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IMM-2423-01

2002 CFPI 568

Patricia Shiromi Reginald (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Reginald c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson--Toronto, 23 avril; Ottawa, 16 mai 2002.

Citoyenneté et Immigration -- Contrôle judiciaire -- Les extraits de la transcription de l'audience tenue devant la SSR démontrent que les membres ont constamment interrompu la présentation de la cause et les observations de l'avocat de la demanderesse -- Il s'agissait d'une «intervention flagrante» dans la présentation ordonnée de la cause -- La SSR pouvait procéder autrement pour exprimer ses préoccupations concernant la façon dont l'interrogatoire était mené -- Contrairement aux propres directives de la Commission, les membres de la SSR ont fait preuve d'insensibilité envers la demanderesse lorsqu'elle a témoigné au sujet de son viol présumé -- Le déni de justice naturelle justifiait l'annulation de la décision par laquelle la SSR a refusé de reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention à la demanderesse.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Certiorari -- Les extraits de la transcription de l'audience tenue devant la SSR démontrent que les membres ont constamment interrompu la présentation de la cause et les observations de l'avocat de la demanderesse -- Cela équivalait à s'«approprier» la présentation ordonnée de la cause -- Les membres de la SSR ont également fait preuve d'insensibilité envers la demanderesse lorsqu'elle a témoigné au sujet de l'agression sexuelle alléguée -- Déni de justice naturelle -- La décision de la SSR est annulée.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la section du statut de réfugié a statué que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. Peu de temps après le début de l'audience, le président de l'audience a indiqué que l'autre commissaire et lui poseraient quelques questions afin de clarifier certains points. Par la suite, l'avocat n'a réussi qu'à poser une ou deux questions avant que l'un ou l'autre membre de la Commission n'intervienne pour poser des questions ou lui donner des directives quant à la manière de poser les questions. À un moment donné, le membre de la Commission a dit qu'il voulait entendre un témoignage «spontané et non répété» ou des «réponses spontanées». Parfois, les membres de la Commission se sont chargés de l'interrogatoire de la revendicatrice. Le même degré d'intervention a continué de la part des membres de la Commission tout au long de l'interrogatoire de la demanderesse par l'avocat et au cours des observations de l'avocat. La demanderesse a révélé pour la première fois la prétendue agression sexuelle lors de son audience devant la SSR. Le deuxième membre de la Commission a dit que la demanderesse semblait avoir témoigné très froidement et que son comportement se résumait vraiment à une description froide des faits, sans conviction et sans émotion, et il lui a demandé d'expliquer pourquoi. Il s'est également interrogé sur le fait qu'elle n'avait pas parlé auparavant de l'agression à son avocat, mais qu'elle avait été en mesure d'en faire un «froid compte rendu. . . dans une salle remplie de parfaits étrangers».

Il s'agissait de déterminer si la manière dont la SSR a mené l'audience était assimilable à un déni de justice naturelle.

Jugement: la demande est accueillie.

Les extraits de la transcription ont démontré «l'intervention flagrante [. . .] dans la présentation ordonnée de la cause du requérant» par les membres de la SSR. Cela a presque immédiatement donné le «ton à l'audition». Les membres de la Commission ne se sont pas limités à la clarification de points, mais se sont «approprié» la présentation ordonnée de la cause de la demanderesse. Leurs préoccupations au sujet du style et d'une partie de la substance de l'interrogatoire de la demanderesse par son avocat ne pouvaient pas justifier la manière dont ils sont intervenus et ont admonesté tant l'avocat que la demanderesse, pour ensuite se charger essentiellement de l'interrogatoire de la demanderesse. Les membres de la SSR pouvaient procéder autrement pour exprimer leurs préoccupations; par exemple, ils auraient pu déclarer une suspension de l'audience et rencontrer l'avocat en privé, ce qui aurait eu pour effet de ne pas miner la confiance de la demanderesse en elle-même et en son avocat. Lors de la présentation par l'avocat de ses observations, les membres de la SSR ont fait montre d'une impatience injustifiée et d'un dédain presque palpable envers la présentation de l'avocat, dédain qui s'exprime dans les motifs de la décision de la SSR.

Contrairement à la Quatrième série de directives de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié intitulée «Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe: Mise à jour», il n'y avait rien d'«extrêmement compréhensif» concernant l'«attitude» des membres de la SSR envers la demanderesse. Tant l'«intervention flagrante» de la part des membres de la SSR «dans la présentation ordonnée de la cause [de la demanderesse]» que l'insensibilité démontrée envers celle-ci lorsqu'elle a témoigné au sujet de son viol présumé constituaient des dénis de justice naturelle.

lois et règlements

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) «réfugié au sens de la Convention» (mod. par L.R.C. (1985) (4suppl.), ch. 28, art. 1).

jurisprudence

décisions appliquées:

Kumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] 2 C.F. 14; (1987), 81 N.R. 157 (C.A.); Shaker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n1077 (1re inst.) (QL).

doctrine

Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada. Directives données par la présidente de la Loi sur l'immigration: Quatrième série de directives: Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe: Mise à jour. Ottawa: Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, 1996.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié (SSR) a statué que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention pour le motif que le membre est intervenu dans la présentation par l'avocat de la cause de la demanderesse et dans ses observations et a fait preuve d'insensibilité à l'égard de la demanderesse lorsqu'elle a témoigné au sujet d'un viol allégué, ce qui était assimilable à un déni de justice naturelle. Demande accueillie.

ont comparu:

Barbara L. Jackman pour la demanderesse.

Alexis Singer pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Jackman, Waldman & Associates, Toronto, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[1]Le juge Gibson: Ces motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigrat ion et du statut de réfugié dans laquelle la SSR a décidé que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention selon la définition donnée à cette expression au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1. La décision de la SSR est datée du 19 avril 2001.

[2]La demanderesse est une Tamoule et une citoyenne du Sri Lanka. Elle est née dans la ville de Colombo et y a vécu toute sa vie jusqu'à son départ pour le Canada. Elle fonde sa revendication sur le fait que, si elle deva it retourner au Sri Lanka, elle craindrait avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe particulier, à savoir les jeunes femmes tamoules du Sri Lanka, et des opinions politiques qu'on lui impute.

[3]La demanderesse s'est mariée en 1988. Son mari exploitait une entreprise de camionnage. Il transportait des marchandises à partir de Colombo vers des destinations dans le nord du Sri Lanka et peut-être vers d'autres destinations. Il a été arrêté et détenu pour transport de marchandises de contrebande vers le nord. Dès qu'il a été libéré, sa relation avec la demanderesse s'est dégradée. Il y a eu des occurrences de violence conjugale, y compris des menaces envers la demanderesse. Finalement, en 1997, avec l'aide de la police, la demanderesse a obtenu l'expulsion de son mari de la résidence familiale. Par la suite, dans le but d'augmenter son revenu, la demanderesse a pris chez elle un jeune Tamoul de la région de Jaffna. Le mari de la demanderes se l'a menacée de la dénoncer à la police pour hébergement d'un terroriste.

[4]En août 1999, la demanderesse a prétendu que, dans les faits, elle avait été arrêtée pour hébergement, qu'elle avait été détenue pendant quatre jours et libérée e nsuite avec un avertissement. Sa résidence, a par la suite, été l'objet d'une perquisition par les forces de sécurité en temps de crise à Colombo. Afin d'assurer la sécurité de son jeune fils, elle l'a envoyé au Danemark où ses parents et deux membres de s a fratrie avaient obtenu la citoyenneté.

[5]En juin 2000, suivant un attentat suicide à Colombo, la demanderesse prétend qu'elle a été détenue, cette fois-là pendant trois jours. Elle prétend qu'elle a été interrogée, battue et agressée sexu ellement avant d'être libérée sur un pot-de-vin. La prétendue agression sexuelle n'a pas été révélée dans le Formulaire de renseignements personnels de la demanderesse. Elle l'a révélée pour la première fois lors de son audience devant la SSR.

[6]L'avocat de la demanderesse a soutenu que la SSR avait commis une erreur susceptible de révision sous quatre aspects: premièrement, en violant son obligation d'équité envers la demanderesse en raison de la façon dont elle avait mené l'audience; deuxièmement, dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse qui était basée sur son exigence de réponses [traduction ] «spontanées» et d'un comportement [traduction ] «passionné» lors de sa comparution devant elle; troisièmement, en laissant de côté ou en interprétant mal la preuve et quatrièmement, dans sa décision selon laquelle la revendication de la demanderesse n'avait aucun fondement crédible. Au commencement de l'audience relativement à la présente demande de contrôle judiciaire, le quatrième m otif a été abandonné.

[7]Je suis convaincu que la décision de la SSR qui fait l'objet du contrôle ne saurait être maintenue et que la SSR a commis une erreur susceptible de révision dans sa conduite de l'audience et dans l'appréciation de crédibilité de la demanderesse. Malheureusement, la conclusion précédente ne peut être démontrée efficacement qu'au moyen de nombreux renvois à la transcription de l'audience devant la SSR. Ces renvois suivent.

[8]Peu de temps après le commenc ement de l'audience, le président de l'audience s'est adressé à la demanderesse dans les termes suivants:

[traduction]

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE: D'accord, bon. Notre position également, c'est que le FRP constitue un témoignage sous serme nt. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de réciter le FRP. Cependant, s'il y a des choses dans le FRP que vous voulez souligner, Maître, cela est acceptable pour le tribunal.

Mlle Reginald, l'avocat est maintenant prêt à vous poser quelques questions. Si vous ne comprenez pas la question, veuillez le dire. Elle sera répétée d'une manière que vous puissiez la comprendre. Si vous ne connaissez pas la réponse à une question, dites: «Je ne sais pas». Cela constitue également une réponse. Laissez-moi insist er sur le fait qu'il ne serait pas à votre avantage d'essayer d'inventer une réponse par rapport à quelque chose que vous ne connaissez pas. Veuillez parler clairement, parce que les microphones ne sont pas là pour l'amplification, ils ne font simplement q u'enregistrer les voix.

L'ACR aura également quelques questions à vous poser et, de temps à autre, mon collègue et moi vous poserons quelques questions afin de clarifier des points. D'accord? Comprenez-vous?

REVENDICATRICE  Oui2 . [Non souligné dans l'ori ginal.]

[9]L'avocat de la demanderesse a commencé son interrogatoire. Après avoir établi le nom et l'âge de la demanderesse, l'avocat a posé une question afin de souligner un aspect de la substance du Formulaire de renseignements personnels de la demanderesse. Le président de l'audience est intervenu et a posé six questions à la demanderesse. Voici une partie des échanges entre le président de l'au dience et la demanderesse:

[traduction]

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE: [. . .] Vous rappelez-vous de ce que je vous ai dit au commencement? [une référence aux directives citée juste avant]

REVENDICATRICE: Oui.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE:  Vous ne semblez pas vo us en rappeler. Qu'ai-je dit?

REVENDICATRICE:  Je ne sais pas.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE:  Je vous ai demandé--et je vais le faire encore une fois--si vous ne connaissez pas la réponse à une question, dites que vous ne le savez pas3 .

[10]L'avocat a réussi à poser deux questions, n'obtenant une réponse qu'à la première. Le président de l'audience de la Commission est ensuite intervenu trois fois pour donner des directives à l'avocat. Le deuxième membre de la Commission est également intervenu .

[11]Encore une fois, l'avocat a réussi à poser deux questions et, encore une fois, il n'a obtenu qu'une réponse. Le deuxième membre de la Commission est intervenu en faisant le commentaire suivant:

[traduction]

Qui s'en préoccupe, Maître ? Sauf votre respect, qui s'en préoccupe? Ce qui nous préoccupe: Je suis dans ce pays recherchant la protection internationale parce que j'ai eu des problèmes4 .

[12]Un échange entre le deuxième membre de la Commission, la revendicatrice et l'avocat a suivi.

[13]L'avocat a posé une question dans les termes suivants:

[traduction]

Pourquoi avez-vous été arrêtée par la police5 ?

Encore une fois, le deuxième membre de la Commission est intervenu, cette fois-ci dans les termes suivants:

[traduction]

Non, Maître. Maître, il s'agit d'une question suggestive. Une question suggestive. Ce que vous devez dire, c'est: Qu'est-il arrivé6 [. . .]

Encore une fois, un échange a suivi entre l'avocat, le deuxième membre de la Commission et la revendicatrice. En fait, le deuxième membre de la Commission s'est chargé de l'interrogatoire de la revendicatrice.

[14]L'avocat s'est imposé à nouveau et a encore une fois réussi à poser deux questions. La deuxième e st formulée dans les termes suivants et a donné lieu à l'échange qui suit:

[traduction]

AVOCAT:  Quand avez-vous ensuite été arrêtée?

DEUXIÈME MEMBRE:  Non, Maître. Maître, vous devez poser des questions. J'en ai déjà discuté avec vous, laissez-moi vous donnez ma façon de voir les choses. Vous devez poser des questions qui ne sont pas suggestives. Le seul témoignage que je veux entendre doit être spontané et non répété. Lorsque vous dites, quand avez-vous été arrêtée, cela prépare une histoire.

AVOCAT:  C'est parce que nous n'avançons pas en -- nous n'avons que des bribes. C'est ça mon problème.

DEUXIÈME MEMBRE:  Mais vous--non, ce n'est pas un problème, Maître. C'est, en fait, quelque chose qui est de votre ressort en tant qu'avocat. [Le président de l'a udience] en tant que président de l'audience a indiqué que la crédibilité est ce que nous apprécions comme avec toutes les revendications du statut de réfugié.

AVOCAT:  Oui.

DEUXIÈME MEMBRE: Ainsi, dans votre attribution de mener un interrogatoire princi pal, vous voulez produire des réponses spontanées. «Avez-vous déjà eu quelque autre problème avec la police?» représente une question appropriée mais précise. Je ne peux accorder aucune valeur lorsque vous lui suggérez et c'est précisément ce que vous fait es. D'accord. J'espère que cela vous a aidé.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE:  Avant que vous ne poursuiviez, cependant, Maître, Mlle Reginald, vous avez dit qu'après quatre jours, vous avez été libérée.

REVENDICATRICE: Oui.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE:  Y a-t- il eu des conditions de libération?

REVENDICATRICE:  Ce qu'ils m'ont dit, c'est que si quelque chose arrive dans la région, ils pouvaient venir et m'arrêter de nouveau. C'est ce qu'ils m'ont dit.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE:  Est-ce qu'un montant d'argent a été payé pour votre libération?

REVENDICATRICE:  Non. Nous n'avons pas donné d'argent la première fois.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE:  Merci.

DEUXIÈME MEMBRE:  Je vais juste poser ma question pendant que nous sommes sur ce point. Qu'est-il arrivé à l'étudiant qui vivait dans votre maison?

REVENDICATRICE:  Il était là pour continuer ses études à Londres. Donc, en `99--dès `99, octobre, il avait obtenu un visa. Avant cela--avant qu'il ne puisse partir, il n'y a que moi qui ai été arrêtée. Donc , dès que je suis revenue du poste de police, je lui ai indiqué qu'il devrait quitter ma maison. Donc, après cela, il est parti chez un ami.

DEUXIÈME MEMBRE:  Laissez-moi maintenant vous demander ceci. Pourquoi pensez-vous qu'ils vous arrêteraient et non la véritable personne qu'ils soupçonnaient être un sympathisant des TLET?

REVENDICATRICE:  Ils sont venus pour l'arrêter, il n'était pas là. Il était parti pour Jaffna. C'est donc pour cette raison qu'ils m'ont arrêtée.

DEUXIÈME MEMBRE:  Oui, mais écoute z ce que vous dites. Un, vous avez dit que votre mari avait dit aux forces de sécurité que lui et ses amis avaient été à l'origine de certaines attaques à Colombo.

REVENDICATRICE:  Oui.

DEUXIÈME MEMBRE: Vous avez également indiqué qu'entre août et octobr e 1999, il a prétendument étudié sans incident, parce qu'il était en mesure d'obtenir un visa et partir étudier à Londres.

REVENDICATRICE:  Oui.

DEUXIÈME MEMBRE:  Donc, s'il est demeuré avec vous jusqu'en octobre et qu'il était peut-être un terroriste des TLET aux yeux des forces de sécurité, pourquoi ne lui est-il rien arrivé, que ce soit en août  `99 ou n'importe quand par la suite?

REVENDICATRICE:  Au moment où ils sont venus l'arrêter, il n'était pas dans la maison. Voilà pourquoi ils m'ont arrêtée.

DEUXIÈME MEMBRE:  En août -- d'accord. Donc, vous êtes sortie quatre jours plus tard. Pourquoi ne le cherchent-ils plus? Il est soupçonné d'attaques terroristes.

REVENDICATRICE:  À ce moment-là, il était parti pour Jaffna. C'est pourq uoi il n'était pas là. C'est ce que je vous ai déjà dit.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE:  Oui, mais écoutez maintenant. Vous avez dit que lorsque vous étiez sortie de détention quatre jours plus tard, vous lui avez demandé de quitter.

REVENDICATRICE:  Ce que je voulais dire, c'était que, suite à ma libération du poste de police, dès qu'il est revenu, je lui ai dit de quitter.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE:  Quand était-ce?

DEUXIÈME MEMBRE:  Juste une minute! Juste une minute! Vous savez quoi, Mme l'interprète, je ne suis pas convaincu que vous interprétez tout ce qui a été dit. J'ai entendu le mot «septembre» et je l'ai entendu trois fois et vous n'avez rien dit.

INTERPRÈTE:  Oui.

DEUXIÈME MEMBRE:  Donc, donnez-moi tout [. . .]

INTERPRÈTE: J e vais clarifier cela.

REVENDICATRICE:  Il m'a dit qu'il avait obtenu un visa pour aller à Londres pour étudier en septembre.

DEUXIÈME MEMBRE:  Oui, mais vous avez dit qu'il était demeuré avec vous jusqu'en octobre.

REVENDICATRICE:  Oui.

DEUXIÈME MEMBRE:  N'écoutez pas l'anglais.

REVENDICATRICE:  Il est allé à Jaffna et il n'a pas pu revenir en septembre, il est donc revenu dans la première semaine d'octobre. Donc, lorsque à ce moment-là -- il était déjà un mois en retard au moment où il a quitté ma maison.

DEUXIÈME MEMBRE:  D'accord.

REVENDICATRICE:  Après cela, Je ne sais pas ce qu'il est advenu de lui.

DEUXIÈME MEMBRE: Deux autres choses, Madame. Un, vous vous contredisez et je vais apprécier ce témoignage en en tenant compte. Les deux memb res vous ont donné diverses occasions de clarifier vos réponses, mais j'invite l'avocat à réinterroger s'il le désire ou à poursuivre l'interrogatoire s'il le veut. Je donne à l'avocat cette occasion de (inaudible) l'interrogatoire7 . [Non souligné dans l'o riginal.]

[15]Le même degré d'intervention a continué de la part des membres de la Commission tout au long de l'interrogatoire de la demanderesse par l'avocat. Bien que la fréquence d'intervention ait diminué au cours de l'interrogatoire de la demanderesse par l'agent chargé de la revendication, au cours du bref réinterrogatoire par l'avocat et au cours des observations de l'agent chargé de la revendication, elle a encore une fois augmenté au cours des observations de l'avocat.

[16]Un autre échange entre le deuxième membre de la Commission et la revendicatrice vaut particulièrement la peine d'être souligné. Il va comme suit:

[traduction]

DEUXIÈME MEMBRE:  Et vous dites avoir été victime de violence sexuelle?

REVENDICATRICE:  Oui.

DEUXIÈME MEMBRE:  Pouvez-vous expliquer au tribunal ce que vous entendez par victime de violence sexuelle?

REVENDICATRICE:  Lorsque l'O Resp n'est pas aux alentours -- l'officier responsable n'était pas aux alentours, ils m'ont a ppelée durant la nuit pour un interrogatoire. Deux personnes m'ont violée ensemble.

DEUXIÈME MEMBRE:  C'est ce que je considérerais comme étant une grave violation des droits de la personne en général. Pourtant, vous sembliez témoigner très froidement ce matin. Votre témoignage -- pour moi, votre comportement se résume vraiment à une description froide des faits, sans conviction et sans émotion. Pouvez-vous m'expliquer cela?

REVENDICATRICE:  Je ne voulais pas parler de cet incident à tout le monde. À cet te époque, je pensais m'enlever la vie, mais j'avais pensé à mon fils, puisque son père n'était pas dans les alentours et ensuite, j'avais senti que je ne devrais pas faire cela. Malgré le fait que je les aie suppliés et que je leur aie offert de l'argent, ils ont quand même abusé de moi de cette manière.

DEUXIÈME MEMBRE:  Merci.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE: Est-ce que cela s'est produit plus d'une fois?

REVENDICATRICE:  Cela est arrivé une seule fois.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE:  Il me semble, comme l'a ment ionné mon collègue, qu'il y a une grave violation des droits de la personne. Pourquoi cela n'est pas mentionné nulle part dans votre Formulaire de renseignements personnels?

REVENDICATRICE:  Je ne l'ai pas dit -- Je ne pouvais pas le dire à l'avocat. Je ne lui ai pas dit.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE: Vous quoi?

INTERPRÈTE:  Je ne lui ai pas dit, parce que je n'étais pas -- je ne pouvais pas lui dire.

DEUXIÈME MEMBRE:  Quelle est la différence entre le dire à votre avocat qui est là pour vous représenter et votre froid compte rendu d'aujourd'hui dans une salle remplie de parfaits étrangers?

REVENDICATRICE:  Jusqu'à aujourd'hui, je n'avais pas parlé de cet incident à qui que ce soit d'autre que mes parents. Je n'ai pas eu le courage de le lui dire. Je lui ai mentionné que quelque chose était arrivé, je ne lui en ai pas parlé en détail. Mais je pensais en moi-même que si une situation se produisait dans laquelle je devrais le dire, je le dirais.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE:  Donc, je comprends que vous n'en avez pas fait rapport à l'officier de la police -- l'officier responsable?

REVENDICATRICE:  Ils m'ont menacée pour que je n'en parle à personne. Ils m'ont averti que ma vie serait en danger si je le faisais. En même temps, ils ne tiennent pas beaucoup compte des plaintes formulées par les Tamouls.

AVOCAT:  Puis-je procéder?

DEUXIÈME MEMBRE:  L'avocat peut-il continuer?

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE:  Oui. Oui. Continuez8 . [Non souligné dans l'original.]

[17]Dans l'arrêt Kumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)9, le juge Mahoney, au nom de la Cour, a écrit à la page 15:

L'interrogatoire principal du requérant a commencé à la page 2 de la transcription. On a presque immédiatement donné le ton à l'audition.

Le juge Mahoney a ensuite cité plutôt abondamment la transcription, quoique pas aussi abondamment que je l'ai fait dans les présents motifs. Plus loin dans ses motifs, il a écrit à la page 18:

J'estime que tant l'omission de l'intimé [non pertinente en l'espèce] que l'intervention flagrante du président dans la présentation ordonnée de la cause du requérant constituaient des dénis de justice naturelle, en raison desquels la demande fondée sur l'article 28 doit être accueillie, la décision de la Commission annulée et l'affaire renvoyée pour une nouvelle audition.

[18]Je suis convaincu que la référence du juge Mahoney à «l'intervention flagrante [. . .] dans la présentation ordonnée de la cause du requérant» représente une description exacte de l'intervention des membres de la SSR, comme l'ont démontré les extraits de la transcription cités dans les présents motifs. De la même façon en l'espèce, comme l'a mentionné le juge Mahoney, on a presque immédiatement donné le «ton à l'audition». Après que le président de l'audience a indiqué, comme nous l'avons vu précédemment, que lui et son collègue [traduction ] «de temps à autre, [. . .] poser[aient] quelques questions afin de clarifier des points», lui et son collègue ne se sont d'aucune façon limités à la clarification de points. Je suis plutôt convaincu qu'ils se sont «approprié» la présentation ordonnée de la cause de la demanderesse. Il est évident que les membres de la SSR étaient préoccupés par le style et une parti e de la substance de l'interrogatoire de la demanderesse par son avocat. Mais de telles préoccupations ne pouvaient simplement pas justifier la manière dont les membres de la SSR sont intervenus et ont admonesté tant l'avocat que la demanderesse, pour ensu ite se charger essentiellement de l'interrogatoire de la demanderesse. Les membres de la SSR pouvaient procéder autrement pour exprimer leur préoccupation concernant la façon dont l'avocat conduisait son interrogatoire. Par exemple, les membres de la SSR a uraient pu déclarer une suspension de l'audience et rencontrer l'avocat en privé afin de lui exprimer leurs préoccupations. Une telle stratégie aurait pu éviter l'indubitable effet que la conduite des membres de la SSR a eu sur la confiance de la demandere sse, tant en elle-même qu'en son avocat.

[19]On peut en dire autant au sujet des interventions des membres de la SSR dans la présentation par l'avocat de ses observations. À ce moment-là, il n'était sûrement plus question de questions suggestives. Les membres de la SSR ont simplement fait montre, à cette étape près de la fin de l'audience, d'une impatience injustifiée et d'un dédain presque palpable envers la présentation de l'avocat, dédain qui s'expri me dans les motifs de la décision de la SSR.

[20]On peut également en dire autant au sujet des interventions des membres de la SSR lorsque la demanderesse a témoigné, quoique pour la première fois, relativement au viol que des policiers aura ient commis.

[21]Dans la Quatrième série de directives de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada intitulée Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe: Mise à jour10, sous le titre «D. Problèmes spéciaux lors des audiences relatives à la détermination du statut de réfugié», il est écrit ce qui suit:

Les femmes qui revendiquent le statut de réfugié font face à des problèmes particuliers lorsque vient le moment de démontrer que leur revendication est crédible et digne de foi. Certaines difficultés peuvent survenir à cause des différences culturelles. Ainsi,

1.     Les femmes provenant de sociétés où la préservation de la virginité ou la dignité de l'épouse c onstitue la norme culturelle peuvent être réticentes à parler de la violence sexuelle dont elles ont été victimes afin de garder leur sentiment de «honte» pour elles-mêmes et de ne pas déshonorer leur famille ou leur collectivité.

[. . .]

3.     Les revendicatrices du statut de réfugié victimes de violence sexuelle peuvent présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol et peuvent avoir besoin qu'on leur témoigne une attitude extrêmement compréhensive. [Références omises; non souligné dans l'original.]

En toute déférence, il n'y avait rien de compréhensif, et encore moins d'extrêmement compréhensif, concernant l'«attitude» des membres de la SSR envers la demanderesse lorsqu'elle a témoigné au sujet de l'épreuve qu'elle aurait subie.

[22]Dans la décision Shaker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)11, Mme le juge Reed a écrit au paragraphe 10:

Il n'est pas tout de suite évident pourquoi on devrait s'attendre à ce que la demanderesse s'émeuve quand elle décrit l'agression, si longtemps après l'événement. Les personnes varient énormément quant au degré d'émotion qu'elles montrent quand elles décrivent de tels événements--pourquoi présume-t-on qu'elle est une personne qui réagirait sur le plan émotionnel?

En l'espèce, il faut précisément dire la même chose relativement aux commentaires des membres de la SSR concernant le témoignage «froid», «sans conviction» et «sans émotion» de la demanderesse en ce qui a trait à l'épreuve alléguée.

[23]Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Je suis convaincu que, pour reprendre les propos du juge Mahoney cités précédemment, tant l'«intervention flagrante» de la par t des membres de la SSR «dans la présentation ordonnée de la cause [de la demanderesse]» que l'insensibilité démontrée envers celle-ci lorsqu'elle a témoigné au sujet de son viol présumé, constituaient des dénis de justice naturelle qui nécessitent l'inter vention de la Cour. La décision de la SSR qui fait l'objet du contrôle sera annulée et la demande du statut de réfugié au sens de la Convention de la demanderesse sera renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour une nouvelle audi ence et une nouvelle décision par un tribunal constitué différemment.

[24]Je n'ai pas fait de commentaires concernant la troisième question soulevée pour le compte de la demanderesse, selon laquelle la SSR aurait laissé de côté ou mal interprété la preuve. Vu mes conclusions précédentes, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de le faire. Cela dit, si je devais aborder cette question telle qu'elle a été présentée, je conclurais qu'aucune erreur susceptible de révision n'avait été commise par la SSR à cet égard relativement à la preuve, telle qu'elle lui a été présentée.

[25]Je le répète, une quatrième question soulevée pour le compte de la demanderesse a été abandonnée au commencement de l'audience.

[26]L'avocat de la demanderesse n'a pas proposé de question pour certification découlant de la présente demande de contrôle judiciaire. L'avocate du défendeur a demandé que je distribue mes motifs et que je lui offre une brève occasion de faire des observations. Une telle occasion sera offerte avant que mon ordonnance ne soit rendue. Les présents motifs seront remis aux avocats, tant pour la demanderesse que pour le défendeur, qui auront dix jours de la date de la remise pou r échanger des observations et les déposer à la Cour. L'échange d'observations devrait être fait assez rapidement pour permettre que des observations soient présentées en réponse à l'intérieur du même délai.

1 L.R.C. (1985), ch. I-2 [art. 2(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1)].

2 Dossier du tribunal, à la p. 183.

3 Dossier du tribunal, aux p. 184 et 185.

4 Dossier du tribunal, à la p. 185.

5 Dossier du tribunal, à la p. 186.

6 Dossier du tribunal, à la p. 186.

7 Dossier du tribunal, aux p. 187  à 190.

8 Dossier du tribunal, aux p. 194 et 195.

9 [1988] 2 C.F. 14 (C.A.).

10 Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, Directives données par la présidente de la Loi sur l'immigration: Quatrième série de directives (Ottawa, Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, 1996.)

11 [1999] A.C.F. no 1077 (1re inst.) (QL).

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