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[1996] 1 C.F. 725

A-1221-92

Gilbert Forest (shérif/appelant)

c.

Hancor Inc. et United Extrusions Ltd. (saisissantes/ intimées)

et

Les systèmes de drainage modernes Inc. (saisie/intimée)

et

Caron Bélanger Ernst & Young Inc. (syndic de la saisie/intimée)

et

Banque laurentienne du Canada et Trust La Laurentienne du Canada (créancières/intimées)

et

118353 Canada Ltée et 167899 Canada Inc. (Adjudicataires/Mises en cause)

et

Registrateur du bureau de la division d’enregistrement de Vaudreuil (Mis en cause)

A-1259-92

118353 Canada Ltée et 167899 Canada Ltée (adjudicataires/appelantes)

et

Hancor Inc. et United Extrusions Ltd. (demanderesses/intimées)

c.

Les systèmes de drainage modernes Inc. (défenderesse/ intimée)

et

Caron Bélanger Ernst & Young Inc. (syndic/intimée)

et

Banque laurentienne du Canada et Trust La Laurentienne du Canada Inc. (créancières/intimées)

et

Gilbert Forest (shérif/mis en cause)

et

Registrateur du bureau d’enregistrement de Vaudreuil (mis en cause/mis en cause)

Répertorié : Forest c. Hancor Inc. (C.A.)

Cour d’appel, juges Hugessen et Décary, J.C.A., et juge suppléant Chevalier—Montréal, 3 octobre; Ottawa, 24 octobre 1995.

Pratique Jugements et ordonnances Exécution Appel d’une ordonnance annulant la vente d’un immeuble saisiL’huissier a saisi l’immeuble sur mandat du shérifLe juge des requêtes a commis une erreur lorsqu’il a soutenu que le shérif n’avait pas le pouvoir de demander aux huissiers d’agir en son nomLes shérifsprovinciauxagissant à titre de shérifs de la Cour fédérale peuvent, à moins d’indication contraire prévue par les Règles, faire appliquer les ordonnances d’exécution de la même manière que les ordonnances qu’ils font appliquer dans l’exercice de leurs fonctions habituellesLe juge des requêtes s’est trompé en se fondant sur l’art. 55(5) de la Loi sur la Cour fédérale et sur la Règle 360 des Règles de la Cour fédérale qui ne s’appliquent que dans les cas où l’ordonnance ne peut pas être remise au shérif ou lorsque le shérif refuse d’agirLes lois fédérales et provinciales sont complémentairesAucune délégation de pouvoir n’est sous-entendueLes huissiers exécutent la saisie, la vente en tant qu’agents du shérif.

Créanciers et débiteurs Immeuble saisi par huissier sur mandat du shérifAprès saisie, les créanciers acceptent la proposition concordataire approuvée par la Cour supérieure du QuébecAvis de suspension des procédures signifié à l’huissier qui a saisiImmeuble vendu en justice à un acheteur de bonne foiNi le shérif ni les acheteurs n’ont été avisés de la proposition concordataire avant la venteLe Code de procédure civile exige que l’on signifie au shérif tout avis d’exécution d’un brefL’huissier qui saisit cesse d’être l’agent du shérif une fois la saisie terminéeLa vente par un shérif n’est annulée qu’en cas de circonstances exceptionnelles et limitéesSaisie, jugement valideImmeuble appartenant à la partie saisieAcheteur de bonne foiConduite du shérif irréprochableIrrégularité présumée existant bien avant la vente et due à une mésentente entre la partie saisissante, le créancier garanti, la partie saisie et le syndicLe dépôt de la proposition concordataire ne prive pas l’adjudicataire de bonne foi de son titre dans un immeuble obtenu à la suite dune vente en justice si personne na dénoncé la proposition au shérif avant la vente par envoi à ce dernier d’une copie certifiée conforme de la proposition.

Code civil Le Code exige que tout avis concernant l’exécution d’un bref soit signifié au shérif en personneSignifier un avis de suspension à l’huissier agissant au nom du shérif dans le cas d’une saisie d’immeuble n’équivaut pas à signifier l’avis au shérif lui-mêmeL’huissier n’est autorisé à agir qu’à l’égard de la saisieBien que l’art. 673 prévoie que les parties à la saisie doivent consentir à la suspension de la vente, il faut informer le shérif de ce consentement pour qu’elle soit valable.

Faillite L’art. 69(1) de la Loi sur la faillite prévoit que lors de la déposition d’une proposition, aucun créancier ne peut continuer une exécution en recouvrement d’une réclamation prouvable en matière de faillite tant que la proposition n’a pas été refuséeL’art. 69 s’applique en cas de proposition autant qu’en cas de failliteL’art. 73, qui ne s’applique qu’en cas de faillite, prévoit que, si un jugement est exécuté et que le shérif n’a pas reçu de copie certifiée conforme de la cession au moment de la vente, l’acheteur de bonne foi conserve son titreL’art. 66(1) prévoit que toutes les dispositions de la présente Loi, dans la mesure où elles sont applicables, s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstances, aux propositionsIl est possible d’adapter l’art. 73 aux propositionsLe dépôt de la proposition concordataire ne prive pas l’adjudicataire de bonne foi de son titre dans un immeuble acheté en justice si l’existence de la proposition na pas été dénoncée au shérif avant la vente par envoi à ce dernier d’une copie certifiée conforme de la proposition.

Il s’agissait d’appels d’une ordonnance annulant la vente d’un immeuble saisi. Fortes d’un jugement de la Cour fédérale prononcé en leur faveur à l’encontre de la société Les systèmes de drainage modernes Inc., Hancor Inc. et United Extrusions Ltd. ont obtenu un bref de fieri facias. Sur mandat du shérif du district de Beauharnois (Forest), l’huissier Trudel a saisi l’immeuble. Après la saisie, SDM a fait une proposition de concordat à ses créanciers et a nommé un syndic. Les créanciers ont accepté la proposition, laquelle a été homologuée par la Cour supérieure du Québec. Le syndic a signifié un « avis de surseoir aux procédures » en vertu de l’article 69 de la Loi sur la faillite au greffe et à l’huissier Trudel. Sur mandat du shérif, l’autre huissier, de Repentigny, a vendu l’immeuble en justice. Le juge des requêtes s’est fondé sur le paragraphe 55(5) de la Loi sur la Cour fédérale et sur la Règle 360 des Règles de la Cour fédérale pour conclure que, bien que le bref ait été adressé au shérif, ce dernier avait demandé aux huissiers d’agir en son nom, usurpant ainsi un pouvoir de délégation que la loi québécoise confère à un shérif mais que ce dernier ne possède pas quand il agit à titre d’officier de la Cour fédérale et suivant les règles de cette Cour. Le paragraphe 55(5) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit qu’en cas d’empêchement du shérif ou de refus d’exécution par ce dernier, le moyen de contrainte est adressé à un shérif adjoint. L’alinéa 360(1)b) des Règles de la Cour fédérale prévoit que, au Québec, lorsque le shérif ou le prévôt est incapable ou refuse d’agir, les brefs peuvent être adressés à un huissier dûment autorisé aux fins du Code de procédure civile .

Points en litige : 1) La saisie et la vente en justice de l’immeuble ont-elles été exécutées par une personne habilitée à ce faire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale et des Règles de la Cour fédérale? 2) La vente en justice à un adjudicataire de bonne foi d’un immeuble ayant, depuis sa saisie, fait l’objet d’une proposition concordataire, doit-elle être annulée?

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

1) Le juge des requêtes a commis une erreur lorsqu’il a conclu que les huissiers pouvaient agir à la place du shérif. Le shérif « provincial » qui agit comme shérif de la Cour fédérale peut, à moins de disposition contraire des Règles de cette Cour, exécuter les brefs de saisie-exécution de la même manière que s’il s’agissait des brefs qu’il exécute dans le cadre de ses fonctions habituelles. Le bref a été adressé au shérif du district de Beauharnois. Le shérif a exécuté le bref de la même manière qu’il exécute tout bref qui lui est adressé, c’est-à-dire en demandant à un huissier d’agir en son nom. Il y a là à la fois exécution du bref par le shérif auquel il a été adressé au sens du paragraphe 55(4) de la Loi (qui exige du shérif qu’il exécute les moyens de contrainte de la Cour qui lui sont adressés) et exécution de la manière permise par le paragraphe 56(3), c’est-à-dire d’une manière fixée par le droit québécois.

Le juge des requêtes ne pouvait se fonder sur le paragraphe 55(5) et la Règle 360 pour conclure à l’inhabilité du shérif dans les circonstances puisque ces deux dispositions visent les cas où le bref ne peut être adressé à un shérif ou encore les cas où le shérif refuse d’agir, ce qui n’est pas notre cas. Une fois qu’entre en jeu le paragraphe 55(4), le paragraphe 55(5) et la Règle 360 ne trouvent plus application.

Les paragraphes 13(2) et 56(3) de la Loi sur la Cour fédérale et la Règle 5 visent à assurer la complémentarité des régimes d’exécution fédéral et provinciaux et à combler toute lacune possible par un recours, le cas échéant, aux régimes provinciaux. La Cour doit privilégier l’interprétation qui facilite le plus l’intégration des deux régimes. Des raisons de commodité administrative autant que de stabilité des droits civils ont amené les autorités fédérales à s’en remettre, à toutes fins utiles, aux pratiques provinciales.

Il n’y avait pas de délégation implicite de pouvoir. De par les termes mêmes de la Loi sur les shérifs, l’huissier agit au nom du shérif et non à sa place. La saisie a été pratiquée par l’huissier Trudel en qualité d’officier du shérif. La vente a été exécutée par l’huissier de Repentigny en qualité d’officier du shérif. Dans l’un et l’autre cas, le pouvoir exercé est celui du shérif, quand bien même il a été exercé par l’huissier.

2) a) Ni le shérif ni les adjudicataires n’avaient été informés avant la vente de l’existence d’une proposition concordataire. Bien que l’avis de surseoir ait été signifié à l’huissier Trudel qui a saisi l’immeuble, le Code de procédure civile du Québec prévoit que tout avis relatif à l’exécution d’un bref sera envoyé au shérif lui-même. Qui plus est, l’huissier Trudel n’avait été autorisé par le shérif à agir au nom de ce dernier qu’eu égard à la saisie. Une fois la saisie terminée, il cessait d’être officier du shérif. Il ne l’était en tout cas certainement pas pour les fins de la vente en justice.

b) La vente par shérif ne peut être annulée qu’exceptionnellement et pour des motifs très limités. Il ne s’agit pas ici d’un cas exceptionnel. La saisie était valide et le jugement en vertu duquel la saisie avait été pratiquée était valide. L’immeuble vendu appartenait au débiteur saisi. L’adjudicataire était de bonne foi, le shérif n’avait rien à se reprocher et l’irrégularité alléguée existait bien avant la date fixée pour la vente et était imputable uniquement au malentendu s’étant produit entre le créancier saisissant, le créancier garanti, le débiteur saisi et le syndic.

c) Le paragraphe 69(1) de la Loi sur la faillite prescrit que, lors de la déposition d’une proposition, aucun créancier ne peut continuer une action pour le recouvrement d’une réclamation prouvable en matière de faillite tant que la proposition n’a pas été refusée. Le paragraphe 69(1) s’applique en cas de proposition aussi bien qu’en cas de faillite. L’article 73, qui ne s’applique qu’en cas de faillite, modère considérablement la portée de la suspension décrétée par le paragraphe 69(1). Si, en dépit de l’interdiction qui lui est faite par le paragraphe 69(1), un créancier procède quand même à l’exécution du jugement et si le shérif instrumentant, au moment de la vente, n’a pas reçu une copie de la cession certifiée conforme par le syndic, la vente en justice sera néanmoins valide, le titre d’adjudicataire de bonne foi sera préservé, et le shérif n’aura qu’à remettre au syndic, au grand dam du créancier saisissant, le produit de la vente. Le paragraphe 66(1) prévoit que « Toutes les dispositions de la présente loi, dans la mesure où elles sont applicables, s’appliquent compte tenu des adaptations de circonstance, aux propositions ». Pour éviter les incohérences quant à savoir si le titre d’un adjudicataire est valide ou pas, il convient de donner au paragraphe 66(1) une interprétation plus large que celle proposée jusqu’à ce jour. Il est possible d’adapter l’article 73 aux cas de proposition concordataire. Le dépôt d’une proposition concordataire ne prive pas l’adjudicataire de bonne foi de son titre dans un immeuble acheté en justice si l’existence de la proposition n’a pas été dénoncée au shérif, avant la vente, par envoi à ce dernier d’une copie certifiée conforme de la proposition. Cet avis, tout comme s’il s’était agi d’un cas de faillite, aurait pu être envoyé au shérif par le débiteur lui-même, par l’un de ses créanciers ou par le syndic.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code de procédure civile, L.R.Q. 1977, ch. C-25, art. 596, 660, 673, 674, 679, 698.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch F-7, art. 13(1),(2), 55(4),(5), 56(3).

Loi sur la faillite, L.R.C. (1985), ch. B-3, art. 42(1)i), 57(1), 60(2), 63, 66(1), 69, 72(1), 73, 75.

Loi sur les huissiers de justice, L.R.Q. 1977, ch. H-4, art. 1 (mod. par L.Q. 1989, ch. 57, art. 3).

Loi sur les shérifs, L.R.Q. 1977, ch. S-7, art. 2.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 5, 360 (édictée par DORS/79-58, art. 2).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Garcia Transport Ltée c. Cie Trust Royal, [1992] 2 R.C.S. 499; McGregor v. Canada Investment and Agency Co. (1892), 21 R.C.S. 499; conf. Canada Investment and Agency Co. & McGregor (1892), 1 B.R. 197; Anjou (Ville d) c. C.A.C. Realty Ltd. et autres, [1978] 1 R.C.S. 819; (1978), 18 N.R. 301; Motor Transport Board of Manitoba c. Purolator Courier Ltd., [1981] 2 R.C.S. 364; (1981), 126 D.L.R. (3d) 385; 12 Man. R. (2d) 61; 38 N.R. 465.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Rossie c. Gosselin, [1979] C.S. 273; Blanchette c. Vertu (13 janvier 1983), St-François 450-05-000562-815 (C.S.), SOQUIJ no 83-217; Stebenne c. Banque de commerce canadienne impériale, [1982] C.S. 884; Sauvegarde (La), Cie d’assurance sur la vie c. Tapis Laberge Inc., [1983] C.S. 835.

DÉCISIONS CITÉES :

Stephens c. R. (1982), 26 C.P.R. 1; [1982] CTC 138; 82 DTC 6132; 40 N.R. 620 (C.A.F.); Roynat Inc. c. Grenier, [1985] R.D.J. 89 (C.A.); Vachon c. Commission de lemploi et de limmigration du Canada, [1985] 2 R.C.S. 417; (1985), 23 D.L.R. (4th) 641; 57 C.B.R. (N.S.) 113; 63 N.R. 81; R. c. Fitzgibbon, [1990] 1 R.C.S. 1005; 78 C.B.R. (N.S.) 193; 55 C.C.C. (3d) 449; 76 C.R. (3d) 378; 107 N.R. 281; 40 O.A.C. 81; Gobeil c. Cie H. Fortier et autres, [1982] 1 R.C.S. 988; 138 D.L.R. (3d) 50; 42 C.B.R. (N.S.) 209; 44 N.R. 384; Hudson (trustee in bankruptcy) v. Brisebois Bros. Construction Ltd. (1982), 37 A.R. 48; 135 D.L.R. (3d) 166; [1982] 4 W.W.R. 84; 19 Alta. L.R. (2d) 276; 42 C.B.R. (N.S.) 97 (C.A.); Amanda Designs Boutique Ltd. v. Charisma Fashions Ltd., [1972] 3 O.R. 68; (1972), 27 D.L.R. (3d) 392; 17 C.B.R. (N.S.) 16 (C.A.); In re Hanna (W.) & Company Ltd. (1961), 2 C.B.R. (N.S.) 40 (C.S. Ont.); In re Coupal et Frères Ltée : Vibrapipe Concrete Products Ltd. et Ville de Chambly, [1968] C.S. 91; (1967), 12 C.B.R. (N.S.) 28.

DOCTRINE

Bohémier, Albert. Faillite et Insolvabilité, tome 1, Montréal (Qué.) : Éditions Thémis, 1992.

APPELS d’une ordonnance annulant la vente en justice d’un immeuble saisi au motif que la méthode d’exécution de la saisie et de la vente, bien que reconnue en droit québécois, n’était pas autorisée par la Loi sur la Cour fédérale et les Règles de la Cour fédérale (Hancor Inc. et al. c. 118353 Canada Ltd. et al. (1993), 56 F.T.R. 82 (C.F. 1re inst.)). Appel accueilli.

AVOCATS :

Marcus Spivock pour le shérif/appelant dans A-1221-92, shérif/mis en cause dans A-1259-92.

Martin Bernard et Claude Morency pour Hancor Inc. et United Extrusions Ltd., saisissantes/ intimées dans A-1221-92, demanderesses/intimées dans A-1259-92.

Michel Morissette pour Les systèmes de drainage modernes Inc., saisie/intimée dans A-1221-92, défenderesse/intimée dans A-1259-92.

Alain Robichaud pour la Banque laurentienne du Canada et pour le Trust La Laurentienne du Canada (Inc.), créancières/intimées dans A-1221-92 et A-1259-92.

Michel La Roche et Jean-François Gauvin pour la 118353 Canada Ltée et la 167899 Canada Inc./ Ltée, adjudicataires/mises en cause dans A-1221-92, adjudicataires/appelantes dans A-1259-92.

PROCUREURS :

Bernard, Roy et Associés, Montréal, pour le shérif/appelant dans A-1221-92, shérif/mis en cause dans A-1259-92.

Byers, Casgrain, Montréal, pour Hancor Inc. et United Extrusions Ltd., saisissantes/intimées dans A-1221-92, demanderesses/intimées dans A-1259-92.

Morissette, Downs, Montréal, pour Les systèmes de drainage modernes Inc., saisie/intimée dans A-1221-92, défenderesse/intimée dans A-1259-92.

de Grandpré, Godin, Montréal, pour la Banque laurentienne du Canada et le Trust La Laurentienne du Canada (Inc.), créancières/intimées dans A-1221-92 et A-1259-92.

Michel La Roche, Montréal, pour 118353 Canada Ltée et 167899 Canada Inc./Ltée, adjudicataires/ mises en cause dans A-1221-92, adjudicataires/ appelantes dans A-1259-92.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

Le juge Décary, J.C.A. : Quels sont, aux termes de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] et des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663], les pouvoirs d’un shérif nommé par les autorités québécoises quand il saisit et vend un immeuble en justice en sa qualité de shérif de la Cour fédérale? La vente en justice d’un immeuble ayant, depuis sa saisie, fait l’objet d’une proposition concordataire doit-elle être annulée, au détriment d’un adjudicataire de bonne foi, quand bien même aucun avis de surseoir n’aurait été donné au shérif avant la vente? Voilà, essentiellement, les questions que soulèvent ces deux appels portés à l’encontre d’une décision d’un juge des requêtes publiée à (1993), 56 F.T.R. 82.

La toile de fond

Fortes d’un jugement de la Cour fédérale (la Cour) prononcé en leur faveur dans une affaire de brevet à l’encontre de la société Les systèmes de drainage modernes Inc. (SDM), les sociétés Hancor Inc. et United Extrusions Ltd. (Hancor) ont obtenu de la Cour l’émission d’un bref de fieri facias (le bref), et saisi un immeuble appartenant à SDM.

Après la saisie, SDM a déposé une proposition de concordat auprès du syndic Caron Bélanger Ernst & Young Inc. (le syndic), laquelle proposition fut acceptée par les créanciers, dont le créancier saisissant Hancor et les créancières garanties, La Banque laurentienne du Canada et Trust La Laurentienne du Canada (la Laurentienne) et homologuée par la Cour supérieure du Québec.

En raison d’une accumulation d’erreurs et de malentendus dont il ne m’appartient pas, dans le présent litige, de faire le procès[1], l’immeuble saisi fut par la suite vendu en justice par le shérif Gilbert Forest (le shérif) et adjugé à des acquéreurs dont la bonne foi n’est pas, devant nous, remise en question, soit les sociétés 118353 Canada Ltée et 167899 Canada Inc./Ltée (les adjudicataires).

Alléguant essentiellement que la vente en justice avait été faite à l’encontre des dispositions de la Loi sur la faillite[2] telle qu’elle se lisait avant les modifications apportées en 1992[3] et en contravention des conditions et formalités essentielles prescrites par le Code de procédure civile [L.R.Q. 1977, ch. C-25] du Québec, trois requêtes en annulation de décret ont été déposées, l’une, par SDM et le syndic, une deuxième, par Hancor et une troisième par la Laurentienne. Le juge des requêtes a accueilli les trois requêtes, non pas pour les motifs qui y étaient allégués, qu’il a rejetés, mais pour le motif, soulevé pour la première fois à l’audience, que le mode d’exécution de la saisie et de la vente choisi par le shérif et sanctionné par le droit québécois n’était pas autorisé par la Loi sur la Cour fédérale[4] et par les Règles de la Cour fédérale. Le shérif et les adjudicataires ont chacun porté la décision en appel et les deux appels ont été réunis pour les fins de l’audition et de la décision.

Le débat, devant nous, a été restreint aux deux seules questions, et à leurs accessoires, dont je faisais état au début de ces motifs.

Première question : La saisie et la vente en justice de l’immeuble ont-elles été exécutées par une personne habilitée à ce faire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale et des Règles de la Cour fédérale?

Les faits pertinents à cette partie du litige ne sont pas contestés. Le 10 octobre 1991, à la demande de Hancor, un bref de fieri facias est émis par la Cour, à Toronto, et adressé au « Sheriff of the District of Beauharnois ». Le 7 novembre 1991, le procureur de Hancor à Montréal fait parvenir à ses huissiers habituels, Villeneuve et associés, copie du bref pour qu’ils procèdent à la saisie de l’immeuble. Le 11 novembre 1991, l’huissier Sylvain Trudel, membre de Villeneuve et associés, se rend chez le shérif du district de Beauharnois, Gilbert Forest et lui remet le bref. Le shérif donne alors à l’huissier Trudel le mandat de saisir l’immeuble en inscrivant à l’endos du bref les mots suivants :

Valleyfield, le 11 novembre 1991

Mandat à l’huissier Sylvain Trudel

De saisir et vendre

(signé) Gilbert Forest, shérif

[N.b. les mots « et vendre » sont biffés à la main de cette formule-type.]

Le 14 novembre 1991, l’huissier Trudel saisit l’immeuble.

Le 11 janvier 1992, le shérif fait paraître un avis de vente publique dans la Gazette officielle du Québec. Le 27 janvier 1992, il transmet cet avis au bureau d’enregistrement de Vaudreuil. Le 2 février 1992, il fait paraître l’avis dans un journal local.

Le 10 mars 1992, le shérif confie à un autre huissier, Jacques de Repentigny, le mandat de vendre l’immeuble en justice, ce que l’huissier de Repentigny fait le jour même. Après la vente, l’huissier remet au shérif le procès-verbal de la vente, son rapport et le chèque émis par les adjudicataires. Le 30 mars 1992, le shérif complète son propre rapport, dans lequel il certifie qu’il avait saisi l’immeuble et que, le 10 mars 1992, il l’avait mis aux enchères et adjugé aux deux adjudicataires, conjointement et solidairement.

Cette procédure (sauf, vraisemblablement, la préparation tardive du rapport du shérif) est, selon la preuve faite, celle normalement suivie par les procureurs, les huissiers et le shérif dans le district de Beauharnois et elle est en tous points conforme aux exigences du droit québécois.

Le syndic et la Laurentienne ont soutenu, devant le juge des requêtes, que la procédure suivie ne répondait pas aux exigences de la Loi sur la Cour fédérale (« la Loi », dans cette première partie) et des Règles de la Cour fédérale (les Règles). Le juge des requêtes leur a donné raison.

Le juge des requêtes, essentiellement, s’est fondé sur le paragraphe 55(5)[5] de la Loi et sur la Règle 360[6] [édictée par DORS/79-58, art. 2] pour conclure que bien que le bref ait été adressé au shérif du district de Beauharnois, ce dernier, sans que preuve n’ait été faite de son refus de l’exécuter, a plutôt décidé de confier à l’huissier Trudel le mandat de saisir l’immeuble et à l’huissier de Repentigny, celui de le vendre en justice. En demandant à un huissier d’agir en son nom, le shérif aurait usurpé un pouvoir de délégation que la loi québécoise confère à un shérif mais que lui-même ne possèderait pas à titre d’officier de la Cour fédérale agissant en cette qualité et suivant les Règles de cette Cour. Ainsi, la saisie et la vente en justice auraient été exécutés par un huissier auquel le bref n’était pas adressé et qui n’était pas autorisé par le droit fédéral à saisir et à vendre en justice.

À mon avis, le juge des requêtes a fait fausse route dans son interprétation des faits, des textes applicables et de l’intention sous-jacente à ces derniers.

Il ressort de la lecture combinée des paragraphes 13(1) et (2) de la Loi[7], qu’à défaut par le gouverneur en conseil de nommer lui-même un shérif de la Cour fédérale pour le district de Beauharnois—ce qui est le cas—le shérif nommé par les autorités provinciales dans ledit district devient de droit le shérif de la Cour[8]. En l’espèce, donc, le shérif Forest s’est vu confier, en sus des charges qui sont déjà les siennes en vertu des lois provinciales, celles de shérif de la Cour.

Une de ces charges dont il hérite en sa qualité de shérif de la Cour est celle, prévue au paragraphe 55(4)[9], d’exécuter les moyens de contrainte de la Cour qui lui sont adressés.

De par le paragraphe 56(3)[10] et en l’absence de disposition contraire des Règles, le shérif exécute les brefs de saisie-exécution « autant que possible de la manière fixée, pour des moyens de contrainte semblables émanant d’une cour supérieure provinciale, par le droit de la province où sont situés les biens à saisir ».

L’article 660 du Code de procédure civile du Québec prescrit qu’un bref de saisie immobilière « est exécuté par le shérif lui-même ou par un de ses officiers ». Par ailleurs, l’article 2 de la Loi sur les shérifs[11] donne à tout shérif « le choix des huissiers qu’il emploie pour agir en son nom dans les différents districts du Québec » et de par l’article 1 de la Loi sur les huissiers de justice[12] l’huissier est un officier « habilité à signifier les actes de procédure émanant de tout tribunal, à mettre à exécution les décisions de justice ayant force exécutoire et à exercer toute autre fonction qui lui est dévolue en vertu de la loi ».

Il s’ensuit indiscutablement que le shérif « provincial » qui agit comme shérif de la Cour fédérale peut, à moins de disposition contraire des Règles de cette Cour, exécuter les brefs de saisie-exécution de la même manière que s’il s’agissait des brefs qu’il exécute dans le cadre de ses fonctions habituelles.

Il est acquis dans le présent dossier que le bref a été adressé au shérif du district de Beauharnois. Il a été mis en preuve que le shérif a exécuté le bref de la même manière qu’il exécute tout bref qui lui est adressé, c’est-à-dire en demandant à un huissier d’agir en son nom. Il y a là, à mon avis, à la fois exécution du bref par le shérif auquel il a été adressé au sens du paragraphe 55(4) de la Loi et exécution de la manière permise par le paragraphe 56(3), c’est-à-dire d’une manière fixée par le droit québécois. Aussi, le juge des requêtes commet-il sa première erreur lorsqu’il conclut que le shérif n’avait pas le pouvoir d’agir par l’intermédiaire de huissiers. Cette erreur en amène une seconde, que voici.

Une fois qu’entre en jeu le paragraphe 55(4), le paragraphe 55(5) et la Règle 360 qui le complète ne trouvent plus application. Ces deux dispositions, en effet, visent les cas où le bref ne peut être adressé à un shérif ou encore les cas où le shérif refuse d’agir. Comme ce n’est pas notre cas, le juge des requêtes ne pouvait se fonder sur ces deux dispositions pour conclure à l’inhabilité du shérif dans les circonstances.

Si doute il y avait, et je suis d’avis qu’il n’y en a pas, encore faudrait-il interpréter le mot « exécute » au paragraphe 55(4) d’une manière qui réponde à l’intention avouée des autorités fédérales. Or, les paragraphes 13(2) et 56(3) de la Loi et la Règle 5[13]13 visent ostensiblement à assurer la complémentarité des régimes d’exécution fédéral et provinciaux et à combler toute lacune possible par un recours, le cas échéant, aux régimes provinciaux. Ces dispositions constituent autant d’invitations adressées à la Cour de ne pas faire montre de rigidité et de privilégier l’interprétation qui facilite le plus l’intégration des deux régimes.

Les raisons de ce faire s’expliquent aisément. La Cour fédérale est une cour, en quelque sorte, d’exception qui est venue se greffer au réseau existant des cours supérieures. Ses jugements produisent des effets civils importants et il est essentiel, si l’on veut que le justiciable s’y retrouve et qu’il y ait une quelconque uniformité dans ces effets, que les procédures d’exécution ressemblent le plus possible à celles des cours supérieures. Cela s’impose d’autant plus que la Cour se sert, règle générale, des officiers de justice nommés par les autorités provinciales et des mécanismes de saisie et de vente en justice établis par ces dernières. Des raisons, donc, de commodité administrative autant que de stabilité des droits civils ont amené les autorités fédérales à s’en remettre, à toutes fins utiles, aux pratiques provinciales.

Le débat s’est engagé, à tort selon moi, autour de la notion de délégation implicite de pouvoir. Il n’y a pas ici, à proprement parler, de telle délégation. Le shérif provincial, de par le paragraphe 13(2) de la Loi, est le shérif de la Cour. L’huissier, de par les termes mêmes de l’article 2 de la Loi sur les shérifs, agit au nom du shérif et non à la place de ce dernier. La saisie a été pratiquée par l’huissier Trudel en qualité d’officier du shérif. La vente a été exécutée par l’huissier de Repentigny en qualité d’officier du shérif. Dans l’un et l’autre cas, le pouvoir exercé est celui du shérif, quand bien même il l’a été par l’huissier.

Enfin, la solution retenue par le juge des requêtes et proposée par les intimés s’avère impraticable. Elle impose à un shérif québécois, celui-là même auquel le paragraphe 13(2) de la Loi confie la tâche d’exécution du bref, des obligations—celles de tout saisir et de tout vendre en justice lui-même—qu’il n’assume pas dans la réalité de ses tâches quotidiennes. Elle impose du même coup à la mécanique mise sur pied par les autorités provinciales et qu’empruntent les autorités fédérales, des contraintes qu’on ne peut supposer que ces dernières aient voulu lui faire subir. Il ne m’est pas possible de privilégier une interprétation qui puisse paralyser le système. Aussi, ces propos du juge d’appel Monnin que le juge Dickson (qui n’était pas encore juge en chef) reprenait à son compte dans Motor Transport Board of Manitoba c. Purolator Courier Ltd.[14], me paraissent pertinents, encore que prononcés dans un contexte différent :

Je dois présumer que cette loi fédérale, qui est une pure délégation des compétences fédérales aux différentes commissions provinciales des transports, suppose que ces commissions fonctionneront comme à l’ordinaire, sans plus. Sinon il s’ensuivrait des situations ridicules et je ne suis pas prêt à conclure que le législateur a nécessairement voulu des situations ridicules.

J’en viens donc à la conclusion qu’il y a, en l’espèce, complémentarité plutôt qu’incompatibilité entre le droit provincial et le droit fédéral et que le juge des requêtes a erré en jugeant invalide une vente en justice exécutée par le shérif conformément aux exigences du droit québécois et du droit fédéral.

Ce moyen des intimés n’était donc pas fondé.

Deuxième question : La vente en justice à un adjudicataire de bonne foi d’un immeuble ayant, depuis sa saisie, fait l’objet d’une proposition concordataire, doit-elle être annulée?

Les intimés se fondent à la fois sur le Code de procédure civile du Québec et sur la Loi sur la faillite (« la Loi » dans cette deuxième partie). Ils soutiennent grosso modo que le shérif avait été informé du règlement en cours ou du règlement intervenu entre les parties, qu’il y avait entente entre les parties et extinction de la dette au moment de la vente en justice, et que, quoi qu’il en soit, le dépôt d’une proposition concordataire amenait d’office l’arrêt des procédures d’exécution, autant de motifs, selon eux, d’annulation du décret.

La saisie a été pratiquée le 11 novembre 1991 par le shérif Forest agissant par l’intermédiaire de l’huissier Trudel. Le 3 décembre 1991, la Laurentienne enregistrait au bureau d’enregistrement de Vaudreuil « un avis de défaut et déclaration d’exigibilité ayant pour effet de rendre exécutoires les garanties créées aux termes de l’acte de fiducie » relativement à l’immeuble saisi. Le 4 décembre 1991, la Laurentienne déposait au greffe de cette Cour, à Montréal, une « requête en suspension de l’exécution par bref de fieri facias » et une « opposition à la saisie-exécution », présentables le 9 décembre 1991.

Le 6 décembre 1991, SDM faisait une proposition à ses créanciers en vertu de la Partie III de la Loi sur la faillite et nommait Caron et associés syndic à cet effet. Ce même jour, le syndic signifiait un « avis de surseoir aux procédures » en vertu de l’article 69 de la Loi sur la faillite au procureur de SDM, au greffe de la Cour fédérale et à l’huissier Trudel.

Le 9 décembre 1991, la Laurentienne retirait sa requête en suspension et son opposition, vu le dépôt par SDM d’une proposition concordataire.

Le 20 janvier 1992, SDM déposait une proposition amendée, laquelle était dûment acceptée par les créanciers ce même jour, à la condition, notamment, qu’une entente soit conclue entre SDM et Hancor et que Hancor « donne une main-levée sur toutes les saisies effectuées sur les actifs de SDM ». Hancor et la Laurentienne étaient représentées lors de cette assemblée.

Tel que convenu le 20 janvier 1992, Hancor et SDM, le 26 février 1992, se donnent quittance mutuelle relativement à toute réclamation passée, présente ou future découlant des faits relatés dans le dossier de la Cour et Hancor donne mainlevée de toutes les saisies qu’elle a pratiquées sur les actifs de SDM. Le 28 février 1992, la Cour supérieure du district de Beauharnois homologue la proposition amendée du 20 janvier 1992.

Puis, le 10 mars 1992, le shérif procède à la vente en justice de l’immeuble.

a)         Connaissance de l’entente par le shérif

Il ressort de la preuve, et la conclusion de fait du juge des requêtes à cet égard est inattaquable, que ni le shérif ni les adjudicataires

[n’]ont été avisés, avant la vente, de l’existence d’une proposition concordataire, qu’un avis de surseoir leur avait été envoyé, ni même qu’une entente signée par toutes les parties étaient définitivement intervenue mettant fin au litige[15].

Certes, il appert de la preuve que le président de la société, M. Kohen, avait le 3 février 1992 communiqué avec le bureau du shérif pour se plaindre de l’avis de vente; toutefois, M. Kohen n’a pas fait mention de l’existence d’une proposition concordataire, se contentant de demander d’arrêter la vente au motif que « tout était réglé ». L’adjointe du shérif avec laquelle il s’était entretenu lui a simplement mentionné qu’elle « n’avait rien au dossier qui pouvait dire que c’était réglé » et l’a invité à « communiquer avec ses procureurs pour qu’ils nous transmettent une mainlevée, sinon il y aurait vente ».

De même, un des procureurs de Hancor a témoigné à l’effet qu’il aurait lui aussi téléphoné à Mme Veillette au début de février 1992 pour l’informer de la proposition, mais Mme Veillette a nié avoir tenu quelque conversation que ce soit avec ce procureur. La conclusion du juge des requêtes selon laquelle le shérif n’avait pas été informé de l’existence d’une proposition, permet de penser qu’il n’a pas retenu le témoignage du procureur.

Devant la preuve, accablante je dois le dire, que le syndic et les procureurs de SDM, de Hancor et de la Laurentienne ont tout simplement, par malentendu, omis d’informer le shérif de ce qui se passait et, surtout, de lui signifier quelque document que ce soit, les intimés se sont rabattus en désespoir de cause sur le fait que l’avis de surseoir du 6 décembre 1991 avait été signifié à l’huissier saisissant Trudel.

Si, ont-ils soutenu à l’audience, la Cour en vient à la conclusion (ce qu’elle a fait en première partie) que l’huissier Trudel a saisi l’immeuble en sa qualité d’officier du shérif, il s’ensuit que la signification faite à cet officier de l’avis de surseoir le 6 décembre 1991 vaut signification au shérif lui-même.

Cet argument ne me convainc pas. La responsabilité de l’exécution du bref incombe au shérif et c’est au shérif lui-même que le Code de procédure civile du Québec exige que soit envoyé tout avis relatif à cette exécution. Il n’appartient pas à une partie de confier à un huissier un mandat de représentation du shérif que seul le shérif lui-même peut confier. Qui plus est, en l’espèce, l’huissier Trudel n’avait été autorisé par le shérif à agir au nom de ce dernier qu’eu égard à la saisie (l’avocat de Hancor n’avait d’ailleurs demandé à l’huissier que de saisir l’immeuble). Une fois la saisie complétée, il cessait d’être officier du shérif. Il ne l’était en tout cas certainement pas pour les fins de la vente en justice.

C’est ainsi d’ailleurs que Hancor, SDM et le syndic ont eux-mêmes compris les choses. C’est au bureau du shérif que le président de SDM s’est plaint par télécopieur et par téléphone le 3 février 1992. C’est du bureau du shérif que le procureur de Hancor a reçu l’avis de vente et c’est à ce bureau qu’il prétend avoir téléphoné. C’est à « une erreur cléricale de la part du shérif » qu’un autre procureur de Hancor attribue la publication de l’avis. Le procureur montréalais de SDM le savait aussi, puisque son projet de main-levée qu’il préparait le 24 janvier 1992, contenait un avis au shérif de Beauharnois[16].

Le syndic aussi le savait, puisqu’en dépit du fait qu’il avait signifié l’avis de surseoir à l’huissier Trudel, il appert du témoignage de son administratrice, Mme Vincent, que l’avis de surseoir n’avait délibérément pas été donné au shérif, et ce pour deux raisons, la première étant que le syndic n’avait pas, du fait de cette proposition, saisine des actifs et ne jouait que le rôle d’intermédiaire entre SDM et ses créanciers, la seconde, qu’« il y avait déjà le procureur de [Hancor] qui était avisé de cesser les procédures et il avait été convenu que, effectivement, [ce procureur] mettrait fin à ces procédures-là ».

Bref, personne n’a jamais pensé que l’avis de surseoir avait été signifié au shérif et que la vente était en conséquence suspendue. Au contraire, la preuve indique sans l’ombre d’un doute que chacun savait que le shérif s’apprêtait à procéder à la vente et qu’il était essentiel qu’on fît auprès de lui des démarches pour l’en empêcher. Or, aucune telle démarche ne fut faite et le shérif ne fut jamais informé.

b)         L’entente entre les parties et la nullité du décret

La Cour suprême du Canada a rappelé récemment que[17] :

… si l’annulation d’une vente en justice demeure possible, ce n’est qu’exceptionnellement qu’elle sera permise et seulement pour les quelques motifs énumérés. Ces exceptions se trouvent aux art. 698 et 699 C.p.c.

Cette règle souffre peu d’exceptions. Une vente fondée sur une saisie ou un jugement nuls peut être annulée : … De même, une vente faite super non domino, c’est-à-dire d’un immeuble n’appartenant pas au débiteur mais à un tiers, peut être annulée …

En résumé, donc, une fois qu’elle a eu lieu, la vente par shérif ne peut être annulée qu’exceptionnellement et pour des motifs très limités.

Une comparaison des causes d’opposition et d’annulation retenues en matière de saisie-exécution immobilière est particulièrement révélatrice de l’intention du législateur : il y a davantage de motifs permettant de faire annuler la saisie, qu’il y en a qui permettent de faire annuler la vente. Qui plus est, à mesure que l’on s’éloigne de la saisie et que l’on s’approche de la vente, les chances d’arrêter le processus et le nombre de personnes auxquelles cette chance est donnée s’amenuisent.

Ainsi, le saisi et le tiers qui a un intérêt suffisant peuvent s’opposer à la saisie-exécution immobilière et en demander la nullité pour les motifs suivants[18]18 :

1. pour cause d’irrégularité dans la saisie, s’il lui en résulte un préjudice sérieux; …

2. pour cause d’insaisissabilité des biens saisis;

3. pour cause d’extinction de la dette;

4. pour quelque cause de nature à affecter le jugement dont l’exécution est poursuivie.

Cependant, et c’est là à mon avis un indice déterminant de l’intention du législateur, cette opposition doit être signifiée au moins dix jours avant la date fixée pour la vente, sans quoi elle n’arrête pas la vente, « si ce n’est pour cause suffisante et sur l’ordre du protonotaire »[19]

Par ailleurs, le décret peut être annulé, à la poursuite de toute partie intéressée[20] :

698.

1. Si, à la connaissance de l’adjudicataire, il y a eu dol pour écarter des enchères;

2. Si les conditions et formalités essentielles prescrites pour la vente n’ont pas été observées; le saisissant ne peut toutefois se prévaloir d’une irrégularité qui soit imputable à lui-même ou à son procureur.

Pour peu qu’il s’agisse de causes de nullité qui sont connues avant la vente et qui n’ont rien à voir avec la vente comme telle, la tardiveté des opposants peut donc leur être fatale : s’ils ne se sont pas manifestés dix jours avant la vente, ils risquent gros; s’ils se manifestent après la vente, il est généralement trop tard. Le juge L’Heureux-Dubé, dans l’affaire Garcia, soulignait d’ailleurs que[21] :

L’exigence en vertu de laquelle la partie qui s’oppose à la vente doit agir avant que celle-ci n’ait lieu est bien établie au Québec …

Elle dressait un inventaire impressionnant d’arrêts ayant condamné l’inertie d’opposants et rappelait ces propos du juge Taschereau dans McGregor v. Canada Investment and Agency Co.[22] :

[traduction] À supposer donc qu’il ait eu des droits sur cet immeuble, l’appelant les a perdus par suite du décret. Vigilantibus non dormientibus subvenit lex.

Les intimés nous ont invité à suivre, les qualifiant de « courant jurisprudentiel », certaines décisions de cours québécoises qui ont accueilli des requêtes en annulation de décret pour le motif qu’au moment de la vente, il y avait eu entente entre les parties et la dette était éteinte. Les décisions auxquelles on nous a renvoyés sont : Rossie c. Gosselin, [1979] C.S. 273; Blanchette c. Vertu, inédit, C.S. St-François, no 450-05-000562-815, 13 janvier 1983, SOQUIJ no 83-217; Stebenne c. Banque de commerce canadienne impériale, [1982] C.S. 884; et Sauvegarde (La), Cie d’assurance sur la vie c. Tapis Laberge Inc., [1983] C.S. 835.

Je note au départ qu’aucune d’elles n’a été mentionnée par le juge L’Heureux-Dubé dans l’affaire Garcia à titre d’exemple de cas exceptionnels d’annulation de décret. Je ne suis donc pas certain qu’il s’agisse d’un « courant jurisprudentiel » dont l’autorité s’imposerait. Quoi qu’il en soit, les circonstances dans ces affaires sont difficilement comparables à celles que l’on retrouve dans cette affaire-ci.

Dans Rossie et dans Stebenne la vente avait été suspendue par le shérif à la demande des parties, mais le créancier saisissant, unilatéralement, avait ensuite donné ordre au shérif de continuer les procédures d’exécution. Dans Blanchette, l’adjudicataire avait connaissance de l’entente survenue entre les parties. Dans La Sauvegarde, le shérif a procédé à la vente après qu’il eût annoncé qu’elle était annulée.

En l’espèce, diverses avenues étaient pourtant ouvertes aux intimés bien avant la vente.

Ainsi, les parties à la saisie, soit Hancor et SDM, pouvaient, de par l’article 673 C.p.c., consentir à la suspension de la vente. Elles le voulaient, certes, mais elles n’ont pas fait le nécessaire pour que leur consentement soit suivi d’effet. Ainsi que l’a conclu le juge des requêtes, il ne suffit pas que ce consentement des parties existe; encore faut-il que le shérif en soit informé, et la preuve a révélé qu’il ne l’avait pas été. Le shérif, ne l’oublions pas, reçoit de la Cour l’ordre de vendre l’immeuble (« [l]e bref … enjoint au shérif » (C.p.c., art. 660)). Je ne puis concevoir que l’article 673 C.p.c. ait prévu la suspension d’office d’une vente dès l’existence, à l’insu du shérif, d’un consentement des parties. Une partie pourrait vraisemblablement demander qu’un décret soit annulé pour le motif que le shérif avait refusé à tort de suspendre la vente[23], mais je ne vois pas comment un shérif pourrait refuser à tort de suspendre si une demande à cet effet ne lui a pas été faite par les parties. L’article 673 C.p.c. n’exige pas, bien au contraire, que le shérif prenne l’initiative de suspendre une vente qu’il est tenu de par ordre de la Cour d’exécuter.

De même, SDM et ses créanciers, forts d’une proposition concordataire dûment acceptée, auraient pu s’opposer à la vente dix jours avant qu’elle n’ait lieu ou, sur permission, dans un délai plus court. Ils ne l’ont pas fait.

Je ne cache pas qu’il soit tentant, sur le plan de l’équité, de donner une chance de plus à des parties qui ont chacune cru, de bonne foi, que la vente n’aurait pas lieu puisqu’elle n’avait plus de raison d’être et qui ont omis, par suite de confusion et de maladresses, de faire les démarches qui s’imposaient pour l’arrêter. Mais la loi est là, qui cherche à protéger une personne qui, elle aussi, est de bonne foi, c’est-à-dire l’adjudicataire, et qui cherche, par delà les intérêts des parties en présence, à préserver ce que le juge Pigeon a appelé, dans Anjou (Ville d’) c. C.A.C. Realty Ltd. et autres[24] le « principe de l’intangibilité des ventes en justice ».

Je ne pense pas qu’il s’agisse ici du genre de cas exceptionnels auxquels le juge L’Heureux-Dubé faisait allusion dans Garcia. La saisie était valide. Le jugement en vertu duquel la saisie avait été pratiquée était valide. L’immeuble vendu en justice appartenait au débiteur saisi. Qui plus est, l’adjudicataire était de bonne foi, le shérif n’avait rien à se reprocher et l’irrégularité alléguée, si tant est que c’en soit une, existait bien avant la date fixée pour la vente et était imputable uniquement au malentendu s’étant produit entre le créancier saisissant, le créancier garanti, le débiteur saisi et le syndic. Je note, en ce qui a trait au créancier saisissant, qu’eus-je conclu à l’existence d’une irrégularité, je n’aurais pu de toute façon accueillir sa requête, l’article 698 C.p.c. lui interdisant de se prévaloir d’une irrégularité qui lui soit imputable.

Ce second moyen, dans la mesure où il se fonde sur les disposition du Code de procédure civile du Québec, doit échouer. Il ne reste plus aux intimés qu’une chance : la Loi sur la faillite.

c)         La suspension des procédures et l’article 69 de la Loi sur la faillite.

Le paragraphe 69(1) de la Loi sur la faillite prescrit ce qui suit :

69. (1) Lors de la déposition d’une proposition faite par une personne insolvable ou lors de la faillite de tout débiteur, aucun créancier ayant une réclamation prouvable en matière de faillite n’a de recours contre le débiteur ou contre ses biens, ni ne peut intenter ou continuer une action, exécution ou autres procédures pour le recouvrement d’une réclamation prouvable en matière de faillite, tant que le syndic n’a pas été libéré ou que la proposition n’a pas été refusée, sauf avec l’autorisation du tribunal et aux conditions que ce dernier peut imposer.

Les intimés soutiennent qu’il y a suspension de plein droit des procédures en cas de proposition concordataire, que cette suspension empêche un créancier saisissant de faire vendre en justice des biens appartenant au débiteur et que toute vente en justice de ces biens est nulle peu importe que le shérif ait ou non été informé de l’existence de la proposition.

L’adjudicataire prétend, au contraire, que le paragraphe 69(1) n’opère pas un sursis automatique ou qu’à tout le moins le sursis n’est pas opposable à un adjudicataire. Il ajoute, s’appuyant sur le paragraphe 66(1)[25] de la Loi, que la protection accordée par l’article 73[26] aux adjudicataires de bonne foi en cas de faillite, devrait également leur être accordée en cas de proposition.

La solution du litige dépend donc de l’interprétation des paragraphes 66(1) et 69(1) et de l’article 73 de la Loi lorsque la vente en justice a été faite non pas dans le cadre d’une faillite, mais dans le cadre d’une proposition concordataire.

Le débat, au fond, est assez simple.

Le paragraphe 69(1) s’applique, de par ses termes mêmes, en cas de proposition aussi bien qu’en cas de faillite. Le caractère général de la suspension des procédures que ce paragraphe impose est acquis; les tribunaux ne tolèrent pas qu’un créancier, par la poursuite individuelle de recours, vienne faire échec à la Loi sur la faillite et réduise à son profit et injustement le patrimoine d’un débiteur en continuant des procédures d’exécution sans l’autorisation du tribunal[27].

L’article 73, qui, de par ses termes, ne s’applique qu’en cas de faillite, apporte un tempérament majeur à la portée de la suspension décrétée par le paragraphe 69(1). Si, en effet, en dépit de l’interdiction qui lui est faite par le paragraphe 69(1), un créancier procède quand même à l’exécution du jugement et si le shérif instrumentant, au moment de la vente, n’a pas reçu une copie de la cession certifiée conforme par le syndic, la vente en justice sera néanmoins valide, le titre de l’adjudicataire de bonne foi sera préservé, et le shérif n’aura qu’à remettre au syndic, au grand dam du créancier saisissant, le produit de la vente[28].

C’est bien inutilement, à mon avis, que certains tribunaux ont épilogué sur le caractère absolu ou relatif de cette suspension de procédures qu’imposerait le paragraphe 69(1). La question est belle en théorie, mais elle est résolue, en pratique, moins par l’annulation des procédures d’exécution entreprises illégalement par un créancier, que par la remise au syndic ou à la masse des créanciers du produit de ces procédures[29].

Eu égard à cet article 73, il sera utile de souligner que : 1) ce n’est pas l’état de faillite qui impose au shérif l’obligation de ne pas procéder à la vente ou, s’il y a procédé, de remettre le produit de la vente au syndic, c’est plutôt l’avis que le shérif reçoit. Tant que le shérif n’est pas avisé de la manière prescrite, non seulement n’a-t-il pas l’obligation de suspendre la vente, mais de plus n’en a-t-il pas le droit[30]; 2) il n’est pas nécessaire que ce soit le syndic lui-même qui donne l’avis prescrit, le texte du paragraphe 73(2) se contentant d’exiger qu’une copie de la cession certifiée conforme par le syndic soit envoyée au shérif et ne précisant pas qui doit l’envoyer; et 3) que la seule obligation imposée par les paragraphes 73(2) et (3) est celle, imposée au shérif, de remettre les biens au syndic s’il a reçu l’avis avant la vente ou de lui remettre le produit de la vente s’il a reçu l’avis après la vente[31].

Du fait que l’article 73, contrairement à l’article 69, ne réfère qu’aux « biens du failli » et qu’à « un acte de faillite », il reste à déterminer si, de par le jeu du paragraphe 66(1), les droits d’un adjudicataire de bonne foi sont protégés, lorsqu’à l’insu du shérif il y a eu dépôt d’une proposition concordataire avant la vente, de la même façon que s’il y avait eu faillite et cession des biens entre les mains du syndic.

La formulation du paragraphe 66(1) a été critiquée à juste titre par le professeur Albert Bohémier dans Faillite et Insolvabilité[32]. Le législateur devrait, dans la mesure du possible, indiquer dans une loi quelle disposition s’applique à une situation donnée. En laissant aux tribunaux le soin de décider quelles dispositions de la Loi sur la faillite s’appliquaient lorsqu’il y avait, non pas faillite, mais proposition, le Parlement a ouvert la porte à des incertitudes incompatibles avec la stabilité économique que, pourtant, la Loi sur la faillite cherche à promouvoir.

Selon une interprétation courante dont fait état le professeur Bohémier, il faut partir de l’idée que la différence fondamentale entre la faillite et la proposition réside dans le fait que le débiteur, en cas de faillite, perd la saisine de ses biens tandis que généralement il la conserve en cas de proposition et interpréter en conséquence le paragraphe 66(1) comme signifiant que seules ces dispositions de la Loi qui peuvent recevoir application indépendamment du dessaisissement du débiteur s’appliquent à la proposition avec les adaptations de circonstance.

Cette approche crée cependant problème lorsqu’il s’agit de l’article 73. Ainsi que le note le professeur Bohémier,

S’il s’agit d’un concordat préventif, une jurisprudence, discutable sans doute, refuse d’appliquer à la proposition les articles 70 et 73 L.F., mutatis mutandis, à moins qu’il ne s’agisse d’une proposition-cession autorisant expressément le syndic à agir. Pour contourner la difficulté, il est recommandé de nommer un séquestre intérimaire (art. 47 L.F.) et de lui faire reconnaître le droit de prendre possession des biens saisis[33].

Il suffit de constater que la proposition concordataire mène tout droit à une faillite en cas de rejet par les créanciers (paragraphe 57(1) de la Loi), en cas de défaut d’exécution (alinéa 42(1)i) de la Loi) ou en cas d’annulation (paragraphe 63(4)), pour s’interroger sur le sort d’une vente en justice qui se serait produite avant le rejet, le défaut ou l’annulation ou qui serait elle-même la cause du défaut ou de l’annulation. Le titre de l’adjudicataire serait-il valide en cas de faillite, invalide en cas de proposition, et valide en cas de proposition devenue faillite? Ce serait là un résultat à tout le moins incohérent.

Il est possible, à mon avis, d’éviter une telle incohérence en donnant au paragraphe 66(1) une interprétation plus large que celle proposée jusqu’à ce jour et qui correspond davantage aux termes particulièrement généraux de ce paragraphe.

Les mots utilisés par le législateur sont importants : « [t]outes les dispositions », « dans la mesure où elles sont applicables », « compte tenu des adaptations de circonstance ». Le législateur connaissait les différences de principe et de pratique qui existaient entre le régime de la faillite et celui de la proposition concordataire. Par paresse ou par mesure d’économie, il n’a pas cru nécessaire de répéter ou d’adapter, eu égard aux cas de propositions, les dispositions qu’il avait adoptées eu égard aux cas de faillite. Ce faisant, toutefois, il a pris bien soin de dire—c’est en tout cas ainsi que je comprends les mots qu’il a utilisés—que toutes les dispositions de la Loi s’appliquaient en cas de proposition dans la mesure où il était possible de les appliquer. Il souhaite, autrement dit, que les tribunaux trouvent le moyen, par delà leurs différences évidentes, d’uniformiser dans les limites du possible les règles applicables à la faillite et celles applicables à la proposition concordataire. Il ne dit pas qu’il faut le faire à tout prix : il est des cas où ce ne sera pas possible. Il dit cependant qu’il faut tenter de le faire, cas par cas, et ne pas hésiter, ce faisant, à se servir de son imagination. C’est à un processus d’uniformisation et d’adaptation intelligente que le législateur convie les cours, pas à un processus d’application littérale et aveugle.

Dès qu’on adopte cette approche, l’horizon s’éclaircit considérablement. À l’article 69, le législateur s’est préoccupé uniquement des intérêts des créanciers et du débiteur. À l’article 73 (et à l’article 75[34], qui ne nous intéresse pas ici), il s’est préoccupé principalement des intérêts de l’adjudicataire de bonne foi, tout en conférant aux créanciers, au débiteur et au syndic le droit de faire obstacle à la saisie et à la vente. Le législateur a manifestement cherché à protéger les adjudicataires lorsque, à leur insu et à l’insu du shérif, ils s’étaient aventurés dans le champ miné de la faillite et de l’insolvabilité.

Je ne vois rien, dans cette protection accordée à l’adjudicataire de bonne foi, qui dépende de ce que le débiteur lui-même ou le syndic ait été en possession du bien vendu. Le dessaisissement du débiteur, en d’autres termes, ne change rien au fait qu’on ait voulu protéger le titre de l’acheteur. Il serait même étonnant que la vente en justice soit valide lorsque le débiteur n’a pas la possession du bien vendu, et qu’elle ne le soit pas lorsqu’il l’a. Certes, puisque cet article a été conçu en termes de faillite, les obligations qu’il impose au shérif sont exprimées dans un contexte où c’est un syndic qui a la possession légale des biens du failli et où c’est au syndic qu’il faut remettre le produit de la vente. Mais c’est là, justement, le défi que lance le paragraphe 66(1) aux tribunaux : est-il possible de faire abstraction de ces concepts propres à un cas de faillite et de les adapter à un cas de proposition?

Je suis d’autant plus à l’aise de croire qu’il n’y a aucune objection de principe à appliquer l’article 73 à une proposition, que la Loi elle-même, au paragraphe 63(2) qui traite de l’annulation d’une proposition, a confirmé la validité d’une vente exécutée en conformité avec la proposition.

Cet intérêt manifesté par le législateur à l’égard des acheteurs de bonne foi s’inscrit d’ailleurs fort bien dans le cadre de sa politique, définie au paragraphe 72(1) de la Loi, de ne pas :

… abroger ou … remplacer les dispositions de droit substantif d’une autre loi ou règle de droit concernant la propriété et les droits civils, non incompatibles avec la présente loi …

Il suffit de référer à l’analyse que j’ai faite dans la section précédente pour constater qu’en décidant d’appliquer l’article 73 aux propositions concordataires, j’assure du même coup le respect du principe de l’intangibilité des ventes en justice si profondément ancré en droit civil québécois.

Il m’apparaît tout à fait possible d’adapter l’article 73 aux cas de proposition concordataire, ainsi que le permet et nous y invite le paragraphe 66(1). Il suffit, en faisant les « adaptations de circonstance », de conclure que le dépôt d’une proposition concordataire, même acceptée par les créanciers et homologuée par le tribunal, ne prive pas l’adjudicataire de bonne foi de son titre dans un immeuble acheté en justice si l’existence de la proposition, du concordat ou de l’homologation n’a pas été dénoncée au shérif, avant la vente, par envoi à ce dernier d’une copie certifiée conforme de la proposition, du concordat ou du jugement d’homologation. Cet avis, tout comme s’il s’était agi d’un cas de faillite, aurait pu être envoyé au shérif par le débiteur lui-même, par l’un de ses créanciers ou par le syndic.

À qui, alors, le shérif devra-t-il remettre les produits de la vente en justice, ainsi que l’y oblige le paragraphe 73(3)? Au syndic, peut-être, pour distribution ou remise à qui de droit, puisqu’il appert du paragraphe 60(2) de la Loi que tout montant payable aux termes de la proposition est payé au syndic et qu’il appert de l’article 63 que le syndic n’est pas functus lorsqu’une proposition est annulée en cas de défaut d’exécution. Il n’est pas nécessaire, pour les fins du débat, que je tranche la question.

Il se peut que le maintien de la validité de la vente en justice mène à l’annulation de la proposition concordataire, vu le défaut du débiteur de respecter son engagement d’obtenir la mainlevée de la saisie. Je n’ai pas, cependant, à me préoccuper des conséquences que la décision de la Cour peut avoir à cet égard. Le Parlement a prévu à l’article 63 et à l’alinéa 42(1)i)[35] les conséquences d’un défaut d’exécution, et il importe peu que ce défaut résulte d’un acte intentionnel ou d’une simple erreur commise de bonne foi. Le Parlement a choisi de respecter les droits de l’adjudicataire de bonne foi et le débiteur, ses créanciers et le syndic n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes si, à cause de l’erreur de l’un ou de plusieurs d’entre eux, l’exécution de la proposition devient impossible.

Ce troisième moyen doit être rejeté.

DISPOSITION

J’accueillerais les appels, j’infirmerais la décision rendue par le juge des requêtes et je rejetterais les trois requêtes en annulation du décret.

Les adjudicataires appelantes auront droit aux dépens en première instance et en appel contre chacun des intimés dans le dossier A-1259-92; le shérif appelant aura droit aux dépens en première instance et en appel contre chacun des intimés dans le dossier A-1221-92.

Le juge Hugessen, J.C.A. : J’y souscris.

Le juge suppléant Chevalier : J’y souscris.



[1] Je fais miens, à cet égard, ces propos du juge des requêtes ((1993), 56 F.T.R. 82, à la p. 84) :

Il ne fait pas de doute que l’objet du litige ayant été réglé entre les parties et ce, dans le cadre d’une proposition concordataire, les procédures de vente forcée de cet immeuble n’auraient jamais dû se rendre à terme. Un manque de communication évident entre les parties, leurs procureurs et les officiers de justice chargés de la vente sont à l’origine de cet imbroglio. De nombreux acteurs sont à blâmer mais il n’incombe pas à cette cour, dans le cadre des présentes requêtes, de distribuer des reproches ou de pointer des responsables si ce n’est pour vérifier si les procédures entourant la vente judiciaire ont été suivies ou si les conditions et formalités essentielles prescrites pour la vente ont été observées.

[2] L.R.C. (1985), ch. B-3.

[3] L.C. 1992, ch. 27.

[4] L.R.C. (1985), ch. F-7.

[5] L’art. 55(5) de la Loi se lit comme suit :

55.

(5) En cas d’absence ou d’empêchement du shérif ou du prévôt, ou de vacance du poste ou de refus d’exécution par le titulaire, le moyen de contrainte est adressé au shérif adjoint ou prévôt adjoint, ou à toute autre personne prévue par les règles ou une ordonnance spécifique de la Cour. Cette personne a droit, pour son propre compte, aux émoluments prévus par les règles ou l’ordonnance en cause.

[6] La Règle 360 se lit comme suit :

Règle 360. (1) Chaque fois qu’il n’y a pas de shérif ni de prévôt ou qu’un shérif ou prévôt est incapable d’exercer ses fonctions ou ne veut pas les exercer, les brefs (y compris le mandat de saisie de biens décerné en vertu de la règle 1003) peuvent être adressés

a) à toute personne habilitée à exécuter un bref émanant d’une cour supérieure de la province dans laquelle le bref doit être exécuté, et

b) sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), lorsqu’il s’agit de la province de Québec, à un huissier dûment autorisé aux fins du Code de procédure civile de cette province.

(2) La présente règle est établie en application du paragraphe 55(5) de la Loi.

[7] Les art. 13(1) et (2) de la Loi se lisent comme suit :

13. (1) Le gouverneur en conseil peut nommer un shérif de la Cour pour un secteur géographique donné.

(2) À défaut de nomination d’un shérif de la Cour sous le régime du paragraphe (1) pour un secteur géographique donné, les titulaires, nommés sous le régime de lois provinciales, des charges de shérif et shérifs adjoints pour le comté ou tout ou partie d’une autre circonscription judiciaire de ce même secteur sont de droit respectivement shérif et shérifs adjoints de la Cour.

[8] Voir Stephens c. R. (1982), 26 C.P.R. 1 (C.A.F.), à la p. 7.

[9] L’art. 55(4) de la Loi se lit comme suit :

55.

(4) Le shérif ou le prévôt exécute les moyens de contrainte de la Cour qui lui sont adressés même s’il doit pour cela agir en dehors de son ressort : il exerce en outre les fonctions qui peuvent lui être attribuées expressément ou implicitement par les règles.

[10] L’art. 56(3) de la Loi se lit comme suit :

56.

(3) Sauf disposition contraire des règles, les brefs de saisie-exécution ou autres moyens de contrainte visant des biens—qu’ils soient prescrits par les règles ou autorisés aux termes du paragraphe (1)"sont, quant aux catégories de biens saisissables et au mode de saisie et de vente, exécutés autant que possible de la manière fixée, pour des moyens de contrainte semblables émanant d’une cour supérieure provinciale, par le droit de la province où sont situés les biens à saisir. Ils ont les mêmes effets que ces derniers, quant aux biens en question et aux droits des adjudicataires.

[11] L.R.Q. 1977, ch. S-7.

[12] L.R.Q. 1977, ch. H-4, art. 1 (mod. par L.Q. 1989, ch. 57, art. 3).

[13] La Règle 5 se lit comme suit :

Règle 5. Dans toute procédure devant la Cour, lorsque se pose une question non autrement visée par une disposition d’une loi du Parlement du Canada ni par une règle ou ordonnance générale de la Cour (hormis la présente Règle), la Cour déterminera (soit sur requête préliminaire sollicitant des instructions, soit après la survenance de l’événement si aucune requête de ce genre n’a été formulée) la pratique et la procédure à suivre pour cette question par analogie

a) avec les autres dispositions des présentes Règles, ou

b) avec la pratique et la procédure en vigueur pour des procédures semblables devant les tribunaux de la province à laquelle se rapporte plus particulièrement l’objet des procédures, selon ce qui, de l’avis de la Cour, convient le mieux en l’espèce.

[14] [1981] 2 R.C.S. 364, à la p. 390.

[15] (1993), 56 F.T.R. 82, à la p. 86.

[16] Le document éventuellement signé à Exeter le 26 février 1992 omettra toute référence au shérif.

[17] Garcia Transport Ltée c. Cie Trust Royal, [1992] 2 R.C.S. 449, aux p. 540 et 541, le juge L’Heureux-Dubé.

[18] C.p.c., art. 674 et 596.

[19] C.p.c., art. 679.

[20] C.p.c., art. 698.

[21] Supra, note 17, à la p. 539.

[22] (1892), 21 R.C.S. 499, à la p. 516; confirmant (1892), 1 B.R. 197.

[23] Voir Roynat Inc. c. Grenier, [1985] R.D.J. 89 (C.A.), à la p. 94.

[24] [1978] 1 R.C.S. 819, à la p. 828.

[25] L’art. 66(1) de la Loi se lit comme suit :

66. (1) Toutes les dispositions de la présente loi, dans la mesure où elles sont applicables, s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, aux propositions.

[26] L’art. 73 de la Loi se lit comme suit :

73. (1) Une exécution exercée par saisie et vente des biens d’un failli n’est pas invalide pour le seul motif qu’elle est un acte de faillite, et une personne qui achète de bonne foi ces biens à une vente faite par l’huissier-exécutant acquiert un titre valable à ces biens contre le syndic.

(2) Lorsqu’il a été fait une cession ou qu’il a été rendu une ordonnance de séquestre, l’huissier-exécutant ou tout autre fonctionnaire d’un tribunal, ou toute autre personne ayant saisi des biens du failli en vertu d’une exécution, d’une saisie-arrêt ou de toute autre procédure, sur réception d’une copie de la cession ou de l’ordonnance de séquestre certifiée conforme par le syndic, livre immédiatement au syndic tous les biens du failli qu’il a en sa possession.

(3) Lorsque l’huissier-exécutant a vendu les biens du failli ou une partie de ces biens, il remet au syndic les sommes d’argent qu’il a ainsi réalisées, moins ses honoraires et les frais mentionnés au paragraphe 70(2).

[27] Voir Vachon c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, [1985] 2 R.C.S. 417, à la p. 423 et ss.; R. c. Fitzgibbon, [1990] 1 R.C.S. 1005, à la p. 1015 et ss.

[28] Voir Gobeil c. Cie H. Fortier et autres, [1982] 1 R.C.S. 988.

[29] Voir Gobeil, supra, note 28; Hudson (trustee in bankruptcy) v. Brisebois Bros. Construction Ltd. (1982), 37 A.R. 48 (C.A.); Amanda Designs Boutique Ltd. v. Charisma Fashions Ltd., [1972] 3 O.R. 68 (C.A.).

[30] Voir Gobeil, supra, note 28.

[31] Voir Hudson, supra, note 29, à la p. 56.

[32] A. Bohémier, Faillite et Insolvabilité, t. 1, Montréal : Thémis, 1992, à la p. 293 et ss.

[33] Ibid., à la p. 353. Cette jurisprudence qualifiée de discutable, comprend In re Hanna (W.) & Company Ltd. (1961), 2 C.B.R. (N.S.) 40 (C.S. Ont.); In re Coupal et Frères Ltée : Vibrapipe Concrete Products Ltd. et Ville de Chambly, [1968] C.S. 91.

[34] L’art. 75 de la Loi se lit comme suit :

75. Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, un acte, transport, transfert, contrat de vente, privilège ou hypothèque, consenti à un acheteur ou à un créancier hypothécaire de bonne foi, ou consenti en sa faveur, pour contrepartie valable et suffisante, et couvrant des biens immeubles visés par une ordonnance de séquestre ou une cession en vertu de la présente loi, est valable et efficace selon sa teneur et selon les lois de la province dans laquelle ces biens sont situés, aussi pleinement et efficacement, et pour toutes fins et intentions, que si aucune ordonnance de séquestre n’avait été rendue ou cession faite en vertu de la présente loi, à moins que l’ordonnance de séquestre, la cession, ou un avis de cette ordonnance ou de cette cession, ou un avis, n’ait été enregistré contre les biens au bureau approprié, antérieurement à l’enregistrement de l’acte, du transport, transfert, contrat de vente, privilège ou de l’hypothèque, conformément aux lois de la province où sont situés les biens.

[35]  L’art. 42(1)i) de la Loi se lit comme suit :

Acte de faillite

42. (1) Un débiteur commet un acte de faillite en chacun des cas suivants :

i) s’il fait défaut à toute proposition concordataire faite sous le régime de la présente loi.

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