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T-593-00

2002 CFPI 221

Arjen Pellikaan (demandeur)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

Répertorié: Pellikaan c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, protonotaire Hargrave-- Vancouver, 25 et 27 février 2002.

Pratique -- Actes de procédure -- Requête en radiation -- Une ferme laitière et une entreprise de fabrication de fromage avaient été fermées parce que le lait et les produits laitiers n'étaient pas transformés et pasteurisés conformément à la Milk Industry Act de la Colombie-Britannique -- Le demandeur avait allégué la discrimination, en violation de la Charte, ainsi qu'un complot, des ruptures de contrat, des fausses déclarations, l'intrusion et la saisie illégale -- Examen de la jurisprudence sur la radiation des actes de procédure -- Actes de procédure insuffisants -- Absence de faits substantiels -- Incapacité de fournir des précisions -- La procédure était fondamentalement vexatoire et ne révélait aucune cause d'action valable -- Aucune possibilité de modification réparatrice.

Le demandeur exploitait une grosse ferme laitière et une entreprise de fabrication de fromage près de Chilliwack (Colombie-Britannique). L'entreprise a été fermée en 1990 parce que le lait et les produits laitiers du demandeur n'étaient pas transformés et pasteurisés conformément à la Milk Industry Act de la Colombie-Britannique. Le demandeur allègue fondamentalement que la Commission canadienne du lait et le Milk Marketing Board de la Colombie-Britannique ont agi d'une façon discriminatoire envers lui, en violation de la Charte, des lois canadiennes, des lois internationales et de l'Accord de libre-échange. Il a également allégué un complot, des ruptures de contrat, des fausses déclarations, l'intrusion et la saisie illégale. La présente requête visant la radiation de la déclaration découle d'un acte de procédure insuffisant, de l'incapacité de fournir des précisions et de l'ordonnance rendue par la Section de première instance au mois de janvier 2002, dans laquelle il avait été conclu qu'en l'absence de précisions supplémentaires, l'avocate du ministre devait présenter la demande ici en cause.

Jugement: l'action est radiée et rejetée sans autorisation de la modifier.

La défenderesse n'a jamais demandé la radiation de la procédure en raison de l'inobservation de l'ordonnance exigeant ces précisions. La défenderesse conteste plutôt le bien-fondé de l'action, en se fondant en bonne partie sur le fait qu'il n'y a pas suffisamment de précisions pour lui permettre de comprendre l'action et de présenter une défense acceptable.

Certaines décisions de la Cour suprême de la Colombie-Britannique énoncent des principes fondamentaux clairs au sujet de la question de l'acte de procédure approprié, et fournissent une perspective utile, intéressante et pertinente indépendamment de la jurisprudence de la Cour fédérale. Il s'agit d'une perspective qui est tout à fait pertinente en ce qui concerne la règle 174 des Règles de la Cour fédérale (1998) (tout acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde) et la question de l'acte de procédure approprié. L'idée selon laquelle un acte de procédure doit énoncer des faits substantiels est fondamentale en ce qui concerne le droit relatif aux actes de procédure: Homalco Indian Band v. British Columbia (1998), 25 C.P.C. (4th) 107 (C.S.C.-B.). Les règles régissant les actes de procédure visent non seulement à permettre à la défenderesse de comprendre la demande, mais aussi à lui permettre de donner une réponse motivée intelligente.

Dans la déclaration, le demandeur n'a pas mentionné une disposition précise de la Charte, ou une autre disposition législative, ou encore une disposition du droit international, qui aurait selon lui été violée ou sur laquelle il se fondait. Il a également omis, en particulier en ce qui concerne l'allégation de complot, d'énoncer les faits substantiels sur lesquels il se fondait ou de fournir les précisions nécessaires.

En somme, la déclaration est si générale et si englobante, tout en étant dépourvue de précisions, que la défenderesse ne serait pas en mesure de rédiger une réponse utile instructive; bref, il s'agit d'une procédure vexatoire, une procédure sur laquelle la Cour elle-même aurait de la difficulté à exercer un contrôle. Il s'agit donc d'une procédure fondamentalement vexatoire. De plus, la déclaration renferme tant d'allégations diverses, sans précisions, qu'il serait presque impossible pour un tribunal de réglementer l'instruction de la façon appropriée ou de transformer les diverses allégations en réparations. Partant, cela constitue un abus du système et la procédure devrait être radiée. Enfin, la déclaration n'énonce aucune cause d'action valable.

En l'espèce, la déclaration a une portée si étendue et générale qu'aucune modification ne semblerait utile. C'est d'autant plus le cas que le demandeur n'a pas pu donner de précisions au sujet des assertions générales. La déclaration est donc radiée, sans autorisation de la modifier.

L'action devrait être rejetée. Dans ce cas-ci, les précisions altèrent d'une certaine façon la déclaration parce que, même si une directive précise a été donnée et même si une ordonnance a été rendue par la Cour, le demandeur n'a pu fournir aucune précision. Cela étant, la défenderesse ne devrait pas être exposée à la possibilité que le demandeur intente une action générale non fondée similaire dans l'avenir, d'autant plus que cette affaire a déjà été débattue, sous une forme ou une autre, devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

lois et règlements

Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2.

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15(1).

Milk Industry Act, R.S.B.C. 1979, ch. 258.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 174.

jurisprudence

décisions appliquées:

Apotex Inc. c. Hoffman-La Roche Ltd. (1985), 6 C.P.R. (3d) 117 (C.F. 1re inst.); Chalet Bar B-Q (Canada) Inc. c. Foodcorp Ltd. (1982), 47 N.R. 172 (C.A.F.); Nourhaghighi c. Canada, [1998] A.C.F. no 1727 (C.A.F.); Guetta c. La Reine (1974), 17 C.P.R. (2d) 31 (C.F. 1re inst.); Bruce c. Odhams Press Ld., [1936] 1 K.B. 697 (C.A.); Homalco Indian Band v. British Columbia (1998), 25 C.P.C. (4th) 107 (C.S.C.-B.); Nation Crie de Kelly Lake c. Canada, [1998] 2 C.F. 270; (1997), 140 F.T.R. 9 (1re inst.); Murray c. Commission de la Fonction publique du Canada (1978), 21 N.R. 230 (C.A.F.); Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; Glaxo Canada Inc. c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social (1987), 15 C.P.R. (3d) 1; 111 F.T.R. 121 (C.F. 1re inst.); Ciments Canada LaFarge Ltée c. British Columbia Lightweight Aggregate Ltd., [1983] 1 R.C.S. 452; (1983), 145 D.L.R. (3d) 385; [1983] 6 W.W.R. 385; 21 B.L.R. 254; 24 C.C.L.T. 111; 72 C.P.R. (2d) 1; 47 N.R. 191; Temperton v. Russell and Others (1893), 9 T.L.R. 319 (C.A.).

doctrine

Fraser, Peter G. and John W. Horn. The Conduct of Civil Litigation in British Columbia. Vancouver: Butterworths, 1994.

REQUÊTE en radiation de la déclaration découlant d'un acte de procédure insuffisant, de l'incapacité de fournir des précisions et de l'ordonnance rendue par M. le juge Rouleau le 15 janvier 2002, invitant l'avocate du ministre, en l'absence de précisions supplémentaires, à présenter la demande ici en cause. L'action est radiée et rejetée, sans autorisation de la modifier.

ont comparu:

Personne n'a comparu pour le demandeur.

Shirley Parks pour la défenderesse.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[1]Le protonotaire Hargrave: Cette requête visant la radiation de la déclaration découle d'un acte de procédure insuffisant, de l'incapacité de fournir des précisions et de l'ordonnance rendue par M. le juge Rouleau le 15 janvier 2002. Dans cette ordonnance, le juge Rouleau, en l'absence de précisions supplémentaires, a invité l'avocate du ministre à présenter la demande ici en cause.

[2]L'avocate du ministre ayant été entendue, les documents et circonstances ayant été pris en considération et le demandeur ayant informé la Cour par l'entremise d'un représentant qu'il ne participerait pas à l'instance, l'action est radiée et rejetée sans autorisation de la modifier.

HISTORIQUE

[3]En ce qui concerne l'historique de l'affaire, le demandeur, qui déclare qu'il exploitait une grosse ferme laitière et une entreprise de fabrication de fromage près de Chilliwack, a dû mettre fin à son entreprise en 1990. En effet, le procureur général et le ministre de la Santé de la Colombie-Britannique avaient alors obtenu des ordonnances restrictives provisoires et permanentes dans une instance engagée devant la Cour suprême de la Colombe-Britannique, ces ordonnances empêchant M. Pellikaan de vendre, de distribuer et de fournir du lait et des produits laitiers qui n'avaient pas été transformés et pasteurisés conformément à la Milk Industry Act, R.S.B.C. 1979, ch. 258 et à son règlement d'application.

[4]Cette action, qui a été intentée le 23 mars 2000, est semblable à une action antérieure intentée par le demandeur devant la Cour fédérale dans le dossier T-1283-97, laquelle a été rejetée pour cause de retard il y a plusieurs années. La présente déclaration est difficile à lire et à comprendre, mais il semble y être fondamentalement allégué que la Commission canadienne du lait et le Milk Marketing Board de la Colombie-Britannique ont agi d'une façon discriminatoire envers le demandeur, en violation de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], des lois canadiennes, des lois internationales et de l'Accord de libre-échange [Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement des Étaits-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2]. Cette description générale ne tient pas compte des allégations de discrimination et de complot de la part de la ville de Vancouver, du service de police de la ville de Vancouver, du ministère provincial de la Santé, de l'East Chilliwack Co-op Association, d'un cabinet d'avocats de Vancouver, de la Law Society of British Columbia et d'un laboratoire d'essai: dans ce cas-ci, la Cour n'a pas compétence sur ces entités, qui ne sont pas parties à l'action, et je n'ai donc pas à tenir compte des allégations qui ont été faites contre elles.

[5]Cette action a fait l'objet d'un examen de l'état de l'instance au mois d'avril 2001. À ce moment-là, M. Pellikaan était malade, mais il a fait savoir qu'il pouvait, dans les 45 jours suivant la date de la demande, signifier un avis de demande en vue de la tenue d'une conférence préparatoire. Par une ordonnance relative à la gestion de l'instance en date du 5 juillet 2001, M. Pellikaan et l'avocate de la Couronne devaient déposer un calendrier avant la fin du mois de juillet. Or, seule l'avocate de la Couronne a soumis un calendrier, par suite duquel une demande devait être faite en vue de la tenue d'une conférence préparatoire au plus tard le 21 septembre 2001. Le demandeur n'ayant pas tenu compte du calendrier, j'ai fixé au 6 décembre 2001 la date de la conférence préparatoire. Le 6 décembre, il est devenu apparent qu'il était prématuré de fixer la date de l'instruction puisque les documents n'avaient pas été produits et que l'interrogatoire préalable n'avait pas eu lieu. En outre, la défenderesse avait demandé des précisions, mais le demandeur avait refusé de répondre. Au moyen d'une directive donnée à la suite de la conférence du 6 décembre 2001, le demandeur devait déposer et signifier des précisions avant la fermeture des bureaux du greffe, le 11 janvier 2002.

[6]Le 17 décembre 2001, j'ai entendu une requête, qui avait été présentée pour le compte du demandeur et visait à faire fixer la date de l'instruction, à saisir un juge des requêtes futures et à obliger la défenderesse à fournir des précisions à l'égard d'une demande future visant l'obtention d'un permis fédéral de production de fromage en Colombie-Britannique, ainsi qu'une requête permettant à un profane, M. Stromotich, de représenter le demandeur, de temps en temps, comme le ferait un avocat inscrit au dossier. Ces requêtes ont été rejetées. Cette ordonnance n'a apparemment pas été portée en appel. Toutefois, le demandeur a entre autres choses interjeté appel contre la directive du 6 décembre 2001. Le juge Rouleau, qui a entendu cette demande, a fait savoir que les directives ne pouvaient pas être portées en appel. Il a ensuite examiné les précisions que le demandeur avait fournies le 11 janvier 2002 et il a dit ce qui suit:

[traduction] Dans la directive, j'ai fait remarquer que le demandeur devait fournir des précisions à la défenderesse afin de permettre au ministre de déposer une défense. Il fallait satisfaire à cette directive au plus tard le 11 janvier 2002.

Une copie des «Précisions» a été fournie au ministre le vendredi 11 janvier 2002, conformément à la directive.

La Couronne a produit le document désigné sous le nom de «Précisions». J'ai examiné le document et je suis convaincu qu'il n'est pas de nature à informer suffisamment l'avocate du ministre et à lui permettre de préparer une défense adéquate. On reprend simplement la déclaration en y ajoutant des modifications.

Le demandeur allègue fondamentalement que la Charte a été violée, mais il ne mentionne ou ne révèle nulle part les dispositions de la loi ou des règlements régissant la Commission canadienne du lait, ce qui fait l'objet de la contestation. Or, ces renseignements sont essentiels afin de permettre à l'avocate de la défense d'être suffisamment au courant de la situation pour être en mesure de préparer une défense adéquate. À deux reprises devant le protonotaire, cette exigence a été invoquée par l'avocate de la défense et on m'a informé que des directives en ce sens avaient été données au demandeur.

Il est par les présentes ordonné que des précisions supplémentaires soient fournies au plus tard le 31 janvier 2002. En cas d'inobservation, j'invite l'avocate du ministre à présenter une demande en vue de faire radier l'action.

Somme toute, le demandeur devait fournir des précisions supplémentaires au plus tard le 31 janvier 2002, à défaut de quoi l'avocate du ministre était invitée à présenter une demande en vue de faire radier l'action. Or, aucune précision supplémentaire n'a été fournie. Dans ce cas-ci, je ne crois pas que le demandeur ne voulait pas fournir des précisions supplémentaires. En effet, il a volontiers convenu lors d'une conférence antérieure relative à la gestion de l'instance de fournir l'ensemble initial de précisions; de plus, je ne lui impute aucune intention malveillante de ne pas tenir compte de l'ordonnance visant l'obtention de précisions supplémentaires. Les circonstances indiquent plutôt que le demandeur n'était pas capable de fournir des précisions.

[7]Il existe un autre élément d'information dont je devrais faire mention. Le 22 février 2002, le ministère de la Justice, à Vancouver, a reçu une copie d'une lettre envoyée par M. Stromotich, la lettre étant adressée à l'administrateur de la Cour d'appel fédérale, à Ottawa. Le ministère de la Justice a fourni à la Cour fédérale, à Vancouver, une copie de cette lettre. Auparavant, M. Stromotich s'était vu refuser, au moyen d'une directive datée du 12 décembre 2001, réitérée dans une ordonnance en date du 19 décembre 2001, la permission d'agir comme représentant de M. Pellikaan. Dans sa lettre du 22 février 2002, M. Stromotich a dit plusieurs choses, et notamment que M. Pellikaan ne comparaîtrait pas à l'audition de la présente requête. M. Stromotich cherchait également à savoir si la Cour d'appel voulait qu'il présente une requête, pour le compte de M. Pellikaan, en vue de faire suspendre l'instance devant la Section de première instance de la Cour fédérale. Cela soulève deux points pertinents. En premier lieu, il incombe à une partie de protéger ses intérêts dans un litige en prenant part à la procédure y afférente. C'est d'autant plus le cas lorsque le demandeur a reçu signification de la façon régulière d'une requête visant la radiation de la déclaration, puisque le fait de ne pas tenir compte de la requête ou d'écrire d'une façon officieuse à la Section d'appel pour obtenir une réparation ne constitue pas une réponse. Si M. Pellikaan avait voulu faire suspendre la présente requête, il aurait pu demander une suspension en temps opportun ou il aurait même pu demander l'ajournement de la requête, afin d'avoir le temps de demander une suspension. En fait, M. Pellikaan a omis de prendre des mesures raisonnables pour protéger son action. L'avocate de la Couronne a donc le droit de poursuivre sa requête. En second lieu, un avis d'appel de l'ordonnance rendue par le juge Rouleau le 15 janvier 2002 est en instance. Or, un appel d'une ordonnance interlocutoire n'a pas nécessairement pour effet de suspendre une instance engagée devant la Section de première instance, mais il incombe plutôt au demandeur d'établir qu'il a droit à la suspension: voir par exemple Apotex Inc. c. Hoffman-La Roche Ltd. (1985), 6 C.P.R. (3d) 117 (C.F. 1re inst.), aux pages 119 et 120. Toutefois, il s'agit également de savoir s'il est approprié et utile de poursuivre une requête visant la radiation de la déclaration compte tenu d'un appel en instance, point que j'examinerai maintenant.

[8]Je ne veux pas sembler empiéter sur le champ de compétence de la Section d'appel. Toutefois, le champ de compétence de la Cour d'appel sur une question donnée est, sous réserve du pouvoir discrétionnaire qu'elle possède, généralement limité aux questions mentionnées dans les actes de procédure ou dont la Section de première instance a été saisie: voir par exemple Chalet Bar B-Q (Canada) Inc. c. Foodcorp Ltd. (1982), 47 N.R. 172 (C.A.F), à la page 175, décision rendue par M. le juge en chef Thurlow.

[9]Le présent avis d'appel se rapporte à l'ordonnance interlocutoire rendue le 15 janvier 2002 par le juge Rouleau; l'avis d'appel a été déposé le 15 février 2002. L'ordonnance du juge Rouleau portait uniquement sur une demande visant la production de la bande d'enregistrement du sténographe; le juge a refusé d'ordonner sa production puisque rien ne montrait que l'on eût agi d'une façon malhonnête ou qu'il y ait eu complot; l'ordonnance traitait également de la tentative que M. Stromotich avait faite pour intervenir à titre de conseil et de la tentative qui avait été faite pour qu'une directive soit portée en appel; elle traitait en outre de la question des précisions supplémentaires. L'appel de l'ordonnance du juge Rouleau qui est en instance porte sur certaines de ces questions, mais on ne conteste pas l'ordonnance du juge Rouleau en ce qui concerne la question des précisions supplémentaires, ou l'invitation que le juge a faite à l'avocate de la Couronne pour qu'elle présente une demande de radiation de l'action. J'examinerai maintenant le bien-fondé de la présente requête.

EXAMEN

[10]Il a été ordonné au demandeur de produire des précisions supplémentaires au plus tard le 31 janvier 2002, mais la défenderesse ne demande pas la radiation de la procédure en raison de l'inobservation de l'ordonnance du 12 janvier 2002 exigeant ces précisions. La défenderesse conteste plutôt le bien-fondé de l'action, en se fondant en bonne partie sur le fait qu'il n'y a pas suffisamment de précisions pour lui permettre de comprendre l'action et de présenter une défense acceptable. Il faut donc examiner les principes et le droit applicable.

Dispositions législatives applicables

[11]La radiation d'un acte de procédure est discrétionnaire: voir, par exemple, Nourhaghighi c. Canada, [1998] A.C.F. no 1727 (C.A.) (QL). Toutefois, la procédure de radiation est également régie par des exigences fort strictes et formelles, car il ne devrait pas être facilement possible de refuser à une partie de se faire entendre. Ceci dit, j'aimerais signaler deux points. En premier lieu, comme c'est le cas pour un jugement par défaut, une ordonnance radiant un acte de procédure n'est pas nécessairement rendue, car la partie requérante doit établir sa cause. En second lieu, il incombe au défendeur d'établir qu'il est clair, évident et indubitable que l'action ne peut pas être accueillie. La chose a été libellée de diverses façons: on a notamment dit que lorsque l'acte de procédure n'énonce pas suffisamment de faits substantiels concis, de sorte que la partie qui répond ne peut pas présenter une défense valable et que la Cour ne peut pas exercer un contrôle sur l'instance, l'action est vexatoire et devrait être radiée. Subsidiairement, lorsqu'un acte de procédure est dénué de fondement factuel, il peut être conclu qu'il est clair et évident que cet acte de procédure ne révèle aucune cause d'action valable. En pareil cas, une action peut également être considérée comme étant si clairement futile qu'elle n'a aucune chance de succès. En pareil cas, la déclaration sera radiée.

[12]En l'espèce, certaines des décisions sur lesquelles les avocats ont attiré mon attention et dont je ferai mention ont été rendues par la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Ces décisions énoncent non seulement des principes fondamentaux clairs, mais elles fournissent aussi une perspective utile, intéressante et pertinente indépendante de la jurisprudence de la Cour fédérale. Il s'agit d'une perspective qui est tout à fait pertinente en ce qui concerne la règle 174 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] et la question de l'acte de procédure approprié. L'avocate de la Couronne affirme au départ que la déclaration est nulle en raison d'une violation de la règle 174, qui prévoit ce qui suit:

174. Tout acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde; il ne comprend pas les moyens de preuve à l'appui de ces faits.

De l'avis des éditeurs de l'ouvrage intitulé The Conduct of Civil Litigation in British Columbia, M. le juge Fraser et M. le protonotaire Horn, ouvrage publié par Butterworths, édition du 26 février 1994, cette idée, à savoir qu'un acte de procédure doit énoncer des faits substantiels, est fondamentale en ce qui concerne le droit relatif aux actes de procédure [à la page 225]:

[traduction] La notion de «fait substantiel» est fondamentale en ce qui concerne le droit relatif aux actes de procédures. L'attribut «substantiel» peut être interprété comme étant synonyme de l'attribut «essentiel».

L'absence de faits substantiels était une chose à laquelle faisait face M. le juge Kerr, de la Section de première instance de la Cour fédérale, dans l'affaire Guetta c. La Reine (1974), 17 C.P.R. (2d) 31. Le juge a fait les remarques suivantes à la page 33:

Selon les principes fondamentaux régissant les plaidoiries, il est nécessaire d'alléguer ce qui constitue sa cause d'action; il ne suffit pas d'alléguer l'existence d'un droit ou d'une obligation, sans dévoiler les faits sur lesquels reposent ce droit ou cette obligation, et un défendeur a le droit de s'attendre à ce que la cause du demandeur soit présentée d'une façon intelligible.

Dans l'affaire Guetta, le juge Kerr a conclu que la plaidoirie figurant dans la déclaration était «à ce point défectueuse et inappropriée et cont[enait] tellement de données qui [n'étaient] pas pertinentes qu'elle d[evait] être radiée plutôt que modifiée». Le juge a tiré cette conclusion après avoir fait remarquer, à un stade antérieur, l'absence de faits substantiels. De fait, les tribunaux ont adopté une approche fort stricte lorsqu'une plaidoirie, en raison de l'absence de faits substantiels, place le défendeur dans une situation désavantageuse; je ferai ici mention de la décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire Bruce v. Odhams Press Ltd., [1936] 1 K.B. 697, à la page 712, où il était question d'une version correspondant à la règle 174 actuel des Règles:

[traduction] Selon la disposition importante figurant à l'art. 4 des Règles, la déclaration doit énoncer les faits substantiels. Le mot «substantiel» s'entend de faits nécessaires aux fins de l'énoncé d'une cause d'action complète; si un fait «substantiel» est omis, la déclaration n'est pas valable; elle est «opposable» comme on le disait autrefois et, comme on le dit maintenant, elle risque d'être «radiée» [. . .]

Même si la Cour d'appel a fait ces observations il y a bien des années, cela ne veut pas dire qu'il est possible d'omettre de tenir compte des subtilités de l'acte de procédure pour le motif que tout tort perçu mérite une réparation si un nombre suffisant de faits sont énoncés dans la plaidoirie. Telle est l'approche que la demanderesse a adoptée dans l'affaire Homalco Indian Band v. British Columbia (1998), 25 C.P.C. (4th) 107 (C.S.C.-B.). Dans cette affaire, l'avocat de la demanderesse avait soutenu qu'il était [au paragraphe 9] [traduction] «suffisant que des faits substantiels soient énoncés dans la déclaration et [que] le demandeur ne peut pas être contraint à préparer la déclaration dans la forme normale». Le juge n'était pas d'accord [au paragraphe 9]:

[traduction] Une déclaration doit énoncer les causes d'action de la manière traditionnelle de façon que le défendeur puisse connaître la preuve à réfuter et que des questions de fait et de droit claires soient présentées à la cour.

Dans la décision Homalco, en se fondant sur le fait que la déclaration était un acte de procédure embarrassant, renfermant beaucoup de détails inutiles, M. le juge Smith a conclu [au paragraphe 11] que la déclaration était [traduction] «libellée de façon à embrouiller les défenderesses et à rendre une réponse extrêmement difficile, sinon impossible [et qu'elle était] est donc préjudiciable.» Dans cette affaire-là, l'instance a été suspendue, en attendant le dépôt d'une nouvelle déclaration. Toutefois, la déclaration, telle qu'elle était libellée, renfermait clairement suffisamment d'éléments pour indiquer à la Cour que l'instance pouvait être sauvegardée.

[13]L'avocate mentionne la décision Homalco, supra, laquelle renferme un résumé pertinent au sujet des plaidoiries relatives à une cause d'action. J'ai reproduit le passage au complet parce qu'il est instructif pour les avocats, pour les profanes et pour moi-même. Le juge Smith craignait que les plaidoiries prolixes et contournées soient contraires aux règles de procédure et à la jurisprudence. Il a signalé que la définition d'une cause d'action exigeait, pour chaque cause, que les faits substantiels soient énoncés clairement, de façon à définir les questions de fait et de droit. Le juge a tout d'abord examiné le but ultime des actes de procédures [aux paragraphes 5 et 6]:

[traduction] Le rôle ultime des actes de procédure consiste à définir clairement les questions de fait et de droit que le tribunal doit trancher. Les questions en litige doivent être définies relativement à chaque cause d'action invoquée par le demandeur. Ce processus commence par l'énoncé, de la part du demandeur, pour chacune des causes d'action, des faits substantiels, c'est-à-dire des faits nécessaires afin de formuler une cause d'action complète: Troup v. McPherson (1965), 53 W.W.R. 37 (C.S.C.-B.) à la page 39. En constatant la preuve à réfuter, le défendeur doit ensuite répondre aux allégations du demandeur de façon que le tribunal comprenne, à l'aide des actes de procédure, les questions de fait et de droit qu'il devra régler.

On trouve une description utile de la façon dont il convient de structurer une cause d'action invoquée dans l'ouvrage de J.H. Koffler et A. Reppy, intitulé Handbook of Common Law Pleading, (St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1969) à la page 85:

Évidemment, les éléments essentiels d'une demande de réparation ou d'un droit de recours varient d'une action à l'autre. Cependant, le plaideur constatera, après analyse, que les faits prescrits par le droit substantiel comme nécessaires pour constituer une cause d'action dans une situation donnée peuvent être répartis en trois catégories: (1) le droit ou titre du demandeur; (2) l'acte fautif du défendeur qui a porté atteinte à ce droit ou titre; (3) le dommage qui en a résulté, qu'il soit symbolique ou important. Et, bien sûr, les faits constitutifs de la cause d'action doivent être exposés avec certitude et précision, dans leur ordre naturel, de façon à révéler les trois éléments essentiels de toute cause d'action, soit, le droit, l'acte fautif et le dommage.

Pour que la déclaration remplisse le rôle ultime de l'acte de procédure, les faits substantiels de chaque cause d'action sur lesquels la partie se fonde devraient être énoncés de la façon susmentionnée. De plus, ils devraient être énoncés d'une façon succincte et les précisions devraient suivre et être désignées comme telles: Gittings v. Caneco Audio-Publishers Inc. (1988), 26 B.C.L.R. (2d) 349 (C.A.), page 353.

[14]L'acte de procédure qui ne comporte pas suffisamment de faits substantiels sera peut-être radié, mais dans certains cas l'autorisation de le modifier sera accordée. Telle était la situation à laquelle faisait face M. le juge MacKay dans l'affaire Nation crie de Kelly Lake c. Canada, [1998] 2 C.F. 270 (1re inst.), où de simples conclusions étaient énoncées, sans aucun fondement factuel à l'appui de la demande. Le juge a fait remarquer ce qui suit, au paragraphe 19:

Néanmoins, le tribunal a conclu qu'une demande ne révélait pas une cause raisonnable d'action dans un cas où de simples conclusions étaient énoncées sans fondement factuel à l'appui (Vojic (L.) c. M.R.N., [1987] 2 C.T.C. 203 (C.A.F.)). À cet égard, je note la décision Glaxo Canada Inc. c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social ((1987), 15 C.P.R. (3d) (1 C.F. 1re inst.), à la p. 11)), dans laquelle le juge Rouleau pose les règles fondamentales concernant les plaidoiries:

Les règles relatives aux plaidoiries établissent le principe fondamental selon lequel la demanderesse est obligée de plaider des faits substantiels qui révèlent une cause d'action raisonnable. Cette règle très importante des plaidoiries comprend quatre éléments différents: 1) chaque plaidoirie doit énoncer les faits et pas seulement les conclusions de droit; 2) elle doit comprendre des faits substantiels; 3) elle doit énoncer des faits et non les éléments de preuve qui doivent servir à les prouver; et 4) elle doit énoncer les faits succinctement de façon concise: voir Odgers, Principles of Pleading and Practice, 21e éd., p. 94.

Ces quatre règles régissant les actes de procédure, telles qu'elles sont énoncées par le juge Rouleau, sont, comme le juge l'a dit, très importantes et sont pertinentes en l'espèce, non seulement pour que la défenderesse puisse comprendre la demande, mais aussi pour qu'elle puisse donner une réponse motivée intelligente.

[15]Lorsqu'une déclaration est beaucoup trop générale et dépourvue de détails, de sorte qu'elle empêche le défendeur de mener une enquête ou de donner une réponse appropriée, elle peut fort bien être radiée. Dans l'affaire Murray c. Commission de la Fonction publique du Canada (1978), 21 N.R. 230 (C.A.F.), la Cour avait devant elle plusieurs déclarations qui comportaient ces caractéristiques. La Cour d'appel a fait remarquer que pareilles déclarations étaient fondamentalement vexatoires, car elles ne révélaient pas suffisamment de faits pour démontrer le fondement de la demande, de sorte qu'il était impossible pour le défendeur de répondre à la demande ou, de fait, pour un tribunal de réglementer l'instance (à la page 236). Pareille déclaration générale et englobante, qui est dépourvue de précisions à un point tel qu'un défendeur ne serait pas en mesure de rédiger une réponse, est fondamentalement vexatoire et ne donnera aucun résultat pratique. Il s'agit encore une fois d'un motif permettant de radier la déclaration. J'appliquerai maintenant certains de ces énoncés à la présente déclaration.

Analyse

[16]Je me propose d'examiner la déclaration ainsi que les précisions qui ont été fournies par le demandeur le 11 janvier 2002. Les précisions commencent par un avertissement renvoyant l'avocate de la Couronne à un principe paraphrasé tiré de l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, principe qui est mentionné dans le sommaire, à la page 145:

[. . .] la Charte exige que l'examen fondé sur le par. 15(1) se fasse en deux étapes. La première étape consiste à déterminer s'il y a eu atteinte à un droit garanti. La deuxième étape consiste à déterminer, le cas échéant, si cette atteinte peut être justifiée en vertu de l'article premier. Les deux étapes doivent être maintenues analytiquement distinctes en raison de la différente attribution du fardeau de la preuve: le citoyen doit prouver qu'il y a eu violation du droit que lui garantit la Charte et l'État doit justifier cette violation.

Le demandeur utilise ce déplacement de la charge de la preuve, dans la deuxième étape de l'analyse fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte, comme concept répandu permettant de répondre à presque toutes les demandes de précisions. Le demandeur affirme chaque fois qu'il incombe à la défenderesse de démontrer qu'elle ne violait pas ses droits. Il ne comprend pas qu'il lui incombe d'établir d'abord qu'il a été porté atteinte à un droit prévu au paragraphe 15(1) de la Charte. Ce n'est qu'alors que la charge de la preuve, lorsqu'il s'agit de justifier l'atteinte, incombe à la Couronne. À ce stade de l'instance, nous ne nous intéressons qu'au premier aspect, à savoir que le demandeur a la charge d'établir sa cause, la défenderesse n'ayant encore aucune obligation à l'égard de la preuve.

[17]La déclaration commence par une simple allégation de discrimination de la part de la Commission canadienne du lait à l'encontre du demandeur, discrimination qui serait censément contraire à la Charte canadienne des droits et libertés, à l'Accord de libre-échange et au droit international. Le demandeur en fait mention dans le contexte du refus d'accorder un contingent de lait et de lui permettre de fabriquer des produits laitiers frais, ce qui est apparemment un euphémisme pour les produits non pasteurisés et non transformés, mais par suite de ce paragraphe, la défenderesse se demandait en quoi consistait précisément la discrimination et quelles étaient les dispositions précises qui existaient censément en vertu de la Charte et dans l'Accord de libre-échange ainsi qu'en droit international. Le demandeur répond ici à la demande de précisions au moyen d'une réponse décousue dans laquelle il allègue qu'une entreprise bien connue a été fermée. Il ne mentionne pas une disposition précise de la Charte, ou une autre disposition législative, ou encore une disposition du droit international, qui aurait selon lui été violée. Le demandeur affirme fondamentalement qu'il incombe à la défenderesse de démontrer non seulement pourquoi il s'est vu refuser le droit de gagner sa vie, alors qu'elle a encouragé d'autres personnes à pénétrer sur le même marché, mais aussi de démontrer pourquoi un contingent de lait était nécessaire. Cela semble n'avoir rien à voir avec le premier paragraphe de la déclaration ou avec la demande de précisions. La défenderesse n'en sait pas plus long et, de fait, elle ne sait absolument pas comment traiter l'allégation de discrimination.

[18]Au deuxième paragraphe de la déclaration, le demandeur allègue le défaut de compétence, de la part de la Commission canadienne du lait et conformément à la Milk Industry Act, lorsqu'il s'agit de sanctionner la création du Milk Marketing Board de la Colombie-Britannique, qui agit d'une façon discriminatoire à son encontre en violation de la Charte. Dans ce cas-ci, la défenderesse veut connaître les dispositions de la Milk Industry Act sur lesquelles le demandeur se fonde pour invoquer le défaut de compétence en ce qui concerne la création du Milk Marketing Board de la Colombie-Britannique. Le demandeur donne une réponse indirecte en disant qu'aucune disposition de la Loi ne permet la création de ce conseil, sans porter atteinte aux droits qui lui sont reconnus par la Charte, mais qu'étant donné que la Charte a été violée, la charge incombe à la défenderesse.

[19]Le paragraphe 3 de la déclaration, à l'égard duquel aucune précision n'est demandée, reprend l'allégation figurant au paragraphe 2 en y apportant de légères précisions; il s'agit d'une simple plaidoirie de discrimination à l'encontre du demandeur de la part du Milk Marketing Board de la Colombie-Britannique empêchant ainsi le demandeur de gagner sa vie, en violation de la Charte. Comme c'était le cas pour le paragraphe 2, il existe ici une absence claire de faits substantiels permettant à la défenderesse de savoir où commencer ses recherches et comment répondre.

[20]Les paragraphes 4 à 7 de la déclaration portent sur des questions provinciales et ne sont donc pas pertinents.

[21]Si les paragraphes 8 et 9 de la déclaration sont considérés ensemble, il y est allégué que le ministère de l'Agriculture a exercé sa compétence et qu'il existe un complot mettant en cause un certain ministre de la Santé non désigné, à l'encontre du demandeur. La défenderesse veut ici connaître les faits et avoir des précisions au sujet de la présumée suspension de droits par le ministère de l'Agriculture, de la nature des droits ainsi que des faits, des détails et des dispositions de droit sur lesquelles le demandeur se fonde pour affirmer que le ministère de l'Agriculture a excédé sa compétence. La défenderesse veut également connaître les faits et détails relatifs à l'existence d'un complot mettant en cause le ministère de la Santé du Canada à l'encontre du demandeur et notamment savoir avec qui le Ministère a comploté et quelles sont les dispositions des lois du Canada et des lois internationales, plaidées à titre de simples propositions, sur lesquelles le demandeur se fonde. Le demandeur affirme en réponse qu'étant donné que le ministère de l'Agriculture est un mandataire de la Couronne, ce n'étaient donc pas les actions du ministère de l'Agriculture qui portaient atteinte au droit qui lui est reconnu par la Charte, lequel serait censément le droit d'exercer une profession, mais que dans l'ensemble la charge de la preuve incombe à la défenderesse, y compris en ce qui concerne le complot et les dispositions précises des lois du Canada et du droit international qui sont en cause. Rien de tout cela n'apprend quoi que ce soit à la défenderesse, puisque les paragraphes 8 et 9 de la déclaration renferment de simples conclusions, sans que des faits substantiels soient énoncés, que ce soit d'une façon concise ou autrement. Ces deux paragraphes, ne comportant pas de précisions, constituent un excellent exemple de la violation de la règle fondamentale relative aux actes de procédure mentionnée par le juge MacKay dans la décision Nation Crie de Kelly Lake, précitée, laquelle a été incorporée dans la décision que le juge Rouleau a rendue dans l'affaire Glaxo Canada Inc. c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social (1987), 15 C.P.R. (3d) 1 (C.F. 1re inst.).

[22]Les paragraphes 10 et 11 de la déclaration traitent de la discrimination dont ont fait preuve la ville de Vancouver ainsi que le service de police et la Commission de police de la ville de Vancouver. Il semble que la défenderesse ait conclu que ces dispositions, tout en étant incompréhensibles en raison de l'absence de faits substantiels, ne sont pas pertinentes.

[23]Le paragraphe 12 de la déclaration dit que le procureur général du Canada a conféré à [traduction] «diverses commissions» le pouvoir nécessaire pour appliquer les lois du Canada, mais qu'il a omis ou refusé d'exercer sa compétence à l'égard de produits laitiers frais. Il est allégué que l'omission ou le refus est contraire aux textes législatifs du Canada, au droit international et à l'Accord de libre-échange. Cet énoncé dans son ensemble est composé de simples allégations et de simples conclusions de droit. Il ne s'agit pas d'une plaidoirie appropriée. En réponse à la demande que la défenderesse a faite pour obtenir des précisions au sujet de l'omission d'exercer la compétence en question et d'assurer une supervision ainsi qu'au sujet des textes législatifs précis sur lesquels il se fonde, le demandeur dit simplement que la charge de la preuve incombe à la défenderesse. Or, en l'absence des précisions demandées, la défenderesse ne peut pas enquêter et rédiger une défense.

[24]Au paragraphe 13, il est allégué que la «Cooperative Act» a été violée et qu'il y a un complot entre le ministère de l'Agriculture et l'East Chilliwack Co-op Association, de sorte que le bétail du demandeur a manqué d'aliments et que la production de lait a diminué, ce qui a occasionné une perte financière. Tel qu'il est libellé, le paragraphe en question comporte peut-être certains éléments de preuve et certaines conclusions de droit, mais il n'énonce aucun fait substantiel à l'appui. Or, la défenderesse veut obtenir des précisions au sujet des dispositions qui figureraient censément dans la Cooperative Act et des lois du Canada qui auraient été violées ainsi que des précisions au sujet du présumé complot avec l'East Chilliwack Co-op Association. Dans chaque cas, le demandeur répond que [traduction] «la charge de la preuve incombe à la défenderesse».

[25]Le délit de complot comporte l'imputation d'une mauvaise conduite et d'un manque d'honnêteté constituant plus qu'une simple négligence: par conséquent, les faits doivent être énoncés avec une attention et une précision spéciales.

[26]Comme l'a souligné la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ciments Canada LaFarge Ltée c. British Columbia Lightweight Aggregate Ltd., [1983] 1 R.C.S. 452, à la page 473, le délit de complot est un anachronisme commercial, «la cible de nombreuses critiques partout dans le monde de la common law». M. le juge Estey, qui a rendu la décision au nom de la Cour, a expressément fait remarquer que le délit de complot avait survécu comme une anomalie dans le droit canadien et que les tribunaux devraient tenter dans l'avenir de limiter son application (à la page 473):

Le délit civil de complot en vue de nuire, même s'il n'est pas étendu de manière à comprendre un complot en vue d'accomplir des actes illégaux lorsqu'il y a une intention implicite de causer un préjudice, a été la cible de nombreuses critiques partout dans le monde de la common law. Comme l'indique si bien lord Diplock dans l'arrêt Lonrho, précité, aux pages 188 et 189, il s'agit réellement d'un anachronisme commercial. En fait, il est possible que dans le contexte commercial actuel cette action ait perdu en grande partie son utilité et qu'elle survive comme une anomalie dans notre droit. Quoi qu'il en soit, il est maintenant trop tard pour déraciner de la common law le délit civil de complot en vue de nuire. Sans aucun doute, les cours tenteront dans l'avenir, pour les mêmes motifs que certains invoquent actuellement à l'appui de sa suppression, de limiter l'application de ce délit civil.

Étant donné que nous examinons une cause d'action qui, selon la Cour suprême du Canada, constitue un anachronisme, il convient d'examiner ce qui était nécessaire lorsque la plaidoirie avait cours. Ainsi, la Cour d'appel a examiné les précisions qui étaient nécessaires pour qu'une plaidoirie de complot puisse être invoquée dans l'arrêt Temperton v. Russell and Others (1893), 9 T.L.R. 319 (C.A.) où, compte tenu à mon avis de la nécessité de présenter un acte de procédure bien défini lorsque pareille cause d'action est alléguée, il a été dit que les défendeurs avaient le droit d'obtenir des précisions, notamment le nom de chaque personne participant au complot, le genre de menaces qui avaient été proférées, à quel moment et par qui pareilles menaces avaient été proférées, que ce soit verbalement ou par écrit et, si elles avaient été proférées par écrit, la description du document.

[27]Pour en revenir à l'arrêt Ciments LaFarge, la Cour suprême du Canada a énoncé les éléments qu'il faut établir pour établir une allégation de complot, à savoir [aux pages 471 et 472]:

(1) indépendamment du caractère légal ou illégal des moyens employés, la conduite des défendeurs vise principalement à causer un préjudice au demandeur; ou

(2) lorsqu'il s'agit d'une conduite illégale, elle est dirigée contre le demandeur seul ou contre lui et d'autres personnes en même temps et que les défendeurs eussent dû savoir dans les circonstances que le préjudice subi par le demandeur est une conséquence probable.

Cet énoncé peut être divisé plus simplement comme suit: M. Pellikaan doit établir l'existence d'une entente entre au moins deux personnes et, si les moyens employés aux fins de la discrimination sont légaux, il doit établir l'existence d'une entente dont le but principal réel est de lui causer un préjudice ou subsidiairement, lorsque le moyen employé est légal, l'existence d'une entente dont l'un des buts est de lui causer un préjudice et, enfin, il doit établir que le résultat lui nuisait.

[28]En ce qui concerne le paragraphe 13, la défenderesse n'a pas la moindre idée de la présumée violation des lois du Canada et elle ne sait rien au sujet du complot, si ce n'est qu'une perte financière de [traduction] «plusieurs milliers de dollars» a été subie parce que le bétail de M. Pellikaan ne pouvait pas être nourri. Ici encore, la défenderesse a le droit d'obtenir beaucoup plus de précisions afin d'être en mesure de comprendre la demande et d'y répondre: le paragraphe 13 est un bon exemple de l'inobservation des règles relatives aux éléments dont un acte de procédure doit être composé, lesquelles ont été énoncées par le juge MacKay dans la décision Nation Crie de Kelly Lake, précitée.

[29]Au paragraphe 14, le demandeur allègue que le ministère du procureur général possède des pouvoirs directs à l'égard du Milk Marketing Board et que, par conséquent, «Dairyland» a refusé de lui permettre de vendre son lait frais, ce qui constituait de la discrimination en violation de la Charte et lui a coûté plus de 50 000 $ par mois. Il s'agit de fait d'une plaidoirie confuse. Afin d'éclaircir la question, la défenderesse cherche à connaître les faits, à obtenir des précisions et à savoir sur quelles dispositions de droit se fonde le demandeur dans ce paragraphe lorsqu'il dit que, parce que Dairyland a refusé d'acheter son lait, le procureur général a agi d'une façon discriminatoire à son endroit. Le demandeur, qui était peut-être tout aussi incertain que la défenderesse, dit simplement que la charge de la preuve incombe à la défenderesse.

[30]Aux paragraphes 15, 17 et 18, le demandeur allègue divers complots mettant en cause un cabinet d'avocats de Vancouver bien connu, la Law Society of British Columbia et un laboratoire d'essai; ces paragraphes ne renferment pas suffisamment de précisions pour permettre au lecteur de les comprendre, mais ils ne sont probablement pas pertinents.

[31]Au paragraphe 16, il est allégué que le procureur général a ordonné à la Gendarmerie royale du Canada d'effectuer sans mandat une perquisition chez le demandeur et de saisir le lait frais. Certains faits sont ici énoncés, sans qu'aucune précision ne soit fournie. La défenderesse cherche à obtenir des précisions au sujet de la directive donnée par le procureur général ainsi qu'au sujet de la perquisition et de la saisie effectuées sans mandat. Le demandeur répond que la charge de la preuve incombe à la défenderesse.

[32]Au paragraphe 19, les présumés effets de la discrimination sont énoncés et, pour la première fois, il est fait mention d'une fausse déclaration frauduleuse ou négligente. Encore une fois, l'énoncé manque de précisions, mais cette section pourrait peut-être être examinée si des documents étaient produits et s'il y avait un interrogatoire préalable.

[33]Au paragraphe 20, le demandeur mentionne des ententes conclues par les [traduction] «défenderesses», quelles qu'elles soient, et allègue que la défenderesse, apparemment par l'entremise du ministère de l'Agriculture, a résilié une [traduction] «entente» et qu'il s'était fondé sur diverses ententes comme s'il s'agissait d'ententes véritables. Ce paragraphe renferme uniquement ce simple énoncé. À coup sûr, le demandeur parle d'une entente et d'ententes, sans préciser de quelles ententes il s'agit. La défenderesse veut savoir quelles ententes ont été résiliées par le ministère de l'Agriculture et quels sont les faits et précisions sur lesquels le demandeur se fonde pour dire qu'il comptait sur les ententes. Encore une fois, le demandeur répond que la charge incombe à la défenderesse.

[34]Aux paragraphes 21 et 22, le demandeur allègue divers manquements et leurs effets, et notamment des ruptures de contrat, des fausses déclarations et des actions illicites, y compris l'intrusion, la saisie illégale de matériel et de produits et l'incapacité de poursuivre les activités commerciales normales en résultant, ce qui a occasionné une perte et un préjudice irréparables. Encore une fois, il s'agit de simples assertions qu'il serait fort difficile pour la défenderesse de comprendre et auxquelles il serait fort difficile de répondre.

[35]Je tiens également à faire remarquer que la déclaration dans son ensemble est telle qu'il serait difficile pour la Cour de comprendre ce qui est demandé et d'exercer un contrôle sur l'instruction. De fait, la déclaration est si générale et si englobante, tout en étant dépourvue de précisions, que la défenderesse ne serait pas en mesure de rédiger une réponse utile instructive; bref, il s'agit d'une procédure vexatoire, une procédure sur laquelle la Cour elle-même aurait de la difficulté à exercer un contrôle. Cela nous amène au fait que la déclaration comporte de grosses lacunes. Premièrement, il s'agit d'une procédure fondamentalement vexatoire, comme c'était le cas dans l'arrêt Murray, précité, de la Cour d'appel, où l'acte de procédure ne révélait pas suffisamment de faits pour montrer ce sur quoi la demande était fondée, de sorte qu'il était impossible pour la défenderesse de répondre, ou pour la Cour de réglementer la procédure. Une procédure vexatoire telle que celle-ci ne saurait mener à un résultat pratique. Comme je l'ai dit, la déclaration est si générale et si englobante, tout en étant dépourvue de précisions, que la défenderesse ne serait pas en mesure de rédiger une réponse concise utile. Deuxièmement, et il s'agit encore une fois d'une lacune fatale, la déclaration renferme tant d'allégations diverses, sans précisions, dont un grand nombre peuvent difficilement être rattachées les unes aux autres, qu'il serait presque impossible pour un tribunal de réglementer l'instruction de la façon appropriée ou de transformer les diverses allégations en réparations. Partant, cela constitue un abus du système et la procédure devrait être radiée. Enfin, je ne puis constater dans la déclaration aucune cause d'action valable.

Modification

[36]Je dois ici déterminer s'il est possible de sauvegarder la déclaration en la modifiant; en effet, la déclaration ne devrait pas être radiée s'il existe la moindre cause d'action légitime. En l'espèce, la déclaration a une portée si étendue et générale qu'aucune modification ne semblerait utile. C'est d'autant plus le cas que le demandeur n'a pas pu donner de précisions au sujet des assertions générales. Si la déclaration et les précisions sont considérées telles quelles, il n'existe donc pas la moindre possibilité que le demandeur soulève une cause d'action valable. La déclaration est donc radiée, sans autorisation de la modifier.

Rejet de l'action

[37]Enfin, je dois déterminer s'il faut rejeter l'action. La déclaration considérée en soi laisse peut-être entendre que je ne devrais pas rejeter l'action; en effet, il doit certes y avoir un ou deux événements qui, s'ils sont plaidés d'une façon appropriée dans une nouvelle action, pourraient donner lieu à une cause d'action. Toutefois, les précisions constituent une plaidoirie, une plaidoirie qui vient s'ajouter à la déclaration. Or, dans ce cas-ci, les précisions altèrent d'une certaine façon la déclaration parce que, même si une directive précise a été donnée et même si une ordonnance a été rendue par la Cour, le demandeur ne peut fournir aucune précision. Cela étant, la défenderesse ne devrait pas être exposée à la possibilité que le demandeur intente une action générale non fondée similaire dans l'avenir, d'autant plus que cette affaire a déjà été débattue, sous une forme ou une autre, devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. L'action est donc rejetée.

CONCLUSION

[38]M. Pellikaan a déposé une déclaration peu judicieuse, qui est presque entièrement composée de simples allégations, des allégations vagues et qui semblent parfois n'avoir aucun rapport les uns avec les autres, ainsi que de conclusions selon lesquelles des dispositions législatives et des dispositions de droit non désignées, tant internes qu'internationales, ont été violées. La déclaration ne respecte pas les préceptes fondamentaux applicables aux actes de plaidoirie. Il ne convient pas d'autoriser pareille procédure qui ne révèle aucune cause d'action valable permettant à la procédure d'avoir quelque chance de succès, une procédure qui est fondamentalement vexatoire et qui constitue un abus du système au point d'être tout à fait futile et de n'avoir aucune chance de succès. Étant donné qu'il n'y a pas de possibilité de modification réparatrice et que rien n'indique qu'une nouvelle action puisse être intentée dans une forme acceptable, l'action de M. Pellikaan est radiée, sans autorisation de la modifier, et elle est rejetée.

[39]Dans sa requête, la défenderesse ne sollicite pas les dépens. Chaque partie supportera donc ses propres dépens.

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