Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[1994] 2 C.F. 137

A-1074-92

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Johnson & Johnson Inc. (intimée)

Répertorié : Johnson & Johnson Inc. c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Pratte, Hugessen et Desjardins, J.C.A.—Montréal, 25 novembre; Ottawa, 13 décembre 1993.

Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Appel d’une décision de la Section de première instance selon laquelle la remise de la taxe de vente payée à l’égard de la période 1975-1981 constitue un revenu à inclure à l’égard de l’année d’imposition 1983 de la contribuable — La contribuable vend des produits de santé exonérés de la taxe de vente — La remise de la taxe de vente payée à tort a été faite le 4 janvier 1982 — L’année d’imposition 1982 se terminait le 3 janvier 1982 — La remise n’était pas une somme à recevoir en 1982 — Les dates sont capitales — Il n’existe aucun droit de recevoir une remise tant qu’une décision favorable n’est pas rendue par le MRN qui exerce les pouvoirs d’un tribunal quasi-judiciaire — Le juge de première instance a ordonné à tort d’inclure le montant de la remise dans le calcul du revenu pour l’année d’imposition 1983 — La remise des taxes imputées comme des dépenses au cours de l’année de leur paiement mais qui n’auraient jamais dû être payées doit être incluse dans le calcul du revenu pour les années où ces taxes ont été payées ou imputées — L’affaire est renvoyée au MRN pour nouvel examen.

Douanes et accise — Loi sur la taxe d’accise — Taxe de vente fédérale payée pendant la période 1975-1981 sur des serviettes hygiéniques jugées non assujetties à la taxe — Le contribuable a le droit de demander une remise en application de l’art. 44 de la Loi sur la taxe d’accise — Il n’existe aucun droit de recevoir une remise à moins que le ministre, dans l’exercice des pouvoirs d’un tribunal quasi-judiciaire, ne rende une décision favorable — Questions relatives aux dates applicables pour les fins de l’impôt.

Il s’agissait de l’appel de la décision du juge Cullen selon laquelle la remise de taxes de vente fédérales qui ne devaient pas être payées par la contribuable constituait un revenu aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu et qu’elle devait être incluse à l’égard de son année d’imposition 1983. La contribuable fabrique et distribue des produits de santé, notamment des serviettes hygiéniques. Du mois d’avril 1975 au mois d’août 1981, elle a payé la taxe de vente à l’égard de serviettes hygiéniques que la Commission du tarif a subséquemment déclarées non assujetties à la taxe. Un chèque couvrant la totalité du montant de la remise a été émis à la contribuable le 4 janvier 1982. Comme l’année d’imposition de la contribuable se terminait le 3 janvier, le juge de première instance a conclu que le ministre n’aurait pas dû traiter la remise comme une créance cette année-là. Le présent appel soulève deux questions distinctes, savoir : (1) si la remise de la taxe de vente était une somme à recevoir par la contribuable pendant son année d’imposition 1982 et (2) si la contribuable devait inclure cette remise dans le calcul du revenu tiré de son entreprise.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

1) En vertu de l’article 44 de la Loi sur la taxe d’accise, il n’existe aucun droit de recevoir une remise et, partant, une « créance » tant qu’une décision favorable n’a pas été rendue par le ministre. Pour parvenir à cette décision, le ministre exerce les pouvoirs d’un tribunal quasi-judiciaire dont les décisions n’ont pas simplement un caractère déclaratoire, mais sont décisives à l’égard des droits. Lorsque le ministre n’agit pas personnellement, mais par l’intermédiaire de ses fonctionnaires subalternes, comme en l’espèce, on ne peut affirmer qu’il a rendu sa décision tant qu’il ne l’a pas fait connaître de façon publique et irrévocable. Cette décision crée des droits et marque le point de départ d’un délai, et il y va autant de l’intérêt du public que de celui des personnes directement concernées d’avoir un minimum de certitude au sujet de la date à laquelle la décision est rendue et de son contenu. La décision ministérielle concernant la demande de remise de la contribuable n’a pas été rendue avant le 4 janvier 1982. Le juge de première instance a conclu à bon droit que, comme cette date est postérieure à celle de la fin de l’année d’imposition 1982 de la contribuable, le ministre n’aurait pas dû traiter la remise comme une créance cette année-là. Il a eu tort, toutefois, de statuer que « cette somme aurait dû être incluse dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 1983 ». Cette affirmation n’avait tout simplement pas sa place dans le jugement formel de la Cour, qui n’avait pas à se prononcer sur l’année d’imposition 1983 de la contribuable.

2) La remise des sommes payées et indiquées comme des dépenses faites dans le cadre de l’entreprise de la contribuable provient de cette entreprise et doit être incluse dans le calcul du revenu qu’elle en tire. Si la remise a été reçue l’année où la taxe de vente a été indûment payée, il faut en tenir compte cette année-là. Il appert du texte du paragraphe 9(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu que, dans le calcul du revenu, les dépenses doivent être déduites des rentrées, et que tant les rentrées que les dépenses doivent se rapporter à une année donnée. En règle générale, les rentrées et les dépenses sont incluses dans le calcul du revenu au cours de l’année où elles sont reçues ou engagées. La situation est différente, cependant, lorsqu’une entreprise reçoit un paiement, non pas comme rétribution au titre des marchandises ou des services qu’elle fournit, mais plutôt comme remboursement d’une dépense qu’elle n’avait pas à payer et n’aurait jamais dû payer. Dans un tel cas, ce n’est pas l’année de la réception qui est pertinente pour calculer le bénéfice, mais l’année où a été faite la dépense qui n’en est plus une. Le fait qu’il puisse devenir nécessaire de rouvrir des comptes et de calculer de nouveau le revenu se rapportant à des années antérieures à la lumière de faits subséquents est une exigence inhérente au concept d’un impôt fondé sur le calcul annuel du bénéfice. Le paragraphe 152(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu reconnaît expressément que le ministre a le droit d’établir de nouvelles cotisations même en l’absence de fraude ou présentation erronée des faits. La remise des taxes qui ont été imputées comme des dépenses au cours de l’année de leur paiement mais qui n’auraient jamais dû être payées doit être incluse dans le calcul du revenu pour les années où ces taxes ont été payées et imputées, c’est-à-dire pour la période allant d’octobre 1977 à août 1981. Seule une partie assez courte de cette période est visée par la cotisation de 1982 faisant l’objet du présent litige. Le montant exact devra être déterminé par le ministre dans le cadre d’un nouvel examen.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 2 (mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 1), 9(1), 152(4).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8).

Loi sur la taxe d’accise, S.R.C. 1970, ch. E-13, art. 44(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 68, art. 45), (7) (mod. idem, art. 15).

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE AVEC :

Mohawk Oil Co. c. Canada, [1992] 2 C.F. 485; [1992] 1 C.T.C. 195; (1992), 92 DTC 6135; 140 N.R. 225 (C.A.); British Mexican Petroleum Co Ltd v Jackson (Inspector of Taxes) (1932), 16 T.C. 570 (H.L.); Sinclair (H.R.) & Son Pty. Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation (1966), 10 A.I.T.R. 3 (H.C.); Hillsboro National Bank v. Commissioner, 460 U.S. 370 (1983 S.C.).

DÉCISION EXAMINÉE :

English Dairies Ltd v Phillips (Inspector of Taxes) (1927), 11 T.C. 597 (K.B. Div.).

DÉCISIONS CITÉES :

Johnson & Johnson Ltd. and Deputy M.N.R. (Customs and Excise) and Kimberly-Clark of Canada Ltd. (1980), 2 C.E.R. 278; 7 T.B.R. 164 (C.T.); Holden (Isaac) & Sons Ltd v IRC (1924), 12 T.C. 768 (K.B. Div.).

APPEL d’une décision de la Section de première instance ((1992), 55 F.T.R. 255 (C.F. 1re inst.) établissant que la remise de taxes de vente payées à tort constitue un revenu aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu et qu’elle aurait dû être incluse à l’égard de l’année d’imposition 1983 de la contribuable. L’appel est rejeté, et le jugement formel est corrigé par la suppression de l’ordonnance enjoignant l’inclusion de la remise dans le calcul du revenu de la contribuable pour l’année d’imposition 1983. La nouvelle cotisation est annulée et l’affaire est renvoyée au ministre pour nouvel examen.

AVOCATS :

Paul E. Plourde, c.r. et Josée Tremblay pour l’appelante.

Richard W. Pound, c.r. et Pierre Martel pour l’intimée.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.

Stikeman, Elliott, Montréal, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Hugessen, J.C.A. :

Introduction

En droit fiscal, tout dépend du moment. La présente espèce soulève à cet égard deux questions bien distinctes, la première étant celle de savoir quand une remise de taxes payées en trop devient une créance, la seconde étant celle de savoir quand cette remise doit être prise en considération aux fins de l’impôt sur le revenu.

Les faits

L’intimée fabrique et distribue des produits de santé, notamment des serviettes hygiéniques. Du mois d’avril 1975 au moins jusqu’au mois d’août 1981, l’intimée a payé la taxe de vente fédérale sur les serviettes hygiéniques conformément à l’interprétation du ministre des dispositions de la Loi sur la taxe d’accise[1]. Ces paiements ont été indiqués comme des dépenses dans les déclarations annuelles de l’intimée et ont réduit son revenu imposable au cours de chacune des années en cause. L’intimée a cependant adopté le point de vue selon lequel les serviettes hygiéniques étaient exonérées de la taxe de vente en vertu de l’annexe III de la Loi et elle a présenté une demande à la Commission du tarif conformément à l’article 59 de la Loi. La Commission a fait droit à cette demande et, par sa décision en date du 15 octobre 1980 [(1980), 2 C.E.R. 278], a déclaré que les serviettes hygiéniques n’étaient pas assujetties à la taxe de vente. L’appel interjeté contre cette décision devant la présente Cour a été rejeté le 21 septembre 1981.

Comme le ministre a décidé de ne pas interjeter appel de cette dernière décision, l’intimée a présenté, en novembre 1981, une demande de remise des taxes payées au cours de la période comprise entre le mois d’avril 1975 et le mois d’août 1981. La suite des événements est relatée dans un exposé conjoint des faits déposé à la Section de première instance [(1992), 55 F.T.R. 255, aux pages 257 et 258] (dans lequel le terme « demanderesse » désigne l’intimée en l’espèce et le terme « défenderesse » désigne l’appelante en l’espèce) :

[traduction] 9. La vérification des demandes de remise susmentionnées a été faite par Gilles Maheu (M. Maheu). M. Maheu a été chargé de vérifier la demande de remise de la demanderesse le 1er décembre 1981, ou vers cette date. À toutes les époques en cause, M. Maheu agissait à titre de premier vérificateur du ministère du Revenu national (le ministère), Douanes et Accise. Le ministre du Revenu national est chargé de l’administration et de l’application de la Loi sur la taxe d’accise.

10. En sa qualité de premier vérificateur du ministère, M. Maheu relevait d’un superviseur. À toutes les époques en cause, le superviseur de M. Maheu était N.A. Veillette (M. Veillette).

11. La voie hiérarchique au ministère était la suivante : M. Veillette relevait du gestionnaire de district du ministère (C. Lamoureux) qui, lui, relevait du chef regional—vérification (A. Rizk) qui relevait du directeur régional (P.V. Bartolini) qui relevait du sous-ministre adjoint (L.R. Huneault).

12. M. Maheu a terminé sa vérification des demandes de remise de la demanderesse le 16 décembre 1981, ou vers cette date. Il a transmis son rapport et ses recommandations à son superviseur (M. Veillette). Celui-ci les a examinés et approuvés comme en fait foi le paraphe qu’il a apposé sur le rapport le 23 décembre 1981, ou vers cette date. Une copie des demandes de remise faisant preuve de la procédure suivie et les documents de travail de M. Maheu sont joints aux présentes comme annexe 4. Le montant en cause dans la présente action représente la somme des deux remises finalement accordées (celles qui correspondent, respectivement, aux demandes portant les numéros d’identification du ministère 008034 et 009214, c’est-à-dire 4 525 689, 61 $ et 1 716 671,14 $, soit un total de 6 242 360,75 $.

13. Dans une lettre en date du 24 décembre 1981, M. Maheu a écrit à la demanderesse au sujet des demandes de remise. La lettre a pu être postée le 24 décembre 1981; cependant, il est possible qu’elle n’ait été postée que le 27 décembre 1981. De toute façon, la demanderesse ne l’a reçue que le 4 janvier 1982. Une copie de la lettre de M. Maheu est jointe aux présentes comme annexe 5.

14. La défenderesse n’a pas pu retrouver le dossier relatif à la demande de remise de la demanderesse. La défenderesse croit qu’il a pu être détruit conformément à la politique habituelle du ministère en matière d’anciens dossiers.

15. Après que le rapport du vérificateur eut été approuvé par le superviseur de celui-ci, la demande de remise, accompagnée d’un rapport de production Y-7 (que l’on n’a pas trouvé), a probablement été transmise au secrétaire du gestionnaire de district du ministère; ce dernier aurait ensuite transmis la demande et le rapport au bureau régional qui se serait chargé d’établir une autorisation de paiement (formulaire du ministère E56-1) pour que le ministère des Approvisionnements et Services émette le chèque de remise approprié. La procédure d’approbation exige également le concours du gestionnaire des remises au moment de la signature du formulaire E56-1, la liste des chèques demandés. Les parties conviennent que si M. Maheu devait être cité à comparaître comme témoin à l’instance, il confirmerait que la remise en cause a été effectuée conformément à la procédure susmentionnée.

16. Le 4 janvier 1982, conformément à la procédure susmentionnée, l’émission d’un chèque a été demandée pour donner suite à la demande de remise, de la demanderesse, de la taxe de vente fédérale sur les serviettes hygiéniques. À la dernière ligne des documents joints aux présentes comme annexe 4, « 42069 » renvoie au numéro qui figurait sur la liste de chèques demandés par le ministère (formulaire E56-1) établie le 4 janvier 1982. Un chèque de 6 242 360, 75 $ a été émis le 4 janvier 1982. Ce chèque portait la signature (imprimée mécaniquement) du Sous-receveur général du Canada.

L’année d’imposition 1982 de l’intimée a pris fin le 3 janvier 1982. Le ministre adopte le point de vue selon lequel le montant intégral de la remise de la taxe de vente était une créance et était imposable comme revenu au cours de l’année d’imposition 1982. L’intimée soutient que ce montant est devenu une créance seulement au cours de son année d’imposition 1983 (qui a pris fin le 2 janvier 1983) et que, de toute façon, il n’est pas imposable comme revenu. La Section de première instance a entendu l’affaire, dont la présente Cour est maintenant saisie, appel ayant été interjeté par l’intimée (la demanderesse) contre la cotisation établie par le ministre (la défenderesse) à l’égard de l’année d’imposition 1982.

Les questions en litige

Tant devant la présente Cour que devant la Section de première instance, les parties sont convenues que les questions soulevées par les faits sont celles de savoir, premièrement, si la remise de la taxe de vente était une somme à recevoir par l’intimée au cours de son année d’imposition 1982 et, deuxièmement, s’il fallait inclure cette remise dans le calcul du revenu tiré de l’entreprise de l’intimée. Reformulant la seconde question, le juge de première instance s’est demandé « si la remise constitu[ait] un revenu aux fins de la Loi » (à la page 261), mais il s’agit là, à mon sens, d’une simplification excessive qui a eu pour résultat de créer de la confusion dans la conclusion à laquelle il est arrivé. Je m’étendrai là-dessus en temps utile.

Première question en litige : la remise était-elle une créance en 1982?

Le droit de l’intimée de recevoir le paiement des montants de la taxe de vente qu’elle avait été injustement tenue de payer au cours de la période comprise entre le mois d’avril 1975 et le mois d’août 1981 était régi par l’article 44 [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 68, art. 15, 45] de la Loi sur la taxe d’accise, dont les dispositions pertinentes étaient ainsi libellées :

44. (1) Il peut être accordé une déduction ou remise de toute taxe imposée par la présente loi

a) lorsque le contribuable a effectué un paiement en trop;

b) lorsqu’un remboursement ou un redressement a été accordé au contribuable par un transporteur aérien titulaire d’un permis en vertu de la Partie II pour les taxes perçues ou payées sur tout transport aérien d’une personne qui n’a pas été ou n’a été que partiellement effectué par le transporteur aérien ou pour les taxes perçues par erreur par le transporteur aérien;

c) lorsque la taxe a été payée par erreur;

d) lorsque la vente ou l’importation originaire était assujettie à la taxe, mais que la présente loi prévoit une exemption sur la vente subséquente;

e) lorsque les marchandises sont exportées sous le régime de règlements prescrits par le Ministre;

f) lorsque, par suite de changements apportés aux taux de taxe statutaires ou pour d’autres raisons, les timbres sont renvoyés pour échange; ou

g) lorsque la première réception du gaz commercialisable acheminé par pipeline, ou des liquides extraits du gaz naturel, a été assujettie à la taxe aux termes de la Partie IV.I, mais que cette même Partie prévoit une exemption sur l’utilisation subséquente.

(7) Nulle remise ou déduction des taxes imposées par la présente loi ne sera accordée, et nul paiement d’un montant égal à la taxe payée ne sera effectué en vertu du présent article par suite

a) d’une déclaration visée à l’article 59,

b) d’une ordonnance ou d’un jugement de la Cour fédérale ou d’un autre tribunal compétent, ou

c) d’une décision du Ministre ou d’un fonctionnaire dûment autorisé portant sur l’interprétation ou l’application de la présente loi,

à l’égard des taxes payées antérieurement à la déclaration, au jugement, à l’ordonnance ou à la décision, à moins que la personne ayant droit à la remise, à la déduction ou au montant, n’en fasse la demande par écrit au Ministre dans les douze mois, soit de la date à laquelle les taxes sont devenues exigibles, soit de la date à laquelle la remise, la déduction ou le montant sont devenus exigibles en vertu du présent article ou des règlements, la date la plus récente étant à retenir.

(7.1) Sous réserve du paragraphe (7), il ne sera accordé en vertu du présent article, aucune remise des deniers payés ou payés en trop par erreur, que ce soit en raison d’une erreur de fait ou de droit ou autrement, et dont il a été tenu compte à titre de taxes imposées par la présente loi, à moins que la personne y ayant droit n’en fasse la demande par écrit au Ministre dans les quatre ans qui suivent la date à laquelle les deniers ont été payés ou payés en trop.

(7.2) La demande visée aux paragraphes (6), (7) ou (7.1) se fait en la forme et de la manière prescrites par le Ministre.

(7.3) Lorsque le Ministre rejette en tout ou en partie la demande visée aux paragraphes (6), (7) ou (7.1), cette dernière cesse d’avoir effet aux fins de décider si la remise ou la déduction peut être accordée ou le montant payé, quatre-vingt-dix jours après que l’avis du rejet a été envoyé au demandeur, à moins que pendant ce délai une demande portant sur la remise, la déduction ou le montant ne soit présentée à la Commission du tarif conformément à l’article 59 ou à la Cour fédérale conformément à l’article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.

(7.4) Lorsque le Ministre approuve la demande visée aux paragraphes (6), (7) ou (7.1), cette dernière cesse d’avoir effet aux fins de décider si la remise ou la déduction peut être accordée ou le montant payé, quatre-vingt-dix jours après que la remise, la déduction ou le paiement du montant a été envoyé au demandeur, à moins que pendant ce délai une demande portant sur la remise, la déduction ou le montant ne soit présentée à la Commission du tarif conformément à l’article 59 ou à la Cour fédérale conformément à l’article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.

Comme on peut le voir, cette disposition législative impose au demandeur des délais stricts, aussi bien vers l’avant, à partir de la date de la décision de la Commission du tarif ou du jugement d’un tribunal qui donne le droit de demander la remise (paragraphe (7)), que vers l’arrière, à partir de la date de la demande pour un maximum de quatre ans (paragraphe (7.1)). Le pouvoir décisionnel est expressément accordé au ministre et son exercice peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire (paragraphes (7.3) et (7.4)).

À mon avis, il ressort clairement de l’économie de cet article qu’il n’existe pas de droit de recevoir une remise et, partant, pas de « créance » tant qu’une décision favorable n’a pas été rendue par le ministre. Pour parvenir à cette décision, le ministre doit tirer des conclusions de fait, qui peuvent faire l’objet d’un contrôle sur présentation d’une demande à la Commission du tarif, et trancher des questions de droit, qui peuvent faire l’objet d’un contrôle sur présentation, à la présente Cour, d’une demande fondée sur l’article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8)]. En bref, le ministre exerce classiquement les pouvoirs d’un tribunal quasi-judiciaire dont les décisions n’ont pas simplement un caractère déclaratoire, mais sont décisives à l’égard des droits.

D’après les faits convenus de l’espèce, il est tout aussi clair que le ministre a effectivement exercé ces pouvoirs. Une partie de la demande de l’intimée se rapportant à la période comprise entre le mois d’octobre 1977 et le mois d’août 1981 a été majorée d’environ 72 000 $ en raison des conclusions du ministre au sujet de certaines remises quantitatives (dossier d’appel, aux pages 90, 94 et 98). Une autre partie de la demande a été rejetée après que le ministre eut conclu que certaines marchandises (des tampons) n’étaient pas, dans les faits, la même chose que les marchandises visées par la déclaration de la Commission du tarif (dossier d’appel, à la page 99). Encore une autre partie de la demande, totalisant un peu moins de 3,5 millions de dollars, a été rejetée parce que le ministre était d’avis qu’elle se rapportait à une période antérieure au mois de novembre 1977 et était par conséquent prescrite (dossier d’appel, à la page 98). Selon moi, aucun de ces aspects de la décision du ministre ne peut être considéré comme purement administratif ou mécanique, et chacun l’obligeait à se prononcer sur les faits pertinents et à leur appliquer un ensemble de règles de droit.

Il ne fait évidemment aucun doute dans la présente espèce que le ministre n’a pas exercé ces pouvoirs personnellement, et il n’est pas donné à entendre qu’il doit le faire. Cependant, lorsque, dans le cadre de l’exercice de pouvoirs quasi-judiciaires qui sont décisifs à l’égard des droits, le ministre agit par l’intermédiaire de ses fonctionnaires subalternes, on ne peut affirmer qu’il a rendu sa décision (que la loi ne lui permet pas de reconsidérer ni de réviser de son propre chef) tant qu’il ne l’a pas fait connaître de façon publique et irrévocable. Cette décision crée des droits et marque le point de départ d’un délai, et il y va autant de l’intérêt du public que de celui des personnes directement concernées d’avoir un minimum de certitude au sujet de la date à laquelle la décision est rendue et de son contenu. Une décision in pectore serait une abomination en droit.

D’après les faits convenus de l’espèce, il me paraît indéniable qu’une décision ministérielle n’a pas été rendue avant le 4 janvier 1982 sur la demande de remise de l’intimée. La lettre en date du 24 décembre 1981 écrite par M. Maheu (paragraphe 13, précité) n’a pas le caractère d’une décision ministérielle et n’est manifestement pas irrévocable. Elle est rédigée à la première personne et ne peut lier personne sauf son auteur. De toute façon, l’intimée ne l’a pas reçue avant le 4 janvier 1982.

Le paragraphe 15 de l’exposé conjoint des faits démontre que le rapport du vérificateur, préparé par M. Maheu et approuvé par son superviseur, ne peut pas lui non plus être qualifié de décision. Le rapport n’est pas devenu définitif avant qu’il ne soit « transmis » au bureau régional, qu’une « autorisation de paiement » (formulaire E56-1) ne soit établie et signée avec le « concours » du gestionnaire des remises, et qu’un chèque de remise ne soit émis. Il ressort clairement du paragraphe 16 qu’aucune de ces mesures n’a été prise avant le 4 janvier 1982. Je suis donc d’avis que c’est la date la plus ancienne à laquelle le ministre, par l’intermédiaire de ses subalternes, a fait connaître de façon publique et irrévocable la nature et l’étendue de sa décision de donner suite à la demande de remise de l’intimée. Comme cette date est postérieure à celle de la fin de l’année d’imposition 1982 de l’intimée, le ministre n’aurait pas dû traiter la remise comme une créance cette année-là. Le juge de première instance a statué à bon droit là-dessus.

Les remarques qui précèdent suffisent, en théorie, à statuer sur l’appel interjeté devant la présente Cour. Il y a cependant trois raisons pour lesquelles il est souhaitable d’examiner la seconde question qui a été soulevée. D’abord, l’affaire pourrait aller plus loin. Ensuite, même si le juge de première instance a uniquement été saisi d’un appel à l’égard de l’année d’imposition 1982 de l’intimée, le jugement formel par lequel il a renvoyé l’affaire au ministre comporte à tort la directive selon laquelle [traduction] « cette somme aurait dû être incluse dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 1983 » (dossier d’appel, annexe I, à la page 1). Cette affirmation, bien qu’elle puisse constituer une raison pour laquelle le juge de première instance a statué ainsi qu’il l’a fait, n’a tout simplement pas sa place dans le jugement formel de la Cour, qui n’avait pas à se prononcer sur l’année d’imposition 1983 de l’intimée. Du reste, cette affirmation est erronée selon moi. Enfin, comme on le verra, je suis d’avis que la conclusion du juge sur la première question en litige ne règle pas le sort de la cotisation établie pour l’année d’imposition 1982.

J’en viens donc à la seconde question en litige.

Deuxième question en litige : la remise devait-elle être incluse dans le calcul du revenu tiré de l’entreprise de l’intimée?

Comme je l’ai déjà mentionné, cette question semble avoir été comprise par le juge de première instance, qui a peut-être été encouragé par certains arguments des avocats, comme étant celle de savoir si la remise encaissée « était » ou « constituait » un revenu tiré de l’entreprise de l’intimée.

Dans des circonstances normales, c’est habituellement une formule abrégée acceptable en droit pour désigner une rentrée ou une créance. Cependant, on tend ainsi à masquer la réalité selon laquelle ce qui est imposé en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63], ce n’est pas simplement un revenu, mais bien un revenu « pour une année d’imposition ». Les paragraphes 2(1) et 2(2) [mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 1] sont ainsi libellés :

2. (1) Un impôt sur le revenu doit être payé, ainsi qu’il est prévu ci-après, pour chaque année d’imposition, sur le revenu imposable de toute personne résidant au Canada à une date quelconque dans l’année.

(2) Le revenu imposable d’un contribuable pour une année d’imposition est son revenu pour l’année plus les ajouts prévus à la section C et moins les déductions permises par cette même section. [C’est moi qui souligne.]

Le « revenu » est lui-même un concept non défini, et peut-être indéfinissable. Les avocats de l’intimée ont consacré beaucoup de temps et d’énergie, tant devant la présente Cour que devant la Section de première instance, à tenter de faire valoir que la remise ne « participait pas du revenu » et ne provenait pas d’une « source » reconnue par la Loi. Le juge de première instance a rejeté cet argument en ces termes [à la page 262] :

J’admets que dans un sens très strict, la remise n’est peut-être pas liée à l’entreprise de la demanderesse, c’est-à-dire la fabrication et la distribution de produits de santé, dans la mesure où elle ne provenait pas de la fabrication des marchandises. Cependant, elle était liée aux activités lucratives de la demanderesse, puisqu’il s’agissait d’un revenu tiré de son entreprise. Il est clair que le prix auquel la demanderesse vendait ses produits comprenait la taxe de vente fédérale et qu’elle créditait le montant qu’elle faisait assumer à sa clientèle dans le calcul de son revenu brut. En outre, d’un point de vue commercial et pratique, je crois que la demanderesse a indéniablement réduit son bénéfice à chaque année en se prévalant de déductions à l’égard de la taxe de vente payée; en outre, lorsque le montant a été remis, il a été comptabilisé comme une créance et la demanderesse a rajusté ses bénéfices non répartis. Les bénéfices non répartis représentent essentiellement les bénéfices accumulés de l’entreprise.

À mon avis, le juge de première instance avait raison. J’irais même jusqu’à dire que même « dans un sens très strict », la remise de sommes payées et indiquées comme des dépenses faites dans le cadre de l’entreprise de l’intimée provient de cette entreprise et doit être incluse dans le calcul du revenu qu’elle en tire. Si la remise avait été reçue l’année où la taxe de vente a été indûment payée, cela ne fait aucun doute qu’on doit en tenir compte cette année-là. Un changement dans les dates ne change pas la « nature » du paiement.

C’est à ce stade-ci, toutefois, que la simplification excessive à laquelle j’ai fait allusion précédemment peut être vue comme trompeuse. Le revenu tiré d’une entreprise n’est pas formé simplement des rentrées ou des créances de l’entreprise. Le paragraphe 9(1) est ainsi libellé :

9. (1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année. [C’est moi qui souligne.]

Les mots soulignés montrent clairement que, dans le calcul du revenu, les dépenses doivent être déduites des rentrées, et que tant les rentrées que les dépenses doivent se rapporter à une année donnée.

En temps normal, évidemment, et en règle générale, les rentrées et les dépenses sont incluses dans le calcul du revenu au cours de l’année où elles sont reçues ou engagées. La situation est différente, cependant, lorsqu’une entreprise reçoit un paiement, non pas comme rétribution au titre des marchandises ou des services qu’elle fournit, mais plutôt comme remboursement d’une dépense qu’elle n’avait pas à payer et n’aurait jamais dû payer. Ce qui est arrivé en fait, c’est que ce qui avait été pris pour une dépense n’est maintenant plus considéré comme tel. Par conséquent, ce n’est pas l’année de la réception qui est pertinente pour calculer le bénéfice, mais l’année où a été faite la dépense qui n’en est plus une.

Je souligne le fait qu’il n’est pas question en l’espèce du recouvrement de dépenses dans le sens commercial habituel, c’est-à-dire tenter de compenser ce qui est déboursé par ce qui peut être reçu. Il s’agit plutôt d’un revirement au sujet d’une prétendue dépense, attribuable à la reconnaissance, forcée ou volontaire, par le bénéficiaire du fait qu’il n’aurait jamais dû recevoir la somme d’argent en premier lieu. C’est ce qui distingue la présente espèce de la décision rendue par la présente Cour, sur laquelle l’appelante s’est beaucoup appuyée, dans l’affaire Mohawk Oil Co. c. Canada[2]. On a simplement statué dans cette affaire, entre autres, que la partie de l’indemnité payée à titre de dommages-intérêts pour rupture de contrat qui comprenait les bénéfices perdus et les dépenses faites inutilement devait être incluse dans le calcul du revenu imposable d’une entreprise. La Cour ne s’est pas penchée sur la question du moment, mais si elle l’avait fait, je pense qu’elle n’aurait pas eu de mal à conclure que l’année de la réception était l’année pertinente aux fins de calcul. Les dépenses faites inutilement puis recouvrées à titre de dommages-intérêts ne perdent pas leur nature originale. Il en va tout autrement des dépenses qui sont remises parce qu’elles ont été indûment payées.

Le fait qu’il puisse devenir nécessaire de rouvrir des comptes et de calculer de nouveau le revenu se rapportant à des années antérieures à la lumière de faits subséquents est une exigence inhérente au concept d’un impôt fondé sur le calcul annuel du bénéfice. Le paragraphe 152(4) reconnaît expressément (et reconnaissait au cours des années en cause en l’espèce) que le ministre a le droit d’établir de nouvelles cotisations, même en l’absence de fraude ou de présentation erronée des faits[3]. Il se peut que ce ne soit pas une pure coïncidence que le délai de quatre ans prévu dans cette disposition eût permis d’établir de nouvelles cotisations à l’égard des remises qui n’étaient pas prescrites par les dispositions de l’article 44 de la Loi sur la taxe d’accise.

Il se peut bien, évidemment, que le ministre soit maintenant forclos de fixer de nouveau l’impôt de l’intimée à l’égard des années d’imposition pour lesquelles ce même ministre a accordé les remises de la taxe de vente le 4 janvier 1982; il ne fait aucun doute, cependant[4], qu’il aurait pu le faire à l’époque où les remises ont été accordées, et son défaut d’agir en temps utile ne peut certainement pas modifier l’issue du présent appel.

En bref, je suis d’avis que la remise des taxes qui ont été imputées comme des dépenses au cours de l’année de leur paiement mais qui n’auraient jamais dû être payées doit être incluse dans le calcul du revenu pour les années où ces taxes ont été payées et imputées. D’après les faits de l’espèce, il s’agit des années d’imposition de l’intimée comprises entre le mois d’octobre 1977 et le mois d’août 1981. Cependant, seule une partie assez courte de cette période est visée par la cotisation de 1982 qui fait l’objet du présent litige. Le montant exact devra être déterminé par le ministre dans le cadre d’un nouvel examen.

Ce point de vue est conforme non seulement à l’économie de la Loi, mais aussi à la jurisprudence pertinente.

Dans l’affaire anglaise English Dairies Ltd v Phillips (Inspector of Taxes)[5], les autorités gouvernementales avaient obligé le contribuable à payer un impôt sur le prix de son lait comme condition de sa licence; il a par la suite été judiciairement établi que le prélèvement avait été fait illégalement, et l’impôt a été remis trois ans après avoir été payé[6]. Le juge Rowlatt a statué que les comptes de l’année antérieure devaient être rouverts de manière à réduire les dépenses qui avaient été imputées et, ainsi, augmenter les bénéfices faits cette année-là. On est parvenu à un résultat semblable dans des circonstances assez similaires dans l’affaire Holden (Isaac) & Sons Ltd v IRC[7]. La Chambre des lords a invoqué ces deux causes en paraissant les approuver dans l’affaire British Mexican Petroleum Co Ltd v Jackson (Inspector of Taxes)[8], et le fait qu’elle soit parvenue à un résultat différent illustre tout simplement la différence qui existe entre la remise de montants perçus illégalement et la libération d’une dette régulièrement contractée; ce dernier cas est, à mon avis, analogue au remboursement de dépenses ou au paiement d’une indemnité auquel j’ai fait allusion plus haut lorsque j’ai traité l’affaire Mohawk Oil, précitée.

L’avocat du ministre a tenté de s’appuyer sur l’affaire australienne Sinclair (H.R.) & Son Pty. Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation[9] et l’affaire américaine Hillsboro National Bank v. Commissioner[10]. Il ressort toutefois de ces deux affaires que les systèmes législatifs qui y étaient examinés ne prévoyaient pas l’établissement de nouvelles cotisations en l’absence de fraude ou de circonstances similaires. Dans l’affaire Sinclair & Son, précitée, le juge Taylor, qui se référait apparemment aux affaires anglaises qui viennent juste d’être invoquées, s’est exprimé en ces termes [à la page 4] :

[traduction] On a toutefois prétendu qu’il serait plus approprié de traiter le paiement reçu par l’appelante non pas comme un revenu imposable au cours de l’année en cause, mais comme une diminution de ses dépenses d’entreprise au cours des années antérieures. Il n’est pas rare qu’on ait réglé des problèmes similaires à celui que soulève le présent litige de cette manière en Angleterre et, sans doute, il serait dans bien des cas plus équitable de rouvrir les cotisations antérieures et d’effectuer les rajustements appropriés. En Angleterre, où les dispositions législatives pertinentes permettent de recourir à cette solution, la question semble avoir été traitée moins comme une question de comptabilité d’entreprise que comme une méthode appropriée de rajustement de l’impôt à payer par le contribuable. Toutefois, il n’existe aucun pouvoir de recourir à cette solution en Australie, sauf dans des circonstances qui ne se présentent pas en l’espèce et, à mon avis, ces affaires anglaises n’exigent aucunement que je conclue que, en vertu des dispositions de la Loi australienne, la remise en l’espèce n’était pas un revenu imposable de l’appelante au cours de l’année de sa réception. [C’est moi qui souligne.]

De même, dans l’affaire Hillsboro National Bank, précitée, le juge O’Connor a déclaré [aux pages 377 à 379] :

[traduction] Le gouvernement dans chaque affaire s’appuie uniquement sur la règle de l’avantage fiscalprincipe dégagé par les tribunaux qui atténue quelques-unes des inflexibilités du système comptable annuel. Un système comptable annuel est une nécessité pratique si l’on veut que l’impôt fédéral sur le revenu génère des recettes identifiables et payables à intervalles réguliers. Burnet v. Sanford & Brooks Co., 282 U.S. 359, 365 (1931). Néanmoins, le fait de s’en tenir strictement à un système comptable annuel créerait des injustices dans les opérations. Souvent, une opération apparemment terminée sera inopinément rouverte au cours d’une année d’imposition subséquente, rendant la déclaration initiale inexacte. Par exemple, si un contribuable détenait un billet apparemment devenu irrécouvrable au début d’une année d’imposition, mais que le débiteur redressait soudainement sa situation financière avant la fin de l’année et remboursait la créance, l’opération n’aurait aucune incidence fiscale sur le contribuable car le remboursement du principal serait un recouvrement de capital. Toutefois, si le redressement du débiteur et le remboursement de la créance se produisaient après la fin de l’année d’imposition, le contribuable se prévaudrait de la déduction de la soi-disant mauvaise créance au cours de la première année en application de l’alinéa 166a) du Code, 26 U.S.C. alinéa 166a) [sic]. Sans la règle de l’avantage fiscal, le remboursement effectué au cours de la deuxième année, qui constituerait un remboursement de capital, ne serait pas imposable. Bien qu’économiquement identique à la première, la deuxième opération pourrait alors, en raison de différences au chapitre de la comptabilité, entraîner des conséquences fiscales fort différentes. Le gouvernement, qui aurait admis une déduction qu’il ne pouvait savoir inexacte à ce moment-là, serait dans l’impossibilité de récupérer l’impôt évité du fait de la déduction inexacte. Conscients des distorsions possibles du revenu et soucieux de les éviter, les tribunaux obligent depuis longtemps le contribuable à considérer le remboursement obtenu au cours de la deuxième année comme un revenu. [C’est moi qui souligne.]

À mon avis, l’existence des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui autorisent le ministre à rouvrir les comptes des années antérieures et à établir de nouvelles cotisations permet de distinguer sa position de celle de ses homologues australien et américain. Il n’est, selon moi, ni utile ni souhaitable que les tribunaux de ce pays adoptent judiciairement un équivalent de la règle de l’avantage fiscal, et je m’abstiendrais de le faire.

Conclusion

Compte tenu de ce qui précède, je rejetterais l’appel de Sa Majesté. Comme je l’ai indiqué plus haut, toutefois, le juge de première instance a ordonné dans son jugement formel que la remise soit incluse dans le calcul du revenu de l’intimée pour l’année d’imposition 1983. C’était, comme j’ai tenté de le démontrer, une erreur. En conséquence, je corrigerais le jugement porté en appel afin qu’il dispose :

L’appel est accueilli. La nouvelle cotisation est annulée et l’affaire est renvoyée au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen et à une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que la remise de la taxe de vente reçue le 4 janvier 1982 ne devrait pas être incluse dans le calcul du revenu de la demanderesse au cours de l’année d’imposition 1982, sauf dans la mesure où elle se rapporte à la taxe de vente payée cette année-là.

L’intimée a droit à ses dépens taxés.

Le juge Pratte, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Desjardins, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] S.R.C. 1970, ch. E-13.

[2] [1992] 2 C.F. 485 (C.A.).

[3] À l’époque pertinente, le paragraphe 152(4) disposait :

152.

(4) Le Ministre peut, à une date quelconque, fixer des impôts, intérêts ou pénalités en vertu de la présente Partie, ou donner avis par écrit, à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d’imposition, qu’aucun impôt n’est payable pour l’année d’imposition, et peut,

a) à une date quelconque, si le contribuable ou la personne produisant la déclaration

(i) a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi, ou

(ii) a adressé au Ministre une renonciation, en la forme prescrite, dans un délai de 4 ans à compter du jour de l’expédition par la poste d’un avis de première cotisation ou d’une notification portant qu’aucun impôt n’est payable pour une année d’imposition, et

b) dans un délai de 4 ans à compter du jour mentionné au sous-alinéa a)(ii) en tout autre cas,

procéder à de nouvelles cotisations ou en établir de supplémentaires, ou fixer des impôts, intérêts ou pénalités en vertu de la présente Partie, selon que les circonstances l’exigent.

[4] Nous savons que l’année d’imposition 1977 de l’intimée a pris fin le 31 décembre 1977; il est absolument impossible que le ministre ait pu, en pratique, poster un premier avis de cotisation pour l’année 1977 avant le 4 janvier 1978.

[5] (1927), 11 T.C. 597 (K.B. Div.).

[6] Par une ironie du droit fiscal, ce sont les circonstances qui amènent les parties à changer de camp dans une argumentation; dans l’affaire English Dairies, précitée, contrairement aux faits de l’espèce, c’est le contribuable qui plaidait pour l’inclusion de la remise dans l’année de la réception et le fisc qui plaidait pour la réouverture des comptes des années antérieures. Il n’y a vraiment pas d’équité dans un impôt.

[7] (1924), 12 T.C. 768 (K.B. Div.).

[8] (1932), 16 T.C. 570 (H.L.).

[9] (1966), 10 A.I.T.R. 3 (H.C.).

[10] 460 U.S. 370 (1983 S.C.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.