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[1996] 3 C.F. 907

T-2676-89

Alfredo Moon, Kenneth Moon, Henry Moon, Glenn Moon, Albert Moon, Lilli Moon, Jennifer Moon, Alexander Moon et Samantha Moon, par leur tuteur à l’instance Alfredo Moon, Allison Moon et Danielle Moon, par leur tutrice à l’instance Lilli Moon (demandeurs)

c.

Bande indienne de Campbell River, conseil de la bande indienne de Campbell River et Sa Majesté la Reine (défendeurs)

Répertorié : Moon c. Bande indienne de Campbell River (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed— Vancouver, 8 mai; Ottawa, 19 juin 1996.

Peuples autochtones Inscription Appartenance à la bande d’enfants indiens adoptifs selon l’art. 10 de la Loi sur les IndiensDroit des enfants à l’allocation de Noël versée par la bandeDélai de prescription de dix ans fondé sur le fait que le conseil de la bande agissait à titre de fiduciaire de ses membres.

Six des demandeurs, qui sont des enfants naturels de Nellie Moon et qui faisaient partie de la bande indienne de Nimpkish, ont été adoptés par Victor et Nellie Moon en 1978. Victor Moon faisait partie de la bande indienne de Campbell River et, en octobre 1977, il a épousé Nellie Grey, qui est alors devenue membre de la bande indienne de Campbell River. Peu de temps après l’adoption, le registraire du ministère des Affaires indiennes a retranché le nom des six enfants de la liste de la bande indienne de Nimpkish et les a ajoutés à celle de la bande indienne de Campbell River. En 1979, le conseil de la bande a formulé une protestation à l’égard de cette décision. La registraire a rejeté la protestation au motif qu’elle avait été formulée tardivement, étant donné qu’elle n’avait pas été déposée dans le délai prescrit et que, de toute façon, les enfants avaient le droit, en tant qu’enfants légalement adoptés de Victor Moon, de faire partie de la bande par application de l’article 10 de la Loi sur les Indiens.

Les demandeurs invoquent l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale et les articles 2 et 69 de la Loi sur les Indiens pour réclamer de la bande et du conseil de la bande, en tant que membres de la bande indienne de Campbell River, le paiement des sommes (prestations en argent ou allocations de Noël) qui ont été versées à chacun des membres de la bande lors du partage par tête qui a eu lieu de 1979 à 1992 et en 1995.

Jugement : l’action est accueillie.

L’article 10 de la Loi sur les Indiens dispose que, lorsque le nom d’une personne de sexe masculin est inclus dans une liste de bande, les noms de son épouse et de ses enfants mineurs doivent également être inclus. L’article 2 précisait que le mot « enfant » comprenait un enfant indien légalement adopté. La thèse de la bande est que, lorsqu’un enfants indien est adopté, il ne peut, aux termes de l’article 13, devenir membre de la bande de son père adoptif sans le consentement de cette bande. L’article 13 vise toutefois les Indiens inscrits qui ne sont ni des mineurs ni des épouses et qui désirent être admis au sein d’une bande. L’article 10 vise une catégorie de personnes plus restreinte (la famille nucléaire) que l’article 13. Suivant un principe d’interprétation des lois, les dispositions plus spécifiques d’une loi doivent être interprétées isolément, en faisant abstraction des dispositions plus générales de la même loi. L’article 10 régit donc le cas qui nous occupe. Il n’y a aucun lien entre les deux dispositions. Il n’y a aucune ambiguïté en ce qui concerne leur champ d’application. Qui plus est, ce serait une erreur de considérer comme pertinente à l’interprétation de la Loi sur les Indiens en vigueur en 1978 la façon dont on dit que l’Angleterre considérait les tribus indiennes au milieu du XVIIIe siècle. On ne devrait pas non plus interpréter les articles 10 et 13 en fonction d’écrits et de jugements américains choisis qui portent sur une période beaucoup plus ancienne et qui concernent la situation qui existait dans un pays qui entretenait avec les Indiens des rapports différents du nôtre.

Les arrêts Nowegijick et Mitchell ne sont d’aucun secours pour résoudre un différend qui oppose un membre d’une bande à d’autres membres de la bande ou au conseil de bande. Le jugement G. (C.L.) v. Smith, [1985] 2 W.W.R. 155 (C. de cté C.-B.), dans lequel le juge a conclu que l’appartenance d’un enfant à l’effectif de sa bande natale était un « droit acquis à la naissance », est mal fondé.

Comme il n’a jamais ouvert d’enquête, le registraire n’a jamais rendu de décision en réponse à la protestation. En conséquence, le paragraphe 9(2) de la Loi ne s’applique pas.

En conséquence, les six enfants adoptifs sont tous membres de la bande, de même que leurs ayants droit, et ils avaient donc le droit, au cours des années en cause, de toucher l’allocation de Noël.

Quant au délai de prescription applicable, si les rapports qui existent entre le conseil de la bande et les membres de la bande sont des rapports de confiance plutôt que des rapports fiduciaires (qui se prescrivent par dix ans), le délai de prescription est de six ans. Il existait un droit de recours distinct et indépendant pour chaque année où il y a eu défaut de paiement (1979 à 1992 et 1995). Il ressort de la preuve que les rapports qui existent entre le conseil de la bande et les membres de la bande qui n’ont pas reçu les allocations sont des rapports fiduciaires. Les sommes ont été versées au conseil de la bande à la condition expresse qu’il les détienne en fiducie pour les membres de la bande. Ces sommes ont été traitées comme telles par le conseil. Il y avait des biens fiduciaires précis et identifiables. La fiducie visait une fin précise et identifiable, à savoir le versement de l’allocation aux membres de la bande.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Acte des Sauvages, S.R.C. 1886, ch. 43, art. 2h), 11, 12.

Constitution of the United States, art. 1, § 8, cl. 3.

Limitation Act, R.S.B.C. 1979, ch. 236.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5].

Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, art. 2d), 14, 15.

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 18.

Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29, art. 2(1).

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I-6, art. 2(1) « enfant », « membre d’une bande », 7, 9, 10, 13, 14, 66, 69.

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 10(1) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 4), (9) (mod., idem).

Règlement sur les revenus des bandes d’Indiens, C.R.C., ch. 953, annexe (mod. par DORS/73-593, art. 1).

JURISPRUDENCE

DÉCISION CRITIQUÉE :

G. (C.L.) v. Smith, [1985] 2 W.W.R. 155 (C. de cté C.-B.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; (1983), 144 D.L.R. (3d) 193; [1983] 2 C.N.L.R. 89; [1983] CTC 20; 83 DTC 5041; 46 N.R. 41; Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85; (1990), 71 D.L.R. (4th) 193; [1990] 5 W.W.R. 97; 67 Man. R. (2d) 81; [1990] 3 C.N.L.R. 46; 110 N.R. 241; 3 T.C.T. 5219; Les parents naturels c. Superintendent of Child Welfare et autres, [1976] 2 R.C.S. 751; (1975), 60 D.L.R. (3d) 148; [1976] 1 W.W.R. 699; 6 N.R. 491; Sawridge Indian Band v. Potskin and Saddle Lake Indian Band (1985), 64 A.R. 1; 39 Alta. L.R. (2d) 72; [1986] 2 C.N.L.R. 164 (B.R.); Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; (1984), 13 D.L.R. (4th) 321; [1984] 6 W.W.R. 481; 59 B.C.L.R. 301; [1985] 1 C.N.L.R. 120; 20 E.T.R. 6; 55 N.R. 161; 36 R.P.R. 1.

ACTION intentée par six enfants indiens adoptifs en vue d’obtenir de la part de la bande et du conseil de bande défendeur le paiement des sommes qui ont été versées à chacun des membres de la bande lors du partage par tête qui a eu lieu de 1979 à 1992 et en 1995, le droit à ces sommes dépendant de la question de savoir si les demandeurs font partie de la bande indienne de Campbell River. Les enfants faisaient tous partie de la bande indienne de Campbell River et avaient droit aux sommes en question.

AVOCATS :

Richard F. Johnston pour les demandeurs.

Lewis F. Harvey et Tracy R. Fleck pour les défendeurs la bande indienne de Campbell River et le conseil de la bande indienne de Campbell River.

Mitchell R. Taylor et Darlene Prosser pour la défenderesse Sa Majesté la Reine.

PROCUREURS :

Johnston, Lewis & Company, Nanaimo (Colombie-Britannique), pour les demandeurs.

Davis and Company, Vancouver, pour les défendeurs la bande indienne de Campbell River et le conseil de la bande indienne de Campbell River.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse Sa Majesté la Reine.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Reed : Les demandeurs réclament de la bande et du conseil de bande défendeurs le paiement des sommes qui ont été versées à chacun des membres de la bande lors du partage par tête qui a eu lieu de 1979 à 1992 et en 1995. Ces sommes sont désignées sous le nom de « prestations en argent » ou d’« allocations de Noël ». Le droit à ces sommes dépend de la question de savoir si les demandeurs font partie de la bande indienne de Campbell River.

Pour affirmer qu’ils sont membres de la bande indienne de Campbell River, les demandeurs invoquent l’adoption, en 1978, des demandeurs Alfredo, Kenneth, Henry, Glenn, Albert et Lilli Grey (maintenant Moon). Ces personnes ont été adoptées par Victor et Nellie Moon le 10 octobre 1978. Victor Moon faisait partie de la bande indienne de Campbell River et il avait épousé Nellie Grey (maintenant Moon) le 19 octobre 1977. Les six enfants en question étaient des enfants naturels de Nellie issus de son mariage précédent avec Alfred Grey.

Au moment de leur naissance, les enfants étaient devenus membres de la bande indienne de Nimpkish. Alfred Grey faisait partie de cette bande et Nellie, qui, avant son mariage, appartenait à une autre bande, est devenue membre de la bande indienne de Nimpkish par suite de son mariage avec Alfred. Elle est par la suite devenue membre de la bande indienne de Campbell River lorsqu’elle a épousé Victor Moon. Personne ne conteste ces changements d’appartenance. Les changements en question se sont produits en vertu des dispositions alors applicables de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I-6, les articles 10 et 14. (Chaque fois que la Loi sur les Indiens est mentionnée dans les présents motifs, il s’agit, sauf indication contraire, de S.R.C. 1970, ch. I-6.)

Peu de temps après l’adoption des enfants, le registraire du ministère des Affaires indiennes a retranché le nom des six enfants de la liste de la bande indienne de Nimpkish et les a ajoutés à celle de la bande indienne de Campbell River[1]. Les six noms figurent sur le registre du 31 décembre 1978[2]. Le rapport d’appartenance à l’effectif de la bande qui a été affiché au bureau régional des Affaires indiennes de Campbell River le 28 février 1979 contenait leur nom[3]. Bien que je ne croie pas que ce fait soit pertinent, compte tenu de la déclaration contenue dans l’exposé conjoint des faits suivant laquelle le transfert effectué par le registraire s’est produit peu de temps après l’adoption, je constate que le plus âgé des six enfants, Alfredo, a atteint sa majorité le 16 janvier 1979[4].

La question de l’appartenance des enfants à l’effectif de la bande a été soulevée lors de l’assemblée générale de la bande qui a eu lieu le 27 mai 1979. Le 13 décembre 1979, le conseil de la bande indienne de Campbell River a formulé une protestation à l’égard de la décision du registraire d’inclure les six enfants parmi l’effectif de la bande. Voici le motif qu’il a invoqué au soutien de cette protestation :

[traduction] Il faut obtenir le consentement de la bande de Campbell River avant de pouvoir procéder au transfert. L’enfant faisait partie de la bande de Nimpkish et son père naturel faisait lui aussi partie de la bande de Nimpkish, de sorte que l’enfant ne peut être transféré de la bande de Nimpkish à la bande de Campbell River sans le consentement de la bande de Campbell River.

Le registraire a rejeté la protestation au motif que : (1) elle avait été formulée trop tardivement, étant donné qu’elle n’avait pas été déposée dans le délai de trois mois prescrit par le paragraphe 9(1) de la Loi sur les Indiens et que, de toute façon; (2) les enfants avaient le droit, en tant qu’enfants légalement adoptés de Victor Moon, de faire partie de la bande par application de l’article 10 de la Loi sur les Indiens. Cette décision a été prise le 10 mars 1980. Il n’est pas nécessaire, pour décider si les demandeurs font partie de la bande, de relater les diverses communications qui ont suivies.

Appartenance des enfants adoptés à l’effectif de la bande

Le différend concernant l’appartenance des enfants à l’effectif de la bande découle d’interprétations différentes de la corrélation qui existe entre l’article 10 et l’article 13 de la Loi sur les Indiens, dans sa rédaction alors en vigueur. L’article 10 portait :

10. Lorsque le nom d’une personne du sexe masculin est inclus dans une liste de bande ou une liste générale, ou y est ajouté ou omis, ou en est retranché, les noms de son épouse et de ses enfants mineurs doivent également être inclus, ajoutés, omis ou retranchés, selon le cas. [Mots non soulignés dans l’original.]

L’article 13 disposait :

13. Sous réserve de l’approbation du Ministre et, si ce dernier l’ordonne, sous réserve du consentement de la bande qui accorde l’admission,

a) une personne dont le nom apparaît sur une liste générale peut être admise au sein d’une bande avec le consentement du conseil de la bande, et

b) un membre d’une bande peut être admis parmi les membres d’une autre bande avec le consentement du conseil de celle-ci. [Mots non soulignés dans l’original.]

Il faut rapprocher l’article 10 du paragraphe 2(1), qui déclarait que, dans cette loi, le mot « enfant » comprenait un enfant indien légalement adopté .

Au cours de l’audition de cette action, j’ai formulé des commentaires au sujet du statut de l’enfant non indien qui pourrait être adopté par des parents indiens. À la réflexion, je ne crois pas que cette situation hypothétique soit pertinente. La définition du mot « enfant » qui était contenue au paragraphe 2(1) de la Loi précisait que, dans cette Loi, le mot « indien » comprenait « un enfant indien légalement adopté » (mot non souligné dans le texte original).

En tout état de cause, la thèse de la bande est que, lorsqu’un enfant indien est adopté, il ne peut devenir membre de la bande de son père adoptif sans le consentement de cette bande. C’est le consentement prévu à l’alinéa 13a) qu’il doit obtenir si son nom apparaît sur la liste générale, et le consentement prévu à l’alinéa 13b), si son nom figure sur une liste de bande. La liste générale contient le nom des personnes qui, tout en n’étant membres d’aucune bande, sont des Indiens inscrits.

Les défendeurs soutiennent qu’il y a une contradiction entre l’article 10 et l’article 13 et que, pour résoudre cette contradiction, il faut rapprocher l’article 10 de l’article 13 de manière à accorder à chacune des bandes le plus d’autonomie possible, le plus large contrôle possible sur l’appartenance à leur effectif. Les défendeurs affirment que cette manière de voir est conforme à la politique actuelle et historique du gouvernement et à la jurisprudence. Les défendeurs se fondent en outre sur les jugements G. (C.L.) v. Smith, [1985] 2 W.W.R. 155 (C. de cté C.-B.) et Sawridge Indian Band v. Potskin and Saddle Lake Indian Band (1985), 64 A.R. 1 (B.R.).

Je ne vois aucune contradiction entre l’article 10 et l’article 13. Il résulte du rapprochement du texte clair de l’article 10 et de la définition du mot « enfant » que l’on trouve au paragraphe 2(1) que l’enfant adoptif et l’enfant naturel appartiennent à la même bande que leur père, tout comme l’épouse de ce dernier. L’article 10 est libellé en des termes impératifs : « les noms de son épouse et de ses enfants mineurs [parmi lesquels sont compris les enfants indiens légalement adoptés] doivent également être inclus » (mot non souligné dans le texte original). La question de savoir si cette disposition coïncide avec les vues actuelles sur l’autonomie des bandes ou sur la situation de la femme mariée est une autre question. Le libellé est explicite.

L’article 13 possède son propre champ d’application. Il vise les Indiens inscrits qui ne sont ni des mineurs ni des épouses et qui désirent être admis au sein d’une bande. En pareil cas, le consentement de la bande où ils désirent être transférés est exigé. Toutefois, dans le cas des enfants mineurs et des épouses, l’admission au sein de la bande de leur père ou de leur mari n’a pas été laissée à la discrétion de la bande, ni à celle de l’épouse ou de l’enfant. L’article 10 vise une catégorie de personnes plus restreinte (la famille nucléaire) que l’article 13. Suivant un principe d’interprétation des lois, les dispositions plus spécifiques d’une loi doivent être interprétées isolément, en faisant abstraction des dispositions plus générales de la même loi. L’application de ce principe mène également à la conclusion que l’article 10 régit le cas qui nous occupe.

Un autre motif qui justifie cette conclusion est que le législateur fédéral n’a pas déclaré que l’article 10 s’appliquait « sous réserve de l’article 13 ». Il n’a pas non plus précisé que l’article 13 s’appliquait « nonobstant l’article 10 ». Le législateur n’a pas ajouté de disposition déclarant que, pour l’application de l’article 10, les enfants indiens adoptés n’étaient pas compris parmi les « enfants ». Je suis d’avis que, s’il avait voulu mettre les deux articles en corrélation comme l’avocat de la bande le prétend, le législateur fédéral aurait utilisé l’une de ces trois techniques de rédaction.

Je me suis demandée si, lorsqu’on lit les articles 10 et 13 à la lumière de l’article 14, on peut dire qu’il y a une ambiguïté. L’article 14 dispose :

14. Une femme qui est membre d’une bande cesse d’en faire partie si elle épouse une personne qui n’en est pas membre, mais si elle épouse un membre d’une autre bande, elle entre dès lors dans la bande à laquelle appartient son mari.

On peut se demander pourquoi, si l’enfant adopté qui fait partie d’une autre bande entre dans la bande de son père adoptif par application de l’article 10, l’article 14 serait nécessaire dans le cas de la femme; en d’autres termes, pourquoi l’article 10 ne suffirait pas. On trouve la réponse à cette question dans l’historique législatif des articles 10 et 14 (voir, par exemple, [Loi des Indiens] S.R.C. 1927, ch. 98, alinéa 2d) et articles 14 et 15, et [Acte des Sauvages] S.R.C. 1886, ch. 43, alinéa 2h) et articles 11 et 12). L’article 14 s’inscrit dans le cadre d’un régime qui a vu les femmes mariées perdre ou acquérir le statut d’Indienne et de membre d’une bande et s’émanciper ou cesser de l’être selon le statut de leur mari. Ce n’est qu’en 1951 [Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29, paragraphe 2(1)] que le législateur a précisé le sens du terme « enfant » dans la Loi en déclarant que les enfants indiens légalement adoptés étaient compris parmi les enfants. Il n’y a aucun lien entre les deux dispositions. Elles s’appliquent indépendamment et il n’y a aucune ambiguïté en ce qui concerne leur champ d’application respectif.

Quant à l’idée que le gouvernement a pour politique d’accorder aux bandes indiennes autant d’autonomie que possible, l’avocat de Sa Majesté a de toute évidence raison lorsqu’il affirme que ce n’est que depuis peu que l’on met l’accent sur cette autonomie. En effet, bien qu’il soit vrai qu’au milieu du XVIIIe siècle, l’Angleterre considérait les tribus indiennes de l’Amérique du Nord comme des « nations » dans le but d’obtenir leur appui dans les guerres qu’elle livrait à la France, il s’agit là d’une partie négligeable de l’histoire, tant sur le plan chronologique que sur le plan géographique.

Par ailleurs, le fait de se fier aux sources américaines me semble toujours quelque peu problématique. Le concept des nations internes tributaires qui a été élaboré aux États-Unis n’est pas un concept familier au Canada. Le traitement différent qui est prévu par la Constitution des deux pays (lesquelles Constitutions ont, bien sûr, été rédigées à une centaine d’années d’intervalle) en dit long sur leur histoire respective. Ainsi, l’article premier, section 8, clause 3 de la Constitution des États-Unis de 1787 donne au Congrès le pouvoir [traduction] « de réglementer le commerce avec les pays étrangers et entre les divers États de l’Union, ainsi qu’avec les tribus indiennes ». L’article 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], confère pour sa part au Parlement du Canada, sous la rubrique générale « Indiens et les terres réservées pour les Indiens » une autorité législative comparable à celle qui lui est accordée sur d’autres sujets. À mon avis, ce serait une erreur de considérer comme pertinente à l’interprétation de la Loi sur les Indiens dans sa rédaction en vigueur en 1978 la façon dont ont dit que l’Angleterre considérait les tribus indiennes au milieu du XVIIIe siècle.

Il est à peu près incontestable que les dispositions législatives qui régissaient les Indiens étaient paternalistes. Toutefois, ce n’est que justice envers ceux qui ont rédigé ces dispositions de les examiner en les situant dans le contexte historique dans lequel elles ont été édictées. Elles constituaient une tentative de gérer le conflit entre les cultures qui devait inévitablement éclater (conflit dont les Indiens ne pouvaient que sortir perdants). J’inclus dans le concept de « culture » les conceptions différentes de l’utilisation du sol et de la propriété. Il est également indéniable que de nombreux aspects de la loi sont devenus désuets et mal adaptés. Mais, selon moi, on réécrirait l’histoire si l’on interprétait les articles 10 et 13 de la Loi sur les Indiens en fonction d’écrits et de jugements américains choisis qui portent sur une période beaucoup plus ancienne et qui concernent la situation qui existait dans un pays qui entretenait avec les Indiens des rapports différents des nôtres.

L’avocat de la bande a peut-être raison d’affirmer que l’unité de la famille, que l’article 10 tente de protéger, est un concept ethnocentrique (européen) de la famille : c’est l’unité de la famille nucléaire que l’on protège et ce concept est assurément d’abord et avant tout patrilinéaire et non matrilinéaire. Néanmoins, rien ne permet de croire que l’acceptation des enfants adoptifs au sein de la bande du père adoptif n’était pas une coutume indienne; d’ailleurs, aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet des coutumes du groupe tribal—ou des groupes tribaux—en question. Compte tenu de l’emplacement géographique des deux bandes, qui se trouvent à Alert Bay et à Campbell River, en Colombie-Britannique, il est tout à fait possible que les deux bandes appartiennent au même groupe tribal. Si tel est le cas, la coutume ancestrale suivie par les deux bandes en ce qui concerne les enfants adoptifs qui se trouvent dans la situation des demandeurs n’est peut-être pas très différente de celle qui était imposée par la Loi de 1978. Aucun élément de preuve n’a été présenté dans un sens ou dans l’autre sur cette question, mais je ne suis certainement pas prête à accepter que la coutume ancestrale suivie par les bandes en question était sensiblement différente de celle qui est prévue par la loi en l’absence de preuve en ce sens.

Habituellement, lorsqu’un enfant est adopté par sa mère et par le nouveau mari de celle-ci, il y a eu renonciation, par le père naturel, à tous les droits qu’il pourrait avoir sur l’enfant, ou l’on s’est passé de son consentement pour des raisons valables. L’enfant adoptif grandit au sein de sa famille sociologique. Ainsi, en l’espèce, l’aîné, Alfredo, a témoigné qu’il avait environ sept ou huit ans lorsqu’il a eu ses derniers contacts avec Alert Bay (C.-B.). Qui plus est, les enfants avaient vécu pendant certaines périodes de temps à Campbell River avec leur mère avant qu’elle n’épouse Victor Moon. Il ressort du témoignage du jeune Alfredo que les enfants n’ont de liens sociologiques qu’avec la bande de Campbell River et non avec celle de Nimpkish.

Les arrêts Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29 et Mitchell c. Bande indienne Péguis, [1990] 2 R.C.S. 85 ont été cités. Dans l’arrêt Nowegijick, le juge Dickson [tel était alors son titre], qui s’exprimait au nom de la Cour, a déclaré que les lois et les traités devaient être interprétés libéralement et que les expressions ambiguës devaient être interprétées en faveur des Indiens. Dans l’arrêt Mitchell, le juge La Forest a déclaré que les considérations qui s’appliquaient dans le cas des lois devaient être différentes de celles qui s’appliquaient dans le cas des traités. Cette différence tenait selon lui au fait que les traités sont le résultat d’une entente entre deux parties contractantes, tandis que les lois sont l’expression de la volonté du législateur. Il a ajouté qu’il ne considérait pas que cette conclusion contredisait le principe de l’interprétation libérale ou qu’il ne convenait pas d’interpréter les dispositions législatives de manière à protéger les droits des Indiens. Pour ce faire, il ne faut cependant pas oublier que les lois sont l’expression de la volonté du législateur. En résumant l’arrêt Mitchell comme je l’ai fait, je ne veux pas que l’on pense que je ne reconnais pas que, lorsqu’on définit un traité comme une entente entre deux parties contractantes, on ne doit pas oublier non plus le pouvoir de négociation fort inégal qui existait entre les parties.

Les arrêts Nowegijick et Mitchell ne m’apparaissent pas très utiles en l’espèce. Il ne s’agit pas en l’espèce d’un différend entre Indiens et non-Indiens. Les intérêts opposés en présence sont, d’une part, ceux des enfants indiens adoptés et des parents adoptifs (dont l’un est la mère naturelle des enfants) et, d’autre part, ceux du conseil de la bande, lequel—je suppose—représente la majorité des membres de la bande. Les arrêts Nowegijick et Mitchell ne nous sont d’aucun secours pour résoudre un différend qui oppose un membre d’une bande à d’autres membres de la bande ou au conseil de bande.

Je passe donc aux affaires Smith et Sawridge. Dans l’affaire Smith, la situation factuelle était semblable à la présente. L’enfant était l’enfant naturel de la mère adoptive et de son ex-mari. L’enfant était né au sein d’une bande du Yukon. La mère et son second mari, qui appartenait à la bande de Sooke, avaient adopté l’enfant en 1972. En 1981, ce mariage a échoué. En 1983, le registraire a, quelque peu tardivement, pris des mesures pour faire inscrire l’enfant à titre de membre de la bande de Sooke. La mère a formulé une protestation. Saisi de l’appel interjeté de la décision par laquelle le registraire avait rejeté la protestation, le juge a conclu que l’article 10 ne s’appliquait pas lorsqu’un enfant faisait déjà partie d’une bande indienne. Il a conclu que l’appartenance d’un enfant à l’effectif de sa bande natale était un « droit acquis à la naissance ». Il s’est fondé sur l’arrêt Les parents naturels c. Superintendent of Child Welfare et autres, [1976] 2 R.C.S. 751. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada avait jugé que l’enfant indien qui est adopté par des non-Indiens conserve son statut d’Indien. Il découle de cet arrêt non pas qu’il faut obtenir le consentement de la bande avant de pouvoir procéder à un transfert, mais plutôt qu’un enfant mineur ne peut absolument pas être transféré d’une bande à l’autre.

À mon avis, c’est à tort que le juge s’est fondé sur l’arrêt Les parents naturels. On ne peut comparer le statut d’Indien à l’appartenance d’une personne à l’effectif d’une bande. Le juge n’a pas expliqué pourquoi, si l’appartenance à la bande natale est un droit acquis à la naissance, ce droit ne devait pas également être protégé dans le cas d’un enfant naturel et dans celui de la femme qui épouse un homme qui ne fait pas partie de sa bande natale. En outre, la protection de ce droit acquis à la naissance ne dépend pas de la personne à qui il appartiendrait, de sa bande natale, de la mère naturelle ou du père de l’enfant. Elle dépend du refus de la bande du père adoptif d’admettre l’enfant en son sein. Cela ne cadre pas très bien avec l’idée qu’un « droit acquis à la naissance » soit en cause. Je ne crois pas que l’arrêt Smith soit bien fondé. Il se peut qu’il s’agisse d’une affaire exceptionnelle—laquelle, comme le veut la maxime, constitue un cas d’espèce—, ou il se peut que l’on n’ait pas appelé l’attention du juge sur toutes les dispositions législatives applicables. En tout état de cause, j’estime que cette décision n’est pas convaincante en l’espèce.

Les faits de l’affaire Sawridge sont différents de ceux de la présente espèce. En effet, dans cette affaire, la mère des enfants en cause n’était pas mariée au moment de la naissance de ceux-ci. Le registraire les avait inscrits à titre d’enfants illégitimes de leur mère et ils faisaient donc partie de la bande indienne de Sawridge. La bande a protesté contre cette inscription au motif que le père des enfants en question n’était pas un Indien. La mère s’est mariée avant que le registraire ne rende une décision au sujet de cette protestation. La mère a épousé un membre de la bande de Saddle Lake. La bande de Sawridge a alors modifié les motifs invoqués au soutien de sa protestation. Elle a soutenu que les enfants faisaient désormais partie de la bande de Saddle Lake parce que le nouveau mari de leur mère était leur père et que le mariage avait légitimé les enfants. Le registraire a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve au sujet de la paternité des enfants pour qu’il puisse conclure que leur père n’était pas un Indien et que, par conséquent, les enfants ne devaient pas être admis au sein de la bande de Sawridge. Il a également conclu qu’en raison de l’insuffisance des éléments de preuve relatifs à la paternité, il ne pouvait pas conclure qu’ils avaient été légitimés et que, par conséquent, ils faisaient partie de la bande de Saddle Lake.

Lorsque la décision du registraire a été soumise à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, des éléments de preuve supplémentaires ont été fournis au sujet de la paternité. La Cour a reconnu la paternité du mari de la mère sur les enfants. La Cour n’a cependant pas rendu de véritable décision. Elle a interprété le paragraphe 9(4) de la Loi comme lui donnant le pouvoir de décider si le nom d’une personne devait être consigné dans le registre des Indiens (c’est-à-dire de décider si cette personne était ou non un Indien inscrit), mais non le pouvoir de se prononcer sur le bien-fondé de la décision du registraire d’inscrire leur nom sur une liste de bande déterminée. Le juge a ajouté à titre incident que, de toute façon, la bande de Saddle Lake n’avait jamais donné son consentement au transfert des enfants à cette bande.

Cette décision soulève plusieurs problèmes. En premier lieu, la Cour s’est »à tort ou à raison » déclarée incompétente pour entendre l’affaire, de sorte que toutes les observations qu’elle a formulées au sujet des autres aspects de l’affaire constituent en réalité des opinions incidentes. En second lieu, dans la décision frappée d’appel, le registraire avait ajouté le nom des deux enfants à la liste de la bande de Sawridge à un moment où ils n’avaient pas encore été légitimés. Le registraire n’a pas décidé par la suite d’ajouter leur nom à la liste de la bande de Saddle Lake. Les dispositions de la Loi relatives à la protestation visent la décision du registraire. On ne peut légitimement contester l’opposition faite à l’égard de la décision d’ajouter le nom des enfants à la liste de la bande avant leur légitimation au motif qu’une décision aurait dû être prise par la suite en raison de faits survenus ultérieurement. Je ne crois pas que cette décision nous soit utile.

Dispositions relatives à la protestation/Contestation de la décision du registraire

Je passe donc aux dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à la protestation. Les arrêts Smith et Sawridge ont tous les deux été rendus conformément à cette procédure. De façon générale, la procédure à suivre prévoit que le conseil d’une bande, un nombre déterminé d’électeurs d’une bande ou la personne directement concernée peuvent s’opposer à la décision du registraire d’ajouter le nom d’une personne à une liste de bande ou de le retrancher de cette liste. Le registraire rend une décision au sujet de cette protestation et, si la personne qui a fait la protestation n’est pas satisfaite, la décision du registraire peut, à la demande de la personne qui a fait la protestation, être soumise pour révision à un juge de la cour de comté ou de la cour de district compétente[5].

Dans le cas d’une protestation portant sur l’addition d’un nom à une liste de bande ou de son retranchement de celle-ci, le paragraphe 9(1) prévoit que la protestation doit être faite dans les trois mois de la date à laquelle le nom a été ajouté ou retranché. Aucune conséquence n’est prévue en cas de défaut de respecter ce délai. Le paragraphe 9(2) prévoit la situation dans laquelle une protestation a été faite au registraire dans les délais prescrits et où le registraire a tenu une enquête et a rendu une décision sur la question. Dans ce cas, si aucune demande de renvoi de la décision à un juge n’est faite dans le délai prévu, "[la] décision … est définitive et péremptoire" (mots non soulignés dans l’original).

Dans l’arrêt Sawridge, le juge s’est déclaré incompétent au motif qu’il avait uniquement le pouvoir de déterminer si les noms avaient été régulièrement ajoutés au registre des Indiens ou s’ils en avaient été régulièrement retranchés, et non le pouvoir de décider si des noms avaient été régulièrement ajoutés à une liste de bande. Le registre des Indiens est une liste de tous les Indiens inscrits. Il est composé des listes de bandes et de la liste générale. Je n’aurais pas interprété le paragraphe 9(4) de façon aussi restrictive. Toutefois, comme la procédure relative à la protestation n’a pas été utilisée en l’espèce, il n’est pas nécessaire d’en dire davantage sur ce sujet.

En l’espèce, une protestation a été formulée à l’égard de la décision du registraire d’ajouter le nom des six enfants à la liste de la bande de Campbell River. Le registraire a refusé d’ouvrir une enquête au motif que la protestation n’avait pas été déposée dans le délai prescrit de trois mois. Lors du débat qui a eu lieu devant moi, les parties ont porté principalement leur attention sur le libellé du paragraphe 9(2) et sur la disposition de celui-ci qui affirme que la décision du registraire est définitive et péremptoire. Or, je ne suis pas convaincue que le paragraphe 9(2) s’applique. Le registraire n’a jamais ouvert d’enquête en l’espèce. Par conséquent, il n’a jamais rendu de décision en réponse à la protestation. C’est la décision que le registraire rend après enquête par suite d’une protestation que la loi déclare définitive et péremptoire, et non la décision antérieure qui conduit à l’ajout de noms à la liste de la bande ou à leur retranchement de celle-ci.

Le registraire tient de l’article 7 de la Loi sur les Indiens son pouvoir de modifier une liste de bande en y ajoutant des noms ou en en retranchant. L’article 7 dispose :

7. (1) Le registraire peut en tout temps ajouter à une liste de bande ou à une liste générale, ou en retrancher, le nom de toute personne qui, d’après la présente loi, a ou n’a pas droit, selon le cas, à l’inclusion de son nom dans cette liste.

(2) Le registre des Indiens doit indiquer la date où chaque nom y a été ajouté ou en a été retranché.

Il découle de ces dispositions que la personne ainsi nommée devient membre de la bande ou cesse de l’être, selon le cas. Suivant le paragraphe 2(1) de la Loi, l’expression « membre d’une bande » signifie « une personne dont le nom apparaît sur une liste de bande ou qui a droit à ce que son nom y figure » (mots non soulignés dans l’original). Le nom des six enfants apparaissait sur la liste de la bande de Campbell River en 1978 et aucune mesure n’a été prise pour le faire retrancher, à l’exception de la protestation tardive. Le conseil de bande défendeur a été informé en 1981, dans le cadre de sa correspondance avec le Ministère, que, même si le délai imparti pour déposer une protestation auprès du registraire était expiré, il pouvait faire contrôler la décision du registraire en présentant une demande à la Cour fédérale en vertu de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10][6]. Une telle demande de contrôle judiciaire n’a jamais été introduite.

Ainsi, le nom des enfants adoptifs Moon est demeuré sur la liste de la bande et le nom de Jennifer (la femme d’Alfredo), d’Alexander et de Samantha (les enfants d’Alfredo et de Jennifer nés respectivement en 1981 et le 10 avril 1987) et d’Allison Moon (enfant de Lilli née en 1983), ont été ajoutés par le registraire aux dates appropriées respectives. Le 26 juin 1987, la bande a assumé le pouvoir de décision en matière d’appartenance à son effectif en vertu des modifications apportées à la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, paragraphes 10(1) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 4] et 10(9) [mod., idem]. Le nom de la demanderesse Danielle Moon et de deux autres petits-enfants de Victor et de Nellie Moon qui étaient nés après le 26 juin 1987 (Christopher et Barbara) n’a pas été ajouté. Les règles d’appartenance adoptées par la bande disposent :

[traduction] 4. Les personnes suivantes ont le droit d’être membres de la bande et d’être inscrites sur la liste de la bande :

(1) toutes les personnes dont le nom était consigné dans la liste de la bande indienne de Campbell River ou qui avaient le droit qu’il le soit immédiatement avant le 17 avril 1985;

(2) toutes les personnes nées le 17 avril 1985 ou après cette date de deux membres de la bande, qu’ils soient vivants ou décédés;

Il n’est pas contesté que, si les six enfants adoptifs sont membres de la bande par suite de leur adoption, leurs ayants droit ont également le droit d’être membres de la bande.

Il découle de ce qui précède que les six enfants adoptifs sont tous membres de la bande, de même que leurs ayants droit, et qu’ils avaient en conséquence le droit, au cours des années en cause, de toucher l’allocation de Noël.

Le rôle du conseil de la bande en tant que fiduciaire des membres de la bande

Il reste à analyser le délai de prescription applicable. L’examen de cette question m’amène à me pencher sur la nature des rapports qui existent entre le conseil de la bande et les membres de la bande relativement aux allocations de Noël. Les parties sont d’accord pour dire que la Limitation Act, R.S.B.C. 1979, ch. 236, s’applique. Le délai de prescription prévu par cette Loi pour violation d’une obligation fiduciaire est de dix ans; le délai de prescription applicable dans le cas d’un abus de confiance n’est pas précisé. On soutient que si les rapports qui existent entre le conseil de la bande et les membres de la bande sont des rapports de confiance plutôt que des rapports fiduciaires, le délai de prescription est de six ans. Dans le cas d’un mineur, l’expiration du délai de prescription est reportée jusqu’à ce que le mineur atteigne sa majorité. Les dispositions législatives applicables de la Colombie-Britannique fixent l’âge de la majorité à dix-neuf ans. De plus, le non-paiement des prestations en argent s’est produit chaque année entre 1979 et 1992, ainsi qu’en 1995. Il existerait donc un droit de recours distinct et indépendant pour chaque année où il y a eu défaut de paiement. Même si le droit de recours est prescrit en ce qui concerne certaines des années en question, il ne l’est pas en ce qui concerne d’autres années.

Pour déterminer la nature du droit de recours et, partant, le délai de prescription, il est nécessaire d’exposer plus en détail la situation factuelle pertinente. Les fonds servant au paiement des allocations de Noël sont des deniers de revenu qui proviennent, par exemple, de loyers et d’autres sources de revenu. L’article 66 de la Loi sur les Indiens porte sur la dépense des deniers de revenu. Le paragraphe 69(1) prévoit que le gouverneur en conseil peut, par décret, autoriser une bande à « contrôler, administrer et dépenser la totalité ou une partie de ses deniers de revenu ». La bande indienne de Campbell River a obtenu cette autorisation en 1973 (C.P. 1973-2938, 4 octobre 1973) [DORS/73-593]. L’octroi de cette autorisation est conditionnelle au respect du Règlement sur les revenus des bandes d’Indiens, C.R.C., ch. 953, qui a été pris en application du paragraphe 69(2) de la Loi. Ce règlement oblige la bande à ouvrir un compte auprès d’une banque, à désigner des signataires autorisés et à engager un vérificateur chargé d’examiner le compte de banque en question.

La procédure à suivre pour obtenir et distribuer des allocations de Noël sera exposée ci-après. Cet exposé est fondé sur les documents qui ont été versés au dossier et qui se rapportent aux diverses années et uniquement à certaines des années en question. Si j’ai bien compris, ces documents donnent une idée exacte de la procédure qui a été suivie au cours de toutes les années en cause. Aucun des défendeurs n’a présenté d’éléments de preuve pour contester ce point de vue.

Chaque année, à la fin de l’automne ou au début de décembre, le conseil de la bande adoptait une résolution demandant que les deniers de revenu de la bande (détenus dans le Trésor) soient versés dans le compte de banque de la bande. Les sommes demandées étaient calculées en multipliant le nombre de membres de la bande par la somme allouée à chacun d’entre eux (par. ex., en 1990, 300 $). La somme en question est transférée par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien à la bande « en fiducie » pour être versée aux membres de la bande. Le conseil de la bande et les fonctionnaires concernés du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien qualifient eux-mêmes expressément ce transfert de transfert « en fiducie ». Le conseil de la bande tient un grand livre dans lequel il inscrit le nom de toutes les personnes à qui l’allocation doit être versée. Lorsque les bénéficiaires passent prendre leur chèque, ils signent leur nom dans l’espace prévu à cet effet dans le grand livre. Lorsque les chèques leur sont envoyés par la poste, une annotation à cet effet est faite dans le grand livre. Lorsqu’on ne réussit pas à repérer les personnes à qui l’allocation doit être versée, ou lorsque la personne est frappée d’incapacité mentale ou qu’il s’agit d’un enfant mineur dont les parents ne passent pas prendre le chèque pour son compte, l’allocation est renvoyée au bureau des Affaires indiennes à Nanaimo pour être conservée en fiducie au nom du bénéficiaire.

Dans le cas des enfants adoptifs Moon et de leurs ayants droit, la somme qui a été payée à la bande a été calculée d’après la liste de la bande où leur nom se trouvait inscrit, mais leur nom n’a pas été inscrit dans le grand livre du conseil de bande où se trouvait inscrit le nom des personnes à qui les allocations avaient été versées[7].

Ainsi que je l’ai déjà mentionné, le 13 décembre 1979, le conseil de la bande a formulé une protestation au sujet de l’ajout du nom des six enfants sur la liste de la bande. Cette protestation avait vraisemblablement été déclenchée par les questions soulevées au sujet des allocations de Noël de cette année-là. Le 19 décembre 1979, le conseil de la bande a écrit à Victor Moon une lettre dans laquelle il déclarait :

[traduction] Nous sommes au regret de vous informer qu’aucune allocation ne sera versée aux enfants en question tant que le ministre n’aura pas pris de décision [au sujet de la protestation qui avait été déposée].

Le 10 mars 1980, le registraire a déclaré que la protestation avait été formulée après l’expiration du délai imparti et que les enfants avaient été régulièrement inscrits. Le conseil de la bande a continué à contester cette conclusion et a adopté une résolution au cours du mois de décembre suivant (à la suite, vraisemblablement, du versement de l’allocation de Noël de cette année-là). La résolution portait :

[traduction] Il est résolu que le conseil de la bande de Campbell River retienne les prestations en argent des enfants adoptifs de Victor Moon tant que le registraire du Canada n’aura pas rendu de décision définitive.

Le 15 janvier 1981, Victor Moon a reçu une lettre dans laquelle le registraire l’informait que les six enfants en question avaient été régulièrement inscrits et qu’ils faisaient partie de la bande de Campbell River. Mme Moon avait apparemment été informée par le conseil de la bande que la situation de ses enfants n’était pas encore réglée. En février 1981, le Ministère l’a de nouveau informée du contraire. Le 31 août 1981, le conseil de la bande a fait parvenir au registraire une résolution du conseil de la bande demandant au registraire de déférer la décision du registraire à un juge d’une cour supérieure. Le gestionnaire de district du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a répondu le 28 septembre 1981 en déclarant que la protestation initiale avait été formulée après l’expiration du délai prescrit et qu’il n’était donc pas possible de saisir un juge de la question. Dans sa réponse, le gestionnaire de district a également souligné le fait que les six enfants étaient membres de la bande indienne de Campbell River, conformément à la Loi sur les Indiens.

Il ressort de la correspondance échangée en juin 1982 que M. Moon a demandé l’aide du Ministère pour obliger le conseil de la bande à verser les allocations aux enfants. Le Ministère a répondu que, conformément à sa politique de non-ingérence dans les affaires de la bande, il n’interviendrait pas.

Il ressort de la preuve que les rapports qui existent entre le conseil de la bande et les membres de la bande qui n’ont pas reçu les allocations sont des rapports fiduciaires. Les sommes ont été payées au conseil de la bande à la condition expresse qu’elle les détienne en fiducie pour les membres de la bande. Ces sommes ont été traitées comme telles par le Conseil. Il y avait des biens fiduciaires précis et identifiables. La fiducie visait une fin précise et identifiable, à savoir le versement de l’allocation aux membres de la bande.

L’avocat de la bande et du conseil de bande défendeurs soutient que les rapports en cause sont des rapports de confiance, parce que les rapports qui existent entre Sa Majesté et la bande sont de cette nature. Il soutient que les rapports qui existent entre la bande et ses membres ne peuvent être plus exigeants que ceux qui existent entre Sa Majesté et la bande.

La question de savoir si l’on est en présence de rapports fiduciaires ou de simples rapports de confiance dépend des circonstances de chaque cas. Ainsi, dans l’arrêt Guerin [Guerin et autres c. La Reine et autre], [1984] 2 R.C.S. 335, la Cour a jugé que le devoir auquel Sa Majesté était tenue envers la bande était fondé sur un rapport de confiance et non sur une fiducie, parce que Sa Majesté détenait tant le titre en common law que le titre en equity du bien-fonds en cause. Il n’y avait pas de droit sur un bien identifiable qui pouvait faire l’objet d’une fiducie (voir pages 386, 349 et 350). Cet arrêt n’appuie pas la proposition que, dans tous les rapports entre Sa Majesté et une bande indienne, le devoir auquel est tenue Sa Majesté n’est jamais celui d’un fiduciaire. De même, en ce qui concerne les rapports qui existent entre un conseil de bande et les membres de la bande, il peut y avoir de nombreuses circonstances dans lesquelles le devoir auquel le conseil est tenu est fondé sur un rapport de confiance, mais pas sur une fiducie. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Ainsi que je l’ai déjà fait remarquer, les sommes ont été perçues conformément aux modalités expresses d’une fiducie; elles ont été traitées comme telles par la bande et les biens en fiducie étaient précis et identifiables.

Par ces motifs, la Cour prononcera un jugement déclarant que les demandeurs avaient le droit de participer au partage par tête des allocations de Noël au cours des années suivant la date à laquelle ils sont devenus membres de la bande ou, dans le cas de Danielle, pour les années suivant la date à laquelle elle a acquis le droit d’être inscrite à ce titre. Le conseil de bande défendeur sera également condamné à verser les allocations en question aux demandeurs, ainsi que les intérêts accumulés sur ces sommes à compter de la date à partir de laquelle chaque somme aurait dû être versée.



[1] Exposé conjoint des faits, par. 5.

[2] Exposé conjoint des faits, onglet 3.

[3] Exposé conjoint des faits, onglet 6.

[4] Je mentionne ce fait parce que, suivant certaines lettres versées au dossier, le transfert aurait eu lieu en mars 1979.

[5] L’art. 9 de la Loi dispose :

9. (1) Dans les six mois de l’affichage d’une liste conformément à l’article 8 ou dans les trois mois de l’addition du nom d’une personne à une liste de bande ou à une liste générale, ou de son retranchement d’une telle liste, en vertu de l’article 7,

a) dans le cas d’une liste de bande, le conseil de la bande, dix électeurs de la bande ou trois électeurs, s’il y en a moins de dix,

b) dans le cas d’une portion affichée d’une liste générale, tout adulte dont le nom figure sur cette portion affichée, et

c) la personne dont le nom a été inclus dans la liste mentionnée à l’article 8, ou y a été omis, ou dont le nom a été ajouté à une liste de bande ou une liste générale, ou en a été retranché,

peuvent, par avis écrit au registraire, renfermant un bref exposé des motifs invoqués à cette fin, protester contre l’inclusion, l’omission, l’addition ou le retranchement, selon le cas, du nom de cette personne, et il incombe à la personne qui formule la protestation d’établir ces motifs.

(2) Lorsqu’une protestation est adressée au registraire, en vertu du présent article, il doit faire tenir une enquête sur la question et rendre une décision qui, sous réserve d’un renvoi prévu au paragraphe (3), est définitive et péremptoire.

(3) Dans les trois mois de la date d’une décision du registraire aux termes du présent article,

a) le conseil de la bande que vise la décision du registraire, ou

b) la personne qui a fait la protestation ou à l’égard de qui elle a eu lieu,

peut, moyennant un avis par écrit, demander au registraire de soumettre la décision à un juge, pour révision, et dès lors le registraire doit déférer la décision, avec tous les éléments que le registraire a examinés en rendant sa décision, au juge de la cour de comté ou de district du comté ou district où la bande est située ou dans lequel réside la personne à l’égard de qui la protestation a été faite, ou de tel autre comté ou district que le Ministre peut désigner, ou, dans la province de Québec, au juge de la cour supérieure du district où la bande est située ou dans lequel réside la personne à l’égard de qui la protestation a été faite, ou de tel autre district que le Ministre peut désigner.

(4) Le juge de la cour de comté, de la cour de district ou de la cour supérieure, selon le cas, doit enquêter sur la justesse de la décision du registraire, et, à ces fins, peut exercer tous les pouvoirs d’un commissaire en vertu de la Partie I de la Loi sur les enquêtes. Le juge doit décider si la personne qui a fait l’objet de la protestation a ou n’a pas droit, selon le cas, d’après la présente loi, à l’inscription de son nom au registre des Indiens, et la décision du juge est définitive et péremptoire.

(5) La décision du registraire à l’égard d’une protestation ne peut être renvoyée qu’une seule fois devant un juge aux termes du présent article.

(6) Lorsque la décision du registraire a été renvoyée devant un juge, pour révision, aux termes du présent article, il incombe à la personne qui a demandé ce renvoi d’établir que la décision du registraire est erronée. [Mots non soulignés dans l’original.]

[6] Exposé conjoint des faits, onglet 15.

[7] Voir onglet 17, exposé conjoint des faits.

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