Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[1996] 2 C.F. 305

T-1293-95

Sheldon S. Richmond et al. (requérants)

c.

Procureur général du Canada (Commission de la Fonction publique du Canada, ministère de la Défense nationale, Revenu Canada, Douanes et Accise) (intimé)

Répertorié : Richmond c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson—Ottawa, 31 janvier et 13 février 1996.

Fonction publique Relations du travail Demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un arbitre relativement au renvoi à l’arbitrage de griefs conformément à l’art. 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publiqueLes requérants ont présenté des demandes d’« autre congé payé »en vertu de leurs conventions collectives en vue d’observer des fêtes religieuses juivesL’employeur a rejeté ces demandes de congé, mais a accordé leurs demandes de congé annuelIl doit accommoder ses employés sous réserve de contrainte excessiveLorsque l’employeur propose une mesure d’accommodement déraisonnable, les clauses d’« autre congé payé » sont obligatoires afin de garantir le respect des clauses concernant l’élimination de la discrimination prévues dans les conventions collectivesIl n’y a pas lieu de recourir aux clauses concernant d’autres congés payés puisque l’employeur avait proposé des mesures d’accommodement raisonnablesLa proposition doit seulement être raisonnable pour satisfaire à l’obligation d’accommodementL’employeur a satisfait cette obligation.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 92 (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 68), 96(2).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525; (1994), 115 D.L.R. (4th) 609; 21 Admin. L.R. (2d) 169; 4 C.C.E.L. (2d) 165; 22 C.H.R.R. D/1; 94 CLLC 17,023; 169 N.R. 281; 62 Q.A.C. 241.

DÉCISION EXAMINÉE :

Canada (Procureur général) c. Wiseman, [1995] A.C.F. no 692 (1re inst.) (QL).

DÉCISIONS CITÉES :

Office national de l’énergie c. Commission des relations de travail dans la fonction publique (Can.) et autres (1994), 178 N.R. 377 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941; (1993), 101 D.L.R. (4th) 673; 11 Admin. L.R. (2d) 59; 93 CLLC 14,022; 150 N.R. 161; Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; (1994), 114 D.L.R. (4th) 385; [1994] 7 W.W.R. 1; 22 Admin. L.R. (2d) 1; 46 B.C.A.C. 1; 92 B.C.L.R. (2d) 145; 14 B.L.R. (2d) 217; 4 C.C.L.S. 117; 168 N.R. 321; 75 W.A.C. 1; Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, [1993] 2 R.C.S. 230; (1993), 102 D.L.R. (4th) 609; 14 Admin. L.R. (2d) 1; 93 CLLC 14,032; 152 N.R. 1; 63 O.A.C. 1.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique en ce qui concerne des griefs renvoyés à l’arbitrage conformément à l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Demande rejetée.

AVOCATS :

Catherine H. MacLean pour les requérants.

Harvey A. Newman et Micheline Langlois pour l’intimé.

PROCUREURS :

Nelligan Power, Ottawa, pour les requérants.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Gibson : Les présents motifs se rapportent à une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique rendue par Thomas W. Brown, commissaire, le 15 mai 1995 [[1995] C.R.T.F.P.C. no 43 (QL)], relativement au renvoi à l’arbitrage de 27 griefs, conformément à l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique[1].

Un énoncé conjoint des faits a été déposé devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’arbitre). L’arbitre a intégré à sa décision les éléments les plus pertinents de cet énoncé conjoint des faits, savoir :

 1.  Au total, 27 griefs ont été renvoyés à l’arbitrage au sujet de la question de l’accommodement des croyances religieuses. Quatorze d’entre eux, présentés en 1992, concernent une demande d’« autre congé payé »; les autres, présentés en 1993, concernent des demandes analogues.

 2.  Les fonctionnaires s’estimant lésés, leur groupe professionnel, leur employeur ministériel et les années où les demandes d’« autre congé payé » ont été présentées sont indiqués ci-dessous :

[Seize fonctionnaires s’estimant lésés figurent sur la liste, notamment le requérant en l’espèce qui travaillait à l’époque en cause à la Commission de la fonction publique. Un autre fonctionnaire s’estimant lésé travaillait au ministère de la Défense nationale, alors que les autres travaillaient à Revenu Canada.]

 3.  Tous les griefs ont été présentés dans les délais impartis pour 1992 et 1993 respectivement.

 4.  En ce qui concerne les griefs de 1992, les fonctionnaires s’estimant lésés ont présenté une demande d’« autre congé payé » en vue d’observer la Ros-ha-sanah, une fête juive (les 28 et 29 septembre 1993 (sic)), et le Yom Kippour (le 7 octobre 1992); ils devaient travailler ces jours-là. L’employeur a refusé de leur accorder ce congé. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont subséquemment présenté des demandes de congé annuel payé de trois jours, ce qui leur a été accordé.

 5.  Pour ce qui est des griefs de 1993, les fonctionnaires s’estimant lésés ont présenté des demandes d’« autre congé payé » pour observer la Ros-ha-sanah, une fête juive, (les 16 et 17 septembre 1993). Ces deux journées étaient des jours de travail normaux pour ces employés. En 1993, le Yom Kippour n’est pas tombé un jour de travail normal. L’employeur a rejeté les demandes de congé. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont subséquemment demandé un congé annuel de deux jours, ce qui leur a été accordé.

 6.  L’employeur n’a jamais interdit aux fonctionnaires s’estimant lésés de s’absenter en vue d’observer les fêtes religieuses en question. En fait, il leur a offert diverses options pour qu’ils puissent s’absenter sans perdre de salaire, notamment un congé annuel, un congé compensatoire et des heures de travail additionnelles (pour « rattraper le temps d’absence »). La position de l’employeur est conforme à la politique du Conseil du Trésor intitulée : « Congé payé pour obligations religieuses » …

 7.  M. Richmond est membre du groupe de la Gestion des systèmes d’ordinateur et est assujetti à la convention collective du groupe CS.

M. Livingstone est membre du groupe des Services scientifiques de la défense (DS) et est assujetti à la Convention cadre de l’IPFPC.

Les 14 autres fonctionnaires s’estimant lésés sont membres du groupe de Vérification (AU) et sont assujettis à la convention collective du groupe AU.

 8.  La Ros-ha-sanah, fête observée pendant deux jours consécutifs, et le Yom Kippour sont, ensemble, appelés « Grandes Fêtes », et sont considérés comme étant les plus importantes fêtes religieuses du calendrier juif.

 9.  À l’appui de leur grief, les fonctionnaires s’estimant lésés invoquent l’article concernant l’« Élimination de la discrimination » qui figure dans leur convention collective respective. Le libellé de cet article, … est identique dans les trois conventions collectives :

« Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, son adhésion au syndicat ou son activité dans l’Institut. »

10. En particulier, les fonctionnaires s’estimant lésés affirment que l’employeur a discriminé contre eux leur refusant un congé payé pour d’autres motifs pour leur permettre d’observer les fêtes religieuses susmentionnées. Le libellé des dispositions respectives [qui concerne un congé payé pour d’autres motifs] … est analogue mais non identique. Selon ces diverses dispositions, l’employeur peut, à sa discrétion, accorder un congé payé à des fins autres que celles indiquées dans la convention collective.

Le libellé des clauses relatives aux congés payés pour d’autres motifs des trois conventions collectives figure à l’annexe 1 des présents motifs.

Après avoir exposé avec force détails les arguments avancés au nom des plaignants et de l’employeur, l’arbitre a conclu comme suit [aux pages 73 à 79] :

On ne conteste pas les faits en l’occurrence, ces derniers étant clairement exposés dans l’Énoncé conjoint des faits. Par contre, on conteste la manière dont certaines clauses des conventions collectives pertinentes devraient être interprétées et appliquées aux faits tels qu’ils sont établis. La clause concernant l’« Élimination de la discrimination » s’applique à l’égard de tous les griefs en cause, et l’employeur est d’accord avec les fonctionnaires s’estimant lésés qu’ils ne devraient nullement être victimes de discrimination parce qu’ils sont de religion juive—on ne doit pas les empêcher d’observer leurs obligations religieuses, ce qui, en l’occurrence, signifie qu’ils doivent pouvoir s’absenter du travail à l’occasion de la Ros-ha-sanah et du Yom Kippour, deux Grandes Fêtes juives, pour observer leurs obligations religieuses ces jours-là.

Dans les griefs dont je suis saisi, chacun des fonctionnaires s’estimant lésés a pu s’absenter pour observer la Ros-ha-sanah et le Yom Kippour. Or, ces derniers se plaignent d’avoir été obligés de prendre un congé annuel alors que l’employeur aurait dû leur accorder un congé payé « pour d’autres motifs », type de congé discrétionnaire prévu dans leurs conventions collectives. Même s’ils n’ont perdu aucun salaire en prenant un congé annuel, leurs crédits de congé annuel, eux, ont été réduits et, selon eux, c’est ce qui fait qu’ils ont été victimes de discrimination puisque les employés de religion chrétienne sont autorisés à prendre congé pour célébrer les fêtes religieuses, telles que Noël et Pâques, sans perte de salaire ni de crédits de congé.

L’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés invoque essentiellement l’arrêt Chambly … de la Cour suprême du Canada où il est clairement dit que les employés qui appartiennent à un groupe religieux minoritaire par rapport aux croyances religieuses de leurs collègues doivent être accommodés par l’employeur sous réserve de contrainte excessive en les autorisant à s’absenter pour observer leur [sic] obligations religieuses. En l’occurrence, selon l’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés, cela signifie que l’employeur doit accorder un congé payé à ces derniers conformément à la clause de la convention collective selon laquelle il peut accorder un congé payé « pour d’autres motifs ». Ainsi, les fonctionnaires s’estimant lésés seraient autorisés à s’absenter et ne perdraient aucun crédit de congé« tout comme les autres employés appartenant aux religions chrétiennes peuvent s’absenter sans perdre de salaire ni de crédits de congé pour observer leurs obligations religieuses. Il ne suffit pas, selon l’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés, que l’employeur leur offre d’autres arrangements conformément à sa « politique », arrangements qui n’entraîneraient aucune perte de crédits de congé ou de salaire.

Selon l’avocat de l’employeur, l’essentiel de l’argumentation de l’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés est que la seule façon dont l’employeur peut accommoder ces derniers c’est en leur accordant un congé payé « pour d’autres motifs » conformément à une clause de leurs conventions collectives. Dès le départ, selon l’avocat de l’employeur, il faut dire que l’autorisation de ce congé est laissée à la discrétion de l’employeur puisque ce dernier « peut » l’accorder à sa discrétion. Selon lui, les fonctionnaires me demandent de ne pas tenir compte de cet aspect et d’ordonner à l’employeur de leur accorder le congé. Il a soutenu que nulle part dans l’arrêt Chambly … la Cour suprême du Canada a-t-elle mentionné que le congé payé « pour d’autres motifs » doit être accordé pour accommoder un employé.

Ayant examiné la jurisprudence pertinente, je suis convaincu que la Cour suprême du Canada a établi qu’il fallait qu’il y ait accommodement, mais que cet accommodement ne devait pas entraîner une « contrainte excessive » s’il existe une autre forme d’accommodement. En l’occurrence, l’employeur s’est doté d’une politique concernant les congés pour obligations religieuses, notamment « le recours aux congés annuels ou compensatoires, les échanges de quart pour les travailleurs par équipe, l’horaire variable (semaine de travail comprimée) ou des arrangements individuels pour rattraper le temps d’absence, si les impératifs du service le permettent ». Toutefois, aucun des fonctionnaires s’estimant lésés n’a demandé d’être accommodés autrement que par le biais d’un congé payé « pour d’autres motifs ».

Une lecture attentive de l’arrêt Chambly … n’indique pas que l’employeur doit subir une contrainte pour accommoder un membre du personnel afin que celui-ci puisse observer ses obligations religieuses. Il est indiqué par ailleurs qu’il doit accommoder un employé dans de telles circonstances et que cet accommodement doit être sous forme d’une période d’absence sans perte de salaire. Selon moi, la perte de salaire a constitué le fond même de l’arrêt de la Cour dans Chambly … lorsqu’elle a décidé de rétablir la décision de la majorité du tribunal d’arbitrage d’accorder aux enseignants en question un congé payé en ce sens que la Cour était d’avis que l’employeur a refusé de raisonnablement les accommoder en ne leur accordant qu’un congé non payé.

En l’occurrence, les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont perdu aucun salaire. Ils ont tous pu prendre le congé demandé, soit un congé annuel, après qu’on eut rejeté leur première demande de congé, c’est-à-dire un congé payé « pour d’autres motifs » conformément à une clause de la convention collective qui prévoit l’autorisation d’un tel congé à la discrétion de l’employeur. Comme l’a signalé l’avocat de l’employeur, il peut se présenter des circonstances où l’employeur pourrait accorder un tel congé pour permettre à un employé d’observer ses obligations religieuses. Mais lorsque l’employé peut prendre d’autres arrangements lui permettant de s’absenter sans perte de salaire, je crois que ce serait violer la convention collective que d’ordonner à l’employeur d’accorder un congé discrétionnaire compte tenu du fait que celui-ci a mis en place un programme en vue d’accommoder un employé en lui offrant d’autres arrangements tels que ceux prévus dans la « politique » de l’employeur. À cet égard, je rappelle le paragraphe 96(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Aucun droit absolu à « un congé payé pour d’autres motifs » n’a été dévolu aux employés qui désirent s’absenter pour observer leurs obligations religieuses. Les tribunaux ont reconnu seulement le fait qu’un employeur doit accommoder l’employé en l’autorisant à s’absenter sans perte de salaire. L’exigence selon laquelle l’accommodement doit être sous réserve de contrainte excessive intervient seulement si l’employeur ne peut prendre d’autres arrangements moins onéreux pour accommoder l’employé—alors il incombe à l’employeur, à moins de contrainte excessive, d’accommoder ce dernier.

Par conséquent, pour tous ces motifs, je suis convaincu que l’employeur n’a pas contrevenu à la disposition concernant l’« Élimination de la discrimination »que l’on retrouve dans les conventions collectives auxquelles sont assujettis les fonctionnaires s’estimant lésés. De plus, ces derniers ne m’ont pas convaincu que l’employeur avait agi de manière arbitraire, discriminatoire, déraisonnable ou de mauvaise foi lorsqu’il a refusé de leur accorder un congé payé pour d’autres motifs pour leur permettre de célébrer les Grandes Fêtes juives.

Vu ce qui précède, je conclus que les griefs ne peuvent être accueillis. Ils sont donc rejetés. [Non souligné dans l’original.]

Dans leur dossier de la demande, les requérants demandent que la décision de l’arbitre soit infirmée et l’affaire renvoyée devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique pour jugement, conformément aux motifs de cette Cour. Dans ce même document, les points en litige devant la Cour sont ainsi formulés : l’arbitre a-t-il rendu une décision entachée d’une erreur lorsqu’il a établi que l’employeur n’avait pas violé les clauses concernant l’« Élimination de la discrimination » des conventions collectives?; et l’arbitre a-t-il rendu une décision entachée d’une erreur lorsqu’il a établi que l’employeur n’avait pas agi de manière discriminatoire ou déraisonnable lorsqu’il a refusé d’accorder aux requérants un congé payé pour d’autres motifs afin de leur permettre de célébrer les Grandes Fêtes juives?

La question de la norme de contrôle adéquate a été brièvement plaidée devant moi. Les deux avocats ont cité l’affaire Canada (Procureur général) c. Wiseman[2], un jugement récent de cette Cour rendu par le juge Cullen, dans lequel il conclut comme suit [à la page 20] :

J’ai examiné les critères susmentionnés et les arrêts de la Cour suprême du Canada concernant la norme de contrôle et je conclus qu’il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision que l’arbitre a rendue en l’espèce, en particulier parce qu’elle se rapporte à une question qui relève directement du champ de compétence et d’expertise spéciale de l’arbitre. Je n’ai pu arriver à une formule toute faite—comme celle du « caractère manifestement déraisonnable »—pour décrire le genre de décision qui exige l’intervention judiciaire, mais il suffit de dire que seules les décisions qui ne peuvent pas être étayées par la preuve peuvent faire l’objet d’une intervention[3].

La décision de l’arbitre dans cette affaire dépendait, dans une large mesure, de son interprétation de l’arrêt Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin[4] rendu par la Cour suprême du Canada, comme en font foi les passages cités dans sa décision ci-dessus. Cela étant, et comme l’arbitre était saisi essentiellement d’une question d’interprétation des clauses antidiscriminatoires et de l’obligation qu’elles imposent à l’employeur, il s’agissait là d’une décision qui relevait autant du domaine des droits de la personne que de l’interprétation des conventions collectives comme telles et de la législation du travail. Comme il était peu probable que l’arbitre ait des connaissances spécialisées en matière de droits de la personne et d’interprétation des décisions judiciaires dans ce domaine du droit, je doute que le degré de retenue qui s’imposait selon le juge Cullen d’après les faits dont il était saisi soit exigé en l’espèce. Quel que soit le degré de retenue dont il faille faire preuve à l’égard de la décision de l’arbitre, je suis convaincu qu’il a eu raison de trancher en ce sens, et je ne me prononcerai donc pas sur cette question.

L’avocat des requérants a allégué que l’arbitre avait commis une erreur en concluant que ce serait violer les conventions collectives que d’ordonner à l’employeur d’accorder des congés discrétionnaires, compte tenu du fait que celui-ci a mis en place un programme en vue d’accommoder les employés en leur offrant d’autres arrangements. L’arbitre avait conclu que d’enjoindre à un employeur qui avait proposé une mesure d’accommodement d’accorder un congé payé équivaudrait à modifier les conventions collectives en rendant obligatoire un pouvoir par ailleurs discrétionnaire et qu’il s’agirait donc d’une violation du paragraphe 96(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique dont voici la teneur :

96.

(2) En jugeant un grief, l’arbitre ne peut rendre une décision qui aurait pour effet d’exiger la modification d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

Je suis convaincu que dans certaines circonstances, l’arbitre pouvait conclure que le recours aux clauses concernant les congés payés des conventions collectives était nécessaire pour respecter les clauses relatives à l’élimination de la discrimination et que, dans ces circonstances, il n’y aurait ni violation des conventions collectives ni infraction au paragraphe 96(2). Je fais droit à cet égard à la thèse présentée au nom des requérants. L’arbitre se devait d’interpréter les conventions collectives dans leur ensemble et non dans l’abstrait, indépendamment des clauses concernant l’élimination de la discrimination. Ainsi, lorsque l’employeur propose une mesure d’accommodement déraisonnable, l’arbitre peut être forcé d’interpréter les clauses par ailleurs discrétionnaires concernant d’« autres congés payés » comme des clauses obligatoires afin de garantir le respect des clauses concernant l’élimination de la discrimination. En effet, la conclusion fondamentale dans l’arrêt Chambly était qu’une clause semblable devait être interprétée de cette façon, lorsque le recours à cette clause constituait l’unique moyen de garantir le respect des clauses concernant l’élimination de la discrimination prévues dans la convention collective.

En l’espèce toutefois, l’arbitre a eu raison de conclure qu’il y a eu une proposition raisonnable d’accommodement de la part de l’employeur, et qu’il n’y avait pas lieu de recourir aux clauses concernant d’autres congés payés. Il ressortait clairement des faits devant l’arbitre que l’employeur avait proposé aux requérants un éventail de mesures d’accommodement à l’égard de leurs obligations religieuses, notamment, la possibilité de faire des heures supplémentaires pour rattraper le temps d’absence. Cette mesure permettait effectivement aux requérants de remplir leurs obligations religieuses sans perte de salaire ni de crédits de congé. Compte tenu de cette mesure seulement, je conclus que l’arbitre a eu raison de décider que l’employeur avait proposé une offre d’accommodement raisonnable, bien qu’elle n’ait entraîné aucune contrainte excessive pour l’employeur.

Dans l’arrêt Chambly, le juge Cory a conclu ainsi [à la page 546] :

Il importe de se rappeler que l’obligation d’accommodement est limitée par les mots « raisonnable » et « sans s’imposer de contrainte excessive ». Il s’agit là non pas de critères indépendants, mais plutôt de différentes façons d’exprimer le même concept.

À l’instar de l’arbitre, je conclus que cette déclaration signifie que, pour qu’il soit satisfait à l’obligation d’accommodement, la proposition à cet égard doit seulement être raisonnable. L’employeur n’était nullement tenu d’accéder aux demandes particulières des requérants. Il n’était tenu que de fournir des mesures d’accommodement raisonnables. Je suis convaincu que l’arbitre a eu raison de conclure, compte tenu des faits qui lui étaient soumis, que l’employeur avait satisfait à cette obligation.

Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

ANNEXE 1[5]

1. La convention collective du groupe CS :

17.13 Congés payés ou non payés pour d’autres motifs

L’employeur peut, à sa discrétion, accorder un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention.

2. La Convention cadre de l’IPFPC :

17.14 Autres congés payés

À sa discrétion, l’employeur peut accorder un congé payé pour des fins autres que celles qui sont indiquées dans la présente convention collective, y compris l’instruction militaire, les cours de formation en protection civile et les situations d’urgence touchant la localité ou le lieu de travail et lorsque des circonstances qui ne sont pas directement attribuables à l’employé l’empêchent de se rendre au travail.

3. La convention collective du groupe de Vérification (AU) :

L’employeur peut à sa discrétion, accorder :

21.13 Congés payés ou non payés pour d’autres motifs

a)   un congé payé lorsque des circonstances qui ne sont pas directement imputables à l’employé l’empêchent de se rendre au travail. Ce congé n’est pas refusé sans motif raisonnable;

b)   Un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention.



[1] L.R.C. (1985), ch. P-35 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 68].

[2] [1995] A.C.F. no 692 (1re inst.) (QL).

[3] Les arrêts cités par le juge Cullen en ce qui concerne la question de la norme de contrôle étaient les suivants : Office national de l’énergie c. Commission des relations de travail dans la fonction publique (Can.) et autres (1994), 178 N.R. 377 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941 (AFPC no 2); Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendant of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557 et Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, [1993] 2 R.C.S. 230.

[4] [1994] 2 R.C.S. 525 (à laquelle il est fait référence dans une partie de la décision de l’arbitre précitée dans les présents motifs comme étant l’arrêt « Chambly »).

[5] Voir le para. 7 de l’énoncé conjoint des faits cité dans la décision de l’arbitre à la p. 2 précitée, ainsi que le bref paragraphe à la p. 3 des présents motifs qui suivent, immédiatement la citation tirée de l’énoncé conjoint des faits.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.