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[1994] 2 .C.F. 356

T-2381-93

Kathy Marion Armstrong (requérante)

c.

Le commissaire N. D. Inkster de la Gendarmerie royale du Canada en sa qualité de commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, le sous-commissaire J. D. Farrel de la Gendarmerie royale du Canada en sa qualité d’officier compétent, le surintendant E. P. Craig de la Gendarmerie royale du Canada en sa qualité d’officier désigné, Commission de licenciement et de rétrogradation nommée en vertu de l’article 45.2 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, modifiée, composée du surintendant J. D. Maxwell (président), de l’inspecteur D. M. A. McLay (membre) et de l’inspecteur J. P. R. Poitras (membre), et l’inspecteur Mortimer de la Gendarmerie royale du Canada en sa qualité d’officier responsable du détachement de Langley, division « E » (intimés)

Répertorié : Armstrong c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada) (1re inst.)

Section de première instance, juge Rothstein—Vancouver, 7 décembre 1993; Toronto, 27 janvier 1994.

GRC — Confirmation par le commissaire de la décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation — La procédure de renvoi a-t-elle été suivie? — Le Manuel d’administration a été suivi en substance, et il n’a pas été prouvé que la requérante a subi un préjudice — Il n’est pas nécessaire de présenter une preuve testimoniale directe devant la commission — La Commission satisfait aux conditions d’indépendance — Le commissaire n’a pas délégué sa fonction décisionnelle à un subordonné — Le commissaire a appliqué le critère objectif approprié pour déterminer si la requérante était apte à occuper son poste.

Contrôle judiciaire — Décision du commissaire de la GRC confirmant la décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation — Le Manuel d’administration a été suivi en substance, et il n’a pas été prouvé que la requérante a subi un préjudice — Il n’est pas nécessaire de présenter une preuve testimoniale directe devant la Commission — L’indépendance de la commission est assurée par la rédaction soigneuse et délibérée des dispositions de la Loi sur la GRC, lesquelles établissent une procédure de renvoi équitable et appropriée — Il ne convient pas que la Cour impose de nouvelles conditions — Le commissaire n’a pas délégué sa fonction décisionnelle à un subordonné — Le commissaire a appliqué le critère objectif approprié pour déterminer que la requérante n’était pas apte à occuper son poste.

La requérante était gendarme dans la GRC. La difficulté qu’elle éprouvait dans la rédaction de procès-verbaux de contraventions et de rapports et qui causait des problèmes dans la poursuite des infractions, a fait en sorte que la Commission de licenciement et de rétrogradation a statué qu’elle devrait être renvoyée pour inaptitude. Elle s’est pourvue en appel devant le commissaire, lequel a rejeté l’appel.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du commissaire parce que certaines conditions préalables à l’exercice de la compétence du commissaire n’auraient pas été remplies, que les règles de justice naturelle n’auraient pas été respectées et que la décision du commissaire comporteraient des erreurs. C’est la première cause de ce genre en vertu de l’actuelle Loi sur la GRC.

Jugement : la demande doit être rejetée.

L’argument voulant que la procédure de renvoi prévue dans le Manuel d’administration n’ait pas été correctement suivie—on aurait pu avoir recours, de nouveaux, aux rapports provisoires avant la signification de l’avis de carences professionnelles—n’est pas fondé. Premièrement, le Manuel d’administration n’a pas force de loi. Deuxièmement, même si c’était le cas, il a été respecté en substance, et il n’a pas été prouvé que la requérante a subi un préjudice.

Le fait que les éléments de preuve sur lesquels la Commission de licenciement et de rétrogradation s’est fondée pour rendre une décision défavorable à la requérante n’ont pas été présentés au moyen de témoignages sous serment et que la requérante n’a pas eu la possibilité de procéder à un contre-interrogatoire ne constitue pas un manquement aux règles de justice naturelle. Suivant l’économie de la Loi et de la consigne, la GRC devait soumettre ses éléments de preuve sous forme documentaire, et l’avocat de l’officier compétent n’était pas tenu de faire entendre des témoins en interrogatoire principal. La Commission n’a, en outre, été saisie d’aucune demande visant à faire comparaître les auteurs des documents pour qu’ils soient contre-interrogés. Remarque : bien qu’une commission ne soit pas tenue d’accorder de telles demandes, elle devrait les prendre au sérieux et les trancher en fonction des circonstances de l’espèce, en tenant compte des déclarations litigieuses, des autres moyens de les contester et des autres facteurs pertinents.

L’indépendance de la Commission de licenciement et de rétrogradation a été mise en doute parce que le président et un autre membre n’étaient pas des arbitres à temps plein. L’alinéa 11d) de la Charte, qui garantit le droit à « un procès public et équitable » devant « un tribunal indépendant et impartial » ne s’applique pas puisque la requérante n’est pas un « inculpé ». L’examen des procédures prévues dans la Loi sur la GRC révèle une rédaction soignée et délibérée des dispositions par lesquelles le législateur a prescrit une procédure de renvoi équitable et appropriée, comprenant la constitution de la Commission de licenciement et de rétrogradation et l’examen par un comité externe indépendant. La Cour ne récrira pas la Loi pour y incorporer de nouvelles conditions d’indépendance qu’elle pourrait juger plus compatibles avec les exigences de la justice naturelle.

Le résumé préparé par un membre de l’état-major du commissaire et sur lequel le commissaire s’est fondé pour rendre sa décision ne renferme pas de faits et d’éléments de preuve qui n’ont pas été soumis à la Commission de licenciement et de rétrogradation.

Le commissaire n’a pas non plus délégué sa fonction décisionnelle à un membre de son état-major relativement au renvoi de la requérante. Bien que le commissaire ait reçu de l’aide d’un membre de son état-major, sous la forme d’un résumé complet de l’affaire assorti de commentaires et faisant état des questions importantes à examiner, il a pris la décision personnellement. Il n’y a pas eu délégation illégale ni violation des règles de justice naturelle.

Le commissaire a adopté le critère objectif approprié pour statuer sur l’aptitude de la requérante à occuper son poste. Il a tenu compte du rendement de celle-ci en fonction de sa capacité d’effectuer le travail et d’exécuter les travaux d’écriture requis d’un gendarme de niveau 1 à la police générale, dans n’importe quel détachement.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 11d).

Consignes du commissaire (procédure et pratique devant les commissions), DORS/88-367, (mod. par DORS/90-790, art. 1) art. 18, 22.

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, art. 21(2) (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 12), 25 (mod., idem, art. 16), 45.18 (édicté, idem), 45.19 (édicté, idem), 45.2 (édicté, idem), 45.22 (édicté, idem), 45.23 (édicté, idem), 45.24 (édicté, idem), 45.25 (édicté, idem), 45.26 (édicté, idem).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Furnell v. Whangarei High Schools Board, [1973] A.C. 660 (P.C.); Pearlberg v. Varty, [1972] 1 W.L.R. 534 (H.L.); Khan v. College of Physicians and Surgeons of Ontario (1992), 9 O.R. (3d) 641; 94 D.L.R. (4th) 193; 76 C.C.C. (3d) 10; 57 O.A.C. 115 (C.A.); Selvarajan v Race Relations Board, [1976] 1 All ER 12 (C.A.); Aro Canada Ltd. and Int’l Assoc. of Machinists, Lodge 1817, Re (1975), 10 L.A.C. (2d) 81 (Ont.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Willette c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 1 C.F. 423; (1984), 10 Admin. L.R. 149; 56 N.R. 161 (C.A.); R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259; (1992), 88 D.L.R. (4th) 110; 70 C.C.C. (3d) 1; 8 C.R.R. (2d) 89; 133 N.R. 241; Emerson and Law Society of Upper Canada, Re (1983), 44 O.R. (2d) 729; 5 D.L.R. (4th) 294; 41 C.P.C. 7 (H.C.); Sawyer and Ontario Racing Commission, Re (1979), 24 O.R. (2d) 673; 99 D.L.R. (3d) 561 (C.A.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Spring v. Law Society of Upper Canada (1988), 64 O.R. (2d) 719; 50 D.L.R. (4th) 523; 30 Admin. L.R. 151; 28 O.A.C. 375 (C. div.).

DÉCISION CITÉE :

Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673; (1985), 52 O.R. (2d) 779; 24 D.L.R. (4th) 161; 23 C.C.C. (3d) 193; 49 C.R. (3d) 97; 19 C.R.R. 354; 37 M.V.R. 9; 64 N.R. 1; 14 O.A.C. 79.

DOCTRINE

Mullan, D. J. Administrative Law, 2d ed., Toronto : Carswell, 1979.

DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE de la décision du commissaire de la Gendarmerie royale du Canada de confirmer la décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation de renvoyer la requérante de la GRC pour cause d’inaptitude. Demande rejetée.

AVOCATS :

Karl F. Warner pour la requérante.

George C. Carruthers pour les intimés.

PROCUREURS :

Warner, Scarborough, Herman & Harvey, New Westminster (Colombie-Britannique), pour la requérante.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rothstein : La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 24 septembre 1993 par laquelle le commissaire N. D. Inkster de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a confirmé la décision d’une Commission de licenciement et de rétrogradation prononçant le renvoi de la requérante. Cette dernière cherche à obtenir une ordonnance pour annuler la décision du commissaire et prescrire sa réintégration dans la GRC avec son plein salaire, ses privilèges et son ancienneté.

LES FAITS

La requérante est entrée dans la GRC le 20 novembre 1985. Elle a terminé sa formation le 2 juin 1986 et a été affectée à la Section de la protection des personnalités canadiennes et des agents diplomatiques à Vancouver le 18 juin 1986. Environ cinq mois plus tard, elle a été affectée au détachement de Langley en Colombie-Britannique, où elle a travaillé pendant quatre ans. Le 11 novembre 1990, elle a été détachée à l’aéroport international de Vancouver. Un mois plus tard, soit le 18 décembre 1990, on l’a renvoyée à Langley.

À partir d’octobre 1987, la requérante a fait l’objet d’évaluations sommaires du rendement périodiques dans lesquelles ses superviseurs évaluaient son rendement pour une période antérieure (habituellement un an). En raison des critiques formulées dans les évaluations de rendement de la requérante, principalement attribuables à la difficulté qu’elle semblait avoir à s’acquitter des travaux d’écritures, comme l’établissement de procès-verbaux de contravention et la rédaction de rapports, ce qui causait des difficultés aux stades de l’introduction des procédures et du procès, on a décidé que la requérante ferait l’objet de rapports provisoires à intervalles plus rapprochés. Le 3 mars 1991[1], on lui a signifié un avis de carences professionnelles. Dans cet avis de douze pages, on faisait état de plusieurs faiblesses relevées dans le travail qu’elle avait accompli au cours de son affectation à Langley et on l’avisait des mesures à prendre pour corriger la situation. Enfin, on l’informait que son rendement serait étroitement surveillé au cours des trois prochains mois et ferait l’objet de trois rapports provisoires. De l’aide, des conseils et de la surveillance lui seraient prodigués pour l’aider à s’amender. Si elle ne parvenait pas à atteindre un niveau de rendement satisfaisant, l’avis indiquait qu’elle ferait l’objet d’une recommandation de renvoi.

Les trois rapports provisoires n’ont fait état d’aucune amélioration dans le rendement de la requérante. En conséquence, celle-ci a reçu, le 8 juillet 1991, un avis par lequel l’officier responsable l’informait qu’il recommandait l’envoi d’un avis d’intention de licenciement. Du même coup, on a retiré à la requérante toutes ses fonctions policières. Le 16 octobre 1991, l’officier compétent (le commandant divisionnaire de la requérante) a signé, relativement à la requérante, un avis d’intention concernant le licenciement ou la rétrogradation.

Lorsque la requérante a reçu l’avis en date du 8 juillet 1991 de l’officier responsable, elle a pris deux mesures. Elle a d’abord présenté un grief relativement au fait qu’on lui retirait toutes ses fonctions policières, puis elle a demandé la tenue d’une audience sur la sanction projetée devant une Commission de licenciement et de rétrogradation.

Le grief de la requérante a été rejeté au premier niveau de la procédure applicable aux griefs. Cependant, la requérante a eu gain de cause au deuxième niveau et a fait l’objet d’une ordonnance de réintégration. Le membre qui constituait le deuxième niveau n’a pas examiné le fond de la cause, mais simplement la compétence qu’avait l’officier responsable de retirer à la requérante ses fonctions policières en attendant que soient prises d’autres mesures de renvoi. Il a conclu que l’officier responsable était uniquement habilité à recommander le renvoi d’un membre. Il n’avait pas compétence pour imposer une suspension en attendant la prise d’autres mesures de renvoi.

Une Commission de licenciement et de rétrogradation a été nommée consécutivement à la deuxième mesure prise par la requérante. Après avoir tenu des audiences du 2 au 6 mars 1992, la Commission a statué, le 8 juin 1992, que la requérante devait être renvoyée pour inaptitude.

La requérante a interjeté appel de la décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation. Avant de trancher l’appel, le commissaire doit, conformément au paragraphe 45.25(1) [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16] de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, modifiée (Loi sur la GRC), le renvoyer devant le Comité externe d’examen. Dans la décision qu’il a rendue le 8 juillet 1993, le Comité a conclu que le renvoi ordonné par la Commission de licenciement et de rétrogradation était inopportun et il a recommandé la mutation de la requérante.

Le commissaire a ensuite étudié l’appel. Le 24 septembre 1993, il a conclu que le motif d’inaptitude avait été établi et que l’appel interjeté par la requérante contre la décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation devait être rejeté.

LES QUESTIONS EN LITIGE

Selon la requérante, il convient d’annuler la décision du commissaire Inkster pour les motifs suivants : a) certaines conditions préalables à l’exercice de la compétence du commissaire n’ont pas été remplies; b) les règles de justice naturelle n’ont pas été respectées; et c) la décision même du commissaire renferme des erreurs.

Les avocats des parties m’ont informé qu’il s’agissait de la première cause de ce genre en vertu de l’actuelle Loi sur la GRC. Pour cette raison, je vais m’attarder à chaque moyen invoqué par l’avocat de la requérante.

1. L’avocat de la requérante soutient que sa cliente était en droit de faire l’objet de rapports provisoires—ce qui n’a pas été le cas—entre la date de la dernière évaluation faisant état d’un rendement insatisfaisant, soit le 11 décembre 1990, et la date à laquelle on lui a signifié un avis de carences professionnelles, soit le 3 mars 1991. Selon lui, il s’agit d’une condition préalable à la prise de toutes les mesures qui ont abouti à la décision du commissaire Inkster. Puisque cette condition n’a pas été remplie, aucune compétence n’existait en ce qui a trait à l’avis de carences professionnelles remis à la requérante, aux audiences et à la décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation ainsi qu’à la décision rendue par le commissaire.

Les dispositions qui régissent la GRC au chapitre des renvois sont contenues dans la Loi sur la GRC, dans les règlements pris par le gouverneur en conseil en application de la Loi et dans les règles établies par le commissaire conformément au paragraphe 21(2) [mod., idem, art. 12] de la Loi sur la GRC. Ces règles sont appelées consignes du commissaire. L’avocat des intimés a produit une série de consignes publiées dans la Gazette du Canada, Partie II. La procédure concernant la présentation de rapports provisoires dont la requérante n’aurait pas bénéficié en l’espèce n’est prévue nulle part dans la Loi sur la GRC, les règlements ou les consignes du commissaire.

L’avocat de la requérante affirme cependant que les procédures qui n’ont pas été suivies se trouvent dans le Manuel de la gestion des carrières—Politique nationale de la GRC et dans le Manuel de la gestion des carrières pour la Division « E » (Colombie-Britannique). Ces deux manuels font partie du Manuel d’administration, dans lequel on peut lire la note suivante à la première page :

3.   Chaque membre doit obéir et se conformer à tous les règlements, ordres permanents et lignes de conduite du présent manuel, et doit pouvoir [sic] les interpréter raisonnablement et intelligemment, dans le meilleur intérêt de la G.R.C.

Selon l’avocat de la requérante, cette note rend l’observation des manuels obligatoire en leur donnant, en réalité, une autorité égale à la loi que la requérante peut invoquer.

Je ne suis pas d’accord avec lui. Les manuels n’ont pas force de loi parce que les officiers et les membres de la GRC ont reçu la directive d’y obéir et de s’y conformer. Il s’agit du genre de directive qu’on s’attend à trouver, implicitement ou explicitement, dans n’importe quelle organisation commerciale. C’est un avis qui informe les employés qu’ils sont censés suivre les procédures qui s’appliquent à eux. Ces procédures peuvent avoir force de loi si elles se trouvent dans des lois ou des règlements, ou bien dans les consignes du commissaire, mais, en soi, une directive portant qu’on les respecte ne leur donne pas force de loi.

Selon l’avocat de la requérante, la procédure qui n’a pas été suivie a trait aux rapports provisoires dont la requérante faisait l’objet et que l’on a cessé de rédiger avant la signification de l’avis de carences professionnelles à la requérante. Le Manuel de la gestion des carrières—Politique nationale fournit des instructions aux superviseurs sur ce point sous la rubrique « Rendement Insatisfaisant » (L.2.a à L.2.e). Le superviseur qui omettrait de se conformer à ces instructions aurait certainement des comptes à rendre à son supérieur. Cependant, ces instructions ne constituent pas un code de procédure qui confère des droits à un membre de la GRC.

La Commission de licenciement et de rétrogradation tout comme le Comité externe d’examen se sont penchés sur la question du non-respect des manuels. La Commission est arrivée à la conclusion qu’on avait respecté le manuel en substance. Elle a déclaré, aux pages 5 et 6 de ses motifs :

[traduction] … la Commission est d’avis que l’évaluation de rendement de novembre 1990 satisfait foncièrement aux exigences de la politique en fournissant des détails sur l’insuffisance du rendement, en citant les conseils qui ont été donnés au membre et les attentes à son endroit et en mentionnant les mesures prises pour guider le membre le mieux possible. L’évaluation de rendement a été précédée d’une série de fiches de rendement (formule 1004), qui faisaient état des lacunes du membre et s’inscrivent dans le cadre d’une supervision normale, et a été suivie d’un avis de carences professionnelles en mars 1991.

La Commission croit que même si la politique n’a pas été suivie à la lettre, son esprit a été respecté. La requête est donc rejetée.

Le Comité externe d’examen a conclu que la requérante n’avait subi aucun préjudice grave à cause d’un quelconque manquement à la procédure. Il a fait les remarques suivantes aux pages 43 et 44 de sa décision :

[traduction] Le rapport provisoire susmentionné a deux objectifs principaux : informer le membre que la gestion s’inquiète de son rendement et fournir à la gestion suffisamment de renseignements pour qu’elle décide quelle mesure est appropriée.

En l’espèce, l’appelante a raison de dire que son Évaluation sommaire du rendement de 1990 ne répondait pas à toutes les exigences d’un rapport provisoire, en particulier celles énoncées aux dispositions 2.L.2.c.2., 2.L.2.e.1. et 2.L.2.e.2. du MGC. Par ailleurs, la preuve révèle qu’elle connaissait, ou à tout le moins aurait dû connaître, la situation à laquelle elle devait faire face, et le dossier indique qu’elle a répondu ainsi au document : « Bien que je ne sois pas heureuse des résultats de cette évaluation, je prévois faire tous les efforts possibles pour améliorer la qualité de mon travail et l’exécution de mes fonctions, afin d’atteindre un niveau plus acceptable dans l’avenir. »

Les vices invoqués par l’appelante sont purement de nature procédurale et ne lui ont pas nui. La preuve laisse entendre que l’Évaluation sommaire du rendement de 1990 aurait entraîné l’émission de l’Avis de faiblesses, même si les dispositions 2.L.2.c. et 2.L.2.e. du MGC avaient été tout à fait respectées. Je conclus donc que l’appelante n’a subi aucun préjudice important. Par conséquent, sa première requête préliminaire devrait être rejetée.

Je me rallierais à l’opinion de la Commission et du Comité externe d’examen. Même si le Manuel d’administration avait eu force de loi—ce que je ne crois pas—il a été respecté en substance et il n’a pas été prouvé que la requérante a subi un préjudice. Dès lors, le fait que la GRC n’a pas suivi le manuel à la lettre ne devrait pas entraîner de conséquences.

2. L’avocat de la requérante soutient que les éléments de preuve sur lesquels la Commission de licenciement et de rétrogradation s’est fondée pour rendre une décision défavorable à la requérante n’ont pas été présentés au moyen de témoignages sous serment, et que la requérante n’a pas eu la possibilité de procéder à un contre-interrogatoire à l’égard de ces éléments de preuve. Il s’agit selon lui d’un manquement aux règles de justice naturelle, et il s’ensuit que la Commission de licenciement et de rétrogradation a rendu une décision alors qu’elle n’avait pas compétence pour le faire et, partant, que le commissaire Inkster a lui aussi rendu une décision en appel sans avoir compétence pour le faire.

La GRC a soumis ses éléments de preuve à la Commission par écrit. Il m’a d’abord paru inhabituel que la GRC procède ainsi, surtout compte tenu de l’article 18 des Consignes du commissaire (procédure et pratique devant les commissions), DORS/88-367 [mod. par DORS/90-791, art. 1], qui est ainsi libellé :

18. Les témoignages devant une commission sont faits sous serment ou par affirmation solennelle.

Cependant, je suis maintenant convaincu que la Loi sur la GRC et les Consignes du commissaire (procédure et pratique devant les commissions) prévoient effectivement la procédure qui a été suivie dans la présente espèce.

On a donné à entendre que, dans les causes de renvoi, les preuves d’un rendement insatisfaisant sont habituellement amassées sur une période de plusieurs années. Il serait peu réaliste d’obliger la GRC à appeler tous les superviseurs d’un membre à témoigner devant la Commission. Bien qu’il puisse s’agir de la raison pour laquelle le législateur a prévu cette procédure, la conclusion à laquelle je suis parvenu est fondée sur les termes de la Loi et de la consigne.

La Loi sur la GRC [article 45.19 (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16] prévoit qu’un membre ne peut faire l’objet d’un renvoi avant qu’on lui ait signifié un avis d’intention de recommander son renvoi :

45.19 (1) Un officier ne peut faire l’objet d’une recommandation de renvoi ou de rétrogradation et un autre membre ne peut être renvoyé ni rétrogradé, en vertu de la présente partie, avant que l’officier compétent ne lui ait signifié, par écrit, un avis d’intention à cet effet.

L’avis doit contenir un exposé détaillé des actes ou des omissions constituant le motif d’inaptitude :

45.19

(2) L’avis d’intention visé au paragraphe (1) contient les éléments suivants :

a) un exposé détaillé des actes ou des omissions constituant le motif d’inaptitude devant servir de fondement à la sanction projetée;

Le membre a ensuite la possibilité d’examiner la documentation ou les pièces présentées à l’appui de la recommandation :

45.19

(3) L’officier ou l’autre membre à qui est signifié l’avis visé au paragraphe (1) doit avoir toute latitude pour examiner la documentation ou les pièces présentées à l’appui de la sanction projetée.

Lorsqu’une commission de licenciement et de rétrogradation est constituée, la documentation ou les pièces que le membre a examinées, et sur lesquelles repose la sanction projetée, sont remises à la commission [article 45.22 (édicté, idem)] :

45.22

(2) Avant de procéder à la révision dont elle est saisie, la commission de licenciement et de rétrogradation reçoit de l’officier compétent la documentation ou les pièces que l’officier ou l’autre membre qui a demandé la révision a eu la possibilité d’examiner conformément au paragraphe 45.19(3).

Aucune disposition de la Loi ne prévoit expressément que la GRC doit présenter ses éléments de preuve à la commission de licenciement et de rétrogradation par l’intermédiaire de témoins. Par contre, ce droit est expressément accordé au membre qui fait l’objet de la recommandation de renvoi :

45.22

(3) La commission de licenciement et de rétrogradation procède à la révision dont elle est saisie après avoir dûment avisé l’officier ou l’autre membre ayant demandé la révision; elle accorde à cet officier ou à ce membre toute latitude pour comparaître devant la commission, y produire des éléments de preuve documentaire, y faire des observations et, avec la permission de la commission, y citer des témoins, soit personnellement, soit par l’intermédiaire d’un avocat ou autre représentant.

Je ferais remarquer qu’aux termes du paragraphe 45.22(3), même le membre semble avoir le droit de produire des éléments de preuve documentaire, et que l’exercice de ce droit n’est pas subordonné à l’assignation de témoins pour identifier et présenter ces éléments de preuve.

L’article 22 des Consignes du commissaire (procédure et pratique devant les commissions) décrit aussi la façon dont la GRC peut participer à une audience devant une commission :

22. Au cours de la révision, effectuée par la commission de licenciement et de rétrogradation, de la cause d’un officier ou d’un autre membre, le représentant de l’officier compétent peut :

a) faire des observations;

b) produire des éléments de preuve documentaire en réponse à l’autre partie;

c) contre-interroger et appeler des témoins en réponse à l’autre partie.

Il convient de mentionner que l’avocat de l’officier compétent (le commandant divisionnaire de la requérante en l’espèce) peut citer des témoins en réponse à l’autre partie, mais on ne précise nulle part que l’officier compétent peut présenter une preuve testimoniale directe.

Je suis conscient du fait que l’article 18 des Consignes du commissaire (procédure et pratique devant les commissions) dispose que tous les témoignages doivent être faits sous serment ou par affirmation solennelle. Réflexion faite, je suis d’avis que cette disposition signifie simplement que la personne appelée à témoigner doit déclarer sous serment ou affirmer solennellement qu’elle dira la vérité. En soi, cette disposition n’implique pas que l’assignation de témoins est la seule façon de présenter des éléments de preuve à la commission.

Vu l’économie de la Loi et de la consigne, je suis convaincu que la GRC doit soumettre ses éléments de preuve sous forme documentaire et que l’avocat de l’officier compétent n’est pas tenu, et, en fait, ne paraît pas avoir le droit, de faire entendre des témoins en interrogatoire principal.

Il me reste encore à statuer sur le moyen voulant qu’on ait refusé à la requérante le droit de contre-interroger les auteurs des documents que la GRC a présentés à la Commission. L’affidavit du sergent d’état-major Allan Kenneth Mathews, qui était le représentant de l’officier compétent, c’est-à-dire l’avocat du commandant divisionnaire devant la Commission, est pertinent à cet égard. Voici ce qu’il a déclaré :

[traduction] 11. À aucun moment avant ou pendant l’audience le sergent d’état-major German [l’avocat de la requérante] n’a fait savoir aux membres de la Commission ou à moi-même qu’il désirait contre-interroger les auteurs de l’un des documents sur lesquels s’est fondé le commandant divisionnaire, notamment les quatre documents précités. Le sergent d’état-major German n’a pas demandé à contre-interroger les auteurs des documents, ni demandé qu’ils soient cités pour être soumis à un contre-interrogatoire.

La requérante n’a pas cherché à contester cette preuve. On ne sait pas très bien si, avant l’audience de la Commission, le sergent d’état-major German a demandé au sergent d’état-major Mathews de faire entendre les auteurs de quelques-uns des documents sur lesquels s’est fondé le commandant divisionnaire. Cependant, même si le sergent d’état-major Mathews avait refusé d’accéder à cette demande, son refus ne constitue pas un manquement aux règles de justice naturelle. Dans la présente espèce, il ressort de la preuve que la Commission n’a été saisie d’aucune demande en ce sens, de sorte qu’il n’y a pas eu déni de justice naturelle.

Le Comité externe d’examen a examiné ce moyen à la page 46 de sa décision :

[traduction] L’appelante a aussi allégué qu’elle n’avait pas eu la possibilité de contre-interroger les auteurs des déclarations avant que celles-ci ne soient admises en preuve. En retardant l’évaluation de la valeur probante des déclarations, la Commission a protégé son droit de le faire. Comme l’officier compétent l’a fait remarquer, l’appelante avait la liberté de déposer des preuves contestant la valeur probante des déclarations, ou d’appeler leurs auteurs à témoigner. Je ne peux conclure que l’appelante a été privée de la possibilité pleine et entière de bien préparer et de bien présenter son dossier.

Je souscris au point de vue du Comité externe d’examen. À mon sens, les termes « avec la permission de la commission, y citer des témoins » qui sont employés au paragraphe 45.22(3) sont assez généraux pour englober la situation du membre qui demande à la commission la permission de citer comme témoins, pour les contre-interroger, les auteurs de documents que l’avocat de l’officier compétent a soumis à la commission et sur lesquels l’officier compétent s’est fondé.

Il est vrai que ces témoins ne peuvent être cités qu’avec la permission de la commission. Cependant, il me semble que la commission risquerait fort de contrevenir aux règles de justice naturelle si elle refusait d’accorder cette permission au membre qui est en mesure de démontrer la nécessité de contredire le contenu d’un document et qui propose de le faire au moyen d’un contre-interrogatoire. Naturellement, comme ce membre demanderait que les auteurs soient cités afin de contester leurs écrits, il faudrait que lui soit accordé, à lui ou à son avocat, le droit de procéder à un contre-interrogatoire alors même qu’il serait celui qui a demandé l’assignation des témoins. Il va sans dire que l’avocat de l’officier compétent devrait avoir la possibilité de produire une contre-preuve sur les nouveaux points soulevés au cours du contre-interrogatoire. Je ne veux pas donner à entendre que la commission doit accéder à chaque demande en ce sens qui lui est présentée. Chaque cas doit être tranché en fonction des circonstances de l’espèce, eu égard aux déclarations litigieuses, aux autres moyens de les contester et à d’autres facteurs pertinents. La commission doit toutefois prendre ces demandes au sérieux.

L’avocat de la requérante ne m’a pas dit ce que la requérante désirait contester au juste dans la documentation et les pièces écrites qui ont été soumises à la Commission. Comme il n’a pas demandé à la Commission d’ordonner que les auteurs des rapports soient cités comme témoins, il n’y a pas eu déni de justice et, partant, les règles de justice naturelle n’ont pas été violées.

Je tiens à faire remarquer que la présente espèce est différente de l’affaire Willette c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 1 C.F. 423 (C.A.), dans laquelle la commission a refusé d’accéder à une demande de contre-interrogatoire. En outre, les procédures dans l’affaire Willette étaient fort différentes parce que la commission était expressément habilitée non seulement à demander que des précisions soient apportées, mais à ajourner l’audience et à demander au commandant divisionnaire de faire entendre d’autres témoins au besoin. Dans cette affaire, il y avait des éléments de preuve incompatibles et contradictoires. Aucune de ces circonstances ou de ces procédures ne s’applique dans l’affaire qui nous occupe.

Je suis convaincu qu’il n’y a pas eu erreur de justice naturelle sous cet aspect dans la présente espèce.

3. L’avocat de la requérante soutient que la Commission de licenciement et de rétrogradation n’était pas indépendante, ce qui contrevient aux règles de justice naturelle. Selon lui, pour être indépendants, les membres de la Commission devaient bénéficier d’une certaine permanence à ce titre et ne pouvaient être choisis pour cette fin particulière parmi des officiers de la GRC qui accomplissent d’autres fonctions.

L’un des membres de la Commission en l’espèce est un arbitre à temps plein à la Direction des normes professionnelles de la GRC. Le président a occupé un poste d’arbitre à temps plein jusqu’en 1989, mais il exerce depuis d’autres fonctions. Pour les besoins de la Commission, le président et l’autre membre ont été choisis sur une liste établie à cette fin.

L’avocat de la requérante invoque l’arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, au soutien de cette prétention. Dans cette affaire, les procédures d’une cour martiale générale ont été contestées pour le motif que les membres de la cour et le juge-avocat n’étaient pas un tribunal indépendant au sens de l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]. L’alinéa 11d) de la Charte garantit à tout inculpé le droit :

11.

d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable.

Dans l’arrêt Généreux, le juge en chef Lamer a statué que la constitution de la cour martiale générale portait atteinte à l’alinéa 11d) de la Charte parce que ses membres n’étaient pas indépendants. Les attributs de l’indépendance, définis dans l’arrêt Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673, sont l’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance institutionnelle. Bien que ces conditions soient susceptibles d’être appliquées avec souplesse afin de répondre aux besoins de divers tribunaux, il faut protéger l’essence de chacune d’elles. Le juge en chef Lamer a fait remarquer que la Charte ne visait pas à miner l’existence d’organismes qui veillent eux-mêmes au maintien d’une discipline, comme les Forces armées canadiennes, et que c’est dans ce contexte qu’il fallait interpréter le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial que garantit l’alinéa 11d).

Dans les observations écrites qu’il a présentées en l’espèce, l’avocat de la requérante a soulevé une foule de moyens pour contester l’indépendance de la Commission de licenciement et de rétrogradation, mais, dans sa plaidoirie, il a limité son argumentation sur ce point à la nomination ad hoc, à titre de président et de membre de la Commission, de deux officiers qui ne sont pas des arbitres à temps plein.

Dans l’arrêt Généreux, le juge en chef Lamer s’est exprimé en ces termes sur ce point à la page 303 :

En outre, selon les règlements en vigueur lors du procès de l’appelant, le juge-avocat n’occupait qu’une charge ad hoc. Par conséquent, il n’y avait objectivement aucune garantie que sa carrière de juge militaire ne serait pas compromise s’il rendait des décisions favorables à l’accusé plutôt qu’à la poursuite. Une personne raisonnable aurait bien pu craindre que la charge de juge militaire d’un avocat militaire ne dépendît de son rendement lors de procès antérieurs. Rien dans ce que j’ai dit en l’espèce ne devrait être interprété comme attaquant l’intégrité du juge-avocat qui a présidé le procès de l’appelant, ni comme laissant entendre que les juges-avocats sont, en réalité, influencés par des préoccupations de carrière dans l’exercice de leurs fonctions décisionnelles. Il reste, cependant, qu’une personne raisonnable aurait bien pu craindre que la personne nommée au poste de juge-avocat ait été choisie parce qu’elle avait satisfait aux intérêts de l’exécutif, ou du moins parce qu’elle n’avait pas sérieusement déçu les attentes de l’exécutif lors de procédures antérieures. Tout système de tribunaux militaires qui ne dissipe pas pareilles craintes est entaché d’un vice au regard de l’al. 11d). Par voie de conséquence, la condition essentielle de l’inamovibilité, dans ce contexte, exige à tout le moins la protection contre l’ingérence de l’exécutif pendant une période déterminée. La charge de juge militaire que remplit un officier ne doit pas, durant une certaine période, dépendre du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif.

L’avocat de la requérante prétend que la Commission de licenciement et de rétrogradation n’était pas indépendante parce que deux de ses membres ne bénéficiaient pas d’une inamovibilité qui les mettait à l’abri de l’ingérence de l’exécutif de la GRC pendant une période déterminée.

Par ailleurs, l’avocat de la requérante s’en est tenu dans son argumentation sur l’indépendance à ce qu’il a appelé les exigences de la justice naturelle. Bien qu’il soit question de la Charte dans ses observations écrites, les avocats des deux parties m’ont informé qu’ils s’étaient entendus pour que ce point soit tranché non pas en fonction de la Charte, mais d’après les exigences de la justice naturelle.

Je fais remarquer, en passant, que l’article 11 de la Charte commence ainsi :

11. Tout inculpé a le droit …

En l’occurrence, la requérante n’est pas un inculpé. Il est clair que l’alinéa 11d) ne s’appliquerait pas à la présente espèce de toute façon.

J’en viens donc à l’examen du point litigieux dans le contexte des dispositions législatives pertinentes et des exigences de la justice naturelle. En supposant, sans décider ce point, que l’indépendance de la Commission de licenciement et de rétrogradation soit une exigence de la justice naturelle, je suis d’avis que la question est la suivante : le législateur, dans la Loi sur la GRC, a-t-il simplement omis cette exigence, auquel cas la Cour remédiera à cette omission, ou a-t-il prescrit un code qui a été soigneusement et délibérément rédigé afin d’établir une procédure équitable et appropriée? Dans ce dernier cas, la présente Cour ne récrira pas la Loi pour y incorporer de nouvelles conditions d’indépendance qu’elle pourrait juger plus compatibles avec les exigences de la justice naturelle.

À mon sens, l’examen des procédures de renvoi prévues dans la Loi sur la GRC révèle une rédaction soignée et délibérée des dispositions par lesquelles le législateur a prescrit une procédure de renvoi équitable et appropriée. Les dispositions qui régissent la commission de licenciement et de rétrogradation se trouvent dans la partie V de la Loi, qui s’intitule « Renvoi et rétrogradation ». Aux termes du paragraphe 45.19(1) précité, avant de renvoyer un membre, on doit lui signifier, par écrit, un avis l’informant qu’on a l’intention de recommander son renvoi. Le membre qui reçoit cet avis peut ensuite demander que sa cause soit révisée par une commission de licenciement et de rétrogradation. Il doit en faire la demande à l’ »officier compétent » qui, en pareil cas, serait le commandant divisionnaire dont il relève :

45.19

(4) L’officier ou l’autre membre, autre qu’un membre stagiaire, à qui est signifié l’avis visé au paragraphe (1) peut, dans les quatorze jours suivant la signification de cet avis, demander par écrit à l’officier compétent la révision de sa cause par une commission de licenciement et de rétrogradation.

Lorsqu’il reçoit une demande, l’officier compétent doit la transmettre à l’officier désigné pour nommer les commissions de licenciement et de rétrogradation :

45.19

(5) Dès qu’il reçoit la demande visée au paragraphe (4), l’officier compétent la transmet à l’officier désigné par le commissaire pour l’application du présent article.

Dans les sept jours qui suivent la réception de la demande, l’officier désigné doit nommer trois officiers à titre de membres d’une commission de licenciement et de rétrogradation et communiquer au membre les noms des officiers nommés [article 45.2 (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16)] :

45.2 (1) L’officier désigné à qui est transmise la demande visée au paragraphe 45.19(5) nomme, dans les sept jours suivant la réception de la demande, trois officiers à titre de commission de licenciement et de rétrogradation pour procéder à la révision demandée, et signifie par avis écrit à l’officier ou à l’autre membre qui a demandé la révision le nom des trois officiers ainsi nommés.

On peut penser que cette façon de procéder donne au membre la possibilité de récuser un officier ainsi nommé s’il a des motifs de croire que cet officier pourrait manquer d’impartialité.

Certains officiers ne peuvent être nommés à titre de membres d’une commission de licenciement et de rétrogradation :

45.2

(4) Ne peut être nommé à titre de membre d’une commission de licenciement et de rétrogradation l’officier qui :

a) soit est le supérieur immédiat du membre dont la cause est révisée par la commission;

b) soit est mêlé à l’affaire soumise à la commission pour avoir provoqué son instruction ou y avoir participé.

La fonction décisionnelle de la commission de licenciement et de rétrogradation est prévue au paragraphe 45.23(1) [article 45.23 (édicté, idem)]. La commission doit décider si le motif d’inaptitude a été établi. Le paragraphe 45.23(2) prévoit que la commission doit rendre une décision écrite, qui comprend l’exposé de ses conclusions quant aux faits, les motifs de sa décision et, lorsqu’elle conclut que le motif d’inaptitude est établi, la mention qu’elle recommande le renvoi du membre :

45.23 (1) La commission de licenciement et de rétrogradation décide si les éléments de preuve qui lui sont soumis établissent le motif d’inaptitude selon la prépondérance des probabilités.

(2) La décision de la commission de licenciement et de rétrogradation est consignée par écrit; elle comprend notamment l’exposé des conclusions de la commission sur les questions de fait essentielles à la décision, les motifs de cette dernière et la mention de la mesure qu’elle a imposée en vertu des paragraphes (3) ou (4).

(3) Lorsque la commission de licenciement et de rétrogradation conclut que le motif d’inaptitude est établi, elle prend l’une des mesures suivantes :

a) recommander le renvoi de l’officier ou renvoyer l’autre membre, selon le cas;

b) recommander la rétrogradation de l’officier ou rétrograder l’autre membre, selon le cas.

Toutefois, la commission n’impose pas la mesure visée à l’alinéa a) si l’avis était un avis d’intention signifié à cet officier ou autre membre recommandant ou prononçant la rétrogradation.

Une copie de la décision doit être signifiée au membre :

45.23

(5) La commission de licenciement et de rétrogradation signifie copie de sa décision à chacune des parties à la révision.

Le membre peut ensuite en appeler de la décision de la commission devant le commissaire, quel que soit le motif d’appel [article 45.24 (édicté, idem)] :

45.24 (1) Chacune des parties à la révision peut en appeler de la décision de la commission de licenciement et de rétrogradation devant le commissaire et elle dispose à cet effet :

a) de quatorze jours à compter de la date où la décision lui a été signifiée;

b) si elle a réclamé la transcription visée au paragraphe 45.23(6), de quatorze jours à compter de la date où elle l’a reçue, lorsque cette date est postérieure à celle visée à l’alinéa a).

(2) Le commissaire entend tout appel, quel qu’en soit le motif.

Avant d’étudier l’appel, le commissaire le renvoie devant le Comité externe d’examen de la GRC, qui est composé d’un président, d’un vice-président et d’au plus trois autres membres nommés par le gouverneur en conseil pour un mandat de cinq ans au maximum. Les membres ne peuvent être révoqués, sauf pour un motif valable. Enfin, ni les membres ni les officiers de la GRC ne peuvent faire partie du Comité [article 25 (mod., idem)] :

25. (1) Est constitué le Comité externe d’examen de la Gendarmerie royale du Canada, composé d’au plus cinq membres, dont le président et un vice-président, nommés par décret du gouverneur en conseil.

(2) Le président est membre à plein temps du Comité. Les autres membres peuvent être nommés à temps plein ou à temps partiel.

(3) Les membres du Comité sont nommés, à titre inamovible, pour un mandat de cinq ans au maximum, sous réserve de révocation par décret du gouverneur en conseil pour motif valable.

(5) Un membre de la Gendarmerie ne peut faire partie du Comité.

Le commissaire étudie ensuite l’appel en se fondant sur la documentation ou les pièces pertinentes, la transcription des audiences tenues devant la commission de licenciement et de rétrogradation, le mémoire d’appel, les argumentations écrites, la décision de la commission de licenciement et de rétrogradation ainsi que les conclusions et les recommandations du Comité externe d’examen [article 45.26 (édicté, idem)] :

45.26 (1) Le commissaire étudie l’affaire portée en appel devant lui en se fondant sur les documents suivants :

a) la documentation ou les pièces que l’officier ou l’autre membre a eu la possibilité d’examiner conformément au paragraphe 45.19(3);

b) la transcription des audiences tenues devant la commission de licenciement et de rétrogradation dont la décision est portée en appel;

c) le mémoire d’appel par lequel l’affaire est portée en appel devant lui;

d) les argumentations écrites qui lui ont été soumises;

e) la décision de la commission de licenciement et de rétrogradation dont il est interjeté appel.

Il tient également compte, s’il y a lieu, des conclusions ou des recommandations exposées dans le rapport du Comité ou de son président.

Lorsque le commissaire choisit de ne pas donner suite à la recommandation du Comité externe d’examen, il doit motiver son choix dans sa décision :

45.26

(5) Le commissaire n’est pas lié par les conclusions ou les recommandations contenues dans un rapport portant sur une affaire qui a été renvoyée devant le Comité conformément à l’article 45.25; s’il choisit de s’en écarter, il doit toutefois motiver son choix dans sa décision.

Le législateur a donc adopté un code détaillé pour ce qui est de renvoyer un membre de la GRC. La procédure élaborée qui est prévue à cette fin dans l’actuelle Loi sur la GRC semble dénoter un souci d’équité et de responsabilisation chez le législateur dans le processus de prise de décision à ce chapitre. Pour adopter pareilles dispositions, le législateur s’est penché sur les questions de l’impartialité et de l’indépendance. Ainsi, les membres de la commission doivent être nommés par un officier désigné à cette fin. Ils ne doivent pas être les supérieurs immédiats du membre, ni avoir provoqué l’instruction de l’affaire ou y avoir participé. Les noms des membres de la commission doivent être communiqués au membre pour fins de récusation s’il y a lieu. Le législateur a en outre prévu que les membres des commissions de licenciement et de rétrogradation doivent être des officiers de la GRC. Il lui aurait été loisible d’exiger que ces commissions soient composées de personnes de l’extérieur de la GRC et indépendantes de celle-ci, mais il n’a pas fait ce choix.

On fait appel de la décision de la commission devant le commissaire. Avant d’étudier l’appel, le commissaire doit le renvoyer devant le Comité externe d’examen. Cette étape obligatoire donne lieu à un examen effectué par un comité indépendant de la GRC et formé de membres nommés par le gouverneur en conseil pour un mandat fixe, c’est-à-dire que ceux-ci sont inamovibles à titre de membres du Comité externe d’examen. Le législateur n’a pas habilité le Comité à rendre des décisions définitives dans les causes de renvoi, mais si le commissaire choisit de ne pas donner suite à ses recommandations, il doit motiver son choix dans sa décision.

À mon avis, en prescrivant la constitution de la commission de licenciement et de rétrogradation dans le contexte de l’exigence d’indépendance, le législateur n’a pas négligé les exigences de la justice naturelle pour laisser à la Cour le soin de fixer des règles supplémentaires. La présente espèce s’apparente, selon moi, à la situation décrite dans l’arrêt Furnell v. Whangarei High Schools Board, [1973] A.C. 660 (P.C.), dans lequel lord Morris of Borth-y-Gest, qui a rendu le jugement de la majorité, a déclaré à la page 679 :

[traduction] On a invoqué les règles de justice naturelle au soutien de ces prétentions. Il devient donc nécessaire de déterminer si le code détaillé et élaboré qui prescrit la procédure à suivre lorsqu’on allègue la perpétration d’une infraction prévue à l’article 158 est un code qui donne prise à l’injustice et si, dans son application, le tribunal doit, dans l’intérêt de l’équité, compléter les dispositions écrites. Dans la présente espèce, est-ce que les célèbres remarques faites par le juge Byles dans Cooper v. Wandsworth Board of Works (1863) 14 C.B.N.S. 180, à la p. 194, s’appliquent : « … bien qu’il n’y ait pas de termes formels dans une loi qui prescrivent que la partie doit être entendue, la justice de la common law remédiera à l’omission du législateur? » Ou le code a-t-il été soigneusement et délibérément rédigé afin de prescrire une procédure équitable et appropriée? Quelle que soit la façon dont le statut de l’appelant en tant qu’enseignant doit être défini en droit, celui-ci a accepté d’être régi par les conditions prévues dans les règlements et, à moins qu’on leur fasse dire quelque chose qu’ils ne disent pas ou qu’on y incorpore certaines dispositions, il est clair qu’ils ont été scrupuleusement respectés. On ne saurait affirmer légèrement qu’un règlement qui a force de loi est injuste quand il a été pris sur les conseils du ministre responsable et sur la recommandation conjointe d’organismes représentant les enseignants salariés et ceux qui les emploient. De plus, ce n’est pas le rôle du tribunal de récrire le code. Comme on l’a déclaré dans Brettingham-Moore v. Municipality of St. Leonards (1969) 121 C.L.R. 509, à la p. 524 :

« Le législateur s’est penché sur cette question précise, et il n’appartient pas au tribunal de modifier la loi en y greffant des dispositions qu’il pourrait juger plus compatibles avec la possibilité pleine et entière pour une personne lésée de faire valoir son point de vue et de l’étayer par des éléments de preuve. »

À la page 681, lord Morris a cité le vicomte Dilhorne dans l’affaire Pearlberg v. Varty, [1972] 1 W.L.R. 534 (H.L.) :

[traduction] Après avoir invoqué les remarques faites par lord Reid dans l’affaire Wiseman v. Borneman [1971] A.C. 297, à la p. 308, le vicomte Dilhorne a déclaré, à la p. 545 :

« Je soulignerais simplement le fait qu’on ne devrait pas commencer par présumer que ce qu’a fait le législateur dans le cadre du long processus législatif est inéquitable. On devrait plutôt présumer que ce qui a été fait est équitable jusqu’à preuve du contraire. Et le législateur a jugé qu’il était équitable d’accorder à l’intéressé le droit d’être entendu lorsque la permission est demandée en vertu de l’article 51 de la Finance Act de 1960 et le droit de présenter des observations au tribunal en application de l’article 28 de cette loi. Le fait de ne pas avoir prévu de telles dispositions à l’article 6 de la Income Tax Management Act de 1964 ne saurait, selon moi, comme je l’ai indiqué, être considéré comme autre chose qu’un geste délibéré, auquel cas on devrait présumer que le législateur n’a pas cru que les exigences de l’équité justifiaient l’octroi de droits semblables à l’intéressé. Si c’était le point de vue du législateur, il faudrait invoquer des arguments très convaincants pour justifier l’ajout dans la loi d’exigences qui soient compatibles avec sa propre conception de l’équité. »

J’ai l’impression que l’avocat de la requérante me demande d’assujettir les commissions de licenciement et de rétrogradation à des exigences d’indépendance que le législateur n’a pas jugé bon d’imposer. En substance, on me demande de statuer que, puisque les membres des commissions de licenciement et de rétrogradation n’avaient pas une certaine permanence en tant que décideurs, ils ne bénéficiaient pas de l’inamovibilité voulue et n’étaient donc pas indépendants au sens de l’arrêt Généreux (précité). En prévoyant la constitution d’une commission de licenciement et de rétrogradation et d’un Comité externe d’examen indépendant, le législateur a traité ces questions qui le préoccupaient selon sa perception de ce que l’impartialité et l’indépendance exigent. Étant donné l’attention qu’il a accordée à ces exigences d’impartialité et d’indépendance, il ne me paraît pas indiqué d’imposer des exigences supplémentaires.

J’ajouterais qu’en dépit de la gravité des procédures de renvoi, les membres qui en font l’objet ne sont pas des inculpés au sens de l’alinéa 11d) de la Charte. En fait, c’est au commissaire qu’il appartient de rendre une décision définitive à ce chapitre. De toute évidence, le législateur n’a pas voulu que les renvois soient décidés par des tribunaux indépendants comme des comités d’arbitrage, mais a préféré investir le commissaire de la GRC de ce droit et de cette responsabilité. Selon moi, le législateur a reconnu que la GRC devait avoir droit de regard, en dernière analyse, sur le renvoi de ses membres, à condition que la cause soit examinée par un Comité externe d’examen indépendant et que le commissaire motive sa décision lorsqu’il ne donne pas suite aux recommandations du Comité.

Il convient de faire remarquer que l’avocat de la requérante a affirmé qu’il ne contestait pas l’impartialité de la Commission de licenciement et de rétrogradation dans la présente espèce.

En conséquence, j’arrive à la conclusion qu’il n’y a pas lieu d’imposer à la Commission de licenciement et de rétrogradation d’autres attributs d’indépendance en dehors de ceux que le législateur a prévus dans la Loi sur la GRC.

4. L’avocat de la requérante affirme que le commissaire Inkster s’est fondé sur un résumé préparé par un membre de son état-major pour rendre sa décision. Selon lui, ce résumé renferme des faits et des éléments de preuve qui n’ont pas été soumis à la Commission de licenciement et de rétrogradation et que la requérante n’a pas eu la possibilité de contester.

Pour étudier l’appel interjeté par la requérante contre la décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation, le commissaire Inkster a demandé à un membre de son état-major, la sergente d’état-major B. R. M. Swann, de préparer un résumé des faits concernant l’emploi occupé par la requérante à la GRC, des diverses procédures qui ont étés suivies, des éléments de preuve qui ont été présentés à la Commission de licenciement et de rétrogradation, de la décision de la Commission ainsi que des conclusions et des recommandations du Comité externe d’examen. Ce résumé contient en outre des observations et des recommandations. L’avocat de la requérante signale trois déclarations, aux pages 18, 19 et 20 du résumé, qui seraient des faits nouveaux dont la Commission n’a pas été saisie et que la requérante n’a pas eu la possibilité de contester :

[traduction] [1] Comme il se peut que les noteurs n’interprètent pas les points de la même façon, il est important de tenir compte de l’appréciation circonstanciée qui figure dans la partie 7A parce qu’elle peut expliquer les cotes attribuées et fournir leur raison d’être sous-jacente.

[2] Par ailleurs, il se peut que les superviseurs soient peu disposés à attribuer des cotes insatisfaisantes compte tenu des nombreux documents qui doivent être présentés en pareil cas, de l’incidence que ces cotes peuvent avoir sur la carrière d’un membre et des problèmes de motivation qui peuvent en résulter.

[3] Un psychologue n’était pas au courant des problèmes qu’avait l’appelante avec les travaux d’écritures, et son opinion aurait pu être différente s’il avait été informé de ce fait pendant qu’il évaluait cette dernière.

La sergente Swann a fait les deux premières remarques, que je considérerais non pas comme des faits, mais comme des opinions, parce qu’elle estimait que l’analyse du Comité externe d’examen était défectueuse vu qu’on ne tenait aucun compte des appréciations circonstanciées contenues dans les évaluations sommaires du rendement de la requérante. Le paragraphe entier du résumé est ainsi libellé :

[traduction] L’analyse du Comité semble défectueuse parce qu’on n’a tenu aucun compte des longs commentaires descriptifs contenus dans les évaluations sommaires du rendement effectuées entre 1987 et 1989 et dans d’autres documents connexes (avis de carences professionnelles, onglet A; évaluations sommaires du rendement, onglets K à N). La partie 2B de l’évaluation sommaire du rendement est une évaluation subjective. Comme il se peut que les noteurs n’interprètent pas les points de la même façon, il est important de tenir compte de l’appréciation circonstanciée qui figure dans la partie 7A parce qu’elle peut expliquer les cotes attribuées et fournir leur raison d’être sous-jacente. Par ailleurs, il se peut que les superviseurs soient peu disposés à attribuer des cotes insatisfaisantes compte tenu des nombreux documents qui doivent être présentés en pareil cas, de l’incidence que ces cotes peuvent avoir sur la carrière d’un membre et des problèmes de motivation qui peuvent en résulter. Par analogie avec le processus d’avancement, les points obtenus par un membre dans la partie 2B ne suffiraient certainement pas à eux seuls à établir le mérite aux fins d’avancement. La politique exige une évaluation soigneuse des appréciations circonstanciées s’y rapportant. La même norme ne devrait-elle pas s’appliquer à un renvoi?

La sergente Swann attire l’attention du commissaire sur le fait que le Comité externe d’examen est parvenu à sa conclusion en se fondant sur les cotes, sans évaluer les commentaires descriptifs contenus dans les évaluations et les rapports. Elle explique pourquoi il lui paraît insuffisant de ne tenir compte que des cotes. Selon moi, il n’y a rien de déplacé dans les remarques que la sergente Swann adresse au commissaire au sujet des lacunes relevées dans les conclusions du Comité externe d’examen, dont le commissaire devait tenir compte pour rendre sa décision.

En ce qui concerne la troisième remarque dont l’avocat de la requérante s’est plaint, l’avocat des intimés a produit un extrait de la transcription des débats devant la Commission de licenciement et de rétrogradation qui révèle qu’un psychologue ignorait tout des problèmes qu’avait la requérante avec les travaux d’écritures. Quant au point de vue de la sergente Swann selon lequel l’opinion du psychologue aurait peut-être été différente s’il avait été informé de ce fait, il s’agit encore une fois d’une remarque faite ou d’un conseil donné au commissaire pour l’aider à étudier les éléments de preuve qui ont été présentés à la Commission de licenciement et de rétrogradation. Il ne s’agit pas d’un fait nouveau.

On ne m’a pas convaincu que le résumé préparé par la sergente Swann pour le compte du commissaire contenait des faits nouveaux qui n’ont pas été présentés à la Commission de licenciement et de rétrogradation.

5. L’avocat de la requérante affirme que le commissaire Inkster devait rendre la décision concernant le renvoi de la requérante lui-même. Selon lui, le résumé démontre que le commissaire a commis une erreur en déléguant à son état-major la fonction décisionnelle à cet égard. Il fait remarquer que les seize premières pages du résumé et de la décision du commissaire Inkster sont identiques. Il soutient que le commissaire a délégué la fonction de décison dans cette cause à la sergente Swann, alors qu’il n’était pas autorisé à le faire.

Dans l’affaire Khan v. College of Physicians and Surgeons of Ontario (1992), 9 O.R. (3d) 641 (C.A.), le juge Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario a bien résumé les principes directeurs permettant d’établir si la participation au processus décisionnel de personnes qui n’ont aucun pouvoir de décision est ou non opportune et dans quelle mesure elle l’est. Il s’est exprimé en ces termes aux pages 672 et 673 :

[traduction] S’agissant du processus de rédaction, il n’existe aucune méthode ou procédure particulière qui soit susceptible de s’appliquer uniformément au très vaste éventail décisionnel pour déterminer si la participation au processus de rédaction de personnes qui n’ont aucun pouvoir de décision a compromis l’équité des procédures ou l’intégrité du processus. La nature des procédures, les questions qu’elles soulèvent, la composition du tribunal, le libellé de la loi habilitante, la structure qui soutient le tribunal, la charge de travail de celui-ci et d’autres facteurs auront une incidence sur l’évaluation de la validité des procédures utilisées dans la rédaction des motifs. Il ne saurait être question d’imposer la norme judiciaire de rédaction à tous les organismes et tribunaux : IWA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., précité, aux p. 323 et 324 R.C.S., p. 342 et 343 O.A.C.

Il faut aussi reconnaître qu’en raison de l’ampleur et de la complexité du processus décisionnel moderne, il est pratiquement obligatoire de faire appel à des sources « extérieures » au cours du processus de rédaction. De nos jours, la rédaction de motifs est dans une large mesure un exercice consultatif dans le cadre duquel l’auteur des motifs consulte de nombreuses sources, notamment des personnes à qui n’incombe pas la responsabilité de statuer sur la question, pour formuler ses motifs. Il sera forcément influencé par quelques-unes de ces sources. Statuer qu’une influence « extérieure » vicie la validité des procédures ou la décision qui a été rendue revient à exiger un degré d’isolement qui est non seulement totalement irréaliste, mais aussi nuisible à la rédaction efficace des motifs.

L’avocat de la requérante invoque l’affaire Spring v. Law Society of Upper Canada (1988), 64 O.R. (2d) 719 (C. div.), dans laquelle un conseil du Barreau du Haut-Canada avait radié un avocat pour manquement professionnel et conduite indigne d’un avocat. La crédibilité de l’avocat était en cause. La décision du comité de discipline, sur laquelle reposaient les mesures prises par le conseil, avait initialement été rédigée par un employé du Barreau, à savoir le secrétaire de ce comité. Celui-ci l’avait fait en se fondant sur les conclusions du comité, qui lui avaient été communiquées. On a fait valoir que les règles de justice naturelle n’avaient pas été respectées parce que pareille participation d’un employé du poursuivant (le Barreau) avait fait naître une crainte raisonnable de partialité et aussi parce que la décision avait, dans les faits, été prise ou fortement influencée par une personne qui n’était pas l’une de celles à qui incombait cette responsabilité.

La majorité de la Cour divisionnaire de l’Ontario a rejeté la demande de contrôle judiciaire et statué que le moyen fondé sur la partialité était écarté parce que le secrétaire n’était pas un membre du service du Barreau responsable des poursuites et que la véritable décision avait été prise par le comité de discipline, malgré la participation du secrétaire à la rédaction des motifs. Dans sa décision, la majorité a cependant donné à entendre qu’il y avait des limites à la mesure dans laquelle le comité de discipline pouvait compter sur cette aide. Dans la présente espèce, l’avocat de la requérante prétend que la participation de la sergente Swann constitue un dépassement de ces limites et équivaut à une participation inadmissible d’un tiers, d’où le déni de justice naturelle.

Je suis d’avis qu’il existe au moins quatre motifs de distinction entre la présente espèce et les préoccupations exprimées par la majorité dans l’affaire Spring, précitée, quant à la participation d’un tiers dans des décisions et à la crainte raisonnable de partialité, et d’autres affaires comme Emerson and Law Society of Upper Canada, Re (1983), 44 O.R. (2d) 729 (H.C.) et Sawyer and Ontario Racing Commission, Re (1979), 24 O.R. (2d) 673 (C.A.). Premièrement, dans ces affaires, le tribunal à qui l’on reprochait d’avoir délégué illégalement la fonction de décision était précisément celui qui devait statuer, en première instance, sur des questions de crédibilité et de fait, et entendre les témoins. En l’espèce, le commissaire est un tribunal d’appel et n’entend aucun témoin. Il rend sa décision à partir du dossier, de la décision du Comité externe d’examen et des observations écrites. Deuxièmement, la principale fonction des organes décisionnels dans ces affaires consistait à rendre les décisions qu’ils étaient chargés de rendre et qui avaient fait l’objet d’une délégation. En l’espèce, le commissaire est investi de nombreuses fonctions, dont l’une consiste à étudier les appels interjetés par les membres qui ont fait l’objet d’un renvoi ou de mesures disciplinaires.

Troisièmement, dans les affaires Re Sawyer et Re Emerson, un représentant de la partie qui avait intenté la poursuite avait aussi rédigé les motifs de ces décisions. Dans la présente espèce, la sergente Swann n’a pas été mêlée aux procédures engagées contre la requérante. Sous cet aspect, sa situation serait comparable à celle du secrétaire du comité de discipline dans l’affaire Spring, qui n’avait pas été mêlé à la poursuite; la majorité de la Cour divisionnaire de l’Ontario a statué dans cette affaire que cela ne faisait pas naître une crainte de partialité. Évidemment, la sergente Swann est un membre du personnel de la GRC, mais le commissaire l’est aussi. Malgré tout, la Loi prévoit que le commissaire doit trancher les appels, et le fait qu’il sollicite l’aide d’un subalterne ne soulève pas, en soi, une question de justice naturelle. Dans l’affaire Re Sawyer, la Commission des courses de chevaux de l’Ontario avait adopté intégralement la version provisoire des motifs rédigée par le « poursuivant ». Le commissaire Inkster a incorporé une partie du résumé de la sergente Swann dans le document renfermant sa décision, mais, comme on l’explique ci-après, il a lui-même rédigé la section intitulée « Décision ».

Quatrièmement, il n’est pas réaliste de penser que le commissaire peut statuer sur des appels en matière de renvoi sans déléguer à ses subalternes une partie du travail qu’entraîne la préparation de la documentation devant lui permettre de s’acquitter rapidement de sa tâche. Dans la présente espèce, la sergente Swann a déclaré dans son affidavit qu’elle avait consacré environ deux cent cinquante heures à l’examen du dossier et à la préparation du résumé. On ne s’étonnera pas de ce que le commissaire de la GRC ait besoin de cette aide puisqu’il ne serait pas pratique qu’il consacre tout ce temps à l’étude de la documentation se rapportant aux renvois, aux griefs ou aux mesures disciplinaires dont on interjette appel devant lui. En soi, cette délégation n’implique pas que le commissaire ne s’est pas personnellement occupé de prendre la décision.

Pour ces motifs, des affaires comme Re Sawyer (précitée) et Re Emerson (précitée) ainsi que les craintes exprimées par la majorité de la Cour divisionnaire dans l’affaire Spring (précitée) ne présentent pas les mêmes caractéristiques que la présente espèce.

L’avocat des intimés invoque l’arrêt Selvarajan v Race Relations Board, [1976] 1 All ER 12 (C.A.), dans lequel lord Denning MR,s’est exprimé en ces termes à la page 19 :

[traduction] De plus, il n’est pas nécessaire qu’il [l’organisme] fasse tout lui-même. Il peut faire appel à des secrétaires et des adjoints pour le travail préliminaire et plus. Mais en définitive, l’organisme enquêteur doit arrêter sa propre décision et faire son propre rapport.

On a cependant statué dans cette affaire que le personnel ne pouvait pas dicter le résultat au décideur. Dans D. J. Mullan, Administrative Law, 2e éd. (Carswell, 1979), on fait les remarques suivantes à la page 3-112 :

[traduction] En règle générale, on peut respecter l’obligation de tenir une audience en donnant la possibilité de présenter des observations écrites. Par ailleurs, le décideur désigné par la loi peut légitimement, dans certains cas, déléguer à quelqu’un d’autre la tâche de recueillir, de classer, d’examiner et de résumer la preuve, pourvu que l’étendue de cette délégation ne soit pas telle que la décision définitive est prise, en réalité, par le délégué plutôt que par le décideur désigné par la loi. En d’autres termes, il incombe au décideur désigné par la loi de prendre personnellement la décision sur la base d’une connaissance suffisante de tous les aspects de la question litigieuse. [Notes en bas de page omises.]

Dans la présente espèce, il ressort des documents que le commissaire s’est effectivement appliqué à la décision qu’il devait prendre et n’a pas délégué illégalement cette fonction à la sergente Swann. Le résumé qui lui a été remis renfermait les antécédents professionnels de la requérante, un compte rendu de l’audience devant la Commission de licenciement et de rétrogradation ainsi qu’un sommaire des conclusions et des recommandations du Comité externe d’examen. Le commissaire Inkster a repris textuellement une partie de ce résumé dans sa décision. Cependant, la portion de sa décision qui contient le fruit de sa réflexion en tant que décideur figure aux pages 17 à 19, dans une section intitulée « Décision ». Bien qu’on y fasse clairement allusion à certaines remarques et recommandations de la sergente Swann, le libellé n’est pas identique à celui du résumé. D’ailleurs, la portion du résumé qui contient les observations et les recommandations de la sergente Swann ne se veut pas une décision au fond. Des questions y sont soulevées. Par exemple, en ce qui concerne le fait que le Comité externe d’examen n’a pas tenu compte des appréciations circonstanciées contenues dans les évaluations sommaires du rendement de la requérante, la sergente Swann déclare, à la page 19 du résumé :

[traduction] La politique exige une évaluation soigneuse des appréciations circonstanciées s’y rapportant. La même norme ne devrait-elle pas s’appliquer à un renvoi?

Quant à la question de savoir si le rendement de la requérante est ou non insatisfaisant, la sergente Swann indique dans son résumé, à la page 19 :

[traduction] La question est celle de savoir si l’appelante a démontré qu’elle possède les compétences voulues pour satisfaire à la norme du gendarme de niveau 01, affecté à des fonctions générales dans le groupe de l’application de la loi et assez capable, habile et efficace. Il ressort de la preuve qu’elle possède de réelles compétences et aptitudes. Le commissaire doit décider si elle a satisfait à cette norme et expliquer sur quoi repose cette conclusion.

Le commissaire doit décider si la preuve établit le motif d’inaptitude à partir du critère objectif.

Dans les commentaires qu’elle fait sur le témoignage du psychologue cité par la requérante, la sergente Swann déclare, à la page 20 :

[traduction]] Il appartient au commissaire d’apprécier la preuve et de décider si l’officier compétent s’est acquitté du fardeau de prouver l’inaptitude de l’appelante.

La sergente Swann examine ensuite les choix qui se présentent au commissaire, aux pages 20 et 21 :

[traduction]] Suivant sa détermination de l’inaptitude de l’appelante, le commissaire doit décider s’il accepte ou non la recommandation 6 et s’il accueille l’appel. S’il répond par l’affirmative, il doit ensuite examiner les conclusions 15 et 16 concernant l’opportunité d’une mutation et la recommandation 7 portant qu’il ordonne la mutation de l’appelante là où elle pourra démontrer qu’elle a la capacité d’être un membre productif de la Gendarmerie.

Si le commissaire accepte la recommandation 6 et accueille l’appel, il peut, subsidiairement, ne pas donner suite à la recommandation 7 concernant la mutation et ordonner une nouvelle révision de la cause par une commission de licenciement et de rétrogradation. Toutefois, si le commissaire décide que le motif d’inaptitude a été établi, il peut rejeter l’appel et ordonner le renvoi de l’appelante ou, en application de l’article 45.28, lui donner la possibilité de démissionner.

En conclusion, la sergente Swann recommande, à la page 21, que le commissaire lise la documentation pertinente :

[traduction] Il est recommandé que le commissaire lise tout au moins l’avis de carences professionnelles et les annexes (onglet A), les trois rapports provisoires (onglets B à D), l’avis d’intention de licenciement (onglet E), la décision de la commission (onglet F), l’appel interjeté par l’appelante (onglet G), la réponse de l’officier compétent (onglet H), le rapport du Comité externe d’examen (onglet I) et la décision rendue au deuxième niveau quant au grief présenté par l’appelante (onglet J). À titre d’information, les évaluations du rendement de l’appelante pour les années 1987 à 1990 figurent aux onglets K à O, et les quatre déclarations qui ont fait l’objet de sa requête préliminaire se trouvent aux onglets P à S.

De toute évidence, l’objet de ce résumé destiné au commissaire était de récapituler les procédures, de commenter les différences entre la décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation et les conclusions du Comité externe d’examen, et de faire état des choix qui s’offraient au commissaire. Ce résumé n’avait pas pour objet de rendre une décision ni de tirer des conclusions. Il ne fait aucun doute que cette tâche a été laissée au commissaire.

En l’occurrence, il semble bien que la décision a été prise par le commissaire personnellement, en dépit de l’aide qu’il a reçue de la sergente Swann. Il n’y a pas eu délégation illégale ni violation des règles de justice naturelle.

6. L’avocat de la requérante soutient que le commissaire a commis une erreur dans sa décision en appliquant un critère subjectif au lieu d’un critère objectif pour décider si la requérante était apte à occuper son poste. Selon lui, le commissaire Inkster a eu tort d’évaluer le rendement de la requérante du point de vue des fonctions qu’elle a exercées au détachement de Langley plutôt qu’en fonction du rendement exigé de tous les gendarmes de niveau 01 affectés à des fonctions générales dans le groupe de l’application de la loi de la GRC.

Le motif d’inaptitude qui a servi de fondement au renvoi de la requérante est prévu au paragraphe 45.18(1) [édicté, idem] de la Loi sur la GRC :

45.18 (1) Le renvoi ou la rétrogradation d’un officier peut être recommandé, ou tout autre membre peut être renvoyé ou rétrogradé, pour le motif, appelé dans la présente partie « motif d’inaptitude », qu’il a omis, à plusieurs reprises, d’exercer de façon satisfaisante les fonctions que lui impose la présente loi, en dépit de l’aide, des conseils et de la surveillance qui lui ont été prodigués pour l’aider à s’amender.

La Commission de licenciement et de rétrogradation a conclu que la requérante devait satisfaire à la norme du gendarme affecté à des fonctions générales au détachement de Langley. Le Comité externe d’examen a conclu que le paragraphe 45.18(1) devait faire l’objet d’une interprétation qui ne tienne pas compte des exigences censément particulières au lieu d’affectation d’un gendarme. Le Comité externe d’examen a conclu à la page 53 de sa décision :

[traduction] Pour appliquer ce test [sic] au présent dossier, il faut évaluer si l’appelante possède la même capacité d’exécuter les fonctions énumérées dans la description de tâches qu’un gendarme de niveau 01 à la police générale, dans le groupe de l’application de la loi, qui est raisonnablement compétent, habile et efficace.

Par conséquent, je conclus que le poste de l’appelante est celui décrit dans la description de tâches : une gendarme de niveau 01 à la police générale, dans le groupe de l’application de la loi, et non une [traduction] « gendarme aux services généraux en poste au détachement de Langley », comme l’a décidé la Commission. De plus, je conclus que le test à appliquer pour évaluer le rendement de l’appelante consiste à savoir si elle possède la capacité d’un gendarme de niveau 01 à la police générale, dans le groupe de l’application de la loi, qui est raisonnablement compétent, habile et efficace.

Le Comité externe d’examen a qualifié de critère objectif la démarche qu’il a jugé indiquée, par opposition au critère subjectif utilisé par la Commission.

Dans sa décision, le commissaire Inkster mentionne qu’il a appliqué le critère objectif proposé par le Comité externe d’examen. Il fournit ensuite quelques précisions sur son applicabilité en pratique. Ainsi, on ne doit pas tenir compte des exigences implicites particulières à un lieu d’affectation. Les gendarmes de niveau 01 affectés à des fonctions générales doivent pouvoir exécuter leurs fonctions indépendamment de leur lieu d’affectation, c’est-à-dire dans un grand ou un petit détachement. Voici ce que le commissaire déclare à la page 17 de sa décision :

[traduction] Pour ce qui est du poste occupé par la gendarme Armstrong, j’accepte la conclusion selon laquelle les gendarmes de niveau 01, affectés à des fonctions générales dans le groupe de l’application de la loi, peuvent être postés n’importe où en fonction des besoins de la GRC au chapitre des ressources humaines. Je suis également d’accord avec l’interprétation que fait le CEE du paragraphe 45.18(1) de la Loi. Toutefois, j’aimerais ajouter que même si cette interprétation ne tient pas compte des exigences implicites particulières à un lieu d’affectation, cela signifie également que les gendarmes de niveau 01, affectés à des fonctions générales dans le groupe de l’application de la loi, doivent pouvoir travailler indifféremment dans un grand détachement, tel que Langley, comme dans un petit, tel que Telegraph Creek. Autrement dit, les membres doivent pouvoir exécuter leurs fonctions de façon satisfaisante peu importe leur lieu d’affectation. La GRC n’attend pas plus de la gendarme Armstrong que de tout autre gendarme de niveau 01, affecté à des fonctions générales dans le groupe de l’application de la loi, qui serait posté ailleurs. Cela étant, je suis du même avis que le CEE en ce qui concerne la conclusion sur le poste de la gendarme Armstrong et le critère d’évaluation de son rendement. En outre, je conviens que la révision de la décision de la licencier devrait porter sur l’ensemble de son service au Détachement de Langley.

À la page 18, il ajoute :

[traduction] Le critère que propose le CEE est objectif; par conséquent, on ne doit pas tenir compte des exigences implicites particulières à une affectation à Langley pour évaluer le rendement de la membre. Toutefois, je suis d’avis que les compétences fondamentales nécessaires pour organiser son temps et sa charge de travail, constituer des dossiers et prendre la responsabilité de ses décisions ne diffèrent pas tellement d’un détachement à l’autre. Il faut reconnaître que la charge de travail et les exigences d’un poste dans un grand détachement très occupé ne sont pas les mêmes que dans un petit détachement et pourraient nécessiter des compétences beaucoup plus développées, mais peu importe le lieu d’affectation il faut au moins un certain degré de compétence. Bien que la gendarme Armstrong ait fait preuve d’aptitudes et de compétences favorables, selon ses superviseurs, son rendement était uniformément médiocre. La question est donc de savoir si elle a démontré des compétences suffisantes pour satisfaire à la norme du gendarme de niveau 01, affecté à des fonctions générales dans le groupe de l’application de la loi, qui est assez capable, habile et efficace. Je suis d’avis qu’elle ne l’a pas fait.

Selon moi, le critère objectif du CEE laisse entendre, qu’exception faite de la charge de travail et de la taille, tous les détachements sont semblables. Par conséquent, il faut se demander si la gendarme Armstrong peut exécuter ses fonctions dans « ce » détachement, en l’occurrence Langley, ou dans n’importe quel autre. Selon les preuves présentées, il semble qu’elle éprouve beaucoup de difficulté en dépit du fait qu’elle ait eu plusieurs superviseurs (cinq s.-off. affectés à la patrouille et trois chefs de veille) et de la supervision étroite supplémentaire dont elle a fait l’objet. Je suis d’avis que la preuve démontre que son rendement est demeuré insatisfaisant.

L’avocat de la requérante soutient que la remarque suivante faite par le commissaire Inkster, à la page 18 de sa décision, montre qu’il n’a pas appliqué le critère objectif, bien qu’il affirme l’avoir fait :

[traduction] … si la gendarme Armstrong peut exécuter ses fonctions dans « ce » détachement, en l’occurrence Langley, ou dans n’importe quel autre.

Je ne suis pas de cet avis. Langley est un détachement parmi d’autres. Le commissaire Inkster a conclu que, exception faite de la charge de travail et de la taille, tous les détachements sont semblables. Rien dans le dossier ne donne à entendre qu’il a évalué le rendement de la requérante en fonction d’exigences implicites ou inhabituelles particulières à Langley, plutôt qu’en fonction de sa capacité de travailler dans n’importe quel détachement. Il va sans dire que c’est l’expérience de la requérante à Langley qui a formé la base factuelle de l’évaluation du commissaire étant donné que la requérante a travaillé dans ce détachement pendant la quasi-totalité de sa période d’emploi à la GRC. Cependant, le critère applicable aux gendarmes de niveau 01 affectés à des fonctions générales ne devient pas subjectif pour autant. Autrement, on ne pourrait jamais l’appliquer à des membres de la GRC ayant travaillé à un seul endroit.

L’avocat de la requérante affirme en outre que le commissaire ne disposait d’aucun élément de preuve sur la norme de rendement à laquelle devaient satisfaire les gendarmes de niveau 01 affectés à des fonctions générales pour exécuter convenablement leurs travaux d’écritures, qui étaient le principal écueil de la requérante. Bien qu’il n’appartienne pas à la présente Cour de substituer sa décision sur le bien-fondé d’un renvoi à celle du commissaire, j’ai examiné une partie de la preuve soumise au commissaire, qui figurait dans les évaluations sommaires du rendement et les rapports provisoires de la requérante. Il ressort assez clairement de ces rapports que le commissaire avait en main des éléments de preuve sur la norme de rendement exigée des gendarmes de niveau 01 affectés à des fonctions générales, y compris la norme applicable aux travaux d’écritures. Dans l’évaluation du rendement datée du 20 novembre 1987, le chef de veille G. B. Jackett déclare :

[traduction] Comparativement à d’autres recrues qui ont récemment été mutées à notre détachement, elle ne possède pas les compétences, la maturité et le dynamisme nécessaires pour fonctionner de façon satisfaisante.

Voici ce que fait remarquer le caporal P. J. Giffin dans l’évaluation du rendement datée du 14 octobre 1988 :

[traduction] Je n’ai jamais vu des gendarmes supérieurs et des sous-officiers consacrer autant de temps à un gendarme subalterne. On a tenté par tous les moyens d’aider cette membre, notamment en prenant des appels dans le secteur et en faisant ses travaux d’écritures.

Dans l’évaluation du rendement datée du 1er novembre 1989, le sergent Treleaven déclare :

[traduction] J’ai remarqué que la gendarme Armstrong consacre plus de temps à des tâches administratives que ne le font d’autres membres, ce qu’elle attribue aux efforts qu’elle fait pour mieux planifier son travail d’écritures et l’exécuter plus rapidement. Cet état de choses pourrait nuire à ses initiatives personnelles sur la route. Elle produit actuellement des dossiers spontanés en moins grand nombre que certains autres membres de la section de la circulation. C’est en partie dû au fait qu’elle démontre une volonté de prendre part à chaque situation qui se présente. Elle accepte volontiers d’aider un membre à mener n’importe quel type d’enquête. C’est une attitude louable et attendue, mais dans son cas, il est très probable, malheureusement, qu’elle acceptera le dossier, ce qui lui donnera un surcroît de travail administratif dont elle peut difficilement s’acquitter.

Dans l’évaluation du rendement datée du 11 décembre 1990, le caporal Halliwell déclare :

[traduction] En dépit des conseils que lui ont donnés ses collègues et ses superviseurs, elle n’a pas réussi à améliorer son rendement de façon soutenue.

Les observations qui précèdent laissent entendre qu’il y avait, du fait de la comparaison établie avec ses collègues, une preuve objective permettant d’établir que la requérante ne fournissait pas le rendement généralement exigé des gendarmes de niveau 01 affectés à des fonctions générales, notamment au chapitre des travaux d’écritures dont ces membres doivent s’acquitter.

L’avocat de la requérante invoque la décision rendue par un comité d’arbitrage dans l’affaire Aro Canada Ltd. and Int’l Assoc. of Machinists, Lodge 1817, Re (1975), 10 L.A.C. (2d) 81 (Ont.), au soutien de la proposition selon laquelle la GRC n’avait pas le droit d’exiger la perfection de la requérante, mais seulement une compétence raisonnable. Aux pages 88 et 89, le comité d’arbitrage s’est exprimé en ces termes :

[traduction] Cette conclusion s’accorde avec les opinions d’un certain nombre d’arbitres, à savoir qu’à moins d’indication contraire dans la convention, la direction n’a pas le droit d’insister pour que soit accomplie à la perfection chaque tâche imaginable qui est attribuée à une classification [ … ] Tant sur le plan de la qualité que sur le plan de la quantité, la compagnie doit accepter les forces et les faiblesses respectives de ses employés, pour autant que ceux-ci soient capables de satisfaire à une norme générale de compétence. Le critère adopté par la plupart des arbitres pour évaluer les compétences et les aptitudes d’un employé qui accomplit des tâches particulières est celui de la compétence raisonnable ou de la compétence d’un travailleur raisonnablement capable, habile et efficace de la même classification;

L’avis de carences professionnelles révèle qu’en raison du manque d’organisation de la requérante et de son incapacité manifeste à s’acquitter efficacement de ses travaux d’écritures, il a fallu retirer des accusations et suspendre des procédures à plusieurs reprises. En août 1990, le gestionnaire de la Cour provinciale de Langley a déposé une plainte qui était notamment libellée ainsi qu’il suit :

[traduction] À maintes reprises depuis mon arrivée à Langley en janvier dernier, le nom « Armstrong » est venu sur mon bureau. Malheureusement, pas pour le bon motif. Cette gendarme persiste à ne pas présenter en temps voulu les déclarations d’accusation de ses contraventions au système.

Mon personnel et moi-même avons subi des inconvénients et eu des altercations inutiles au comptoir avec des membres du public parce que nous n’avions pas les originaux des déclarations d’accusation des contraventions, sans parler de la frustration et de la perte de temps pour le public, de la défaillance de nos systèmes et de l’annulation de ses contraventions, si jamais nous les recevons.

Selon moi, il ne fait aucun doute que le retrait des accusations, la suspension des procédures ainsi que les plaintes émanant de la Cour sont incompatibles avec la norme de compétence raisonnable établie dans l’affaire Re Aro. La comparaison entre le rendement de la requérante et celui de ses collègues ainsi que les nombreuses carences professionnelles établies dans le dossier de la requérante me convainquent que, pour évaluer le rendement de la requérante, le commissaire a rendu une décision qui s’accorde avec l’affaire Re Aro lorsqu’il a déclaré à la page 18 de sa décision :

[traduction] … que par son rendement, la gendarme Armstrong n’a pas démontré qu’elle possède les compétences qu’on est en droit d’attendre d’un gendarme de niveau 01, affecté à des fonctions générales dans le groupe de l’application de la loi et assez capable, habile et efficace. Ce fait est bien établi au dossier.

De toute évidence, le commissaire Inkster a conclu qu’un gendarme de niveau 01 affecté à des fonctions générales dans le groupe de l’application de la loi doit posséder un degré raisonnable de compétence, indépendamment de son lieu d’affectation, et il s’est fondé sur cette norme pour examiner la preuve concernant la requérante. Je suis d’avis qu’il a appliqué le critère objectif, qui était de savoir si la requérante possédait les compétences d’un gendarme de niveau 01 affecté à des fonctions générales dans le groupe de l’application de la loi de la GRC et si elle était assez capable, habile et efficace. Il n’a pas commis le genre d’erreurs que lui reproche l’avocat de la requérante.

CONCLUSION

Pour tous les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.



[1] La date mentionnée dans l’affidavit de la requérante est le 3 mars 1991; d’autres documents indiquent le 11 mars 1991. Il y a aussi de légères différences dans les dates d’autres événements et documents. Ces différences ne tirent pas à conséquence.

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