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[2002] 2 C.F. 219

A-786-00

2001 CAF 317

Radil Bros. Fishing Co. Ltd. (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le directeur général régional du ministère des Pêches et des Océans, Région du Pacifique, et British Columbia Packers Limited et Titan Fishing Ltd. (intimées)

Répertorié : Radil Bros. Fishing Co. c. Canada (Ministère des Pêches et des Océans, Région du Pacifique) (C.A.)

Cour d’appel, juges Desjardins, Décary et Sexton, J.C.A. Vancouver, 25 septembre; Ottawa, 19 octobre 2001.

Compétence de la Cour fédérale — Section de première instance — Échange de permis de pêche à l’égard de bateaux de pêche — Conséquences négatives sur les prises antérieures de l’un des bateaux en ce qui concerne les calculs du contingent individuel, malgré que le MPO soutienne le contraire — La cause d’action n’est pas l’illégalité de la décision du ministre, mais l’omission par le ministre de satisfaire à son obligation de diligence envers le propriétaire du bateau de pêche — Les lois fédérales sur les pêcheries ne peuvent pas être considérées comme des lois relatives à la navigation et à la marine marchande aux fins de l’art. 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale — Les juges de droit civil hésitent à inclure dans le droit maritime fédéral des matières qui ne sont pas traditionnellement rattachées au contexte du commerce et de la navigation parce que cela se ferait aux dépens de la compétence provinciale en matière de propriété et droits civils dans la province — La compétence de la Cour fédérale en matière maritime ne doit pas être élargie de manière à comprendre essentiellement des matières non maritimes sous prétexte d’un « contexte moderne du commerce et des expéditions par eau » — Il n’y a aucun précédent autorisant la proposition selon laquelle un permis de pêche pourrait faire partie des « nécessités » fournies à un navire.

Pêches — Échange de permis de pêche à l’égard de bateaux de pêche — Conséquences négatives sur les prises antérieures de l’un des bateaux en ce qui concerne les calculs du contingent individuel, malgré que le MPO soutienne le contraire — La cause d’action n’est pas l’illégalité de la décision du ministre, mais l’omission par le ministre de satisfaire à son obligation de diligence envers le propriétaire du bateau de pêche — La compétence de la Cour fédérale en matière maritime ne doit pas être élargie de manière à comprendre essentiellement des matières non maritimes sous prétexte d’un « contexte moderne du commerce et des expéditions par eau » — Il n’y a aucun précédent autorisant la proposition selon laquelle un permis de pêche pourrait faire partie des « nécessités » fournies à un navire.

La société B.C. Packers offrait des services administratifs et financiers et des services de gestion aux parties qui pêchaient pour elle et se joignaient à sa flotte de pêche, notamment Radil Bros. (Radil). En 1993, Radil, la propriétaire du bateau de pêche Seacrest utilisé pour la pêche au chalut du poisson de fond (pour laquelle Radil détenait un permis de catégorie « T »—un permis T8) a conclu une entente dans laquelle B.C. Packers s’engageait à transférer un permis de catégorie «A » (pour la pêche du saumon) au Seacrest, moyennant le versement par Radil d’une somme de 250 000 $. À l’époque, B.C. Packers possédait ou détenait un permis de catégorie « T » (un permis T92), qui avait été délivré et placé sur le bateau de pêche Pacific Eagle. À l’époque du transfert du permis « A » de B.C. Packers à Radil, B.C. Packers et le ministère des Pêches et des Océans auraient, sans la connaissance ou le consentement de Radil, échangé le permis T8 délivré à Radil à l’égard du Seacrest pour le permis T92 délivré à l’égard du Pacific Eagle. Avant l’échange des permis T8 et T92, et à l’insu de Radil à l’époque, le Ministère indiqua à B.C. Packers que l’échange serait sans effet sur les prises antérieures du Seacrest aux fins du calcul du contingent individuel du Seacrest et que les prises antérieures du Seacrest resteraient avec le Seacrest malgré l’échange du permis. Mais pour établir le contingent individuel du Seacrest pour l’année 1997, le Ministère s’est servi des prises antérieures du Pacific Eagle et non de celles du Seacrest. Le Seacrest recevait donc un contingent individuel nettement inférieur à celui qu’il aurait eu compte tenu de ses propres prises antérieures.

En février 1998, Radil a déposé une procédure en contrôle judiciaire contestant le transfert. Une requête en radiation de la demande a été rejetée, mais le juge des requêtes a ordonné que la demande soit instruite comme s’il s’agissait d’une action. Pour se conformer à l’ordonnance, Radil a déposé une déclaration dans laquelle elle sollicitait un jugement déclaratoire selon lequel le transfert était invalide et des dommages-intérêts contre la Couronne et contre B.C. Packers et Titan Fishing Ltd., qui avaient acheté toutes deux le Pacific Eagle ainsi que le permis T8 en 1995. En mars 1999, Radil a déposé une déclaration dans laquelle elle sollicitait des jugements déclaratoires et des dommages-intérêts contre la Couronne et B.C. Packers et un jugement déclaratoire contre Titan. Radil a également déposé une action identique devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. En juin 1999, la requête de la Couronne en vue de l’annulation, de la radiation ou du rejet de la déclaration a été rejetée, mais il a été ordonné à la demanderesse d’ajouter à l’acte de procédure les moyens susceptibles de fonder une contestation de la décision discrétionnaire du ministre, moyens qui pourront englober la prévarication. En novembre 2000, une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale a radié la déclaration.

Voici quelles étaient les questions en litiges : y a-t-il une cause d’action valable contre la Couronne; la Cour fédérale du Canada a-t-elle compétence pour statuer sur le recours déposé contre B.C. Packers; s’il est répondu par l’affirmative aux deux questions ou à l’une d’elles, une suspension devrait-elle être ordonnée?

Arrêt : l’appel doit être accueilli en partie. S’agissant du jugement déclaratoire demandé dans la déclaration, l’appel doit être accueilli et la déclaration doit être radiée. S’agissant de la demande de dommages-intérêts contre la Couronne, l’appel doit être rejeté et la déclaration doit être radiée. S’agissant de la demande déposée contre B.C. Packers, l’appel doit être accueilli et la déclaration doit être annulée pour incompétence de la Cour fédérale. S’agissant de la demande déposée contre Titan, l’appel doit être accueilli et la déclaration doit être annulée.

Le protonotaire et le juge des requêtes semblent tous deux ne pas avoir très bien compris la véritable nature de la cause d’action alléguée par Radil dans sa demande de dommages-intérêts contre la Couronne. Le protonotaire semble avoir exprimé l’avis que la cause d’action était « la manière dont il (le ministre) a calculé le contingent individuel ». Le juge des requêtes semble avoir fondé sa décision sur l’idée que la cause d’action était l’illégalité de la décision du ministre, plutôt que l’obligation de diligence du ministre ou de ses représentants envers Radil, quelle que soit la légalité de la décision.

Il est prématuré à ce stade initial de l’instance de conclure que Radil n’a aucun moyen, avec les modifications adéquates, de prouver que la présumée déclaration inexacte entachée de négligence s’inscrivait dans une décision opérationnelle et non une décision de principe, qu’il y avait prima facie une obligation de diligence et que la portée de l’obligation ne devait pas, eu égard aux circonstances, être rejetée ou restreinte.

Le protonotaire a commis une erreur lorsqu’il a autorisé ensuite les modifications fondées sur des moyens pouvant englober la prévarication ou sur des moyens semblables à ceux qui intéressent les procédures de contrôle judiciaire.

Pour ce qui est de la demande de dommages-intérêts contre la Couronne, l’appel devrait être accueilli et la déclaration originale ainsi que la déclaration modifiée devraient être radiées, mais avec autorisation de déposer une déclaration de nouveau modifiée, en conformité avec les présents motifs.

Pour que la Cour fédérale soit compétente, il doit y avoir attribution législative de compétence par le Parlement, il doit exister un ensemble de règles juridiques fédérales qui permettent de disposer de l’affaire et qui confirment l’attribution législative de compétence, et la loi sur laquelle l’affaire est fondée doit être « une loi du Canada » selon l’expression employée dans l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Le paragraphe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale attribue une compétence à la Section de première instance à l’égard de toute réparation demandée en vertu du droit maritime canadien ou d’une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande (paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867), et non pas, comme en l’espèce, en vertu de lois relatives aux pêches.

La matière en litige ne relève pas du « droit maritime canadien ». Ce dont il s’agit ici, c’est d’une action délictuelle introduite par le propriétaire d’un bateau de pêche contre son mandataire qui n’aurait pas veillé à ce que le ministère des Pêches et des Océans procède à un transfert valide des permis de pêche. Dans la mesure où tout accroissement de la notion de « droit maritime canadien » se fait généralement aux dépens de la compétence provinciale en matière de « propriété et droits civils dans la province », il est facile de comprendre l’hésitation des juges de droit civil à inclure dans le droit maritime fédéral des matières qui ne sont pas traditionnellement rattachées au contexte du commerce et de la navigation. C’est une chose d’adapter, comme nous y invite la Cour suprême, la compétence de la Cour fédérale en matière maritime au « contexte moderne du commerce et des expéditions par eau », c’en est une autre de l’élargir, sous prétexte de la moderniser, aux revendications dont le fondement ou la source était, et est encore, essentiellement une matière non maritime.

Il n’y a aucun précédent qui soit allé jusqu’à étendre la notion de « droit maritime canadien » à des matières découlant au départ de l’engagement d’acheter un permis de pêche à un particulier, ou à des matières découlant de la rupture d’un contrat de mandat conclu dans le dessein d’acheter un permis de pêche à un particulier. Il n’y a non plus aucun précédent qui ait englobé dans le « droit maritime canadien » des matières se rapportant à la délivrance de permis de pêche ou à l’attribution de contingents de pêche indépendamment d’une cause d’action déjà entièrement liée aux matières maritimes. Ici, le seul facteur qui pourrait être rattaché au droit maritime est le fait que le permis à l’égard duquel a été conclu le contrat de mandat se trouve à avoir été délivré pour une activité devant se dérouler en mer.

Il n’y avait aucun précédent autorisant la proposition selon laquelle un permis de pêche pourrait faire partie des « nécessités » fournies à un navire. Les permis de pêche ne sont pas délivrés sur le crédit d’un navire, et le ministre ne peut pas être comparé à un demandeur de nécessités ou à un créancier. La demande de dommages-intérêts de Radil pour rupture d’un contrat de mandat ne relève pas de la compétence de la Cour fédérale du Canada en matière maritime et la déclaration doit être radiée en ce qui concerne B.C. Packers.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Federal Court Act, R.S.C., 1985, c. F-7, ss. 2(1) « Canadian maritime law » (as am. by S.C. 1990, c. 8, s. 1), 18 (as am., idem, s. 4), 18.4(2) (as enacted idem, s. 5), 22(1), (2)(m), 23.

Federal Court Rules, 1998, SOR/98-106, r. 221(1)(a).

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi sur le Canada de 1982, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(10), (12),(18), 101.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) « droit maritime canadien » (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18 (mod., idem, art. 4), 18.4(2) (édicté, idem, art. 5), 22(1),(2)m), 23.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 221(1)a).

Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; (1990), 74 D.L.R. (4th) 321; [1990] 6 W.W.R. 385; 49 B.C.L.R. (2d) 273; 4 C.C.L.T. (2d) 1; 43 C.P.C. (2d) 105; 117 N.R. 321; Sweet c. Canada (1999), 249 N.R. 17 (C.A.F.); ITO — International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Monk Corp. c. Island Fertilizers Ltd., [1991] 1 R.C.S. 779; (1991), 80 D.L.R. (4th) 58; 123 N.R. 1; Bornstein Seafoods Canada Ltd. c. Hutcheon (1997), 140 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.); Inter Atlantic Canada Ltd. c. Rio Cuyaguateje (Le), 2001 FCT 306; [2001] A.C.F. no 549 (1re inst.) (QL); Amirault c. Prince Nova (Le) (1998), 147 F.T.R. 133 (C.F. 1re inst.); Transports Insurance Co. Inc. c. Le navire « Ondine » et al. (1982), 138 D.L.R. (3d) 745; 44 N.R. 630 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1982] 2 R.C.S. xi; Joys c. M.R.N., [1996] 1 C.F. 149 (1995), 128 D.L.R. (4th) 385; 189 N.R. 175 (C.A.); Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054; (1976), 9 N.R. 471; Quebec and Ontario Transportation Co. Ltd. c. Le Incan St. Laurent, [1979] 2 C.F. 834 (1979), 104 D.L.R. (3d) 139; 29 N.R. 39 (C.A.); conf. par [1980] 2 R.C.S. 242; (1980), 121 D.L.R. (3d) 510; 33 N.R. 528.

distinction faite d’avec :

Thompson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 41 Admin. L.R. (2d) 10; 118 F.T.R. 269; 37 Imm. L.R. (2d) 9 (C.F. 1re inst.); Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (1997), 147 D.L.R. (4th) 93; 212 N.R. 63 (C.A.); Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1995] 2 C.F. 467 (1995), 123 D.L.R. (4th) 180; 29 Admin. L.R. (2d) 264; 24 C.C.L.T. (2d) 1; 179 N.R. 241 (C.A.); Pakistan National Shipping Corp. c. Canada, [1997] 3 C.F. 601 (1997), 212 N.R. 304 (C.A.); Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273; (1990), 77 D.L.R. (4th) 25; [1991] 2 W.W.R. 195; 52 B.C.L.R. (2d) 187; 120 N.R. 109; H. Smith Packing Corp. c. Gainvir Transport Ltd. (1989), 61 D.L.R. (4th) 489; 99 N.R. 54 (C.A.F.); Kuhr c. Le Friedrich Busse, [1982] 2 C.F. 709 (1982), 134 D.L.R. (3d) 261 (1re inst.).

Décision citée :

Queen c. Cognos Inc., [1993] 1 R.C.S. 87; (1993), 99 D.L.R. (4th) 626; 45 C.C.E.L. 153; 14 C.C.L.T. (2d) 113; 93 CLLC 14,019; 147 N.R. 169; 60 O.A.C. 1.

DOCTRINE

Meeson, Nigel. Admiralty Jurisdiction and Practice, 2nd ed. London : LLP Professional Publications, 2000.

Tetley, William. Maritime Liens and Claims, 2nd ed. Montréal : International Shipping Publications, Blais, 1998.

APPEL d’une ordonnance de la Section de première instance (Radil Bros. Fishing Co. c. Canada (Ministère des Pêches et des Océans, Région du Pacifique) (2000), 29 Admin. L.R. (3d) 159) autorisant un appel à l’encontre d’une ordonnance du protonotaire (Radil Bros. Fishing Co. c. Canada (Ministère des Pêches et des Océans, Région du Pacifique) (1999), 175 F.T.R. 182) et radiant en entier la déclaration du dossier T-382-99. Appel accueilli en partie.

ONT COMPARU :

J. Raymond Pollard pour l’appelante.

Paul F. Partridge pour l’intimée Sa Majesté la Reine.

Murray B. Blok pour l’intimée British Columbia Packers Limited.

David R. Brown pour l’intimée Titan Fishing Ltd.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER  :

Richard Buell Sutton, Vancouver, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée Sa Majesté la Reine.

Fasken Martineau Dumoulin, Vancouver, pour l’intimée British Columbia Packers Limited.

Stikeman Elliott, Vancouver, pour l’intimée Titan Fishing Ltd.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Décary, J.C.A. : Il s’agit d’un appel à l’encontre d’une ordonnance du juge McKeown (2000), 29 Admin. L.R. (3d) 159 (C.F. 1re inst.) qui avait fait droit à un appel à l’encontre d’une ordonnance du protonotaire Hargrave (publiée à (1999), 175 F.T.R. 182 (C.F. 1re inst.)) et avait radié dans son intégralité la déclaration portant le numéro du greffe T-382-99.

[2]        L’appel illustre encore une fois la confusion qui peut résulter d’une incompréhension du système de procédures parallèles que la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] impose aux plaideurs lorsqu’ils veulent d’une part contester la légalité de la décision d’un office fédéral par demande de contrôle judiciaire et d’autre part obtenir réparation de la Couronne par action délictuelle.

[3]        L’appel soulève aussi une question intéressante sur l’étendue de la compétence de la Cour fédérale dans les matières maritimes.

[4]        Pour bien comprendre les motifs qui suivent, il est essentiel d’examiner attentivement les faits tels qu’ils apparaissent dans la déclaration, ainsi que les procédures qui sont reliées aux questions soulevées dans l’appel.

Les faits tels qu’ils apparaissent dans la déclaration

[5]        L’action découle d’opérations en matière de permis de pêche qui mettent en cause l’appelante (Radil), le directeur général régional du ministère des Pêches et des Océans pour la Région du Pacifique (le ministre), British Columbia Packers Limited (B.C. Packers) et Titan Fishing Ltd. (Titan).

[6]        Radil était en 1993 la propriétaire du bateau de pêche Seacrest, un bateau de 86 pi utilisé pour pêcher le poisson de fond dans la zone de pêche au chalut du poisson de fond du Pacifique. Depuis 1976, il fallait un permis de pêche pour participer à la pêche au chalut du poisson de fond.

[7]        Un permis de pêche est un document par lequel le ministre des Pêches et des Océans (le ministre) accorde à une personne, une entreprise ou un bateau l’autorisation de se livrer à la récolte de certaines espèces de poisson, sous réserve des conditions inscrites dans le permis. Un permis est délivré pour une année. Un permis de catégorie « T » était nécessaire pour la pêche au chalut du poisson de fond. À partir de 1986, et jusqu’en 1992, un permis de catégorie « T » accompagné d’une plaquette de validation 0008 (le permis T8) a été délivré à Radil pour le Seacrest.

[8]        À toutes les époques pertinentes, la société B.C. Packers s’est présentée comme une entreprise offrant des services administratifs et financiers et des services de gestion aux parties qui pêchaient pour elle et se joignaient à sa flotte de pêche, notamment Radil. B.C. Packers offrait les services suivants : elle demandait les permis de pêche au nom des membres de sa flotte de pêche et elle informait les membres en question des modifications apportées aux règlements de pêche et à la gestion des pêches.

[9]        Le 13 janvier 1993, B.C. Packers présentait au Ministère des Pêches et des Océans (le Ministère) une demande de délivrance d’un nouveau permis T8 à Radil pour le Seacrest pour l’année 1993. Le permis a été délivré le 22 janvier 1993.

[10]      Le 7 juin 1993, Radil et B.C. Packers concluaient une entente dans laquelle B.C. Packers s’engageait à transférer un permis de catégorie « A » (pour la pêche du saumon) au Seacrest , moyennant le versement par Radil d’une somme de 250 000 $.

[11]      À l’époque, B.C. Packers possédait ou détenait un permis T92, qui avait été délivré et placé sur le bateau de pêche Pacific Eagle, un bateau qui appartenait alors à la société Polar Star Enterprises Ltd., avec laquelle B. C. Packers avait conclu un arrangement pour le placement du permis T92.

[12]      À l’époque du transfert du permis « A » de B.C. Packers à Radil, B.C. Packers et le Ministère auraient, sans la connaissance ou le consentement de Radil, échangé le permis T8 délivré à Radil à l’égard du Seacrest pour le permis T92 appartenant à B.C. Packers et délivré à l’égard du Pacific Eagle.

[13]      Radil a payé à B.C. Packers la somme convenue pour le permis « A » et fut informée par B.C. Packers le 3 août 1993 que le permis « A » avait été transféré et délivré par le Ministère à l’égard du Seacrest.

[14]      Avant l’échange des permis T8 et T92, et à l’insu de Radil à l’époque, le Ministère indiqua à B.C. Packers que l’échange serait sans effet sur les prises antérieures du Seacrest aux fins du calcul du contingent individuel du Seacrest et que les prises antérieures du Seacrest resteraient avec le Seacrest malgré l’échange du permis.

[15]      Le 25 mai 1995, le Pacific Eagle était vendu à Titan avec le permis T8.

[16]      Le 18 mars 1997, on annonça qu’un nouveau plan de gestion de la pêche au chalut du poisson de fond, un plan qui instituait des contingents individuels de bateau dans cette pêche, avait été approuvé par le ministre. L’information utilisée pour établir le contingent du Seacrest fut postée ce même jour à Radil.

[17]      À la lecture de la lettre du 18 mars 1997, Radil apprit que le permis « T » indiqué comme permis détenu par Radil pour le Seacrest était un permis T92 plutôt qu’un permis T8 et que le contingent individuel du Seacrest était calculé d’après les prises antérieures du Pacific Eagle et non d’après celles du Seacrest. Le Seacrest recevait donc un contingent nettement inférieur à celui qu’il aurait eu compte tenu de ses propres prises antérieures.

Les procédures

[18]      Le 4 février 1998, Radil déposait devant la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada (no du greffe T-192-98) un avis de requête introductive d’instance en vertu de l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] de la Loi sur la Cour fédérale. Elle demandait les mesures correctives suivantes (D.A., aux pages 113 et 114) :

a)    une ordonnance de mandamus ou de la nature d’un mandamus obligeant l’intimé, le directeur général du ministère des Pêches et des Océans, Région du Pacifique, à prendre une décision quant à la délivrance du permis «T » 0008 au demandeur pour la pêche de 1998-1999,

b)    une déclaration selon laquelle le présumé transfert du permis « T » 0008 en date du 3 août 1993 était non autorisé, illégal, invalide ou inopérant de quelque autre manière, et que la demanderesse est le véritable titulaire du permis,

c)    une déclaration selon laquelle la demanderesse a droit au permis « T » 0008 délivré pour la pêche de 1998-1999 et a droit au contingent individuel de bateau accordé pour le permis « T » 0008 en 1997.

[19]      En février 1998, Titan présentait une requête pour que soit rendue une ordonnance radiant la demande de Radil, qualifiée d’abus de procédure, ou, subsidiairement, pour que la demande de Radil soit instruite comme s’il s’agissait d’une action, conformément au paragraphe 18.4(2) [édicté, idem, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale. Le juge Campbell a rejeté la requête en radiation mais ordonné que la demande de Radil soit instruite comme s’il s’agissait d’une action.

[20]      Le 24 mars 1998, pour se conformer à l’ordonnance du juge Campbell, Radil déposait une déclaration, no du greffe T-192-98, dans laquelle la mesure corrective demandée était rédigée ainsi (D.A., aux pages 123 et 124) :

[traduction]

PAR CONSÉQUENT LA DEMANDERESSE SOLLICITE, CONTRE LA DÉFENDERESSE, SA MAJESTÉ LA REINE, représentée par le DIRECTEUR GÉNÉRAL DU MINISTÈRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, RÉGION DU PACIFIQUE :

a)    une déclaration selon laquelle le présumé transfert du permis ‘T’ 0008 en date du 3 août 1993 était non autorisé, illégal, invalide ou inopérant de quelque autre manière, et que la demanderesse est le véritable titulaire du permis,

b)    une déclaration selon laquelle la demanderesse a droit au permis ‘T’0008 ainsi délivré et a droit aux contingents individuels de bateau accordés pour le permis ‘T’ 0008,

c)    des dommages-intérêts pour la perte de revenu que la demanderesse a subie et subira suite au remplacement du permis ‘T’ 0008 par le permis ‘T’ 0092,

d)    des dommages-intérêts généraux correspondant à l’écart de valeur entre le permis ‘T’ 0008 et le permis ‘T’ 0092.

[…]

PAR CONSÉQUENT LA DEMANDERESSE SOLLICITE CONTRE LA DÉFENDERESSE, BRITISH COLUMBIA PACKERS LIMITED :

a)    des dommages-intérêts pour la perte de revenu que la demanderesse a subie et subira suite au remplacement du permis ‘T’ 0008 par le permis ‘T’ 0092,

b)    des dommages-intérêts généraux correspondant à l’écart de valeur entre le permis ‘T’ 0008 et le permis ‘T’ 0092.

[…]

PAR CONSÉQUENT LA DEMANDERESSE SOLLICITE CONTRE LA DÉFENDERESSE, TITAN FISHING LTD. :

a)    une déclaration selon laquelle la demanderesse a droit au permis ‘T’ 0008 ainsi délivré et a droit aux contingents individuels de bateau accordés pour le permis ‘T’ 0008,

[21]      Le 28 septembre 1998, Titan présentait une requête en jugement sommaire pour que soit rejeté le recours déposé contre la Couronne et contre Titan. Le 30 novembre 1998, le juge Rouleau rejetait la requête en jugement sommaire, mais décidait que Radil ne pouvait insérer dans la déclaration une demande de dommages-intérêts car le fait de convertir en action une demande de contrôle judiciaire n’autorisait pas une partie à exercer un recours autre que celui exercé à l’origine. Le 15 décembre 1998, Radil déposait une déclaration modifiée, no du greffe T-192-98, dans laquelle elle ne sollicitait que les deux formes de réparation suivantes (D.A., à la page 144) :

a)    une déclaration selon laquelle le présumé transfert du permis ‘T’ 0008 en date du 3 août 1993 était non autorisé, illégal, invalide et inopérant de quelque autre manière, et que la demanderesse est le titulaire véritable du permis,

b)    une déclaration selon laquelle la demanderesse a droit au permis ‘T’ 0008 ainsi délivré et a droit aux contingents individuels de bateau accordés pour le permis ‘T’ 0008,

[22]      Le 5 mars 1999, Radil déposait une déclaration devant la Section de première instance (no du greffe T-382-99) dans laquelle elle sollicitait les réparations suivantes (D.A., aux pages 91 et 9 2) :

LA DEMANDERESSE SOLLICITE CONTRE LA DÉFENDERESSE, SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par le DIRECTEUR GÉNÉRAL RÉGIONAL DU MINISTÈRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS pour la RÉGION DU PACIFIQUE :

a)    une déclaration selon laquelle le présumé transfert du permis ‘T’ 0008 en 1993 était non autorisé, illégal, invalide ou inopérant de quelque autre manière, et que la demanderesse est le titulaire véritable du permis,

b)    une déclaration selon laquelle la demanderesse a droit au permis ‘T’ 0008 ainsi délivré et a droit au contingent individuel de bateau accordé pour le permis ‘T’ 0008,

c)    subsidiairement, une déclaration selon laquelle la demanderesse a droit au contingent individuel de bateau établi d’après les prises antérieures du « SEACREST »,

d)    des dommages-intérêts pour la perte de revenu que la demanderesse a subie et subira suite au remplacement du permis ‘T’ 0008 par le permis ‘T’ 0092,

e)    des dommages-intérêts généraux correspondant à l’écart de valeur entre le permis ‘T’ 0008 et le permis ‘T’ 0092.

[…]

LA DEMANDERESSE SOLLICITE CONTRE LA DÉFENDERESSE, BRITISH COLUMBIA PACKERS LIMITED :

a)    des dommages-intérêts pour la perte de revenu que la demanderesse a subie et subira suite au remplacement du permis ‘T’ 0008 par le permis ‘T’ 0092,

b)    des dommages-intérêts généraux correspondant à l’écart de valeur entre le permis ‘T’ 0008 et le permis ‘T’ 0092.

[…]

LA DEMANDERESSE SOLLICITE CONTRE LA DÉFENDERESSE, TITAN FISHING LTD. :

a)    une déclaration selon laquelle la demanderesse a droit au permis ‘T’ 0008 ainsi délivré et a droit au contingent individuel de bateau accordé pour le permis ‘T’ 0008,

[23]      Le 17 mars 1999, Radil déposait une action identique devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique (no du greffe C-99-1428).

[24]      Le 8 juin 1999, Sa Majesté la Reine déposait une requête pour que soit rendue une ordonnance annulant, radiant ou rejetant sommairement la déclaration dans la cause T-382-99 ou, subsidiairement, suspendant l’instance puisque Radil avait déposé un recours identique pour la même cause d’action devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

[25]      Le 16 juin 1999, le protonotaire Hargrave rendait l’ordonnance suivante (D.A., aux pages 58 et 59) :

[traduction]

1.    La partie qui veut faire radier une déclaration doit s’acquitter d’une lourde tâche. De plus, une instance ne devrait pas être radiée si une modification a des chances, fussent-elles minimes, d’aboutir. La requête est rejetée et l’action ne sera pas radiée, à condition que la demanderesse modifie la déclaration dans un délai de 14 jours, pour ajouter à l’acte de procédure, dans sa forme actuelle, les moyens susceptibles de fonder une contestation de la décision discrétionnaire du ministre, moyens qui pourront englober la prévarication, ou qui pourront s’apparenter à ceux énoncés dans la décision Thompson c. MCI (1997), 37 Imm.L.R. (2d) 9, pages 15-16 (1re inst.) ou dans l’arrêt Williams c. Canada (1997), 212 N.R. 63, page 71 (C.A.F.);

2.    La requête en suspension est rejetée;

Il a communiqué ses motifs le 12 juillet 1999 [(1999), 175 F.T.R. 182, supra, paragraphe 1].

[26]      Également le 16 juin 1999, le protonotaire Hargrave ordonnait que les actions, nos du greffe T-192-98 et T-382-99, [traduction] « soient instruites simultanément, ou l’une immédiatement après l’autre, selon que le juge du procès en décidera » (D.A., à la page 60).

[27]      Le 25 juin 1999, Radil, se conformant à l’ordonnance du protonotaire, déposait une déclaration modifiée, dont j’ignorerai le contenu aux fins du présent appel puisque, le même jour, la Couronne faisait appel de l’ordonnance du protonotaire, et c’est de cet appel dont la Cour est aujourd’hui saisie.

[28]      Le 17 novembre 2000, le juge McKeown accueillait l’appel et radiait la déclaration dans le dossier T-382-99. Le présent appel concerne l’ordonnance du juge McKeown.

[29]      M. McEwen, dont la première comparution en l’espèce a eu lieu dans l’appel dont nous sommes saisis, a plaidé pour l’appelante Radil. Il ne conteste pas la partie de l’ordonnance du juge McKeown qui a pour effet de radier la totalité de la demande de jugement déclaratoire apparaissant dans la déclaration. L’appel doit donc être rejeté, à tout le moins pour cet aspect.

[30]      Les points qu’il faut encore décider dans le présent appel sont les suivants : 1) Y a-t-il une cause d’action valable contre la Couronne? 2) La Cour fédérale du Canada a-t-elle compétence pour statuer sur le recours déposé contre B.C. Packers? 3) S’il est répondu à la question 1) ou 2) par l’affirmative, une suspension devrait-elle être ordonnée?

L’appel formé contre Titan

[31]      Radil ayant abandonné à l’audition de l’appel toute demande de jugement déclaratoire, plus aucun recours n’est maintenant déposé contre Titan. L’appel concernant Titan devrait donc être rejeté, avec dépens.

Une cause d’action valable contre la Couronne

[32]      Les requêtes en radiation de déclarations selon l’alinéa 221(1)a ) des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] pour le motif qu’elles ne révèlent aucune cause d’action valable ne peuvent être accordées que s’il est manifeste et évident, dans la mesure où les faits énoncés dans la déclaration peuvent être prouvés, que le demandeu r ne peut avoir gain de cause (voir l’arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959). Il s’agit là d’un mur difficile à franchir.

[33]      De plus, dans les cas où, comme celui-ci, un recours doit être déposé dans une instance parallèle à cause des exigences inusitées de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour sera parfois plus encline qu’elle ne le serait autrement à permettre à une partie de modifier plus largement une déclaration (voir l’arrêt Sweet c. Canada (1999), 249 N.R. 17 (C.A.F.)).

[34]      Le protonotaire et le juge des requêtes semblent tous deux ne pas avoir très bien compris la véritable nature de la cause d’action alléguée par Radil dans sa demande de dommages-intérêts contre la Couronne.

[35]      Le protonotaire semble avoir exprimé l’avis que la cause d’action était « de la façon dont il [le ministre] a calculé le QIP » (au paragraphe 35 de ses motifs), ce qui l’a conduit dans son ordonnance à autoriser des modifications par ajout de [traduction] « moyens qui pourront englober la prévarication, ou qui pourront s’apparenter à ceux énoncés dans la décision Thompson c. MCI (1997), 37 Imm.L.R. (2d) 9, pages 15-16 (1re inst.) ou dans l’arrêt Williams c. Canada (1997), 212 N.R. 63, page 71 (C.A.F.) » (voir le paragraphe 25 des présents motifs). C’était là manifestement faire fausse route. Dans ces deux précédents, il s’agissait de demandes de contrôle judiciaire, non d’actions délictuelles, et la prévarication n’était pas une cause d’action invoquée par Radil.

[36]      Le juge des requêtes semble quant à lui avoir fondé sa décision sur l’idée que la cause d’action était l’illégalité de la décision du ministre, plutôt que l’obligation de diligence du ministre ou de ses représentants envers Radil, quelle que soit la légalité de la décision. S’appuyant sur l’arrêt de la Cour fédérale dans l’affaire Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1995] 2 C.F. 467 pour conclure que la possibilité donnée à Radil de demander le contrôle judiciaire de la décision du ministre annulait l’obligation de diligence, le juge des requêtes est allé au-delà des propos du juge Stone, à la page 488 :

[…] la disponibilité de recours adéquats en droit administratif par voie de contrôle judiciaire doit être prise en considération à la lumière du second volet du critère énoncé dans Anns [(Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.)] lorsqu’il s’agit de décider si la portée d’une obligation de diligence prima facie devrait être rejetée dans les circonstances de l’espèce. [Non souligné dans l’original.]

[37]      Il est prématuré à ce stade initial de l’instance de conclure que Radil n’a aucun moyen, avec les modifications adéquates, de prouver que la présumée déclaration inexacte entachée de négligence s’inscrivait dans une décision opérationnelle et non une décision de principe, qu’il y avait prima facie une obligation de diligence et que la portée de l’obligation ne devait pas, eu égard aux circonstances, être rejetée ou restreinte. La tâche qui attend Radil est ardue, mais l’on ne saurait dire à ce stade qu’elle est impossible à accomplir.

[38]      Le protonotaire n’a commis aucune erreur sujette à révision lorsqu’il a permis que l’action subsiste avec les modifications nécessaires. Il a commis cependant une erreur lorsqu’il a autorisé ensuite les modifications fondées sur des moyens pouvant englober la prévarication ou sur des moyens semblables à ceux qui intéressent les procédures de contrôle judiciaire. Au lieu de cela, il aurait dû inviter Radil à faire des modifications propres à alléguer, d’une manière plus explicite, la fausse déclaration négligente d’un préposé de la Couronne, et propres à ouvrir la porte à des conclusions au regard des cinq conditions générales énumérées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Queen c. Cognos Inc. , [1993] 1 R.C.S. 87, à la page 110 savoir :

Les éléments requis, pour qu’il soit fait droit à une demande fondée sur l’arrêt Hedley Byrne, ont été énoncés dans de nombreux arrêts, parfois sous diverses formes. Les arrêts précités de notre Cour donnent à penser qu’il existe cinq conditions générales : (1) il doit y avoir une obligation de diligence fondée sur un « lien spécial » entre l’auteur et le destinataire de la déclaration; (2) la déclaration en question doit être fausse, inexacte ou trompeuse; (3) l’auteur doit avoir agi d’une manière négligente; (4) le destinataire doit s’être fié d’une manière raisonnable à la déclaration inexacte faite par négligence, et (5) le fait que le destinataire s’est fié à la déclaration doit lui être préjudiciable en ce sens qu’il doit avoir subi un préjudice. En l’espèce, le juge de première instance a conclu que tous les éléments étaient présents et a fait droit à la demande de l’appelant.

[39]      J’accueillerais l’appel pour ce qui est de la demande de dommages-intérêts contre la Couronne, et j’ordonnerais que la déclaration déposée dans le dossier T-382-99, le 5 mars 1999, ainsi que la déclaration modifiée déposée le 25 juin 1999, soient radiées, mais avec autorisation de déposer une déclaration de nouveau modifiée, en conformité avec les présents mo tifs, et dans un délai de 14 jours après la date du jugement rendu dans cet appel.

La demande de dommages-intérêts contre B.C. Packers : La Cour fédérale est-elle compétente?

[40]      Dans sa requête en radiation de la déclaration, la Couronne invoquait le moyen suivant (D.A., à la page 33) :

[traduction]

f) l’acte de procédure ne révèle pas une cause d’action valable et constitue par ailleurs un abus de la procédure de la cour car il déborde la compétence de la cour selon la Loi sur la Cour fédérale, dans la mesure où la demande allègue la négligence, la fraude, la rupture du lien fiduciaire ou autrement, en vue de faire condamner la défenderesse, British Columbia Packers Limited, à verser une réparation, avec intérêts et dépens :

[41]      Ni le protonotaire ni le juge des requêtes n’ont examiné cet aspect.

[42]      L’avocat de la Couronne affirme que la Cour fédérale n’a pas compétence pour statuer sur des demandes de droit privé fondées sur la fraude, la négligence et l’obligation fiduciaire à l’encontre de B.C. Packers. Essentiellement, selon cet argument, la demande de Radil contre B.C. Packers ne peut être considérée comme une demande fondée sur le droit maritime canadien.

[43]      Il est bien établi en droit que, pour que la Cour fédérale soit compétente, 1) il doit y avoir attribution législative de compétence par le Parlement, 2) il doit exister un ensemble de règles juridiques fédérales qui permettent de disposer de l’affaire et qui confirment l’attribution législative de compétence, et 3) la loi sur laquelle l’affaire est fondée doit être « une loi du Canada » selon l’expression employée dans l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] (voir ITO International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, à la page 766, le juge McIntyre).

[44]      Le paragraphe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale est ainsi rédigé :

22. (1) La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les casopposant notamment des administrésoù une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d’une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, sauf attribution expresse contraire de cette compétence.

[45]      L’expression « droit maritime canadien » est définie quant à elle comme il suit au paragraphe 2(1) :

2. (1) […]

« droit maritime canadien » Droitcompte tenu des modifications y apportées par la présente loi ou par toute autre loi fédéraledont l’application relevait de la Cour de l’Échiquier du Canada, en sa qualité de juridiction de l’Amirauté, aux termes de la Loi sur l’Amirauté, chapitre A-1 des Statuts revisés du Canada de 1970, ou de toute autre loi, ou qui en aurait relevé si ce tribunal avait eu, en cette qualité, compétence illimitée en matière maritime et d’amirauté.

[46]      Pour que le paragraphe 22(1) soit applicable, le recours doit être exercé soit en vertu du droit maritime canadien, soit en vertu d’une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande. J’examinerai d’abord ce dernier aspect.

[47]      La catégorie « navigation ou marine marchande » est précisément celle qui figure à la catégorie 10 de l’article au paragraphe 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Cette catégorie doit être mise en contraste avec celle des « pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur », au catégorie 12, de l’article 91. Aucun précédent n’a été avancé au soutien de la proposition selon laquelle les lois fédérales se rap portant aux pêches pourraient être assimilées, pour l’application du paragraphe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale, aux lois se rapportant à la navigation et à la marine marchande. Manifestement, les lois fédérales en question dans cette partie de l’appel (la demande de Radil contre B.C. Packers), à supposer qu’il en existe, seraient des lois se rapportant aux pêches, non des lois se rapportant à la navigation et à la marine marchande. Je ne suis pas disposé à dire qu’une matière qui relève d’une catégorie énumérée à l’article 91, autre que la catégorie 10 de l’article, peut être considérée, pour l’interprétation du paragraphe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale, comme une catégorie relevant également de la catégorie 10, de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[48]      Il suffit de considérer l’article 23 de la Loi, qui confère à la Cour fédérale une compétence « en matière a) de lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est partie aux procédures; b) d’aéronautique; c) d’ouvrages reliant une province à une autre ou s’étendant au-delà des limites d’une province », pour être persuadé que, lorsque le Parlement parle d’une catégorie énumérée à l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, il ne parle que de cette catégorie, et encore pas nécessairement de l’ensemble de la catégorie, comme c’est le cas des « lettres de change et les billets promissoires » (catégorie 18 de l’article 91)), pour lesquels la Cour fédérale n’a compétence que lorsque la Couronne est partie aux procédures.

[49]      La matière en litige relève-t-elle du « droit maritime canadien »?

[50]      Ce dont il s’agit ici, c’est d’une action délictuelle introduite par le propriétaire d’un bateau de pêche contre son mandataire qui n’aurait pas veillé à ce que le ministère des Pêches et des Océans procède à un transfert valide des permis de pêche.

[51]      L’expression « droit maritime canadien » a été interprétée libéralement par le juge McIntyre dans l’arrêt ITO (aux pages 774 à 776) :

Je suis d’accord pour dire que la compétence historique des cours d’amirauté est importante pour déterminer si une demande particulière est une matière maritime au sens qu’en donne la définition du droit maritime canadien que l’on trouve à l’art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Je n’irais pas cependant jusqu’à limiter la définition de matière maritime et d’amirauté aux seules demandes qui cadrent avec ces limites historiques. Une méthode historique peut servir à éclairer, mais ne serait autorisée à limiter. À mon avis, la seconde partie de la définition que donne l’article 2 du droit maritime canadien a été adoptée afin d’assurer que le droit maritime canadien comprenne une compétence illimitée en matière maritime et d’amirauté. À ce titre, elle constitue une reconnaissance légale du droit maritime canadien comme ensemble de règles de droit fédérales portant sur toute demande en matière maritime et d’amirauté. On ne saurait considérer ces matières comme ayant été figées par la Loi d’amirauté, 1934. Au contraire, les termes « maritime » et « amirauté » doivent être interprétés dans le contexte moderne du commerce et des expéditions par eau. En réalité, l’étendue du droit maritime canadien n’est limitée que par le partage constitutionnel des compétences établi par la Loi constitutionnelle de 1867. Je n’ignore pas, en tirant cette conclusion, que la cour, en déterminant si une affaire donnée soulève une question maritime ou d’amirauté, doit éviter d’empiéter sur ce qui constitue, de par son caractère véritable, une matière d’une nature locale mettant en cause la propriété et les droits civils ou toute autre question qui relève essentiellement de la compétence exclusive de la province en vertu de l’art. 92 Loi constitutionnelle de 1867. Il est donc important de démontrer que la question examinée dans chaque cas est entièrement liée aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale.

[…]

Il est clair, à mon sens, que cet entreposage accessoire par le transporteur lui-même, ou par un tiers lié par contrat avec le transporteur, est aussi une affaire d’intérêt maritime en vertu du « rapport étroit existant en pratique entre le transit et l’exécution du contrat de transport » (le juge Le Dain en Cour d’appel). On peut donc conclure que la manutention et l’entreposage accessoire, avant la livraison et pendant que la marchandise reste sous la garde d’un acconier dans la zone portuaire, est suffisamment liée au contrat de transport maritime pour constituer une affaire maritime qui relève du droit maritime canadien, au sens de l’art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale.

Au risque de me répéter, je tiens à souligner que la nature maritime de l’espèce dépend de trois facteurs importants. Le premier est le fait que les activités d’acconage se déroulent à proximité de la mer, c’est-à-dire dans la zone qui constitue le port de Montréal. Le second est le rapport qui existe entre les activités de l’acconier dans la zone portuaire et le contrat de transport maritime. Le troisième est le fait que l’entreposage en cause était à court terme en attendant la livraison finale des marchandises au destinataire. À mon avis, ce sont ces facteurs qui, pris ensemble, permettent de caractériser la présente affaire comme mettant en cause du droit maritime canadien.

[52]      Dans l’arrêt Monk Corp. c. Island Fertilizers Ltd., [1991] 1 R.C.S. 779, le juge Iacobucci s’est exprimé ainsi (aux pages 797 à 801) :

En effet, je suis d’accord avec le juge Hugessen, lorsqu’il dit que les « facteurs de liaison », comme je les ai appelés, avec le droit maritime en l’espèce sont considérablement plus forts que ceux que l’on trouve dans l’arrêt ITO.

[…]

Pour en terminer avec ce premier point, un grand nombre des engagements constatés par le télex ont trait à un contrat de transport, qui est à mon sens clairement une affaire maritime ressortissant au droit maritime. Cependant, selon le raisonnement suivi par le juge McIntyre dans l’arrêt ITO, il ne suffit pas de démontrer l’existence d’engagements de caractère maritime, encore faut-il prouver que les revendications elles-mêmes sont entièrement liées aux affaires maritimes car si elles sont liées de cette façon à la vente de marchandises, elles seront régies, comme le soutient Island, par les dispositions de la Sale of Goods Act de l’Île-du-Prince-Édouard.

[…]

Il en va de même pour la demande de surestaries; son caractère maritime, comme l’a conclu le juge Pratte, ne saurait être nié. En effet, la surestarie a directement trait au déchargement de la cargaison d’un navire, activité qui procède aussi en l’espèce des modalités de l’entente entre les parties propres au contrat de transport. La nature et l’étendue des surestaries est clairement un sujet défini et précisé par des considérations touchant au droit maritime.

À mon sens, l’utilisation des grues de quai pour décharger la cargaison d’un navire se rattache encore plus au contrat de transport et aux affaires maritimes que ne l’a trouvé le juge McIntyre dans l’arrêt ITO à l’égard de l’entreposage à court terme des marchandises.

Bref, l’activité sous-jacente visée par les demandes de Monk est le déchargement de la cargaison, dont Island était responsable en raison des aspects de l’entente entre les parties propres au contrat de transport et possédant un caractère maritime.

[…]

Le caractère maritime des demandes n’est pas atténué du fait que Monk était le vendeur de l’urée et Island l’acheteur, sans qu’il y ait aucun lien de droit contractuel entre Island et les propriétaires du Super Spirit. Island a assumé une obligation maritimele déchargement de la cargaisonrelativement à la vente et à l’achat de l’urée. C’est cette obligation de nature maritime qui est le fondement des demandes de Monk. Les parties peuvent assumer des obligations maritimes régies par le droit maritime bien qu’elles puissent ne pas être formellement parties à une charte-partie ou même à un contrat de transport maritime. Ce qui importe pour que les demandes ressortissent au droit maritime, c’est qu’elles soient entièrement liées aux affaires maritimes.

Finalement, je dirais que les demandes de Monk ont un caractère maritime et qu’elles n’empiètent d’aucune façon sur ce qui constitue, « de par son caractère véritable », une matière qui relève de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. À mon sens, les prétentions avancées en l’espèce ne trouvent pas leur fondement ni leur source dans les conventions du télex adressé par Monk à Island qui tiennent de la vente de marchandises, et, par conséquent, elles ne ressortissent pas à la propriété et aux droits civils ni à aucune autre rubrique de l’art. 92.

Je tiens aussi à ajouter que ma façon d’aborder cette question correspond au point de vue du juge McIntyre lorsqu’il dit que les termes « maritime » et « amirauté » doivent être interprétés dans le contexte moderne du commerce et des expéditions par eau, et qu’ils ne doivent pas être statiques ou figées. On devrait plutôt pouvoir adapter ces termes selon l’évolution des circonstances sans être prisonniers du carcan des classifications doctrinales rigides ou des limites historiques excessives. [Non souligné dans l’original.]

[53]      Je ne vois dans les arrêts ITO et Monk rien qui donne à penser que les tribunaux devraient d’emblée élargir la notion de « droit maritime canadien ». Bien au contraire, la Cour a pris soin de s’assurer que « le fondement ou la source » de la revendication soit « entièrement lié aux affaires maritimes », de manière à ne pas empiéter sur ce qui constituait, de par son caractère véritable, une matière relevant de la compétence provinciale. Ce n’est pas là une tâche facile à accomplir, comme en témoigne la longue analyse à laquelle se sont livrés le juge McIntyre dans l’arrêt ITO et le juge Iacobucci dans l’arrêt Monk avant de conclure que la Cour avait compétence, et comme en témoignent également les avis dissidents des juges Beetz, Chouinard et Lamer dans l’arrêt ITO, et du juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Monk. Dans la mesure où tout accroissement de la notion de « droit maritime canadien » se fait généralement aux dépens de la compétence provinciale en matière de « propriété et droits civils dans la province », il est facile de comprendre l’hésitation des juges de droit ci vil à inclure dans le droit maritime fédéral des matières qui ne sont pas traditionnellement rattachées au contexte du commerce et de la navigation. C’est en effet une chose d’adapter, comme nous y invite la Cour suprême, la compétence de la Cour fédérale en matière maritime au « contexte moderne du commerce et des expéditions par eau », c’en est une autre de l’élargir, sous prétexte de la moderniser, aux revendications dont le fondement ou la source était, et est encore, essentiellement une matière non maritime.

[54]      L’appelante reconnaît, au paragraphe 16 de son contre-exposé des faits et du droit, que sa demande contre B.C. Packers [traduction] « découle au départ d’un engagement d’acheter un permis de pêche à B.C. Packers ». On peut lire ensuite que [traduction] « Pour transférer le permis de pêche à l’appelante, B.C. Packers a conclu une entente avec le ministère des Pêches et des Océans, entente dont le résultat a été le transfert (ou l’échange) du permis « T » de l’appelante avec un permis « T » appartenant à B.C. Packers ».

[55]      L’appelante saute ensuite à la conclusion, au paragraphe 17, que [traduction] « la compétence attribuée par le paragraphe 22(1) est très large » et [traduction] « englobe toute revendication relevant du droit maritime canadien ou d’une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, et embrasse les principes de common law du quasi-délit, c’est-à-dire la faute, la fraude et l’obligation fiduciaire ». Je m’arrête ici pour faire observer que ces principes de common law du quasi-délit ne sont compris dans le paragraphe 22(1) que dans la mesure où les matières dans lesquelles ils entrent en jeu sont entièrement liées au droit maritime.

[56]      Je n’ai connaissance d’aucun précédent, et l’avocat de l’appelante n’en a mentionné aucun à la Cour, qui soit allé jusqu’à étendre la notion de « droit maritime canadien » à des matières découlant au départ de l’engagement d’acheter un permis de pêche à un particulier, ou à des matières découlant de la rupture d’un contrat de mandat conclu dans le dessein d’acheter un permis de pêche à un particulier. Je n’ai connaissance non plus d’aucun précédent qui ait englobé dans le « droit maritime canadien » des matières se rapportant à la délivrance de permis de pêche ou à l’attribution de contingents de pêche indépendamment d’une cause d’action déjà entièrement liée aux matières maritimes.

[57]      Dans l’arrêt Pakistan National Shipping Corp. c. Canada, [1997] 3 C.F. 601 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a jugé qu’elle avait compétence dans une demande en garantie de nature délictuelle de l’appelante pour déclarations inexactes se rapportant à la capacité de la cargaison de supporter les tensions et les contraintes d’un voyage en mer. La Cour avait d’abord jugé cependant que les prétentions formulées contre l’appelante dans l’action principale étaient indiscutablement des matières maritimes (expédition de marchandises par mer en vertu d’un contrat de transport). Au paragraphe 19, le juge Stone a exprimé le point de vue suivant :

À mon avis, le fait que les présumées déclarations inexactes puissent avoir été faites à terre n’établit pas de façon concluante l’absence de compétence. La cause de l’action délictuelle, si elle peut être établie, ne s’est pas matérialisée avant que la perte ou les dommagess’ils sont prouvésse soient produits après l’affaissement de certains barils au cours du voyage en mer. Dans l’arrêt Whitbread, précité [Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273], aux pages 1288 et 1289, le juge La Forest, se référant à la déclaration de principe susmentionnée du juge McIntyre dans ITO, précité, à la page 779, déclare que « la responsabilité délictuelle dont il est question dans un contexte maritime est régie par un ensemble de règles de droit maritime relevant de la compétence exclusive du Parlement ».

[58]      Dans l’arrêt H. Smith Packing Corp. c. Gainvir Transport Ltd. (1989), 61 D.L.R. (4th) 489 (C.A.F.), le juge Desjardins s’est prononcé ainsi (aux pages 494 et 495) :

En l’espèce, c’est l’existence du contrat de transport par mer qui a donné lieu aux déclarations de l’agent maritime, tant à l’égard des conditions de transport de la cargaison qu’à l’égard de la couverture de celle-ci par une assurance. N’eût été de ce contrat, ces déclarations n’auraient jamais été faites. Il serait difficile de nier que ces déclarations étaient intimement liées au contrat de transport par mer et à l’opération d’expédition elle-même. Dans les circonstances, le droit du mandat devient une « loi du Canada » au sens de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[…]

Étant donné la définition large que donne au droit maritime canadien la seconde partie de l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, le droit du mandat, dans les cas où il est intimement lié aux expéditions par eau, devient partie intégrante du droit maritime canadien tel que défini à cet article.

Elle a ajouté, à la page 495 :

Les faits de la présente affaire doivent être distingués des circonstances de l’arrêt Intermunicipal Realty & Development Corp. c. Gore Mutual Ins. Co., précité [[1978] 2 C.F. 691, où il a été décidé que la réclamation présentée contre un courtier d’assurance au motif qu’il avait, par négligence, dénaturé certains faits, n’était pas liée à une matière maritime ou d’amirauté relevant du « droit maritime canadien ». La Cour a toutefois pris soin de noter que les allégations en cause n’étaient pas des « allégations de négligence en vertu des polices d’assurance maritime en question » mais qu’elles étaient, d’une façon générale, « fondées sur les relations avec l’agence ». Ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans la présente affaire, les deux types de déclarations inexactes faites par l’agent maritime sont liés à l’existence d’un contrat de transport par mer.

[59]      L’appelante invoque aussi le jugement Kuhr c. Le Friedrich Busse , [1982] 2 C.F. 709 (1re inst.), dans lequel le juge Addy a estimé qu’un contrat, en vertu duquel les demandeurs devaient fournir du poisson en mer au navire défendeur, lequel était tenu de demeurer à l’intérieur des zones de pêche précisées et de recevoir, moyennant paiement, livraison du poisson, était un contrat maritime. Selon ma compréhension des motifs du jugement, et à supposer qu’ils soient juridiquement exact s, le fondement de la décision réside à mon avis dans les observations suivantes (aux pages 716 et 717) :

Ce qui est tout aussi important toutefois, c’est de savoir si un contrat intervenu entre les propriétaires de deux navires, dont l’un doit fournir le poisson en haute mer à l’autre, qui, lui, doit demeurer sur certains champs de pêche spécifiés pour y recevoir livraison du poisson et le payer, tombe sous l’emprise des termes « droit maritime canadien ou d’une autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande » du paragraphe 22(1).

[…]

Ce contrat ne stipule pas une simple translation de la propriété de certains biens mais traite aussi, ce qui est plus essentiel, de leur transbordement véritable et de leur délivrance en haute mer d’un navire à l’autre. Ces biens doivent provenir d’une aire de la mer dont les parties contractantes sont convenues et leurs navires doivent être exploités là et ils doivent exécuter les stipulations du contrat dans cette aire spécifiée. Il est difficile de concevoir un cas, un contrat, qui ait un caractère plus maritime. Je suis sûr que toute Cour d’amirauté anglaise saisie des mêmes faits se serait assurément présumée compétente et fondée en droit à statuer sur le litige opposant les parties.

Le requérant s’est aussi appuyé sur une autre décision du juge Collier, soit l’espèce Sumitomo Shoji Canada Ltd. c. Le navire « Juzan Maru », [1974] 2 C.F. 488 49 D.L.R. (3ed) 277. Dans cette espèce, la Cour déclina sa compétence manifestement parce que, à l’examen de l’essence véritable du contrat, à la lumière de tous les faits et du cas d’espèce, il apparaissait que les aspects maritimes des arrangements d’affaires intervenus entre les parties étaient minimes voire accidentels, (voir p. 284 du recueil précité) [[1974] 2 C.F. aux pp. 496 et 497]; l’essence de l’arrangement n’était pas maritime. Je souscris entièrement à ce principe et au critère dit des caractéristiques et objets dominants appliqué dans l’espèce Underwater Gas Developers Ltd. c. Ontario Labour Relations Board (1960) 24 D.L.R. (2ed) 673; [1960] O.R. 416. Ce sont précisément ces critères qui, appliqués aux faits de l’espèce en cause, me convainquent que son caractère maritime prédomine. [Non souligné dans l’original.]

[60]      Aucun de ces précédents ne vient en aide à l’appelante. Bien au contraire, ils tendent à montrer que la Cour n’affirmera pas sa compétence en matière maritime sur des revendications résultant d’un contrat de mandat, à moins que le contrat invoqué ne soit véritablement un contrat maritime. Tel n’est pas le cas ici, où le seul facteur qui pourrait être rattaché au droit maritime est le fait que le permis à l’égard duquel a été conclu le contrat de mandat se trouve à avoir été délivré pour une activité devant se dérouler en mer. Il n’y a pas de contrat de transport de marchandises par mer. Il n’y a pas d’assurance maritime. Il n’y a pas de marchandises en jeu. Rien n’est arrivé en mer. La navigabilité des navires n’est pas en cause. Les navires ne sont pas parties à l’action. Il n’y a pas de procédure in rem. Il n’y a pas de courtiers maritimes. I l n’y a pas de lois, de principes ou de pratiques maritimes qui soient applicables. Au mieux, et accessoirement, on pourrait dire que la demande se rapporte à la capacité d’un navire d’effectuer certaines activités de pêche en conformité avec des exigences qui n’ont rien à voir avec la navigation et la marine marchande, et tout à voir avec les pêches.

[61]      Les affaires suivantes, me semble-t-il, traitent bien davantage de la question dont nous sommes saisis que celles mentionnées par l’appelante.

[62]      Dans le jugement Bornstein Seafoods Canada Ltd. c. Hutcheon (1997), 140 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.), le juge Gibson a estimé qu’un différend concernant la propriété d’un contingent de pêche ne relève pas de la définition du droit maritime. Il s’est exprimé ainsi, au paragraphe 30 de sa décision :

Malgré l’argument valable de l’avocat de la demanderesse, je ne pouvais pas conclure que l’objet de la présente action est entièrement lié aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien. Cela ne veut pas dire que l’objet de la présente action ne pourrait pas relever de la compétence législative fédérale, se rapportant comme il le fait au contingent de poisson de fond et aux droits y afférents, contingent qui à son tour se rapporte à la compétence du gouvernement fédéral en matière de « pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur ». Cependant, d’après les faits de l’espèce, le droit au contingent tourne pour l’essentiel autour de l’interprétation du contrat susmentionné intervenu entre la demanderesse et les défendeurs Hutcheon et autour des lois, des pratiques et des procédures concernant la pêche au poisson de fond sur la côte ouest du Canada.

[63]      Dans le jugement Inter Atlantic Canada Ltd. c. Rio Cuyaguateje (Le), 2001 CFPI 306, [2001] A.C.F. no 549 (QL), le juge MacKay a confirmé la décision du protonotaire Morneau selon laquelle un différend portant sur l’engagement d’exploiter un contingent de pêche ne ressortissait pas à la Cour fédérale.

[64]      Dans le jugement Amirault c. Prince Nova (Le) (1998), 147 F.T.R. 133 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay a estimé qu’une demande de dommages-intérêts découlant de la rupture du contrat de vente d’un navire ressortissait à la Cour fédérale, mais non une action délictuelle introduite contre un particulier pour ingérence dans ledit contrat.

[65]      Dans l’arrêt Transport Insurance Co. Inc. c. Le navire « Ondine » et al. (1982), 138 D.L.R. (3d) 745 (C.A.F.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée le 22 septembre 1982 [[1982] 2 R.C.S. xi], la Cour d’appel fédérale a jugé que, même si la Cour fédérale connaissait d’une action découlant d’un abordage, les procédures de mise en cause résultant d’une volonté de transiger échappaient à la compétence de la Cour. Le juge en chef Thurlow, aux pages 746 et 747, a estimé que :

Il s’agit simplement, à notre avis, d’une réclamation résultant de négociations entre la défenderesse et un tiers ou d’un contrat conclu entre eux. Elle ne découle pas à notre avis de l’abordage, ni de la demande de dommages-intérêts à la suite de l’abordage, ni d’une demande née d’un contrat d’assurance maritime ou s’y rapportant.

[66]      L’avocat de l’appelante a lancé l’idée que cette demande relevait de l’alinéa 22(2)m) de la Loi sur la Cour fédérale :

22. […]

(2) Il demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), la Section de première instance a compétence dans les cas suivants :

[…]

m) une demande relative à des marchandises, matériels ou services fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l’acconage et le gabarage;

[67]      Cet argument n’est pas recevable. Un permis de pêche, et à plus forte raison un contingent attribué à un permis de pêche, ne saurait être assimilé à « des marchandises, matériels ou services fournis à un navire ». Dans l’arrêt Joys c. M.R.N. , [1996] 1 C.F. 149 la Cour d’appel fédérale a jugé que les permis de pêche ne sont pas des « marchandises » (à la page 162), qu’ils ne font pas partie intégrante du navire, (aux pages 164 et 173) et qu’ils ne sont pas, à proprement parler, délivrés à un navire, mais à une personne pour un navire (à la page 165).

[68]      Il est également très douteux que la notion de « nécessités » en droit maritime puisse être invoquée en l’espèce. L’avocat de l’appelante n’a signalé à la Cour aucun précédent autorisant la proposition selon laquelle un permis de pêche pourrait faire partie des « nécessités » fournies à un navire. À mon avis, les nécessités ne s’étendent pas aux permis de pêche délivrés par le ministre pour un navire. Comme le fait observer William Tetley, dans Maritime Liens and Claims, 2e éd., (Montréal : International Shipping Publications, Blais, 1998) (à la page 551) :

[traduction] Les nécessités peuvent être définies comme les fournitures, les réparations et les équipements (et dans certains pays, d’autres biens et services) qui sont commandés sur le crédit du navire et qui sont généralement utiles pour le navire, pour qu’il puisse accomplir l’entreprise commune.

(Pour une liste des marchandises ou services auxquels la notion de « nécessités » a été élargie, une liste qui ne comprend pas les permis de pêche, voir Nigel Meeson, Admiralty Jurisdiction and Practice, 2e éd. (Londres : LLP Proffessional Publication, 2000, à la page 2-163.) Les permis de pêche ne sont pas délivrés sur le crédit d’un navire, et le ministre des Pêches et des Océans pourrait difficilement être comparé à un demandeur de nécessités ou à un créancier.

[69]      J’ajouterais que, même si l’alinéa 22(2)m) était jugé applicable, il ne conduirait pas l’appelante très loin. Comme l’a indiqué le juge McIntyre dans l’arrêt ITO, supra, à la page 772 :

Même si on pouvait démontrer qu’une demande relève du par. 22(2), les choses ne s’arrêtent pas là. Ce paragraphe n’est qu’attributif de compétence; il ne crée pas de règle de droit applicable. On doit encore être en mesure d’indiquer sur quelle loi fédérale existante applicable se fonde l’attribution de compétence : voir les arrêts Quebec North Shore Paper [Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054] et McNamara [McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654].

[70]      Ainsi, dans l’arrêt Quebec and Ontario Transportation Co. Ltd. c. Le Incan St. Laurent, [1979] 2 C.F. 834 (C.A.), confirmé par la Cour suprême du Canada à [1980] 2 R.C.S. 242, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’une action fondée sur un accord de coentreprise et visant à établir si l’appelante était le propriétaire réel de certains intérêts dans le navire intimé échappait à la compétence de la Cour en matière maritime. Le juge Le Dain a fait observer que la demande était fondée sur le présumé non-accomplissement d’une obligation de transfert de propriété, une obligation figurant dans un contrat, et, eu égard à l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054, il a jugé que la Cour fédérale n’était pas compétente dans cette affaire puisqu’il n’existait aucune loi fédérale applicable en vertu de laquelle la Cour fédérale pourrait exercer sa compétence.

[71]      En définitive, j’arrive à la conclusion que la demande de dommages-intérêts de Radil à l’encontre de B.C. Packers pour rupture d’un contrat de mandat conclu en vue de la négociation de l’achat d’un permis de pêche avec les fonctionnaires du ministère des Pêches et des Océans ne relève pas de la compétence de la Cour fédérale du Canada en matière maritime. L’appel devrait être rejeté, avec dépens, et la déclaration déposée sous le no du greffe T-382-99 devrait être radiée en ce qui concerne B.C. Packers.

[72]      Cela ne veut pas dire que la Cour fédérale n’a pas compétence dans les questions relatives aux pêches, à supposer que la présente demande à l’encontre de B.C. Packers suscite une question de ce genre. De telles questions ne sont pas cependant portées devant la Cour au titre de sa compétence en matière maritime, mais au titre de sa compétence touchant le contrôle judiciaire de la légalité des décisions prises par les fonctionnaires du ministère des Pêches et des Océans, ou au titre de sa compétence touchant les actions délictuelles introduites contre la Couronne.

La demande de suspension

[73]      La demande de contrôle judiciaire (transformée en action) de la décision du ministrec.-à-d. le no du greffe T-192-98ne peut être portée que devant la Cour fédérale du Canada.

[74]      La demande de dommages-intérêts à l’encontre de B.C. Packers ne peut être portée que devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

[75]      La demande de dommages-intérêts à l’encontre de la Couronne peut être portée devant la Cour fédérale du Canada ou la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

[76]      Aucun tribunal ne peut donc à lui seul statuer sur la totalité des prétentions de Radil. Or, les de mandes de dommages-intérêts à l’encontre de la Couronne et à l’encontre de B.C. Packers peuvent dans une grande mesure être influencées par l’issue de la demande de contrôle judiciaire (no du greffe T-192-98), laquelle devrait de préférence être instruite en priorité. Il vaut mieux à mon avis ne pas suspendre la demande de dommages-intérêts à l’encontre de la Couronne qui porte le numéro T-382-99 et qui, selon l’ordonnance du protonotaire Hargrave en date du 16 juin 1999, peut être instruite en même temps que la demande portant le numéro du greffe T-182-98, ou immédiatement après, selon que le juge du procès en décidera.

[77]      Par ailleurs, la Cour a dit précisément à Radil de faire ce que Radil a fini par faire, c.-à-d. d’introduire deux instances parallèles. Elle a également dit à Radil, dans une ordonnance qui est encore en vigueur, qu’elle pourrait faire instruire ses deux instances par la Cour fédérale. Dans ces conditions, il serait injuste pour Radil, et il ne servirait aucun intérêt pratique, de suspendre le dossier T-382-99. Je laisserais Radil décider par elle-même si elle souhaite aller de l’avant dans sa demande de dommages-intérêts à l’encontre de la Couronne devant la Cour fédérale.

[78]      Je suis d’avis de rejeter la demande de suspension. Il ne devrait pas y avoir adjudication de dépens dans l’appel se rapportant à cette demande.

DISPOSITIF

[79]      Je suis d’avis d’accueillir l’appel en partie et de remplacer l’ordonnance du juge des requêtes par l’ordonnance suivante, qui prendra effet à la date du jugement rendu dans le présent appel :

S’agissant du jugement déclaratoire demandé dans la déclaration, l’appel formé contre l’ordonnance du protonotaire est accueilli et la déclaration est radiée.

S’agissant de la demande de dommages-intérêts contre la Couronne, l’appel formé contre l’ordonnance du protonotaire est rejeté, et la déclaration ainsi que la déclaration modifiée sont radiées, avec autorisation de la modifier dans un délai de 14 jours après la date du jugement. Dépens adjugés à la demanderesse.

S’agissant de la demande déposée contre B.C. Packers, l’appel formé contre l’ordonnance du protonotaire est accueilli, avec dépens, et la déclaration est annulée pour incompétence de la Cour fédérale du Canada.

S’agissant de la demande déposée contre Titan, l’appel formé contre l’ordonnance du protonotaire est accueilli, avec dépens, et la déclaration est annulée.

Aucune suspension n’est ordonnée.

[80]      Radil devrait payer les dépens de B.C. Packers et de Titan dans l’appel.

[81]      La Couronne devrait payer les dépens de Radil dans l’appel.

Le juge Desjardins, J.C.A. : J’y souscris.

Le juge Sexton, J.C.A. : J’y souscris.

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