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A-330-12

2014 CAF 173

Catherine Leuthold (appelante)

c.

Société Radio-Canada et autre (intimée)

Répertorié : Leuthold c. Société Radio-Canada

Cour d’appel fédérale, juges Pelletier, de Montigny (d’office) et Mainville, J.C.A.—Montréal, 25 février; Ottawa, 27 juin 2014.

Droit d’auteur — Appel d’une décision de la Cour fédérale ayant accordé à l’appelante des dommages-intérêts et d’autres recours contre la Société Radio-Canada (la SRC) à la suite de la violation admise du droit d’auteur de l’appelante dans cinq images prises lors des attentats terroristes contre le World Trade Center à New York le 11 septembre 2001 L’appelante réclamait 22 millions de dollars en dommages-intérêts, mais elle s’est vu accorder 20 000 $US Les photos prises par l’appelante ont fait l’objet d’une licence pour des médias d’information La SRC voulait utiliser cinq des images de l’appelante en vue d’un documentaire; elle a demandé le consentement de l’appelante à cette fin L’appelante a donné son consentement écrit à la diffusion de ce documentaire, mais il était difficile de savoir si le consentement s’appliquait à la diffusion du documentaire sur Newsworld La SRC a demandé par la suite une seconde licence (la licence d’utilisation des photographies) pour diffuser des images, un an plus tard, dans le documentaire; l’appelante a conclu un deuxième accord de licence avec la SRC Au procès, la SRC a admis avoir violé les droits d’auteur de l’appelante plusieurs fois, mais a contesté les montants dus à celle-ci La Cour fédérale a conclu, entre autres, que les deux licences accordées comprenaient le droit de diffuser des images sur Newsworld; que les diffusions non autorisées aux dates pertinentes constituaient six actes de violation pour lesquels l’appelante avait droit à réparation; que la diffusion du documentaire contenant des images équivalait à un seul acte de violation Il s’agissait de savoir si Newsworld était visée par la licence d’utilisation des photographies; combien il y a eu d’actes de violation en l’espèce; quel était le montant des dommages-intérêts pour ces actes de violation; si une comptabilisation des profits des sociétés de câblodistribution tirés des radiodiffusions contrefaisantes devait être ordonnée — Newsworld est une entité distincte de la SRC — Le raisonnement de la Cour fédérale quant à la question de savoir si la licence d’utilisation des photographies visait Newsworld n’a pas été accepté dans la mesure où des conclusions ont été tirées en fonction de ce que l’appelante n’a pas réussi à exclure de la licence d’utilisation des photographies — La SRC n’a acquis que les droits circonscrits par l’expression précise en cause dans l’accord de licence d’utilisation des photographies — Quant à savoir si l’appelante a inclus Newsworld dans l’octroi des droits énoncés dans la licence d’utilisation des photographies, la Cour fédérale a examiné tous les éléments de preuve; il lui était raisonnablement loisible d’en arriver à la conclusion qu’elle a tirée au vu de cette preuve — L’erreur de la Cour fédérale concernant l’interprétation de la licence d’utilisation des photographies n’a pas eu pour effet de vicier sa conclusion; elle n’a pas commis une erreur manifeste et dominante qui aurait justifié une intervention — Par conséquent, la diffusion d’images sur Newsworld le 10 septembre 2002 ne constituait pas un acte de violation des droits d’auteur de l’appelante — Aucun droit n’a été acquis par suite du défaut de l’appelante d’exclure Newsworld de l’octroi de licence — Quant au nombre d’actes de violation, l’art. 2.4(1)c) de la Loi sur le droit d’auteur a été examiné — L’art. 2.4(1)c) correctement interprété a pour effet de faire de la transmission par réseau de matériel de programmation par câble au public par l’intermédiaire d’une entreprise de distribution de radiodiffusion une infraction unique des droits du titulaire du droit d’auteur si le réseau ne règle pas correctement les droits relativement à la transmission — En l’espèce, les six transmissions du documentaire contenant les images de l’appelante, en violation du droit d’auteur de celle-ci, constituaient six actes de violation selon la conclusion de la Cour fédérale — La Cour fédérale a également conclu que chacune des six diffusions du documentaire en cause était considérée comme une communication unique au public; par conséquent, il s’agissait d’un acte de violation unique — Comme les dommages-intérêts dépendaient du nombre de radiodiffusions contrefaisantes, les observations de la Cour reflétaient son point de vue que chaque retransmission n’était pas un acte de violation distinct — La Cour fédérale n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en arrivant à une telle conclusion — Comme la Cour fédérale a conclu à bon droit qu’il n’existait que six actes de violation, l’argument de l’appelante sur la mesure et le montant des dommages-intérêts ne pouvait être retenu; l’appel sur la comptabilisation des profits devait également être rejeté — Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale ayant accordé à l’appelante des dommages-intérêts et d’autres recours contre la Société Radio-Canada (la SRC) à la suite de la violation admise du droit d’auteur de l’appelante dans cinq images prises lors des attentats terroristes contre le World Trade Center à New York le 11 septembre 2001. L’appelante a interjeté appel parce que la Cour lui a accordé des dommages-intérêts de 20 000 $US alors qu’elle demandait 22 millions de dollars. La différence entre ces deux chiffres dépendait en grande partie du nombre de fois où le droit d’auteur de l’appelante dans les images avait été violé.

L’appelante, une photojournaliste professionnelle résidant à New York, a pris un certain nombre de photographies le 11 septembre 2001, lors des événements qui se sont déroulés ce jour-là. Elle a plus tard consenti à ce que ces photographies fassent l’objet d’une licence par les médias d’information et autres médias. Plus tard, la Société Radio-Canada (la SRC) a commandé un documentaire qui devait montrer le déroulement des attentats du 11 septembre du point de vue des journalistes et des photographes qui ont couvert l’événement tel qu’il se passait. La SRC voulait utiliser cinq des images de l’appelante et lui a demandé son consentement pour ce faire. L’appelante n’a donné son consentement écrit que le 19 mars 2002, tandis que le documentaire de la CBC a été diffusé le 17 mars. Il était également difficile de savoir si le consentement s’appliquait à la diffusion du documentaire le même jour sur Newsworld. Par la suite, la SRC a demandé à l’appelante de signer une renonciation relativement aux diffusions de mars 2002 et plus tard, en vue d’obtenir une licence pour diffuser une deuxième fois les images du documentaire en septembre 2002. L’appelante a donc conclu un deuxième accord de licence (la licence d’utilisation des photographies) en octobre de cette même année accordant à la SRC le droit de diffuser les images à la télévision canadienne dans le cadre d’une seule diffusion sur le réseau et les stations de télévision régionales de la SRC. Le documentaire a été diffusé sur le réseau de la SRC et sur Newsworld le 10 septembre et de nouveau sur Newsworld le 11 septembre 2002. Par la suite, la SRC a ordonné que les images de l’appelante soient retirées du documentaire étant donné qu’il était connu à cette époque que l’appelante n’était pas disposée à accorder à la SRC des droits illimités pour diffuser ses images. Les images n’ont été retirées que de certaines versions du documentaire, mais pas d’autres. Le documentaire a été rediffusé en 2003 et 2004 et toutes les diffusions sauf une étaient une version du documentaire qui contenait les images de l’appelante. Au procès, la SRC a admis qu’elle avait violé le droit d’auteur de l’appelante un certain nombre de fois, mais a contesté les sommes dues à celle-ci à la suite de ces diffusions contrefaisantes. L’appelante a fait valoir en particulier que la première licence accordée ne visait pas Newsworld et que les deux licences n’autorisaient qu’une seule diffusion en direct dans un seul fuseau horaire.

La Cour fédérale a conclu que les deux licences accordées comprenaient le droit de diffuser les images sur Newsworld; que l’expression « une seule diffusion sur le réseau et les stations régionales de télévision de la SRC » dans le deuxième accord de licence incluait le droit à une seule diffusion dans chaque fuseau horaire au motif qu’il s’agissait là d’une pratique de l’industrie, et que les diffusions non autorisées aux dates pertinentes constituaient six actes de violation pour lesquels l’appelante avait droit à réparation. La Cour fédérale a statué que la diffusion du documentaire contenant les images à chacune des dates pertinentes équivalait à un seul acte de violation, car il n’y avait eu qu’une seule communication du programme au public canadien. Elle a fixé le montant des dommages-intérêts à 19 200 $US pour les six diffusions contrefaisantes et a accordé un autre petit montant pour les profits.

Il s’agissait de savoir si Newsworld était visée par la licence d’utilisation des photographies; combien il y a eu d’actes de violation en l’espèce; quel était le montant des dommages-intérêts pour ces actes de violation et si une comptabilisation des profits des sociétés de câblodistribution tirés des radiodiffusions contrefaisantes devait être ordonnée.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Quant à savoir si Newsworld était visée par la licence d’utilisation des photographies, le sens de l’expression « dans le cadre d’une seule diffusion sur le réseau et les stations régionales de télévision de la SRC » devait être déterminé. Newsworld est une entité distincte de la SRC à des fins réglementaires et est une entreprise distincte. La Cour fédérale en est arrivée à sa conclusion en grande partie en se fondant sur la preuve relative aux pratiques de l’industrie. Dans la mesure où les conclusions ont été tirées en fonction de ce que l’appelante n’a pas réussi à exclure de la licence d’utilisation des photographies, le raisonnement de la Cour fédérale ne pouvait pas être accepté. Un titulaire de licence acquiert uniquement les droits que le concédant lui a accordés. La SRC n’a acquis que les droits circonscrits par l’expression précise en cause dans l’accord de licence d’utilisation des photographies. Aucun droit n’a été acquis par suite du défaut de l’appelante d’exclure Newsworld de l’octroi de licence. Il s’agissait de déterminer si l’appelante avait inclus Newsworld dans l’octroi des droits énoncés dans la licence d’utilisation des photographies. La Cour fédérale a examiné l’ensemble de la preuve et il lui était raisonnablement loisible d’en arriver à la conclusion qu’elle a tirée au vu de cette preuve. Son erreur concernant l’interprétation de la licence d’utilisation des photographies n’a pas eu pour effet de vicier sa conclusion. Il n’y avait aucune erreur manifeste et dominante justifiant une intervention. Par conséquent, la diffusion des images sur Newsworld le 10 septembre 2002 ne constituait pas un acte de violation du droit d’auteur de l’appelante.

Quant au nombre d’actes de violation, l’appelant a fait valoir l’alinéa 2.4(1)c) de la Loi sur le droit d’auteur à l’appui de sa prétention que chaque transmission à une entreprise de distribution de radiodiffusion (EDR) par la SRC constituait une violation du droit d’auteur. Toutefois, l’alinéa 2.4(1)c) dispose que la distribution d’un signal de réseau incorporant une œuvre protégée aux EDR et la communication ultérieure de cette œuvre aux abonnés constitue une communication unique à l’ensemble du réseau dans le cadre de laquelle chaque EDR participante est solidairement responsable avec le réseau. De cette façon, tous ceux qui bénéficient de la communication de l’œuvre partagent la responsabilité d’indemniser le titulaire des droits, sous réserve de tout accord qui peut avoir été mis en place entre eux. Cette lecture de l’alinéa 2.4(1)c) de la Loi tend vers la neutralité technologique en ce que le nombre d’actes de violation ne varie pas en fonction du nombre d’intermédiaires dans la chaîne de transmission. Il n’y a qu’un acte de violation et c’est de savoir si l’œuvre est communiquée au public par l’intermédiaire d’une seule EDR ou par des centaines d’entre elles. La mesure des dommages-intérêts peut dépendre du nombre de téléspectateurs de l’œuvre, qui a un lien rationnel avec l’indemnisation. L’alinéa 2.4(1)c) correctement interprété a pour effet de faire de la transmission par réseau de matériel de programmation par câble au public par l’intermédiaire d’EDR une infraction unique des droits du titulaire du droit d’auteur si le réseau ne règle pas correctement les droits relativement à la transmission. En l’espèce, les six transmissions du documentaire contenant les images de l’appelante, en violation du droit d’auteur de celle-ci, constituaient six actes de violation selon la conclusion de la Cour fédérale. La Cour fédérale en est également venue à la conclusion que chacune des six diffusions aux dates pertinentes était une communication unique au public du documentaire contenant les images de l’appelante et par conséquent, il s’agissait d’un acte de violation unique. Cette conclusion a été tirée au motif que les moyens techniques utilisés pour diffuser les copies contrefaisantes n’ont aucune pertinence pour le calcul des dommages-intérêts. Étant donné que les dommages-intérêts dépendaient du nombre de diffusions contrefaisantes, les observations de la Cour reflétaient son point de vue que chaque retransmission n’était pas un acte de violation distinct. Elle n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en arrivant à cette conclusion, qui aurait justifié une intervention.

L’appelante, tout en ne concédant pas que la Cour fédérale a eu raison en concluant qu’il n’y avait que six actes de violation, en est venue à la conclusion que le montant des dommages-intérêts découlant d’un acte de violation représentait 3 200 $US. Comme la Cour fédérale a conclu à bon droit qu’il n’existait que six actes de violation, l’argument de l’appelante sur la mesure et le montant des dommages-intérêts ne pouvait être retenu.

Le motif d’appel relatif à la restitution des profits a également été rejeté. En particulier, les EDR n’étaient pas parties au litige et la Cour d’appel fédérale n’a pas compétence pour rendre une ordonnance contre elles.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, art. 2(1) « radiodiffusion ».

Loi sur la vente d’objets, L.R.O. 1990, ch. S.1, art. 2.

Loi sur la vente internationale de marchandises, L.R.O. 1990, ch. I.10.

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 2.4(1)c), 31(2).

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, annexe de la Loi sur la Convention relative aux contrats de vente internationale de marchandises, L.C. 1991, ch. 13.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.

décision différenciée :

Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467.

décision examinée :

Société Radio-Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2014 CAF 84, [2015] 1 R.C.F. 509.

décisions citées :

Toronto (City of) v. Cacciatore, 2002 CanLII 44998, 161 O.A.C. 132; Zurich du Canada Cie d’assurance-vie c. Davies, [1981] 2 R.C.S. 670; Jesuit Fathers of Upper Canada c. Cie d’assurance Guardian du Canada, 2006 CSC 21, [2006] 1 R.C.S. 744; Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2010 CAF 183; Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34, [2012] 2 R.C.S. 231.

APPEL interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2012 CF 748,) ayant accordé à l’appelante des dommages-intérêts et d’autres recours contre la Société Radio-Canada à la suite de la violation admise du droit d’auteur de l’appelante dans cinq images prises lors des attentats terroristes contre le World Trade Center à New York le 11 septembre 2001. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Daniel O’Connor pour l’appelante.

Christian Leblanc pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Daniel O’Connor, Pointe-Claire, Québec, pour l’appelante.

Fasken Martineau DuMoulin, s.e.n.c.r.l., s.r.l., Montréal, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Pelletier, J.C.A. : Mme Leuthold interjette appel du jugement de la Cour fédérale, publié sous Leuthold c. Société Radio-Canada, 2012 CF 748, dans lequel elle s’est vu accorder des dommages-intérêts et d’autres mesures pour la violation avouée de son droit d’auteur, par la Société Radio-Canada, sur cinq images prises lors de l’attaque terroriste du 11 septembre 2001 au World Trade Center.

[2]        Mme Leuthold interjette appel parce que la Cour lui a accordé des dommages-intérêts de 20 000 $US alors que sa prétention s’élevait à 22 millions de dollars. L’écart entre ces deux montants est en grande partie attribuable au désaccord quant au nombre de fois que le droit d’auteur de Mme Leuthold sur les images a été violé, principale question en litige dans le présent appel.

[3]        Par les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel de Mme Leuthold.

I.          LES FAITS ET LA DÉCISION VISÉE PAR L’APPEL

[4]        Mme Leuthold, photojournaliste professionnelle, réside à New York et se trouvait dans cette ville le 11 septembre 2001. Tout au long de cette journée fatidique, Mme Leuthold a pris des photographies, qu’elle a par la suite offertes notamment à des médias d’information moyennant la négociation d’une licence. Dans les mois qui ont suivi la tragédie, la Société Radio-Canada (la SRC) a commandé un documentaire qui visait à présenter le déroulement des attentats du 11 septembre du point de vue des journalistes, des caméramans et des photographes qui couvraient les événements ce jour-là.

[5]        La SRC souhaitait utiliser cinq des images prises par Mme Leuthold (les images) et a pris contact avec elle pour obtenir sa permission. Comme les négociations ont pris un certain temps, le documentaire a été diffusé le 17 mars 2002, avant que Mme Leuthold ne communique son consentement écrit pour l’utilisation des images le 19 mars (la licence du 19 mars). Une question s’est alors posée : ce consentement s’appliquait-il aussi à la diffusion du documentaire le même jour sur Newsworld, la chaîne spécialisée d’information en programmation continue de la SRC?

[6]        À la suite de ces premières diffusions, la SRC a continué de négocier avec Mme Leuthold en vue, premièrement, de l’amener à signer une renonciation touchant les diffusions de mars 2002, et, deuxièmement, d’obtenir une licence pour la diffusion des images dans le documentaire une deuxième fois, en septembre 2002. Le 7 octobre 2002, Mme Leuthold a conclu un deuxième contrat de licence, appelé, dans la décision de la Cour fédérale, « Licence d’utilisation des photographies ». Par cette licence, elle accordait à la SRC [traduction] « le droit (mais non l’obligation) de présenter les [images] à la télévision canadienne dans le cadre d’une seule diffusion sur son réseau et ses stations régionales de télévision ».

[7]        Le documentaire a été présenté sur le réseau de la SRC et sur Newsworld le 10 septembre 2002, puis de nouveau sur Newsworld le 11 septembre 2002. Par la suite, un responsable de la SRC a ordonné que les images de Mme Leuthold soient retirées du documentaire, puisqu’on savait alors que Mme Leuthold n’était pas disposée à accorder à la SRC des droits illimités quant à la diffusion de ses images. Pour des raisons inconnues, les images ont été retirées seulement de certaines versions du documentaire, mais pas d’autres. Le documentaire a été rediffusé en 2003 et en 2004; le hasard a voulu que dans toutes ces rediffusions, à une exception près, on a utilisé une version du documentaire qui contenait les images de Mme Leuthold. Au procès, la SRC a concédé qu’elle avait violé le droit d’auteur de Mme Leuthold le 11 septembre 2002, le 7 septembre 2003, le 8 septembre 2003, le 11 septembre 2004 et à deux reprises le 12 septembre 2004 (collectivement, les dates pertinentes), mais elle a contesté les montants dus à Mme Leuthold en raison de ces radiodiffusions contrefaisantes.

[8]        La thèse avancée par Mme Leuthold au procès est que la licence du 19 mars ne couvrait pas Newsworld, de sorte que même si la diffusion des images par le réseau de la SRC entrait dans les prévisions de la licence, la diffusion par Newsworld ne l’était pas. Le juge de première instance a conclu que la licence du 19 mars incluait le droit de diffuser les images sur Newsworld. Cette conclusion n’est pas attaquée en appel.

[9]        Le juge de première instance a aussi conclu que la Licence d’utilisation des photographies visait la diffusion des images par Newsworld. En particulier, il a conclu [au paragraphe 89] que les mots « [traduction] “une seule diffusion sur [le] réseau et [les] stations régionales de télévision [de la SRC]” » incluaient Newsworld pour les raisons suivantes :

•           La SRC avait pour pratique d’inclure d’office Newsworld lorsqu’elle affranchissait des droits.

•           Sur le plan de la rationalité commerciale, il était insensé de conclure que la SRC aurait accepté des conditions qui iraient à l’encontre de sa pratique normale.

•           La règle portant que le doute s’interprète contre le stipulant (contra proferentem) ne jouait pas parce que toute ambiguïté pouvait être résolue en se référant aux pratiques de l’industrie.

[10]      Mme Leuthold a soutenu que les deux licences n’autorisaient qu’une seule et unique diffusion, dans un seul fuseau horaire, de sorte que la diffusion ultérieure du documentaire dans d’autres fuseaux horaires constituait une violation du droit d’auteur par la SRC. Ainsi, après la diffusion du documentaire dans la région de l’Atlantique, chaque diffusion subséquente dans le même créneau horaire dans chaque fuseau horaire, d’est en ouest au pays, constituait également une violation. Enfin, Mme Leuthold a soutenu que chaque retransmission de l’émission dans la chaîne allant du studio de la SRC jusqu’au consommateur constituait une violation, de sorte que chaque entreprise de distribution de radiodiffusion ou EDR (comme les entreprises de câblodistribution ou les systèmes de distribution par satellite) et chaque société affiliée locale était aussi un contrefacteur avec lequel la SRC était solidairement responsable.

[11]      Le juge de première instance a conclu que les mots [traduction] « une seule diffusion » utilisés dans la Licence d’utilisation des photographies incluaient le droit à une seule diffusion dans chaque fuseau horaire parce que c’était conforme aux pratiques de l’industrie; motifs, aux paragraphes 70 et 71. Ce point n’est pas attaqué directement dans le présent appel, mais la question se pose implicitement pour le calcul du nombre d’actes contrefaisants.

[12]      La SRC a admis qu’elle était solidairement responsable, avec les entreprises de câblodistribution, de la diffusion non autorisée des images aux dates pertinentes. Elle n’a toutefois pas concédé que chaque retransmission par chaque entreprise de câblodistribution constituait un acte de violation.

[13]      Après avoir conclu que Newsworld était visée par les deux licences, le juge de première instance a également conclu que les diffusions non autorisées aux dates pertinentes constituaient six actes de violation pour lesquels Mme Leuthold avait droit d’être indemnisée. Le juge a retenu la thèse de la SRC fondée sur la définition de « radiodiffusion » au paragraphe 2(1) de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11.

[14]      Le juge de première instance semble avoir considéré que les mots « autre moyen de télécommunication » englobaient les systèmes de câblodistribution, de sorte qu’une radiodiffusion était une transmission de la SRC destinée à être reçue par le public : motifs, aux paragraphes 98 à 100. Selon le juge, la diffusion du documentaire contenant les images à chacune des dates pertinentes équivalait à un seul acte de violation puisqu’il n’y avait à chacune des dates pertinentes qu’une seule transmission de l’émission au public canadien.

[15]      Le juge de première instance s’est ensuite penché sur la question des dommages-intérêts. Il a conclu que les moyens techniques par lesquels le documentaire était communiqué au public ne devaient pas constituer un facteur dont il fallait tenir compte pour le calcul des dommages-intérêts. Après avoir examiné le droit en matière de dommages-intérêts, le juge a conclu que le point de départ de ce calcul était la somme qu’on aurait pu demander pour des licences de radiodiffusion si on les avait demandées avant les radiodiffusions contrefaisantes. Il a examiné les éléments de preuve relatifs aux montants payés antérieurement pour les images de Mme Leuthold, et a fait observer que cette dernière avait tenu, dans le cadre de chaque licence qu’elle avait négociée, à limiter le nombre d’utilisations qui pouvaient être faites de ses images. La Cour a fixé le montant des dommages-intérêts de chaque violation à 3 200 $US pour chacune des six diffusions non autorisées, estimant que Mme Leuthold aurait pu négocier un montant plus élevé que 2 500 $US, montant qu’elle a accepté dans la Licence d’utilisation des photographies, si elle avait su qu’on utiliserait ses images à plusieurs reprises. Ce montant s’élevait à 19 200 $US pour les six radiodiffusions contrefaisantes.

[16]      En ce qui a trait à la question de la restitution des profits, le juge de première instance a refusé d’ordonner une telle restitution et a calculé le montant dû à Mme Leuthold à ce titre en divisant le revenu brut de Newsworld par la proportion de la totalité du temps de diffusion consacrée à l’affichage des images. Ce calcul donnait des profits de 66 $ pour les diffusions de 2003 et de 102,73 $ pour les diffusions de 2004.

[17]      Mme Leuthold a retiré sa demande de dommages-intérêts punitifs contre la SRC et un de ses employés, mais elle a maintenu sa demande de dommages-intérêts exemplaires parce que la SRC avait manifesté une indifférence totale à l’égard de ses droits. Le juge de première instance a rejeté la demande de dommages-intérêts exemplaires, ayant conclu que les radiodiffusions contrefaisantes résultaient d’une erreur de bonne foi, et non d’une décision délibérée de violer le droit d’auteur de Mme Leuthold.

[18]      Le juge de première instance a aussi rejeté la demande d’injonction de Mme Leuthold au motif qu’il était peu probable que la SRC rediffuserait les copies du documentaire contenant les images de Mme Leuthold.

[19]      Enfin, le juge a demandé qu’on lui présente des observations supplémentaires sur la question des dépens. Son adjudication des dépens fait l’objet d’un appel distinct.

II.         LES QUESTIONS EN LITIGE

[20]      Mme Leuthold fait état des questions suivantes dans le présent appel :

•           Newsworld était-elle visée par la Licence d’utilisation des photographies?

•           Combien d’actes de violation ont été commis?

•           Comment apprécier les dommages-intérêts eu égard aux actes de violation?

•           La Cour doit-elle ordonner la restitution des profits réalisés par les entreprises de câblodistribution par suite des radiodiffusions contrefaisantes?

[21]      À ces questions, j’ajouterais celle de la norme de contrôle, mais il est possible de la trancher sommairement. En l’espèce, il s’agit de la décision rendue par un juge de première instance à la suite d’un procès. Selon l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit est celle de l’erreur manifeste et dominante, alors que la norme de contrôle applicable aux questions de droit (notamment aux questions de droit isolables qu’il est possible de dégager d’une conclusion mixte de fait et de droit) est celle de la décision correcte.

III.        NEWSWORLD ÉTAIT-ELLE VISÉE PAR LA LICENCE D’UTILISATION DES PHOTOGRAPHIES?

[22]      Les mots clés de la Licence d’utilisation des photographies sont :

[traduction] Catherine J. Leuthold […] concède par la présente à la SRC le droit limité et non exclusif d’incorporer les photographies dans la production. La SRC a le droit (mais non l’obligation) de présenter les photographies à la télévision canadienne dans le cadre d’une seule diffusion sur son réseau et ses stations régionales de télévision.

[23]      La question qui se pose est de savoir ce que signifient les mots « dans le cadre d’une seule diffusion sur son réseau et ses stations régionales de télévision ». Pour y répondre, le juge de première instance a recherché s’il y avait eu une seule communication au public. Pour sa part, Mme Leuthold estime qu’il faut rechercher si Newsworld fait partie « [du] réseau et [des] stations régionales » de la SRC.

[24]      Mme Leuthold a témoigné qu’elle n’avait aucune idée de ce que représentait Newsworld. Elle ne l’a compris que plus tard, soit après avoir concédé la licence : motifs, au paragraphe 52. Elle ne pouvait donc pas avoir eu l’intention d’accorder des droits à Newsworld puisqu’elle ignorait son existence. Pour sa part, la SRC a témoigné qu’elle incluait d’office Newsworld lorsqu’elle affranchissait des droits pour diffusion.

[25]      Selon la preuve, Newsworld est une entité distincte de la SRC aux fins de la réglementation. Elle détient sa propre licence du CRTC à titre d’entreprise de programmation spécialisée. Aux yeux des organismes de réglementation, il s’agit d’une entreprise distincte. Par ailleurs, le fait que Mme Leuthold sollicite des dommages-intérêts contre la SRC pour les diffusions non autorisées d’images par Newsworld indique qu’elle ne considère pas Newsworld comme étant une entité juridique distincte. Si c’était le cas, elle poursuivrait Newsworld pour ses diffusions non autorisées des images.

[26]      La conclusion qu’a tirée le juge de première instance repose largement sur les éléments de preuve documentaires relatifs aux pratiques de l’industrie. Mme Leuthold a cherché à réfuter ces éléments de preuve en invoquant la Loi sur la vente internationale de marchandises [L.R.O. 1990, ch. I.10] de l’Ontario et, par extension, la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises [annexe de la Loi sur la Convention relative aux contrats de vente internationale de marchandises, L.C. 1991, ch. 13]. Cette loi ne lui est d’aucune utilité puisqu’elle a trait à la vente de marchandises. En revanche, voici la définition que donne l’article 2 de la Loi sur la vente d’objets, L.R.O. 1990, ch. S.1 du contrat de vente d’objets :

2. (1) Un contrat de vente d’objets est un contrat par lequel le vendeur transfère ou promet de transférer la propriété des objets à l’acheteur moyennant une contrepartie pécuniaire appelée le prix. Il peut y avoir un contrat de vente entre copropriétaires.

Contrat de vente

[27]      Le contrat de licence n’est pas une vente d’objets; aucun droit de propriété n’est cédé à la suite d’un contrat de licence. Il ne cède rien d’autre que le droit d’utiliser de manières prédéfinies la propriété visée par le droit d’auteur du concédant. De plus, un bien incorporel comme un droit sur un droit d’auteur n’est pas un objet : voir Toronto (City of) v. Cacciatore, 2002 CanLII 44998, 161 O.A.C. 132, au paragraphe 14.

[28]      Mme Leuthold soutient aussi que le juge de première instance a commis une erreur en n’appliquant pas la règle d’interprétation portant que le doute doit s’interpréter contre le stipulant à la Licence d’utilisation des photographies. Cette règle joue en matière de contrats d’adhésion comme les contrats d’assurance (voir Zurich du Canada Cie d’assurances-vie c. Davies, [1981] 2 R.C.S. 670, à la page 674) et en cas d’inégalité du rapport de force entre les parties (voir Jesuit Fathers of Upper Canada c. Cie d’assurances Guardian du Canada, 2006 CSC 21, [2006] 1 R.C.S. 744, au paragraphe 28). Ni l’une ni l’autre de ces conditions n’est remplie en l’espèce. Même s’il est vrai que la SRC dispose de plus de ressources que Mme Leuthold, c’est cette dernière qui détient le pouvoir de négociation. Étant la « vendeuse », elle a le pouvoir de dicter ses conditions, ce qu’elle a manifestement fait au regard de l’emploi des mots [traduction] « une seule diffusion ». Le fait que la Licence d’utilisation des photographies a été rédigée par la SRC n’est pas une raison pour invoquer la règle portant que le doute doit s’interpréter contre le stipulant, car la clause contentieuse a été négociée par les parties, par opposition à certaines des autres clauses qui semblent être d’évidence des clauses types de la SRC.

[29]      Mme Leuthold soutient aussi que la diffusion sur Newsworld n’entrait pas dans les prévisions de la Licence d’utilisation des photographies parce qu’elle contrevenait à la licence d’exploitation de Newsworld, qui interdit la diffusion simultanée d’émissions sur le réseau « régulier » de la SRC et Newsworld. Cet argument ne me convainc guère, puisque les pratiques réglementaires ne permettent pas de trancher les litiges en matière de droit d’auteur.

[30]      Je ne puis néanmoins retenir le raisonnement du juge de première instance dans la mesure où ses conclusions sont fondées sur ce que Mme Leuthold a omis d’exclure de la Licence d’utilisation des photographies. Le licencié n’acquiert que les droits que le concédant lui concède. La SRC n’a acquis que les droits qui sont visés par les mots [traduction] « présenter les photographies à la télévision canadienne dans le cadre d’une seule diffusion sur son réseau et ses stations régionales de télévision ». Aucun droit n’est acquis du fait que Mme Leuthold a omis d’exclure Newsworld de cet octroi de licence. La question est de savoir si Mme Leuthold a inclus Newsworld dans les droits cédés par la Licence d’utilisation des photographies.

[31]      Il s’agit d’une question mélangée de fait et de droit, susceptible d’examen selon la norme de l’erreur manifeste et dominante. Il y a erreur manifeste et dominante lorsque l’on constate une absence totale d’éléments de preuve allant dans le sens d’une conclusion de fait ou l’existence d’une conclusion de fait qui ne pouvait logiquement ou rationnellement être tirée des éléments de preuve versés aux débats: voir Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2010 CAF 183, au paragraphe 33. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. Le juge de première instance a examiné l’ensemble des éléments de preuve dont il disposait et, se fondant sur eux, a tiré une conclusion raisonnable. Son erreur quant à l’interprétation de la Licence d’utilisation des photographies ne porte pas un coup fatal à cette conclusion. Il n’y a donc pas d’erreur manifeste et dominante justifiant l’intervention de la Cour.

[32]      La diffusion des images sur la chaîne Newsworld le 10 septembre 2002 ne constituait par conséquent pas une violation du droit d’auteur de Mme Leuthold.

IV.       COMBIEN D’ACTES DE VIOLATION ONT ÉTÉ COMMIS?

[33]      Cette question est au cœur de la demande de Mme Leuthold. Son calcul des dommages-intérêts est entièrement fonction du nombre important d’actes distincts de violation qu’elle a constatés dans chaque diffusion du documentaire.

[34]      L’approche de Mme Leuthold à l’égard de cette question n’est pas sans fondement.

[35]      À l’occasion de l’affaire Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467, qui portait sur les droits de reproduction, la Cour suprême du Canada a jugé que chaque reproduction d’une œuvre protégée donne droit à des redevances (ou à des dommages-intérêts), même si la reproduction n’était qu’accessoire à une autre activité telle que la radiodiffusion. Notre Cour a suivi la jurisprudence Bishop c. Stevens en matière de changements technologiques à l’occasion de l’affaire Société Radio-Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2014 CAF 84, [2014] 1 R.C.F. 509. Dans cette affaire, nous avons jugé que les reproductions faites lors de l’utilisation d’un logiciel de gestion de contenu numérique dans le cadre de la diffusion étaient assujetties aux droits du titulaire du droit d’auteur. Il s’ensuivait que les redevances payables au titulaire des droits de reproduction augmentaient sensiblement.

[36]      En l’espèce, Mme Leuthold n’invoque pas cette jurisprudence, mais plutôt l’alinéa 2.4(1)c) de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 (la Loi) à l’appui de sa thèse suivant laquelle chaque transmission à une EDR par la SRC constitue une violation du droit d’auteur. L’alinéa 2.4(1)c) dispose :

2.4 (1) Les règles qui suivent s’appliquent dans les cas de communication au public par télécommunication :

[…]

c) toute transmission par une personne par télécommunication, communiquée au public par une autre — sauf le retransmetteur d’un signal, au sens du paragraphe 31(1) — constitue une communication unique au public, ces personnes étant en l’occurrence solidaires, dès lors qu’elle s’effectue par suite de l’exploitation même d’un réseau au sens de la Loi sur la radiodiffusion ou d’une entreprise de programmation.

Communication au public par télécommuni-cation

[37]      Selon Mme Leuthold, cette interprétation découle du raisonnement suivant (mémoire des faits et du droit de l’appelante, page 15, paragraphe 47) :

[traduction] À titre d’exemple, cet article signifie que si Newsworld effectue deux de ces transmissions à deux EDR, il y aurait deux violations contrevenant à l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur parce que la deuxième entité qui a transmis l’œuvre au public (la deuxième EDR) est une entité différente de la première, même si ces transmissions ont eu lieu simultanément.

[38]      Il me semble qu’il est plus exact de dire qu’aux termes de l’alinéa 2.4(1)c), la distribution à une EDR d’un signal réseau incorporant une œuvre protégée et la transmission subséquente de cette œuvre aux abonnés ne constituent qu’une seule violation à l’échelle du réseau, à l’égard de laquelle chaque EDR est solidairement responsable avec le réseau. Ainsi, toutes les entités qui ont bénéficié de la communication de l’œuvre partagent la responsabilité de dédommager le titulaire des droits, sous réserve de tout arrangement que ces entités ont pu conclure entre elles.

[39]      Cette interprétation de l’alinéa 2.4(1)c) de la Loi va dans le sens de la neutralité technologique qui veut que le nombre d’actes de violation ne varie pas en fonction du nombre d’intermédiaires dans la chaîne de transmission. Elle est donc conforme à l’objectif de la neutralité technologique consacré par la Cour suprême par l’arrêt Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34, [2012] 2 R.C.S. 231, aux paragraphes 5 à 10.

[40]      Il y a un seul acte de violation, que l’œuvre soit communiquée au public par l’entremise d’une EDR ou par l’entremise de centaines d’entre elles. Le montant des dommages-intérêts peut dépendre du nombre de téléspectateurs qui visionnent l’œuvre, ce qui a un lien rationnel avec l’indemnisation, contrairement au nombre d’intermédiaires, qui n’en a aucun.

[41]      Vu l’alinéa 2.4(1)c), on peut opérer une distinction entre les faits de la présente espèce et ceux de l’affaire Bishop c. Stevens où, comme nous l’avons vu, il fut conclu que chaque reproduction non autorisée constituait une violation du droit d’auteur. Certes, cela aurait pu être le cas pour les communications par télécommunication non autorisées au public avant l’adoption de l’alinéa 2.4(1)c) et de sa disposition correspondante, le paragraphe 31(2) de la Loi, mais tel n’est plus le cas à l’heure actuelle.

[42]      Je suis d’avis que l’alinéa 2.4(1)c), si on l’interprète correctement, a pour effet de faire de la transmission réseau d’un contenu de programmation de câblodistribution destiné au public par l’entremise d’une EDR une seule violation du droit d’auteur si le réseau n’a pas dûment affranchi les droits à l’égard de cette transmission. En l’espèce, les six transmissions du documentaire contenant les images de Mme Leuthold, en violation de son droit d’auteur, constituaient six actes de violation, comme l’a conclu le juge de première instance.

[43]      Le juge de première instance a aussi conclu que chacune des six diffusions aux dates pertinentes constituait une seule communication au public du documentaire contenant les images de Mme Leuthold, et donc un seul acte de violation. Il est arrivé à cette conclusion parce que les moyens techniques utilisés pour relayer les copies contrefaisantes n’étaient pas pertinents aux fins du calcul de l’indemnisation : motifs, au paragraphe 128. Étant donné que le calcul dépend du nombre de radiodiffusions contrefaisantes, le juge a conclu que chaque retransmission ne constituait pas un acte de violation distinct, si l’on se fie à ses observations. En tirant cette conclusion, il n’a pas commis une erreur manifeste et dominante qui justifierait notre intervention.

V.        COMMENT APPRÉCIER LES DOMMAGES-INTÉRÊTS EU ÉGARD AUX ACTES DE VIOLATION?

[44]      Dans son mémoire des faits et du droit, Mme Leuthold refuse de reconnaître que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en concluant à l’existence de six actes de violation seulement, mais elle retient sa conclusion suivant laquelle le montant des dommages-intérêts découlant d’un acte de violation est de 3 200 $US. Dans ces circonstances, la thèse de Mme Leuthold sur le montant des dommages-intérêts repose sur le bien-fondé du calcul qu’elle fait du nombre d’actes de violation. Puisque j’ai conclu que le juge de première instance a correctement constaté l’existence de seulement six actes de violation, la thèse de Mme Leuthold sur l’évaluation et le montant des dommages doit être rejetée.

VI.       LA COUR DOIT-ELLE ORDONNER LA RESTITUTION DES PROFITS RÉALISÉS PAR LES ENTREPRISES DE CÂBLODISTRIBUTION PAR SUITE DES RADIODIFFUSIONS CONTREFAISANTES?

[45]      La SRC fait observer dans son mémoire des faits et du droit que Mme Leuthold n’a pas soulevé dans sa déclaration la question de la restitution des profits des EDR. Elle a seulement demandé une telle restitution à la SRC. Comme cette dernière le fait remarquer, les EDR ne sont pas parties à la présente action contentieuse et la Cour n’a pas compétence pour rendre une ordonnance contre elles. De plus, je retiens la thèse de SRC portant qu’il n’est pas loisible à Mme Leuthold de solliciter en appel une mesure qu’elle n’a pas demandée devant la Cour fédérale. Ce motif d’appel doit également être rejeté.

[46]      Je rejetterais par conséquent l’appel avec dépens.

            Le juge de Montigny, J.C.A. (d'office) : Je suis d’accord.

            Le juge Mainville, J.C.A. : Je suis d’accord.

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