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[1996] 2 C.F. 391

T-1117-89

Symbol Yachts Ltd., Harold William Locke et Michael Locke (demandeurs)

c.

John Pearson et Sa Majesté la Reine du chef du Canada (défendeurs)

Répertorié : Symbol Yachts Ltd. c. Pearson (1re inst.)

Section de première instance, juge Nadon— Vancouver, 4 décembre 1995; Ottawa, 25 janvier 1996.

Juges et tribunaux ProtonotairesAppel d’une ordonnance par laquelle le protonotaire a refusé de proroger le délai accordé pour déposer et signifier un affidavit de documentsLa Règle 336(1)g) confère au protonotaire le pouvoir de statuer sur toute demande interlocutoireIl a été satisfait à la norme de contrôle des ordonnances discrétionnaires du protonotaireOrdonnance soulevant une question déterminante quant à l’issue de l’affaire car elle a pour effet de mettre fin à l’actionLe protonotaire a pris en considération l’ensemble des circonstances pertinentes soumises à son attention pour arriver à la conclusion qui convenaitLa Règle 336(1)g) ne limite pas la compétence du protonotaire aux ordonnances interlocutoiresUne demande interlocutoire est simplement une demande présentée dans le cours d’une action qui peut mener au règlement « définitif » d’une questionEn statuant sur une demande interlocutoire, le protonotaire peut rendre des ordonnances qui sont définitivesLa compétence pour entendre des demandes interlocutoires ne peut dépendre de l’issue de la décisionSi le protonotaire n’a pas compétence, il ne peut entendre la demande, quel que soit le résultat.

Il s’agit de l’appel d’une ordonnance par laquelle le protonotaire a refusé de proroger le délai accordé pour déposer et signifier un affidavit de documents, délai qui avait été fixé par une ordonnance péremptoire prononcée antérieurement sur une requête en rejet d’action pour défaut de poursuivre. Le protonotaire a conclu que les demandeurs n’avaient pas fait valoir de motif suffisant pour accorder une prorogation. L’ordonnance péremptoire prévoyait expressément qu’en cas de non-respect l’action des demandeurs serait réputée rejetée.

L’alinéa 336(1)g) des Règles de la Cour fédérale confère au protonotaire le pouvoir de statuer sur toute demande interlocutoire.

Il s’agit de déterminer si le protonotaire (1) a pris en considération toutes les circonstances pertinentes; (2) a commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas respecté les délais prescrits; (3) a pris en considération le fait que les interrogatoires préalables étaient censés avoir été tenus dans les délais prescrits dans son ordonnance; (4) avait compétence pour rendre l’ordonnance.

Jugement : l’appel doit être rejeté.

Il ne convient d’intervenir pour modifier l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire que si celle-ci est « entachée d’erreur flagrante » ou porte sur une question « ayant une influence déterminante sur l’issue du principal ». L’ordonnance du protonotaire portait sur une question ayant une influence déterminante sur l’issue de l’affaire étant donné qu’elle avait pour effet de mettre fin à l’action des demandeurs. Cependant, cette ordonnance ne peut être examinée qu’en tenant compte des éléments de preuve dont le protonotaire était saisi au moment où il l’a rendue. Il était trop tard pour présenter des éléments de preuve qui auraient dû lui être soumis auparavant.

D’après les éléments de preuve dont il était saisi, le protonotaire a tiré la conclusion qui convenait. Il a bel et bien pris en considération l’ensemble des circonstances pertinentes soumises à son attention pour arriver à sa conclusion. L’affidavit déposé à l’appui de la requête était manifestement insuffisant pour lui permettre de proroger le délai prévu pour déposer et signifier l’affidavit de documents. Le fait que les demandeurs aient pris des dispositions provisoires avec les défendeurs au sujet des interrogatoires préalables n’est pas pertinent. Il aurait fallu soumettre au protonotaire des preuves plus étoffées.

Une demande interlocutoire est simplement une demande présentée dans le cours d’une action qui peut mener au règlement « définitif » d’une question. L’alinéa 336(1)g) des Règles ne limite pas la compétence du protonotaire aux ordonnances interlocutoires, mais dispose que celui-ci peut statuer sur toute demande interlocutoire. Ce faisant, il peut rendre des ordonnances qui sont définitives. La compétence du protonotaire pour entendre des demandes interlocutoires ne peut dépendre de l’issue de sa décision. Ou bien il a compétence pour entendre une affaire, ou bien il ne l’a pas. S’il n’a pas compétence, il ne peut entendre la demande, quelle que soit l’issue de sa décision.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 8, 24(1).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 324, 332(1), 336, 419(1).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS NON SUIVIES :

Tribro Investments Ltd. c. Embassy Suites, Inc. (1991), 40 C.P.R. (3d) 193; 51 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.); Cameron Packaging Ltd. v. Ruddy; Ruddy v. Cameron Packaging Ltd. (1983), 41 C.P.C. 154 (H.C. Ont.).

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (1993), 93 DTC 5080 (C.A.) (concernant la norme de contrôle applicable en matière d’appel de l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire); Iscar Ltd. c. Karl Hertel GmbH, [1989] 3 C.F, 479; (1989), 25 C.P.R. (3d) 116; 27 F.T.R. 186 (1re inst.); 746278 Ontario Ltd. c. Courtot (1989), 24 C.P.R. (3d) 362; 25 F.T.R. 277 (C.F. 1re inst.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (1993), 93 DTC 5080 (C.A.) (concernant les remarques de MacGuigan, J.C.A., sur le caractère interlocutoire de la demande); conf. La Reine c. Aqua-Gem Investments Ltd. (1991), 91 DTC 5641; 50 F.T.R. 115 (C.F. 1re inst.); inf. La Reine c. Aqua-Gem Investments Ltd. (1990), 91 DTC 5546 (C.F. 1re inst.).

APPEL d’une ordonnance par laquelle le protonotaire a refusé de proroger le délai prescrit pour déposer et signifier un affidavit de documents, délai qui avait été fixé antérieurement par ordonnance péremptoire, dont il résultait que l’action était réputée rejetée (Symbol Yachts Ltd. c. Canada, [1995] A.C.F. no 1361 (1re inst.) (QL)). Appel rejeté.

AVOCATS :

R. R. C. Twining pour les demandeurs.

Donnaree Nygard pour les défendeurs.

PROCUREURS :

Killam, Whitelaw & Twining, Vancouver, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Nadon : Les demandeurs interjettent appel d’une ordonnance datée du 16 octobre 1995 [[1995] A.C.F. no 1361 (1re inst.) (QL)] dans laquelle le protonotaire John Hargrave a refusé de proroger des délais péremptoires fixés dans une ordonnance antérieure, qu’il avait rendue le 24 juillet 1995. De plus, les demandeurs sollicitent l’autorisation de la présente Cour de verser au dossier l’affidavit de S. Alan Beesley, signé le 30 octobre 1995, ainsi que celui de Harold Locke, signé le 29 novembre 1995.

Les motifs de la requête des demandeurs sont les suivants :

1. Que le protonotaire n’a pas considéré entièrement et convenablement toutes les circonstances pertinentes en examinant les raisons pour lesquels les demandeurs n’avaient pas déposé l’avis de constitution d’un nouvel avocat ou l’affidavit de documents dans les délais prescrits dans son ordonnance datée du 24 juillet 1995;

2. Que le protonotaire a conclu à tort que les demandeurs n’avaient pas respecté les délais prescrits dans son ordonnance datée du 24 juillet 1995;

3. Que le protonotaire n’a pas pris en considération la preuve relative au fait que les interrogatoires préalables étaient censés avoir été tenus dans les délais prescrits dans son ordonnance datée du 24 juillet 1995;

4. Que le protonotaire n’avait pas compétence pour rendre l’ordonnance datée du 24 juillet 1995.

Pour statuer sur la requête des demandeurs, il est nécessaire de passer brièvement en revue les faits pertinents. La demanderesse Symbol Yachts Ltd. est une société constituée en vertu des lois de la province de la Colombie-Britannique. Les demandeurs Harold Locke et Michael Locke sont père et fils respectivement. Le défendeur John Pearson est enquêteur auprès de Revenu Canada, Douanes et Accise. Dans leur déclaration, les demandeurs allèguent qu’en obtenant un mandat de perquisition et en saisissant trois yachts, John Pearson a obtenu ledit mandat à des fins irrégulières ou illégales et, ce faisant, a violé les droits que garantit aux demandeurs l’article 8 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et a causé un préjudice à leur intégrité et à leur réputation. Les demandeurs réclament, dans l’action principale, des dommages-intérêts pour violation du droit de propriété, des dommages-intérêts en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, de même que des dommages-intérêts majorés et punitifs. Les demandeurs ont entrepris leur action en mai 1989. La défense a été déposée au mois de juillet suivant.

En juin 1995, les défendeurs ont demandé par voie de requête que l’action des demandeurs soit rejetée pour défaut de poursuivre. La requête en question a été entendue par le protonotaire le 24 juillet 1995. À l’audience, le demandeur Harold Locke a comparu pour le compte de tous les demandeurs car, à l’époque, il semble que ces derniers n’étaient pas représentés par avocat. Après avoir entendu les arguments des deux parties, le protonotaire a rendu une ordonnance prescrivant aux demandeurs de :

1. Nommer un avocat qui les représenterait et déposer un avis de constitution d’un nouvel avocat dans les 15 jours suivants (8 août 1995);

2. Déposer et signifier un affidavit de documents et fournir les dates d’interrogatoire préalable dans les 30 jours suivants (23 août 1995);

3. Tenir les interrogatoires préalables dans les 120 jours suivants (21 novembre 1995);

faute de quoi, l’action des demandeurs serait [traduction] : « réputée rejetée ». L’ordonnance du protonotaire était péremptoire [traduction] : « aucune excuse ne sera acceptée de la part des demandeurs en cas d’inobservation ».

Le 9 août 1995, les demandeurs déposaient auprès du greffe à Vancouver un avis de constitution d’un nouvel avocat, en date du 8 août 1995. Même si le protonotaire avait exigé dans son ordonnance que l’avis en question soit déposé avant le 8 août 1995, le greffe, sur instructions du protonotaire, a accepté ledit avis pour dépôt, le 9 août 1995. (Le dossier comporte une note à cet effet, datée du 9 août 1995, de la part du protonotaire à l’agent du greffe.)

Le 22 septembre 1995, le nouvel avocat des demandeurs déposait un avis de requête en vertu de la Règle 324 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] (ci-après appelées les Règles) en vue d’obtenir une ordonnance modifiant l’ordonnance du prototaire datée du 24 juillet 1995. Plus précisément, par leur requête, les demandeurs cherchaient à faire reporter au 30 septembre 1995 la date fixée pour le dépôt et la signification de l’affidavit de documents (23 août 1995), ainsi qu’à faire proroger au 30 novembre 1995 le délai fixé pour les interrogatoires préalables.

Les défendeurs ont présentés des arguments écrits datés du 25 septembre 1995, à l’encontre de la requête des demandeurs. Dans leur argumentation, ils ont fait valoir que si les demandeurs désiraient déposer des documents à une date postérieure à celle que le protonotaire avait ordonnée, ils auraient dû procéder par voie d’appel en vertu de la Règle 336. Selon les défendeurs, le délai fixé pour déposer un appel en application de cette règle expirait le 7 août 1995. De plus, ils étaient d’avis que le protonotaire avait compétence pour rendre l’ordonnance, laquelle était une ordonnance discrétionnaire rendue par lui après avoir pris en considération l’ensemble des éléments de preuve.

Les défendeurs ont soutenu, subsidiairement, qu’il ne fallait pas faire droit à la requête des demandeurs concernant la prorogation du délai fixé pour déposer leur affidavit de documents car la preuve à l’appui de ladite requête, soit l’affidavit de Harold William Locke, [traduction] « n’excuse pas de manière raisonnable le non-respect des conditions précises en matière de dépôt fixées dans l’ordonnance du protonotaire ».

Bien qu’une copie des arguments écrits des défendeurs lui ait été signifiée, l’avocat des demandeurs n’a pas opposé de réplique.

Le 16 octobre 1995, le protonotaire a rejeté la requête des demandeurs. Dans ses motifs d’ordonnance, il a examiné les faits survenus dans ce dossier depuis le 24 juillet 1995, date à laquelle il avait été saisi de la requête en rejet de l’action des demandeurs pour défaut de poursuivre. Le protonotaire a expliqué pourquoi [à la page 3], le 24 juillet 1995, il avait décidé « d’accorder aux demandeurs le bénéfice d’un doute très ténu et établir un calendrier en vertu duquel la demanderesse, Symbol Yachts Ltd., devrait nommer au plus tard le 8 août un avocat pour représenter tous les demandeurs et déposer et signifier leur affidavit de documents au plus tard le 23 août 1995, afin que les interrogatoires préalables soient terminés le 21 novembre 1995 ».

Le protonotaire a ensuite examiné la jurisprudence applicable concernant l’effet et les conséquences des ordonnances péremptoires. Il a conclu que, nonobstant une ordonnance péremptoire, la Cour avait le pouvoir de proroger le délai; toutefois, il convenait d’exercer ce pouvoir [à la page 10] « avec prudence, en tenant dument compte de la nécessité de respecter le principe selon lequel les ordonnances sont faites pour être suivies et non pas ignorées ».

Le protonotaire a ensuite entrepris d’analyser les raisons pour lesquelles les demandeurs cherchaient à faire proroger les délais fixés dans son ordonnance du 24 juillet 1995. Plus particulièrement, il a examiné l’affidavit de Harold Locke, seul élément de preuve déposé à l’appui de la requête des demandeurs. En particulier, le protonotaire a pris en considération le paragraphe 4 dudit affidavit, dont le texte est le suivant [à la page 11] :

[traduction]

4.   J’ai remis dans les délais prévus à M. Beesley [le nouvel avocat des demandeurs] une liste de documents à inclure dans l’affidavit de documents, mais la liste que j’ai fournie n’était pas suffisamment exhaustive pour les besoins de M. Beesley. Par conséquent, j’ai été de nouveau retardé dans ma préparation de cet affidavit.

Le protonotaire a conclu que la preuve déposée par les demandeurs n’était pas suffisante pour lui permettre de proroger le délai accordé à ces derniers pour déposer et signifier leur affidavit de documents. Voici ce que déclare le protonotaire aux pages 11 et 12 de ses motifs d’ordonnance :

Cette excuse n’est pas très explicite. Elle n’indique pas à quelle date la liste des demandeurs a été remise à l’avocat, mais donne simplement une opinion quant au respect des délais et elle n’indique pas non plus si des mesures ont été prises pour accélérer la production des documents. Cette attitude me semble assez représentative de la manière dont les demandeurs ont mené le litige depuis 1989 jusqu’à ce jour.

Compte tenu du fait que le redressement dans les cas comme celui en l’espèce ne doit pas être automatiquement accordé et de la nécessité de respecter le principe selon lequel les ordonnances sont faites pour être suivies et non ignorées, je conclus que les demandeurs n’ont pas établi de motif suffisant pour qu’une nouvelle prorogation de délai leur soit accordée en vue de poursuivre leur action. La requête est rejetée, et les dépens sont adjugés aux défendeurs.

Les demandeurs interjettent maintenant appel devant moi de l’ordonnance par laquelle le protonotaire a rejeté leur requête. De plus, ils souhaitent obtenir l’autorisation de déposer l’affidavit de Alan Beesley, signé le 30 octobre 1995, ainsi que celui de Harold Locke, signé le 29 novembre 1995.

Au cours de l’audition du présent appel, à Vancouver, j’ai fait savoir aux parties, après avoir entendu leurs arguments sur la question, que je n’autoriserais pas les demandeurs à déposer, pour les besoins du présent appel, les affidavits de Harold Locke et Alan Beesley. Dans ces affidavits, MM. Locke et Beesley cherchaient à expliquer pourquoi les demandeurs n’avaient pu se conformer à l’ordonnance du protonotaire datée du 24 juillet 1995. Il m’apparaissait assez évident que ces affidavits ou, du moins, les renseignements y figurant, auraient dû être soumis au protonotaire avant qu’il rende sa décision le 16 octobre 1995. Toutefois, cette preuve ne lui a pas été présentée et, en se fondant sur les éléments qu’il avait en mains, le protonotaire a rejeté la requête en prolongation de délai des demandeurs.

Il s’agit en l’espèce d’un appel de la décision du protonotaire interjeté en vertu du paragraphe 336(5) des Règles. Pour pouvoir modifier l’ordonnance du protonotaire, je dois être convaincu que son ordonnance est « entachée d’erreur flagrante » ou qu’elle porte sur une question « ayant une influence déterminante sur l’issue du principal ». Dans l’arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 le juge MacGuigan, de la Cour d’appel fédérale, a expliqué la norme de contrôle applicable en matière d’appel de l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire. Le juge MacGuigan dit ceci, à la page 463 :

… le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits,

b) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal.

Si l’ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire depuis le début.

En l’espèce, il ne fait aucun doute dans mon esprit que l’ordonnance du protonotaire porte sur une question qui a une influence déterminante sur l’issue de l’affaire étant donné que ladite ordonnance a pour effet de mettre fin à l’action des demandeurs. Cependant, je ne puis examiner l’ordonnance qu’en tenant compte des éléments de preuve dont le protonotaire était saisi au moment où il l’a rendue. Par conséquent, il m’est impossible—et c’est ce que j’ai indiqué aux parties à l’audience—de prendre en considération les affidavits que les demandeurs désirent verser au dossier. J’ignore pourquoi ils n’ont pas déposé ces affidavits à l’appui de leur demande du 22 septembre 1995 mais, d’après moi, ces éléments de preuve, s’ils étaient disponibles, auraient dû être soumis au protonotaire.

Il s’agit d’un appel de la décision du protonotaire, et il est maintenant trop tard pour présenter des éléments de preuve qui auraient dû être soumis plus tôt. À mon sens, ces nouveaux affidavits visent à combler les lacunes des éléments de preuve soumis au protonotaire. Les faits attestés, dans l’affidavit de M. Beesley par exemple, auraient pu être portés à l’attention du protonotaire, mais ils ne l’ont pas été. L’affidavit couvre la période qui s’étend du début du litige en 1988 jusqu’au 30 octobre 1995.

C’est pour ces raisons que j’ai informé les parties à l’audience que je n’autoriserais pas les demandeurs à verser au dossier des affidavits supplémentaires.

J’ai déjà exposé les motifs pour lesquels les demandeurs contestent la décision du protonotaire datée du 16 octobre 1995. En ce qui concerne les premier, deuxième et troisième motifs, je suis d’avis que les demandeurs ne peuvent obtenir gain de cause. Premièrement, contrairement à ce qu’ils affirment, il me semble que le protonotaire a bel et bien pris en considération l’ensemble des circonstances pertinentes soumises à son attention pour arriver à sa conclusion. Autrement dit, en exerçant mon pouvoir discrétionnaire de reprendre l’affaire depuis le début, je suis d’avis que la conclusion du protonotaire est la bonne. L’affidavit de M. Locke, que les demandeurs ont déposé à l’appui de leur requête en prorogation des délais fixés, était manifestement insuffisant pour permettre au protonotaire de proroger le délai prévu dans son ordonnance du 24 juillet 1995 pour déposer et signifier l’affidavit de documents. J’ai déjà exposé les raisons pour lesquelles le protonotaire a refusé de proroger ainsi le délai, et je dois dire que je n’y relève aucune erreur.

Enfin, à mon sens, le fait que les demandeurs aient pris des dispositions provisoires avec les défendeurs au sujet des interrogatoires préalables n’est pas pertinent. Le protonotaire a rejeté la requête en prorogation de délai des demandeurs parce qu’il a conclu qu’au vu de la preuve dont il était saisi, ces derniers n’avaient pas montré, à sa satisfaction, pourquoi ils n’avaient pu se conformer à son ordonnance du 24 juillet 1995. Là encore, la preuve déposée par les demandeurs à l’appui de leur requête, c’est-à-dire l’affidavit de Harold Locke, n’était, comme l’a indiqué le protonotaire dans ses motifs, « pas très explicite ». Il est indubitable qu’il aurait fallu soumettre au protonotaire des preuves plus étoffées. Il ne m’appartient pas de conjecturer sur les raisons pour lesquelles elles ne l’ont pas été. Toutefois, d’après les éléments de preuve dont il était saisi, le protonotaire a, je crois, tiré la conclusion qui convenait.

Voyons maintenant le quatrième motif, à savoir que le protonotaire n’avait pas compétence pour rendre son ordonnance du 24 juillet 1995.

La Règle 336 des Règles établit le pouvoir dont est investi le protonotaire. Le texte de cette Règle est le suivant :

Règle 336. (1) Nonobstant la Règle 326(1), un protonotaire a le pouvoir

a) de faire toute chose autorisée par les présentes Règles,

b) s’il est convaincu que toutes les parties concernées y ont consenti, de rendre toute ordonnance pouvant être rendue par la Division de première instance à l’exception

i) d’une ordonnance incompatible avec une ordonnance précédemment rendue par la Cour ou un juge, et

ii) d’une ordonnance fixant les date et lieu de l’instruction,

c) s’il est convaincu que toutes les parties concernées y ont consenti, d’inscrire un jugement statuant sur une action,

d) de rendre tout jugement ou toute ordonnance que la Cour pourra rendre en vertu des Règles 432 et 437,

e) de rendre toute ordonnance que la Cour pourrait rendre pour permettre d’émettre un bref d’exécution ou pour prolonger la validité d’un bref d’exécution,

f) d’entendre et décider toute action portant sur un montant ne dépassant pas $5,000 qui lui a été confiée sur directive spéciale du juge en chef adjoint, ou

g) de statuer sur toute demande interlocutoire qui lui a été nommément confiée ou qui a été confiée à l’un quelconque des protonotaires sur directive spéciale ou générale du juge en chef ou du juge en chef adjoint,

et, dans l’exercice de ses pouvoirs, un protonotaire doit, d’ordinaire, siéger dans une salle d’audience ouverte au public; toutefois, sauf pour une question visée à l’alinéa f), le défaut de siéger dans une telle salle n’invalidera pas ce qu’il aura fait.

(2) Si un protonotaire estime qu’une question devrait être examinée par la Cour, il peut la renvoyer devant la Cour et la Cour pourra soit résoudre la question ou la renvoyer de nouveau devant un protonotaire avec les instructions qu’elle juge appropriées.

(3) Toute ordonnance ou décision rendue par un protonotaire en vertu de la présente Règle est aussi valide que si elle avait été rendue par la Cour et lie toutes les parties concernées dans la même mesure.

(4) Les jugements ou ordonnances rendus par un protonotaire doivent être signés par le protonotaire qui les a rendus.

(5) Toute personne concernée par une ordonnance ou décision d’un protonotaire, autre qu’un jugement en vertu des Règles 432 à 437, peut en appeler à la Cour et cet appel doit être interjeté au moyen d’une demande dont avis doit être donné à toutes les parties intéressées, ledit avis devra indiquer les raisons de l’opposition et être signifié dans les 14 jours de l’ordonnance ou de la décision dont il est fait appel, et 4 jours francs avant le jour fixé pour l’audition de l’appel, ou devra être signifié dans tel autre délai que pourra accorder la Cour ou un protonotaire sur demande ex parte. L’appel doit être déposé 2 jours au moins avant la date fixée pour l’audition. (Au présent alinéa, « Cour » désigne la « Division de première instance », si la question est devant la Division de première instance, et la « Cour d’appel », si la question est devant la Cour d’appel).

Plus précisément, la question que soulèvent les demandeurs est celle de savoir si la requête présentée en juin 1995 par les défendeurs en vue d’obtenir le rejet de l’action des demandeurs pour défaut de poursuivre était une demande dont le protonotaire pouvait connaître. Les demandeurs font valoir qu’aux termes de l’alinéa 336(1)g) des Règles, le protonotaire a le pouvoir de statuer sur toute demande interlocutoire. Or, soutiennent-ils, la requête des défendeurs en vue de faire rejeter leur déclaration pour défaut de poursuivre n’était pas une demande interlocutoire mais une demande définitive en ce sens que l’issue de cette dernière était la fin de l’action des demandeurs.

Je ne puis souscrire à cette position. Dans l’arrêt Iscar Ltd. c. Karl Hertel GmbH, [1989] 3 C.F. 479(1re inst.), le juge en chef adjoint a analysé cet aspect dans le contexte d’une requête émanant des défendeurs en vue de faire radier la déclaration des demandeurs en vertu du paragraphe 419(1) des Règles. Le juge en chef adjoint a conclu que la requête en radiation des défendeurs était une demande interlocutoire et que, de ce fait, le protonotaire avait le pouvoir d’entendre l’affaire. Dans son raisonnement à la page 484, il a expliqué ainsi le pouvoir conféré au protonotaire :

En me fondant sur le pouvoir que je détiens sous le régime de l’article 15 et sur la compétence de juger les demandes interlocutoires qui est conférée aux protonotaires aux termes de la Règle 336(1)g), j’ai énoncé la directive de pratique numéro 3, qui prévoit que les demandes interlocutoires, à l’intérieur de certaines limites précises, sont entendues par le protonotaire-chef et le protonotaire-chef adjoint. À mon sens, cette disposition ne constitue pas une sous-délégation. Il ressort clairement de l’alinéa 46(1)h) de la Loi que le Parlement n’avait pas l’intention que les protonotaires agissent simplement comme préposés à la procédure pour la Cour. Il est, au contraire, manifeste, à la lecture de cet article, que le Parlement voulait que les protonotaires possèdent une compétence à caractère judiciaire. Pour qu’une telle compétence puisse être exercée, toutefois, une règle de la Cour fédérale doit conférer au protonotaire le pouvoir concerné, d’où la Règle 336. La compétence du protonotaire d’entendre les demandes interlocutoires découle du paragraphe 46(1). Le pouvoir d’exercer cette compétence est accordé par la Règle 336(1)g). L’exercice de cette compétence est limité à « toute demande interlocutoire qui lui a été nommément confiée ou qui a été confiée à l’un quelconque des protonotaires sur directive spéciale ou générale du juge en chef ou du juge en chef adjoint ». Les demandes de radiation de plaidoiries effectuées sous le régime de la Règle 419(1) constituent clairement des demandes interlocutoires malgré le fait que les décisions concernées peuvent trancher les questions soulevées de façon définitive. La compétence des protonotaires de les entendre n’est pas fondée sur notre règle ou sur ma directive de pratique, mais sur la Loi sur la Cour fédérale.

Sont compatibles avec les motifs prononcés par le juge en chef adjoint dans l’arrêt Iscar, précité, les motifs du protonotaire adjoint Giles (ci-après appelé le protonotaire adjoint) dans la décision 746278 Ontario Ltd. c. Courtot (1989), 24 C.P.R. (3d) 362 (C.F. 1re inst.). Le protonotaire adjoint était saisi d’une demande en vue d’obtenir une décision prescrivant que des dommages-intérêts étaient à payer. Une objection a été formulée contre le pouvoir du protonotaire adjoint d’entendre une telle requête et ce, au motif, notamment, que la requête en question n’était pas une demande interlocutoire au sens de l’alinéa 336(1)g) des Règles. Le protonotaire adjoint dispose de cette objection en ces termes, aux pages 363 et 364 :

[traduction] Un autre motif invoqué par l’avocat pour justifier l’absence de compétence était qu’une demande en vue d’obtenir une décision que des dommages-intérêts étaient payables n’était pas une demande interlocutoire au sens de la Règle 336(1)f)[1] parce qu’elle menait à une ordonnance ou à un jugement définitif sur la question. À mon avis, dans son argumentation l’avocat a omis de signaler que le pouvoir conféré au protonotaire est celui d’entendre des demandes interlocutoires, c’est-à-dire des demandes présentées au cours d’une action. Le fait qu’une telle action puisse résoudre de manière définitive une question autre que la question principale n’atténue pas le caractère interlocutoire de la demande.

Les demandeurs m’ont renvoyé aux motifs de jugement prononcés par le juge Muldoon dans l’affaire Tribro Investments Ltd. c. Embassy Suites, Inc. (1991), 40 C.P.R. (3d) 193 (C.F. 1re inst.), ainsi qu’à ceux du juge MacGuigan dans l’arrêt précité Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd.

Dans Tribro Investments, la question que le juge Muldoon avait à trancher consistait à savoir si une requête en annulation d’une ordonnance ex parte d’un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale, prorogeant le délai dont disposait Tribro Investments pour produire des éléments de preuve, constituait une requête interlocutoire au sens du paragraphe 332(1) des Règles.

Dans ses motifs, le juge Muldoon a fait référence à la décision du protonotaire adjoint Giles et à celle du juge en chef adjoint dans l’arrêt Iscar, précité. Tous deux avaient conclu qu’une requête en radiation d’une déclaration en vertu de l’alinéa 419(1)a) des Règles était une demande interlocutoire. Le juge Muldoon a souscrit, quant au résultat, à l’arrêt Iscar au motif qu’un jugement radiant une déclaration en vertu de l’alinéa 419(1)a) des Règles n’était pas « définitif ». Voici comment le juge Muldoon a expliqué son point de vue, à la page 201 :

S’il s’agit de statuer sur les droits des parties à l’instance, la déclaration ne saurait être radiée—c’est ce qui ressort à l’évidence de la Règle 419(1)a). Quand le protonotaire est habilité à radier une déclaration, il le fait effectivement sur une requête visant l’élimination d’une nullité, d’une excroissance qui n’englobe simplement pas les droits des parties à l’instance. C’est pourquoi le jugement du protonotaire n’est pas « définitif » au sens de la définition donnée dans la loi, quand bien même il pourrait autrement être considéré comme mettant fin à l’excroissance. La Cour a jugé qu’il statuait sur une demande interlocutoire.

Le juge Muldoon a ensuite analysé le sens du mot « interlocutoire ». Après avoir passé en revue la jurisprudence, le juge Muldoon, à la page 204, a fait sien le raisonnement du juge Cromarty dans la décision Cameron Packaging Ltd. v. Ruddy; Ruddy v. Cameron Packaging Ltd. (1983), 41 C.P.C. 154 (H.C. Ont.) ainsi que celui de Gordon Wood, dans un commentaire en marge de l’affaire Cameron Packaging [aux pages 156 et 157]. Le commentaire de M. Wood, et que le juge Muldoon a cité, est libellé comme suit :

Annotation

Le juge Cromarty conclut qu’une demande faite conformément à la Règle 126 n’est pas une demande interlocutoire parce qu’elle peut mener à une ordonnance déterminant définitivement les droits des parties. À première vue, la mention à la Règle 292 de requêtes interlocutoires semble clairement se référer à la distinction entre les requêtes interlocutoires et les requêtes introductives d’instance, et non à la distinction entre les ordonnances interlocutoires et les ordonnances définitives. Comme l’ont dit Williston et Rolls, dans The Law of Civil Procedure (1970), vol. 1, à la p. 470 :

« La distinction entre les requêtes interlocutoires et les requêtes introductives d’instance ne doit pas être confondue avec la distinction entre les ordonnances interlocutoires et les ordonnances définitives. Une requête introductive d’instance peut parfois donner lieu à une ordonnance interlocutoire; à l’inverse, une demande interlocutoire peut parfois donner lieu à une ordonnance définitive."

Le juge Cromarty se reporte à l’arrêt Bongard v. Parry Sound, [1968] 2 O.R. 137 (H.C.) pour étayer son point de vue selon lequel une requête en vertu de la Règle 126 n’est pas interlocutoire. Dans cet arrêt, le juge Stark a dit (à la p. 141) :

« À mon avis, la question a d’abord pris la forme d’une question interlocutoire, mais à la fin, il est vite devenu évident qu’il en résulterait ou qu’il pourrait en résulter un jugement définitif. »

Le juge Stark s’est ensuite référé aux motifs du juge Fraser dans l’arrêt Re H. Flagal (Holdings) Ltd., [1966] 1 O.R. 33, 52 D.L.R. (2d) 385 (H.C.). Dans celui-ci, la requérante avait voulu déposer, à l’appui d’une requête introductive d’instance, un affidavit faisant état de renseignements et d’une croyance, parce que la demande était « essentiellement » une demande interlocutoire. L’argument a été rejeté, mais le raisonnement de Fraser permet de soutenir qu’il y a des chances qu’une ordonnance soit rendue qui détermine les droits des parties de façon définitive, relativement à la question de savoir si la requête elle-même est interlocutoire au sens de la Règle 292. Pour l’application de cette règle, il faut donc tenir compte non seulement de la forme de la demande, mais encore de la question de savoir si la demande peut mener à une détermination définitive des droits des parties à l’instance.

Si je comprends bien ses propos, M. Wood est d’avis que la nature d’une demande, qu’elle soit définitive ou interlocutoire, dépend des résultats auxquels elle mène. En d’autres termes, si l’issue ultime d’une demande est de statuer sur une question ou sur l’action, cette demande doit donc être considérée comme « définitive ».

Il s’agit là d’un point de vue auquel je ne puis souscrire car cela signifierait, en ce qui concerne le pouvoir du protonotaire, qu’on ne pourrait décider si ce dernier avait compétence qu’après le prononcé de sa décision. Cela veut donc dire qu’en l’espèce, si le protonotaire avait rejeté la requête des défendeurs en vue d’obtenir la radiation de la déclaration pour défaut de poursuivre, cette requête aurait donc été une demande interlocutoire puisqu’elle n’aurait pas mené au règlement de la question ou de l’action. À mon sens, cela est impossible. Je préfère le raisonnement du juge en chef adjoint dans l’arrêt Iscar ainsi que celui du protonotaire adjoint Giles dans la décision 746278 Ontario Ltd., précitée, à savoir qu’une demande interlocutoire est simplement une demande présentée dans le cours d’une action qui peut fort bien mener au règlement « définitif » d’une question.

Ainsi que je l’ai indiqué, les demandeurs m’ont également renvoyé aux motifs du juge MacGuigan dans l’arrêt Aqua-Gem Investments, précité, et plus précisément au passage où il déclare ceci, aux pages 464 et 465 :

La matière soumise en l’espèce au protonotaire peut être considérée comme interlocutoire seulement parce qu’il a prononcé en faveur de l’appelante. Eût-il prononcé en faveur de l’intimée, sa décision aurait résolu définitivement la cause; Voir P-G du Canada c. S.F. Enterprises Inc. et autre (1990), 90 DTC 6195 (C.A.F.) aux pages 6197 et 6198; Ainsworth v. Bickersteth et al., [1947] O.R. 525 (C.A.). Il me semble qu’une décision qui peut être ainsi soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale. Autrement dit, pour savoir si le résultat de la procédure est un facteur déterminant de l’issue du principal, il faut examiner le point à trancher avant que le protonotaire ne réponde à la question, alors que pour savoir si la décision est interlocutoire ou définitive (ce qui est purement une question de forme), la question doit se poser après la décision du protonotaire. Il me semble que toute autre approche réduirait la question de fond de « l’influence déterminante sur l’issue du principal » à une question purement procédurale de distinction entre décision interlocutoire et décision définitive et protégerait toutes les décisions interlocutoires contre les attaques (sauf le cas d’erreur de droit).

Je pense que cette approche est aussi celle qu’adopte la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Stoicevski, par lequel le juge Lacourcière, J.C.A., conclut (à la page 439) que [traduction] « une modification [apportée à une défense] qui peut avoir pour effet de réduire le quantum des dommages-intérêts recouvrables par le demandeur a manifestement une influence déterminante sur l’issue de la cause principale ». Plus important encore, la décision rendue par la Cour d’appel d’Angleterre en troisième appel de l’affaire Allen v. McAlpine (Sir Alfred) & Sons, Ltd., [1968] 1 All E.R. 543, par laquelle elle a refusé d’infirmer la décision du juge des requêtes de substituer son appréciation discrétionnaire à celle du protonotaire à l’égard d’une exception pour défaut de poursuivre, est entièrement applicable en l’espèce. Il est vrai que pour ce qui est des faits dans ce troisième appel, il y avait eu un retard de 14 ans, mais ce fait n’a rien à voir avec la question de savoir quelle est l’autorité dont la décision discrétionnaire doit l’emporter.

Selon moi, ce passage des motifs du juge MacGuigan est sans rapport avec l’espèce. Dans l’arrêt Aqua-Gem, précité, le juge MacGuigan examinait si l’ordonnance du protonotaire soulevait une question cruciale pour le règlement définitif de l’affaire. C’est dans ce contexte qu’il s’est demandé si l’ordonnance en question pouvait être qualifiée d’« interlocutoire » ou de « définitive ». Il ne s’intéressait pas à la compétence du protonotaire pour entendre la demande dont il était saisi.

Toujours dans l’arrêt Aqua-Gem, l’ordonnance visée par l’appel émanait d’un juge des requêtes qui avait rejeté l’action de la demanderesse pour défaut de poursuivre [(1991), 91 DTC 5641 (C.F. 1re inst.)]. Ce faisant, le juge des requêtes avait infirmé la décision du protonotaire adjoint [(1991), 91 DTC 5546 (C.F. 1re inst.)] qui avait rejeté la requête par laquelle la défenderesse cherchait à obtenir le rejet de l’action de la demanderesse pour défaut de poursuivre. La véritable question dont était saisie la Cour d’appel était de savoir si le juge des requêtes avait appliqué la norme de contrôle appropriée en annulant la décision discrétionnaire du protonotaire adjoint. La Cour a rejeté majoritairement l’appel de la demanderesse. Il ne ressort pas des motifs de la majorité, ni des motifs dissidents du juge en chef et du juge Robertson, que le protonotaire adjoint n’avait pas compétence pour entendre la demande qui, en fin de compte, avait donné lieu à l’appel.

En conclusion, je suis d’avis que l’alinéa 336(1)g) des Règles autorise le protonotaire à statuer sur toute demande interlocutoire. Cette Règle ne limite pas ou ne restreint pas la compétence du protonotaire aux ordonnances « interlocutoires ». La Règle, je le répète, dispose que le protonotaire peut statuer sur toute demande interlocutoire. Ce faisant, il peut, selon moi, rendre des ordonnances qui sont définitives au sens où l’explique le juge MacGuigan dans l’arrêt Aqua-Gem.

Comme je l’ai déjà expliqué, la compétence du protonotaire pour entendre des demandes interlocutoires ne peut dépendre de l’issue de sa décision, comme semble le laisser entendre le juge Muldoon dans l’arrêt Tribro Investments, précité. De deux choses l’une : le protonotaire est compétent pour entendre une affaire, ou il ne l’est pas. S’il n’est pas compétent, alors il ne peut tout simplement pas entendre la demande, quelle que soit l’issue de sa décision. C’est donc dire que l’argument des demandeurs au sujet de la compétence n’est pas valable.

Pour tous ces motifs, je suis d’avis que l’appel des demandeurs ne peut être accueilli. Les dépens seront adjugés aux défendeurs.



[1] Lire plutôt 336(1)g).

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