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[1994] 1 C.F. 723

93-A-343

Ayman Maarouf (requérant)

c.

Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Maarouf c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Cullen—Toronto, 30 novembre; Ottawa, 13 décembre 1993.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Demande d’annulation de la décision par laquelle la section du statut de réfugié a conclu que le requérant n’était pas un réfugié au sens de la Convention — Le requérant, qui est palestinien, est né dans un camp de réfugiés au Liban; sa famille et lui se sont installés au Koweït lorsqu’il avait cinq ans — Le requérant a quitté le Koweït avant la guerre du Golfe pour étudier aux États-Unis — Il ne peut pas retourner au Koweït — Il a présenté une preuve selon laquelle il avait été détenu, interrogé et battu par les agents de renseignement syriens, pendant un bref séjour qu’il avait fait au Liban, parce qu’il était soupçonné d’avoir des liens avec l’OLP — On lui a dit de quitter le Liban et de ne pas y retourner — À la suite de sa libération, les familles d’autres étudiants arrêtés ont soupçonné le requérant d’être un indicateur et ont menacé de le tuer s’il arrivait quelque chose aux étudiants — La SSR a statué que le requérant n’était pas visé par la définition de « réfugié au sens de la Convention » puisqu’il n’avait pas de pays de nationalité ou de pays de résidence habituelle — La section du statut a commis une erreur en disant que pour avoir une « résidence habituelle » dans un pays, le requérant devait être légalement capable d’y retourner — La négation du droit de retour peut constituer un acte de persécution de la part de l’État — Il faut une longue période de résidence de facto — La section du statut a également commis une erreur en exigeant que le requérant prouve la complicité de l’État dans la persécution qu’il craignait de la part des familles des autres étudiants arrêtés, plutôt que de se demander si l’État pouvait protéger le requérant contre la persécution — La section du statut a en fait conclu qu’il existait une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays sans examiner le critère pertinent — La question du critère qu’il convient d’appliquer pour déterminer le pays de résidence habituelle a été certifiée aux fins d’un appel possible à la Cour d’appel fédérale.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié avait conclu que le requérant n’était pas un réfugié au sens de la Convention. Le requérant, qui est palestinien, est né dans un camp de réfugiés au Liban. Sa famille et lui s’étaient installés au Koweït lorsqu’il avait cinq ans. En 1987, le requérant s’était rendu au Liban, pendant deux ou trois mois, pour s’inscrire à l’université américaine de Beyrouth. À son arrivée, il avait été détenu par des agents de renseignement syriens qui l’avaient interrogé au sujet des activités ainsi que des allées et venues d’un oncle qui était engagé dans l’OLP, organisme s’opposant à la présence syrienne au Liban. Pendant son séjour, le requérant demeurait chez un ami qui avait été partisan de l’OLP. Les soldats syriens ont fouillé l’appartement et ont trouvé des documents de l’OLP. Le requérant et son ami ont été arrêtés et détenus pendant trois jours, pendant lesquels le requérant a été battu et interrogé au sujet de son oncle et des activités de l’OLP. Lorsque le requérant a été libéré, on lui a dit qu’il serait davantage en sécurité s’il quittait le Liban et s’il n’y retournait jamais. À la suite de sa libération, les familles d’autres étudiants emprisonnés ont soupçonné le requérant d’être un indicateur et ont menacé de le tuer s’il arrivait quelque chose aux étudiants. D’autres membres de la famille du requérant ont été arrêtés et interrogés au sujet de l’oncle; certains d’entre eux ont été battus et même tués. En 1988, le requérant a quitté le Koweït pour aller à l’université aux États-Unis. Il est arrivé au Canada en 1992. Les Palestiniens qui ont quitté le Koweït avant la guerre du Golfe ne sont pas autorisés à retourner dans ce pays.

Selon le sous-alinéa 2(1)a)(ii) de la Loi sur l’immigration, par « réfugié au sens de la Convention », on entend toute personne qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, parce qu’elle craint avec raison d’être persécutée pour les motifs énumérés, ne veut pas y retourner. En ce qui concerne la résidence habituelle, la SSR a retenu le critère exigeant (1) une longue période de résidence de facto dans l’État présumé de référence; (2) l’existence d’une demeure de facto et non une simple présence passagère; (3) le droit de retour dans le pays. La section du statut a conclu que le requérant n’avait pas de pays de résidence habituelle puisque le Koweït ne satisfaisait pas au troisième élément du critère et que le Liban ne satisfaisait pas au premier élément du critère. Le requérant n’était donc pas visé par les sous-alinéas 2(1)a)(i) et (ii) de la définition de « réfugié au sens de la Convention ». La section du statut a statué que même si l’un ou l’autre pays pouvait être considéré comme un pays de résidence habituelle, il serait manifestement absurde de soutenir que le requérant devait être protégé à l’égard du Koweït puisqu’il ne pouvait pas retourner dans ce pays. Quant au Liban, la SSR a statué que la crainte de vengeances personnelles n’équivalait pas à une crainte de « persécution » étant donné l’absence de complicité de l’État et que le requérant ne risquait pas réellement d’être persécuté par les forces syriennes au Liban puisque la guerre civile était terminée. La SSR a conclu que la présence syrienne n’était pas telle que l’intéressé ne pouvait pas retourner dans certaines parties du Liban. Il s’agissait de savoir si la Commission avait commis une erreur en concluant (1) que le requérant n’avait pas de pays de nationalité ou de pays de résidence habituelle; (2) que le requérant ne risquait pas réellement d’être persécuté s’il retournait au Liban ou au Koweït.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La Commission a commis une erreur en définissant le « pays de résidence habituelle ».

Étant donné que le Canada n’a pas ratifié la Convention relative au statut des apatrides, l’apatride qui n’est pas visé par la définition « réfugié au sens de la Convention » n’a apparemment aucun recours au Canada. Pour être visé par la définition, l’apatride doit prouver qu’il a un pays de résidence habituelle et qu’il est en dehors de ce pays, ou qu’il ne peut pas y retourner, pour l’un des motifs énoncés dans la définition. La définition de « pays de résidence habituelle » ne devrait pas être restrictive au point d’éliminer l’octroi d’un refuge « auxiliaire » à un apatride qui a démontré qu’il a raison de craindre d’être persécuté pour l’un des motifs énumérés. Le pays de résidence habituelle ne devrait pas être limité au pays où l’intéressé craignait initialement d’être persécuté. L’argument voulant que, pour avoir dans un pays une résidence habituelle, l’intéressé doive être légalement capable d’y retourner est contraire au fondement de la protection internationale conférée aux réfugiés. Lorsqu’un apatride a quitté le pays où il avait sa résidence habituelle pour les raisons indiquées dans la définition, il n’est généralement pas en mesure d’y retourner. En tant qu’acte final de persécution, l’État pourrait dépouiller une personne du droit de retourner dans ce pays. Ainsi, exiger que l’intéressé ait un droit de retour dans ce pays permettrait à l’État persécuteur d’exercer un contrôle sur le recours de l’intéressé à la Convention et, en fait, de saper le but humanitaire de celle-ci. La notion de « résidence habituelle » vise à établir une relation avec un État qui est, en général, comparable à celle qui existe entre un citoyen et son pays de nationalité. Par conséquent, on entend une situation dans laquelle un apatride a été admis dans un pays en vue d’y établir une résidence continue pendant un certain temps, sans exiger une période minimum de résidence. L’intéressé doit avoir établi une résidence de facto pendant une longue période dans le pays en question.

La Commission a commis une erreur en rejetant le Koweït comme « pays de résidence habituelle » pour le motif que le requérant ne pouvait pas légalement y retourner. Quant au Liban, la Commission a commis une erreur en concluant que le requérant n’avait pas établi de résidence de facto pendant une longue période dans ce pays.

Quant à la question du bien-fondé de la crainte de persécution, la Commission a commis une erreur en exigeant que l’intéressé démontre l’existence d’un élément de complicité de la part de l’État, en ce qui concerne la persécution qu’il craignait de la part des familles des personnes arrêtées, après qu’il eut été détenu, plutôt qu’en se demandant si l’État pouvait protéger celui-ci contre la persécution. Elle a également commis une erreur en concluant effectivement à l’existence d’une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays sans examiner le critère pertinent à cette fin.

Une question grave de portée générale a été certifiée, conformément au paragraphe 83(1) de la Loi sur l’immigration, dans sa forme modifiée, en ce qui concerne le critère qu’il convient d’appliquer pour déterminer le pays de résidence habituelle.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951 [1969] R.T. Can. no 6.

Convention relative au statut des apatrides, 28 septembre 1954, 360 R.T.N.U. 117.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1), 83(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706; (1991), 140 N.R. 138 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; (1993), 103 D.L.R. (4th) 1; 153 N.R. 321; Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Arafa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), A-663-92, juge Gibson, ordonnance en date du 3-11-93, C.F. 1re inst., encore inédite.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605 (C.A.); Urbanek v. Canada (Minister of Employment & Immigration) (1992), 17 Imm. L.R. (2d) 153; 144 N.R. 77 (C.A.F.).

DÉCISION CITÉE :

Canada (Procureur général) c. Ward, [1990] 2 C.F. 667; (1990), 67 D.L.R. (4th) 1; 10 Imm. L.R. (2d) 189; 108 N.R. 60 (C.A.).

DOCTRINE

Grahl-Madsen, Atle. The Status of Refugees in International Law. Leyden : A. W. Sijthoof, 1966.

Hathaway, James C. The Law of Refugee Status. Toronto : Butterworths, 1991.

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Genève, 1979.

Waldman, Lorne. Immigration Law and Practice. Toronto, Butterworths, 1992.

DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE de la décision par laquelle la section du statut de réfugié a conclu que le requérant n’était pas un réfugié au sens de la Convention, après avoir défini le « pays de résidence habituelle » comme étant un pays où le requérant pourrait légalement retourner. Demande accueillie.

AVOCATS :

Rod Catford pour le requérant.

Robin Sharma pour l’intimé.

PROCUREURS :

Mousseau DeLuca, Windsor, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Cullen : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a conclu, le 14 janvier 1993, que le requérant n’était pas un réfugié au sens de la Convention, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1) (la Loi). L’autorisation y afférente a été accordée par le juge Rothstein le 17 septembre 1993.

LES FAITS

Le requérant, qui est palestinien, est né dans un camp de réfugiés, à Rachidie (Liban). En 1974, le requérant, qui avait alors cinq ans, et sa famille se sont installés au Koweït où le requérant a habité jusqu’en 1987.

En 1984, l’oncle du requérant se cachait des Syriens parce qu’il occupait un poste politique et militaire au sein de l’OLP et que l’OLP s’opposait à la présence syrienne au Liban.

À la fin de 1986 ou au début de 1987, le père du requérant est retourné faire une visite au Liban. Il a été arrêté par des agents de renseignement syriens et détenu pendant toute une journée. Il a été continuellement interrogé au sujet des allées et venues de son frère et de l’engagement de ce dernier dans l’OLP. Son père a été libéré et n’est jamais retourné au Liban depuis lors.

En juin 1987, le requérant s’est rendu au Liban pendant deux ou trois mois pour s’inscrire à l’université américaine de Beyrouth. À son arrivée au Liban, le requérant a été détenu à l’aéroport pendant une journée complète par des agents de renseignement syriens. Il a été longuement interrogé au sujet des activités ainsi que des allées et venues de son oncle. On lui a donné des gifles et des coups de pied et, en le libérant, on l’a averti que si jamais il s’engageait dans des activités antisyriennes, il serait arrêté et emprisonné.

Pendant cette visite, le requérant demeurait chez un ami, au Liban, lequel avait déjà été partisan de l’OLP, et ce, à l’insu du requérant. Des soldats syriens ont fouillé l’appartement de son ami et ont trouvé des documents de l’OLP. Le requérant et son ami ont été arrêtés. Pendant trois jours, le requérant a été battu et interrogé au sujet de son oncle et des activités de l’OLP. Un ami de la famille a obtenu la libération du requérant. Lorsque le requérant a été libéré, on l’a averti qu’il serait tué si jamais il prenait part aux activités antisyriennes et on l’a forcé à signer un document disant qu’il ne participerait pas à pareilles activités. On lui a dit qu’il serait davantage en sécurité s’il quittait le Liban et s’il n’y retournait jamais. À la suite de sa libération, les familles d’autres étudiants emprisonnés ont soupçonné le requérant d’être un indicateur et ont menacé de le tuer s’il arrivait quelque chose aux étudiants. Le requérant est retourné au Koweït deux ou trois semaines plus tard.

En juin 1988, le cousin du requérant a été arrêté et détenu pendant deux ans parce qu’il était soupçonné d’avoir des liens avec l’oncle du requérant et l’OLP. Il a été battu et torturé et, lorsqu’on l’a finalement libéré, il était atteint de troubles mentaux.

En juillet 1988, l’oncle du requérant a fui le Liban pour se rendre en Libye et il est encore recherché par les Syriens au Liban. Un autre cousin du requérant a été arrêté par le service de renseignements syrien et il a été amené pour être interrogé au sujet des allées et venues de l’oncle du requérant. Deux mois plus tard, son cadavre a été découvert; il avait été atteint de coups de fusil et torturé.

Enfin, en août 1988, le requérant a quitté le Koweït pour aller à l’université aux États-Unis. Il a fréquenté l’université de Toledo du mois d’août 1988 au mois de septembre 1990, puis du mois de novembre 1990 au mois d’avril 1992. Il est arrivé au Canada le 13 juillet 1992.

Les Palestiniens qui ont quitté le Koweït avant la guerre du Golfe ne sont pas autorisés à retourner dans ce pays.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

La Commission a d’abord conclu que le sous-alinéa 2(1)a)(i) [mod., idem] de la Loi ne s’appliquait pas au requérant. Que la « nationalité » soit définie comme étant la citoyenneté ou l’ethnie, il est clair que le requérant n’avait de pays de nationalité puisqu’il n’était citoyen d’aucun pays et, qu’à ce moment-là, la Palestine n’était pas un État.

En second lieu, la Commission a conclu que le requérant n’était pas visé par le sous-alinéa 2(1)a)(ii) [mod., idem] de la Loi. La Commission a adopté le critère à triple volet proposé par le professeur Hathaway dans The Law of Refugee Status (Toronto : Butterworths, 1991) en ce qui concerne la définition de ce qu’est la « résidence habituelle » [à la page 63] :

[traduction] Premièrement, le droit jurisprudentiel exige une longue période de résidence de facto dans l’État présumé de référence : une période d’un an semble être reconnue comme constituant une norme préliminaire raisonnable, et ce, bien que dans la plupart des décisions pertinentes, des personnes qui avaient résidé dans un État étranger pendant plusieurs années fussent de fait en cause. Deuxièmement, la résidence habituelle laisse entendre l’existence d’une demeure de facto et non une simple présence passagère. Troisièmement, soit l’élément le plus important, l’État est un pays de résidence habituelle uniquement si l’intéressé peut légalement y retourner. [C’est le tribunal qui souligne.]

La Commission a appliqué le critère à triple volet énoncé par le professeur Hathaway et a conclu ceci, à la page 8 de ses motifs de décision :

[traduction] L’application du critère à triple volet énoncé par le professeur Hathaway montre clairement que le Koweït n’est pas un « pays de résidence habituelle ». L’intéressé a habité dans ce pays pendant presque toute sa vie, mais selon la preuve non contredite qu’il a présentée, il ne peut plus y retourner. Le Koweït ne satisfait donc pas au troisième élément du critère qui, comme l’a dit le professeur Hathaway, est « le plus important ».

Quant au Liban, l’intéressé n’y a vécu que pendant cinq ans durant sa tendre enfance. Par la suite, il a fait un bref séjour au Liban, mais il semblerait qu’il n’y ait pas eu de « longue période de résidence de facto » de sorte que le premier élément du critère énoncé par le professeur Hathaway n’est pas satisfait. Le Liban n’est donc pas non plus un « pays de résidence habituelle ».

Compte tenu de cette analyse, la Commission a conclu que le requérant n’était pas visé par les paramètres de la définition et qu’on ne pouvait pas conclure qu’il était un réfugié au sens de la Convention.

Malgré la conclusion qu’elle a tirée, la Commission a ensuite examiné la revendication par rapport au Koweït et au Liban en se fondant sur ce que l’un ou l’autre de ces deux pays ou les deux pouvaient être considérés comme un « pays de résidence habituelle », proposition à laquelle elle a déclaré ne pas pouvoir souscrire. En ce qui concerne le Koweït, la Commission a conclu que [traduction] « puisque, selon son propre témoignage, on ne [pouvait] pas le renvoyer dans ce pays, il [était] manifestement absurde de soutenir qu’il [devait] être protégé à l’égard de ce pays ».

Quant au Liban, la Commission a conclu que, dans la mesure où le requérant craignait des représailles de la part des familles des personnes arrêtées après qu’il eut été détenu, ses craintes étaient peut-être fondées, mais que la crainte de vengeances personnelles n’équivalait pas à une crainte de « persécution » étant donné l’absence de complicité de la part de l’État. En outre, la Commission estimait que le requérant ne risquait pas réellement d’être persécuté par les forces syriennes au Liban. Comme elle l’a dit à la page 11 :

[traduction] Les difficultés auxquelles l’intéressé a fait face au Liban se sont produites pendant que la guerre civile y régnait, et découlaient de ce que certains membres de sa famille faisaient partie de l’OLP. Étant donné que la guerre civile a pris fin, le tribunal conclut que l’intéressé ne fait face qu’à une simple possibilité de persécution.

La conclusion de la Commission était étayée par la preuve selon laquelle, au Liban, la présence syrienne n’était pas telle que l’intéressé ne pouvait pas retourner dans la région de Tyr et de Sidon et éviter d’attirer l’attention. En outre, la Commission a conclu qu’il était fort peu probable que le Liban eût renouvelé les documents de voyage du requérant si celui-ci était recherché par les Syriens.

LES POINTS LITIGIEUX

Le requérant soulève un certain nombre de points. Ils peuvent effectivement être réunis sous deux rubriques principales :

1. La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que le requérant n’avait pas de pays de nationalité ou de résidence habituelle et qu’il n’était donc pas visé par la définition de « réfugié au sens de la Convention »?

2. La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que le requérant ne risquait pas réellement d’être persécuté s’il retournait au Liban ou au Koweït?

ARGUMENTS DU REQUÉRANT

I.          La résidence habituelle

Le requérant soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas un réfugié au sens de la Convention, au sens de la Loi. Le sous-alinéa 2(1)a)(i) ne s’applique pas au requérant, qui doit donc satisfaire aux exigences du sous-alinéa 2(1)a)(ii) de la Loi. En ce qui concerne cette dernière disposition, le requérant soutient, en se fondant sur le raisonnement qui a été fait par Atle Grahl-Madsen (The Status of Refugees in International Law (Leyden : A. W. Sijthoof, 1966)) et Lorne Waldman (Immigration Law and Practice, 1992), que la Commission a commis une erreur de droit en concluant que l’État devait officiellement conférer au particulier le droit de retour avant qu’on puisse le considérer comme un « pays de résidence habituelle ».

Atle Grahl-Madsen définit comme suit les mots « pays de résidence habituelle » [à la page 160, tome I] :

[traduction] Les mots « pays de résidence habituelle » sont des mots techniques conçus par les rédacteurs de la Convention relative aux réfugiés pour remplacer les mots « pays de nationalité » dans les cas où ces derniers mots ne sont pas pertinents. Le comité spécial définit le « pays de résidence habituelle » comme « le pays dans lequel [une personne] a résidé et où elle a été persécutée ou craint d’être persécutée si elle y retournait ».

Pour qu’un pays puisse être considéré comme le « pays de résidence habituelle », la personne en cause doit y avoir résidé, mais à cet égard il semble qu’une interprétation libérale soit adoptée. Il importe peu que la personne en cause soit née dans le pays ou y ait immigré, on ne peut pas exiger qu’elle y soit restée pendant une période déterminée, mais elle devrait être en mesure de montrer qu’elle y a établi sa demeure ou le centre de ses intérêts.

Lorne Waldman préfère le raisonnement de Grahl-Madsen à celui de Hathaway et soutient que le raisonnement que la Cour d’appel fédérale a fait dans l’arrêt Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605, étaye la première position (à la page 8.129, paragraphe 8.135) :

[traduction] Si l’intéressé est en mesure de fonder sa revendication sur des situations dans lesquelles l’État ne peut pas le protéger, il est certainement possible de soutenir qu’on ne devrait pas exiger que l’État veuille permettre à celui-ci d’y retourner pour qu’on puisse considérer cet État comme le « pays de résidence habituelle ».

Le requérant soutient que, compte tenu des principes énoncés par Atle Grahl-Madsen et Lorne Waldman, la Commission a commis une erreur en omettant de tenir compte des liens importants qu’il avait avec le Koweït et de conclure qu’il s’agissait d’un « pays de résidence habituelle » au sens de la Loi. En outre, en niant au requérant le droit de retour, le Koweït commettait un acte de persécution, et la Commission a commis une erreur de droit en omettant d’apprécier la situation du requérant dans le contexte de la persécution.

De plus, le requérant soutient que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu’elle a accordé plus d’importance aux opinions du professeur Hathaway en se fondant sur des considérations non pertinentes, c’est-à-dire le fait qu’il est canadien et que ses écrits sont plus récents que ceux de Grahl-Madsen et le fait que son raisonnement a été adopté par la Cour fédérale dans d’autres arrêts non pertinents. La Commission a également commis une erreur de droit en omettant de tenir compte du fait que les dispositions de la Convention relative au statut des apatrides [28 septembre 1954, 360 R.T.N.U. 117] s’appliqueraient à juste titre au requérant. Le fait que le Canada n’était pas partie à cette convention devrait influer sur l’interprétation de la Convention de 1951 [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, le 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] en ce qui concerne les réfugiés et, par conséquent, sur le paragraphe 2(1) de la Loi.

Subsidiairement, le requérant soutient que la Commission a commis une erreur de droit en omettant de conclure que le Liban était le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle. Il affirme que, selon le raisonnement d’Atle Grahl-Madsen, toute personne a un pays d’origine ou de résidence habituelle et que, si le Koweït n’est pas le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, le Liban l’est nécessairement. Le requérant soutient que l’incorporation par la Commission de l’exigence relative à une [traduction] « longue période de résidence de facto » dans la définition de la « résidence habituelle » constitue une erreur. La Commission a omis de tenir compte des liens qui existaient entre le requérant et le Liban : le lieu de naissance, la reconnaissance par les NU, les liens familiaux, la délivrance de documents de voyage et le contact continu de sa famille immédiate avec le pays.

II.         Crainte fondée de persécution

Le requérant soutient que le fait que la guerre civile est terminée au Liban est une considération non pertinente en ce qui concerne la détermination de sa revendication. La Commission a omis d’établir un lien entre le contexte de la guerre civile et la persécution du requérant. En outre, la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’existait qu’une simple possibilité que l’intéressé soit persécuté compte tenu de la preuve que celui-ci avait présentée.

De plus, la Commission a commis une erreur de droit en concluant effectivement que le requérant disposait d’une possibilité de refuge dans une autre partie du pays alors qu’elle a omis, en déterminant l’existence de pareille solution de rechange, d’examiner le critère juridique requis à cet égard, lequel est énoncé dans l’arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.) de la Cour fédérale. En se fondant sur un document d’Amnistie Internationale, la Commission a conclu que le requérant pouvait retourner dans la région de Sidon et de Tyr, où la présence syrienne était moins évidente et où les contrôles étaient dotés par les forces libanaises. La Commission a effectivement conclu qu’il existait une possibilité de refuge dans une autre partie du pays alors que, selon les faits, elle avait uniquement conclu que le requérant pouvait entrer au Liban à Sidon ou à Tyr, et non qu’il ne risquait pas réellement d’être persécuté dans cette région-là. En outre, il serait déraisonnable de contraindre l’intéressé en l’espèce à chercher refuge uniquement dans la région de Tyr et de Sidon, ce qui en pratique l’oblige à demeurer dans les camps de réfugiés qui y sont mis à sa disposition. Enfin, la Commission a tiré une conclusion de fait erronée, à savoir qu’étant donné que le contrôle syrien était omniprésent au Liban, le gouvernement libanais n’aurait pas renouvelé les documents de voyage d’une personne qui était vraiment recherchée par les Syriens. La Commission a commis une erreur en concluant que le requérant n’avait pas raison de craindre d’être persécuté au Liban, et elle l’a fait d’une façon arbitraire, sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

De plus, à la lumière de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, de la Cour suprême du Canada, la Commission a commis une erreur en jugeant que la complicité étatique constituait un élément nécessaire de la persécution.

Enfin, la Commission a créé une appréhension raisonnable de partialité en citant dans ses motifs les remarques qu’avait faites la Cour fédérale dans l’arrêt Urbanek c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 17 Imm. L.R. (2d) 153 (C.A.F.), à la page 154, à savoir que « ce processus [le processus de reconnaissance du statut de réfugié] … [ne] vise [pas] à fournir un moyen rapide et pratique d’obtenir le droit d’établissement ». En citant ces remarques particulières, la Commission voulait contester les motifs de l’intéressé alors qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve remettant en question lesdits motifs.

ARGUMENTS DE L’INTIMÉ

I.          La résidence habituelle

La Commission n’a commis aucune erreur de droit susceptible de contrôle en appliquant le critère à triple volet énoncé par le professeur Hathaway à l’égard du « pays de résidence habituelle ». En outre, la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en concluant, compte tenu des faits dont elle disposait, que le requérant n’avait pas de pays de résidence habituelle et qu’il n’était donc pas visé par la définition de « réfugié au sens de la Convention ».

II.         Crainte fondée de persécution

La Commission n’a commis aucune erreur de fait susceptible de contrôle en concluant qu’il n’existait aucune possibilité raisonnable de persécution au Liban et au Koweït, compte tenu de la preuve dont elle disposait : la preuve documentaire, les documents de voyage du requérant et le témoignage viva voce de ce dernier, confirmant qu’on ne pouvait pas le renvoyer au Koweït. Étant donné qu’on ne pouvait pas renvoyer le requérant au Koweït, la Commission pouvait avec raison conclure que [traduction] « non seulement il n’exist[ait] aucune possibilité raisonnable que l’intéressé [fût] persécuté, mais [qu’]il n’exist[ait] tout simplement aucune possibilité. Comment une personne peut-elle alléguer craindre d’être renvoyée au Koweït lorsqu’elle ne peut pas y être renvoyée »?

Quant à l’allégation selon laquelle il avait raison de craindre d’être persécuté au Liban, le requérant a dit craindre d’être persécuté par les familles des personnes qui avaient été arrêtées et qui le considéraient comme un indicateur. L’intimé, s’appuyant sur l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward [[1990] 2 C.F. 667] de la Cour d’appel fédérale, soutient que la participation de l’État, ou la complicité de l’État, est une condition sine qua non de la persécution. En outre, la preuve documentaire et le fait que le Liban a délivré des documents de voyage au requérant étayent la conclusion de la Commission selon laquelle le requérant ne risquait pas réellement d’être persécuté par les forces syriennes.

ANALYSE

I.          La résidence habituelle

La définition de l’expression « réfugié au sens de la Convention » figure au paragraphe 2(1) de la Loi et est ainsi libellée :

2.

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

a) qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) n’a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Le fondement de la protection internationale fournie aux réfugiés est, comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, précité (juge La Forest, à la page 752) de « servir de mesure auxiliaire qui n’entre en jeu qu’en l’absence d’appui national ». Pour qu’un apatride, c’est-à-dire une personne sans pays de nationalité, soit visé par cette définition, deux facteurs doivent être établis. En premier lieu, il faut identifier le pays dans lequel la personne en question avait sa résidence habituelle. En second lieu, l’intéressé doit être en dehors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle ou ne pas être capable d’y retourner parce qu’il craint avec raison d’être persécuté pour l’un des motifs énumérés dans la définition. Étant donné que le Canada n’a pas ratifié la Convention relative au statut des apatrides, 360 R.T.N.U. 117, l’apatride qui n’est pas visé par la définition de « réfugié au sens de la Convention » n’a apparemment aucun recours au Canada.

En l’espèce, la principale question à trancher se rapporte à la définition des mots « résidence habituelle ». Il s’agit en particulier de savoir si la définition de « résidence habituelle » exige que l’intéressé puisse légalement retourner dans ce pays. Jusqu’à ce jour, la Cour fédérale n’a pas examiné la définition de ces mots. Les arrêts dans lesquels la question de la qualité d’apatride a été soulevée ont plutôt été tranchés pour d’autres motifs. Ainsi, dans l’arrêt Arafa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.F. 1re inst. no A-663-92, 3 nov. 1993), la définition de « résidence habituelle » était potentiellement en litige. L’intéressé était un Palestinien né dans les Émirats arabes unis (les ÉAU). La Cour disposait de certains éléments de preuve selon lesquels l’autorisation de demeurer dans les ÉAU ou d’y résider qui avait été accordée à l’intéressé avait expiré avant que sa revendication soit entendue par la section du statut. Toutefois, la Cour a décidé de retenir la preuve présentée par l’intéressé, à savoir qu’il pourrait retourner dans les ÉAU pendant de brèves périodes déterminées pour visiter sa famille, et a donc conclu que les ÉAU étaient le « pays de résidence habituelle », sans examiner le sens de ces mots. La Cour a rejeté la revendication de l’intéressé pour le motif qu’il n’avait pas montré qu’il avait raison de craindre d’être persécuté.

Par contre, la définition de « pays de résidence habituelle » a fait l’objet de nombreux examens dans la littérature juridique. Toutefois, les opinions des deux auteurs qui font autorité dans ce domaine (Grahl-Madsen et Hathaway) sont contradictoires. Avant d’examiner leurs théories contradictoires, il vaut la peine de noter que les deux auteurs conviennent que les apatrides ne sont pas tous des réfugiés au sens de la Convention. Pour qu’une apatride soit un réfugié, il doit être en dehors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, et ce, pour l’un des motifs énumérés dans la définition de « réfugié au sens de la Convention ». Ce point est étayé tant par la définition de « réfugié au sens de la Convention » elle-même que par l’examen du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du HCNUR (1979 : Genève), à la page 5, paragraphe 102) (le Guide).

Grahl-Madsen soutient que le « pays de résidence habituelle » est le pays où la persécution a initialement eu lieu : [traduction] « le pays que l’apatride devait fuir en premier lieu demeure le « pays de résidence habituelle » pendant toute sa vie de réfugié, indépendamment des changements subséquents de résidence de fait » (à la page 162, tome 1). Par contre, Hathaway soutient que l’État a partir duquel la première fuite a eu lieu est souvent l’État avec lequel l’intéressé conserve les principaux liens juridiques officiels, mais que ce dernier peut avoir des liens officiels plus forts avec un autre pays ou d’autres pays. Hathaway soutient qu’il s’agit essentiellement d’établir dans quels pays on peut renvoyer l’apatride, puisque le droit des réfugiés cherche à empêcher le renvoi d’une personne dans un pays où elle risque d’être persécutée (à la page 62).

Lorne Waldman critique le point de vue de Hathaway, à savoir que la notion de résidence habituelle est liée au droit que possède l’intéressé de retourner dans le pays. Il soutient que l’État peut persécuter une personne en lui niant le droit de retour. Selon Waldman, la position de Hathaway donne à l’autorité persécutrice un pouvoir étendu sur le droit que possède l’intéressé d’exercer un recours en vertu de la Convention. Waldman affirme qu’étant donné que la notion de résidence habituelle n’est pas nécessairement liée au droit que possède l’intéressé de retourner dans un pays, les personnes qui n’ont pas de nationalité peuvent demander à être protégées en tant que réfugiées si elles ont eu plus qu’un simple lien transitoire avec un pays dans lequel elles résidaient avant de chercher à établir un lien avec le Canada. À l’appui de cet argument, Waldman dit ceci, à la page 8.129, paragraphe 8.135 :

[traduction] Ce raisonnement est conforme aux principes que la Cour fédérale a énoncés dans l’arrêt Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (30 avril 1991), no de greffe A-382-90 (C.A.F.), dans lequel la Cour a reconnu que la participation de l’État ne constitue pas un élément essentiel de la persécution lorsqu’une personne ne peut pas se réclamer de la protection de l’État. Si la personne en cause peut fonder sa revendication sur des situations dans lesquelles l’État ne peut pas la protéger, il est certainement possible de soutenir qu’on ne devrait pas exiger que l’État veuille permettre à la personne en cause de retourner dans le pays avant qu’il puisse être considéré comme un « pays de résidence habituelle ».

Il est à noter que, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, précité, la Cour suprême du Canada a confirmé le raisonnement qui avait été fait dans l’arrêt Zalzali, précité.

À mon avis, le Guide fournit un cadre utile permettant de définir ce qu’est un « pays de résidence habituelle » et d’analyser les positions contradictoires de Grahl-Madsen et de Hathaway. En premier lieu, l’opinion de Grahl-Madsen selon laquelle la résidence habituelle se rapporte seulement au pays où la persécution a initialement eu lieu semble beaucoup trop restrictive. Comme le Guide le dit, à la page 25, paragraphe 104 :

104. Pour un apatride, il peut y avoir plusieurs pays dans lesquels il a eu sa résidence habituelle et il peut craindre des persécutions sur le territoire de plusieurs d’entre eux. La définition n’exige pas que le réfugié apatride satisfasse aux conditions qu’elle pose vis-à-vis de tous ces pays.

En second lieu, l’argument de Hathaway voulant que, pour avoir sa résidence habituelle dans un pays, l’intéressé doive être légalement capable d’y retourner crée un obstacle important et est contraire au fondement de la protection internationale conférée aux réfugiés. Comme le Guide le dit au paragraphe 101 [à la page 25] : « [L]orsqu’un apatride a quitté le pays où il avait sa résidence habituelle pour les raisons indiquées dans la définition, il n’est généralement pas en mesure d’y retourner. » En tant qu’acte final de persécution, l’État pourrait dépouiller une personne du droit de retourner dans ce pays. Ainsi, exiger que l’intéressé ait un droit de retour reconnu en droit permettrait à l’État persécuteur d’exercer un contrôle sur le recours de l’intéressé à la Convention et, en fait, de saper son but humanitaire.

Enfin, il faut prendre en considération ce que l’intéressé doit établir, en ce qui concerne les liens qu’il a avec un pays, pour que ce pays soit celui dans lequel il avait sa résidence habituelle. Grahl-Madsen et Hathaway conviennent tous les deux que, pour qu’il y ait résidence habituelle, il faut plus qu’une présence passagère dans un pays. Hathaway affirme que l’intéressé devrait établir une résidence de facto pendant une longue période, une période d’un an étant considérée comme raisonnable aux fins du critère préliminaire. De même Grahl-Madsen dit ceci, à la page 160, tome 1 :

[traduction] Il importe peu qu’une personne soit née dans le pays ou y ait immigré, on ne peut pas exiger qu’elle y soit restée pendant une période déterminée, mais elle devrait être en mesure de montrer qu’elle y a établi sa demeure ou le centre de ses intérêts.

Le Guide cite simplement les rédacteurs de la Convention de 1951 : « [L]e pays où le réfugié avait sa résidence et où il a été victime de persécutions ou craint de l’être s’il y retourne » (à la page 25, paragraphe 103). À mon avis, la notion de « résidence habituelle » vise à établir une relation avec un État qui est en général comparable à celle qui existe entre un citoyen et son pays de nationalité. Ainsi, on entend une situation dans laquelle un apatride a été admis dans un pays donné en vue d’y établir une résidence continue pendant un certain temps, sans exiger une période minimum de résidence.

Bref, la définition de « pays de résidence habituelle » ne devrait pas être restrictive au point d’éliminer l’octroi d’un refuge « auxiliaire » à un apatride qui a démontré qu’il a raison de craindre d’être persécuté pour l’un des motifs énumérés au paragraphe 2(1) de la Loi. En outre, le « pays de résidence » ne devrait pas être limité au pays où l’intéressé craignait initialement d’être persécuté. Enfin, l’intéressé n’a pas à être légalement capable de retourner dans un pays de résidence habituelle puisque la négation du droit de retour peut en soi constituer un acte de persécution de la part de l’État. Toutefois, l’intéressé doit avoir établi une résidence de facto pendant une longue période dans le pays en question.

Par conséquent, la Commission a commis une erreur en définissant le « pays de résidence habituelle » et en appliquant sa définition à la présente espèce. En particulier, elle a commis une erreur en rejetant le Koweït comme « pays de résidence habituelle » pour le motif que le requérant ne pouvait pas légalement y retourner. Quant au Liban, le droit que possède le requérant d’y retourner n’était pas en litige; toutefois, compte tenu de la preuve dont elle disposait, la Commission a commis une erreur en concluant que le requérant n’avait pas établi une résidence de facto pendant une longue période dans ce pays.

II.         Crainte fondée de persécution

La Commission a clairement déclaré que la détermination de la question de savoir si le requérant avait raison de craindre d’être persécuté ne servait pas de fondement à sa décision. Toutefois, il importe de noter que la Commission a commis un certain nombre d’erreurs en examinant cette question. Premièrement, elle a commis une erreur en exigeant que l’intéressé démontre l’existence d’un élément de complicité de la part de l’État, en ce qui concerne la persécution qu’il craignait de la part des familles des personnes arrêtées après qu’il eut été détenu, plutôt qu’en se demandant si l’État pouvait protéger celui-ci contre la persécution. Comme la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, précité [à la page 726] :

Bref, je conclus que la complicité de l’État n’est pas un élément nécessaire de la persécution, que ce soit sous le volet « ne veut » ou sous le volet « ne peut » de la définition. Une crainte subjective de persécution conjuguée à l’incapacité de l’État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée.

Deuxièmement, la Commission a commis une erreur en concluant effectivement à l’existence d’une possibilité de refuge dans une autre partie du pays, soit dans la région de Tyr et de Sidon, sans examiner le critère pertinent à cette fin. L’arrêt récent de la Cour d’appel fédérale, Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, a confirmé le critère énoncé à cet égard dans l’arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), précité, mais la Cour a mis l’accent sur le fait qu’il incombait à l’intéressé de montrer, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution dans tout le pays, y compris dans la présumée région offrant une possibilité de refuge. En outre, la Cour a mis l’accent sur l’élément disponibilité du critère énoncé dans l’arrêt Rasaratnam, de sorte qu’il s’agissait de savoir si, puisque l’intéressé était persécuté dans la partie du pays où il habitait, il serait objectivement raisonnable de s’attendre à ce qu’il cherche d’abord à se réfugier dans le pays.

Par conséquent, étant donné l’erreur commise par la section du statut de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, la décision du 14 janvier 1993, dans laquelle il a été conclu que le requérant n’était pas un réfugié au sens de la Convention, est annulée et une nouvelle audience est accordée au requérant.

L’avocat de l’intimé a soutenu qu’il faudrait certifier une question, conformément au paragraphe 83(1) de la Loi (mod. par L.C. 1992, ch. 49, article 73), aux fins d’un appel possible à la Cour d’appel fédérale. La question, libellée par l’intimé dans la lettre qu’il a envoyée à la Cour fédérale le 1er décembre 1993, est la suivante :

[traduction] Le critère qu’il convient d’appliquer pour déterminer le pays dans lequel le requérant avait sa résidence habituelle en vertu du sous-alinéa 2(1)a)(ii) (définition de l’expression « réfugié au sens de la Convention ») de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, est-il le critère suivant?

(i)   Le requérant doit d’abord établir l’existence d’une résidence de facto dans un pays;

(ii)  Le requérant doit établir qu’il a quitté cet endroit en raison de la persécution;

(iii)  Le statut de réfugié peut être accordé à l’apatride à l’égard de l’un quelconque des pays où il a résidé (résidence de facto) et qu’il a quitté en raison de la persécution s’il démontre ensuite qu’il existe une possibilité sérieuse de persécution s’il retourne à cet endroit.

À mon avis, cela constitue de fait une question grave de portée générale dont l’attestation est justifiée en vertu de la Loi.

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