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A-127-13

2014 CAF 26

Le procureur général du Canada (demandeur)

c.

Rita Savoie-Forgeot (défenderesse)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Savoie-Forgeot

Cour d’appel fédérale, juges Pelletier, Gauthier et Trudel, J.C.A.—Montréal, 23 octobre 2013; Ottawa, 31 janvier 2014.

Animaux — Contrôle judiciaire, conformément à l’art. 9(2)c) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, à l’encontre d’une décision de la Commission de révision agricole du Canada, jugeant que la défenderesse n’a pas violé l’art. 40 du Règlement sur la santé des animaux (le Règlement), lequel interdit l’importation de sous-produits animaux au Canada, sauf en conformité avec les dispositions de la partie IV du Règlement — La défenderesse, une agente de bord, est revenue au Canada en ayant en sa possession plusieurs produits alimentaires, dont du fromage et deux boîtes de conserve contenant de la viande — Elle a déclaré sur sa carte de déclaration qu’elle apportait au Canada des produits alimentaires — Elle a soutenu que lors de diverses inspections, tous les produits alimentaires avaient été déclarés, mais l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a prétendu que seul le fromage avait été déclaré — L’ASFC a fait valoir que lorsqu’elle a trouvé certains articles en conserve contenant du bœuf dans les bagages de la défenderesse, elle les a considérés comme n’ayant pas été déclarés et leur importation au Canada a été interdite — La défenderesse a été accusée d’avoir contrevenu aux dispositions de l’art. 40 du Règlement — La Commission a jugé que la défenderesse n’avait pas commis la violation alléguée et qu’elle n’était pas tenue de payer l’amende — La Commission a également conclu que l’ASFC n’avait pas fourni à la défenderesse une occasion raisonnable de justifier l’importation conformément au Règlement et que l’ASFC avait l’obligation de questionner plus en profondeur et de façon plus soignée la défenderesse sur les articles qu’elle ramenait au Canada — Il s’agissait de savoir si la Commission a commis une erreur d’interprétation de l’art. 40 du Règlement en imposant au demandeur l’obligation de prouver que ses agents de douane avaient donné à la défenderesse une occasion raisonnable de justifier l’importation de la viande qu’elle avait en sa possession — La Cour a précisé le critère juridique qu’il convient d’appliquer lorsqu’il est allégué qu’une personne a violé l’art. 40 du Règlement — Une interprétation juste de la Loi sur la santé des animaux et de son Règlement n’autorise pas l’interprétation qu’en a donnée la Commission — L’art. 40 du Règlement interdit l’importation au Canada de sous-produits animaux, mais le caractère de cette interdiction n’est cependant pas absolu — La Commission a commis une erreur d’interprétation de l’art. 40 du Règlement — Cette disposition n’impose pas à l’ASFC l’obligation de démontrer que ses agents ont fourni à la défenderesse une occasion raisonnable de justifier l’importation — Il incombe à la personne introduisant des sous-produits animaux au Canada de déclarer tout ce qu’elle ramène au pays — La question qu’aurait dû poser la Commission était simplement celle de savoir si, en se fondant sur les faits en l’espèce, la défenderesse a déclaré les articles en sa possession, ceux-ci étant disponibles en vue de leur inspection — Si la défenderesse avait déclaré les articles en question, elle n’aurait pas violé les dispositions de l’art. 40 du Règlement — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire, conformément à l’alinéa 9(2)c) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, à l’encontre d’une décision de la Commission de révision agricole du Canada, jugeant que la défenderesse n’a pas violé l’article 40 du Règlement sur la santé des animaux (le Règlement), lequel interdit l’importation de sous-produits animaux au Canada, sauf en conformité avec les dispositions de la partie IV du Règlement. La défenderesse, une agente de bord, a voyagé de la France au Canada, ayant en sa possession plusieurs produits alimentaires, dont du fromage et deux boîtes de conserve contenant de la viande. Elle a déclaré sur une carte de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) qu’elle apportait au Canada des produits alimentaires. La défenderesse a fait valoir que lors de l’inspection primaire, elle a déclaré tous les produits alimentaires qu’elle avait en sa possession et qu’elle avait présenté sa facture à l’agente, mais l’ASFC a prétendu qu’elle a déclaré uniquement le fromage. L’agente primaire a modifié la carte de déclaration pour indiquer que la défenderesse ne rapportait pas de produits destinés à une vérification douanière. Selon la défenderesse, lors de l’inspection secondaire, elle a décrit les mêmes articles qu’elle avait décrits lors de l’inspection primaire tandis que l’ASFC a fait valoir qu’elle avait déclaré uniquement le fromage. L’ASFC a soutenu que lorsque certains articles en conserve contenant du bœuf ont été trouvés dans ses bagages, elle les a considérés comme n’ayant pas été déclarés et leur importation au Canada a été interdite. La défenderesse a été accusée d’avoir contrevenu aux dispositions de l’article 40 du Règlement.

La Commission a jugé que la défenderesse n’avait pas commis la violation alléguée et qu’elle n’était pas tenue de payer l’amende. La Commission a également conclu que l’ASFC n’avait pas fourni à la défenderesse une occasion raisonnable de justifier l’importation conformément au Règlement et que l’ASFC avait l’obligation de questionner plus en profondeur et de façon plus soignée la défenderesse sur les articles qu’elle ramenait au Canada.

Il s’agissait de savoir si la Commission a commis une erreur d’interprétation de l’article 40 du Règlement en imposant au demandeur l’obligation de prouver que ses agents de douane avaient donné à la défenderesse une occasion raisonnable de justifier l’importation de la viande qu’elle avait en sa possession.

Jugement : la demande doit être accueillie.

On devait préciser le critère juridique qu’il convient d’appliquer lorsqu’il est allégué qu’une personne a violé l’article 40 du Règlement. Une interprétation juste de la Loi sur la santé des animaux (la Loi) et de son Règlement n’autorise pas l’interprétation qu’en a donnée la Commission. L’article 40 du Règlement interdit l’importation au Canada de sous-produits animaux, mais le caractère de cette interdiction n’est cependant pas absolu. Il est par exemple permis d’importer des sous-produits animaux lorsqu’une personne présente un certificat attestant le pays d’origine du produit ou sa sécurité ou lorsque cette personne permet l’inspection de ses produits, laquelle révèle que ces articles ne présentent aucun risque de propagation des maladies. La personne qui contrevient à l’article 40 du Règlement commet une violation qui est qualifiée de grave, conformément à la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, et elle est passible d’une amende de 800 $.

Le terme « importer » n’est pas défini dans la Loi ni dans son Règlement. Une interprétation téléologique et contextuelle de l’article 40 du Règlement nous permet d’avancer que même si le processus d’importation d’un sous-produit animal a pu être amorcé par l’introduction de ce sous-produit en sol canadien, le processus n’a pas été complété à ce stade. Une personne a l’obligation de déclarer les articles qu’elle a en sa possession, conformément à l’article 12 de la Loi sur les douanes, et a aussi l’obligation, soit avant soit au moment de l’importation, de présenter en vue de leur inspection, les sous-produits animaux. Si un inspecteur ou un agent détermine que l’importation répond à certains critères, l’importation est alors permise, conformément aux paragraphes 41(1) et 41.1(1) du Règlement. Le processus d’importation du sous-produit sera à ce stade complété et les personnes concernées sont alors libres de quitter la zone d’inspection avec ces articles.

Dans les cas où une personne déclare qu’elle a en sa possession des sous-produits animaux et les rend accessibles pour une inspection, il ne faudrait pas conclure qu’elle a violé l’article 40 du Règlement. À l’inverse, les personnes qui ne déclarent pas les sous-produits animaux qu’elles ont en leur possession et qui ne les rendent donc pas accessibles pour une inspection contreviennent à l’article 40 du Règlement. L’omission de faire leur déclaration signifie que le processus d’importation est terminé.

La formulation prospective et conditionnelle du paragraphe 41.1(1) est favorable à cette interprétation de l’article 40 du Règlement. Les mots « il est permis d’importer » indiquent que l’importation peut être permise après l’inspection et l’utilisation de la formulation conditionnelle « would », dans la version anglaise de la disposition, laisse de plus supposer que le processus d’importation des produits n’ait pas encore été terminé. S’il l’avait été au moment de l’inspection, le libellé de la disposition aurait fait appel au temps présent ou passé. L’interprétation proposée était cohérente avec l’obligation de déclarer énoncée à l’article 12 de la Loi sur les douanes, ainsi qu’avec l’objectif principal de la Loi, lequel vise la protection contre l’introduction de maladies animales au Canada. Cette interprétation de l’article 40 reflétait également la pratique établie sur le terrain de l’ASFC. Les agentes ont expliqué que si la défenderesse avait déclaré les articles en sa possession, elles les auraient simplement confisqués sans lui remettre un avis de violation. On a noté que cette interprétation de l’article 40 diffère légèrement de la jurisprudence de la Cour dans la cause Canada (Agence d’inspection des aliments) c. Westphal-Larsen, dans laquelle elle a statué que même si une personne avait présenté un article en vue de son inspection, conformément à la Loi, il était néanmoins possible de déclarer que cette personne avait violé les dispositions de l’article 40 du Règlement. Cette décision n’a cependant pas tranché la question de savoir si le fait pour une personne de déclarer un article de façon volontaire, permettant ainsi son inspection, écarterait la possibilité de déclarer que cette personne avait violé les dispositions de l’article 40 du Règlement.

En conclusion, la Commission a commis une erreur d’interprétation de l’article 40 du Règlement. Cette disposition n’impose pas à l’ASFC l’obligation de démontrer que ses agents ont fourni à la défenderesse une occasion raisonnable de justifier l’importation. Il incombe à la personne introduisant des sous-produits animaux au Canada de déclarer tout ce qu’elle ramène au pays. La question qu’aurait dû poser la Commission était simplement celle de savoir si, en se fondant sur les faits en l’espèce, la défenderesse a déclaré les articles en sa possession, ceux-ci étant disponibles en vue de leur inspection. Si la défenderesse avait déclaré les articles en question, elle n’aurait pas violé les dispositions de l’article 40 du Règlement étant donné qu’elle aurait permis que les articles soient inspectés et qu’ils soient confisqués s’ils posaient un risque de propagation de maladies. Si toutefois elle n’avait pas déclaré ces articles, elle aurait violé l’article 40 étant donné qu’elle avait été trouvée en possession d’articles illicites et qu’elle ne les a pas volontairement rendus disponibles en vue de leur inspection.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur la santé des animaux, L.C. 1990, ch. 21, art. 2(1) « sous-produit animal », 16, 17, 18.

Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, art. 12.

Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, L.C. 1995, ch. 40, art. 2, 4, 7, 9(2)c), 19.

Règlement sur la santé des animaux, C.R.C., ch. 296, art. 2 « sous-produit animal », 40, 41(1), 41.1(1).

Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, DORS/2000-187, art. 2, 5(1)b), ann. 1.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision différenciée :

Canada (Agence d’inspection des aliments) c. Westphal-Larsen, 2003 CAF 383.

décision citée :

Canada (Agence des services frontaliers) c. Castillo, 2013 CAF 271.

DEMANDE de contrôle judiciaire (2013 CRAC 7), conformément à l’alinéa 9(2)c) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, à l’encontre d’une décision de la Commission de révision agricole du Canada, jugeant que la défenderesse n’a pas violé l’article 40 du Règlement sur la santé des animaux, lequel interdit l’importation de sous-produits animaux au Canada, sauf en conformité avec les dispositions de la partie IV du Règlement. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Dominique Guimond pour le demandeur.

Rita Savoie-Forgeot pour son propre compte.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

La juge Trudel, J.C.A. :

Introduction

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par M. Donald Buckingham, le président de la Commission de révision agricole du Canada (la Commission), le 7 mars 2013 (Savoie Forgeot c. Canada (Agence des services frontaliers), 2013 CRAC 7) (motifs). La Commission a jugé que Mme Savoie-Forgeot n’avait pas violé l’article 40 du Règlement sur la santé des animaux, C.R.C., ch. 296 (Règlement), lequel interdit l’importation de sous-produits animaux au Canada, sauf en conformité avec les dispositions de la partie IV [articles 40 à 53] du Règlement.

[2]        Je propose d’accueillir la demande, d’annuler la décision de la Commission et de lui renvoyer l’affaire pour qu’elle rende une nouvelle décision. Le président a commis une erreur d’interprétation de l’article 40 du Règlement et il a aussi conclu de façon erronée que l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC [ou l’Agence]) a l’obligation de donner aux voyageurs une « occasion raisonnable » de justifier l’importation de sous-produits animaux.

Faits

[3]        Mme Savoie-Forgeot, une agente de bord, se rend à Paris quatre ou cinq fois par mois. Le 13 novembre 2011, elle a voyagé de la France au Canada et est arrivée à l’Aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau, à Montréal. Elle avait en sa possession plusieurs produits alimentaires, dont du fromage et deux boîtes de conserve contenant de la viande. Elle a rempli la carte de déclaration E311(09) de l’Agence des services frontaliers du Canada et elle a coché la case « oui » vis-à-vis l’énoncé : « J’apporte (nous apportons) au Canada : viande ou produits à base de viande; produits laitiers; fruits; légumes; semences; noix; plantes et animaux, parties d’animaux; fleurs coupées; terre; bois ou produits du bois; oiseaux; insectes » (motifs, au paragraphe 13). Elle a évalué les produits importés à 30 $CAN.

[4]        Sur présentation de sa carte de déclaration aux douanes, l’agente primaire lui a demandé quel type de nourriture elle avait en sa possession. Selon l’ASFC, elle a répondu « uniquement du fromage ». Mme Savoie-Forgeot a dit dans son témoignage qu’elle avait déclaré du fromage, de la laitue, quelques aliments en conserve ainsi que du pain, et qu’elle avait présenté sa facture à l’agente et énuméré les articles qui s’y trouvaient. L’agente primaire a modifié la carte de déclaration pour indiquer que Mme Savoie-Forgeot ne rapportait pas de produits destinés à une vérification douanière.

[5]        Lors de l’inspection secondaire, une deuxième agente lui a demandé si elle avait quelque chose à déclarer. Mme Savoie-Forgeot réitère qu’elle a décrit les mêmes articles qu’elle avait décrits lors de l’inspection primaire. L’ASFC soutient qu’elle a déclaré uniquement le fromage. L’agente a vérifié le contenu de ses bagages, elle a trouvé deux boîtes de conserve et, selon la version des faits soumise par l’ASFC, elle les a considérées comme n’ayant pas été déclarées. Un examen de leurs étiquettes a révélé qu’elles contenaient du bœuf et que leur importation au Canada est interdite.

[6]        Mme Savoie-Forgeot a été accusée d’avoir contrevenu aux dispositions de l’article 40 du Règlement, dont voici le libellé :

40. Il est interdit d’importer un sous-produit animal, du fumier ou une chose contenant un sous-produit animal ou du fumier, sauf en conformité avec la présente partie.           

Par conséquent, il a été établi qu’elle avait violé les dispositions de l’article 7 de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, L.C. 1995, ch. 40 (Loi sur les sanctions) et de l’article 2 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, DORS/2000-187 (Règlement sur les sanctions); un avis de violation lui a été signifié et une amende de 800 $ lui a été imposée (Avis de violation no 3961-11-M-0378).

[7]        Mme Savoie-Forgeot a demandé à la Commission de l’entendre sur les faits reprochés, conformément à l’alinéa 9(2)c) de la Loi sur les sanctions.

La décision de la Commission

[8]        La Commission a jugé que Mme Savoie-Forgeot n’a pas commis la violation alléguée et qu’elle n’est pas tenue de payer l’amende. Selon les explications du président, pour établir que l’article 40 du Règlement n’a pas été respecté, l’Agence doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que [motifs, au paragraphe 25] :

i.   Mme Forgeot est la personne qui a commis la violation;

ii.  Mme Forgeot est entrée au Canada ayant en sa possession un sous-produit d’origine animale, en l’occurrence, deux boîtes de conserve contenant de la viande;

iii.  Si Mme Forgeot avait réellement en sa possession des produits de viande lorsqu’elle est entrée au Canada, que les agents des douanes ont donné à Mme Forgeot une occasion raisonnable de montrer que l’importation a été faite conformément à la Partie IV du Règlement sur la santé des animaux.

La Commission a souligné qu’il était nécessaire d’établir le troisième élément de ce critère parce que les paragraphes 41(1) et 41.1(1) du Règlement permettent au contrevenant présumé de se disculper d’une violation de l’article 40 soit en présentant un certificat, un document ou un permis qui permet l’importation de la viande, soit en déclarant la viande qu’il a en sa possession afin qu’un inspecteur puisse déterminer si son importation au Canada est permise (motifs, aux paragraphes 31 et 32).

[9]        Après avoir appliqué son critère à trois volets aux faits en l’espèce, le président a déterminé que l’ASFC n’avait pas fourni à Mme Savoie-Forgeot une « occasion raisonnable » de justifier l’importation et que l’Agence avait l’obligation de questionner plus en profondeur et de façon plus soignée Mme Savoie-Forgeot sur ce qu’elle ramenait au Canada. La Commission a, par conséquent, jugé que Mme Savoie-Forgeot n’avait pas commis la violation alléguée et qu’elle n’était donc pas tenue de payer la sanction.

[10]      Insatisfaite de cette décision, l’ASFC a introduit la présente demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

Positions des parties

[11]      L’ASFC a soutenu devant notre Cour que la Commission avait commis une erreur de droit en lui imposant l’obligation de prouver que ses agents de douane avaient donné à Mme Savoie-Forgeot une occasion raisonnable de justifier l’importation de la viande qu’elle avait en sa possession. Selon l’ASFC, il incombait plutôt à Mme Savoie-Forgeot de démontrer qu’elle importait ces produits conformément aux dispositions du Règlement. L’ASFC a insisté sur le fait que le fonctionnement des douanes au Canada était fondé sur un système de déclaration volontaire et que Mme Savoie-Forgeot était liée par l’article 12 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, lequel impose l’obligation de déclarer tous les produits importés au bureau de douane le plus proche. Il lui incombait donc de déclarer ce qu’elle avait en sa possession et l’ASFC n’avait pas l’obligation de lui demander de fournir d’autres renseignements. Subsidiairement, l’ASFC a également fait valoir que, si la Commission n’avait pas commis d’erreur de droit, elle avait tout de même erré en concluant qu’une occasion raisonnable de justifier l’importation de sous-produits animaux n’avait pas été fournie à Mme Savoie-Forgeot.

[12]      Mme Savoie-Forgeot a soutenu que la conclusion tirée par la Commission, selon laquelle elle n’avait pas eu l’occasion de démontrer qu’elle respectait la réglementation, est étayée par les éléments de preuve soumis à la Commission.

Analyse

[13]      La Cour doit, en l’espèce, préciser le critère juridique qu’il convient d’appliquer lorsqu’il est allégué qu’une personne a violé l’article 40 du Règlement. À mon humble avis, une interprétation juste de la Loi sur la santé des animaux [L.C. 1990, ch. 21] et de son Règlement n’autorise pas l’interprétation qu’en donne la Commission, peu importe la norme de contrôle retenue pour en faire l’analyse.

[14]      L’objet de la Loi sur la santé des animaux, L.C. 1990, ch. 21 et de son Règlement est de prévenir l’introduction au Canada de maladies étrangères d’origine animale en contrôlant et en limitant l’importation de produits et de sous-produits animaux en provenance d’autres pays (Canada (Agence des services frontaliers) c. Castillo, 2013 CAF 271 (Castillo), au paragraphe 12). L’article 40 du Règlement interdit, à ces fins, l’importation au Canada de sous-produits animaux. Le caractère de cette interdiction n’est cependant pas absolu. Il est par exemple permis d’importer des sous-produits animaux lorsqu’une personne présente un certificat attestant le pays d’origine du produit ou sa sécurité (paragraphe 41(1) du Règlement) ou lorsque cette personne permet l’inspection de ses produits, laquelle révèle que ces articles ne présentent aucun risque de propagation des maladies (paragraphe 41.1(1) du Règlement). La Loi sur la santé des animaux et son Règlement définissent le terme « sous-produit animal » de façon à comprendre, entre autres, toute chose contenant de la chair d’oiseau ou de mammifère, tout en prévoyant certaines exceptions précises (Loi sur la santé des animaux, paragraphe 2(1); Règlement, article 2).

[15]      Pour assurer le respect des dispositions de la Loi sur la santé des animaux et de son Règlement, le législateur a également adopté la Loi sur les sanctions qui établit un régime de sanctions administratives et qui confère au ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire le pouvoir de prendre des règlements prévoyant l’application de ce régime de sanctions lorsque des personnes ont contrevenu aux dispositions de la Loi sur la santé des animaux (Castillo, au paragraphe 15; Loi sur les sanctions, articles 2 et 4). L’article 2 du Règlement sur les sanctions définit comme une violation assujettie à la Loi sur les sanctions la contravention par une personne à une disposition de la Loi sur la santé des animaux ou à son Règlement, alors que l’article 7 de la Loi sur les sanctions énonce que la personne qui commet une violation de cette nature s’expose à un avertissement ou à une sanction. La personne qui contrevient à l’article 40 du Règlement commet une violation qui est qualifiée de grave, conformément au Règlement sur les sanctions, et elle est passible d’une amende de 800 $ (Règlements sur les sanctions, annexe 1, alinéa 5(1)b)).

[16]      Lorsque la Commission est appelée à examiner les faits relatifs à une violation, il appartient au ministre d’établir, « selon la prépondérance des probabilités, la responsabilité du contrevenant » (Loi sur les sanctions, article 19). En l’espèce, l’ASFC avait donc l’obligation de prouver que Mme Savoie-Forgeot « a importé » au Canada un sous-produit animal qui n’était pas visé par l’une des exceptions énoncées à la partie IV du Règlement.

[17]      Le terme « importer » n’est pas défini dans la Loi sur la santé des animaux ni dans son Règlement. Une interprétation téléologique et contextuelle de l’article 40 du Règlement nous permet d’avancer que même si le processus d’importation d’un sous-produit animal a pu être amorcé par l’introduction de ce sous-produit en sol canadien, le processus n’a pas été complété à ce stade. À son arrivée au Canada, une personne a l’obligation de déclarer les articles qu’elle a en sa possession, conformément à l’article 12 de la Loi sur les douanes. Elle a aussi l’obligation, soit avant soit au moment de l’importation, de présenter en vue de leur inspection, les sous-produits animaux à un inspecteur, à un agent d’exécution ou à un agent des douanes, conformément à l’article 16 de la Loi sur la santé des animaux. Si un inspecteur ou un agent détermine que le sous-produit ne pose pas de risque de propagation de maladies ou que la personne présente un certificat attestant le pays d’origine de ces produits et leur sécurité, l’importation est alors permise, conformément aux paragraphes 41(1) et 41.1(1) du Règlement. Le processus d’importation du sous-produit sera à ce stade complété et les personnes concernées sont alors libres de quitter la zone d’inspection avec ces articles. Toutefois, si le sous-produit présente un risque de propagation de maladies ou s’il est inadmissible à l’importation, pour quelque motif que ce soit, l’inspecteur ou l’agent ordonnera qu’il soit confisqué ou renvoyé à l’étranger, conformément aux articles 17 ou 18 de la Loi sur la santé des animaux. À ce stade, l’importation de ces produits serait interrompue vu qu’aucune autre tentative d’introduction de ces articles au Canada ne serait permise.

[18]      Il s’ensuit que, dans les cas où une personne déclare qu’elle a en sa possession des sous-produits animaux et les rend accessibles pour une inspection, il ne faudrait pas conclure qu’elle a violé l’article 40 du Règlement. Même si lors d’une inspection il s’avère qu’elle a en sa possession des sous-produits animaux qui ne rencontrent pas les exceptions prévues à la partie IV du Règlement, elle n’a pas encore complété le processus d’importation de ces sous-produits au Canada.

[19]      À l’inverse, les personnes qui ne déclarent pas les sous-produits animaux qu’elles ont en leur possession et qui ne les rendent donc pas accessibles pour une inspection contreviennent à l’article 40 du Règlement. En ce qui les concerne, l’omission de faire leur déclaration signifie que le processus d’importation est terminé, car, en raison de leur omission, elles ont privé l’agent de l’occasion d’inspecter les articles et elles l’ont également empêché d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré au paragraphe 41.1(1) du Règlement de leur permettre de conserver ces articles. Par conséquent, même si les articles sont ultérieurement trouvés, confisqués ou retirés du pays, les personnes concernées ont déjà contrevenu à l’article 40 du Règlement.

[20]      La formulation prospective et conditionnelle du paragraphe 41.1(1) est favorable à cette interprétation de l’article 40 du Règlement. Le paragraphe 41.1(1) est ainsi libellé :

41.1 (1) Malgré l’article 41, il est permis d’importer un sous-produit animal ou une chose contenant un sous-produit animal, autres que ceux visés aux articles 45, 46, 47, 47.1, 49, 50, 51, 51.2 et 53, si l’inspecteur a des motifs raisonnables de croire que l’importation du sous-produit ou de la chose, par sa nature, sa destination ou sa transformation, n’entraînera pas — ou qu’il est peu probable qu’elle entraîne — l’introduction de toute maladie déclarable, de toute maladie mentionnée à l’annexe VII et de toute épizootie grave que l’espèce de laquelle il provient est susceptible de contracter et qui peut être transmise par lui, pourvu que le sous-produit ou la chose ne soit pas destiné à servir d’aliments pour animaux ou d’ingrédient pour de tels aliments. [Non souligné dans l’original.]           

Les mots « il est permis d’importer » indiquent que l’importation peut être permise après l’inspection, et non pas que l’importation a déjà eu lieu. D’autre part, l’utilisation de la formulation conditionnelle « would », dans la version anglaise de la disposition, laisse de plus supposer que le processus d’importation des produits n’ait pas encore été terminé. S’il l’avait été au moment de l’inspection, le libellé de la disposition aurait fait appel au temps présent ou passé. Par exemple, il aurait été dit que l’importation « ne pose pas » ou « n’a pas posé » de risque de propagation de maladies.

[21]      Cette interprétation fondée sur le régime instauré dans la Loi sur la santé des animaux et son Règlement ne s’applique pas nécessairement à d’autres types d’importation, par exemple, à l’importation de drogues illicites. Dans les cas où l’importation est carrément interdite, l’acte d’importation est posé dès que la chose ou la substance se trouve sur le territoire du Canada, étant donné qu’il n’y a aucune façon de justifier cette importation. Dans chaque cas, il est nécessaire d’examiner le cadre législatif régissant l’importation d’une marchandise ou d’un produit pour déterminer si la simple présence du produit sur le territoire canadien constitue une violation de ce régime.

[22]      L’interprétation que je propose de l’article 40 est cohérente avec l’obligation de déclarer énoncée à l’article 12 de la Loi sur les douanes, ainsi qu’avec l’objectif principal de la Loi sur la santé des animaux, lequel vise la protection contre l’introduction de maladies animales au Canada. S’il était reconnu que des personnes ayant déclaré des articles en leur possession ont violé les dispositions de l’article 40 du Règlement, cela pourrait dissuader d’éventuels importateurs de faire une déclaration. Les personnes ayant en leur possession des sous-produits animaux à leur arrivée au Canada pourraient tenter de s’en débarrasser avant d’être accueillies par un agent des douanes, ou choisir de ne pas les déclarer, car elles seraient assujetties à la même sanction au titre de l’article 40 du Règlement peu importe qu’elles aient ou non déclaré ces articles. Par ailleurs, en ne déclarant pas ces articles, ces personnes ne permettraient pas qu’ils soient inspectés de façon volontaire, conformément à l’article 16 de la Loi sur la santé des animaux, ni ne fourniraient aux inspecteurs l’occasion de déterminer si ces sous-produits animaux posent un risque de propagation de maladies et s’ils devraient, par conséquent, être saisis et détruits.

[23]      Enfin, cette interprétation reflète également la pratique établie sur le terrain de l’ASFC. Dans leur témoignage devant la Commission, les agentes ont expliqué que si Mme Savoie-Forgeot avait déclaré les articles en sa possession, elles les auraient simplement confisqués sans lui remettre un avis de violation (motifs, au paragraphe 36).

[24]      Je suis consciente que cette interprétation de l’article 40 diffère légèrement de la jurisprudence de notre Cour. Dans la cause Canada (Agence d’inspection des aliments) c. Westphal-Larsen, 2003 CAF 383 (Westphal-Larsen) la Cour a statué, avec beaucoup de réserves, que même si une personne avait présenté un article en vue de son inspection, conformément à l’article 16 de la Loi sur la santé des animaux, il était néanmoins possible de déclarer que cette personne avait violé les dispositions de l’article 40 du Règlement. Selon le raisonnement de la Cour « [s]i une chose est présentée au moment de l’importation, elle doit avoir été importée. Si elle a été importée, alors l’article 40 du Règlement s’applique » (Westphal-Larsen, au paragraphe 12). L’arrêt Westphal-Larsen n’a cependant pas tranché la question de savoir si le fait pour une personne de déclarer un article de façon volontaire, permettant ainsi son inspection, écarterait la possibilité de déclarer que cette personne avait violé les dispositions de l’article 40 du Règlement. M. Westphal-Larsen avait omis de déclarer qu’il avait en sa possession de la viande sur la carte de déclaration présentée à son arrivée au Canada à un représentant de l’Agence des douanes et du revenu du Canada. Il a déclaré de façon verbale uniquement qu’il avait du salami dans sa valise et il a consenti à ce qu’elle soit inspectée lorsqu’il a réalisé que tous les bagages en provenance de Hollande seraient examinés au rayon-x en raison d’une éclosion de fièvre aphteuse. L’interprétation de l’article 40 que j’ai proposée aurait donc entraîné le même aboutissement dans cette affaire. M. Westphal-Larsen a négligé de déclarer l’article en sa possession et de le mettre à la disposition d’un inspecteur de façon volontaire, de sorte que cet article pouvait être confisqué s’il posait un risque de propagation de maladies. C’est donc à juste titre que la Cour a jugé qu’il avait violé l’article 40 du Règlement.

[25]      Il convient de souligner que la divulgation de marchandises et la démarche visant à les rendre disponibles en vue de leur inspection devraient être effectuées au premier contact avec les représentants des douanes, et non ultérieurement, lorsqu’une fouille semble imminente ou qu’elle est en cours. Il n’est pas permis à un voyageur de jouer sur ses chances de ne pas être dirigé vers un poste de fouille secondaire et de déclarer des produits seulement s’il semble évident qu’ils seront découverts à la suite d’une fouille. M. Westphal-Larsen a joué, et il a perdu.

Conclusion

[26]      Je conclus donc que la Commission a commis une erreur d’interprétation de l’article 40 du Règlement. Cette disposition n’impose pas à l’ASFC l’obligation de démontrer que ses agents ont fourni à Mme Savoie-Forgeot une « occasion raisonnable de montrer que l’importation a été faite conformément à la Partie IV du Règlement sur la santé des animaux » (motifs, au paragraphe 25). Il incombe à la personne introduisant des sous-produits animaux au Canada de déclarer tout ce qu’elle ramène au pays. La question qu’aurait dû poser la Commission est simplement celle de savoir si, en se fondant sur les faits en l’espèce, Mme Savoie-Forgeot a déclaré les articles en sa possession, ceux-ci étant disponibles en vue de leur inspection. Dans l’affirmative, elle n’aurait pas violé les dispositions de l’article 40 du Règlement étant donné qu’elle aurait permis que les articles soient inspectés et qu’ils soient confisqués s’ils posaient un risque de propagation de maladies. Si toutefois elle n’avait pas déclaré ces articles, elle aurait violé l’article 40 étant donné qu’elle a été trouvée en possession d’articles illicites et qu’elle ne les a pas volontairement rendus disponibles en vue de leur inspection.

[27]      Pour ces motifs, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire sans dépens; j’annulerais la décision de la Commission et je lui renverrais l’affaire pour qu’elle rende une nouvelle décision fondée sur le critère précédemment énoncé.

Le juge Pelletier, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Gauthier, J.C.A. : Je suis d’accord.

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