée par une personne aux fins ou en vue de distinguer des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par elle, de marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou de services loués ou exécutés, par d’autres,

b) une marque de certification,

c) un signe distinctif, ou

d) une marque de commerce projetée;

Le même article définit séparément et avec précision les expressions « marque de certification », « signe distinctif » et « marque de commerce projetée ». Il ne définit cependant pas le terme « marque » et il faut donc recourir aux dictionnaires pour en vérifier le sens ordinaire qui, à mon avis, est le sien à l’article 9(1)n).

[…]

Toutefois, puisque tous les mots ont un sens particulier, ils sont tous des termes particuliers et on doit leur donner leur sens respectif. Le terme « marque » ne peut pas être interprété comme un mot général, dont le sens serait restreint par celui des termes qui l’accompagnent. En langage courant, le mot « marque » peut désigner une « inscription » ou des « caractères écrits », qui indiquent une propriété ou une qualité qui sont des attributs d’une marque de commerce.

Qu’est-ce alors qu’une marque « officielle » au sens de l’article 9(1)n)(iii). La Loi n’en donne aucune définition.

[…]

Celle du The Shorter Oxford English Dictionary est analogue : [traduction] « 4. Émanant de ou approuvé par une autorité reconnue; autorisé ».

[…]

Le conseil d’administration de l’appelante était habilité à adopter ce règlement. Donc la marque émane d’une autorité reconnue, a été approuvée par une telle autorité. Elle est donc autorisée au sens précis du mot « officiel ».

La corporation s’est octroyée elle-même la marque, mais elle était habilitée à le faire et maintes autres autorités publiques ont des pouvoirs analogues.

Cette marque correspond à la définition que le dictionnaire donne du mot « officiel ». Elle est donc une « marque officielle » dans toute l’acception du terme.

[34]      S’agissant des termes « adopter » et « employer », dans l’affaire Assoc. des Grandes Sœurs de l’Ontario c. Les Grands Frères du Canada, précitée, le juge Gibson a conclu que l’adoption et l’emploi devaient être établis au sens de l’adoption et de l’emploi d’une marque de commerce.

[35]      Le mot « adopter » est défini comme suit à l’article 3 de la Loi :

3. Une marque de commerce est réputée avoir été adoptée par une personne, lorsque cette personne ou son prédécesseur en titre a commencé à l’employer au Canada ou à l’y faire connaître, ou, si la personne ou le prédécesseur en question ne l’avait pas antérieurement ainsi employée ou fait connaître, lorsque l’un d’eux a produit une demande d’enregistrement de cette marque au Canada.

[36]      La Loi définit « emploi » ou « usage » [à l’article 2] de la manière suivante :

2. […]

« emploi » ou « usage » À l’égard d’une marque de commerce, tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services.

[37]      L’article 4 de la Loi prévoit :

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises, si, lors du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

[38]      Je remarque que ces articles de la Loi concernent les marques de commerce et non les marques officielles. Toutefois, ils peuvent aider à l’interprétation des termes « adopter » et « employer » ou « utiliser » pour une autorité publique selon le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi.

[39]      Dans l’ouvrage de G. F. Henderson, Trade-marks Law of Canada, précité, A. David Morrow déclare aux pages 383 et 384, au sujet de l’adoption et de l’emploi d’une marque officielle :

[traduction] La signification du terme « adopter » a été discutée précédemment. Il convient de noter que l’article 3, qui prévoit quand une marque de commerce est réputée adoptée, ne s’applique pas aux marques officielles, sauf peut-être par analogie. Par conséquent, nous pouvons considérer que le mot « adopter » a le sens général auquel il a été fait référence plus tôt. Cependant, pour avoir droit à la protection, une marque officielle ne doit pas seulement être adoptée, elle doit aussi être employée. L’article 4 de la Loi aide à définir l’emploi d’une marque de commerce, mais il n’est pas exhaustif et, de toute façon, ne s’applique pas obligatoirement aux marques officielles. Dans la langue ordinaire, le terme « usage » est très large, il équivaut à « employer » ou « utiliser ». Il est difficile de comprendre comment une marque peut être employée sans être adoptée. Il se peut qu’un usage transitoire d’une marque, qui ne prétend pas à l’exclusivité, ne constitue pas l’adoption. Quoi qu’il en soit, il reste à la jurisprudence d’explorer la portée de ces termes. À première vue, ils semblent très larges et on peut soutenir que lorsqu’une autorité publique « emploie » une marque, la condition de l’adoption et de l’emploi se trouve remplie pour l’application de cet article.

[40]      Je suis d’accord avec les observations du demandeur que la présentation de l’affiche ne peut constituer l’adoption ou l’emploi de « millennium » comme marque officielle car le mot millennium ne se démarque aucunement du contexte. Tel qu’il figure sur l’affiche, le mot ne sert pas à distinguer ou à identifier la défenderesse, ses marchandises ou ses services et, par conséquent, l’affichage de l’annonce ne saurait constituer l’adoption ou l’emploi d’aucune marque officielle. Dans l’affiche, le mot millennium est simplement employé comme une expression générique ou descriptive, et non comme une « marque » au sens de l’article 9 de la Loi.

[41]      J’estime que la défenderesse n’a pas adopté ni employé le mot millennium à titre de marque officielle lorsqu’elle a employé le mot millennium dans une annonce placée à Toronto le 28 septembre 1998.

[42]      Le demandeur note également que la défenderesse a allégué qu’elle avait pour la première fois adopté la marque officielle en liaison avec divers produits alcooliques mis en vente, le 10 novembre 1998. Il observe toutefois qu’il n’existe aucune preuve directe de ces ventes et que le seul élément de preuve déposé est la simple assertion de M. Wilson dans son affidavit que la marque officielle a été adoptée et employée en liaison avec diverses boissons alcooliques mises en vente, le 10 novembre 1998. Le demandeur soutient que M. Wilson avait accès aux dossiers des ventes, notamment à ceux qui auraient concerné des ventes en liaison avec la marque officielle. Le demandeur invite la Cour à tirer une conclusion défavorable à la défenderesse du défaut de celle-ci de corroborer l’affirmation de son témoin.

[43]      Le témoin du demandeur, M. Pino Piscitelli, a déclaré dans son affidavit :

[traduction] Dans le cadre de notre activité commerciale, mon père et moi lisons régulièrement les publications et les catalogues de la RAO, et visitons régulièrement aussi les établissements de la RAO. La première fois où j’ai vu le terme MILLENNIUM affiché, c’était dans le catalogue Vintages de la RAO daté du 11 septembre 1999. À ma connaissance, je n’ai pas vu d’adoption ou d’emploi du terme MILLENNIUM avant cette date. Compte tenu de nos contacts réguliers avec la RAO et de notre suivi de ses activités, si l’adoption ou l’emploi de ce terme avait été rendu public par la RAO avant septembre 1999, je suis certain que cela serait venu à ma connaissance.

[44]      La défenderesse fait valoir que le témoignage du demandeur, selon lequel la défenderesse n’aurait pas adopté et employé la marque officielle pour la seule raison que le demandeur n’a pas eu personnellement connaissance de cette adoption et de cet emploi, constitue une preuve insuffisante pour étayer son allégation.

[45]      La question à trancher sur ce point est de savoir si le demandeur a soulevé suffisamment de doutes au sujet de l’adoption et de l’emploi de la marque officielle par la défenderesse pour que la simple assertion de la défenderesse ne suffise pas à établir l’adoption et l’emploi de la marque officielle ou s’il faut tirer une conclusion défavorable à la défenderesse du défaut de celle-ci d’apporter d’autres éléments de preuve.

[46]      À mon avis, le demandeur a soulevé suffisamment de doutes au sujet de l’adoption et de l’emploi de la marque officielle par la défenderesse. La simple assertion de la défenderesse suffit devant le registraire quand il n’y a pas d’opposition et qu’aucun litige n’est soulevé au sujet de l’adoption et de l’emploi de la marque.

[47]      Mais s’il y a contestation, comme en l’espèce, la défenderesse peut être appelée à fournir d’autres éléments de preuve qu’une simple assertion. Un demandeur est parfois limité dans sa preuve sur une question d’adoption et d’emploi car il n’est pas toujours en mesure d’établir l’absence d’emploi. Il est plus facile de démontrer l’emploi et l’adoption d’une marque officielle que le contraire.

[48]      Par exemple, en l’espèce, la défenderesse affirme avoir adopté et employé le mot millennium en liaison avec divers produits alcooliques mis en vente. Nous ne disposons d’aucune preuve des circonstances de l’adoption et de l’emploi. Nous ne disposons d’aucune preuve de la façon dont la marque officielle a été adoptée et employée en liaison avec les produits visés, ni de la date de son adoption et de son emploi.

[49]      Le demandeur ne peut fréquenter toutes les succursales de la RAO dans la province de l’Ontario pas plus qu’il ne peut suivre de façon précise l’adoption et l’emploi de la marque officielle par la défenderesse. Il peut seulement témoigner au sujet de ce qu’il connaît et de ce qu’il a vu. Dans un tel cas, où il serait tellement plus facile pour la défenderesse de fournir des précisions sur l’adoption et l’emploi de la marque, j’estime qu’une simple assertion ne suffit pas et que le demandeur a soulevé de sérieux doutes sur l’adoption et l’emploi de la marque officielle par la défenderesse. Je ne puis admettre que la défenderesse, qui dispose des éléments de preuve sur l’adoption et l’emploi de la marque officielle et est en mesure de les fournir, puisse se contenter d’une simple assertion comme preuve d’adoption et d’emploi d’une marque officielle.

[50]      En l’espèce, je suis persuadé qu’on peut tirer une conclusion défavorable à la défenderesse de son défaut de fournir des détails relatifs à l’adoption et à l’emploi de la marque officielle.

[51]      À mon avis, la défenderesse n’a pas adopté ni employé le mot « millennium » comme marque officielle avant que l’avis public soit donné par le registraire.

[52]      Le demandeur suggère à la Cour, dans le cas où elle conclut que la défenderesse n’a pas adopté ni employé le mot « millennium » comme marque officielle avant que le registraire ait donné l’avis public, de ne pas examiner les autres questions.

[53]      La défenderesse n’a pas répondu à cet argument. J’estime pour ma part qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens. L’avis public qui a été donné de la marque officielle « Millennium » ne fait naître aucun des droits ou interdictions prévus aux articles 9 et 11 de la Loi.

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