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[1994] 3 .C.F 466

A-591-93

James A. Jastrebski (requérant)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : Jastrebski c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juge en chef Isaac, juges Linden et McDonald, J.C.A.—Toronto, 27 avril; Ottawa, 19 mai 1994.

Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Le requérant a été traité en 1972 et 1973 pour maladie psychologique — Il est retourné au travail à plein temps et, en 1983, il a pris sa retraite pour invalidité — L’art. 6(1)f) de la Loi de l’impôt sur le revenu requiert que soient incluses dans le revenu les sommes reçues en vertu d’un régime d’assurance relativement à une perte de revenu d’emploi — L’art. 19(1) des Règles de 1971 concernant l’application de l’impôt sur le revenu prévoit que l’art. 6(1)f) ne s’applique pas à des sommes payables relativement à la perte, par suite d’un événement survenu avant 1974, du revenu tiré d’un emploi — L’art. 19(1) avait pour objet de prévenir l’imposition inattendue des prestations d’invalidité du bénéficiaire qui, avant 1974, recevait ces sommes en vertu de régimes qui n’étaient pas structurés de façon à tenir compte de l’imposition entre les mains du bénéficiaire, et d’accorder un délai de grâce pour permettre la modification des régimes d’assurance de façon à compenser ce nouvel impôt — L’« événement » qui doit se produire avant 1974 est l’invalidité même qui empêche une personne de travailler pleinement, et qui entraîne la perte de revenu d’emploi — L’événement et la perte de revenu doivent tous deux survenir avant 1974 pour que l’exemption s’applique.

Contrôle judiciaire — Norme de contrôle — La Cour de l’impôt, appliquant la nouvelle procédure informelle, a rejeté l’appel du requérant à l’encontre de la cotisation établie par le ministre — La justesse est la norme de contrôle à appliquer lorsque la contestation est fondée sur une erreur de droit, peu importe la procédure suivie par la Cour de l’impôt.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire du rejet par la Cour de l’impôt de l’appel du requérant à l’encontre de la cotisation établie par le ministre.

Le requérant s’est joint à la Police provinciale de l’Ontario en octobre 1966. En 1972, on a établi qu’il souffrait d’une grave dépression. Il a été hospitalisé et traité. Il est retourné au travail en 1973. Bien qu’il ait éprouvé de nouveau des ennuis psychologiques en 1977, il a continué à travailler jusqu’en mars 1983, date à laquelle il a cessé de travailler pour cause d’invalidité. À sa retraite, le requérant a bénéficié d’un régime d’assurance-salaire. Il a reçu en vertu de ce régime d’invalidité des prestations qu’il n’a pas incluses dans le calcul de son revenu dans ses déclarations de revenus de 1990 et de 1991. Le ministre a établi une cotisation et inclus les prestations dans le revenu tiré d’une charge ou d’un emploi en vertu de l’alinéa 6(1)f) de la Loi de l’impôt sur le revenu (sommes reçues pour la perte du revenu afférent à une charge ou à un emploi en vertu d’un régime d’assurance-invalidité). Cet article a été ajouté à la Loi en 1971; avant cette date, les prestations reçues en application d’un régime d’assurance-invalidité n’étaient pas imposables. Le paragraphe 19(1) des Règles de 1971 concernant l’application de l’impôt sur le revenu prévoit que l’alinéa 6(1)f) ne s’applique pas à des sommes payables relativement à la perte, par suite d’un événement survenu avant 1974, du revenu tiré d’un emploi. Au sens du Bulletin d’interprétation 428, « événement » désigne la cause de l’invalidité, c’est-à-dire l’apparition des premiers symptômes d’une maladie de dégénérescence, peu importe le moment où l’« invalidité » se manifeste. Dans le cas d’une maladie rechutante comme une allergie saisonnière, l’« événement » ne désigne que le moment précis d’une attaque. La Cour de l’impôt, qui a entendu l’appel selon la nouvelle procédure informelle, a conclu que l’apparition des premiers symptômes d’une maladie ne pouvait être qualifiée d’« événement », et que même dans le cas contraire, la preuve ne permettait pas d’établir que les « premiers symptômes de la maladie » sont apparus à un moment donné—ils auraient pu apparaître en 1977 ou même en 1982.

Les questions étaient de savoir si le législateur voulait que l’événement survenu avant 1974 et causant une incapacité après 1974 tombe sous le coup du paragraphe 19(1), et si les prestations d’assurance-salaire reçues en 1990 et 1991 étaient payables relativement à une perte causée par un événement survenu avant 1974.

Arrêt : la demande doit être rejetée.

La justesse est la norme de contrôle à appliquer aux décisions de la Cour de l’impôt rendues dans le cadre de la procédure informelle, lorsque la contestation est fondée sur l’erreur de droit. Il serait inopportun d’utiliser deux normes de contrôle, selon la procédure utilisée.

Le paragraphe 19(1) des Règles de 1971 concernant l’application de l’impôt sur le revenu avait pour objet d’une part de prévenir l’imposition inattendue des prestations d’invalidité du bénéficiaire qui, avant 1974, recevait ces sommes en vertu de régimes qui n’étaient pas structurés de façon à tenir compte de l’imposition entre les mains du bénéficiaire, et d’autre part d’accorder un délai de grâce pour permettre la modification des régimes d’assurance de façon à compenser ce nouvel impôt. Si l’incapacité survenait après 1974, le bénéficiaire recevrait alors des prestations en vertu d’un régime conçu de façon à tenir compte de l’imposition de ces prestations entre les mains du bénéficiaire, et celui-ci ne serait plus visé par le paragraphe 19(1). La loi n’avait pas pour objet d’accorder un gain fortuit aux bénéficiaires de prestations qui pouvaient les relier à un accident ou une maladie antérieurs à 1974. Le Bulletin d’interprétation présume à tort que l’incapacité entraînant la perte du revenu d’emploi peut se produire après 1974. Dans l’affaire Phillips (B.A.) c. M.R.N., on n’aurait pas dû accepter l’analyse du Bulletin d’interprétation. L’« événement » qui doit se produire avant 1974 est l’invalidité même qui empêche une personne de travailler pleinement, et qui entraîne la perte de revenu d’emploi. La perte subie est la perte de revenu. L’événement est l’invalidité qui a causé cette perte de revenu. Ces deux événements doivent survenir avant 1974 pour que l’exemption s’applique.

La récurrence d’une invalidité survenue avant 1974 après une période au cours de laquelle le contribuable n’était pas incapable de travailler n’est pas différente de l’incapacité qui survient pour la première fois après 1974. La question de la causalité factuelle entre un événement survenu avant 1974 et une invalidité actuelle n’est pas pertinente quant à l’applicabilité du paragraphe 19(1) des Règles lorsqu’il y a eu interruption dans la perte du revenu d’emploi. La récurrence est elle-même le seul événement pertinent dans la détermination de l’assujettissement à l’impôt de tous paiements. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que la maladie psychologique du requérant était de nature récurrente, ce dont il faut inférer que la période d’incapacité commençant en 1982 était le seul « événement » pertinent. La preuve n’appuyait pas l’existence d’un « événement » antérieur à 1974, laquelle justifierait une exemption.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12.

Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 1), art. 6(1)f).

Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, art. 18.24 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 51, art. 5), 18.28 (édicté, idem).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8).

Règles de 1971 concernant l’application de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, partie III, art. 9, 19(1).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241.

DÉCISION REJETÉE :

Phillips (B.A.) c. M.R.N., [1990] 2 C.T.C. 2495; (1990), 90 DTC 1899 (C.C.I.).

DÉCISIONS CITÉES :

Li c. M.R.N., A-162-93, juge en chef Isaac, juge Robertson, J.C.A. (dissident), jugement en date du 5-11-93, C.A.F., encore inédit; Canada c. Kayelle Management (Yukon) Inc., A-1000-91, juge Décary, J.C.A., jugement en date du 17-11-93, C.A.F., encore inédit; Thibaudeau c. Canada, [1994] 2 C.F. 189 (C.A.); Gabrielle (LM) c. MRN, [1984] CTC 2722 (C.C.I.).

DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE du rejet par la Cour de l’impôt de l’appel du requérant à l’encontre de la cotisation établie par le ministre, qui a inclus dans le calcul du revenu des prestations d’assurance-salaire (Jastrebski v. Canada, [1993] A.C.I. no 586 (QL)). Demande rejetée.

AVOCATS :

Heather A. Hutchison, pour le requérant.

Bonnie F. Moon, pour l’intimée.

PROCUREURS

Services juridiques, Association de la Police provinciale de l’Ontario, Barrie (Ontario), pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A. : Il s’agit de savoir, dans la présente demande de contrôle judiciaire, si les prestations d’assurance-salaire reçues par le requérant en 1990 et 1991 lui étaient payables relativement à une perte causée par un événement survenu avant 1974. Dans l’affirmative, il n’est pas tenu d’inclure ces sommes dans le calcul de son revenu tiré d’une charge ou d’un emploi. Dans la négative, il doit payer l’impôt sur les sommes qu’il a reçues.

LES FAITS

Le requérant s’est joint à la Police provinciale de l’Ontario en octobre 1966, et il a été affecté à Kapuskasing. En mars 1969, il a été muté au détachement de Moosonee, et affecté à l’île Moose Factory, où il a vécu et travaillé avec un membre de la GRC. Le requérant trouvait son travail à Moose Factory stressant.

En août 1969, le requérant a soudainement été muté au détachement de South Porcupine. La mutation devait entrer en vigueur le jour précédant son mariage, qui devait avoir lieu à Kapuskasing, et malgré le fait que la fiancée du requérant ait accepté un emploi à Moose Factory et y ait déménagé ses affaires. Le requérant n’a pas été informé de la raison pour laquelle il a été muté si soudainement. Nerveux parce qu’il se croyait l’objet d’une étroite surveillance au travail, il est devenu déprimé.

Ses problèmes psychologiques se sont aggravés après qu’il eut subi un accident impliquant une motocyclette au moment où il conduisait une voiture de patrouille le 6 juin 1972. Quelques mois plus tard, le requérant a accepté de consulter un psychiatre à la suggestion de son supérieur. On a établi que le requérant souffrait d’une grave dépression, plus particulièrement d’un trouble affectif unipolaire. Pendant son hospitalisation jusqu’en janvier 1973, il a reçu médicaments et counseling. Le requérant est ensuite devenu un malade externe, et il est retourné au travail en mars 1973.

À son retour au travail, il s’est senti harcelé pour des erreurs commises et il a été muté au détachement de Hornepayne, où il a travaillé sans problème pendant quatre ans.

À l’automne 1977, le requérant a été muté à Matheson, où il a de nouveau éprouvé des ennuis. Son mariage a connu des difficultés, et il est devenu très déprimé. Il a travaillé à Matheson jusqu’en mars 1982, date à laquelle ses collègues l’ont amené voir un psychiatre à Timmins. Le requérant a immédiatement été accepté comme malade externe, et on lui a prescrit des médicaments. Il a été hospitalisé brièvement à deux reprises. À l’automne 1983, il a tenté de retourner au travail, mais a jugé celui-ci trop stressant. Il a cessé de travailler en mars 1983 pour cause d’invalidité.

À sa retraite en 1983, le requérant a bénéficié d’un régime d’assurance-salaire. En 1990 et 1991, il a reçu en vertu de ce régime d’invalidité des prestations qu’il n’a pas incluses dans le calcul de son revenu dans ses déclarations de revenus. Le ministre a établi une cotisation à l’égard du requérant et inclus les prestations dans le revenu tiré d’une charge ou d’un emploi en vertu de l’alinéa 6(1)f) de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, ch. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 1)]. Le requérant a interjeté appel de la cotisation établie par le ministre à la Cour canadienne de l’impôt, recourant à la procédure informelle, et alléguant qu’aux termes du paragraphe 19(1) des Règles de 1971 concernant l’application de l’impôt sur le revenu, l’alinéa 6(1)f) de la Loi de l’impôt sur le revenu ne s’applique pas aux prestations en question.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

L’alinéa 6(1)f) de la Loi de l’impôt sur le revenu, porte que :

6. (1) Doivent être inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi, ceux des éléments appropriés suivants :

f) le total des sommes qu’il a reçues dans l’année, à titre d’indemnité payable périodiquement pour la perte totale ou partielle du revenu afférent à une charge ou à un emploi, en vertu

(i) d’un régime d’assurance contre la maladie ou accidents,

(ii) d’un régime d’assurance invalidité, ou

(iii) d’un régime d’assurance de sécurité du revenu.

Cet article a été ajouté à la Loi de l’impôt sur le revenu en 1971; avant cette date, les prestations reçues en application d’un régime d’assurance-invalidité n’étaient pas imposables.

Le paragraphe 19(1) des Règles de 1971 concernant l’application de l’impôt sur le revenu, partie III de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, est ainsi libellé :

19. (1) Nonobstant l’article 9, l’alinéa 6(1)f) de la loi modifiée ne s’applique pas à des sommes reçues par un contribuable, dans une année d’imposition, qui lui étaient payables relativement à la perte, par suite d’un événement survenu avant 1974, de la totalité ou d’une partie de son revenu tiré d’une charge ou d’un emploi, dans le cadre d’un régime visé à cet alinéa, établi avant le 19 juin 1971.

En vertu de l’article 9 des Règles, auquel renvoie le paragraphe 19(1), les modifications apportées en 1971 à la Loi de l’impôt sur le revenu s’appliquent aux années d’imposition 1972 et suivantes.

La partie suivante du Bulletin d’interprétation 428 de Revenu Canada est également pertinente quant à la présente demande de contrôle judiciaire :

Il faut noter que pour 1974 et les années d’imposition suivantes, l’exemption prévue à l’article 19 des RAIR ne vise que les montants que le contribuable a reçus à la suite d’un événement qui s’est produit avant 1974. Au sens du présent Bulletin, « événement » désigne la cause de l’invalidité. Si par exemple, il se produit un accident qui ne semble pas avoir de conséquences visibles ou graves sur la santé du contribuable jusqu’en 1974 ou ultérieurement, mais qu’il en résulte une invalidité par la suite, l’« événement » est réputé avoir eu lieu avant 1974 si l’accident qui est la cause directe de l’invalidité est survenu avant 1974. De même, dans le cas d’une maladie de dégénérescence comme la dystrophie musculaire, l’« événement » se produit dès l’apparition des premiers symptômes de la maladie, peu importe le moment où l’invalidité se manifeste vraiment. Par contre, dans le cas d’une maladie rechutante comme une allergie saisonnière ou une amygdalite chronique, l’« événement » ne désigne que le moment précis d’une attaque.

DÉCISIONS DES JURIDICTIONS INFÉRIEURES

L’appel interjeté par le requérant à l’encontre de la cotisation établie par le ministre a été entendu par la Cour canadienne de l’impôt [[1993] A.C.I. no 586 (QL)] selon la nouvelle procédure informelle. Le requérant a invoqué, dans son appel, le Bulletin d’interprétation 428, aux termes duquel l’« événement » mentionné au paragraphe 19(1) désigne « la cause de l’invalidité », et qui donne à titre d’exemple d’un « événement » l’apparition des premiers symptômes d’une maladie de dégénérescence.

Le juge de la Cour de l’impôt a déclaré qu’il ne conviendrait pas d’adopter une conception libérale du terme « événement » dans un appel interjeté en vertu des termes précis de la Loi de l’impôt sur le revenu. Il n’était pas convaincu qu’aux fins du paragraphe 19(1) des Règles, l’« événement » puisse désigner l’apparition des premiers symptômes d’une maladie. En concluant ainsi sur le sens du terme « événement », le juge de la Cour de l’impôt a invoqué sa propre décision antérieure dans Gabrielle (LM) c. MRN, [1984] CTC 2722 (C.C.I.), où il a conclu que le terme « événement » désigne un fait ponctuel et non un état. Il s’est exprimé ainsi :

J’estime que les commentaires formulés dans l’affaire Gabrielle (précitée), mettant en question l’interprétation qu’il conviendrait de donner au terme « événement » d’après le Bulletin d’interprétation 428, sont importants et fondés. Même s’il est peut-être parfaitement convenable, pour Revenu Canada, d’établir la cotisation d’un contribuable en se fondant sur une interprétation aussi large du terme « événement », je ne suis pas convaincu qu’il convienne que la Cour suive la même pratique lorsqu’elle traite d’un appel en fonction des termes précis de la Loi. Je ne suis pas convaincu que « l’apparition des premiers symptômes d’une maladie » puisse être qualifiée d’« événement ». [P. 14 du dossier de la demande du requérant.]

Le juge de la Cour de l’impôt a également déclaré que, même si, sous le régime du paragraphe 19(1) des Règles, le mot « événement » pouvait désigner l’apparition des premiers symptômes d’une maladie, « la preuve ne permet pas d’établir que les ‘premiers symptômes de la maladie’ sont apparus à un moment donné—ils auraient pu apparaître en 1977 ou même en 1982, mais je n’ai pas besoin de passer ces faits en revue ». (P. 14 du dossier de la demande du requérant.)

Le juge de la Cour de l’impôt a par conséquent rejeté l’appel du requérant.

NORME DE CONTRÔLE

En l’espèce, la demande de contrôle judiciaire est fondée sur l’article 18.24 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 51, art. 5] de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, telle que modifiée, qui porte que :

18.24 Le jugement de la Cour sur un appel visé à l’article 18 est définitif et sans appel sous réserve de la révision prévue à l’article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.

Dans leurs observations, les parties ont présumé que la norme de contrôle des questions de droit soulevées dans une demande de contrôle d’une décision rendue dans le cadre de la nouvelle procédure informelle est la justesse. Notre Cour a d’ailleurs adopté cette position, sans le dire, dans ses décisions récentes. (Voir par exemple : Li c. M.R.N. (5 novembre 1993), no du greffe A-162-93 (C.A.F.) [encore inédite]; Canada c. Kayelle Management (Yukon) Inc. (17 novembre 1993), no du greffe A-1000-91 (C.A.F.) [encore inédite]; et Thibaudeau c. Canada, [1994] 2 C.F. 189 (C.A.).) En l’espèce, nous adoptons expressément cette position.

L’article 18.24 confère à notre Cour le pouvoir de contrôler les décisions de la Cour de l’impôt rendues dans le cadre de la procédure informelle pour les mêmes motifs qu’elle contrôle les décisions des autres offices fédéraux, et notamment parce qu’ils ont « rendu une décision entachée d’une erreur de droit ». S’il peut exister des raisons de traiter différemment les questions autres que les erreurs de droit, je ne vois aucune raison de limiter la portée du contrôle dans les cas comme l’espèce. Aucune directive d’origine législative ne nous l’impose. Aucune politique devrait contraindre notre Cour à utiliser, quant aux questions de droit, deux normes de contrôle différentes à l’égard des décisions de la Cour de l’impôt, selon qu’elles ont été rendues après un procès normal, ou dans le cadre de la procédure informelle. Au contraire, il me semble que la norme de contrôle devrait être la même, à moins que des motifs convaincants ne commandent le contraire.

Les questions de droit soulevées dans les deux demandes de contrôle sont identiques, l’organisme décisionnel visé par l’appel est le même, et la Cour qui contrôle est la même. L’unique différence est la nouvelle procédure informelle. Alors qu’il pourrait être approprié de le faire dans certains cas, en l’espèce il serait tout à fait inopportun d’utiliser deux normes de contrôle, selon la procédure utilisée. Dans les deux cas, la loi qui est interprétée est une loi fiscale, où l’uniformité est particulièrement essentielle. Notre Cour ne pourrait permettre la coexistence de décisions contradictoires, sur des questions de droit, rendues par les juges de la Cour de l’impôt, sous le régime de la procédure informelle, même si la loi indique que ces décisions ne « constituent pas des précédents jurisprudentiels ». (Voir l’article 18.28 [édicté, idem] de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt.) On ne devrait pas avoir recours au principe de la retenue judiciaire pour atteindre un résultat aussi boiteux. Aussi, la justesse est-elle la norme de contrôle à appliquer aux décisions de la Cour de l’impôt rendues dans le cadre de la procédure informelle, lorsque la contestation est fondée sur l’erreur de droit.

ANALYSE

Les lois fiscales doivent être soumises aux mêmes règles d’interprétation que les autres lois. La Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, s’applique à la Loi de l’impôt sur le revenu. Aux termes de l’article 12 de la Loi d’interprétation, la Loi de l’impôt sur le revenu est censée apporter une solution de droit et « s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ». L’interprétation littérale des dispositions fiscales a été mise de côté en faveur de la règle du sens ordinaire, qui est fondée sur l’objet (Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536). Il faut donc considérer l’objet d’une disposition et déterminer son sens ordinaire à la lumière de cet objet.

Toute interprétation du paragraphe 19(1) des Règles de 1971 concernant l’application de l’impôt sur le revenu doit tenir compte de l’objet du paragraphe, qui consistait à accorder une période transitoire pour l’applicabilité du nouvel alinéa 6(1)f) de la Loi de l’impôt sur le revenu qui, pour la première fois, prescrivait l’imposition des prestations d’assurance-salaire ou d’invalidité. Le paragraphe 19(1) figure dans la partie des Règles intitulée « Règles transitoires spéciales » Il est donc raisonnable de conclure qu’il avait pour objet d’établir un régime transitoire visant à atténuer toute injustice que pourrait engendrer le nouveau régime. Le paragraphe 19(1) avait pour objet, dans la mesure où celui-ci peut être déterminé à partir du libellé du paragraphe même, de faire en sorte que les personnes bénéficiant de prestations d’assurance-salaire ou d’invalidité avant l’entrée en vigueur de la nouvelle disposition continuent de recevoir ces prestations exemptes d’impôt fédéral sur le revenu. En outre, le paragraphe 19(1) retardait l’application de l’alinéa 6(1)f) de 1971 (l’année où la modification est entrée en vigueur) à 1974, afin, on le présume, de permettre aux contribuables et aux assureurs de s’adapter à la nouvelle disposition fiscale. De plus, le législateur a fait une autre concession en n’exigeant pas que ces sommes aient commencé à être versées avant 1974 pour être exemptes; il a également permis une exemption à l’égard des prestations versées après 1974 relativement à une perte causée par un événement survenu avant 1974.

Compte tenu de ces faits, il est nécessaire d’examiner de près le paragraphe 19(1) des Règles de 1971 concernant l’application de l’impôt sur le revenu pour déterminer le sens du terme « événement ». Vu la position prescrite par l’article 12 de la Loi d’interprétation, il semblerait peu sage d’adopter la position du juge de la Cour de l’impôt et de limiter la définition du terme « événement » causant la perte du revenu tiré d’une charge ou d’un emploi à des cas soudains ou traumatiques de nature accidentelle. Suivant cette conception, les prestations d’invalidité reçues par une personne devenue invalide par suite d’un accident pourraient ne pas être imposées en application de l’alinéa 6(1)f), alors que les sommes versées à une personne ayant souffert d’une maladie qui rend invalide pourraient l’être. Il y a lieu d’éviter un traitement si inégal si le libellé le permet.

Une définition aussi restrictive du paragraphe 19(1) pourrait également déjouer l’un des objets du paragraphe, qui consiste à maintenir l’exemption d’impôt à l’égard des indemnités reçues par la personne qui, avant 1974 et autrement que par suite d’un accident, devient invalide au point d’être incapable de travailler. Un résultat aussi discriminatoire devrait également être évité.

L’avocat de la Couronne paraît avoir reconnu, dans sa plaidoirie, que le terme « événement » ne peut être défini de façon si restrictive, et il n’a pas soutenu que le juge de la Cour de l’impôt a conclu à juste titre que l’apparition d’une maladie ne pourrait jamais être un « événement » aux fins du paragraphe 19(1) des Règles. De fait, la Couronne n’a pas contesté la justesse de son propre Bulletin d’interprétation 428, aux termes duquel le mot « événement » en général désigne « la cause de l’invalidité », et qui utilise à titre d’exemple d’un événement l’apparition des premiers symptômes d’une maladie de dégénérescence, « peu importe le moment où l’invalidité se manifeste vraiment ».

Isoler l’« événement » relativement à l’apparition de la maladie est facile si la perte du revenu d’emploi est survenue avant 1974. Dans ce cas, on peut dire que l’« événement » est le fait pour le contribuable de devenir invalide au point de ne plus pouvoir travailler. Toutefois, le problème auquel le juge de la Cour de l’impôt a dû faire face dans sa décision antérieure Gabrielle, précitée, de même que dans la présente demande, est de savoir si le législateur voulait que l’événement survenu avant 1974 et causant une incapacité après 1974 tombe sous le coup du paragraphe 19(1). C’est là une tâche plus ardue.

Dans une de ses décisions, la Cour de l’impôt a jugé que le contribuable est visé par le paragraphe 19(1) lorsqu’il devient invalide après 1974 par suite d’un événement survenu avant 1974. Dans l’arrêt Phillips (B.A.) c. M.R.N., [1990] 2 C.T.C. 2495 (C.C.I.), le juge en chef de la C.C.I., le juge Couture, a conclu que la blessure que la contribuable s’est infligée au bas du dos lors d’une chute dans les escaliers en 1972 était l’événement qui lui avait causé la perte de revenu d’emploi à partir de 1984. Malheureusement, dans cette affaire, les arguments sur l’intervalle entre l’accident et l’incapacité portaient uniquement sur la question de la causalité factuelle. Le juge de la Cour de l’impôt paraît s’être fondé sur le Bulletin d’interprétation 428, suivant lequel, dans la mesure où l’événement survient avant 1974, l’incapacité peut survenir ultérieurement; à son avis, tout ce qui compte, c’est la preuve de la causalité.

Si la décision dans Phillips est juste, comment pourrait-on toutefois cerner l’« événement » antérieur à 1974 lorsqu’un processus cumulatif comme la progression d’une maladie est en cause? Suffit-il que la maladie ait été contractée avant 1974? Compte tenu des progrès de la science en génétique, l’identification d’une prédisposition génétique à un certain état serait-elle suffisante? Le Bulletin d’interprétation décrit l’événement comme l’apparition des premiers symptômes de la maladie, mais cette définition semble sans grande utilité compte tenu de son imprécision. Les définitions lexicographiques ne sont guère utiles. Plus on constate combien difficile il serait de cerner l’« événement » dans le cas où une incapacité postérieure à 1974 découle d’un processus cumulatif antérieur à 1974, comme une maladie, moins il est probable qu’il s’agisse là de l’intention du législateur. Il y a lieu de rappeler qu’il n’est pas question en l’espèce de juste compensation pour une invalidité provoquée par diverses causes pendant un certain nombre d’années, mais de l’imposition de prestations reçues du fait d’une invalidité. Ces deux situations différentes pourraient fort bien commander une démarche différente.

Le paragraphe 19(1) des Règles avait pour objet d’une part de prévenir l’imposition inattendue des prestations d’invalidité du bénéficiaire qui, avant 1974, recevait ces sommes en vertu de régimes qui n’étaient pas structurés de façon à tenir compte de l’imposition entre les mains du bénéficiaire, et d’autre part d’accorder un délai de grâce pour permettre la modification des régimes d’assurance de façon à compenser ce nouvel impôt. Si l’incapacité survenait après 1974, le bénéficiaire recevrait alors des prestations en vertu d’un régime conçu de façon à tenir compte de l’imposition de ces prestations entre les mains du bénéficiaire, et celui-ci ne serait plus visé par le paragraphe 19(1) des Règles. La loi n’avait pas pour objet d’accorder un gain fortuit aux bénéficiaires de prestations qui pouvaient les relier à un accident ou une maladie antérieurs à 1974. Je conclus que le Bulletin d’interprétation présume à tort que l’incapacité entraînant la perte du revenu d’emploi peut se produire après 1974. J’estime également que, dans l’affaire Phillips, on n’aurait pas dû accepter l’analyse du Bulletin d’interprétation.

Par conséquent, l’« événement » qui doit se produire avant 1974 est l’invalidité même qui empêche une personne de travailler pleinement, et qui entraîne la perte de revenu d’emploi. C’est à mon avis dans ce sens qu’il faut interpréter la disposition. Elle prescrit clairement qu’aucun impôt n’est payable dans le cas « des sommes reçues par un contribuable … qui lui étaient payables relativement à la perte, par suite d’un événement survenu avant 1974 ». La perte subie est la perte de revenu. L’événement est l’invalidité qui a causé cette perte de revenu. Ces deux événements doivent survenir avant 1974 pour que l’exemption s’applique. Une telle interprétation est conforme à l’objet de la Loi. Elle est également conforme à l’intention du législateur d’atténuer l’injustice pendant la période transitoire. Elle a pour effet d’accorder un traitement égal à tous ceux qui deviennent invalides par suite d’un accident ou d’une maladie. En outre, elle prévient la difficulté qu’il y a à préciser l’apparition des premiers symptômes. Que cette interprétation ne soit pas compatible avec le Bulletin d’interprétation 428 est malheureux, mais inévitable.

Il reste une dernière question. Comment faut-il considérer la récurrence d’une invalidité qui, à sa première manifestation, aurait pu être qualifiée d’« événement » aux fins du paragraphe 19(1)? Cette question est soulevée directement par les faits de la présente demande; en effet, le requérant est retourné au travail à temps plein après ses traitements en 1972 et 1973, et il a été capable de poursuivre son travail en dépit de sa maladie jusqu’en 1982. De fait, aux fins du paragraphe 19(1) des Règles, la récurrence d’une invalidité survenue avant 1974 après une période au cours de laquelle le contribuable n’était pas incapable de travailler n’est pas différente de l’incapacité qui survient pour la première fois après 1974. À cet égard, je suis d’accord avec le Bulletin d’interprétation 428 : « dans le cas d’une maladie rechutante comme une allergie saisonnière ou une amygdalite chronique, l’“événement” ne désigne que le moment précis d’une attaque ». La question de la causalité factuelle entre un événement survenu avant 1974 et une invalidité actuelle n’est pas pertinente quant à l’applicabilité du paragraphe 19(1) des Règles lorsqu’il y a eu interruption dans la perte du revenu d’emploi. En droit, dans de telles circonstances, la récurrence est elle-même le seul « événement » pertinent dans la détermination de l’assujettissement à l’impôt de tous paiements.

CONCLUSION

Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que la maladie psychologique du requérant était de nature récurrente, ce dont il faut inférer que la période d’incapacité commençant en 1982 était le seul « événement » pertinent. Par conséquent, sa conclusion, et non pas tout son raisonnement, était juste en droit. La preuve n’appuyait pas l’existence d’un « événement » antérieur à 1974, laquelle justifierait une exemption.

La demande fondée sur l’article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8)] sera par conséquent rejetée.

Le juge en chef Isaac : Je souscris à ces motifs.

Le juge McDonald, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

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