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A-779-00

2002 CAF 60

Walter A. Conohan et Eastern Marine Underwriters Inc. (Demandeurs/appelants)

c.

The Cooperators (Défenderesse/intimé e)

Répertorié:  Conohan c. Cooperators (The) (C.A.)

Cour d'appel, juges Stone, Evans et Malone, J.C.A.-- Montréal, 23 janvier; Ottawa, 11 février 2002.

Droit maritime -- Assurance -- Appel d'une ordonnance de la C.F. 1re inst. rejetant une action en dommages-intérêts intentée par suite d'un abordage entre le bateau de Conohan et celui de quelqu'un d'autre -- Le propriétaire de l'autre bateau a fait une admission de responsabilité et cédé tous ses droits de réclamation contre l'assureur (intimée) relativement à une police d'assurance maritime -- La clause 16 de l'avenant contenu dans la police prévoyant que l'assureur paierait l'assuré au titre de la perte du bateau d'une tierce partie par suite d'un abordage lorsque cet assuré est «tenu de payer [. . .] sous forme de dommages-intérêts » des sommes ayant trait à cet abordage -- Le juge de première instance a conclu que la clause 16 exigeait que l'assuré paie d'abord avant de pouvoir s'adresser à l'intimée pour être indemnisé de sa responsabilité envers l'appelant -- Appel rejeté -- Examen du contexte historique de la clause d'abordage -- Question tranchée par interprétation du libellé explicite de la clause 16 -- Selon le sens ordinaire des mots, la clause exige clairement, comme condition préalable au recouvrement, que paiement ait été fait au tiers -- Le libellé de la clause 16 est trop clair pour se prêter à l'application des principes d'équity -- L'intimée s'est conformée avec l'exigence de «la plus absolue bonne foi» imposée par l'art. 20 de la Loi sur l'assurance maritime -- Moyens de défense soulevés de bonne foi sauf que l'engagement contre le «le pilotage du bateau en état d'ébriété ou avec facultés affaiblies» a continué d'être invoqué malgré un acquittement relatif à de telles accusations -- Toutefois, insistance non motivée par la mauvaise foi.

Pratique -- Actes de procédure -- Action en dommages-intérêts découlant d'une collision entre deux bateaux, invoquant la cession de tous les droits d'action contre la compagnie d'assurance intimée -- Défense nie expressément les allégations, exigeant que les demandeurs (appelants) présentent une preuve formelle -- Ordonnance découlant de la conférence préparatoire énumère les questions en litige -- Le juge de première instance a conclu que la clause de la police d'assurance maritime exige que l'assuré paie d'abord avant de pouvoir s'adresser à l'intimée pour être indemnisé -- La règle 258(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) exige le dépôt des mémoires avant la conférence préparatoire -- La règle 258(3)d) exige que ces mémoires contiennent un exposé des questions à trancher à l'instruction -- La règle 263b) exige que les participants à la conférence préparatoire «traite[nt] de la simplification des questions en litige» -- L'intimée ne s'est pas expressément fondée sur la clause 16 tant dans ses actes de procédure que dans son mémoire relatif à la conférence préparatoire -- Cependant, cette question a été expressément soulevée dans la déclaration et a reçu une réponse partielle par le rejet de l'argument dans la défense -- Dans les actes de procédure relatifs à la déclaration, la défense a mis en cause l'intégralité de la clause 16, y compris l'obligation de «payer avant d'être remboursé», et non seulement la réclamation de la protection afférente -- Le juge de première instance n'était pas mal venu d'examiner l'argument présenté par les parties même s'il n'était pas expressément énuméré dans l'ordonnance du protonotaire -- Les appelants n'ont pas été pris par surprise ni lésés par l'argument -- La règle 174 exige qu'une partie fournisse «un exposé concis des faits substantiels» sur lesquels elle se fonde -- L'intimée a suffisamment fait valoir les faits -- Il n'est pas nécessaire d'indiquer le résultat juridique.

Il s'agit d'un appel du jugement de la Section de première instance rejetant l'action des appelants contre l'intimée intentée par suite d'un abordage survenu en 1996 entre le Lady Brittany et le Cape Light II. L'appelant, Conohan, propriétaire du Cape Light II , a introduit une action réelle et une action personnelle devant la Cour contre le  Lady Brittany et son propriétaire, Gaudet, au double titre de la perte de son bateau et du manque à gagner. Gaudet a passé une admission de responsabilité et un acquiescement à la demande en faveur de Conohan et de son assureur; à ce document était annexée une lettre rédigée par les avocats de l'intimée dans laquelle ils affirmaient que l'assureur (l'intimée) n'était aucunement tenue d'indemniser à moins que la responsabilité de M. Gaudet ne soit reconnue et qu'il ait fait paiement à cet égard. Gaudet a également cédé à Conohan et à ses assureurs tous ses droits de réclamation contre sa compagnie d'assurance relativeme nt à la police d'assurance maritime. Cette police comportait l'avenant relatif aux bateaux de pêche, dont la clause 16 prévoyait que l'assureur paierait l'assuré au titre de la perte du bateau d'un tiers découlant d'un abordage lorsque cet assuré est [. . .] «tenu de payer [. . .] sous forme de dommages- intérêts» des sommes ayant trait à cet abordage. Une deuxième action a été intentée invoquant la cession et réclamant le remplacement du bateau, la perte de valeur de récupération et le manque à gagner. Au paragraphe 2 de sa défense, l'intimée a nié expressément les allégations et exigé que les appelants présentent une preuve formelle à cet égard. Après la clôture des débats, une conférence préparatoire a eu lieu. Les parties ont déposé des mémoires en confo rmité avec le paragraphe 258(1) des Règles de la Cour fédérale  (1998). Le protonotaire a rendu une ordonnance conformément à la règle 265 à l'égard de la conduite du procès, y compris une liste des questions en litige précises à trancher. Le juge de première instance a conclu que la clause 16 exigeait que Gaudet paie d'abord avant de pouvoir s'adresser à l'intimée pour être indemnisé de sa responsabilité envers l'appelant.

La Cour doit examiner 1) si le juge de première instance a commis une erreur en examinant la question de l'obligation de «payer avant d'être remboursé» visée à la clause 16 parce qu'elle n'avait pas été dûment soulevée par l'intimée à l'instruction; et 2) si, advenant le cas où elle l'aurait été, elle offrait un moyen d e défense complet à l'action des appelants fondée sur la police.

Arrêt: l'appel doit être rejeté.

1) En vertu de l'alinéa 258(3)d ) des Règles de la Cour fédérale (1998), les mémoires déposés avant la conférence préparatoire doivent contenir un exposé des questions à trancher à l'instruction. L'alinéa 263b ) exige que les participants à la conférence préparatoire «traite[nt] de la simplification des questions en litige». L'intimée ne s'est pas expressément fondée sur la clause 16 tant dans ses actes de procédure que dans son mémoire relatif à la conférence préparatoire. Toutefois, cette question a été expressément soulevée dans la déclaration et a reçu une réponse partielle au paragraphe 2 de la défense. De plus, il est évident que les appelants, tôt dans ce tte affaire, connaissaient bien la position de l'intimée, comme l'atteste la lettre des avocats annexée à l'admission de responsabilité. La clause, telle qu'elle a été invoquée dans la déclaration et dans la défense, a mis en cause l'intégralité de la clau se 16, et non pas seulement la réclamation par les appelants de la protection afférente, mais aussi l'obligation de «payer avant d'être remboursé».

Il est essentiel que les parties à une action se conforment entièrement à une ordonnance rendue à l'issue d'une conférence préparatoire à l'instruction en vertu de la règle 265, à moins qu'elles n'en soient dispensées par consentement ou par la Cour. Le juge de première instance n'était pas mal venu d'examiner l'argument présenté par les parties et fondé sur la clause 16. Par ailleurs, on ne peut prétendre sérieusement que, parce qu'elle n'a pas été expressément invoquée ou énumérée dans l'ordonnance du protonotaire, les appelants ont été pris par surprise et ont été, par conséquent, lésés dans leur production d e la preuve ou, d'une autre manière, dans la poursuite de leurs réclamations au procès.

La règle 174 exige qu'une partie fournisse «un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde». L'intimée a suffisamment fait valoir que, parce q ue Gaudet n'avait rien payé à l'appelant Conohan pour l'acquittement de sa responsabilité découlant de l'abordage, il n'avait pas le droit, en raison de la clause 16, d'être payé en vertu de la police. Même si l'intimée n'a pas invoqué l'obligation de «pay er avant d'être remboursé» que prévoit la clause 16, mais uniquement les autres moyens de défense énumérés dans l'ordonnance du protonotaire, cela ne l'empêche pas d'invoquer cette obligation. Il suffit que le plaideur énonce les faits importants; il n'est pas nécessaire qu'il indique le résultat juridique.

2) Un contrat d'assurance maritime est un contrat dans le cadre duquel l'assureur s'engage à indemniser l'assuré, de la manière et dans la mesure convenue dans le contrat. Il y a donc tout lieu de replacer dans son contexte historique la clause d'abordage que stipule la police. En common law, une action ne pouvait être fondée sur un contrat d'indemnisation que si la personne qui cherchait à se faire indemniser avait effectivement subi une perte. L'equity a trouvé un moyen d'atténuer la rigueur de cette règle en exigeant que la partie indemnisatrice paie directement le créancier ou paie la personne indemnisée avant qu'elle ait payé le créancier lorsque le contrat d'assurance ne contenait aucune clause expresse relative à l'obligation de «payer avant d'être remboursé». Cependant, l'equity ne pouvait déroger à l'accord contractuel clairement exprimé. Ce qui importait le plus était le libellé explicite même de la clause 16. La question de sa voir si la clause 16 énonce une condition préalable à l'indemnisation constituait essentiellement une question d'interprétation du libellé de la clause. Le sens ordinaire des mots employés dans la clause exigeait clairement, comme condition préalable au re couvrement, que paiement fût fait d'abord au tiers. Le libellé de la clause 16 est bien trop clair pour se prêter à l'application des principes d'equity. D'autres mots de la clause 16 étayent cette conclusion. L'emploi de la conjonction disjonctive «or» da ns la phrase: «any sum which the insured may become liable to pay or shall pay» par opposition à la conjonction de coordination «and» dans le membre de phrase en cause laisse entendre que la première formulation impose une condition préalable qui doit être satisfaite avant l'indemnisation.

En vertu de l'article 20 de la Loi sur l'assurance maritime, un contrat d'assurance maritime «est fondé sur la plus absolue bonne foi et si celle-ci n'est pas observée par l'une des parties, l'autre peut annuler le contr at». L'intimée n'a pas perdu la protection de l'obligation de «payer avant d'être remboursé» par les mesures qu'elle a prises en réponse à la réclamation et dans la conduite de sa défense. Les moyens de défense soulevés ont été opposés de bonne foi et non dans le but de retarder ou de refuser de payer une réclamation valable de toute façon, sauf que l'intimée a continué à invoquer l'engagement de la clause 27 contre «le pilotage du bateau en état d'ébriété ou avec facultés affaiblies», même si Gaudet avait été reconnu non coupable d'une telle infraction sous le régime du Code criminel . Toutefois, cette insistance n'était pas motivée par une mauvaise foi telle qu'elle aurait préclus l'intimée d'invoquer l'obligation de «payer avant d'être remboursé». Le juge de première instance a soigneusement examiné ces moyens de défense et il n'a affirmé d'aucune manière que l'intimée était animée dans sa défense par la mauvaise foi.

lois et règlements

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 253b) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 32, art. 59).

Loi sur l'assurance maritime, L.C. 1993, ch. 22, art. 6(1), 20, 34, 53(2).

Règlement sur les abordages, C.R.C., ch. 1416, art.  5, (édicté par DORS/90-702, art. 3).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 174, 258(1),(3)d), 263b), 265.

Third Parties (Rights Against Insurers) Act, 1930 (R.-U.), 20 & 21 Geo. V, ch. 25, art. 1(1).

jurisprudence

décisions appliquées:

Firma C-Trade S.A. v. Newcastle Protection and Indemnity Association, [1991] 2 A.C. 1 (H.L.); Vandervell's Trusts (No. 2), In re, [1974] Ch. 269 (C.A.); Goole & Hull Steam Towing Co. v. Ocean Marine Insurance Co. (1927), 29 Ll.L.Rep. 242 (K.B.).

distinction faite d'avec:

Charter Reinsurance Co. Ltd. v. Fagan, [1997] A.C. 313 (H.L.); Thomas W. Hooley & Sons v. Zurich General Accident & Liability Insurance Co., 103 So. 2d 449 (La. 1958); Emile M. Babst Company, Inc. v. Nichols Construction Corporation, et al., 488 So.2d 699 (La. Ct. App. 1986).

décisions exami nées:

Richardson, In re. Ex parte St. Thomas's Hospital (Governors of), [1911] 2 K.B. 705 (C.A.); —Italia Express— (No. 2), The, [1992] 2 Lloyd's Rep. 281 (Q.B.); Raiffeisen Zentralbank Österreich A.G. v. Five Star Trading L.L.C. and Others (The —Mount I—) [2001] EWCA Civ 68, [2001] 1 Lloyd's Rep. 597 (C.A.); "Mercandian Continent—, The, [2000] 2 Lloyd's Rep. 357 (Q.B.).

décisions citées:

Wood v. Grand Valley Railway Co. et al. (1915), 52 R.C.S. 283; 22 D.L.R. 614; Penvidic Contracting Co. Ltd. c. International Nickel Co. of Canada Ltd., [1976] 1 R.C.S. 267; (1975), 53 D.L.R. (3d) 748; 4 N.R. 1; R. c. CAE Industries Ltd. , [1986] 1 C.F. 129; (1985), 29 D.L.R. (4th) 347; [1985] 5 W.W.R. 481; 30 B.L.R. 236; 61 N.R. 19 (C.A.); Harbour Inn Seafoods Ltd v Switzerland General Insurance Co Ltd, [1990] 2 NZLR 381 (H.C.); 384238 Ontario Limited c. La Reine du chef du Canada, [1984] 1 C.F. 661; (1983), 8 D.L.R. (4th) 676; [1984] CTC 523; 84 DTC 6101; 52 N.R. 206 (C.A.); R. c. Imperial General Properties Limited, [1985] 1 C.F. 344; (1985), 16 D.L.R. (4th) 615; [1985] 1 CTC 40; 85 DTC 5045; 56 N.R. 358 (C.A.); Scotsburn Co-operative Services Ltd. c. W.T. Goodwin Ltd., [1985] 1 S.C.R. 54; (1985), 67 N.S.R. (2d) 163; 16 D.L.R. (4th) 161; 57 N.R. 81; Mercantile Mutual Insurance (Australia) Ltd. v. Gibbs & Anor, [2001] W.A.S.C.A. 271 (S.C.W. Aust.); Collinge v. Heywood (1839), 9 Ad. & E. 633; 112 E.R. 1352 (K.B.); County & District Properties Ltd. v. C. Jenner & Son Ltd. and Others, [1976] 2 Lloyd's Rep. 728 (Q.B.); Total Liban S.A.L. v. Vitol Energy S.A. , [1999] 2 Lloyd's Rep. 700 (Q.B.); MacMillan Bloedel Ltd. v. Youell (1993), 95 B.C.L.R. (2d) 130 (C.A.).

doctrine

Arnould, Sir Joseph. Arnould's Law of Marine Insurance and Average, 16th ed. by Michael J. Mustill and Jonathan C. B. Gilman, Vol. II, Stevens and Sons, 1981.

Arnould, Sir Joseph. Arnould's Law of Marine Insurance and Average, 16th ed. by Michael J. Mustill and Jonathan C.B. Gilman, Vol. 3, Stevens and Sons, 1997.

Hazelwood, S. P & I Clubs: Law and Practice, 3rd ed. London: Lloyd's, 2000.

Hurd, H. The Law and Practice of Marine Insurance, 2nd ed. London: Sir Isaac Pitman & Sons, 1952.

Parks, Alex Leon: The Law and Practice of Marine Insurance and Average. Centreville, Md.: Cornell Maritime Press, 1987.

Waddams, S. M. The Law of Damages, looseleaf ed., Toronto: Canada Law Book Inc., 2000.

APPEL du jugement de la Section de première instance rejetant l'action en dommages-intérêts intentée par les appelant s par suite d'un abordage survenu entre deux bateaux au motif que la clause 16 d'un avenant à la police d'assurance maritime exigeait que l'assuré paie d'abord avant de pouvoir s'adresser à l'intimée pour être indemnisé de sa responsabilité envers l'appela nt (Conohan c. Cooperators, [2001] 2 C.F. 238; (2000), 197 F.T.R. 239 (1re inst.)). Appel rejeté.

ont comparu:

David F. H. Marler pour les demandeurs/appelants.

D. Spencer Campbell pour la défenderesse/intimée.

avocats inscrits au dossier:

Marler & Associates, Montréal, pour les demandeurs/appelants.

Stewart McKelvey Stirling Scales, Charlottetown, pour la défenderesse/intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Stone, J.C.A.: Il s'agit de l'appel d'une ordonnance de la Section de première instance en date du 28 novembre 2000 [[2001] 2 C.F. 238] rejetant l'action des appelants contre l'intimée intentée par suite d'un abordage survenu le 21 septembre 1996 entre le MS Lady Brittany et le MS Cape Light II au large de la côte est de l'Île-du-Prince-Édouard. À toutes les époques pertinentes, le MS Cape Light II appartenait à l'appelant Conohan. Au moment de l'abordage, le MS Lady Brittany et son propriétaire Peter K. Gaude t étaient assurés par une police d'assurance maritime établie par l'intimée, laquelle police comportait l'avenant relatif aux bateaux de pêche. Les appelants prétendent que les circonstances décrites ci-après leur donnent le droit, sous le régime de la pol ice, d'être indemnisés des pertes subies par suite de l'abordage.

HISTORIQUE

[2]En avril 1997, l'appelant Conohan a introduit une action réelle et une action personnelle devant la Cour contre le MS Lady Brittany et son propriétaire Gaudet a u double titre de la perte de son bateau et du manque à gagner. Moins de cinq mois plus tard, Gaudet a passé une «Admission de responsabilité, acquiescement à la demande et cession des droits d'action» en faveur de l'appelant Conohan et de son assureur. Il reconnaissait par ce document qu'il ne pouvait opposer aucun moyen de défense à l'action et que l'abordage [traduction ] «résultait exclusivement de mes erreurs de navigation» et de [traduction ] «ma négligence à assurer une surveillance appropriée». Il a m entionné dans ce document et y a annexé une lettre du 6 mai 1997 rédigée par les avocats de l'intimée dans laquelle ils affirmaient ceci: [traduction ] «à moins que la responsabilité de M.  Gaudet ne soit reconnue et qu'il ait fait paiement à cet égard, notre cliente n'est aucunement tenue d'indemniser M. Gaudet, et n'a encore moins l'obligation ou le devoir d'opposer une défense à l'action que menace d'introduire l'assureur du bateau de M.  Conohan». Gaudet a également accepté [traduction ] «de céder au demandeur et à ses assureurs, dans la mesure de leurs intérêts, tous les droits de réclamation et d'action contre The Co-Operators que me confère ma police d'assurance». La cession a été acceptée par l'appel ant Conohan. Subséquemment, soit le 24 septembre 1997, la cession a été acceptée par son assureur, l'appelante Eastern Marine Underwriters Inc.

[3] À cette dernière date, les appelants ont introduit l'action dans laquelle a été rendue l'ordonnance ici attaquée. La cession a été invoquée dans la déclaration. Aucune question ne se pose quant à l'effet de la cession ou à la subrogation des appelants, en raison de la cession, dans les droits de Gaudet pour ce qui est de leur réclamation formée en vertu de la police d'assurance.

[4]Les appelants affirment dans la déclaration que, par suite de l'abordage, l'appelant Conohan a subi des dommages découlant de la perte totale du MS Cape Light II évalués à 66 155,80 $ pour le remplacem ent du bateau et de la perte de sa valeur de récupération, en sus de la somme de 40 000 $ pour manque à gagner. Voici le texte des paragraphes 9 et 10 de la déclaration:

[traduction] 9. En vertu de la police d'assurance, et en particulier de sa clause 16 portant sur les conditions relatives à l'avenant relatif aux bateaux de pêche, la défenderesse était tenue d'indemniser Gaudet des sommes qu'il aurait l'obligation de payer en raison de sa responsabilité au titre des dommages causés à toute personne par su ite d'un abordage, y compris la perte du bateau abordé et de biens à bord de ce bateau ou des dommages matériels causés au bateau et aux biens à bord, et du retard ou de la perte de ce bateau ou de ces biens.

10. Bien qu'elle ait été dûm ent sommée de le faire, la défenderesse a refusé d'indemniser Gaudet et refuse maintenant d'indemniser les demandeurs du fait de la cession.

[5]Dans sa défense, l'intimée a opposé des moyens fondés à la fois sur le prétendu état d'ébriété ou d'ivresse de Gaudet au moment de l'abordage et sur la violation par lui des garanties contenues tant dans la Loi sur l'assurance maritime, L.C. 1993, ch. 22, que dans la police elle-même. Tous ces moyens de défense ont échoué, et aucun n'est directement p ertinent quant au présent appel. Au paragraphe 2 de sa défense, l'intimée, ayant nié expressément les allégations contenues aux paragraphes 9 et 10 de la déclaration, a exigé que les appelants [traduction ] «présentent une preuve formelle à cet égard».

[6] Après la clôture des débats, en juin et en juillet 1999, une conférence préparatoire a été présidée par le protonotaire à Montréal. À cette fin, les parties ont déposé des mémoires en conformité avec le paragraphe 258(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106]. Le 9 juillet 1999, le protonotaire a rendu une ordonnance conformément à la règle 265 à l'égard de la conduite du procès. Le paragraphe 3 de cette ordonnance énumère les «questions en litige précises» que voici:

3. Les questions en litige précises sont les suivantes:

1. La Loi sur l'assurance maritime s'applique-t-elle aux faits de l'espèce?

2. Si la Loi sur l'assurance maritime s'applique aux faits de l'espèce, Gaudet pilotait-il le «Lady Brittany» d'une manière licite dans le contexte de l'article 34 de la Loi?

3. Si la Loi sur l'assurance maritime s'applique aux faits de l'espèce, les pertes subies par Conohan sont-elles attribuables à «l'inconduite délibérée» de Gaudet dans le contexte du paragraphe 53(2) de la Loi?

4. Si la Loi sur l'assurance maritime s'applique et que les réponses aux questions 2 et 3 sont affirmatives, la défenderesse est-elle tenue d'indemniser Gaudet, ou les demandeurs ou eux tous?

5. Gaudet a-t-il enfreint la clause 27 de la police d'assuranc e?

6. Si Gaudet a enfreint la clause 27 de la police d'assurance, la défenderesse est-elle tenue d'indemniser Gaudet, ou les demandeurs ou eux tous?

7. Si la défenderesse est tenue d'indemniser Gaudet, ou les demandeurs ou eux tous, quel est le montant d es dommages subis?

[7]Au procès, le juge O'Keefe a reconnu que la Loi sur l'assurance maritime s'appliquait aux faits de l'espèce, mais a conclu que ne s'appliquait pas l'article 34 de cette Loi créant l'engagement implicite que «l'opération sera exécutée conformément à la loi». Il a aussi décidé que rien ne permettait de croire à l'existence d'une «inconduite délibérée» de la part de Gaudet et que la perte n'était donc pas exclue du fait de l'application du paragraphe 53(2) de la Loi sur l'assurance maritime. À son avis, l'engagement contre «le pilotage en état d'ébriété ou avec facultés affaiblies» que prévoit la clause 27 de la police ne s'appliquait pas non plus aux faits de l'espèce par lui établis. Il a accepté que la somme de 66 155,80 $, convenue par les parties, représentait la perte totale du MS Cape Light II , mais a conclu que la preuve n'avait pas établi le bien-fondé de la réclamation pour manque à gagner. Il a rejeté la demande de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires présentée par les appelants.

[8]Le juge O'Keefe a ensuite abordé l'argument avancé au procès par l'intimée et selon lequel elle n'était pas tenue d'indemniser Gaudet en vertu de la police en raison de la responsa bilité découlant de l'abordage parce que celui-ci ne s'était pas conformé à la soi-disant obligation de [traduction ] «payer avant d'être remboursé» prévue à la clause 16 de l'avenant relatif aux bateaux de pêche. Voici ce que cette clause prévoit:

[traduction] 16. Indemnisation entière pour responsabilité en cas d'abordage

Il est de plus entendu que si le bateau assuré par les présentes aborde un autre bateau et que l'assuré est en conséquence tenu de payer à une ou plusieurs autres personnes, sous forme de dommages-intérêts, des sommes ayant trait à cet abordage en raison de ce qui suit:

a. perte de tout autre bateau ou de biens à bord de ce bateau ou dommages causés au bateau ou aux biens;

b. retard ou perte d'usage de tout autre bateau ou des biens à bord; ou

c. avarie commune, sauvetage ou sauvetage prévu par contrat de tout autre bateau ou des biens se trouvant à bord,

l'assureur remboursera à l'assuré les sommes ainsi payées pourvu cependant que la responsabilité relativement à l'abordage n'excède pas la valeur du bateau assuré par les présentes, et dans les cas où, moyennant le consentement préalable écrit de l'assureur, la responsabilité du bateau a été contestée ou que des mesures ont été prises pour limiter la responsabilité, il paiera également les frais que l'assuré engagera ou sera contraint de payer; cependant, dans les cas où les deux bateaux ont contribué à l'abordage, alors, à moins que la responsabilité des propriétaires de l'un ou l'autre des bateaux ou des deux ne soit limitée par la loi, les demandes de règlement en vertu de la présente clause seront réglées selon le principe des recours entre coassurés comme si les propriétaires de chaque bateau avaient été obligés de payer aux propriétaires de l'autre bateau la m oitié ou toute autre proportion des dommages causés à ceux-ci et autorisés à bon droit contre vérification du solde ou de la somme payable par l'assuré ou à celui-ci du fait de cet abordage.

Il est entendu également que la présente clause ne peut en aucun cas couvrir ni être réputée couvrir toute somme que l'assuré peut être tenu de payer relativement à ce qui suit:

a. l'enlèvement ou la destruction, en vertu de pouvoirs prévus par la loi ou autrement, de tout obstacle, épave, chargement ou autre objet, q uel qu'il soit;

b. tout bien réel ou personnel quel qu'il soit, à l'exception des bateaux ou des biens se trouvant à leur bord;

c. la pollution ou la contamination de biens réels ou personnels, quels qu'ils soient (à l'exception des autres bateaux abordés par le bateau assuré ou des biens se trouvant à leur bord);

d. la cargaison ou d'autres biens à bord ou les engagements du bateau assuré;

e. le décès, le préjudice corporel ou la maladie.

Le juge O'Keefe a conclu que la clause 16 ex igeait que Gaudet paie d'abord avant de pouvoir s'adresser à l'intimée pour être indemnisé de sa responsabilité envers l'appelant Conohan. Il fondait cette conclusion sur la décision rendue par la Chambre des lords dans Firma C-Trade S.A. v. Newcastle Protection and Indemnity Association , [1991] 2 A.C. 1.

[9]Les appelants font valoir que la conclusion du juge O'Keefe selon laquelle l'inobservation de la clause 16 libérait l'intimée de toute responsabilité sous le régime de la police était entachée de deux erreurs distinctes. D'abord, il a commis une erreur ne fût-ce qu'en examinant la question de l'obligation de «payer avant d'être remboursé» de la clause 16 parce qu'elle n'avait pas été dûment soulevée à l'instruction par l'intimée. Ensuite, même si cette question avait été dûment soulevée à l'instruction, le juge O'Keefe a commis une erreur en concluant que l'inobservation de la clause constituait un moyen de défense à la réclamation relative à la responsabilité civile en v ertu de la police. Les appelants ont soulevé deux autres questions. Ils soutiennent que le juge O'Keefe a commis une erreur en concluant que la preuve de la demande pour manque à gagner de l'appelant Conohan n'avait pas été établie. Selon eux, puisque, com me en l'espèce, la responsabilité a été reconnue, le juge O'Keefe a commis une erreur en n'évaluant pas les dommages-intérêts et aurait dû les évaluer le mieux qu'il pût en se fondant sur la preuve produite, même si le montant en cause était affaire de con jecture: Wood v. Grand Valley Railway Co. et al. (1915), 51 R.C.S. 283; Penvidic Contracting Co. Ltd. c. International Nickel Co. of Canada Ltd., [1976] 1 R.C.S. 267; R. c. CAE Industries Ltd., [1986] 1 C.F. 129 (C.A.). Voir également S. Waddams, The Law of Damages (édition à feuilles mobiles, Toronto: Canada Law Book Inc., 2000), aux pages 5-40 à 5-43 et 13-2 à 13-4. Ils prétendent également que l'intimée aurait dû être condamnée à des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs ou au paiement des dépens sur la base procureur-client à titre de pénalité pour avoir rejeté la réclamation en vertu de la police et insisté sur le respect de l'obligation selon laquelle Gaudet devait «payer avant d'être remboursé», alors qu'elle savait très bien qu'il n'en avait pas les moyens.

[10] Tout en appuyant le jugement de première instance, l'intimée prétend que l'appel devrait être rejeté pour le motif supplémentaire que la conduite de Gaudet avant l'abordage et au moment de celui-ci violait l'engagement impli cite que prévoit l'article 34 de la Loi sur l'assurance maritime et selon lequel l'opération maritime «sera exécutée conformément à la loi». Selon l'intimée, Gaudet ne pilotait pas le MS Lady Brittany «conformément à la loi» au sens de cet article puisque, au moment de l'abordage, son alcoolémie dépassait «quatre-vingts milligrammes d'alcool par cent millilitres de sang», en violation de l'alinéa 253b ) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 32, art. 59] du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, et qu'il avait négligé de toute façon d'assurer une veille appropriée en contravention de l'article 5 [édicté par DORS/90-702, art. 3] du Règlement sur les abordages, C.R.C., ch. 1416. Le second volet de cet argument prend appui sur la décision rendue par la Hau te Cour de la Nouvelle-Zélande dans Harbour Inn Seafoods Ltd v Switzerland General Insurance Co Ltd , [1990] 2 NZLR 381. Il ne sera pas nécessaire d'examiner ces arguments.

ANALYSE

[11] Il conviendrait d'examiner en premier lieu les question s touchant l'application de la clause 16. Il s'agit de savoir si la question relative à l'obligation de «payer avant d'être remboursé» a été dûment soulevée à l'instruction et, le cas échéant, si elle constitue un moyen de défense complet à l'action des ap pelants fondée sur la police.

La question de procédure

[12]Il sera à propos d'examiner d'abord l'objection de procédure qu'ont soulevée les appelants. Comme ils le soutiennent, d'après le paragraphe 258(1) des Règles, les parties étaient tenues de déposer leurs mémoires avant la conférence préparatoire. En effet, selon l'alinéa 258(3)d ) des Règles, ces mémoires devaient contenir «un exposé des questions à trancher à l'instruction». En outre, le paragraphe 263b ) exige que les participants à la conférence préparatoire «traite[nt] de [. . .] la simplifica-tion des questions en litige». Comme on l'a vu, le protonotaire a énuméré dans son ordonnance du 9 juillet 1999 les questions en litige telles qu'elles figuraient dans le mém oire relatif à la conférence préparatoire que l'intimée a déposé le 27 mai 1999. Dans leur mémoire relatif à la conférence préparatoire daté du 31 mai 1999, les appelants ont décrit les questions litigieuses en termes beaucoup plus généraux, à savoir [traduction ] «la défenderesse est-elle tenue d'indemniser son assuré [. . .] et d'acquitter les réclama-tions formulées par les demandeurs?».

[13] L'intimée ne s'est pas expressément fondée sur la clause 16 tant dans ses actes de procédure que da ns son mémoire relatif à la conférence préparatoire. Cependant, comme il a été dit, cette question a été expressément soulevée au paragraphe 9 de la déclaration et a reçu une réponse partielle au paragraphe 2 de la défense. Il est clair que le paragraphe 2 , sans toutefois mentionner expressément l'obligation de «payer avant d'être remboursé» prévue à la clause 16, a effectivement opposé cette obligation comme moyen de défense en rejetant l'argument énoncé au paragraphe 9 de la déclaration. De plus, il est évident que les appelants, très tôt dans cette affaire, connaissaient bien la position de l'intimée, comme l'atteste la lettre des avocats datée du 6 mai 1997 qui était annexée à l'«Admission de responsabilité, acquiescement à la demande et cession des droi ts d'action». Je le répète, et l'intimée l'a souligné, la question de l'obligation de «payer avant d'être remboursé» prévue à la clause 16 a été abordée dans les débats à l'instruction, d'abord par les appelants, ensuite par l'intimée, et, enfin, par les a ppelants en réplique. Les appelants prétendent qu'ils se sont fondés sur la clause dans leurs actes de procédure à seule fin de réclamer la protection en vertu de la police. À mon avis, cependant, la clause, telle qu'elle a été invoquée au paragraphe 9 de la déclaration et au paragraphe 2 de la défense, a mis en cause l'intégralité de la clause 16, et non pas seulement la réclamation par les appelants de la protection afférente, mais aussi l'obligation de «payer avant d'être remboursé».

[14] Évidemment, il est essentiel que les parties à une action se conforment entièrement à une ordonnance rendue à l'issue d'une conférence préparatoire à l'instruction en vertu de la règle 265, à moins qu'elles n'en soient dispensées par consentement ou par la Cour. Autrement, cette règle très utile perdra ni plus ni moins toute son utilité. Étant donné les circonstances que je viens de décrire, je suis d'avis que le juge O'Keefe n'était pas mal venu d'examiner l'argument présenté par les parties et fondé sur l a clause 16 de la police. Cette clause est importante et pertinente. Par ailleurs, on ne peut prétendre sérieusement que, parce qu'elle n'a pas été expressément invoquée ou énumérée dans l'ordonnance du protonotaire, les appelants ont été pris par surprise et ont été, par conséquent, lésés dans leur production de la preuve ou, d'une autre manière, dans la poursuite de leurs réclamations au procès.

[15]La règle 174 exige qu'une partie fournisse «un exposé concis des faits su bstantiels sur lesquels la partie se fonde», ce qui constitue un principe fondamental dans les actes de procédure. À mon avis, les faits touchant au moyen de défense fondé sur la clause 16 sont peu nombreux et directs. L'intimée a suffisamment fait valoir que, parce que Gaudet n'avait rien payé à l'appelant Conohan pour l'acquittement de sa responsabilité découlant de l'abordage, il n'avait pas le droit, en raison de la clause 16, d'être payé en vertu de la police. Même si on peut dire que l'intimée n'a pas invoqué l'obligation de «payer avant d'être remboursé» que prévoit la clause 16, mais uniquement les autres moyens de défense énumérés dans l'ordonnance du protonotaire, cela ne l'empêche pas, à mon sens, d'invoquer cette obligation. Comme l'a expliqué le maître des rôles lord Denning dans Vandervell's Trusts (No. 2), In re, [1974] Ch. 269 (C.A.), aux pages 321 et 322:

[traduction] Il suffit que le plaideur énonce les faits importants. Il n'est pas nécessaire qu'il indique le résultat juridique. Si, par s ouci de commodité, il le fait, il n'est pas lié par ce qu'il a dit ni limité par cela. Il peut, dans son argumentation, présenter toute conséquence juridique justifiée par les faits.

Voir également 384238 Ontario Limited c. La Reine du chef du Canada , [1984] 1 C.F. 661 (C.A.), à la page 678. R. c. Imperial General Properties Limited , [1985] 1 C.F. 344 (C.A.), aux pages 351 et 352. Comparer avec Scotsburn Co-operative Services Ltd. c. W.T. Goodwin Ltd., [1985] 1 R.C.S. 54, à la page 65.

La question de fond

[16] En abordant la question qui nous occupe, il importe de se rappeler, comme le dit effectivement le paragraphe 6(1) de la Loi sur l'assurance maritime, qu'un contrat d'assurance maritime «est le contrat par lequel l'assureur s'engag e à indemniser l'assuré selon les modalités et dans la mesure qui y sont précisés» (je souligne). Cette caractéristique fondamentale de l'assurance maritime est le fil conducteur de la jurisprudence existante illustrée par Goole & Hull Steam Towing Co. v. Ocean Marine Insurance Co. (1927), 29 Ll.L.Rep. 242 (K.B.). Dans cette affaire, le juge McKinnon a déclaré, à la page 244:

[traduction] Le contrat d'assurance maritime est souvent décrit comme un contrat d'indemnisation, mais j'estime qu'il faut toujours se rappeler qu'il ne constitue pas un contrat d'indemnisation idéalement, mais qu'il se rapporte à l'indemnisation selon les modalités conventionnelles du marché. Lorsqu'il y a perte, la question n'est presque jamais de savoir--probablement jamais, je pense, certainement presque jamais--de savoir combien l'assuré a perdu. Il se pourrait qu'il s'agisse là de la bonne question si l'objet du contrat était de fournir une indemnisation idéale. La véritable question en l'espèce est celle-ci: Quelle est la valeur de l'indemnité qui, s elon le marché, a été promise à l'assuré? [Je souligne.]

[17]La clause d'abordage a évolué en Angleterre au cours du XIXe siècle après que les tribunaux avaient déterminé que les polices d'assurance maritime de l'époque ne répondaient pas, en cas d'abordage, à la responsabilité de l'assuré négligent envers les tiers. Une partie de cette lacune a été comblée par l'industrie de l'assurance qui a accepté dans ses contrats d'assurance de couvrir les trois quarts de cette responsabilité, laissant aux sociétés d'assurance mutuelle des armateurs (les clubs de protection et d'indemnisation) le soin de couvrir l'excédent: voir A. Parks, The Law and Practice of Marine Insurance and Average , vol. II (Centreville, Md.: Cornell Maritime Press, 1987), aux pages 832 et 833; Mercantile Mutual Insurance (Australia) Ltd. v. Gibbs & Anor, [2001] W.A.S.C.A. 271 (C.S. Australie-Occidentale), aux paragraphes 71 à 79. Dans la présente espèce, ainsi que nous l'avons vu, la clause 16 couvrait entièrement la responsabilité éventuelle envers les tiers en cas d'abordage. Une clause du genre est devenue de plus en plus commune dans le marché de l'assurance maritime: M. Mustill and J. Gilman, Arnould's Law of Marine Insurance and Average, 16e éd., vol. II (Londres, Stevens & Sons, 1981), à la page 664 et suivantes.

[18]Il y a donc tout lieu de replacer dans son contexte historique la clause d'abordage que stipule la police. En common law, une action ne pouvait être fondée sur un contrat d'indemnisation que si la personne qui cherchait à se faire indemniser avait effectivement subi une perte: Collinge c. Heywood (1839), 9 Ad. & E. 633; 112 E.R. 1352 (K.B.). Subséquemment, dans Richardson, In re. Ex parte St. Thomas's Hospital (Governors of), [1911] 2 K.B. 705 (C.A.), le maître des rôles Cozens-Hardy a déclaré, à la page 709:

[traduction] Il est un principe établi en common law que, dans le cas d'un contrat d'indemnisation, une action ne peut être introduite que si une perte réelle s'est également produite. Selon la common law, vous devez d'abord payer avant de saisir le tribunal d'une réclamation fondée sur votre contrat d'indemnisation.

Comme le maître des rôles l'a ensuite expliqué, l'equity a trouvé un moyen d'atténuer la rigueur de cette règle en exigeant que la partie indemnisatrice paie directement le créancier ou paie la personne indemnisée avant qu'elle ait payé le créancier. Le contrat d'assurance ne contenait aucune clause expresse relative à l'obligat ion de «payer avant d'être remboursé». Voir également County & District Properties Ltd. c. C. Jenner & Son Ltd. and Others , [1976] 2 Lloyd's Rep. 728 (Q.B.), où la jurisprudence antérieure sur le même point est rassemblée et examinée, ainsi que les opinion s concourantes de lord Goff of Chieveley dans Firma, précité, à la page 33 et suivantes. Voir également S. Hazelwood, P & I Clubs: Law and Practice , 3e éd. (Londres, Lloyd's, 2000), aux pages 351 à 355.

[19] Néanmoins, les appelants prétendent que le juge O'Keefe a commis une erreur en statuant que la clause 16 ne pouvait imposer quelque obligation que ce soit à l'intimée aussi longtemps que Gaudet ne payait pas d'abord la réclamation de l'appelant Conohan et qu'il s'est mépris sur l'obligation légale imposée par la clause en se fondant sur la décision que la Chambre des lords a rendue dans l'affaire Firma , précitée. Dans cette affaire, la question était de savoir si les demandeurs étaient titulaires d'un droit d'action dire ct sous le régime de la loi intitulée Third Parties (Rights against Insurers) Act, 1930 (R.-U.), 20 & 21 Geo. V, ch. 25 contre deux clubs de protection et d'indemnisation dans lesquels les navires étaient inscrits, mais dont les membres avaient été liquidés. Selon le paragraphe 1(1) de cette Loi, en cas de liquidation d'un assuré, [traduction ] «les droits qu'il peut opposer à l'assureur en vertu du contrat au titre de la responsabilité seront transférés au tiers--et dévolus à ce dernier--envers qui la respons abilité a été encourue». La question principale examinée dans Firma , précité, portait sur l'interprétation de deux règles des clubs de protection et d'indemnisation, qui constituaient une police d'assurance. D'après ces règles, les clubs s'engageaient à pr otéger et à indemniser leurs membres à l'égard des pertes ou des réclamations que le membre [traduction ] «sera responsable de payer et aura effectivement payées». Il a été soutenu que l'obligation de payer d'abord la perte subie par le tiers ne constituait pas une condition préalable au recouvrement sous le régime des contrats d'assurance et que, dans le cas contraire, les demandeurs avaient droit à un recours en equity contre la rigueur de ce résultat.

[20]La Chambre des lords a marqué son désaccord. En examinant les questions posées, lord Brandon of Oakbrook s'est posé trois questions. La première était la suivante: Quels droits, le cas échéant, les membres avaient-ils contre les clubs en vertu de leurs contrats d'assurance concernant les ob ligations encourues antérieurement envers les tiers immédiatement avant que les membres ne soient liquidés? Lord Brandon a répondu à cette question comme suit, aux pages 27 et 28:

[traduction] En ce qui concerne la première question, selon le sens ordinai re et naturel de ces règles des clubs qui contenaient les clauses relatives à l'obligation de «payer avant d'être remboursé», les membres n'avaient pas le droit d'être indemnisés par les clubs à l'égard des obligations qu'ils avaient encourues envers des t iers que s'ils s'étaient acquittés eux-mêmes d'abord de ces obligations. En d'autres termes, le paiement par les membres aux tiers constituait une condition préalable au paiement par les clubs aux membres. Cette interprétation des règles pertinentes semble avoir été acceptée devant les juges Saughton et Saville. Cependant, à la Cour d'appel, on a soutenu pour la première fois, pour le compte des tiers que, d'après les principes d'equity, les membres avaient droit à indemnisation par les clubs aussitôt que l'existence et les montants des obligations avaient été établis sans qu'il fût nécessaire pour eux de s'acquitter eux-mêmes d'abord de ces obligations.

Il ne fait aucun doute que, avant l'adoption des lois intitulées Supreme Court of Judicature Acts 1873 e t 1875, il y avait une différence entre les recours que l'on pouvait invoquer pour exécuter un contrat ordinaire d'indemnisation (c'est-à -dire un contrat d'indemnisation ne contenant aucune obligation explicite de «payer avant d'être remboursé») en common law, d'une part, et en equity , d'autre part. En common law, l'indemnitaire devait lui-même d'abord s'acquitter de l'obligation avant de pouvoir intenter à la partie indemnisatrice une action en dommages-intérêts pour rupture de contrat. En equity , on pouvait prescrire l'exécution en nature d'un contrat ordinaire d'indemnisation en ordonnant que la partie indemnisatrice paie le montant en cause directement au tiers bénéficiaire de l'obligation ou, dans certains cas, à la partie devant être indemnisée. Johnston c. Salvage Association (1887) 19 Q.B.D. 458, 460, le lord juge Lindley; British Union and National Insurance Co. c. Rawson, [1916] 2 Ch. 476, 481-482, lord juge Pickford. Il ne fait également aucun doute que, depuis l'adoption des lois intitulées Suprem e Court of Judicature Acts 1873 et 1875, le recours en equity a supplanté le recours en common law.

La difficulté à laquelle se bute cet argument pour les tiers réside cependant dans les clauses expresses relatives à l'obligation de «payer avant d'être remboursé» que l'on trouve dans les règles pertinentes des clubs. En principe, il est difficile de concevoir comment l'equity pouvait écarter ces clauses expresses ou y déroger, et aucun précédent n'a été invoqué devant Vos Seigneuries p our appuyer l'argument démontrant qu'il le pouvait. La Cour d'appel a rejeté pour cette raison cet argument en se fondant sur les principes d'equity invoqués en faveur des tiers et j'estime qu'elle était fondée à le faire.

En fin de compte, je répondrais à la première question en disant que immédiatement avant que l'ordonnance de liquidation visant les membres ne fût rendue, ils n'étaient titulaires que de droits conditionnels contre les clubs à l'égard des obligations qu'ils avaient encourues envers les t iers. Les droits étaient conditionnels en ce sens qu'une condition préalable prévoyait que les membres ne pouvaient être indemnisés par les clubs à l'égard de ces obligations que s'ils s'étaient auparavant acquittés eux-mêmes de ces obligations.

[21]Dans des motifs concordants, lord Goff of Chieveley a souligné de façon encore plus catégorique l'effet de la clause relative à l'obligation de «payer avant d'être remboursé». En rejetant l'argument selon lequel les demandeurs étaient en droit d'être indemnisés sous le régime des règles des clubs parce qu'ils ne pouvaient pas payer eux-mêmes, il a déclaré, à la page 31:

[traduction] Je ne nierai pas que j'étais étonné par le point soulevé au début, et même en l'examinant de plus près, je n'étais p as plus disposé à l'accepter. À mon avis, cet argument est fondamentalement défectueux. Je pars du point suivant: ce qui est transféré et dévolu au tiers est le droit que le membre peut opposer au club. Ce droit est, au mieux, un droit conditionnel à l'ind emnisation, puisqu'il était assujetti à la condition voulant que le membre ait effectivement payé la réclamation ou la dépense pertinente. Si cette condition n'est pas remplie, le membre n'est titulaire d'aucun droit actuel lui permettant d'être indemnisé par le club. En l'espèce, la réclamation ou la dépense pertinente n'a jamais été payée par le membre ou, de fait, par quiconque d'autre pour son compte. Cette condition n'ayant pas été remplie, le membre n'est titulaire d'aucun droit actuel lui permettant d'être indemnisé et le transfert légal de son droit à un tiers ne peut placer ce dernier dans une meilleure position que le membre. C'est aussi simple que cela.

Il a également reconnu que l'equity ne pouvait déroger à l'accord contractu el clairement exprimé dans les règles des clubs. Comme il l'a dit, à la page 36: [traduction ] «L'equity ne peut corriger les marchés conclus». Il était également d'avis, à la page 37, que l'incapacité de payer la réclamation du tiers résultant de la liquid ation des assurés était sans importance: [traduction ] «À la suite de l'insolvabilité d'un membre, ou d'une ordonnance de liquidation, ses droits contractuels demeurent inchangés; tout comme auparavant, un droit conditionnel au remboursement existe, bien qu'il s'agisse d'un droit dont le membre, dans les nouvelles circonstances, est moins en mesure d'exercer». Pour une application récente de l'arrêt Firma , précité, voir Total Liban S.A.L. v. Vitol Energy S.A. , [1999] 2 Lloyd's Rep. 700 (Q.B.). Il me semble q ue le raisonnement énoncé dans l'arrêt Firma , précité, fournit un cadre d'analyse pour la présente affaire.

[22]Les appelants prétendent que l'arrêt Firma , précité, ne contient pas de principe d'application large tel celui qui régit la respo nsabilité sous le régime d'une clause d'abordage dans une police d'assurance maritime non mutuelle. Ils soulignent que, dans l'arrêt Firma , il s'agissait de déterminer le sens d'une règle d'un club de protection et d'indemnisation, qui faisait partie d'un contrat d'assurance mutuelle, plutôt que d'une clause dans une police d'assurance maritime ordinaire disponible sur le marché libre. Je ne suis pas persuadé, cependant, que cette différence devrait dicter un résultat différent. À mon avis, ce qui importe l e plus est le libellé explicite de la clause  16 lui-même qui s'applique à la responsabilité en cas d'abordage lorsque l'assuré «est  [. . .]  tenu de payer  [. . .]  sous forme de dommages-intérêts». En effet, ces mots ressemblent de façon saisissa nte à ceux qui devaient être interprétés dans l'arrêt Firma , précité. À mon avis, la question de savoir si la clause 16 énonce une condition préalable à l'indemnisation constitue essentiellement une question d'interprétation du libellé de la clause.

[23]Peut-être se surprendra-t-on de constater que la jurisprudence nous renseigne très peu sur la question de savoir si la clause relative à l'obligation de «payer avant d'être remboursé» constitue un obstacle au recouvrement au titre d'une clause d'abordage en dehors du cadre de l'assurance maritime mutuelle. Dans un de ces arrêts, on a souligné que l'objet de l'obligation de «payer avant d'être remboursé» des règles du club de protection et d'indemnisation [traduction ] «est de répondre aux besoin s spéciaux d'un régime d'assurance mutuelle dans l'association ou le club d'un membre» et qu'une telle règle [traduction ] «n'a pas du tout sa place dans un contrat d'assurance commerciale, c'est-à -dire ailleurs que dans le cadre d'un club»: «Italia Express» (No. 2), The, [1992] 2 Lloyd's Rep. 281 (Q.B.), à la page 298. La question à trancher dans cette affaire était de savoir si la clause de protection et d'indemnisation prévue dans une police d'assurance commerciale incorporait toutes les règles du club de protection et d'indemnisation dans lequel le navire avait été assuré, y compris la règle relative à l'obligation de «payer avant d'être remboursé». Le tribunal a conclu que, sur le plan de l'interprétation, cette règle n'était pas incorporée dans la polic e. Selon moi, cet arrêt n'appuie pas l'argument selon lequel, lorsqu'une police d'assurance non mutuelle comporte expressément l'obligation de «payer avant d'être remboursé», cette obligation ne devrait pas être interprétée de la même manière qu'elle l'est quand elle est stipulée dans une police d'assurance mutuelle.

[24]Dans Charter Reinsurance Co. Ltd. v. Fagan, [1997] A.C. 313 (H.L.), la question s'est posée de savoir si, sous le régime des contrats d'assurance en excéde nt de sinistres, les réassureurs ne seraient responsables que «si» la perte nette ultime subie par l'assuré dépassait un montant précis, le terme «perte nette» étant défini dans les contrats comme [traduction ] «la somme effectivement payée». À la page 386, lord Mustill s'est dit d'avis que, à la lumière de la police dans son ensemble, les mots [traduction ]  «"la somme effectivement payée"  [. . .]  ne sont pas destinés à imposer une condition préalable additionnelle par rapport au décaissement des fonds , mais permettent d'insister sur le fait que c'est l'issue ultime du calcul de la perte nette qui détermine la responsabilité ultime  sous le régime de la police». Il a ajouté que le mot «"effectivement" («actually») signifie [traduction ] "lorsque l e sinistre est définitivement déterminé" et le mot payée («paid») signifie [traduction ] "exposé à la responsabilité par suite du sinistre assuré"». En exprimant ce point de vue, il a fait remarquer, à la page 386, que cette interprétation pouvait être [traduction] «fort éloignée des sens ordinaires des mots et que ceux-ci pouvaient comporter des sens étrangers à ceux qu'ils auraient eus dans d'autres polices», mais que les mots devaient être interprétés [traduction ]  «dans le sens très technique qu'ils p ossèdent en matière de réassurance». Encore une fois, comme il paraît, la signification de la clause en cause dans cette affaire se ramenait manifestement à une question d'interprétation à la lumière de l'objet envisagé. Lord Mustill a établi une distincti on d'avec l'arrêt Firma , précité, pour le motif qu'on avait conclu dans cet arrêt que l'intention était de prévoir une condition préalable, ce qui n'était pas le cas dans l'affaire dont il était saisi. J'estime que l'arrêt Charter Reinsurance , précité, ne nous est d'aucune utilité pour répondre à la question de savoir si le fait de s'acquitter de l'obligation de «payer avant d'être remboursé» que prévoit la clause 16 de cette police d'assurance maritime ordinaire devrait être considéré comme une condit ion préalable au recouvrement en vertu de cette police.

[25] Selon certains arrêts anglais, l'obligation de «payer avant d'être remboursé» que prévoit une clause d'abordage dit bien ce qu'elle dit, savoir que l'assuré doit acquitter l'obliga tion avant que l'assureur ne soit tenu de l'indemniser. Dans Raiffeisen Zentralbank Österreich A.G. v. Five Star Trading L.L.C. and Others (The —Mount I—), [2001] EWCA Civ 68 , [2001] 1 Lloyd's Rep. 597 (C.A.), le tribunal était prié d'interpréter une claus e dans une police d'assurance maritime aux termes de laquelle les assureurs s'étaient engagés à indemniser l'assuré [traduction ] «de toute somme par lui payée à une ou plusieurs personnes parce qu'il est légalement tenu de payer sous forme de dommages-intérêts». Le lord juge Mance a exprimé l'avis, à la page 615, que, même si le libellé de l'assurance abordage n'était pas aussi [traduction ] «limpide» que celui en cause dans l'arrêt Firma , précité, il [traduction ] «voulait probablement dire que Five Star ne recouvrerait rien des assureurs au titre de la responsabilité relativement à l'abordage, sauf pour ce qui est des réclamations antérieurement «payées» au tiers, au sens de décaissées, du fait de cette responsabilité». Dans H. Hurd, The Law and Practice of Marine Insurance , 2e éd. (Londres: Sir Isaac Pitman & Sons, 1952), à la page 107, l'éminent auteur énonce de façon générale:

[traduction] Les mots «est tenu de payer» limitent davantage le droit de recouvrement en vertu de la clause d'abordage dans la mes ure où l'obligation de l'assureur est assujettie non seulement à la responsabilité de l'assuré au regard de l'abordage, mais également au paiement effectif des dommages-intérêts découlant de l'abordage [. . .]

Un point de vue quelque peu semblable a été exprimé dans Arnould's Law of Marine Insurance and Average, 16e éd., vol. 3 (Londres: Sweet & Maxwell, 1997), à la page 69. Ici, au Canada aussi, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a statué que l'arrêt Firma , précité, [traduction ]  «établit le principe simple voulant que les obligations d'un contrat d'indemnisation découlent de sa teneur»: MacMillan Bloedel Ltd. c. Youell (1993), 95 B.C.L.R. (2d) 130 (C.A.), au paragraphe 30.

[26]Il me semble que la question examinée en l'espèce est purement interprétative. L'obligation de «payer avant d'être remboursé» prévue par la clause 16 oblige-t-elle Gaudet à payer les dommages subis par l'appelant Conohan en raison de l'abordage avant de pouvoir se faire rembourser en vertu de la police? À mon avis, le sens ordinaire des mots employés dans la clause exigeait clairement, comme condition préalable au recouvrement, que paiement fût fait d'abord au tiers. À mon sens, la ratio de Firma , précité, s'applique à l'interprétation de la c lause 16, dont le libellé est bien trop clair pour se prêter à l'application des principes d'equity. En l'espèce, j'adopterais par voie d'analogie l'opinion exprimée par lord Jauncey of Tullichettle dans l'arrêt Firma , précité, à la page 42, quant à l'obje t et à l'effet d'une clause clairement libellée concernant l'obligation de «payer avant d'être remboursé» prévue dans un contrat d'assurance: [traduction ]  «En conséquence, je conclus que les dispositions des règles pertinentes ne se font pas simplement l'écho de ce qu'est déjà la règle en common law, mais elles ajoutent une disposition précise à ce qui serait autrement un contrat d'indemnisation ordinaire. Cette disposition qui ne se prête qu'à une seule interprétation produit l'effet nécessaire pour pouvoi r supplanter la règle d'equity

[27]Finalement, je ferais remarquer que les mots de la clause 16 figurant après la disposition vers la fin de la clause étayent cette conclusion. Ce sont les suivants: «any sum which the insured may become liable to pay or shall pay» [toute somme que l'assuré peut être tenu de payer]. L'emploi de la conjonction disjonctive «or» contraste fortement avec la conjonction de coordination «and» dans le membre de phrase en cause et laisse de nouveau entendre que le m embre de phrase précédent impose une condition préalable qui doit être satisfaite avant l'indemnisation.

[28]Les appelants ont exhorté la Cour à se laisser guider par la jurisprudence américaine qui interprète la soi- disant clause d'«immunité de poursuite» dans une police d'assurance responsabilité générale. Une telle clause stipule généralement que l'assureur bénéficie de l'immunité contre les poursuites, sauf si [traduction ] «comme condition préalable [. . .] l'assuré s'est entière-ment conformé à toutes les modalités de la police et que le montant de son obligation de payer aura été définitivement déterminé soit par jugement rendu contre lui après instruction en bonne et due forme, soit par entente écrite entre l'ass uré, le réclamant et la compagnie». Les tribunaux américains ont statué que la clause d'«immunité de poursuite» ne produit aucun effet lorsque l'assureur refuse la protection dans une situation où elle existe ou retarde indûment le règlement, forçant l'ass uré à procéder au règlement séparément: Thomas W. Hooley & Sons c. Zurich General Acc. & Liability Ins. Co. , 103 So. 2d 449 (La. 1958); Emile M. Babst Co., Inc. c. Nichols Const. Corp., 488 So. 2d 699 (La. App. 1 Cir. 1986). Dans le premier de ces arrêts, il a été conclu que le refus de la responsabilité n'était pas justifié et que le droit au remboursement était clairement prévu par le contrat d'assurance. De plus, dans le second arrêt, la réclamation de l'assuré était manifestement couverte par la police.

[29]Les appelants ont soutenu que l'obligation de «payer avant d'être remboursé» prévue par la clause 16 devrait être interprétée de la même façon, et, en particulier, que l'intimée ne devrait pas profiter de cette obligation en raison de l a manière avec laquelle elle a répondu à la réclamation et conduit sa défense. Je ne peux prendre appui à cet égard sur la jurisprudence américaine susmentionnée, qui interprétait une clause différemment formulée dans un contexte autre que l'assurance mari time.

[30]De plus, bien qu'il soit vrai que, en vertu de l'article 20 de la Loi sur l'assurance maritime, un contrat d'assurance maritime «est fondé sur la plus absolue bonne foi et si celle-ci n'est pas observée par l'une des parties, l'autre peut annuler le contrat», je ne peux conclure que l'intimée n'a pas respecté l'obligation ainsi imposée. Le contenu et l'application de la notion de la «plus absolue bonne foi» ont reçu une explication utile de la part du juge Aikens dans —Mercandian Continent— (The), [2000] 2 Lloyd's Rep. 357 (Q.B.), aux pages 368 à 379. Je ne suis pas persuadé que, par les mesures qu'elle a prises en réponse à la réclamation et dans la conduite de sa défense, l'intimée a perdu la protection de l'obligation de «payer avant d'être remboursé». Bien qu'un certain nombre de moyens de défense soulevés n'aient pas été retenus, ces moyens de défense, peut-être à une exception près, semblent avoir été opposés de bonne foi et non dans le but de retarder ou de refuser de payer une réclamation valable de toute façon. L'exception, s'il en existe une, était le fait que l'intimée continuait à invoquer l'engagement de la clause 27 contre «le pilotage du bateau en état d'ébriété ou avec facultés affaiblies», malgré le fait que, bien a vant le procès, Gaudet avait été reconnu par les tribunaux de l'Île-du-Prince-Édouard non coupable d'une telle infraction sous le régime du Code criminel . Toutefois, je ne pense pas que cette insistance était motivée par une mauvaise foi telle qu'elle aura it préclus l'intimée d'invoquer l'obligation de «payer avant d'être remboursé» énoncée à la clause 16. Il convient de noter que le juge O'Keefe a soigneusement examiné chacun de ces moyens de défense avant de les rejeter et qu'il n'a affirmé d'aucune manière que l'intimée était animée dans sa défense par la mauvaise foi.

Autres questions en litige

[31] La demande pour manque à gagner est fondée sur l'argument selon lequel, si l'obligation de «payer avant d'être remboursé» prévue par la clause 16 ne s'appliquait pas, l'intimée devrait en retour indemniser l'appelant Conohan de cette perte. Compte tenu de ma conclusion sur la question de l'interprétation de la clause 16, la question du manque à gagner n'appelle aucune décisio n. En outre, je ne vois rien dans la manière dont l'intimée a traité la réclamation dans l'action qui pût justifier une adjudication des dépens, encore moins de dépens sur la base procureur-client. De même, aucune justification n'a établi le bien-fondé d'u ne adjudication de dommages-intérêts exemplaires ou punitifs dans cet appel infructueux.

DISPOSITIF

[32]Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.

Le juge Evans, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Malone, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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