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[2002] 1 C.F. 130

A-245-00

2001 CAF 248

Giuseppe Villani (appelant)

c.

Le procureur général du Canada (intimé)

Répertorié : Villani c. Canada (Procureur général) (C.A.)

Cour d’appel, juges Linden, Isaac et Malone, J.C.A. —Toronto, 4 juin; Ottawa, 3 août 2001.

Pensions — Invalidité grave et prolongée au sens de l’art. 42(2) du Régime de pensions du Canada — La norme de contrôle est celle de la décision correcte — Les décisions de la Commission adoptant une démarche extrêmement stricte à l’égard de l’exigence relative à la gravité sont désapprouvées — L’exigence relative à la gravité doit être appliquée dans un contexte « réaliste », en tenant compte de l’âge, du niveau d’instruction, des aptitudes linguistiques, des antécédents de travail et de l’expérience de vie du demandeur — L’employabilité est un critère pertinent.

Interprétation des lois — Invalidité grave et prolongée au sens de l’art. 42(2) du Régime de pensions du Canada — Le RPC, en tant que loi conférant des avantages, doit être interprété de façon libérale — L’exigence relative à la gravité doit être appliquée dans un contexte « réaliste », en tenant compte de l’âge, du niveau d’instruction, des aptitudes linguistiques, des antécédents de travail et l’expérience de vie du demandeur — L’employabilité est un facteur pertinent.

Le demandeur, un immigrant originaire de l’Italie n’ayant terminé que sa 5e année, a gravi les échelons de manœuvre jusqu’à ajusteur de machine au cours de ses années d’emploi à la compagnie de tabac Rothman’s of Pall Mall de 1963 jusqu’à la fermeture de l’usine en 1986. Depuis 1983, il a touché différentes pensions de la Commission des accidents du travail de l’Ontario (CAT) pour des troubles de la vue et de l’ouïe, mais principalement pour des blessures au genou, à l’épaule et au cou. Il a obtenu une licence d’agent immobilier en 1987, mais il n’a pas réussi dans ce domaine et sa licence a expiré en 1997.

En mars 1994, l’appelant a demandé une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, indiquant que sa principale invalidité se rapportait à des douleurs dans le genou droit, les épaules et le dos. Le ministre a refusé sa demande et a maintenu sa position après réexamen. L’appel devant le tribunal d’appel a été rejeté parce que l’appelant n’avait pas présenté de preuve objective suffisante des handicaps physiologiques ou médicaux qui seraient susceptibles de l’empêcher de faire toute activité physique et tout travail. La Commission d’appel des pensions a rejeté l’appel au motif que l’appelant n’était pas, à l’époque pertinente, invalide au sens du paragraphe 42(2) du Régime, qui stipule qu’une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, celle-ci étant définie comme une invalidité qui rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La Commission a interprété l’exigence relative à la gravité énoncée au sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime d’une manière stricte et a conclu que l’appelant n’était pas incapable de détenir n’importe quelle occupation véritablement rémunératrice.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

Jugement : la demande est accueillie.

La méthode « pragmatique et fonctionnelle » (voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982) a été utilisée pour déterminer le degré de retenue judiciaire dont la Cour doit faire preuve à l’égard de la Commission et de sa décision ayant trait à l’appelant. Il a été décidé que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte.

La décision en cause met en jeu l’interprétation et l’application de la définition d’une invalidité « grave » au sens de l’alinéa 42(2)a) du Régime. Compte tenu de l’article 12 de la Loi d’interprétation, qui dispose que tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet, compte tenu des récentes décisions de la Cour suprême du Canada et compte tenu du fait que le Régime est une loi conférant des avantages, l’alinéa 42(2)a) du Régime devrait recevoir une interprétation large et libérale, et toute ambiguïté découlant de ces mots doit se résoudre en faveur de la personne qui demande des prestations d’invalidité.

La Commission, suivant un certain nombre de ses propres décisions, a adopté une démarche extrêmement stricte face à l’exigence relative à la gravité prévue à l’alinéa 42(2)a) du Régime, statuant que le Régime ne permet pas de tenir compte de l’âge, du niveau de compétence, de l’instruction ou des aptitudes linguistiques d’un requérant pour décider s’il est incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Toutefois, dans des décisions antérieures, la Commission avait adopté une interprétation qu’elle avait qualifié d’analyse « réaliste » pour l’application de l’exigence concernant la gravité de l’invalidité selon laquelle la situation particulière et les antécédents médicaux du requérant étaient pris en compte. Compte tenu du manque de cohérence de la Commission dans l’application de l’exigence relative à la gravité prévue au Régime, il incombe à la Cour de donner des instructions concernant le critère juridique à appliquer.

La méthode appropriée est celle qui a été adoptée dans Barlow c. Ministre du Développement des ressources humaines (1999), C.E.B. & P.G.R. 8846 (C.A.P.), c’est-à-dire l’analyse « réaliste ». Exiger d’un requérant qu’il soit incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice n’est pas du tout la même chose que d’exiger qu’il soit incapable de détenir n’importe quelle occupation concevable. Les occupations hypothétiques qu’un décideur doit prendre en compte ne peuvent être dissociées de la situation particulière du requérant, par exemple son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie. Cette opinion est appuyée par le paragraphe 68(1) du Règlement sur le RPC qui exige de quiconque s’adresse au ministre pour obtenir des prestations qu’il fournisse à ce dernier des renseignements portant sur sa formation scolaire, son expérience acquise au travail et ses activités habituelles. En fait, la Commission a exclu de la définition de gravité les mots « régulièrement », « véritablement » et « rémunératrice ». Le critère qu’il convient d’appliquer à la gravité comporte un aspect d’employabilité, savoir un concept qui existe dans le contexte des réalités commerciales et de la situation particulière d’un requérant. Ce n’est pas un concept qui se prête facilement à l’abstraction. Le critère applicable à la gravité exige un air de réalisme pour évaluer si un requérant est incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12.

Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(4)d) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), 28 (mod., idem, art. 8).

Loi sur le régime de rentes du Québec, S.R.Q., ch. R-9, art. 95.

Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, art. 42(2) (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 12), 44(1)b) (mod., idem, art. 13; L.C. 1997, ch. 40, art. 69).

Régime de pensions du Canada, S.R.C. 1970, ch. C-5, art. 43(2)a)(i).

Règlement sur le Régime de pensions du Canada, C.R.C., ch. 385, art. 68(1) (mod. par DORS/96-522, art. 23).

JURISPRUDENCE

décisions appliquées :

Pasiechnyk c. Saskatchewan (Worker’s Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890; (1997), 149 D.L.R. (4th) 577; [1997] 8 W.W.R. 517; 158 Sask. R. 81; 50 Admin. L.R. (2d) 1; 30 C.C.E.L. (2d) 149; 37 C.C.L.T. (2d) 1; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222; (1998), 11 Admin. L.R. (3d) 130; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Skoric, [2000] 3 C.F. 265 (2000), 251 N.R. 368 (C.A.); Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C.I.; Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2; (1983), 142 D.L.R. (3d) 1; 83 CLLC 14,010; 46 N.R. 185; Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513; (1988), 48 D.L.R. (4th) 193; 88 CLLC 14,011; 84 N.R. 86; Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada) c. Gagnon, [1988] 2 R.C.S. 29; (1988), 52 D.L.R. (4th) 42; 33 Admin. L.R. 1; 22 C.C.E.L. 17; 88 CLLC 14,034; 86 N.R. 268; Caron c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada), [1991] 1 R.C.S. 48; (1991), 77 D.L.R. (4th) 172; 47 Admin. L.R. 161; 35 C.C.E.L. 1; 91 CLLC 14,007; 123 N.R. 301; Leduc, Edward c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1988), C.E.B. & P.G.R. 8546 (C.A.P.); Danells c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1993), C.E.B. & P.G.R. 8514 (C.A.P.); Daly c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), C.E.B. & P.G.R. 8564 (C.A.P.); Morley c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1995), C.E.B. & P.G.R. 8592 (C.A.P.); Osachoff c. Ministre du Développement des ressources humaines (1997), C.E.B. & P.G.R. 8684 (C.A.P.); Appleton c. Ministre du Développement des ressources humaines (1997), C.E.B. & P.G.R. 8709 (C.A.P.); Scott, Paul M. c. Ministre du Développement des ressources humaines (1999), C.E.B. & P.G.R. 8826 (C.A.P.); Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social c. Jaeger (1971), C.E.B. & P.G.R. 8546 (C.A.P.); Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social c. Russell, Raymond G. (1974), C.E.B. & P.G.R. 8684 (C.A.P.); Barlow c. Ministre du Développement des ressources humaines (1999), C.E.B. & P.G.R. 8846 (C.A.P.).

décisions non suivies :

Davies c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) (1999), 177 F.T.R. 88 (C.F. 1re inst.); Macri c. Ministre de l’Emploi de l’Immigration (1999), C.E.B. & P.G.R. 8669 (C.A.P.); Marie Atkins c. Le Ministre de l’Emploi de l’Immigration, CP 3404 (16 février 1996); Alfred Wilson c. Ministre de l’Emploi de l’Immigration, CP 4109 (31 mai 1996); Surjit Bains c. Ministre du Développement des ressources humaines, CP 04153 (24 janvier 1997); Ministre du Développement des ressources humaines c. Stewart (1999), C.E.B. & P.G.R. 8824 (C.A.P.); May c. Ministre du Développement des ressources humaines (1999), C.E.B. & P.G.R. 8845 (C.A.P.).

décisions citées :

Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 50 Admin. L.R. (2d) 199; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; Wirachowsky c. Canada, [2000] A.C.F. no 2094 (C.A.) (QL); Powell c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) (2000), 2 C.C.E.L. (3d) 1; 258 N.R. 123 (C.A.F.).

DOCTRINE

Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 26e lég. (9 novembre 1964).

Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 26e lég. (16 novembre 1964).

Comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes chargé d’analyser le projet de loi C-136 et d’en faire rapport, Procès-verbaux et témoignages, no 2 (1er décembre 1964).

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Stat-utes, 3rd ed. Toronto : Butterworths, 1994.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission d’appel des pensions selon laquelle le demandeur n’était pas invalide au sens du paragraphe 42(2) du Régime de pensions du Canada et qu’il n’avait donc pas droit à une pension d’invalidité en vertu de l’alinéa 44(1)b) du Régime. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Le demandeur pour son propre compte.

Mary A. T. Tobin-Oates pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Isaac, J.C.A. : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission d’appel des pensions (la Commission), en date du 11 février 2000, dans laquelle celle-ci a conclu que le demandeur n’était pas invalide au sens du paragraphe 42(2) [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 12] du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8 (le Régime) et qu’il n’avait donc pas droit à la pension d’invalidité prévue à l’alinéa 44(1)b) [mod., idem, art. 13; L.C. 1997, ch. 40, art. 69] du Régime.

Contexte et antécédents médicaux

[2]        Le demandeur est né en Italie le 3 juin 1938 et il a terminé sa 5e année du cours primaire avant d’immigrer au Canada en 1955. Après avoir exercé plusieurs petits boulots, il a décroché un emploi permanent à la Rothman’s of Pall Mall, compagnie de tabac, le 4 juillet 1963. Il y a travaillé pendant les 23 années et demie qui ont suivi jusqu’à la fermeture de l’usine en décembre 1986. Engagé comme manoeuvre, le demandeur était ajusteur de machines à cette date.

[3]        En 1969 et 1974, le demandeur a subi des blessures au genou qui ont nécessité trois opérations distinctes—la première pour une déchirure du ménisque, la deuxième pour un kyste de Baker gauche et la troisième pour enlever la pression exercée sur le nerf périnéal. En 1976, il a subi une blessure à l’épaule et au cou qui a laissé une raideur et un inconfort jusqu’au bas du dos. En 1979, la douleur consécutive à sa blessure au cou est réapparue et a obligé le demandeur à consulter un certain nombre de médecins, y compris ceux de la Commission des accidents du travail de l’Ontario (la CAT). Il a commencé à utiliser un appareil TENS pour soulager la douleur. En 1985, la CAT lui a accordé une pension pour invalidité partielle de 10 %. En 1992, il a été confirmé que l’invalidité était permanente. Depuis septembre 1996, la CAT lui accorde une pension de 20 % pour son invalidité permanente à l’épaule et au cou.

[4]        Malgré ses blessures, le demandeur a pu continuer à travailler à la Rothman jusqu’à la fermeture de l’usine en 1986. Après cette date, le demandeur est retourné aux études et a réussi l’examen de la chambre immobilière de l’Ontario et obtenu une licence d’agent immobilier en 1987.

[5]        Pendant un mois en 1992, le demandeur a travaillé dans une boulangerie et ensuite comme livreur à la Golden Loaf Bakery. En 1993, il a renouvelé sa licence d’agent immobilier et s’est inscrit auprès de la société National Group Realty Services Inc. Dans la même année, il a d’abord présenté une demande de pension à la CAT pour sa blessure au genou. On lui a accordé une pension de 8 % le 2 mars 1994, qui a été augmentée à 12 % le 14 janvier 1996. Malheureusement, le demandeur n’a pas réussi à se constituer une base de clientèle pour ses activités immobilières. Son inscription auprès de la National Group Realty a pris fin en décembre 1995, date à laquelle il a jugé qu’il ne pouvait plus continuer à travailler à cause de la détérioration de sa santé physique. La licence d’agent immobilier du demandeur a expiré en 1997 et n’a pas été renouvelée.

[6]        Pendant toute la période mentionnée dans les paragraphes précédents, le demandeur a également souffert de troubles de la vue et de l’ouïe, ces derniers troubles étant le résultat du bruit environnemental à l’usine de Rothman. Pour ce handicap, il touche de la CAT une pension de 4,5 % depuis 1983.

Antécédents procéduraux

[7]        Le 11 mars 1994, le demandeur—qui avait alors près de 56 ans—a demandé une pension d’invalidité en vertu du Régime, indiquant que sa principale invalidité se rapportait à des douleurs dans le genou droit, les épaules et le dos. Il se plaignait également d’engourdissement dans le bas de la jambe et les mains, de même que d’un déficit auditif et d’une difficulté à lire, même avec des verres. En outre, le demandeur signalait des douleurs et des sensations de brûlures à l’estomac. Dans une lettre en date du 25 mars 1994, le ministre défendeur a refusé sa demande. Après réexamen, le défendeur a maintenu sa position et a communiqué sa décision au demandeur dans une lettre datée du 6 septembre 1995.

[8]        Le demandeur en a appelé de ce refus au Tribunal d’appel (le Tribunal). Dans sa décision du 14 mai 1996 (voir dossier de la demande du défendeur, vol. I, aux pages 20 et 21), le Tribunal a confirmé la décision du défendeur en déclarant ceci :

[traduction] Le demandeur n’a pas présenté de preuve objective suffisante des handicaps anatomiques ou physiologiques médicaux qui seraient susceptibles de l’empêcher de faire toute d’activité physique et tout travail. [Non souligné dans l’original.]

[9]        Le demandeur a obtenu l’autorisation d’appeler de la décision du Tribunal devant la Commission. L’appel a été entendu le 3 décembre 1998. Le 6 janvier 1999, la Commission a rejeté l’appel au motif que le demandeur n’avait pas produit une preuve suffisante pour démontrer son invalidité avant le 31 décembre 1995. La Commission notait qu’aucun des médecins du demandeur n’avait décrit celui-ci comme étant « complètement invalide » avant la date critique et qu’ils avaient tous deux indiqué qu’il était [traduction] « capable d’effectuer un travail non physique, moyennant certaines restrictions » (dossier du défendeur, vol. II, à la page 426).

[10]      Le demandeur a déposé devant la présente Cour un recours en contrôle judiciaire concernant la décision de la Commission. Toutefois, la demande n’a jamais été entendue, les parties ayant accepté de renvoyer la demande pour nouvel examen par une autre formation de la Commission, au motif que le demandeur alléguait qu’il avait été incapable d’entendre la première procédure d’appel (ordonnance par consentement en date du 26 octobre 1999, dossier du demandeur, onglet 11, à la page 321).

[11]      Une nouvelle audience devant une formation différente de la Commission a été convoquée le 7 février 2000. Dans une décision unanime en date du 11 février 2000, la nouvelle formation a conclu que le demandeur n’était pas, à l’époque pertinente, invalide au sens du paragraphe 42(2) du Régime. La Commission a mis beaucoup d’accent sur les déclarations répétées du médecin de famille du demandeur, Dr Soutar, selon lesquelles le demandeur (du moins avant octobre 1998) était totalement incapable uniquement [traduction] « de faire des travaux physiques et du travail supposant une longue station debout ou un usage répété des mains » (motifs de la Commission, dossier du défendeur, vol. I, à la page 9). De l’avis de la Commission, ce diagnostic d’invalidité partielle était compatible avec le fait que le demandeur ne recevait qu’une pension d’invalidité partielle de la CAT et le fait qu’il avait apparemment les aptitudes mentales et linguistiques suffisantes pour s’engager dans l’industrie immobilière entre 1987 et 1991 et 1993 et 1997.

[12]      À la page 10 de ses motifs, la Commission a expliqué le sens de la définition légale d’une invalidité « grave » qui est donnée au sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime :

[traduction] Il est très important de noter que les mots « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice […] » signifie n’importe quelle occupation. Ce n’est pas, comme certaines polices d’assurance le déclarent, « […] n’importe quelle occupation pour laquelle le requérant est raisonnablement compétent […] ». Il s’agit de n’importe quelle occupation, même si le demandeur n’a pas la scolarité ou les compétences spécialisées pour l’exercer ou n’en connaît pas le langage de base.

La disponibilité du travail est un autre facteur. Ce n’est pas là une question que la Commission analyse ou dont elle peut tenir compte. Ainsi donc, la situation du marché du travail local n’est pas pertinente : il y a une présomption légale selon laquelle il y a du travail disponible. [Souligné dans l’original.]

[13]      À l’appui de son interprétation de l’exigence relative à la gravité de l’invalidité prévue au sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime, la Commission cite le passage suivant tiré des motifs du juge Teitelbaum dans la décision Davies c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) (1999), 177 F.T.R. 88 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 43, 44 et 46 :

La question qu’il convient de se poser pour déterminer si une personne est atteinte d’une invalidité grave est de savoir si cette personne a la capacité physique de détenir une quelconque sorte d’occupation véritablement rémunératrice, peu importe son expérience de travail. La loi précise que cette occupation doit être « véritablement rémunératrice », et le paragraphe 42(2) énonce les facteurs qui doivent en guider l’évaluation.

Il n’existe pas d’ambiguïté quant aux facteurs qui sont pertinents à l’évaluation de l’invalidité. Les décisions rendues par la CAP dans les arrêts Bains c. MDRH, (1997) CP 4153, aux pages 2 et 3, Aitkins c. MEI, (1996) CP 3408, à la page 5, et Wilson c. MEI, (1996) CP 4109, à la page 6, sont sans équivoque lorsqu’elles déclarent que l’incapacité du demandeur à exécuter son ancien travail, la disponibilité pour le travail, la formation et les compétences du demandeur, de même que les autres obstacles personnels n’entrent pas en ligne de compte dans l’évaluation de la gravité de l’invalidité.

[…]

Cependant, la loi ne prescrit pas la prise en compte de l’âge ou de la formation aux termes du paragraphe 42(2). La seule question consiste à savoir si la personne est capable d’obtenir un quelconque type d’occupation véritablement rémunératrice, pas nécessairement une activité liée à son ancien emploi.

[14]      Appliquant cette définition du terme « grave », la Commission a conclu que l’invalidité du demandeur n’était pas grave au sens du Régime. L’opinion de la Commission était formulée dans les termes suivants (aux pages 12 et 13 de ses motifs) :

[traduction] d) Bien que l’on reconnaisse d’emblée qu’un travail sédentaire adéquat avec des pauses pour se dégourdir les jambes ne soit pas facile à trouver, le critère ne consiste pas à se demander « Y a-t-il du travail disponible? », mais plutôt « S’il y en avait, le demandeur pourrait-il l’effectuer? » À mon avis, la réponse à cette question est affirmative. C’est un homme très intelligent qui a d’excellentes aptitudes linguistiques, qui a été en mesure de poursuivre ses activités quotidiennes normales—parcourir de courtes distances et conduire une automobile.

e) À la barre des témoins, M. Villani s’est plaint d’une douleur incapacitante. Tout ce que je peux dire, c’est que jusqu’en décembre 1995, à mon avis, il peut fort bien avoir été empêché de faire ce qu’il souhaitait faire—c’est-à-dire avoir un bon emploi avec un salaire élevé—mais il n’était pas empêché d’occuper un emploi pour lequel il avait les capacités mentales ou physiques voulues. [Souligné dans l’original.]

[15]      Le demandeur réclame maintenant le contrôle judiciaire du rejet de son appel par la Commission. Dans ses observations verbales et écrites, le demandeur a contesté la décision de la Commission sur plusieurs points, en faisant valoir notamment un très grand nombre d’arguments procéduraux et d’autres arguments portant sur la question de savoir si la Commission avait appliqué le critère juridique pertinent pour déterminer ce qu’est une invalidité grave aux termes du Régime. La Cour n’a pas demandé à la Couronne de répondre aux points soulevés par le demandeur, à l’exception de ceux qui avaient trait à la question de savoir si la Commission avait appliqué le critère juridique adéquat. L’avocate de la Couronne, dans ses observations, a appuyé le critère que la Commission a appliqué en l’espèce en signalant à la Cour les décisions antérieures de la Commission.

Dispositions pertinentes du Régime

44. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie :

[…]

b) une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui n’a pas atteint l’âge de soixante-cinq ans, à qui aucune pension de retraite n’est payable, qui est invalide et qui :

(i) soit a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité,

(ii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si une demande de pension d’invalidité avait été reçue avant le moment où elle l’a effectivement été,

(iii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension n’avait pas été effectué en application des articles 55 et 55.1;

[…]

42. […]

(2) Pour l’application de la présente loi :

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès; [Non souligné dans l’original.]

La norme de contrôle

[16]      Avant d’examiner le bien-fondé de cette demande, il est nécessaire de déterminer la norme de contrôle qui doit être appliquée à la décision de la Commission. Pour cela, il faut tout d’abord se demander quelle était l’intention du législateur quand il a créé le tribunal dont la décision fait l’objet du contrôle. C’est dans la loi constitutive du tribunal qu’il faut rechercher cette intention qui nous permettra de déterminer si le législateur entendait que la question à laquelle le tribunal a répondu relève de sa compétence exclusive (Pasiechnyk c. Saskatchewan (Worker’s Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890, au paragraphe 18).

[17]      Cette tâche oblige le tribunal à examiner et à pondérer un certain nombre de facteurs différents qui l’aideront à évaluer le degré de retenue judiciaire dont il doit faire preuve à l’égard de la décision faisant l’objet du contrôle. Ce degré de retenue judiciaire est maintenant mesuré selon une gamme de normes allant de la plus grande retenue judiciaire—c’est-à-dire la norme du caractère manifestement déraisonnable, jusqu’à la norme exigeant la moins grande retenue judiciaire—celle de la décision correcte. Depuis la décision de la Cour suprême dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, une norme moyenne a été identifiée, c’est-à-dire celle de la décision raisonnable simpliciter.

[18]      Les principaux facteurs à examiner pour déterminer quelle est la norme de contrôle appropriée sont les suivants : (i) l’existence ou l’absence d’une clause privative; (ii) l’expertise du tribunal par rapport à celle du tribunal de révision; (iii) l’objet de la Loi dans son ensemble et de la disposition en cause; et (iv) la nature du problème ou de la question à trancher par le tribunal (voir l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, aux paragraphes 29 et suivants). Aucun de ces facteurs n’est déterminant en soi. Ils doivent plutôt être analysés ensemble afin que la norme de contrôle appropriée soit identifiée pour chaque cas d’espèce. Il s’agit d’une méthode « pragmatique et fonctionnelle » permettant de déterminer quelle est l’intention du législateur, et elle doit être appliquée en l’espèce pour déterminer le degré de retenue judiciaire dont la Cour doit faire preuve à l’égard de la Commission et de sa décision ayant trait au demandeur.

[19]      En l’espèce, la Cour n’a pas eu l’avantage de bénéficier d’arguments approfondis présentés par les parties sur la question de la norme de contrôle appropriée, parce que l’appelant n’était pas représenté par un avocat. Bien que l’intimé ait présenté des observations sur ce point, celles-ci se sont limitées à la retenue appropriée dont la Cour doit faire preuve à l’égard de la Commission sur les questions de fait. Cette question est assez simple et je conviens avec l’intimé que, sur les questions de fait, la norme est celle du caractère manifestement déraisonnable. Cette opinion a été formulée dans des décisions antérieures de la présente Cour portant sur des contrôles judiciaires de décisions de la Commission aux termes de l’article 28 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8] et de l’alinéa 18.1(4)d) [édicté, idem, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] (voir Wirachowsky c. Canada, [2000] A.C.F. no 2094 (C.A.) (QL); Powell c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) (2000), 2 C.C.E.L. (3d) 1 (C.A.F.).

[20]      Toutefois, la norme de contrôle appropriée sur les questions de droit ou les questions de fait et de droit tranchées par la Commission n’a jamais, à ma connaissance, été traitée à fond par la présente Cour, sauf à une occasion. Dans l’arrêt Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) c. Skoric, [2000] 3 C.F. 265 (C.A.), la présente Cour examinait une décision de la Commission concernant la période de cotisation appropriée applicable au paiement de prestations à un conjoint survivant en vertu de l’alinéa 44(1)d) du Régime. La question principale était de savoir si la Commission avait commis une erreur en décidant laquelle des versions du sous-alinéa 44(2)b)(ii) s’appliquait aux circonstances de l’espèce, c’est-à-dire la version antérieure au 1er janvier 1987 ou la version postérieure à cette date.

[21]      Le juge Evans J.C.A., a appliqué la méthode pragmatique et fonctionnelle et a conclu que la décision de la Commission n’appelait que peu de retenue judiciaire, sinon aucune. Son raisonnement est le suivant [aux paragraphes 15 à 19] :

Les parties ont plus ou moins convenu que la norme de la décision correcte constituait la norme de contrôle appropriée en l’espèce. Je suis de cet avis. Selon la méthode pragmatique ou fonctionnelle, il ne s’agit clairement pas en l’espèce d’une situation qui appelle une retenue judiciaire.

Premièrement, il n’existe aucune clause privative qui restreigne la portée du contrôle judiciaire. Le paragraphe 84(1) du Régime prévoit que, « sauf contrôle judiciaire dont elle[s] peu[ven]t faire l’objet aux termes de la Loi sur la Cour fédérale », les décisions rendues par la Commission sont « définitive[s] et obligatoire[s] pour l’application de la présente loi ». Vu que cette disposition soustrait expressément le contrôle judiciaire de la portée de son application, son caractère définitif ne peut avoir pour effet que de limiter la compétence dont la Commission aurait par ailleurs été investie pour réexaminer ses décisions, suivant l’arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848. Cependant, le paragraphe 84(2) prévoit expressément que la Commission peut réexaminer ses décisions « en se fondant sur des faits nouveaux ».

Deuxièmement, la Commission n’est pas investie d’importants pouvoirs réglementaires, mais assume seulement des fonctions judiciaires consistant à entendre les appels interjetés contre des décisions du tribunal de révision : paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1995, ch. 33, art. 36]. Troisièmement, le président, le vice-président et les autres membres de la Commission doivent tous être juges de la Cour fédérale, ou juges d’une cour particulière visée à l’article 96 [Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] : paragraphe 83(5). Les juges retraités ayant occupé de tels postes peuvent également être nommés à titre de « membre[s] suppléant[s] » : paragraphe 83(5.1). Quatrièmement, les questions en litige qui sont soulevées dans la présente affaire portent sur l’interprétation de la loi habilitante de la Commission, et leur portée ne se limite pas aux faits particuliers de l’espèce. Cinquièmement, l’objet du litige concerne la détermination des droits d’une personne.

D’un autre côté, le fait que le législateur ait attribué des fonctions d’appel à un tribunal administratif, à savoir la Commission d’appel des pensions, plutôt qu’à la Cour fédérale, probablement par souci d’assurer l’économie, la rapidité et l’accessibilité du processus décisionnel qu’offrent normalement les tribunaux administratifs, constitue un facteur qui milite en faveur de la retenue judiciaire.

Je suis d’avis que l’ensemble des facteurs de la méthode pragmatique et fonctionnelle favorise la thèse selon laquelle l’interprétation par la Commission de sa loi constitutive appelle peu de retenue judiciaire, en particulier en l’absence de preuve au dossier indiquant que les membres de la Commission ont acquis une vaste expertise du Régime de pensions du Canada en raison du nombre volumineux des appels qu’ils entendent et sur lesquels ils sont appelés à statuer.

[22]      Il n’y a que peu de distinction à faire entre la décision de la Commission dans l’affaire Skoric, et la décision de la Commission en l’espèce. Dans chaque cas, la décision portait sur l’application du texte légal du Régime. Aucun des facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle ne suggère une norme de contrôle appelant une grande retenue judiciaire en l’espèce. Bien au contraire, sauf pour ce qui a trait aux questions de fait, je suis d’avis que la décision en l’espèce est une question qui porte sur l’interprétation et l’application de la définition d’une invalidité « grave » au sens du sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime. Cette question, à mon avis, devrait être examinée d’après la norme de la décision correcte, c’est-à-dire la norme qui exige la moins grande retenue judiciaire.

Prestations pour les personnes invalides en vertu du Régime

[23]      L’article 44 du Régime dresse la liste des différentes prestations qui sont payables en vertu de la loi. Plus précisément, cet article prévoit le paiement de pensions de retraite, de prestations de décès, de rentes de survivant, de prestations aux enfants du cotisant invalide et de prestations pour orphelins. Il y a également une disposition concernant les pensions d’invalidité. À cet égard, il convient de répéter le texte du paragraphe 44(1)b) du Régime :

44. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie :

[…]

b) une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui n’a pas atteint l’âge de soixante-cinq ans, à qui aucune pension de retraite n’est payable, qui est invalide et qui :

(i) soit a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité,

(ii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si une demande de pension d’invalidité avait été reçue avant le moment où elle l’a effectivement été,

(iii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension n’avait pas été effectué en application des articles 55 et 55.1;

[24]      Il n’est pas surprenant de constater que l’une des conditions énoncées à l’alinéa 44(1)b) pour le paiement d’une pension d’invalidité est l’invalidité du demandeur. Le Régime donne une définition exhaustive du terme « invalide » pour les fins de déterminer le droit à une pension d’invalidité. Cette définition se trouve à l’alinéa 42(2)a) du Régime, rédigé dans les termes suivants :

42. […]

(2) Pour l’application de la présente loi :

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès; [Soulignement ajouté.]

[25]      Le paragraphe 42(2) indique clairement que l’invalidité d’un demandeur doit être grave et prolongée avant qu’une pension puisse lui être payée en vertu de l’alinéa 44(1)b). En l’espèce, il n’est pas contesté que l’invalidité du demandeur est prolongée. La seule question est de savoir si elle est grave. L’intérêt de la présente demande porte sur la définition législative d’une invalidité « grave » qui est donnée au sous-alinéa 42(2)a)(i). La Cour n’a pas encore eu l’occasion de commenter cette définition. Toutefois, les circonstances de l’espèce justifient une analyse approfondie du critère juridique servant à déterminer si une invalidité est « grave » au sens du Régime.

a)    Principes applicables à l’interprétation de la loi

[26]      L’article 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21 dispose comme suit :

12. Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

L’adoption de ce principe général a aboli la distinction traditionnelle entre les lois pénales et les lois réparatrices pour les fins de l’interprétation des lois (voir R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto : Butterworths, 1994), à la page 356). En vertu de cette distinction traditionnelle, les lois pénales étaient interprétées de façon stricte alors que les lois réparatrices recevaient une interprétation large et libérale. La méthode libérale suivie pour les lois réparatrices découle de la notion que ces lois ont une fin de bienfaisance que les tribunaux doivent s’efforcer de respecter.

[27]      Au Canada, les tribunaux ont été particulièrement soucieux de donner une interprétation libérale à ces prétendues « lois sociales ». Dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 36, la Cour suprême a insisté sur le fait que les lois conférant des avantages doivent être interprétées de façon libérale et généreuse et que tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du demandeur. Cette méthode d’interprétation de la loi conçue pour accorder un avantage social a été adoptée dans bon nombre des décisions de la Cour suprême traitant de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage [S.C. 1970-71-72, ch. 48] (voir Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2; Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513; Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada) c. Gagnon, [1988] 2 R.C.S. 29; et Caron c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada), [1991] 1 R.C.S. 48).

[28]      Il me semble manifeste que le Régime est une loi conférant des avantages semblable à la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage. Le Régime prévoit le paiement de prestations d’invalidité à des personnes qui ont cotisé au régime. Avant son adoption par la Chambre des communes, quand le Régime n’était encore que le projet de loi C-136 (Débats de la Chambre des communes 2e sess., 26e lég., à la page 9899), la ministre de la Santé nationale et du Bien-être social en parlait dans les termes suivants :

[traduction]

[…] une mesure d’assurance sociale exhaustive

[…] qui prévoit qu’une aide sera accordée de plein droit plutôt que selon les besoins ou des critères de revenus aux personnes qui ont perdu leur soutien de famille ou aux personnes invalides qui se retrouvent dans l’incapacité de continuer à travailler. Je pense que mes collègues conviendront qu’il s’agit d’un pas de géant vers l’adoption d’un programme de sécurité sociale au Canada.

La ministre était plus précise dans sa qualification des prestations supplémentaires accordées en vertu du projet de loi (le Débats de la Chambre des communes, précité, à la page 9923) :

[traduction]

Dans un sens, donc, les pensions de prestations supplémentaires sont plus généreuses, surtout pour les personnes dont les revenus sont situés dans les tranches inférieures, que les nouveaux régimes de retraite. Cette méthode est justifiée en raison des besoins spéciaux des veuves, des orphelins et des cotisants invalides, et elle est certainement justifiée du point de vue humanitaire aussi bien que du point de vue économique.

En deuxième lecture, le ministre du Revenu national a ajouté qu’à son avis le projet de loi était « la loi sociale la plus ambitieuse […] qui ait été proposée depuis de nombreuses années » (le Débats de la Chambre des communes, précité, à la page 10140).

[29]      Par conséquent, le sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime devrait recevoir une interprétation généreuse. Bien entendu, aucune méthode d’interprétation ne peut exclure les restrictions expressément prévues dans une loi. La définition d’une invalidité grave donnée par le Régime est clairement une définition restrictive qui doit être interprétée selon le texte effectif du sous-alinéa 42(2)a)(i). Toutefois, le sens des mots utilisés dans cette disposition doit être interprété d’une façon large et libérale, et toute ambiguïté découlant de ces mots doit se résoudre en faveur de la personne qui demande des prestations d’invalidité.

b)    L’invalidité est-elle « grave »?—L’analyse de la Commission

[30]      La Commission a reconnu d’emblée que, d’après son interprétation du Régime, les exigences pour conclure à la gravité de toute invalidité alléguée sont extrêmement strictes. Elle exprime clairement cette opinion dans le passage suivant tiré de ses motifs dans la décision Marie Atkins c. Le ministre de l’Emploi et de l’immigration, CP 3408 (16 février 1996), à la page 5 :

[traduction] Il a été statué à de nombreuses reprises que l’intention de la loi était de refuser l’octroi d’une pension d’invalidité sauf dans les cas d`invalidité totale, d’incapacité de travailler, au sens du paragraphe 42(2). Cette loi n’est pas une loi de sécurité sociale. Le fait que de nombreux requérants soient âgés, ne peuvent reprendre leur ancien emploi, ni trouver un emploi à temps partiel ou un poste sédentaire (qui leur permettraient de se rendre utiles) sur le marché du travail très difficile que nous connaissons aujourd’hui, n’est pas la question à laquelle nous devons répondre. Ces faits ne constituent pas non plus, dans la réalité, une raison d’accorder une pension, malgré toute la sympathie que nous éprouvons pour les requérants.

[31]      L’opinion selon laquelle le sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime ne permet pas de tenir compte de l’âge, du niveau de compétence, de l’instruction ou des aptitudes linguistiques d’un requérant pour décider s’il est incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice a été reprise dans bon nombre des décisions de la Commission (voir Macri c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1999), C.E.B. & P.G.R. 8669 (C.A.P.); Alfred Wilson c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, CP 4109 (31 mai 1996); Surjit Bains c. Ministre du Développement des Ressources humaines, CP 04153 (24 janvier 1997); Ministre du Développement des Ressources humaines c. Stewart (1999), C.E.B. & P.G.R. 8824 (C.A.P.); May c. Ministre du Développement des Ressources humaines (1999), C.E.B. & P.G.R. 8845 (C.A.P.)).

[32]      Toutefois, il existe une autre série de décisions, antérieures à celles-ci, dans lesquelles la Commission a adopté une interprétation plus libérale de la définition d’invalidité grave donnée au sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime. Dans ces décisions, la Commission avait choisi d’adopter ce qu’elle avait qualifié d’analyse « réaliste » pour l’application de l’exigence concernant la gravité de l’invalidité. Cette analyse obligeait la Commission à déterminer si un requérant, dans sa situation particulière et selon ses antécédents médicaux, était régulièrement en mesure de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[33]      L’analyse « réaliste » a d’abord été adoptée par la Commission dans la décision Leduc, Edward c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1988), C.E.B. & P.G.R. 8546 (C.A.P.). Dans cette décision, la Commission avait tranché en faveur du requérant en s’appuyant sur les motifs suivants [à la page 6022] :

[traduction] Les autorités médicales ont informé la Commission, que, malgré les handicaps dont souffre l’appelant, il pourrait y avoir une possibilité qu’il puisse continuer à exercer une certaine forme, non précisée, d’emploi véritablement rémunérateur. Dans un sens abstrait et théorique, cela pourrait être vrai. Toutefois, l’appelant ne vit pas dans un monde abstrait et théorique. Il vit dans un monde réel, peuplé d’employeurs réels qui sont tenus de faire face aux réalités d’une entreprise commerciale. La question est donc de savoir s’il est réaliste de présumer que, compte tenu de toutes les difficultés bien documentées de l’appelant, un employeur pourrait même envisager la possibilité d’engager l’appelant. La Commission ne peut penser à une situation dans laquelle cela pourrait être le cas. De l’avis de la Commission, l’appelant, Edward Leduc, est, à toutes fins pratiques, inemployable.

[34]      L’analyse « réaliste » a été appliquée dans bon nombre de décisions de la Commission depuis la décision Leduc (voir Danells c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1993), C.E.B. & P.G.R. 8514 (C.A.P.); Daly c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), C.E.B. & P.G.R. 8564 (C.A.P.); Morley c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1995), C.E.B. & P.G.R. 8592 (C.A.P.); Osachoff c. Ministre du Développement des ressources humaines (1997), C.E.B. & P.G.R. 8684 (C.A.P.); Appleton c. Ministre du Développement des ressources humaines (1997), C.E.B. & P.G.R. 8709 (C.A.P.); Scott, Paul M. c. Ministre du Développement des ressources humaines (1999), C.E.B. & P.G.R. 8826 (C.A.P.).

[35]      En fait, la première décision concernant une invalidité publiée après l’adoption du Régime, et dont je connaisse l’existence, adoptait une interprétation généreuse de l’exigence relative à la gravité, qui était analogue à l’analyse de la Commission dans la décision Leduc. Toutefois, cette interprétation n’avait pas été formulée en utilisant la terminologie « réaliste » utilisée par la Commission dans la décision Leduc et répétée dans les décisions ultérieures. Dans la décision Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social c. Jaeger (1971), C.E.B. & P.G.R. 8546 (C.A.P.), aux pages 6067 et 6068, la Commission appliquait ce qui était alors le sous-alinéa 43(2)a)(i) [S.R.C. 1970, ch. C-5] de la manière suivante :

[traduction] D’après le bien-fondé du cas, la preuve médicale et les autres éléments de preuve qui ont été produits nous convainquent que l’arthrite dégénérative de l’intimé, qui l’empêche et qui continuera de l’empêcher d’exercer un travail normal ou ce qui pourrait même de loin ressembler à une occupation convenant à ses compétences et aptitudes particulières, doit être qualifiée d’invalidité grave […]. Nous concluons que l’intimé est, comme l’indique le sous-alinéa 43(2)a)(i) de la Loi, « incapable de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Il faut mettre l’accent voulu sur les mots « régulièrement » et « véritablement » au vu de la preuve concernant le relevé de travail de l’intimé, sa situation dans la vie et ses perspectives économiques. Dans ce cas, il ne fait aucun doute qu’il est incapable de détenir quelque type que ce soit d’occupation rémunératrice dans quelque domaine que ce soit pour lequel il est compétent.

De même, dans la décision Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social c. Russell, Raymond G. (1974), C.E.B. & P.G.R. 8684 (C.A.P.), à la page 6280, la Commission a reformulé la jurisprudence qu’elle suivait alors dans les mots suivants :

[traduction] La Commission a toujours interprété le libellé de la Loi comme signifiant exactement ce qu’il dit, et, dans bon nombre de cas, elle a dû déclarer que le fait qu’un travail convenable ne pouvait être offert à un requérant n’était pas pertinent à la question de savoir s’il pouvait ou non avoir droit à une pension. Toutefois, il a été statué que bon nombre de circonstances ont un impact sur cette question, comme l’âge, l’instruction et les aptitudes.

[36]      Il ressort clairement de l’analyse des décisions de la Commission en matière d’invalidité, particulièrement dans la jurisprudence récente, que sa position concernant l’exigence relative à la gravité contenue au sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime, a été appliquée de façon contradictoire. Dans les causes récentes, aucune raison perceptible ne permet d’expliquer le changement d’analyse à l’égard de la définition du terme « grave » utilisé dans le Régime. Pour cette raison, la Cour estime qu’il est nécessaire de donner des instructions concernant le critère juridique approprié qui doit être appliqué pour déterminer si un demandeur souffre d’une invalidité « grave » au sens du Régime.

c)    Le critère juridique approprié pour qualifier l’invalidité en vertu du Régime

[37]      À une exception près, aucune des décisions récentes de la Commission n’a analysé de façon approfondie le texte du sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime. Cette exception est la décision relativement récente de la Commission dans Barlow c. Ministre du Développement des ressources humaines (1999), C.E.P. & P.G.R. 8846 (C.A.P.). Il est intéressant de répéter le passage crucial de la décision de la Commission dans cette affaire [à la page 6679] :

[traduction] Son invalidité est-elle suffisamment grave pour l’empêcher de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice?

Pour répondre à cette question, nous estimons qu’il est approprié d’analyser le libellé précité pour établir avec précision l’intention du législateur :

Le Greater Oxford Dictionary définit ainsi le mot régulier : « habituel, normal ou ordinaire ».

Régulièrement—« à intervalles réguliers ».

Véritable—« authentique, qui existe réellement, non illusoire, dont l’importance ou la valeur est réelle, pratique ».

Rémunérateur—« lucratif, emploi rémunéré ».

Occupation—« emploi temporaire ou permanent, inamovibilité ».

Si l’on applique ces définitions à l’état physique de Mme Barlow au mois de décembre 1997, il est difficile, sinon impossible, de conclure qu’elle était, à l’âge de 57 ans, en mesure de se qualifier pour un emploi habituel ou ordinaire, qui existe réellement, qui n’est pas illusoire et qui est d’une importance réelle.

[38]      Cette analyse du sous-alinéa 42(2)a)(i) donne fortement à penser que le législateur avait l’intention d’appliquer l’exigence concernant la gravité de l’invalidité dans un contexte « réaliste ». Exiger d’un requérant qu’il soit incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice n’est pas du tout la même chose que d’exiger qu’il soit incapable de détenir n’importe quelle occupation concevable. Chacun des mots utilisés au sous-alinéa doit avoir un sens, et cette disposition lue de cette façon indique, à mon avis, que le législateur a jugé qu’une invalidité est grave si elle rend le requérant incapable de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice. À mon avis, il s’ensuit que les occupations hypothétiques qu’un décideur doit prendre en compte ne peuvent être dissociées de la situation particulière du requérant, par exemple son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie.

[39]      Je suis d’accord avec la conclusion énoncée dans la décision Barlow, précitée, et les motifs donnés à l’appui de cette conclusion. L’analyse effectuée par la Commission dans cette affaire était brève et cohérente. Elle démontre que, d’après le sens ordinaire des mots utilisés au sous-alinéa 42(2)a)(i), le législateur doit avoir eu l’intention de faire en sorte que le critère juridique pour déterminer la gravité d’une invalidité soit appliqué en conservant un certain rapport avec le « monde réel ». Il est difficile de comprendre quel objectif la loi pourrait poursuivre si elle prévoyait que les prestations d’invalidité ne peuvent être payées qu’aux requérants qui sont incapables de détenir quelque forme que ce soit d’occupation, sans tenir compte du caractère irrégulier, non rémunérateur ou sans valeur de cette occupation. Une telle analyse ferait échec aux objectifs manifestes du Régime et mènerait à une analyse non compatible avec le langage clair de la loi.

[40]      Ma décision d’adopter le sens ordinaire des mots employés au sous-alinéa 42(2)a)(i), tels qu’interprétés par la Commission dans la décision Barlow, trouve un appui additionnel dans le Règlement sur le Régime de pensions du Canada, C.R.C., ch. 385. Le paragraphe 68(1) [mod. par DORS/96-522, art. 23] de ce Règlement exige de quiconque s’adresse au ministre pour obtenir des prestations d’invalidité en vertu du Régime qu’il fournisse à ce dernier certains renseignements. Il est rédigé dans les termes suivants :

68. (1) Quand un requérant allègue que lui-même ou une autre personne est invalide au sens de la Loi, il doit fournir au ministre les renseignements suivants sur la personne dont l’invalidité est à déterminer :

a) un rapport sur toute détérioration physique ou mentale indiquant

(i) la nature, l’étendue et le pronostic de la détérioration,

(ii) les constatations sur lesquelles se fondent le diagnostic et le pronostic,

(iii) toute incapacité résultant de la détérioration, et

(iv) tout autre renseignement qui pourrait être approprié, y compris les recommandations concernant le traitement ou les examens additionnels;

b) une déclaration indiquant l’emploi et les gains de cette personne pendant la période commençant à la date à partir de laquelle le requérant allègue que l’invalidité a commencé; et

c) une déclaration indiquant la formation scolaire, l’expérience acquise au travail et les activités habituelles de la personne. [Non souligné dans l’original.]

D’après l’interprétation stricte que la Commission a donnée de l’exigence relative à la gravité de l’invalidité, les renseignements ayant trait à la formation scolaire, à l’expérience acquise au travail et aux activités habituelles du requérant qui doivent être fournis au ministre aux termes de l’alinéa 68(1)c) du Règlement n’auraient absolument aucune pertinence dans la décision concernant l’invalidité. Bien entendu, l’obligation pour les requérants de fournir au ministre des renseignements ayant trait à leur formation scolaire, à leur expérience de travail et à leurs activités habituelles ne peuvent qu’indiquer que ces détails « réalistes » sont en fait pertinents à une décision sur la gravité de l’invalidité prise conformément à la définition donnée au sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime.

[41]      Il ressort aussi clairement du procès-verbal du comité spécial mixte chargé d’étudier le projet de loi C-136 que les mots du sous-alinéa 42(2)a)(i) ont été choisis avec soin par les rédacteurs du Régime. Au cours de l’étude article par article du projet de loi, l’exigence relative à la gravité avait été expliquée de la façon suivante par le sous-ministre du Bien-être social de l’époque, Dr Joseph Willard (voir le comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des Communes chargé d’analyser le projet de loi C-136 et d’en faire rapport, Procès-verbaux et témoignages, no 2 (1er décembre 1964), à la page 247) :

[traduction]

M. Thorson : […] le paragraphe 2 définit ce qu’on entend par le terme « invalide » dans ce projet de loi […]

M. Croll : Quelle est la différence avec la définition qui est donnée dans la loi actuelle sur l’invalidité?

Dr Willard : M. le Président, la loi sur les personnes invalides actuellement en vigueur donne une définition de l’invalidité permanente et totale, qui est une définition plus restrictive que celle qui est énoncée ici. Vous noterez que dans ce projet de loi la gravité se rapporte à l’état d’une personne qui est en mesure de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Par conséquent, cela ajoute un concept additionnel d’employabilité […]

[42]      L’explication donnée par le sous-ministre du Bien-être social est sans ambiguïté. Le critère relatif à la gravité n’est pas celui d’une invalidité « totale ». Pour exprimer le critère moins rigide de la gravité en vertu du Régime, les rédacteurs ont donc instauré la notion de gravité comme étant l’incapacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Le libellé sans équivoque de la loi, les dispositions connexes du Règlement, et l’intention manifeste des rédacteurs indiquent tous avec autant de force que l’expression essentielle de la définition de la gravité au sous-alinéa 42(2)a)(i) ne peut être ignorée ni réduite.

[43]      Mais c’est précisément ce que la Commission a fait en l’espèce. Elle a appliqué la méthode abstraite et stricte à l’exigence de gravité au sous-alinéa 42(2)a)(i) sans analyser la totalité du libellé de la loi. Pour faciliter la consultation, l’analyse de la Commission concernant la définition de la gravité donnée au sous-alinéa 42(2)a)(i) est reprise ci-dessous (voir page 10 de la décision) :

[traduction] Il est très important de noter que les mots « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice […] » signifie n’importe quelle occupation. Ce n’est pas, comme certaines polices d’assurance le déclarent, « […] n’importe quelle occupation pour laquelle le requérant est raisonnablement compétent […] ». Il s’agit de n’importe quelle occupation, même si le requérant n’a pas la scolarité ou les compétences spécialisées pour l’exercer ou n’en connaît pas le langage de base.

La disponibilité du travail est un autre facteur. Ce n’est pas là une question que la Commission analyse ou dont elle peut tenir compte. Ainsi donc, la situation du marché du travail local n’est pas pertinente : il y a une présomption légale selon laquelle il y a du travail disponible. [Souligné dans l’original.]

À mon avis, il est évident que la Commission en l’espèce a effectivement exclu de la définition de gravité les mots « régulièrement », « véritablement » et « rémunératrice ». De cette façon, la Commission a réduit le critère juridique à ce qui suit : Le demandeur est-il incapable de détenir une occupation? Cela équivaut presque aux critères d’invalidité « totale » évités par les rédacteurs du Régime. En fait, l’accent répété de la Commission sur l’expression « n’importe quelle » semble avoir contribué à son erreur d’interprétation du critère législatif concernant la gravité.

[44]      En toute déférence, je crois que la Commission a utilisé le mauvais critère juridique pour ce qui est de l’exigence selon laquelle cette invalidité doit être « grave ». Le critère qu’il convient d’appliquer à la gravité est celui en fonction duquel chaque mot de la définition apporte sa contribution à l’exigence légale. Ces mots, lus ensemble, donnent à penser que le critère de gravité comporte un aspect d’employabilité.

[45]      Malheureusement pour les décideurs en vertu du Régime, l’employabilité n’est pas un concept qui se prête facilement à l’abstraction. L’employabilité existe dans le contexte des réalités commerciales et de la situation particulière d’un requérant. Cela ne veut pas dire que le ministre, le tribunal de révision ou la Commission doivent élaborer des hypothèses complexes concernant l’employabilité d’un requérant pour en arriver à une décision sur la gravité de son invalidité. En outre, je tiens à préciser que je ne dis pas que l’employabilité doit être déterminée en faisant purement référence à l’occupation choisie par un requérant. Contrairement au paragraphe 3 de l’article 95 de la Loi sur le régime de rentes du Québec, S.R.Q., ch. R-9, qui prévoit spécifiquement qu’un requérant âgé de 60 ans ou plus sera considéré comme ayant une invalidité grave si celle-ci « rend cette personne régulièrement incapable d’exercer l’occupation habituelle rémunérée » qu’elle détenait au moment où elle cesse de travailler en raison de son invalidité. Le Régime fédéral ne contient aucune disposition qui permette de conclure à la gravité d’une invalidité lorsqu’un requérant est simplement incapable de conserver son occupation ordinaire en raison de l’invalidité alléguée. En fait, le critère établi en vertu du Régime a trait à une occupation véritablement rémunératrice.

[46]      Ce que le critère légal applicable à la gravité de l’invalidité exige, cependant, c’est un air de réalisme pour évaluer si un requérant est incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Naturellement, les décideurs ont déjà adopté un certain degré de pragmatisme dans leurs décisions relatives à la gravité. Pour n’en donner qu’un exemple patent, la gamme des occupations véritablement rémunératrices convenant à un requérant d’âge moyen ayant terminé son cours primaire et parlant difficilement le français ou l’anglais n’inclut habituellement pas les professions d’ingénieur ou de médecin.

[47]      Toutefois, dans d’autres cas, les décideurs ignorent le libellé de la loi en concluant par exemple que, puisqu’un requérant est capable d’effectuer certaines tâches ménagères ou, à strictement parler, de demeurer assis pendant de courtes périodes, il est en mesure, en théorie, d’exercer un certain type d’occupation sédentaire non spécifiée qui correspond à « n’importe quelle » occupation au sens du sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime.

[48]      En fait, la présente Cour a critiqué cette tendance à s’exprimer en termes de vagues catégories de travail dans Wirachowsky, précité. Dans cette affaire, le requérant ne pouvait rester assis ou debout que pendant de courtes périodes, mais la Commission avait jugé qu’il était en mesure d’effectuer un travail semi-sédentaire. Au nom de la Cour, le juge McDonald note (au paragraphe 7) que l’expression « travail semi-sédentaire » n’avait pas, à son avis, un sens clair au fins de l’appréciation de l’invalidité prévue par le Régime. Le risque que présente cette façon de penser en termes de catégories « d’occupations », c’est que toute référence à une occupation régulière, tangible et rentable, sera vraisemblablement oubliée. Par conséquent, il se pourrait fort bien qu’un requérant soit privé de la protection même que le Régime a été conçu pour lui assurer et pour laquelle il a contribué pendant ses périodes d’emploi actif sur le marché du travail.

[49]      Si l’on garde à l’esprit que l’audition devant la Commission est de la nature d’une audition de novo, tant et aussi longtemps que le décideur applique le critère juridique adéquat pour la gravité de l’invalidité—c’est-à-dire qu’il applique le sens ordinaire de chaque mot de la définition légale de la gravité donnée au sous-alinéa 42(2)a)(i), il sera en mesure de juger d’après les faits si, en pratique, un requérant est incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. L’évaluation de la situation du requérant est une question de jugement sur laquelle la Cour hésite à intervenir.

[50]      Cette réaffirmation de la méthode à suivre pour définir l’invalidité ne signifie pas que quiconque éprouve des problèmes de santé et des difficultés à se trouver et à conserver un emploi a droit à une pension d’invalidité. Les requérants sont toujours tenus de démontrer qu’ils souffrent d’une « invalidité grave et prolongée » qui les rend « régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Une preuve médicale sera toujours nécessaire, de même qu’une preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi et de l’existence des possibilités d’emploi. Bien entendu, il sera toujours possible, en contre-interrogatoire, de mettre à l’épreuve la véracité et la crédibilité de la preuve fournie par les requérants et d’autres personnes.

[51]      En résumé, je suis d’avis que la Commission n’a pas attribué le sens qu’il faut au langage clair utilisé au sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime. Elle a préféré formuler une version abrégée et délibérément peu généreuse de la définition légale d’une invalidité « grave », faisant ainsi échec aux objectifs de bienfaisance de la loi. Comme je suis parvenu à cette conclusion, je n’estime pas nécessaire d’analyser les nombreux motifs procéduraux que le demandeur a formulés dans son argumentation verbale et écrite.

Dispositif

[52]      Par conséquent, pour les présents motifs, je suis d’avis d’accueillir la demande de contrôle judiciaire avec dépens en faveur du demandeur, d’infirmer la décision de la Commission en date du 11 février 2000, et de renvoyer l’affaire à la Commission pour nouvel examen par une formation différente en conformité avec les présents motifs et en tenant compte du dossier tel qu’il a été constitué, de même que de toute autre preuve pertinente que les parties souhaiteront produire.

Le juge Linden, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

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