Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-484-14

2014 CF 1066

Alliance de la fonction publique du Canada (demanderesse)

c.

Procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général)

Cour fédérale, juge Manson—Ottawa, 4 et 13 novembre 2014.

Fonction publique — Relations du travail — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’appel du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada a annulé une instruction donnée par une agente de santé et sécurité (ASS), qui était d’avis que l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) avait l’obligation de nommer une personne compétente pour faire enquête sur une plainte de contravention alléguée à l’art. 125(1)z.16) du Code canadien du travail et à l’art. 20.9(3) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail — L’employé de l’ACIA alléguait entre autres un traitement injuste et un manque de respect de la part de son superviseur — Le directeur régional de l’ACIA chargé de l’examen des faits a conclu à l’absence de preuve de harcèlement — Un ASS a donné instruction à l’ACIA de nommer une personne compétente pour faire enquête sur la plainte — L’agent d’appel a conclu que les actes allégués de harcèlement ne constituaient pas de la « violence dans le lieu de travail », et que l’employeur n’était donc pas tenu de nommer une « personne compétente » pour faire enquête — Il s’agissait de savoir ce que constitue de la « violence dans le lieu de travail », et si une interprétation raisonnable de cette définition exclut le harcèlement; si l’employeur a le pouvoir de faire enquête sur les plaintes de violence dans le lieu de travail à titre de « personne compétente » et, dans la négative, à quelle étape il faut avoir recours à une personne compétente — Le harcèlement peut constituer de la violence dans le lieu de travail — La définition de « violence dans le lieu de travail » est suffisamment vaste pour comprendre les gestes de harcèlement d’une personne qui causent un dommage mental ou psychologique ou une maladie — Une enquête faite par une personne compétente aurait pu établir que le harcèlement aux présentes constituait de la violence dans le lieu de travail — La décision de l’agent d’appel était déraisonnable — L’évaluation préliminaire faite par l’employeur quant à la plainte doit se résumer à l’examen des faits, dans une tentative de résoudre le différend avec l’employé et de faciliter la médiation — Si l’examen des faits initial ne permet pas de résoudre le différend, l’employeur a l’obligation impérative de nommer une personne compétente, impartiale et qui a des connaissances au sens du Règlement — Le directeur régional n’avait pas compétence pour mener une enquête complète en l’espèce — La conclusion de l’agent d’appel était fondée de manière inappropriée et incorrecte sur une enquête injustifiée — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’appel du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada a annulé une instruction donnée par une agente de santé et sécurité (ASS), qui était d’avis que l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) avait l’obligation de nommer une personne compétente pour faire enquête sur une plainte de contravention alléguée à l’alinéa 125(1)z.16) du Code canadien du travail (le Code) et au paragraphe 20.9(3) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement).

Un employé de l’ACIA a présenté une plainte écrite, dans laquelle il soulevait des allégations de mauvaise communication, de favoritisme, d’humiliation, de traitement injuste et de manque de respect de la part de son superviseur. Un directeur régional de l’ACIA, chargé de procéder à un examen des faits concernant les allégations soulevées par l’employé, a conclu à l’absence de preuve de harcèlement, de sorte qu’une enquête plus poussée n’était pas nécessaire. L’ASS a donné instruction à l’ACIA de nommer une personne compétente pour faire enquête sur la plainte, conformément au Code et à la partie XX du Règlement. Annulant l’instruction, l’agent d’appel a conclu que les actes allégués de harcèlement ne constituaient pas de la « violence dans le lieu de travail » au sens du Règlement, et que l’employeur n’était donc pas tenu de nommer une « personne compétente » pour faire enquête.

Il s’agissait de savoir ce que constitue de la « violence dans le lieu de travail », et si une interprétation raisonnable de cette définition exclut le harcèlement; si l’employeur a le pouvoir de faire enquête sur les plaintes de violence dans le lieu de travail à titre de « personne compétente » et, dans la négative, à quelle étape du processus de plainte il faut avoir recours à une personne compétente.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Le harcèlement peut constituer de la violence dans le lieu de travail, selon les circonstances de chaque cas. Rien dans le Code ni dans le Règlement ne permet d’atténuer l’interprétation du libellé de l’article 20.2 de la partie XX du Règlement. La définition de « violence dans le lieu de travail » est suffisamment vaste dans son sens simple et ordinaire pour comprendre les gestes de harcèlement d’une personne qui causent un dommage mental ou psychologique ou une maladie. Conclure autrement reviendrait à restreindre indûment la définition de la « violence dans le lieu de travail » et priver cette définition d’une interprétation utilitaire. Rien dans la partie XX du Règlement n’empêche un employé d’alléguer que le harcèlement constitue de la violence. Le harcèlement comme celui qu’a subi l’employé en l’espèce peut constituer de la violence dans le lieu de travail si, au terme d’une enquête faite par une personne compétente, il est déterminé que le harcèlement comprend des agissements, un comportement ou des gestes qui pourraient vraisemblablement causer un dommage, un préjudice ou une maladie à l’employé.

La décision de l’agent d’appel était déraisonnable. Si l’employeur ne peut supposer que toutes les plaintes de violence dans le lieu de travail alléguée doivent faire l’objet d’une enquête conformément à la partie XX du Règlement, il est évident que l’évaluation préliminaire faite par l’employeur doit se résumer à l’examen des faits, dans une tentative de résoudre le différend avec l’employé et de faciliter la médiation, le cas échéant, conformément au paragraphe 20.9(2) de la partie XX du Règlement. Si l’examen des faits initial ne permet pas de résoudre le différend et que l’allégation de violence dans le lieu de travail demeure une question en litige entre l’employeur et l’employé, à moins qu’il ne soit évident que la plainte ne concerne pas une situation de violence dans le lieu de travail, l’employeur a l’obligation impérative, sous le régime du paragraphe 20.9(3), de nommer une personne compétente, au sens du paragraphe 20.9(1) de la partie XX du Règlement, pour faire enquête. Cette personne doit être impartiale et considérée comme telle par les parties, avoir des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine de la violence dans le lieu de travail, et connaître les textes législatifs applicables. Dans le présent cas, le directeur régional n’avait pas compétence pour mener une enquête complète, étant donné que son impartialité n’avait pas été reconnue par l’employé. La conclusion de l’agent d’appel selon laquelle les actions et les gestes ne correspondaient pas à de la violence dans le lieu de travail était fondée de manière inappropriée et incorrecte sur une enquête injustifiée, sans bénéficier de l’enquête d’une telle personne impartiale qui aurait décidé si le harcèlement constituait ou non de la violence dans le lieu de travail.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 122, 125(1)z.16).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 41(1)c).

Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, DORS/86-304, art. 20.1 à 20.10.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, tarif B, colonne III.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions citées :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; R. c. Steele, 2014 CSC 61, [2014] 3 R.C.S. 138.

demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’appel du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada a annulé une instruction donnée par une agente de santé et sécurité, qui était d’avis que l’employeur avait l’obligation de nommer une personne compétente pour faire enquête sur une plainte de contravention alléguée à l’alinéa 125(1)z.16) du Code canadien du travail et au paragraphe 20.9(3) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Andrew Raven pour la demanderesse.

Richard Fader pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck, s.e.n.c.r.l., s.r.l., Ottawa, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        Le juge Manson : La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 27 janvier 2014 par laquelle un agent d’appel du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Tribunal) a annulé une instruction donnée par une agente de santé et sécurité (ASS), qui était d’avis que l’employeur avait l’obligation de nommer une personne compétente pour faire enquête sur une plainte de contravention alléguée à l’alinéa 125(1)z.16) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2) (le Code) et au paragraphe 20.9(3) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, DORS/86-304 (le Règlement).

I.          Contexte factuel

[2]        Le 28 novembre 2011, un employé de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) s’est plaint verbalement auprès de son superviseur à propos de leur relation de travail.

[3]        Le 2 décembre 2011, l’employé a présenté une plainte écrite, dans laquelle il soulevait des allégations de mauvaise communication, de favoritisme, d’humiliation, de traitement injuste et de manque de respect de la part de son superviseur.

[4]        En janvier 2012, M. Schmidt, directeur régional de l’ACIA pour la Saskatchewan (le directeur régional) a été chargé de procéder à un examen des faits concernant les allégations soulevées par l’employé dans sa plainte.

[5]        Le 2 février 2012, le directeur régional a fait un résumé après avoir mené une enquête interne. Il a conclu à l’existence de problèmes de communication et de tensions non réglées entre l’employé et son superviseur, mais à l’absence de preuve de harcèlement, de sorte qu’une enquête plus poussée n’était pas nécessaire. Ces conclusions ont été communiquées à l’employé le 6 février 2012.

[6]        Le 9 février 2012, l’employé a communiqué avec l’agente de santé et de sécurité Joanne Penner (l’ASS Penner) pour demander une enquête sur sa plainte, conformément au paragraphe 20.9(3) de la partie XX du Règlement. L’employé estimait que le directeur régional avait mené une enquête aux termes du paragraphe 20.9(3) du Règlement, mais qu’il n’était pas une « personne compétente » au sens du paragraphe 20.9(1) du Règlement ni suffisamment impartial.

[7]        Le 13 février 2012, l’ASS Penner a envoyé aux parties un courriel dans lequel elle disait que l’ACIA devait suivre le processus exposé à la partie XX [articles 20.1 à 20.10] du Règlement.

[8]        Le 16 mars 2012, la direction de l’ACIA a répondu qu’à son avis, la plainte ne relevait pas de la partie XX du Règlement et qu’une enquête n’était pas nécessaire.

[9]        L’employé et son agent négociateur accrédité, l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), ont communiqué de nombreuses fois avec l’ASS Penner pour l’informer qu’ils ne pensaient pas que l’ACIA prenait les mesures proposées par celle-ci.

[10]      Le 6 septembre 2012, l’ASS Penner a donné instruction à l’ACIA de nommer une personne compétente pour faire enquête sur la plainte, conformément au Code et à la partie XX du Règlement.

[11]      Le 6 septembre 2012, l’ACIA a interjeté appel auprès du Tribunal.

[12]      Le 27 janvier 2014, l’agent d’appel du Tribunal (Michael Wiwchar) (l’agent d’appel) a rendu une décision par laquelle il accueillait l’appel et annulait l’instruction donnée par l’ASS Penner.

[13]      Le 26 février 2014, la demanderesse a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agent d’appel.

[14]      L’agent d’appel a fondé sa décision sur la conclusion voulant que les actes allégués de harcèlement de la part du superviseur ne constituaient pas de la « violence dans le lieu de travail » au sens du Règlement, et que l’employeur n’était donc pas tenu de nommer une « personne compétente » pour faire enquête. L’agent d’appel a infirmé l’instruction par laquelle l’ASS Penner exigeait que l’ACIA enquête sur la situation, conformément à la partie XX du Règlement.

[15]      Il s’agit apparemment de la première fois que le Tribunal interprétait la définition de « violence dans le lieu de travail » et le processus à suivre aux termes de l’article 20.9 du Règlement.

II.         Question en litige

[16]      La décision de l’agent d’appel était-elle raisonnable?

III.        Norme de contrôle

[17]      En l’espèce, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 47, 48 et 51).

IV.       Analyse

[18]      Selon la demanderesse, l’agent d’appel a accepté que l’employeur avait le pouvoir absolu de mener ses propres enquêtes sur les allégations de violence dans le lieu de travail avant de décider s’il devait nommer une « personne compétente ». La demanderesse avance que ce résultat n’a pas de fondement dans le Règlement, et qu’il aurait pour effet de contourner l’objet même du Règlement en minant essentiellement le droit à une enquête impartiale de l’employé qui dépose une plainte de violence dans le lieu de travail.

[19]      Dans son résumé du dossier, l’ASS Penner explique sur quoi elle se fonde pour conclure que le Règlement n’avait pas été respecté :

[traduction] Après examen, j’ai tenu compte des facteurs suivants pour conclure que le Règlement n’avait pas été respecté :

1. Rapport d’examen des faits initial et médiation

L’ACIA a déclaré (lettre de réponse à l’instruction, 28 septembre 2012) que ce rapport d’examen des faits était visé par le paragraphe 20.9(2) du Code du travail du Canada. L’ACIA a aussi dit que, conformément à l’article 20.9, un médiateur avait été retenu pour faciliter les discussions entre l’employé et son superviseur. Ces deux déclarations semblent à première vue satisfaire à la loi.

Cependant, le non-respect de la loi apparaît quand l’employeur, dans ce rapport, détermine arbitrairement ce qui est de la violence dans le lieu de travail et ce qui n’en est pas. Selon le paragraphe 20.9(2), dès qu’il a connaissance de violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d’une telle violence, l’employeur doit tenter avec l’employé de régler la situation à l’amiable. La loi n’indique nulle part que l’employeur décide seul et arbitrairement si l’employé devrait considérer que la situation qui s’est produite constitue ou non de la violence dans le lieu de travail. Si c’était le cas, il serait permis aux employeurs de décider arbitrairement si un employé a la possibilité de refuser ou non de travailler en cas de danger.

[…]

2. Personne compétente ou personne impartiale

Dans la Promesse de conformité volontaire (31 mai 2012) envoyée en réponse à l’ASS Penner, l’ACIA affirme que le rapport d’examen des faits de Ken Schmidt est conforme au paragraphe 20.9(3) et que celui-ci faisait enquête sur ce conflit à titre de personne compétente.

L’ACIA affirme avoir averti le coprésident du comité de SST et le syndicat qu’une enquête aurait lieu et a fourni une photocopie d’un courriel envoyé au comité de SST. Ce courriel, daté du 18 décembre 2011, indique que si, à la suite de l’examen des faits, une enquête était requise aux termes de la partie XX du Règlement canadien sur la SST, les coprésidents pourraient mettre du temps à trouver et à choisir l’enquêteur d’un commun accord. Ce courriel montre qu’au moment de la plainte initiale, les employeurs ou la direction de l’ACIA ne considéraient pas que cet examen des faits était conforme au paragraphe 20.9(3), puisqu’ils ont affirmé par la suite qu’il faudrait du temps pour « choisir l’enquêteur d’un commun accord ». Ainsi, pourrait-on conclure, ils savaient qu’un processus d’enquête devait normalement avoir lieu, mais ils ont choisi de ne pas y avoir recours, et l’expression « d’un commun accord » signifie qu’ils étaient bien au courant de la nécessité de nommer un enquêteur impartial.

[20]      En accueillant l’appel interjeté par l’ACIA à l’encontre de la décision de l’ASS Penner, l’agent d’appel a conclu que l’obligation de nommer une personne compétente était déclenchée par :

i.   premièrement, la connaissance de la violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d’une telle violence;

ii.  deuxièmement, l’échec des tentatives faites par l’employeur pour régler la situation.

[21]      Selon l’agent d’appel, le favoritisme, l’humiliation et le manque de respect allégués par l’employé ne constituaient pas vraiment de la violence dans le lieu de travail, car ces situations alléguées ne pouvaient vraisemblablement pas causer un dommage, un préjudice ou une maladie à l’employé. L’agent d’appel a donc conclu que l’employeur n’avait pas l’obligation de nommer une personne compétente pour faire enquête sur ces allégations.

[22]      L’agent d’appel a en outre conclu que, selon une interprétation raisonnable du Règlement, l’employeur pouvait déterminer au départ si la violence dans le lieu de travail alléguée par l’employée avait été établie. Autrement, toute allégation de violence dans le lieu de travail pourrait mener à la nomination obligatoire d’une personne compétente pour faire enquête sur la plainte, même lorsqu’il est évident que la situation visée par la plainte ne constitue pas de la violence dans le lieu de travail au sens du Règlement.

[23]      Les questions sous-jacentes que la Cour doit trancher sont les suivantes : i) Qu’est-ce qui constitue de la « violence dans le lieu de travail », et une interprétation raisonnable de cette définition exclut-elle le harcèlement? ii) L’employeur a-t-il le pouvoir de faire enquête sur les plaintes de violence dans le lieu de travail à titre de « personne compétente »? iii) Dans la négative, à quelle étape du processus de plainte faut-il avoir recours à une personne compétente lorsqu’un employé soulève une allégation de violence dans le lieu de travail auprès de son employeur?

[24]      L’article 20.9 énonce les obligations procédurales de l’employeur dès qu’il a connaissance de violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d’une telle violence :

Notification et enquête

20.9 (1) Au présent article, « personne compétente » s’entend de toute personne qui, à la fois :

a) est impartiale et est considérée comme telle par les parties;

b) a des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine de la violence dans le lieu de travail;

c) connaît les textes législatifs applicables.

(2) Dès qu’il a connaissance de violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d’une telle violence, l’employeur tente avec l’employé de régler la situation à l’amiable dans les meilleurs délais.  

(3) Si la situation n’est pas ainsi réglée, l’employeur nomme une personne compétente pour faire enquête sur la situation et lui fournit tout renseignement pertinent qui ne fait pas l’objet d’une interdiction légale de communication ni n’est susceptible de révéler l’identité de personnes sans leur consentement.

(4) Au terme de son enquête, la personne compétente fournit à l’employeur un rapport écrit contenant ses conclusions et recommandations.

(5) Sur réception du rapport d’enquête, l’employeur :

a) conserve un dossier de celui-ci;

b) transmet le dossier au comité local ou au représentant, pourvu que les renseignements y figurant ne fassent pas l’objet d’une interdiction légale de communication ni ne soient susceptibles de révéler l’identité de personnes sans leur consentement;

c) met en place ou adapte, selon le cas, les mécanismes de contrôle visés au paragraphe 20.6(1) pour éviter que la violence dans le lieu de travail ne se répète.

(6) Les paragraphes (3) à (5) ne s’appliquent pas dans les cas suivants :

a) la violence dans le lieu de travail est attribuable à une personne autre qu’un employé;

b) il est raisonnable de considérer que, pour la victime, le fait de prendre part à la situation de violence dans le lieu de travail est une condition normale de son emploi;

c) l’employeur a mis en place une procédure et des mécanismes de contrôle efficaces et sollicité le concours des employés pour faire face à la violence dans le lieu de travail.

A.        La violence dans le lieu de travail comprend-elle le harcèlement?

[25]      À mon avis, le harcèlement peut constituer de la violence dans le lieu de travail, selon les circonstances de chaque cas. Le défendeur allègue que la violence dans le lieu de travail telle qu’elle est définie à l’article 20.2 de la partie XX du Règlement vise des situations où l’employé craint de subir un dommage, un préjudice ou une maladie en raison du contact avec une autre personne dans le lieu de travail. Le défendeur affirme que ce n’est pas le cas en l’espèce, où la plainte concerne le harcèlement subi par l’employé qui se sent humilié et non respecté à cause du comportement de son superviseur.

[26]      Le défendeur soutient dans son mémoire que, d’après une interprétation raisonnable, le sens ordinaire et le contexte législatif de l’utilisation des mots « violence dans le lieu de travail » conduisent à une signification étroite, qui s’étend seulement à la force physique qui peut causer un dommage, un préjudice ou une maladie. Cette définition exclut le harcèlement, et les tentatives faites par la demanderesse pour établir des similitudes entre la « violence dans le lieu de travail » au sens de l’article 20.2 de la partie XX du Règlement et le terme « danger » au sens de l’article 122 du Code ne sont pas fondées.

[27]      La thèse du défendeur est la suivante : étant donné que l’expression « violence dans le lieu de travail » ne comprend pas le terme « situation », l’interprétation que fait le Tribunal du terme « situation » dans la définition de « danger » n’est pertinente ni pour l’interprétation ni pour la définition de l’expression « violence dans le lieu de travail ». Toutefois, pendant l’argumentation, le défendeur a concédé que, peu importe l’applicabilité de l’article 122, la violence dans le lieu de travail pouvait comprendre le harcèlement, mais pas dans le présent cas.

[28]      Au moment d’interpréter les dispositions individuelles d’une loi, il faut tenir compte de l’objet de la loi dans son ensemble (R. c. Steele, 2014 CSC 61, [2014] 3 R.C.S. 138, au paragraphe 23). Contrairement à ce qu’avance le défendeur, rien dans le Code ni dans le Règlement ne permet d’atténuer l’interprétation du libellé de l’article 20.2 de la partie XX du Règlement. Le libellé « tout agissement, comportement [...] ou geste » d’une personne à l’égard d’un employé « qui pourrait vraisemblablement lui causer un dommage [...] ou une maladie » [non souligné dans l’original] est suffisamment vaste dans son sens simple et ordinaire pour comprendre les gestes de harcèlement d’une personne qui causent un dommage mental ou psychologique ou une maladie. Conclure autrement reviendrait à restreindre indûment la définition de la violence dans le lieu de travail et priver cette définition d’une interprétation utilitaire. Dans le document « La violence et le harcèlement au travail : similitudes et différences » publié le 30 avril 2013, le Conseil du Trésor du Canada indique que rien dans la partie XX du Règlement n’empêche un employé d’alléguer que le harcèlement constitue de la violence. Cette affirmation appuie la position que j’adopte.

[29]      Par conséquent, le harcèlement comme celui qu’a subi l’employé en l’espèce peut constituer de la violence dans le lieu de travail si, au terme d’une enquête faite par une personne compétente, il est déterminé que le harcèlement comprend des agissements, un comportement ou des gestes qui pourraient vraisemblablement causer un dommage, un préjudice ou une maladie à l’employé. À mon avis, l’intimidation psychologique peut constituer au fil du temps une des pires formes de dommage qui puissent être infligées à une personne.

B.        L’employeur a-t-il le pouvoir de faire enquête sur les plaintes de violence dans le lieu de travail à titre de « personne compétente » aux termes du paragraphe 20.9(1) du Règlement? Dans la négative, à quelle étape du processus de plainte faut-il avoir recours à une personne compétente impartiale lorsqu’un employé soulève une allégation de violence dans le lieu de travail auprès de son employeur?

[30]      La demanderesse soutient que l’agent d’appel a commis une erreur en reconnaissant aux employeurs le pouvoir inconditionnel de mener leurs propres enquêtes sur les allégations de violence dans le lieu de travail, et que s’il était déterminé que la situation alléguée correspondait à la définition de la violence dans le lieu de travail, le processus énoncé à la partie XX du Règlement devait être suivi.

[31]      La demanderesse affirme que le point de vue adopté par l’agent d’appel a pour effet de contourner le régime législatif prévu par l’article 20.9 du Règlement : il limite la portée de ce pouvoir et n’offre aucune indication à propos du critère que les employeurs doivent appliquer lorsqu’ils font l’évaluation préliminaire des plaintes. Selon la demanderesse, compte tenu des motifs et de la décision de l’agent d’appel, les employeurs auraient le pouvoir absolu de faire enquête sur les plaintes de violence dans le lieu de travail et de tirer leurs propres conclusions sur le bien-fondé de ces plaintes. Cette interprétation est effectivement incompatible avec l’impartialité de la « personne compétente » au sens du paragraphe 20.9(1) du Règlement, lequel exige que la personne compétente soit impartiale et considérée comme telle par les parties, qu’elle ait des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine de la violence dans le lieu de travail et qu’elle connaisse les textes législatifs applicables.

[32]      La demanderesse ajoute que la Cour devrait être guidée par le pouvoir d’évaluer au préalable les plaintes qui portent sur les droits de la personne aux termes de l’alinéa 41(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6] (LCDP), qui prévoit que les enquêtes sur les plaintes sont menées par des experts impartiaux. C’est seulement lorsqu’il est établi, dans les cas les plus évidents, que les allégations soulevées dans la plainte, si elles sont tenues pour véridiques, ne constituent pas de la violence dans le lieu de travail que l’employeur devrait renoncer à nommer une personne compétente impartiale.

[33]      Je ne suis pas d’accord pour dire que le processus d’enquête exposé à l’article 20.9 de la partie XX du Règlement est analogue à celui exposé dans la LCDP. Le processus décrit à la partie XX du Règlement et celui de la LCDP sont différents, surtout en ce qui concerne le déclenchement de l’enquête.

[34]      Aux termes de l’article 20.9 de la partie XX du Règlement, l’employeur doit avoir « connaissance » de la violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d’une telle violence pour que le processus d’enquête soit déclenché. L’employeur qui n’a pas « connaissance » de la violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d’une telle violence n’a pas d’obligation aux termes de la partie XX du Règlement.

[35]      En revanche, sous le régime de la LCDP, la Commission « statue sur toute plainte dont elle est saisie », si la plainte est déposée « en la forme acceptable pour cette dernière ».

[36]      Toutefois, si l’employeur ne peut supposer que toutes les plaintes de violence dans le lieu de travail alléguée doivent faire l’objet d’une enquête conformément à la partie XX du Règlement, et il serait irréaliste de traiter chaque plainte comme une allégation de violence dans le lieu de travail, il est évident que l’évaluation préliminaire faite par l’employeur doit se résumer à l’examen des faits, dans une tentative de résoudre le différend avec l’employé et de faciliter la médiation, le cas échéant, conformément au paragraphe 20.9(2) de la partie XX du Règlement.

[37]      Si l’examen des faits initial ne permet pas de résoudre le différend et que l’allégation de violence dans le lieu de travail demeure une question en litige entre l’employeur et l’employé, à moins qu’il ne soit évident que la plainte ne concerne pas une situation de violence dans le lieu de travail, l’employeur a l’obligation impérative, sous le régime du paragraphe 20.9(3), de nommer une personne compétente, au sens du paragraphe 20.9(1) de la partie XX du Règlement, pour faire enquête. Cette personne doit être impartiale et considérée comme telle par les parties, avoir des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine de la violence dans le lieu de travail, et connaître les textes législatifs applicables.

[38]      À moins que l’employé et l’employeur ne conviennent qu’un représentant de l’employeur est une personne impartiale dotée de tous les attributs visés au paragraphe 20.9(1), aucun fondement raisonnable ne permet de procéder à une enquête si une tierce personne impartiale et considérée comme telle par les parties n’a pas été nommée pour agir à titre de personne compétente.

[39]      Dans le présent cas, l’employeur a chargé le directeur régional, M. Schmidt, non seulement d’engager un exercice d’évaluation préliminaire et d’examen des faits pour déterminer la nature de la plainte et tenter de faciliter la médiation, mais aussi de procéder à une enquête complète et d’agir à titre de personne compétente aux termes du paragraphe 20.9(3). Dans son rapport, M. Schmidt mentionne le mot [traduction] « enquête » huit fois en faisant allusion à l’examen des éléments de preuve dont il était saisi. Il n’avait pas compétence pour ce faire, étant donné que son impartialité n’avait pas été reconnue par l’employé, et n’avait donc pas le pouvoir de mener une enquête sur l’allégation de violence dans le lieu de travail non résolue après l’étape de l’évaluation préliminaire, qui demeurait donc en litige entre les parties.

[40]      L’agent d’appel a affirmé, aux paragraphes 60 et 69 de sa décision, que les actions et les gestes qui avaient provoqué l’humiliation, le traitement injuste et le manque de respect pouvant constituer du harcèlement ne correspondaient pas à de la violence dans le lieu de travail, car les situations alléguées ne pouvaient vraisemblablement pas causer un dommage, un préjudice ou une maladie à l’employé. Cette conclusion aurait pu être raisonnable si elle avait été tirée à la suite d’une enquête appropriée et impartiale menée par une personne compétente, mais, malheureusement, elle était fondée de manière inappropriée et incorrecte sur une enquête injustifiée, sans bénéficier de l’enquête d’une telle personne impartiale qui aurait décidé si le harcèlement constituait ou non de la violence dans le lieu de travail. L’agent d’appel ne pouvait raisonnablement pas se pencher sur l’application du paragraphe 20.9(3) de la partie XX du Règlement, qui était déclenchée par l’enquête de l’employeur, parce qu’il n’y avait pas eu d’enquête en bonne et due forme menée par une personne compétente. La décision de l’agent d’appel était déraisonnable.

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à l’agent d’appel pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux directives de la Cour;

2.         Les dépens sont adjugés à la demanderesse, selon la colonne III du tarif B [Règles des Cours fédérales, DORS/98-106].

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.