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[2002] 1 C.F. 325

2001 CFPI 879

T-967-00

T-968-00

Dutch Industries Ltd. (demanderesse)

c.

Commissaire aux brevets, Barton No-Till Disk Inc. et Flexi-Coil Ltd. (défendeurs)

Répertorié : Dutch Industries Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets) (1re inst.)

Section de première instance, juge Dawson Saskatoon (Saskatchewan), 23 mai; Ottawa, 13 août 2001.

Brevets — Pratique — Le titulaire et demandeur de brevet a payé à tort des taxes périodiques moins élevées au motif qu’il avait le droit de revendiquer le statut de petite entité — Le commissaire aux brevets n’a pas compétence pour accepter des paiements à valoir sur les taxes périodiques provisionnelles après l’expiration du délai prescrit pour leur paiement.

Le brevet canadien no 2121388 (le brevet 388) a été délivré en juillet 1996 à la suite d’une demande déposée en avril 1994. Flexi-Coil Ltd. a obtenu le droit d’exploiter l’invention en vertu d’un accord d’exclusivité de licence conclu avec Barton No-Till Disk Inc.

Aux termes d’un ajout à l’accord de licence, Barton a également accordé à Flexi-Coil certains droits dans l’invention décrite dans la demande de brevet canadien no 2146904 (la demande 904) déposée en avril 1995.

Jusqu’au 29 mars 2000, toutes les taxes, y compris les taxes de dépôt et les taxes périodiques, qui devaient être payées à l’Office la propriété intellectuelle du Canada relativement au brevet 388 et à la demande 904, ont été payées en fonction des montants exigibles d’une petite entité.

Accusée, dans une autre instance, d’avoir contrefait le brevet 388, la demanderesse a fait valoir comme moyen de défense que le brevet 388 avait expiré en avril 1997 en raison du non-paiement des taxes périodiques requises dans le délai prescrit, du fait que le titulaire du brevet avait payé les taxes périodiques en tant que petite entité alors qu’il n’avait pas droit à ce statut.

En mars 2000, les avocats de Barton ont écrit au commissaire pour lui faire savoir que le titulaire et demandeur de brevets n’avait plus le droit de revendiquer le statut de petite entité à compter du 25 novembre 1994 et de payer dans chaque cas le solde des taxes périodiques dues. Le commissaire a accepté ces sommes d’argent en mars 2000.

Dans le dossier T-967-00, la demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision du commissaire à l’égard de la demande 904 et une ordonnance déclarant que la demande de brevet est devenue caduque en avril 1997 en raison du défaut de payer les taxes périodiques prescrites et du défaut de demander le rétablissement de la demande. Dans le dossier T-968-00, la demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision du commissaire à l’égard du brevet 388 et soit une ordonnance déclarant que la demande de brevet 388 était caduque en avril 1996 de sorte qu’aucun brevet valide ne pouvait être délivré en réponse à cette demande, soit une ordonnance déclarant que le brevet 388 a été frappé de déchéance en avril 1997, le tout en raison du défaut de payer les taxes périodiques prescrites et du défaut de demander le rétablissement de la demande.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Les décisions prises par le commissaire en l’espèce pouvaient faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de leur bien-fondé.

Demande 904

Bien que la Loi prévoie une procédure permettant d’obtenir le rétablissement des demandes de brevet abandonnées, rien ne permet de penser en l’espèce qu’un rétablissement a été demandé ou accordé et rien ne permet non plus de conclure que les taxes réglementaires de rétablissement ont été payées. Les Règles sur les brevets prévoient en outre que la demande de rétablissement doit être présentée dans les 12 mois suivant la date à laquelle la demande est réputée avoir été abandonnée. En l’espèce, plus de 12 mois s’étaient écoulés avant que Barton ne demande l’autorisation de « combler le déficit ».

Le commissaire dispose d’une certaine latitude en matière de prorogation des délais prescrits par les Règles, mais sa compétence est expressément circonscrite par l’article 157 des Règles en ce qui concerne la prorogation du délai imparti pour payer les taxes requises pour maintenir une demande de brevet en état. Pour ce qui est de l’argument que ce raisonnement ne s’applique pas dans le cas d’un paiement de taxes erroné, le commissaire n’a pas le pouvoir discrétionnaire de permettre des paiements correctifs pour « combler le déficit ». Il ressort des dispositions applicables que le législateur fédéral a explicitement envisagé la possibilité d’erreur dans le paiement des taxes périodiques et qu’il a prévu que le défaut de payer les taxes prescrites ne pouvait être corrigé que dans le délai de grâce d’un an prévu par les Règles. Ces dispositions explicites empêchent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire du commissaire. Le Recueil des pratiques du Bureau des brevets précise que les délais prescrits pour le paiement des taxes périodiques ne peuvent pas être prorogés. Cette mise en garde sape à sa base l’argument qu’il serait injuste de mettre un terme à l’usage consistant à permettre de corriger en tout temps un paiement insuffisant de taxes périodiques.

Brevet 388

Au moment où la demande relative au brevet 388 a été déposée et jusqu’en octobre 1996, les versions antérieures de la Loi et des Règles étaient en vigueur. Là encore, le libellé de la Loi et des Règles témoigne de l’existence d’une obligation impérative de payer les taxes prescrites et des conséquences impératives découlant d’un abandon réputé si les taxes prescrites n’étaient pas payées avant l’expiration du délai prescrit pour leur paiement. Toute demande de rétablissement devait avoir été présentée dans le délai prescrit. Le commissaire n’avait pas non plus compétence pour permettre le paiement de la portion manquante des taxes périodiques après l’expiration du délai prévu pour demander le rétablissement de la demande réputée abandonnée. Il s’ensuit qu’en juillet 1996, lorsque le brevet a été délivré, il n’existait en fait aucune demande valide justifiant la délivrance du brevet. À titre subsidiaire, tout brevet valide a été frappé de déchéance en avril 1997 par suite du défaut de payer les taxes périodiques le jour du troisième anniversaire de la date du dépôt de la demande.

Le commissaire a par conséquent commis une erreur en acceptant les paiements correctifs et ses décisions d’accepter ces paiements doivent être annulées.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5).

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 27.1 (édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 9), 46 (mod., idem, art. 16; L.C. 1993, ch. 15, art. 43), 73(1)c) (mod., idem, art. 52), (3) (mod., idem).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, tarif B, colonnes III, V.

Règles sur les brevets, C.R.C., 1250, art. 76.1 (édicté par DORS/89-452, art. 11), 139.

Règles sur les brevets, DORS/96-423, art. 26(1), 152, 154(1), 155, 157.

JURISPRUDENCE

décisions appliquées :

Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; President and Fellows of Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [2000] 4 C.F. 528 (2000), 189 D.L.R. (4th) 385; 7 C.P.R. (4th) 1 (C.A.); Pfizer Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets) (2000), 9 C.P.R. (4th) 13; 269 N.R. 373 (C.A.F.).

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le commissaire aux brevets a accepté des paiements à valoir sur des taxes périodiques provisionnelles après l’expiration du délai prescrit pour leur paiement. La demande est accueillie.

ONT COMPARU :

Robert A. Kallio et Thomas E. Roberts pour la demanderesse.

Marcus T. Gallie pour les défendeurs.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Furman & Kallio, Saskatoon (Saskatchewan), pour la demanderesse.

Ridout & Maybee, Ottawa, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Dawson : La question en litige dans les présentes demandes de contrôle judiciaire est celle de savoir si le commissaire aux brevets (le Commissaire) peut accepter des paiements à valoir sur les taxes périodiques provisionnelles après l’expiration du délai prescrit pour leur paiement. La question est soulevée dans un contexte dans lequel, à l’époque en cause, les taxes périodiques étaient payées en fonction du fait que le titulaire et demandeur de brevets avait le droit de revendiquer le statut de petite entité alors qu’à compter du 25 novembre 1994, il n’avait plus ce droit.

LES FAITS

[2]        Les faits ne sont pas contestés.

[3]        Le 24 novembre 1994, la défenderesse Barton No-Till Disk Inc. (Barton) a conclu avec la défenderesse Flexi-Coil Ltd. (Flexi-Coil) un accord d’exclusivité de licence aux termes duquel le droit d’exploiter l’invention décrite dans le brevet canadien no 2121388 (le brevet 388) a été accordé à Flexi-Coil. Le brevet 388 a été délivré le 23 juillet 1996 en réponse à la demande déposée le 15 avril 1994.

[4]        Aux termes de ce qui a été qualifié d’ajout à l’accord de licence, Barton a également accordé à Flexi-Coil certains droits dans l’invention décrite dans la demande de brevet canadien no 2146904 (la demande 904). La demande 904 a été déposée le 12 avril 1995 et aucun brevet n’a encore été délivré en réponse à cette demande.

[5]        Jusqu’au 29 mars 2000, toutes les taxes, y compris les taxes de dépôt et les taxes périodiques, qui devaient être payées à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (l’OPIC) relativement au brevet 388 et à la demande 904 ont été payées en fonction des montants exigibles d’une petite entité.

[6]        Dutch Industries Ltd. (Dutch) est accusée, dans une autre instance introduite devant notre Cour, d’avoir contrefait le brevet 388 en vendant et en fournissant l’appareil décrit dans ce brevet. Dans cette autre instance, Dutch fait valoir comme moyen de défense que le brevet 388 est expiré en raison du non-paiement des taxes périodiques requises dans le délai prescrit. L’allégation de non-paiement repose sur le fait que le titulaire du brevet a payé les taxes périodiques en tant que petite entité alors qu’il n’avait pas droit à ce statut. Dutch affirme que le brevet 388 a été frappé de déchéance le 15 avril 1997.

[7]        Le 7 mars 2000, les avocats de Dutch ont écrit au Commissaire pour exposer la position de Dutch et pour affirmer que le Commissaire n’était pas autorisé à accepter un paiement correctif pour rectifier le statut de l’entité et pour combler le déficit de taxes périodiques. Le Commissaire a répondu dans une lettre datée du 9 mars 2000 qu’il acceptait le statut revendiqué par tout titulaire ou demandeur de brevet et qu’il n’avait pas le pouvoir de faire enquête sur les revendications de statut.

[8]        Le 29 mars 2000, les avocats de Barton, le titulaire et demandeur de brevets, ont écrit au Commissaire au sujet du brevet 388 et de la demande 904 pour lui faire savoir que le titulaire et demandeur de brevets n’avait plus le droit de revendiquer le statut de petite entité à compter du 25 novembre 1994 et de payer dans chaque cas [traduction] « le solde des taxes officielles qui ont été payées depuis cette date ». Les montants réclamés n’étaient pas élevés : 375 $ dans le cas du brevet 388, et 300 $ dans le cas de la demande 904. Aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet de la façon dont l’erreur s’était produite.

[9]        L’OPIC a accepté ces sommes d’argent le 29 mars 2000. Dans les affidavits qu’il a souscrits, le directeur adjoint de la Direction des brevets a déclaré : [traduction] « L’usage courant à la Direction des brevets consiste et a toujours consisté à accepter ces paiements en pareil cas, et le paiement de ces montants supplémentaires a également été accepté dans le présent cas ». Les registres de TechSource ont également été modifiés pour montrer que les paiements exigibles de la part d’une grande entité avaient été effectués à leur échéance.

[10]      Peu de temps après, le 5 avril 2000, les agents de brevets du titulaire et demandeur de brevets ont écrit au Commissaire une lettre à laquelle ils ont joint le paiement des taxes périodiques dues pour le brevet 388 et la demande 904 en date du 15 avril et du 12 avril 2000 respectivement. En raison d’une erreur inexpliquée, les montants payés étaient ceux qui étaient exigibles d’une petite entité. Le 20 avril 2000, l’OPIC a répondu à cette lettre en signalant l’erreur et en déclarant que le solde des taxes dues devait être réglé au plus tard le 12 mai 2000 pour empêcher la déchéance du brevet 388 et l’abandon de la demande 904. Dans chaque cas, le solde des taxes prescrites a été acquitté le 28 avril 2000.

[11]      Dutch affirme que la décision prise le 29 mars 2000 par le Commissaire d’accepter les paiements rétroactifs et de modifier les registres des taxes périodiques lui a été communiquée le 23 mai 2000.

[12]      Dans le dossier T-967-00, Dutch sollicite une ordonnance annulant la décision du Commissaire à l’égard de la demande 904 et une ordonnance déclarant que la demande de brevet est devenue caduque le 12 avril 1997 en raison du défaut de payer les taxes périodiques prescrites et du défaut de demander le rétablissement de la demande.

[13]      Dans le dossier T-968-00, Dutch sollicite une ordonnance annulant la décision du Commissaire à l’égard du brevet 388 et soit une ordonnance déclarant que la demande de brevet 388 était caduque en date du 15 avril 1996 de sorte qu’aucun brevet valide ne pouvait être délivré en réponse à cette demande, soit une ordonnance déclarant que le brevet 388 a été frappé de déchéance le 15 avril 1997, le tout en raison du défaut de payer les taxes périodiques prescrites et du défaut de demander le rétablissement de la demande.

[14]      En l’espèce, la qualité de Dutch pour présenter les demandes en question en tant que personne « directement touché[e] » par les décisions contestées au sens de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5], n’a pas été contestée. Le Commissaire n’a pas comparu lors de l’audition des demandes.

QUESTIONS EN LITIGE

[15]      Dutch formule les questions en litige de la manière suivante :

1. Le Commissaire avait-il compétence, en vertu de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 (la Loi) et des Règles sur les brevets, DORS/96-423 (les Règles) pour accepter le versement de taxes périodiques après l’expiration du délai prescrit pour leur paiement?

2. Le Commissaire avait-il compétence, en vertu de la Loi et des Règles, pour accepter le versement de taxes périodiques plus d’un an après leur échéance?

3. Les agissements du Commissaire ont-ils eu une incidence sur la validité du brevet et de la demande de brevet?

[16]      Barton et Flexi-Coil formulent pour leur part les questions en litige comme suit :

1. Le versement des taxes exigibles d’une petite entité alors que le montant de taxes à payer est celui qui est exigible d’une grande entité constitue-t-il un non-paiement de taxes entraînant l’abandon irrévocable de la demande de brevet?

2. Le Commissaire a-t-il exercé régulièrement son pouvoir discrétionnaire en acceptant les versements correctifs pour « combler le déficit » de taxes?

NORME DE CONTRÔLE

[17]      Barton et Flexi-Coil rappellent l’expertise du Commissaire en la matière et soutiennent que les décisions prises par le Commissaire ont droit à une retenue judiciaire, en particulier celles qui ont trait à des questions d’ordre administratif. Elles affirment que la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable simpliciter, avec peut-être une tendance vers la norme appelant un plus grand degré de retenue que constitue le caractère raisonnable du brevet. Dutch n’a formulé aucune observation au sujet de la norme de contrôle applicable.

[18]      Pour pouvoir déterminer la norme de contrôle applicable dans le cas des décisions du Commissaire, il est nécessaire de se livrer à l’analyse pragmatique et fonctionnelle que la Cour suprême du Canada a expliquée dans des décisions comme l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.

[19]      L’analyse pragmatique et fonctionnelle exige que l’on examine l’existence d’une clause privative, l’expertise relative de l’auteur de la décision, l’objet de la loi et des dispositions législatives en litige et la nature de la question soumise à l’auteur de la décision.

[20]      Une fois que ces facteurs ont été appliqués à tour de rôle, les articles 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale prévoient que les décisions du Commissaire peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Il s’agit de dispositions qui se situent à mi-chemin entre une clause privative en bonne et due forme et un droit d’appel illimité et qui laissent entrevoir une certaine retenue judiciaire.

[21]      L’expertise est le plus important des quatre facteurs à examiner. Bien que le Commissaire possède une expertise à l’égard d’un certain nombre de questions, je ne suis pas persuadée que cette expertise s’étende à l’interprétation des dispositions pertinentes de la Loi et des Règles pour déterminer les conséquences d’un versement insuffisant de taxes. Ainsi que les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale l’ont fait remarquer dans l’arrêt President and Fellows of Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [2000] 4 C.F. 528 (C.A.) au paragraphe 183, plus les propositions avancées sont générales et plus les répercussions de la décision s’écartent du domaine d’expertise fondamental du commissaire, moins le tribunal est justifié de faire preuve de retenue judiciaire, ce qui permet de conclure à une norme de contrôle qui appelle un degré moins élevé de retenue judiciaire et se rapproche davantage de la norme du bien-fondé, qui se situe à l’autre extrémité du spectre.

[22]      Bien que la Loi ait pour objet de promouvoir la mise au point d’inventions susceptibles de profiter tant aux inventeurs qu’au public, je conclus que l’objet des dispositions précises en litige en ce qui concerne le paiement de taxes n’est pas de nature polycentrique et qu’il n’implique pas l’application d’un critère de pondération à volets multiples. La Loi définit et réglemente les droits respectifs des titulaires de brevets. Lorsqu’une loi a pour objet de définir les droits entre les intéressés, le tribunal est justifié de procéder à un examen plus serré.

[23]      La question en litige est, de par sa nature, une question de droit. L’interprétation aura des incidences déterminantes sur les décisions à venir, ce qui, je le répète, justifie un degré moins élevé de retenue judiciaire et l’application d’une norme qui se rapproche davantage de la norme du bien-fondé.

[24]      Appliquant ces facteurs, je conclus que les décisions prises par le Commissaire en l’espèce peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme du bien-fondé.

ANALYSE

(i) T-967-00 (demande 904)

[25]      Je crois qu’il est utile de commencer par un examen du cadre législatif applicable. Les avocats sont convenus que, dans le cas de la présente demande de contrôle judiciaire, les dispositions pertinentes se trouvent dans la version entièrement modifiée de la Loi, ainsi qu’à la partie IV des Règles.

[26]      Le paragraphe 27.1(1) [édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 9] de la Loi dispose :

27.1 (1) Le demandeur est tenu de payer au commissaire, afin de maintenir sa demande en état, les taxes réglementaires pour chaque période réglementaire. [Le souligné est de moi.]

[27]      Le paragraphe 154(1) des Règles, que l’on trouve à la partie IV, porte sur le délai dans lequel les taxes périodiques doivent être payées. En voici le libellé :

154. (1) Pour l’application du paragraphe 27.1(1) et de l’alinéa 73(1)c) de la Loi, la taxe applicable prévue à l’article 30 de l’annexe II pour le maintien de la demande en état est payée à l’égard des périodes indiquées à cet article, avant l’expiration des délais qui y sont fixés. [Le souligné est de moi.]

[28]      La conséquence du non-paiement de la taxe est précisée à l’alinéa 73(1)c) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 52] de la Loi :

73. (1) La demande de brevet est considérée comme abandonnée si le demandeur omet, selon le cas :

[…]

(c) de payer, dans le délai réglementaire, les taxes visées à l’article 27.1; [Le souligné est de moi.]

[29]      Bien qu’au paragraphe 73(3) [mod., idem], la Loi prévoie une procédure permettant d’obtenir le rétablissement des demandes de brevet qui ont été abandonnées, rien ne permet de penser en l’espèce qu’un rétablissement a été demandé ou accordé et rien ne permet non plus de conclure que les taxes réglementaires de rétablissement ont été payées. Les Règles prévoient en outre que la demande de rétablissement doit être présentée dans les 12 mois suivant la date à laquelle la demande est réputée avoir été abandonnée. En l’espèce, plus de 12 mois s’étaient écoulés avant que Barton ne demande l’autorisation de « combler le déficit ».

[30]      Le Commissaire dispose d’une certaine latitude en matière de prorogation des délais prescrits par les Règles. Ce pouvoir discrétionnaire se trouve au paragraphe 26(1) des Règles, qui dispose :

26. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et des autres dispositions des présentes règles, sauf pour l’application de la partie V, le commissaire est autorisé à proroger tout délai prévu aux présentes règles ou fixé par lui en vertu de la Loi pour l’accomplissement d’un acte, s’il est convaincu que les circonstances le justifient et si, avant l’expiration du délai, la prorogation a été demandée et la taxe prévue à l’article 22 de l’annexe II a été versée.

[31]      La compétence du Commissaire est cependant expressément circonscrite en ce qui concerne la prorogation du délai imparti pour payer les taxes requises pour maintenir une demande de brevet en état. L’article 157 des Règles prévoit en effet ce qui suit :

157. L’article 26 ne s’applique pas aux délais prévus aux articles 154, 155 et 156.

[32]      Il ressort de ces extraits des dispositions législatives applicables que le texte législatif précise bien les balises à respecter en ce qui concerne le paiement des taxes et le délai dans lequel elles doivent être payées. Ce fait est admis par les personnes morales défenderesses, qui soutiennent que la Loi et les Règles sont explicites en ce qui concerne le non-paiement des taxes, mais qu’elles sont muettes sur les conséquences d’un paiement de taxes erroné. En pareil cas, le Commissaire aurait le pouvoir discrétionnaire de permettre des paiements correctifs pour « combler le déficit » et une convention en ce sens existerait. En d’autres termes, un paiement incorrect ne serait pas la même chose qu’un non-paiement et constituerait une erreur rectifiable.

[33]      À l’appui de cet argument, les personnes morales défenderesses invoquent la maxime expressio unius est exclusio alterius. Le législateur fédéral n’a pas abordé la question des paiements erronés dans le contexte de l’abandon des demandes de brevet, de sorte qu’on ne saurait lui imputer l’intention que l’abandon soit une conséquence d’un paiement erroné. En l’absence de conduite injuste ou arbitraire ou de dispositions législatives limitant le pouvoir discrétionnaire du Commissaire, ce dernier pourrait, selon les personnes morales défenderesses, invoquer son pouvoir discrétionnaire pour accepter le paiement correctif d’une taxe officielle.

[34]      La réponse à ces arguments, se trouve, à mon sens, dans le libellé explicite de la Loi et des Règles.

[35]      Le paragraphe 27.1(1) de la Loi n’exige pas simplement le paiement de certaines taxes ou d’une taxe quelconque, mais bien le paiement « [d]es taxes réglementaires ». Le paragraphe 154(1) des Règles prévoit quant à lui que « la taxe applicable […] est payée […] avant l’expiration » des délais fixés. Si les « taxes exigibles en application de l’article 27.1 » ne sont pas payées dans le délai prescrit, la demande de brevet est réputée avoir été abandonnée. Je conclus qu’en limitant expressément à l’article 157 des Règles l’application de la disposition dérogatoire énoncée à l’article 26 des Règles aux situations dans lesquelles les taxes réglementaires ne sont pas payées comme il est exigé, le législateur fédéral a explicitement envisagé la possibilité d’erreur dans le paiement des taxes périodiques. Ayant tenu compte de cette éventualité, le législateur fédéral a prévu que le défaut de payer les taxes prescrites ne pouvait être corrigé que dans le délai de grâce d’un an prévu à l’article 152 des Règles.

[36]      Ces dispositions explicites empêchent à mon avis l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Commissaire qui aurait pour effet de permettre qu’un montant inférieur au montant exigé soit payé et de permettre ensuite à l’intéressé de combler le déficit après l’expiration du délai de grâce autorisé. Des dispositions aussi explicites empêchent aussi l’application du principe d’interprétation des lois expressio unius. On ne peut conclure à l’existence d’une intention contraire compte tenu du sens non équivoque des dispositions expresses que l’on trouve dans la Loi et dans les Règles.

[37]      J’ai examiné l’argument des personnes morales défenderesses suivant lequel, à cause de la pratique actuellement suivie par le Commissaire sur laquelle le public se fonde, il serait manifestement injuste que la Cour mette fin à cet usage. Les personnes morales défenderesses affirment également qu’on créerait de l’incertitude si les citoyens pouvaient aller au-delà des déclarations contenues dans les registres du bureau des brevets au sujet du statut du détenteur du brevet et des droits payés.

[38]      Ainsi que la Cour d’appel l’a conclu dans l’arrêt Pfizer Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets) (2000), 9 C.P.R. (4th) 13 (C.A.F.), la validité du brevet dépend de l’interprétation des dispositions pertinentes de la Loi et des Règles. Je suis tenue de donner effet à ce que j’estime être le sens ordinaire de la Loi et des Règles.

[39]      Qui plus est, le Recueil des pratiques du Bureau des brevets précise bien, à son article 20.02.13, que les « délais prescrits pour le paiement des taxes périodiques ne peuvent pas être prorogés ». Cette mise en garde sape à sa base l’argument qu’il serait injuste de mettre un terme à l’usage consistant à permettre de corriger en tout temps un paiement insuffisant de taxes périodiques.

[40]      Bien que le résultat puisse sembler sévère, il n’est pas plus dur que les conséquences qui auraient découlé du défaut du titulaire et demandeur de brevets de combler le déficit au plus tard le 12 mai 2000 comme l’exigeait le Commissaire. Il ne semble pas raisonnable de conclure que le défaut du titulaire et demandeur de brevets d’aviser comme il se doit le Commissaire de son droit de revendiquer le statut de petite entité devrait se traduire pour le titulaire et demandeur de brevets par un traitement plus avantageux (traitement plus avantageux consistant en l’autorisation de combler le déficit après l’expiration du délai de grâce).

(ii) T-968-00 (le brevet 388)

[41]      Au moment où la demande relative au brevet 388 a été déposée et jusqu’au 1er octobre 1996, les versions antérieures de la Loi et des Règles étaient en vigueur.

[42]      L’article 27.1 de la Loi prévoyait ce qui suit, dans sa rédaction en vigueur avant les modifications apportées par L.C. 1993, ch. 15, art. 32 :

27.1 (1) Le demandeur est tenu de payer au commissaire, afin de maintenir sa demande en état, les taxes réglementaires pour chaque période réglementaire.

(2) La demande est réputée abandonnée si les taxes réglementaires ne sont pas acquittées avant l’expiration du délai réglementaire pour la période en cause.

(3) La présomption d’abandon est annulée sur dépôt au commissaire par le demandeur d’une requête à cet effet dans le délai réglementaire et paiement des taxes réglementaires. [Le souligné est de moi.]

[43]      L’article 76.1 des Règles, dans sa rédaction alors en vigueur, disposait [Règles sur les brevets, C.R.C., ch. 1250 (édicté par DORS/89-452, art. 11)] :

76.1 (1) Les taxes requises pour maintenir en état la demande de brevet doivent être payées pour chaque période d’un an comprise entre le premier et le dix-neuvième anniversaire du dépôt de la demande au Canada.

(2) Les taxes visées au paragraphe (1) doivent être payées avant l’expiration de chaque période mais ne peuvent être payées avant le début de la période.

(3) Pour l’application du présent article, la demande complémentaire est censée avoir été déposée au Canada à la date de dépôt de la demande originale, en conformité avec le paragraphe 36(4) de la Loi, et les taxes qui auraient dû être payées depuis cette date pour maintenir la demande complémentaire en état doivent être payées au moment de son dépôt.

(4) La requête en rétablissement visée au paragraphe 27.1(3) de la Loi doit être déposée dans les six mois qui suivent la date à laquelle la demande de brevet est réputée abandonnée.

(5) Dans le cas de la requête en rétablissement d’une demande réputée abandonnée ou frappée de déchéance, les taxes qui auraient dû être payées pour maintenir la demande en état doivent être payées au moment du dépôt de la requête.

(6) L’article 139 ne s’applique pas aux délais prévus aux paragraphes (1) et (4).

(7) Les paragraphes (1) à (5) ne s’appliquent pas :

a) à la demande déposée au Canada avant le 1er octobre 1989;

b) à la demande complémentaire qui, conformément au paragraphe 36(4) de la Loi, porte une date de dépôt antérieure au 1er octobre 1989;

c) à la demande de redélivrance d’un brevet. [Le souligné est de moi.]

[44]      L’article 139 des Règles, dans sa rédaction alors en vigueur, était ainsi libellé :

139. Sous réserve des présentes règles, le commissaire, s’il est convaincu, à la suite d’un affidavit établissant les faits pertinents, qu’eu égard à toutes les circonstances, un délai quelconque prescrit par les présentes règles ou institué par le commissaire pour l’exécution d’un acte quelconque devrait être prolongé, pourra prolonger ce délai, soit avant, soit après son expiration.

[45]      Là encore, le libellé de la Loi et des Règles témoignait, selon moi, de l’existence d’une obligation impérative de payer les taxes prescrites et des conséquences impératives découlant d’un abandon réputé si les taxes prescrites n’étaient pas payées avant l’expiration du délai prescrit pour leur paiement. Toute demande de rétablissement devait avoir été présentée dans le délai prescrit.

[46]      Il est vrai que l’article 139 des Règles alors en vigueur conférait au Commissaire un large pouvoir discrétionnaire lui permettant de proroger le délai prévu pour l’exécution d’un acte quelconque, mais le paragraphe 76.1(6) des Règles, dans sa rédaction alors en vigueur, lui enlevait ce pouvoir discrétionnaire de proroger les délais tant en ce qui concernait le paiement des taxes périodiques qu’en ce qui avait trait au rétablissement des demandes réputées abandonnées pour défaut de payer les taxes périodiques exigibles.

[47]      Pour les motifs déjà exposés au sujet de la demande 904, je conclus pareillement que le Commissaire n’avait pas compétence pour permettre le paiement de la portion manquante des taxes périodiques après l’expiration du délai prévu pour demander le rétablissement de la demande réputée abandonnée.

[48]      Il s’ensuit que la demande de brevet 388 était, de par l’effet de la Loi, réputée avoir été abandonnée le 15 avril 1996 par suite du défaut de payer les taxes périodiques prescrites. Aucune requête en rétablissement de la demande n’a été présentée dans le délai de six mois qui était alors prescrit pour l’introduction d’une instance en rétablissement. Ainsi, le 23 juillet 1996, date à laquelle le brevet 388 a été délivré, il n’existait en fait aucune demande valide justifiant la délivrance du brevet.

[49]      À titre subsidiaire, tout brevet valide a été frappé de déchéance le 15 avril 1997 par suite du défaut de payer les taxes périodiques le jour du troisième anniversaire de la date du dépôt de la demande.

[50]      Pour conclure que tout brevet valide a été ainsi frappé de déchéance, je tiens compte des dispositions législatives qui s’appliquaient à l’époque. L’article 46 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16; L.C. 1993, ch. 15, art. 43] de la Loi, dans sa rédaction alors en vigueur, contenait l’exigence de paiement applicable et précisait les conséquences du non-paiement :

46. (1) Le titulaire d’un brevet délivré par le Bureau des brevets conformément à la présente loi après l’entrée en vigueur du présent article est tenu de payer au commissaire, afin de maintenir les droits conférés par le brevet en état, les taxes réglementaires pour chaque période réglementaire.

(2) En cas de non-paiement dans le délai réglementaire des taxes réglementaires, le brevet est périmé. [Le souligné est de moi.]

[51]      Le montant de la taxe exigible et son échéance étaient prescrits par l’article 155 des Règles (partie IV), qui était ainsi libellé :

155. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), pour l’application de l’article 46 de la Loi, la taxe applicable prévue à l’article 31 de l’annexe II pour le maintien en état des droits conférés par un brevet est payée à l’égard des périodes indiqués à cet article, avant l’expiration des délais, y compris les délais de grâce, qui y sont fixés.

(2) Au paragraphe (1), « brevet » ne vise pas le brevet redélivré.

(3) Aucune taxe pour le maintien en état des droits conférés par le brevet n’est exigible pour la période à l’égard de laquelle a été payée une taxe pour le maintien en état de la demande du brevet. [Le souligné est de moi.]

[52]      Le Commissaire avait effectivement le pouvoir de proroger le délai prévu à l’article 26 des Règles, mais l’article 157 des Règles prévoyait expressément que ce pouvoir ne s’appliquait pas aux délais prescrits par l’article 155 des Règles.

CONCLUSION

[53]      Je conclus que le Commissaire n’avait pas compétence pour accepter des paiements visant à corriger le défaut de payer les taxes périodiques prescrites dans le délai prévu. Il s’ensuit que le Commissaire a commis une erreur en acceptant les paiements correctifs et que ses décisions d’accepter ces paiements devraient être annulées.

[54]      En plus de solliciter une ordonnance annulant les décisions du Commissaire, la demanderesse conclut au prononcé d’une ordonnance déclaratoire au sujet de l’état du brevet et de la demande de brevet, ainsi que des ordonnances enjoignant au Commissaire de déclarer que le brevet 388 a été frappé de déchéance et que la demande 904 est sans effet. Compte tenu du fait que les décisions du Commissaire doivent être annulées, j’estime qu’il convient davantage de se contenter de déférer la question au Commissaire pour qu’il rende une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs.

[55]      La demanderesse réclame également les dépens prévus à la colonne V du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106. Les personnes morales défenderesses soutiennent pour leur part que les dépens devraient être taxés en fonction de la ligne médiane de la colonne III. À mon avis, ni le volume de la preuve ni la complexité des questions de droit ne justifient une taxation des dépens autre que celle qui est normalement prévue.

ORDONNANCE

[56]      LA COUR :

1. ANNULE les décisions du Commissaire aux brevets en date du 29 mars 2000 ET DÉFÈRE les questions au Commissaire pour qu’il rende une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs;

2. CONDAMNE les défenderesses à payer à la demanderesse une série de dépens, qui devront être taxés conformément à la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

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