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[1996] 1 C.F. 756

A-194-95

T. Geoffrey Bertram (appelant)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

A-292-95

J. Arthur Carson (appelant)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : Bertram c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Hugessen, Linden et McDonald, J.C.A.—Toronto, 27 novembre; Ottawa, 18 décembre 1995.

Pratique Communications privilégiées Appels de décisions de la CCI ordonnant aux contribuables de répondre à des questions posées lors de leur interrogatoire préalable au sujet d’un document produit au cours d’une réunion avec des fonctionnaires de Revenu CanadaOn a omis d’inclure dans le document en question des renseignements pertinents qui figuraient dans un document similaire détenu par la CouronneIl s’agissait de savoir si la réunion était tenue sous toutes réserves et si elle était protégée contre toute divulgation par un privilège découlant d’un règlementLe but de la réunion doit être une tentative honnête et réciproque pour négocier un règlementLa réunion en question n’était pas une négociation en vue d’arriver à un règlementLa règle d’exclusion ne protège pas les déclarations inexactes et les agissements malhonnêtesLe privilège disparaît lorsqu’une partie tente d’utiliser les négociations menant à un règlement pour tromper la partie adverseIl faut répondre aux questions conçues pour obtenir des renseignements ou des aveux au sujet d’une telle tentative.

Il s’agissait d’appels de décisions de la Cour canadienne de l’impôt ordonnant aux contribuables de répondre à certaines questions qui avaient été refusées au moment de leur interrogatoire préalable. En 1986, les contribuables avaient vendu à profit la part qu’ils détenaient dans un ensemble d’appartements situé dans la péninsule de Niagara et avaient déclaré ce profit à titre de gain en capital. Le ministre a fixé une nouvelle cotisation en tenant pour acquis qu’il s’agissait d’un profit d’exploitation et qu’il devait être imposé à titre de revenu. Une réunion a été tenue le 9 octobre 1991 avec des fonctionnaires du ministère du Revenu national dans un effort pour régler le différend. À cette occasion, l’un des appelants a produit un document, une brochure publicitaire probablement, qui différait sur un point important d’un exemplaire d’une brochure similaire que les fonctionnaires avaient obtenue d’autres sources. La section x de ce document, qui n’apparaissait pas dans l’exemplaire produit par l’appelant, traitait d’un projet de conversion de l’ensemble d’appartements en condominiums. L’avocat de l’appelant s’est opposé à un certain nombre de questions sur la version de la brochure que l’appelant avait produite, et ces questions étaient restées sans réponse. Le juge de la Cour de l’impôt a ordonné à l’appelant de répondre auxdites questions. Le point en litige consistait à savoir si les contribuables pouvaient invoquer le « privilège découlant d’un règlement » pour refuser de répondre.

Arrêt : les appels doivent être rejetés.

Une règle ou un privilège d’exclusion s’applique pour protéger la preuve que l’on donne de l’existence de négociations menant à un règlement. Quand, comme c’est le cas en l’espèce, une réunion n’a pas expressément lieu « sous toutes réserves », la Cour devrait hésiter avant de conclure qu’il s’agissait d’une négociation en vue d’un règlement et de l’envelopper d’un voile de confidentialité de manière à exclure ce qui constituerait par ailleurs une preuve pertinente. Avant d’exclure des preuves pertinentes et d’empêcher l’une ou l’autre partie de les invoquer, le tribunal doit être tout à fait convaincu que l’objet de la réunion était en fait une tentative réciproque et honnête pour négocier un règlement, et rien d’autre. La réunion du 9 octobre 1991, en ce qui concerne du moins la production de documents en apparence pertinents, n’était pas une négociation en vue d’arriver à un règlement. En outre, la mesure d’intérêt public qui sous-tend la règle d’exclusion exige que cette dernière ne serve pas à protéger une preuve de déclaration inexacte ou d’agissements malhonnêtes. L’objet sous-jacent de la règle des communications faites « sous toutes réserves » est d’éviter à une partie d’être mise dans l’embarras par un aveu fait purement dans le but d’arriver à un règlement. Ce que les parties disent contre leur intérêt durant des négociations est dit sous toutes réserves, en ce sens que leurs déclarations ne peuvent être utilisées par la suite contre elles. Il n’existe aucune raison d’exclure ce dont une partie fait état dans son propre intérêt et au préjudice de la partie adverse. Lorsque, comme cela est le cas en l’espèce, une partie fausse le but d’une négociation visant à arriver à un règlement et tente de s’en servir pour amener l’autre partie à changer de position, le privilège disparaît. Les questions conçues pour obtenir des informations ou des aveux sur cette tentative et les circonstances qui l’entourent sont admissibles. Toute perte de privilège ne concerne que la tentative présumée d’induire en erreur et les circonstances qui s’y rapportent directement.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688, art. 95(1)b).

JURISPRUDENCE :

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Signature Inns, Inc. c. Carleton Homes Ltd. (1987), 18 C.P.R. (3d) 124 (C.F. 1re inst.); Cie de Média du Canada c. Canada (1991), 48 F.T.R. 68 (C.F. 1re inst.); Waxman (I.) & Sons Ltd. v. Texaco Canada Ltd., [1968] 1 O.R. 642; (1968), 67 D.L.R. (2d) 295 (H.C.); conf. par [1968] 2 O.R. 452; (1968), 69 D.L.R. (2d) 543 (C.A.); Rush& Tompkins Ltd. v. Greater London Council, [1989] A.C. 1280 (H.L.); Miller (Ed) Sales & Rentals Ltd. v. Caterpillar Tractor Co. et al. (1990), 105 A.R. 4; [1990] 4 W.W.R. 39; 72 Alta. L.R. (2d) 330 (B.R.); conf. par [1990] 5 W.W.R. 377; (1990), 74 Alta. L.R. (2d) 271 (C.A.); Middelkamp v. Fraser Valley Real Estate Board (1992), 96 D.L.R. (4th) 227; 71 B.C.L.R. (2d) 276; 10 C.P.C. (3d) 109; 45 C.P.R. (3d) 313; 29 W.A.C. 134 (C.A.C.-B.).

DOCTRINE

Sopinka, John et al. The Law of Evidence in Canada. Toronto : Butterworths, 1992.

APPELS de décisions de la Cour canadienne de l’impôt ([1995] 2 C.T.C. 2364) ordonnant aux contribuables de répondre à certaines questions qui avaient été refusées au moment de leur interrogatoire préalable. Appels rejetés.

AVOCATS :

Robb C. Heintzman, pour l’appelant Bertram.

Bradley G. Nemetz, pour l’appelant Carson.

Harry Erlichman, pour l’intimée.

PROCUREURS :

Fraser & Beatty, Toronto, pour l’appelant Bertram.

Bennett Jones Verchere, Calgary, pour l’appelant Carson.

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Hugessen, J.C.A. : Les présents appels font suite à des décisions par lesquelles la Cour canadienne de l’impôt [Carson (J.A.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 2364] a ordonné à chacun des appelants de répondre à certaines questions qui avaient été refusées au moment de leur interrogatoire préalable. Les affaires ont été entendues en même temps devant la Cour canadienne de l’impôt et réglées par les mêmes motifs; devant la présente Cour, bien que les deux appelants fussent représentés séparément, seul M. Carson a produit un exposé et seule sa cause a été plaidée en détail, l’avocat de M. Bertram se contentant de se conformer à l’issue de l’appel de M. Carson.

Contexte

En 1980, les appelants, de même qu’un certain nombre d’autres personnes, ont investi dans un ensemble d’habitations collectives, appelé Lookout Village, dans la péninsule de Niagara. En 1986, ils ont vendu ce bien à profit et ont déclaré ce profit à titre de gain en capital. Le ministre a fixé au moment opportun une nouvelle cotisation en tenant pour acquis qu’il s’agissait d’un profit d’exploitation et qu’il devait être imposé à titre de revenu entre les mains des appelants. Ces derniers ont interjeté appel de la nouvelle cotisation auprès de la Cour canadienne de l’impôt, et leurs appels sont actuellement en instance devant cette Cour.

Les faits

Avant que le ministre établisse l’avis de nouvelle cotisation, il s’était tenu, comme c’est souvent le cas, un certain nombre de réunions entre des fonctionnaires du ministère du Revenu national et des avocats représentant les appelants. La dernière de ces réunions a eu lieu à la demande des contribuables à Ottawa, le 9 octobre 1991. Les fonctionnaires du Ministère (qui n’étaient pas des avocats) ont rencontré l’appelant, M. Carson, et l’une des autres personnes qui avaient investi dans Lookout Village, accompagnés de deux avocats représentant le groupe d’investisseurs. Il semble qu’à un certain moment durant la réunion, l’autre investisseur ait fait une offre de compromis dans le but d’éviter la nouvelle cotisation qu’envisageait le ministre. À un autre moment au cours de la réunion, M. Carson a produit un document qu’il a remis aux fonctionnaires du Ministère. Ce document semble dater de la même époque que celle où les appelants ont investi dans Lookout Village (il porte la date du 8 décembre 1980) et paraît être une sorte de brochure publicitaire ou de vente. Ce document a manifestement été produit dans le but de persuader les fonctionnaires que l’achat avait été un placement et qu’il n’avait pas été fait à des fins de revente. Le document qu’a produit M. Carson est au cœur des points en litige en l’espèce car il diffère sur un point fort important d’une copie d’une brochure apparemment similaire que des fonctionnaires du Ministère ont obtenue d’autres sources.

Dans la copie de la brochure obtenue par le Ministère d’autres sources figure un index indiquant que le document contient onze sections, numérotées de i à xi. Les sections x et xi sont intitulées, respectivement, comme suit :

[traduction] x Conversion en condominiums

—Description de la conversion et résultats types de la conversion et de la vente

xi Conclusion

La section x, comme son titre l’indique, concerne un projet de conversion de l’ensemble d’habitations collectives en condominiums. Le texte qui l’accompagne est, en partie, le suivant :

[traduction] Selon le promoteur du projet, le meilleur usage qui peut être fait des deux complexes d’habitation, vu la qualité de la construction et les commodités disponibles, est l’aménagement de condominiums de luxe.

Le promoteur estime aussi que le délai optimal pour la conversion et la vente du projet est de cinq ans (1986), moment où il sera peut-être nécessaire de décorer à neuf et de remettre en état les installations. [Dossier d’appel, vol. I, onglet 6.]

De toute évidence, dans une affaire d’investissement immobilier, cette section du document serait fort pertinente pour déterminer quelles étaient les intentions des investisseurs au moment de l’achat.

Dans la version du document que M. Carson a produite à la réunion du 9 octobre 1991, tant l’index que les sections x et xi sont absents. Le reste du document, bien qu’il soit sans aucun doute pertinent, est relativement anodin.

Les questions

À l’interrogatoire préalable de M. Carson, un certain nombre de questions lui ont été posées sur la réunion du 9 octobre 1991 à laquelle il avait assisté, et plus particulièrement sur la version de la brochure qu’il avait remise aux fonctionnaires du Ministère qui étaient présents. L’avocat de l’appelant s’est opposé à ces questions, qui sont restées sans réponse[1]. L’intimée a demandé à la Cour canadienne de l’impôt une ordonnance obligeant l’appelant à répondre aux questions, et c’est la décision rendue par le juge de la Cour canadienne de l’impôt sur cette demande qui est maintenant en appel. Les questions proprement dites sont les suivantes :

[traduction] 232. (R) Avez-vous rencontré les représentants du ministre le 19 octobre 1991? [sic]

341. (R) Si j’ai bien compris, M. Carson, vous avez participé à une réunion avec des représentants du ministère du Revenu national en 1991 pour que ces derniers puissent comprendre votre position à l’égard de cet appel; est-ce exact?

342. (R) Est-il exact qu’au cours de cette réunion vous avez produit le document figurant à l’onglet 14 du document déposé par le ministre en tant que pièce no 1?

343. (R) Pouvez-vous me dire, M. Carson, ce qui a été dit à cette réunion?

347. (R) Pourriez-vous me montrer l’original du document qui figure à l’onglet 14 de la pièce no 1 dans cet interrogatoire?

348. (R) Pouvez-vous m’expliquer les circonstances dans lesquelles il a été éliminé?

La position des appelants

Les appelants ont soutenu devant le juge de la Cour canadienne de l’impôt que : a) les questions n’étaient pas pertinentes; b) elles portaient uniquement sur la crédibilité du témoin, ce qui allait à l’encontre des dispositions de l’alinéa 95(1)b) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale)[2]; c) la réunion avait eu lieu sous toutes réserves. Devant la Cour fédérale, les deux premières positions ont été abandonnées. En fait, l’avocat des appelants a reconnu franchement que toute question portant sur la brochure, sa production, son origine et comment et pourquoi elle s’était transformée en sa forme actuelle serait effectivement pertinente. À mon sens, cette concession était tout à fait valable : si les appelants ont été mêlés de quelque manière à la production ou à l’utilisation d’un document dont des éléments pertinents auraient été altérés ou supprimés, ce seul fait serait pertinent quant aux points soulevés dans leur appel relatif à la nouvelle cotisation du ministre.

En ce qui concerne la prétention selon laquelle la réunion du 9 octobre 1991 s’était déroulée « sous toutes réserves », la position des appelants a subtilement changé. Ils semblent avoir fait valoir devant le juge de la Cour canadienne de l’impôt que la réunion avait été tenue expressément « sous toutes réserves ». Le juge de la Cour canadienne de l’impôt, à juste titre selon moi, a émis de forts doutes au sujet de cette position. À la réunion, les appelants étaient représentés par des avocats; pas l’intimée. Dans aucune des lettres qui ont mené à la réunion, ou aussitôt par la suite, ces avocats ont-ils indiqué de quelque manière que la réunion devait avoir lieu ou avait eu lieu « sous toutes réserves ». Il n’y a pas non plus d’indication que quoi que ce soit ait été dit à cet effet à la réunion elle-même. Je partage l’opinion du juge de la Cour canadienne de l’impôt voulant que des avocats qui rencontrent une partie non représentée par un avocat sont spécialement tenus de faire clairement savoir que la réunion se déroule « sous toutes réserves » si tel est effectivement le cas.

En appel, l’avocat de l’appelant n’a pas insisté sur l’argument selon lequel il avait été expressément stipulé que la réunion aurait lieu « sous toutes réserves ». Il a plutôt fait valoir qu’étant donné que la réunion avait pour but d’en arriver à un règlement et qu’en fait, une offre de règlement avait été faite, l’ensemble de la réunion était protégée contre toute divulgation par le « privilège découlant d’un règlement ». L’avocat a clairement indiqué que cet argument, s’il est retenu, n’a pas simplement pour but d’empêcher l’intimée de poser des questions sur la brochure de vente au cours de l’interrogatoire préalable. L’argument, celui du privilège général, concerne l’admissibilité de preuves plutôt que la simple possibilité d’un interrogatoire préalable; la règle d’exclusion qui est inhérente à l’idée du privilège découlant d’un règlement, s’il y a lieu, empêchera l’intimée, même à un procès, et par l’entremise de ses propres témoins, de fournir une preuve quelconque au sujet de l’existence, de la production ou de l’utilisation de la brochure de vente dans sa forme apparemment incomplète ou modifiée.

Analyse

Il ne fait aucun doute, bien sûr, qu’une règle ou un privilège d’exclusion s’applique pour protéger la preuve que l’on donne de l’existence de négociations menant à un règlement :

[traduction] Il est reconnu depuis longtemps qu’il y va de l’intérêt public que les parties soient encouragées à résoudre leurs différends privés sans recourir au procès ou, si une action a été engagée, qu’elles soient encouragées à régler le litige à l’amiable. Pour favoriser la réalisation de ces objectifs, les tribunaux ont protégé contre la divulgation les communications écrites ou orales, faites en vue d’une réconciliation ou d’un arrangement. En l’absence d’une telle protection, peu de personnes entameraient des négociations en vue d’un règlement de peur que toute concession qu’elles seraient disposées à faire puisse être utilisée à leur détriment s’il n’en résultait aucun arrangement[3].

Dans l’arrêt Signature Inns, Inc. c. Carleton Homes Ltd.[4], le juge Teitelbaum, de la Section de première instance de la présente Cour, a exposé la question en termes succincts :

Le simple fait qu’une des parties éventuelles à une procédure judiciaire offre un règlement amiable, quelles qu’en soient les modalités, ne devrait pas être invoqué au préjudice de la personne qui a fait l’offre.

C’est le cas aussi du juge Cullen, dans la décision Cie de Média du Canada c. Canada[5] :

Ce caractère confidentiel repose sur l’objectif impérieux d’ordre public visant à encourager les parties à régler leurs différends avant d’aller au procès. Si ces communications n’étaient pas confidentielles, les tentatives de règlement seraient entravées par la crainte que les déclarations faites dans un esprit de compromis ne constituent une preuve sous la forme d’aveux dans le cas où les négociations achopperaient et entraîneraient un procès.

Selon moi toutefois, il y a deux raisons impérieuses pour lesquelles les appelants ne peuvent invoquer, dans les circonstances actuelles, le privilège découlant d’un règlement.

En premier lieu, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, un échange entre des parties n’a pas expressément lieu « sous toutes réserves », la Cour devrait hésiter avant de conclure qu’il s’agissait d’une négociation en vue d’un règlement et de l’envelopper d’un voile de confidentialité de manière à exclure ce qui constituerait par ailleurs une preuve pertinente. La plupart des litiges opposent deux parties qui ont un lien préexistant (propriétaire et locataire, vendeur et acheteur, employeur et employé, etc., sans parler des litiges matrimoniaux), et le bon sens nous dit que ces parties seront en fréquent contact l’une avec l’autre avant qu’une poursuite soit instituée. Ces réunions ne visent pas toutes à régler le litige imminent, et un grand nombre d’entre elles peuvent en fait en être la cause. Avant d’exclure des preuves pertinentes et d’empêcher l’une ou l’autre partie de les invoquer, le tribunal doit être tout à fait convaincu que l’objet de la réunion était en fait une tentative réciproque et honnête pour négocier un règlement, et rien d’autre. Lorsque l’objet de la réunion est ambigu ou multiple, ou que l’idée d’un règlement ou d’un compromis ne survient qu’incidemment ou fortuitement, l’ensemble de la réunion n’est pas protégé. Une partie ne peut considérer seule que la réunion vise à négocier un compromis; les deux doivent partager cette intention. De la même façon, une réunion qui serait par ailleurs tenue sans réserves n’est pas transformée en une réunion confidentielle par une partie qui ajoute après coup une offre (fallacieuse peut-être) de règlement. Chaque affaire doit être jugée en fonction des faits qui lui sont propres et en tenant compte de la relation et des rapports qui existent entre les parties.

En l’espèce, et en gardant à l’esprit que la réunion en question a eu lieu dans le cadre d’un régime fiscal d’autocotisation où le contribuable est tenu de communiquer au fisc l’ensemble des renseignements pertinents, et où il arrive souvent que les contribuables et leurs conseillers rencontrent des représentants du fisc pour tenter de les convaincre qu’aucun impôt, ou aucun impôt de plus, n’est exigible, il faudrait des preuves bien plus claires que celles que l’on trouve dans ce dossier pour me convaincre qu’une réunion peut être qualifiée de négociation en vue d’un règlement de manière à empêcher que l’une ou l’autre partie utilise subséquemment tout ce qui s’y est passé. L’un des avocats présents a reconnu franchement qu’il s’était échangé des renseignements à la réunion, chaque partie espérant que l’autre les accepterait et y donnerait suite[6]. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a exposé convenablement la situation en disant ceci [aux pages 2365 et 2366] :

[traduction] J’emploie le mot « règlement » dans un sens large, et non dans le sens habituel d’une concession mutuelle car, dans ce genre de cotisation proposée, il arrive souvent que l’affaire se résume à une situation qui est à prendre ou à laisser, et il n’est pas rare que les contribuables et leurs représentants tentent de convaincre les fonctionnaires de Revenu Canada que ce qu’ils proposent est erroné et qu’il faudrait simplement laisser tomber ou abandonner la nouvelle cotisation proposée. Quoi qu’il en soit, la réunion avait pour but d’éviter un procès. En ce sens, je dirais donc qu’il s’agissait d’une réunion en vue d’un règlement.

Je suis donc d’avis que la réunion du 9 octobre 1991, en ce qui concerne du moins la production de documents en apparence pertinents, n’était pas une réunion confidentielle.

En second lieu, et même si le privilège découlant d’un règlement s’appliquait, je suis persuadé que la mesure d’intérêt public qui sous-tend la règle d’exclusion exige que cette dernière ne serve pas à protéger une preuve de déclaration inexacte ou d’agissements malhonnêtes.

Le principe qui sous-tend la règle d’exclusion, dans la mesure où elle se rapporte aux communications faites sous toutes réserves, a récemment été analysé dans un certain nombre de causes. Dans l’affaire Waxman (I.) & Sons Ltd. v. Texaco Canada Ltd.[7], le juge Fraser, de la Haute Cour de justice de l’Ontario, a décrété ce qui suit :

[traduction] Selon moi, le privilège de non-divulgation vise à favoriser les règlements à l’amiable et à protéger à cette fin les parties à des négociations. [Non souligné dans l’original.]

Dans Rush & Tompkins Ltd. v. Greater London Council[8], lord Griffiths, s’exprimant au nom d’une Chambre des lords unanime, a dit ceci :

[traduction] La règle des communications faites « sous toutes réserves » régit l’admissibilité de la preuve; elle repose sur la mesure d’ordre public qui consiste à encourager des parties en litige à régler leurs différends à l’amiable, plutôt que devant une cour de justice. Cette règle est exposée de manière on ne peut plus claire dans le jugement qu’a rendu le lord juge Oliver dans l’affaire Cutts v. Head [1984] Ch. 290, 306 :

« Il ressort clairement d’un grand nombre d’arrêts et ouvrages que la règle est fondée, en partie du moins, sur l’ordre public, et, pour l’enquête, le point de départ commode est la nature du principe sous-jacent. C’est-à-dire qu’il faudrait encourager dans toute la mesure du possible les parties à régler leurs différends sans procès, et non qu’elles soient dissuadées de le faire parce qu’elles savent que tout ce qui se dit au cours des négociations (et cela comprend, bien sûr, aussi bien le défaut de répondre à une offre qu’une réponse concrète) peut être utilisé à leur détriment au cours de la procédure. Comme l’a exprimé le juge Clauson dans Scott Paper Co. v. Drayton Paper Works Ltd. (1927), 44 R.P.C. 151, 156, il faudrait encourager pleinement et franchement les parties à jouer cartes sur table … En vérité, la justification de l’ordre public repose essentiellement sur l’intérêt qu’il y a d’éviter que des déclarations ou des offres faites au cours de négociations en vue d’un règlement soient soumises à la cour chargée d’instruire l’affaire en tant qu’aveux sur la question de la responsabilité. » [Non souligné dans l’original.]

Et aussi, à la page 1300 :

[traduction] La quasi-totalité des affaires où a été examinée la portée de la règle des communications faites « sous toutes réserves » ont trait à l’admissibilité de preuves au procès après l’achoppement de négociations. Dans de telles circonstances, aucune question d’interrogatoire préalable ne se pose car les parties sont bien conscientes de ce qui s’est passé entre elles lors des négociations. Il ressort de ces affaires que la règle n’est pas absolue et qu’il est possible de recourir aux communications faites « sous toutes réserves » pour diverses raisons lorsque la justice de l’affaire l’exige. Point n’est besoin d’examiner en profondeur ces arrêts et ouvrages pour trancher le présent appel, mais ces derniers illustrent tous l’objet sous-jacent de la règle, qui est d’éviter à une partie d’être mise dans l’embarras par un aveu qu’elle aurait fait à seule fin d’essayer d’en arriver à un règlement. [Non souligné dans l’original.]

Dans la décision Miller (Ed) Sales & Rentals Ltd. v. Caterpillar Tractor Co. et al.[9], le juge Wachowich, du Banc de la Reine de l’Alberta, a décrété ceci :

[traduction] Par contraste, tant la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Waxman que la Chambre des lords dans l’affaire Rush& Tompkins ont conclu à l’unanimité que l’ordre public est la justification de la règle des communications faites « sous toutes réserves ». À mon sens, cette conclusion exprime correctement le processus qui consiste à mettre en équilibre le principe de favoriser le règlement extrajudiciaire de différends et celui de s’assurer que, lorsqu’on ne peut éviter de porter une affaire en justice, tous les faits qui permettent de déterminer la responsabilité sont révélés. En évitant la rigidité qui est inhérente à d’autres justifications, l’approche de l’ordre public convient mieux pour rationaliser les principes existants qui régissent la règle des communications faites « sous toutes réserves » et donne des résultats qui sont moins artificiels que d’autres justifications.

Enfin, dans l’arrêt Middelkamp v. Fraser Valley Real Estate Board[10], le juge en chef McEachern, s’exprimant au nom de quatre des cinq juges de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, écrit ce qui suit :

[traduction] Vu l’énorme production de documents qu’exige l’adoption presque servile du principe du Guano péruvien, la pertinence et la valeur douteuses des documents qui sont préparés en vue du règlement de différends, ainsi que l’intérêt public, je suis d’accord avec la Chambre des lords pour dire que l’intérêt public qu’il y a de régler à l’amiable les différends requiert en général que les documents ou les communications dits « sous toutes réserves » qui ont pour objet des négociations en vue d’un règlement, ou qui sont échangés dans le cadre de ces dernières, soient confidentiels. Je qualifierais cette situation de privilège général, prima facie, de common law ou « type » parce qu’elle découle de négociations menées en vue d’arriver à un règlement et protège la catégorie de communications qui sont échangées au cours de cette tentative utile.

À mon avis, ce privilège protège les documents et les communications existant à ces fins contre leur divulgation à d’autres parties aux négociations et à des étrangers, et il s’étend également à leur admissibilité, qu’un règlement soit conclu ou non. Et ce, parce que, comme je l’ai dit, une partie qui communique une proposition relative à un règlement, ou qui réplique à une telle proposition, n’a habituellement aucune emprise sur ce que la partie adverse peut faire des documents en question. Sans cette protection, l’intérêt public qu’il y a d’encourager les règlements à l’amiable ne sera pas servi.

Je reconnais qu’il doit y avoir des exceptions à cette règle générale. Une exception évidente serait le cas où les parties à un règlement conviennent que des preuves seront fournies en rapport avec le litige dans lequel la demande est présentée. Dans de tels cas, c’est l’intérêt public qu’il y a de régler convenablement le litige qui prime, et les parties adverses ont le droit de savoir quelles dispositions sont prises au sujet de la preuve. Des questions, comme la fraude, pourraient donner ouverture à d’autres exceptions, ou dans les cas où il peut s’avérer nécessaire de produire des documents pour réfuter une défense de négligence, d’absence d’avis, d’expiration d’un délai ou d’autres questions de même nature qui pourraient supplanter le privilège. Comme nous n’avons pas débattu de ces questions, je préfère ne rien dire d’autre à leur sujet. [Non souligné dans l’original.]

La référence aux cas de fraude que l’on trouve dans le dernier paragraphe cité est particulièrement intéressante, tout comme la citation suivante extraite des motifs du juge Locke, à la page 252, le cinquième juge dans cette affaire :

[traduction] (c) Quant à l’avenir, et en faisant toujours exception des cas de fraude, aucune production de documents à une tierce partie, qu’il s’agisse d’une tierce partie véritable ou d’un étranger, ne devrait être ordonnée si la Cour est persuadée dans les circonstances particulières de l’espèce que l’on pourrait dire raisonnablement que la divulgation empêcherait les parties de régler cette action ou n’importe quelle autre. [Non souligné dans l’original]

Selon moi, il ressort clairement de ces citations que les tribunaux ont le souci d’éviter aux parties d’être mises dans l’embarras par des tentatives de concession ou de compromis, voire des aveux de faiblesse. En bref, ce que les parties disent contre leur intérêt durant des négociations est dit sous toutes réserves, en ce sens que leurs déclarations ne peuvent être utilisées par la suite contre elles. La règle n’a toutefois pas pour but de protéger des rapports malhonnêtes, et il n’existe aucune raison d’exclure ce dont une partie fait état dans son propre intérêt et au préjudice de la partie adverse. Tel est le cas en l’espèce.

L’avocat de l’appelant a fait valoir que l’exception relative à la fraude mentionnée dans les citations qui précèdent ne devrait s’appliquer que lorsque la fraude en question pourrait constituer elle-même une cause d’action, par exemple, si la partie adverse avait ajouté foi à la déclaration inexacte et y avait donné suite, vraisemblablement en concluant un règlement. Puisque les fonctionnaires du ministère du Revenu national n’ont manifestement pas été induits en erreur par la brochure de vente censément altérée, il ne faudrait donc pas permettre que celle-ci soit mise en preuve.

Je ne suis pas d’accord. Comme l’indiquent clairement les citations qui précèdent, le privilège de non-divulgation a pour but d’encourager les tentatives honnêtes de règlement et d’éviter aux parties que soient utilisés contre elles les aveux et les concessions qu’elles font dans leurs efforts pour arriver à un règlement. Si, comme cela semble être le cas en l’espèce, une partie fausse le but d’une négociation visant à arriver à un règlement et tente de s’en servir pour amener l’autre partie à changer de position, le privilège disparaît. Dès lors qu’il existe une indication prima facie d’une telle tentative pour induire en erreur, comme c’est clairement le cas en l’espèce, les questions qui sont conçues pour obtenir des informations et des aveux sur cette tentative et les circonstances qui l’entourent sont admissibles.

L’avocat de l’appelant a également invoqué devant la Cour que la situation ouvrirait la porte à un flot de demandes et il a soutenu que le fait d’accepter toute exception à la règle d’exclusion absolue pourrait mener au chaos. Plus particulièrement, il a prévenu qu’il était possible que l’on fasse état de fausses et fréquentes allégations de tentatives d’induire en erreur qui pourraient contraindre les avocats à témoigner sur ce qui s’était passé lors de négociations en vue d’un règlement auxquelles ils avaient assisté. Il me semble que les tribunaux sont bien capables de se protéger contre de tels abus; quoi qu’il en soit, la condition de base de la preuve prima facie d’une tentative d’induire en erreur devrait bien suffire pour faire obstacle au cas d’abus. Quant à la possibilité que des avocats soient appelés à témoigner, il s’agit là d’un risque qui est toujours présent lorsqu’ils participent à des négociations en vue d’un règlement, qu’elles soient fructueuses ou non. À l’évidence, lorsqu’une partie parvient à induire l’autre en erreur et qu’il s’ensuit un règlement, l’avocat, s’il est présent, peut être appelé à témoigner dans un procès subséquent; le fait que le même risque existe, lorsque la déclaration inexacte est infructueuse a peu de chance, selon moi, de dissuader les avocats d’essayer de régler les causes de leurs clients.

Je tiens à préciser, toutefois, que toute perte de privilège ne concerne que la tentative présumée d’induire en erreur et les circonstances qui s’y rapportent directement. Comme il est indiqué ci-dessus, il semble qu’une offre effective de compromis ait été faite au cours de la réunion du 9 octobre 1991. Rien n’indique que cette offre n’était pas authentique ou qu’elle faisait partie de la tentative faite pour induire en erreur. En conséquence, même si l’ensemble de la réunion n’est pas protégé, la preuve relative au contenu de l’offre continuerait d’être irrecevable de toute façon.

Conclusion

Je suis d’avis de rejeter les appels avec dépens.

Le juge Linden, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge McDonald, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] Il y a eu, à l’interrogatoire préalable, un certain nombre d’autres questions auxquelles l’appelant s’est opposé et auxquelles le juge de la Cour canadienne de l’impôt lui a ordonné de répondre. Ces questions ne sont plus en litige, et l’appelant ne conteste pas la décision qu’a rendue le juge de la Cour canadienne de l’impôt à leur sujet.

[2] DORS/90-688.

[3] John Sopinka, Sidney N. Lederman, c.r. & Alan W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (Toronto et Vancouver, Butterworths, 1992), à la p. 719.

[4] (1987), 18 C.P.R. (3d) 124 (C.F. 1re inst.), à la p. 125.

[5] (1991), 48 F.T.R. 68 (C.F. 1re inst.), à la p. 71.

[6] Voir le contre-interrogatoire concernant l’affidavit de M. Terrence H. Young, cahier d’appel, onglet 10, et plus particulièrement les questions 62 à 70.

[7] [1968] 1 O.R. 642 (H.C.), à la p. 656, décision confirmée par [1968] 2 O.R. 452 (C.A.).

[8] [1989] A.C. 1280 (H.L.), à la p. 1299.

[9] (1990), 105 A.R. 4 (B.R.), à la p. 11, décision confirmée par [1990] 5 W.W.R. 377 (C.A. Alb.).

[10] (1992), 96 D.L.R. (4th) 227 (C.A. C.-B.), aux p. 232 et 233.

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