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[2002] 2 C.F. 73

IMM-2736-01

2001 CFPI 1017

Amr Adel (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Adel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge PelletierOttawa et Montréal (téléconférence), 30 juillet; Ottawa, 13 septembre 2001.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Processus d’enquête en matière d’immigration — Demande de sursis d’une mesure de renvoi qui a été présentée le jour même où la mesure de renvoi devait être exécutée — La Cour a décidé d’entendre la demande — Lorsqu’est présentée une demande de sursis pour le motif qu’il n’y a eu aucune appréciation du risque de retour, et que le risque de retour se fonde uniquement sur les allégations du demandeur, le juge doit être satisfait qu’il y a de quoi s’inquiéter du sort du demandeur — La Cour peut trancher des questions de crédibilité, même dans le contexte d’une demande de sursis d’une mesure de renvoi, mais elle doit demeurer prudente et maintenir une certaine réserve, car les opportunités pour une analyse soigneuse de la preuve sont souvent absentes — Mais quand la preuve présentée devant la Cour suscite des questions sérieuses de crédibilité, elle ne doit pas ignorer la possibilité de mauvaise foi — Le fardeau du demandeur comprend celui de déposer une preuve digne de foi — La preuve soumise en l’espèce n’était pas digne de foi — Vu que la question sérieuse à être décidée et le préjudice irréparable (tous deux conditions du sursis) dépendaient uniquement de la crédibilité du demandeur, il n’a pas été satisfait aux éléments du test pour l’octroi d’un sursis.

Il s’agissait d’une demande de suspension de renvoi. Le demandeur est un citoyen de l’Égypte qui habite aux États-Unis depuis 1999. Le 18 mai 2001, il a traversé la frontière canadienne pour prendre un ami à l’aéroport de Dorval. À la frontière américaine, les deux hommes se sont déclarés citoyens américains. Cela a soulevé les soupçons et le demandeur a été accusé de tenter de faire entrer des gens illégalement aux États-Unis. Renvoyé à la frontière canadienne, le demandeur a été interrogé par un agent d’immigration, dont les notes mentionnent que le demandeur s’est informé au sujet de la possibilité de revendiquer le statut de réfugié mais a déclaré que sa vie n’était nullement en danger en Égypte, de sorte qu’il ne désirait pas revendiquer. Une mesure d’exclusion a été prononcée le 20 mai. Deux jours plus tard, le demandeur a complété l’avis de revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. La Section du statut de réfugié a jugé qu’en vertu de la mesure d’exclusion déjà prononcée, elle n’avait pas la compétence de traiter sa revendication. Il a présenté une demande de contrôle judiciaire relativement à cette décision et à la mesure d’exclusion. Le demandeur a été libéré le 27 mai et s’est rendu à Montréal, où il a rencontré une femme qu’il a épousée le 20 juillet 2001. Entre temps, il avait été avisé le 9 juillet qu’il devait quitter le Canada le 30 juillet. La demande de sursis a été déposée le matin du 30 juillet, et l’audition a eu lieu le jour même. La demande de sursis se basait sur le fait que le demandeur avait bel et bien fait une demande de statut de réfugié lors de son interrogatoire par l’agent d’immigration, ou avant que la mesure d’exclusion ne soit prononcée, et qu’en conséquence, la Section du statut était compétente pour décider de sa revendication. La partie défenderesse a soutenu que le demandeur manquait de crédibilité et qu’il était déraisonnable d’attendre à la dernière minute pour amorcer une demande de sursis.

Le demandeur a déclaré avoir quitté l’Égypte après deux années d’arrestations et de tortures par le service national de sécurité en raison de ses activités politiques pendant qu’il était étudiant. Mais il est retourné en Égypte pour y visiter son père qui avait subi une opération en avril 2000. À son arrivée au Caire, il a été remis au service national de sécurité, qui l’a interrogé et battu durant trois jours. Libéré, il est rentré chez ses parents, mais il craignait de sortir. Le 28 avril, il a tenté de quitter l’Égypte mais en a été empêché. Grâce à l’intervention de son père, il y a réussi deux jours plus tard. À son retour aux États-Unis, il est devenu propriétaire d’une maison et d’une voiture et était sur le point de se marier.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Nonobstant les retards dans les procédures, la Cour a choisi d’entendre la demande parce que sinon il serait renvoyé, sans qu’il y ait aucune appréciation de sa situation, en Égypte, où il craint d’être traité de manière inhumaine.

Les volets du test pour l’octroi d’un sursis sont les suivants : une question sérieuse à décider, un préjudice irréparable au demandeur si la demande n’est pas accordée et la balance des inconvénients doit favoriser le demandeur. La question sérieuse était de savoir si le demandeur avait revendiqué le statut de réfugié avant que la mesure d’exclusion soit prononcée à son égard. C’était une question de crédibilité.

En général, le juge qui entend une demande de sursis n’est pas en mesure, considérant l’état du dossier, de trancher les questions de crédibilité. Mais quand le juge accepte d’entendre une demande de sursis pour le motif qu’il n’y a eu aucune appréciation du risque de retour, et que le risque de retour se fonde uniquement sur les allégations du demandeur, le juge doit être satisfait qu’il y a de quoi s’inquiéter du sort du demandeur. Un juge peut trancher des questions de crédibilité, même dans le contexte d’une demande de sursis d’une mesure de renvoi, mais il doit demeurer prudent et maintenir une certaine réserve, car les opportunités pour une analyse soigneuse de la preuve sont souvent absentes. Quand la preuve présentée devant le juge suscite des questions sérieuses de crédibilité, il ne doit pas ignorer la possibilité de mauvaise foi pour le seul motif que d’autres seraient mieux placés pour apprécier la crédibilité. Le fardeau du demandeur comprend celui de déposer devant la Cour une preuve digne de foi.

La preuve soumise en l’espèce n’était pas digne de foi. Le fait que le demandeur ait séjourné aux États-Unis pour au-delà d’un an sans réclamer le statut de réfugié minait sa crédibilité. Le fait que le demandeur soit retourné volontiers en Égypte était incompatible avec une crainte de persécution. Le mariage du demandeur à une citoyenne canadienne, qu’il connaissait à peine depuis deux mois, 11 jours avant la date prévue pour son renvoi, provoquait en soi des questions, mais quand on y ajoute le fait qu’il se disait sur le point de se marier à une Américaine, on ne peut que se demander si ce mariage est de bonne foi. D’autres doutes ont été soulevés du fait que, pendant que le demandeur était censé craindre de sortir de chez ses parents en Égypte, il a obtenu un visa et la date de validité de son passeport a été prolongée. Vu que la question sérieuse à être décidée et le préjudice irréparable dépendaient tous les deux uniquement de la crédibilité du demandeur et vu le manque de crédibilité du demandeur, il n’a pas été satisfait aux éléments du test pour l’octroi d’un sursis.

JURISPRUDENCE

Nayci c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1741 (1re inst.) (QL); Palencik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1138 (1re inst.) (QL); Desorgues c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 157 (1re inst.) (QL); Shaikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 87 (1re inst.) (QL); Dovgan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 789 (1re inst.) (QL).

décisions mentionnées :

Vaccarino c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 518 (1re inst.) (QL); Carling c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 2086 (1re inst.) (QL).

DEMANDE de sursis de renvoi. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Jeannine Landry pour le demandeur.

Michel Pépin pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeannine Landry, Montréal, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Voici les motifs du jugement prononcés en français à l’audience par

[1]        Le juge Pelletier : À la conclusion de l’audition de cette demande, j’ai rejeté la demande de sursis pour des motifs que j’ai exprimés oralement. Ces motifs oraux sont repris dans ce texte et amplifiés par l’inclusion des faits et d’autres points qui auraient été l’objet de discussions au cours de l’audition, éléments qui n’auraient pas été résumés dans les motifs que j’ai rendus à l’audition.

[2]        M. Adel est un citoyen de l’Égypte qui habite aux États-Unis depuis 1999. Il est détenteur d’un permis de travail et d’un visa qui lui permettent de vivre et de travailler aux États-Unis. Il se dit employé à un salaire de 80 000 $US par année. Pour des raisons qui se comprennent difficilement, le 18 mai 2001, il traversa la frontière canadienne à destination de l’aéroport de Dorval où il rencontre un ami, Nasser Elbrolosy. Ce dernier n’a pas de visa américain. Le même jour, les deux se présentent à la frontière américaine et se déclarent citoyens américains. M. Adel présente son permis de conduire qu’il détient de l’État d’Illinois comme preuve de citoyenneté. Ceci n’a aucune autre conséquence que de soulever les soupçons du service d’immigration américain. Si les deux voyageurs furent surpris par cette réaction, ils étaient sûrement les seuls à l’être. Les deux se voient refuser le droit d’entrée aux États-Unis et, en plus, M. Adel est accusé de tenter de faire entrer des gens illégalement aux États-Unis, accusation à laquelle il doit répondre à Buffalo, le 31 juillet 2 001.

[3]        Renvoyé à la frontière canadienne, M. Adel est interrogé par l’agent d’immigration, Ann Joly. Au cours de cette discussion, le sujet de statut de réfugié est soulevé. Voici ce qu’en dit l’agent Joly :

M. Adel reconnaît les erreurs qu’il a commises. Il est aussi très collaborateur durant l’entrevue. Il tente de connaître les issues possibles afin de pouvoir demeurer en Amérique. Toutefois, il n’a ni famille ni ami au Canada. Ses liens avec le Canada sont à peu près nuls. En désespoir de cause, il pense revendiquer le statut de réfugié au Canada. Les conséquences possibles d’un tel geste lui furent exposées. De plus, il déclare que sa vie n’est nullement en danger en Égypte, si ce n’est sa carrière. Il ne désire donc pas revendiquer. Il envisage la possibilité de déposer une D.R.P. pour le Canada à son retour de l’Égypte, bien que son intention soit clairement de retourner aux États-Unis.

[4]        Pour sa part, M. Adel affirme qu’il a réclamé le statut de réfugié mais qu’on ne l’a pas pris au sérieux. Il souligne le passage cité précédemment et remarque qu’il n’y aurait aucune raison de parler du statut de réfugié s’il n’avait pas abordé le sujet.

[5]        De toute façon, à la conclusion de l’interrogatoire, l’agent Joly recommande à l’agent principal d’immigration qu’une mesure d’exclusion soit prononcée à l’endroit de M. Adel et qu’il soit mis sous garde.

[6]        Le 20 mai 2001, l’agent principal, Mélanie Laroche, fait sienne les recommandations de l’agent Joly et prononce une mesure d’exclusion ainsi qu’une ordonnance qu’il soit mis sous garde. Le 22 mai 2001, M. Adel complète l’Avis de revendication du statut de réfugié. La section du statut de réfugié détermine qu’en vertu de la mesure d’exclusion prononcée le 20 mai 2001, elle n’a pas la compétence de traiter sa revendication. Il dépose une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision le 9 juin 2001, ayant auparavant, soit le 1er juin 2001, déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la mesure d’exclusion prononcée à son égard.

[7]        M. Adel est libéré le 27 mai 2001 et se rend à Montréal. Là, il rencontre « une jeune femme merveilleuse », citoyenne canadienne, qui est pour lui « l’épouse idéale ». Elle le trouve de son goût aussi et ils se marient à Montréal le 20 juillet 2001. Entre temps, le 9 juillet 2001, le service d’investigations et de renvois du ministère de la Citoyenne té et de l’Immigration avise M. Adel qu’il doit quitter le Canada à destination de l’Égypte, le 30 juillet 2001. Son avocate ne réussit à déposer une demande de sursis de la mesure de renvoi que le matin du 30 juillet 2001 en raison des vacances et de certains autres retards dans la préparation des dossiers. L’audition eut lieu le jour même à 15 h 30. M. Adel était convoqué à l’aéroport de Dorval à 18 h 15 ce même jour.

[8]        Un élément central de la demande de sursis est le risque de traitement inhumain qui attend M. Adel advenant son retour en Égypte. Il raconte que lorsqu’étudiant en génie à l’université du Caire, il était un des fondateurs d’un mouvement étudiant portant le nom « The Engineering Political Group » qui contestait les élections pour un poste à la direction du syndicat des étudiants. Leur programme progressiste était mal vu des autorités et, suite à leur succès électoral, les fondateurs furent l’objet d’arrestations et de torture par le service national de sécurité. Ceci continue pendant deux ans au cours desquels M. Adel se fait arrêter et tabasser à plusieurs reprises, expériences qui le convainquent qu’il ferait mieux de quitter l’Égypte. Il obtient un passeport Égyptien et un visa de visiteur aux États-Unis. Au mois de juin 1999, il se rend en Amérique où il commence immédiatement à chercher un emploi. Ses qualifications supérieures lui valent un emploi et avec le parrainage de son employeur, il obtient un permis de travail qui lui est octroyé le 17 mars 2000.

[9]        Au mois d’avril 2000, son père se retrouve entre les mains des chirurgiens pour un problème de prostate. M. Adel juge qu’il doit visiter son père. Il se présente au consulat Égyptien à New York pour faire prolonger la date limite de validité de son passeport jusqu’au 30 avril 2000. M. Adel raconte qu’à son arrivée au Caire le 14 ou le 15 avril 2001, il se fait accueillir par les autorités civiles qui le remettent au service national de sécurité. Il est détenu pendant trois jours, au cours desquels il se fait interroger au sujet de ses anciens copains et de leur mouvement. On l’accuse de faire la collecte à l’étranger pour ce mouvement. Il se fait battre quand il déclare qu’il n’a pas continué ses liens avec ses anciens copains après son départ d’Égypte. Libéré, il rentre chez ses parents. Il dit qu’il craint de sortir. Le 28 avril 2001, il tente de quitter l’Égypte mais on l’arrête à l’aéroport et on lui défend de partir. Il retourne chez lui et grâce à l’intervention de son père, ancien militaire, il retourne aux États-Unis le 30 avril 2000.

[10]      À son retour aux États Unis, il devient employé à temps plein de l’« International Leadership University ». Il devient propriétaire d’une maison et d’une voiture. Il a une amie et se dit sur le point de se marier. La vie est belle jusqu’au moment où il se rend à Dorval pour rencontrer son ami Nasser.

[11]      La demande de sursis se base sur le fait que M. Adel a bel et bien fait une demande de statut de réfugié lors de son interrogation par l’agent Joly, demande qu’elle a ignorée. M. Adel conteste que l’agent à la frontière puisse limiter le champ de discussion du statut de réfugié en demandant à un revendicateur s’il risque la mort en retournant à son pays d’origine. Mais plus fondamentalement, il affirme sous serment qu’il a réclamé le statut de réfugié avant que la mesure d’exclusion à son égard soit prononcée et, qu’en conséquence, la section du statut est compétente pour décider de sa revendication. M. Adel dit craindre l’emprisonnement et la torture s’il doit retourner en Égypte. Il allègue qu’il sera reçu encore une fois par les éléments du Service de sécurité nationale et qu’il n’en sortira pas aussi facilement que la dernière fois.

[12]      La partie défenderesse n’a pas eu le temps de préparer ses propres affidavits mais elle se fie sur les notes des deux agents d’immigration qui sont reproduites dans le dossier de M. Adel. Elle souligne que les notes de l’agent Joly expriment clairement « Il ne désire donc pas revendiquer ». Elle dit en plus que M. Adel manque de crédibilité car il est retourné volontiers en Égypte au mois d’avril 2000. En plus, M. Adel a vécu aux États-Unis pendant deux ans sans y réclamer le statut de réfugié. Cela est incompatible avec une crainte de persécution authentique. Finalement, la partie demanderesse s’interroge à haute voix comment M. Adel qui se disait prêt à se marier aux États-Unis pourrait si subitement se marier au Canada surtout quand il fait l’objet d’une mesure d’exclusion.

[13]      La partie défenderesse argumente que la demande de M. Adel ne devrait pas être entendue considérant qu’il savait dès le 9 juillet 2001 qu’il devrait partir le 30 juillet 2001. Il est déraisonnable, aux yeux de la partie défenderesse, d’attendre à la dernière minute pour amorcer une demande de sursis quand il serait possible de déposer la demande dans un temps qui permettrait à la partie défenderesse de répondre d’une façon plus adéquate.

[14]      Le procureur de la partie défenderesse invite le tribunal à mettre en application la décision du juge Strayer dans l’arrêt Vaccarino c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 518 (1re inst.) (QL), qui fut repris par le juge Blanchard dans l’arrêt Carling c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 2086 (1re inst.) (QL). Ces deux arrêts laissent entrevoir la possibilité qu’un juge refuserait d’entendre une demande de sursis qui serait déposée à la dernière minute sans raison valable.

[15]      L’avocate de M. Adel dit qu’elle ne pouvait pas intenter ces procédures plus tôt car elle attendait toujours les notes des agents d’immigration avant de préparer son dossier pour la demande de sursis. De plus, les vacances d’été et le fait qu’elle pratique sa profession seule, faisaient en sorte qu’elle n’a pu se consacrer au dossier que la semaine précédent la date du renvoi.

[16]      Il arrive souvent que les avocats qui représentent les immigrants sont eux-mêmes consultés à la dernière minute par des clients qui vivent dans l’espoir que la date de renvoi n’arrive jamais. De plus, la Cour fédérale voit fréquemment des dossiers où il y a très peu de temps entre la convocation du demandeur et la date de renvoi. Tout ça pour dire que souvent le choix de la date d’audition de telles demandes est hors du contrôle des avocats des demandeurs. Mais il y a d’autres cas où les avocats savent à l’avance qu’ils auront à faire une demande de sursis. Dans ces cas, la Cour arrive très difficilement à comprendre pourquoi la demande de sursis est présentée le jour avant ou le jour même du renvoi.

[17]      Ceci ne rend justice ni à la partie défenderesse ni à la Cour qui doivent toutes les deux se conformer à l’échéancier du demandeur. Le défendeur se voit souvent dans l’impossibilité de déposer sa preuve devant la Cour. La Cour, pour sa part, doit décider de questions complexes à partir d’un dossier incomplet et sans bénéficier d’une période de réflection. Le demandeur réclame un sursis en faisant appel à l’équité; il doit accorder aux autres ce qu’il réclame pour lui-même. Et dans l’instance, l’équité exige que la demande soit présentée plus tôt. Il semble étonnant qu’on puisse avoir suffisamment de renseignements pour amorcer une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire mais être dans l’ignorance au sujet d’une demande de sursis.

[18]      Mais si la demande de M. Adel n’est pas entendue, le résultat sera qu’un demandeur qui dit craindre le traitement inhumain en Égypte, serait renvoyé sans qu’il y ait aucune appréciation de sa situation. Nonobstant les retards dans les procédures, la Cour a choisi de l’entendre.

[19]      Les trois volets du test pour l’octroi d’une ordonnance de sursis sont bien connus : une question sérieuse à décider, un préjudice irréparable au demandeur si la demande n’est pas accordée et la balance des inconvénients doit favoriser le demandeur. Dans l’instance, la question sérieuse, à savoir, « est-ce que le demandeur a revendiqué le statut de réfugié avant que la mesure d’exclusion soit prononcée à son égard », est une pure question de crédibilité. Le demandeur dit oui, les notes de l’agent disent non et il y a absence d’un affidavit de l’agent d’immigration. De même façon, l’existence d’un préjudice irréparable est au fond une question de crédibilité. L’avocate du demandeur prétend que ce n’est pas au juge saisi d’une demande de sursis d’aborder une appréciation de crédibilité. Cette tâche complexe dont les conséquences sont sévères est réservée à la section du statut de réfugié.

[20]      Le procureur du ministre argumente que le demandeur est sans crédibilité et déclare que la jurisprudence reconnaît le droit d’un juge qui tranche une demande de sursis d’examiner la question de crédibilité.

[21]      Quand une demande de surseoir à une mesure d’exclusion se présente à la dernière minute telle que dans l’instance, certaines réalités s’imposent. La première est que la Cour peut très bien refuser d’entendre la demande pour les motifs exposés dans l’arrêt Vaccarino et repris par le juge Blanchard dans Carling, supra. Mais, si la Cour est persuadée qu’elle doit entendre la cause, cela ne veut pas dire que tout se passe de façon habituelle. Le demandeur a toujours le fardeau de satisfaire la Cour qu’il a droit à l’ordonnance qu’il réclame. Dans l’instance, le fardeau est soulagé si le demandeur est crédible. En général, le juge qui entend une demande de sursis n’est pas en mesure, considérant l’état du dossier, de trancher les questions de crédibilité. Mais quand le juge accepte d’entendre une demande de sursis pour le motif qu’il n’y a eu aucune appréciation du risque de retour, et que le risque de retour se fonde uniquement sur les allégations du demandeur, le juge doit être satisfait qu’il y a de quoi s’inquiéter du sort du demandeur. Le fait qu’il y en a d’autres qui seraient peut être mieux placés pour apprécier la situation du demandeur ne veut pas dire que le juge saisi de la demande de sursis doit accepter, sans exercer ses facultés critiques, tout ce qui lui est dit.

[22]      Une recherche hâtive lors d’une pause au cours de l’audience de l’instance révèle cinq arrêts où le juge trancha une demande de sursis à partir d’une appréciation de crédibilité. Dans l’arrêt Nayci c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1741 (1re inst.) (QL), le demandeur se présente à la frontière canadienne en disant qu’il est visiteur mais finit par admettre au cours de son interrogatoire qu’il cherche à s’établir au Canada. Il déclare qu’il n’y a aucune raison pour laquelle il ne pourrait retourner en Turquie. Par la suite, dans un affidavit soumis à l’appui d’une demande de sursis, le même revendicateur, avec l’assistance d’un « consultant en immigration », déclare qu’il avait toujours l’intention de réclamer le statut de réfugié étant donné qu’il est membre d’une minorité persécutée. Le juge Muldoon rejeta la deuxième « histoire » ainsi que la demande de sursis.

[23]      Des invraisemblances dans un affidavit déposé à l’appui d’une demande de sursis ont créé dans l’esprit du juge Lutfy un doute suffisant pour qu’il rejette une demande de sursis dans l’arrêt Palencik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1138 (1re inst.) (QL). Le juge Pinard, dans l’affaire Desorgues c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 157 (1re inst.) (QL), conclut à une absence de preuve digne de foi à l’appui de la demande de sursis du demandeur, un ressortissant de l’Algérie. Dans l’arrêt Shaikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 87 (1re inst.) (QL), le juge Nadon se disait prêt à rejeter la demande de sursis en question quand il constata que le demandeur avait essayé d’induire la Cour en erreur en déposant un faux affidavit. Pour sa part, le juge Lemieux, dans l’affaire Dovgan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. 789 (1re inst.) (QL), rejeta une demande de sursis d’une mesure de renvoi en disant que le comportement du demandeur entacha suffisamment sa crédibilité qu’il ne trouvait aucune question sérieuse à décider dans la demande de sursis.

[24]      La conclusion qui découle de ces motifs est que la Cour est en mesure de trancher des questions de crédibilité, même dans le contexte d’une demande de sursis d’une mesure de renvoi. La Cour doit cependant demeurer prudente et maintenir une certaine réserve face aux questions de crédibilité dans ces demandes de sursis où les opportunités pour une analyse soigneuse de la preuve sont si souvent absent es. Mais quand la preuve devant la Cour suscite des questions sérieuses de crédibilité, la Cour ne doit pas ignorer la possibilité de mauvaise foi pour le seul motif que d’autres seraient peut être mieux placés pour apprécier la crédibilité. Le fardeau du demandeur comprend celui de déposer devant la Cour une preuve digne de foi.

[25]      Une analyse du dossier dans l’instance mène à la conclusion que la preuve soumise n’est pas digne de foi. Comme le souligne le procureur du défendeur, le fait que le demandeur ait séjourné aux États-Unis pour au-delà d’un an sans réclamer le statut de réfugié mine sa crédibilité. Le fait que le demandeur retourne volontiers en Égypte en avril 2000 est incompatible avec une crainte de persécution. Le mariage du demandeur à une citoyenne canadienne, qu’il connaît à peine depuis deux mois, 11 jours avant la date prévue pour son renvoi, provoque en soi des questions, mais quand on y ajoute le fait que, lors de son interrogatoire à la frontière, il se disait sur le point de se marier à une Américaine, on ne peut que se demander si ce mariage est de bonne foi.

[26]      L’examen des documents de voyage du demandeur soulève d’autres doutes. Dans son affidavit, le demandeur raconte qu’il f ut arrêté et maltraité pour trois jours au début de son séjour en Égypte au mois d’avril 2000 et qu’en conséquence, il se réfugia chez ses parents et craignait de quitter la maison. Mais dans le passeport du demandeur se trouve un visa émis par le Consulat américain au Caire le 23 avril 2000. Le demandeur aurait eu à se déplacer pour obtenir ce visa. En plus, le passeport du demandeur fait preuve que sa date limite de validité a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2000 par endossement au Caire le 19 avril 20 00. Le demandeur aurait à se présenter aux autorités pour obtenir un tel endossement. Ces autorités seraient mal disposées à lui accorder sa demande considérant l’intérêt que prenait le Service de sécurité à son égard. Le demandeur, présent à l’audience de sa cause, explique ceci en disant que tout s’est produit à cause de l’intervention de son père.

[27]      Dans l’ensemble des circonstances, cette explication n’est pas suffisante. Compte tenu de tous les faits, il me semble que le demandeur exprimait mieux sa situation quand il parlait à l’agent d’immigration de faire une demande de résidence permanente une fois de retour de l’Égypte que dans cette histoire qu’il dépose au soutien de sa demande de sursis.

[28]      Vu que la question sérieuse à être décidée et le préjudice irréparable dépendent tous les deux uniquement de la crédibilité du demandeur, et vu le manque de crédibilité du demandeur, les éléments du test pour l’octroi d’une ordonnance de sursis n’ont pas été satisfaits. La demande de sursis doit être rejetée.

[29]      Pour ces motifs, la demande de sursis est rejetée.

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