Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[1996] 2 C.F. 223

T-2408-91

Merck & Co. Inc. et Merck Frosst Canada Inc. (demanderesses)

c.

Apotex Inc. (défenderesse)

Répertorié : Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc. (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay— Ottawa, 6 décembre 1995 et 23 janvier 1996.

Pratique Outrage au tribunal Requête visant à arrêter, suspendre, la procédure pour outrage au tribunalInjonction décernée dans une action en violation de brevetLes actes reprochés dans la procédure pour outrage ont été accomplis entre la date à laquelle les motifs du jugement ont été prononcés et celles où le jugement officiel a été inscrit et où a été rejetée la requête visant à faire suspendre l’effet du jugement(1) Il importe peu que la procédure soit qualifiée de pénale ou de civileSon aspect punitif ne détermine pas sa natureLes motifs et l’ordonnance découlent d’une procédure civilePour quil y ait outrage pénal, il faut une preuve que l’accusé a commis une transgression publique en voulant qu’elle contribue à miner l’autorité de la cour, en le sachant ou sans s’en soucierLe fait que l’outrage est fondé sur les aspects publics de l’infraction (le respect dû à l’administration de la justice) et non sur la violation d’une ordonnance de la cour, n’entraîne pas en soi la transformation de ce qui est un outrage civil en outrage pénalCe ne sont pas toutes les infractions qui rendent leur auteur passible d’un châtiment sous forme d’amende ou d’emprisonnement qui sont poursuivies par un poursuivant public(2) La procédure pour outrage fait partie intégrante de la procédure dans laquelle l’ordonnance a été rendueLes renseignements obtenus par suite de l’ordonnance de la Cour peuvent être utilisés aux fins de la procédure pour outrage intentée ultérieurement en vue de faire exécuter l’ordonnance(3) Les renseignements déjà fournis aux demanderesses en vertu de l’ordonnance de la Cour ou produits par les témoins en conformité avec les subpœnas duces tecum sont scellés et tenus confidentiels.

Pratique SubpœnasRequêtes visant à annuler les subpœnas duces tecum(1) Le subpœna adressé à un dirigeant de la société défenderesse, tenu aux termes de l’ordonnance de comparaître pour exposer les raisons pour lesquelles il ne devrait pas être déclaré coupable d’outrage, est annuléEn tant que personne citée pour outrage, celui-ci ne peut pas être contraint à témoigner(2) Comme la procédure pour outrage nest pas viciée, les subpœnas attaqués pour ce motif ne sont pas annulés(3) Les employés de la défenderesse peuvent être contraints à témoigner, bien qu’ils soient liés par les termes de l’injonctionIls n’étaient pas parties à l’action et ils n’ont pas été cités à comparaître pour répondre d’une allégation d’outrage.

Avocats et procureurs Requête visant à rendre inhabiles les avocats occupant pour les demanderesses dans la procédure pour outrage fondée sur l’inobservation d’une injonction décernée après un procès pour violation d’un brevetIl est allégué que les avocats ont manifesté une attitude vindicative et non le comportement équitable, impartial, attendu d’un poursuivant dans une procédure pénaleLa conduite reprochée n’est pas un abus de la procédure de la Cour et ne vicie pas la procédure.

Par ordonnance en date du 27 avril 1995 il a été enjoint à Bernard Sherman et Jack Kay, dirigeants de la défenderesse Apotex Inc., de comparaître pour exposer les raisons pour lesquelles eux-mêmes et la société défenderesse ne devraient pas être déclarés coupables d’outrage à la Cour. Cet outrage serait fondé sur l’inobservation d’une injonction décernée dans les motifs de jugement déposés le 14 décembre 1994, après un procès pour violation du brevet de la demanderesse relatif au maléate d’énalapril. Les actes reprochés dans ces procédures auraient été accomplis entre la date à laquelle ces motifs ont été déposés et le 22 décembre 1994, au moment où le jugement officiel a été inscrit, puis après le 9 janvier 1995, à la suite du rejet de la requête de la défenderesse visant à faire suspendre l’effet du jugement dans l’action en violation de brevet. Les requêtes en cause visaient ceci : (1) arrêter ou suspendre la procédure pour outrage; (2) interdire l’usage par les demanderesses des renseignements reçus par suite de l’ordonnance de la Cour dans l’action en violation de brevet enjoignant à Apotex de tenir un compte des ventes de maléate d’énalapril; (3) interdire aux avocats des demanderesses de continuer à occuper dans la présente instance; (4) annuler les brefs de subpœna duces tecum; (5) sceller et garder confidentiel le dossier de la Cour.

(1) La défenderesse a soutenu que la procédure était de nature pénale et qu’elle-même et les accusés nommément désignés avaient droit à toutes les garanties de la procédure pénale, y compris le droit à ce que le procureur général ou du moins un poursuivant indépendant soit chargé de la poursuite pour outrage au tribunal. Elle a invoqué l’aspect public des poursuites pour outrage dans le cas des actes gênant la bonne administration de la justice, mais ne contrevenant pas à une ordonnance de la Cour, comme un motif pour que la qualification pénale de la procédure soit retenue. En outre, la défenderesse a soutenu que l’absence de tout avantage que les demanderesses pourraient tirer de cette procédure, puisqu’elles ne demandent pas l’interdiction de la poursuite de la violation de l’ordonnance de la Cour, faisait ressortir la nature publique et essentiellement pénale de la procédure. Les actes des avocats des demanderesses qui sont décrits en l’espèce comme inopportuns et punitifs, seraient la preuve que l’objet de cette procédure est le châtiment pour une infraction qui est essentiellement une violation d’une loi de l’État. (2) La défenderesse a affirmé que, en violation d’un engagement implicite de la partie qui a reçu des renseignements fournis suivant une ordonnance de la Cour à ne pas les utiliser à des fins connexes ou ultérieures au litige, ils ont été utilisés dans la présente procédure pour outrage à une fin connexe. (3) La défenderesse a soutenu que les avocats des demanderesses ont manifesté une attitude vindicative et non le comportement équitable, impartial, attendu d’un poursuivant qui cherche à présenter des éléments de preuve d’un acte répréhensible dans une procédure qui est essentiellement pénale. La conduite qui a fondé les requêtes de la défenderesse aurait consisté notamment dans la présentation simultanée de demandes sollicitant une audience de justification relative à un outrage et des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires dans le cadre de la référence concernant les dommages-intérêts, et dans la poursuite de la requête sollicitant une audience de justification après que la décision de la Cour d’appel eut presque éliminé le fondement de toute allégation de violation des droits de brevet des demanderesses.

Jugement : les requêtes doivent être rejetées, excepté que le subpœna adressé à M. Jack Kay doit être annulé, et des directives sont données afin que tout renseignement produit en réponse à un subpœna duces tecum et tout renseignement fourni à Merck en réponse à l’ordonnance de la Cour soit scellé et tenu confidentiel.

(1) Il n’y a pas lieu d’arrêter ou de suspendre la procédure prescrivant la tenue d’une audience de justification. Il importe peu, au regard de l’issue de la présente affaire, que la procédure soit qualifiée de pénale ou de civile. Tout outrage au tribunal, même civil, comporte des aspects de droit public, car toute violation d’une ordonnance d’un tribunal tend à déconsidérer l’administration de la justice. La sanction appliquée quand le tribunal conclut à l’outrage, même dans des cas où il s’agit clairement d’outrage civil, c’est-à-dire l’emprisonnement ou une amende, est inévitablement de la nature d’un châtiment plutôt que d’une réparation destinée à compenser le tort causé à autrui. En l’espèce, les motifs du jugement et l’ordonnance ultérieure découlent d’une procédure civile ordinaire se rapportant à la protection des droits de brevet revendiqués. La présente affaire ne saurait être tenue pour un outrage pénal sans une preuve qui amène à conclure que les actes allégués justifiant une déclaration de culpabilité pour outrage attestent que les accusés ont transgressé « publiquement … une ordonnance de la Cour … tout en voulant que cette désobéissance publique contribue à miner l’autorité de la cour, en le sachant ou sans s’en soucier ». Le simple fait que les faits reprochés se soient produits avant que l’ordonnance de la Cour ait été déposée, mais après que les motifs du jugement eurent été déposés, de sorte que l’outrage est fondé sur les aspects publics de l’infraction et non sur la violation d’une ordonnance de la cour, n’entraîne pas en soi la transformation de ce qui est un outrage civil en outrage pénal. La procédure qui porte avant tout sur le respect dû à l’administration de la justice n’est pas pénale en ce sens qu’il y a lieu de la renvoyer au procureur général ou à un poursuivant indépendant. Ce ne sont pas toutes les infractions qui rendent leur auteur passible d’un châtiment sous forme d’amende ou d’emprisonnement qui sont poursuivies par un poursuivant public. Même le Code criminel n’interdit pas l’engagement de poursuites par un poursuivant privé dans certains cas.

(2) La procédure pour outrage qui vise à faire respecter une ordonnance de la cour, y compris par l’application d’un châtiment pour sa violation, fait partie intégrante de la procédure dans laquelle l’ordonnance a été rendue. Lorsque des renseignements sont obtenus par suite d’une ordonnance régulière de la cour, ils peuvent être utilisés dans une procédure pour outrage postérieure qui vise à faire exécuter l’ordonnance ou le jugement de la cour. Quand Merck a reçu des renseignements par suite de l’ordonnance de la Cour, elle s’est engagée implicitement à ne les utiliser qu’aux fins de l’action en violation de brevet, mais ces fins incluent la procédure pour outrage intentée à l’égard de la violation alléguée du prononcé des motifs de la Cour et de son jugement. L’usage des renseignements dans cette procédure ne vise pas une fin connexe ou ultérieure, du point de vue de l’engagement implicite.

(3) Il ne convient pas d’interdire aux avocats des demanderesses de continuer d’occuper dans la procédure pour outrage. La conduite reprochée n’était pas un abus de la procédure de la Cour et elle n’a pas vicié la procédure.

(4) La requête pour annuler les subpœnas doit être accueillie en ce qui concerne M. Jack Kay. En tant que personne citée pour outrage, il ne peut pas être contraint à témoigner.

La requête pour annuler les subpœnas signifiés à deux dirigeants d’une société faisant affaire avec Apotex n’était pas fondée sur les défauts des subpœnas eux-mêmes, mais bien sur l’opinion que la procédure pour outrage était viciée. Puisque la Cour a repoussé cette thèse, il n’y avait aucune raison d’annuler les subpœnas délivrés à ces personnes.

Les requêtes pour annuler les subpœnas duces tecum signifiés à des employés d’Apotex doivent être rejetées. Ils peuvent être contraints à témoigner, bien qu’à titre d’employés, ils soient en principe liés par les termes de l’injonction incluse dans le jugement du 22 décembre 1994 qui lie « la défenderesse par l’entremise de ses dirigeants, administrateurs, préposés, mandataires, employés ». Ils n’étaient pas parties à cette action dans laquelle l’injonction a été décernée et ils n’ont pas été cités à comparaître pour répondre d’une allégation d’outrage. Les témoins ne seraient pas tenus de produire de documents portant une date qui n’est pas comprise dans les périodes spécifiées, savoir du 14 au 22 décembre 1994 et le 9 janvier 1995.

(5) Les renseignements fournis à Merck en vertu de l’ordonnance de la Cour ou produits par les témoins en conformité avec les subpœnas duces tecum, doivent être scellés et tenus confidentiels. Tous les autres renseignements contenus dans le dossier de la Cour dont la production est demandée et qui font l’objet d’une ordonnance de confidentialité rendue antérieurement doivent continuer d’être tenus confidentiels.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, art. 50.

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 1a).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 50(1).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 355.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canada c. ICHI Canada Ltd., [1992] 1 C.F. 5711re inst.); Goodman v. Rossi (1995), 24 O.R. (3d) 359; 12 C.C.E.L. (2d) 105 (C.A.); Crest Homes Plc. v. Marks, [1987] A.C. 829 (H.L.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Merck & Co. Inc. et al. c. Apotex Inc. (1994), 59 C.P.R. (3d) 133; 88 F.T.R. 260 (C.F. 1re inst.); Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. et autres c. Cutter (Canada), Ltd., [1983] 2 R.C.S. 388; (1983), 2 D.L.R. (4th) 621; 1 C.I.P.R. 46; 36 C.P.C. 305; 75 C.P.R. (2d) 1; 50 N.R. 1; Merck & Co. c. Apotex Inc., [1995] 2 C.F. 723(1995), 60 C.P.R. (3d) 356; 180 N.R. 373 (C.A.); Merck & Co. c. Apotex Inc., [1995] A.C.F. no 1626 (1re inst.) (QL); Beloit Can. Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1988), 18 C.I.P.R. 1; 20 C.P.R. (3d) 1; 15 F.T.R. 240; 82 N.R. 235 (C.A.F.); United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901; (1992), 89 D.L.R. (4th) 609; 71 C.C.C. (3d) 225; 135 N.R. 321; Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065; (1992), 96 D.L.R. (4th) 376; 76 C.C.C. (3d) 289; 141 N.R. 281; Iron Ore Company of Canada v. United Steel Workers of America, Local 5795, and Dwyer et al. (1979), 20 Nfld. & P.E.I.R. 27; 53 A.P.R. 27 (C.A.); Canada Post Corp. v. Canadian Union of Postal Workers (CUPW), [1991] O.J. no 2472 (Div. gén.) (QL); Control Data Canada Ltd. c. Senstar Corp., [1988] 3 C.F. 4391re inst.); Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd., [1991] 1 C.F. 325(1990), 33 C.P.R. (3d) 49; 39 F.T.R. 43 (1re inst.); Eli Lilly and Co. c. Interpharm Inc. (1993), 50 C.P.R. (3d) 208; 156 N.R. 234 (C.A.F.); McClure v. Backstein (1987), 17 C.P.C. (2d) 242 (C.S. Ont.); Apple Computer, Inc. c. Minitronics of Canada Ltd. (1988), 20 C.P.R. (3d) 438; 17 F.T.R. 52 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Carbone v. De La Rocha (1993), 13 O.R. (3d) 355 (Div. gén.); Home Office v Harman, [1982] 1 All ER 532 (H.L.); Orfus Realty v. D.G. Jewellery of Canada Ltd. (1995), 24 O.R. (3d) 379 (C.A.).

REQUÊTES (1) visant à arrêter ou suspendre la procédure pour outrage; (2) à interdire l’usage par les demanderesses des renseignements reçus par suite de l’ordonnance de la Cour dans l’action en violation de brevet enjoignant à Apotex de tenir un compte des ventes de maléate d’énalapril; (3) à interdire aux avocats des demanderesses de continuer à occuper dans la présente instance; (4) à annuler les brefs de subpœna duces tecum; (5) à sceller et garder confidentiel le dossier de la Cour. Requêtes rejetées, excepté que le subpœna adressé à un dirigeant de la défenderesse a été annulé, et des directives ont été données afin que tout renseignement produit en réponse à un subpœna duces tecum et tout renseignement fourni en réponse à l’ordonnance de la Cour soit scellé.

AVOCATS :

G. Alexander Macklin, c.r. et Constance Too pour les demanderesses.

Harry B. Radomski, Richard Naiberg et Andrew R. Brodkin pour la défenderesse Apotex et Bernard Sherman.

Brian H. Greenspan pour Bernard Sherman et Jack Kay, accusés.

Donald H. Jack pour Moshe Green et Harvey Organ.

Alan J. Lenczner, c.r. pour Richard Barbeau et Roger Moore.

PROCUREURS :

Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour les demanderesses.

Goodman, Phillips & Vineberg, Toronto, pour la défenderesse Apotex et Bernard Sherman.

Greenspan, Humphrey, Toronto, pour Bernard Sherman et Jack Kay.

McDonald & Hayden, Toronto, pour Moshe Green et Harvey Organ.

Lenczner Slaght Royce Smith & Griffin pour Richard Barbeau et Roger Moore.

Ce qui suit est la version française des motifs des ordonnances rendus par

Le juge MacKay :

Requêtes préliminaires, audience de justification dans la procédure pour outrage au tribunal

Les présents motifs concernent trois requêtes préliminaires déposées antérieurement à une audience prévue dans le cadre d’une procédure pour outrage au tribunal qu’a ordonnée mon collègue le juge Pinard le 27 avril 1995. Cette ordonnance, rendue à la requête des demanderesses, portait que Bernard Sherman et Jack Kay, tous deux dirigeants de la défenderesse Apotex Inc. (Apotex), devaient comparaître devant la présente Cour pour exposer les raisons pour lesquelles eux-mêmes et la société défenderesse ne devraient pas être déclarés coupables d’outrage à la présente Cour. Cet outrage serait fondé sur l’inobservation d’une injonction décernée par le soussigné dans les motifs de jugement déposés le 14 décembre 1994 [(1994), 59 C.P.R. (3d) 133 (C.F. 1re inst.)], après un procès pour violation du brevet de la demanderesse (lettres patentes canadiennes no 1,275,349) relatif au maléate d’énalapril. Les actes reprochés dans les présentes procédures auraient été accomplis entre la date à laquelle ces motifs ont été déposés et le 22 décembre 1994, au moment où le jugement officiel a été inscrit, puis après le 9 janvier 1995, à la suite du rejet ce jour-là de la requête de la défenderesse visant à faire suspendre l’effet du jugement dans l’action en violation de brevet.

La violation initiale alléguée a été commise dans des circonstances semblables à celles à propos desquelles la Cour suprême du Canada a décidé qu’elles pouvaient donner lieu à une condamnation pour outrage au tribunal dans l’arrêt Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. et autres c. Cutter (Canada) Ltd., [1983] 2 R.C.S. 388.

Les deux premières de ces requêtes ont été mises au rôle pour audition à Ottawa le 30 novembre 1995 et ajournées en vue d’une audition le premier jour fixé pour l’audience de justification, soit le 6 décembre 1995. La Cour a décidé à l’avance que ce jour-là serait consacré aux questions préliminaires et que les parties à titre individuel et les témoins cités devaient être informés qu’ils n’avaient pas à comparaître le premier jour fixé pour l’audience.

À la date fixée pour le début de la procédure pour outrage, les trois requêtes préliminaires dont la Cour était saisie étaient ainsi conçues :

[traduction]

1.   Au nom des trois parties auxquelles il a été ordonné de comparaître et de justifier leur conduite, savoir la défenderesse Apotex et MM. Bernard Sherman et Jack Kay, une requête est présentée en vue d’obtenir une ordonnance arrêtant la procédure engagée contre les trois parties requérantes. Subsidiairement, une ordonnance est sollicitée en application du par. 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, en vue de faire suspendre en permanence la procédure pour outrage, ou subsidiairement, une ordonnance est sollicitée en vue de faire casser l’ordonnance du juge Pinard rendue le 27 avril 1995.

2.   Au nom de la défenderesse Apotex et de M. Jack Kay, une requête est présentée en vue d’obtenir la réparation suivante :

(i)   Une ordonnance annulant les brefs de subpœna duces tecum (les « subpœnas ») datés de novembre 1995, délivrés et adressés à MM. Moshe Green, Harvey Organ, Jack Kay, Richard Barbeau et Roger Moore, qui obligent chacun d’eux à comparaître et à produire certains documents spécifiés à l’audience de justification dans la procédure pour outrage.

(ii)  Une ordonnance rendant inhabiles les avocats occupant pour les demanderesses, et leur faisant défense de continuer d’occuper pour celles-ci, dans la présente procédure, ou, subsidiairement, faisant défense à ces avocats de faire tout nouvel « usage abusif » dans la procédure pour outrage ou dans tout autre cadre de l’un quelconque des documents ou des renseignements qu’ils ont obtenus dans l’accomplissement de leur mandat comme avocats des demanderesses dans l’action en violation de brevet.

(iii) Une ordonnance faisant défense aux demanderesses de faire tout nouvel « usage abusif » dans la procédure pour outrage ou dans tout autre cadre de l’un quelconque des documents ou des renseignements qu’ils ont reçus dans le contexte de l’action en violation de brevet.

(iv) Une ordonnance portant que le dossier de la Cour et toutes les pièces qu’il contient, se rapportant à la présente requête, doivent être scellés et gardés strictement confidentiels.

3.   Au nom de Richard Barbeau et de Roger Moore, employés de la défenderesse Apotex, une requête est présentée en vue d’obtenir une ordonnance annulant les brefs de subpœna duces tecum en date du 17 novembre 1995 qui leur sont adressés et qui leur enjoignent de comparaître et de produire certains documents spécifiés à l’audience de justification, et une ordonnance d’instructions.

Les avocats qui ont comparu à l’audience à Ottawa le 6 décembre 1995 comprenaient ceux qui représentaient les demanderesses Merck & Co. Inc., société par actions américaine titulaire du brevet en cause dans l’action entre les parties dont découle la présente procédure, et Merck Frosst Canada Inc., société par actions canadienne qui détient une licence exclusive pour l’exploitation du brevet de Merck & Co. Inc. au Canada (toutes deux appelées dans les présents motifs « Merck » ou les « demanderesses »); les avocats représentant la société défenderesse et Bernard Sherman; l’avocat représentant Sherman et M. Kay, « accusés » dans l’audience de justification; l’avocat représentant les témoins cités Moshe Green et Harvey Organ, dirigeants de Kohlers Distributing Inc., appelés « témoins indépendants » dans la présente instance; l’avocat représentant les témoins cités Richard Barbeau et Roger Moore, employés d’Apotex.

Vu les arguments relatifs aux requêtes préliminaires selon lesquels il était essentiel de trancher ces requêtes pour les besoins des autres procédures et parce que les témoins cités et les « accusés » résident à Toronto, il a été convenu, avec répugnance par les demanderesses, qu’il y avait lieu de trancher celles-ci avant de poursuivre les procédures. Des dates ont été fixées à titre provisoire pour une audition durant la semaine du 29 janvier 1996, puis ont été confirmées, l’audition devant commencer le 30 janvier, à supposer que l’audience de justification soit tenue à la date fixée.

Au moyen des ordonnances qu’elle rend aujourd’hui, la Cour rejette les requêtes concernant la réparation demandée, sauf que le subpœna adressé à Jack Kay est annulé, et que la Cour donne des instructions pour que soient scellés les renseignements fournis en réponse aux subpœnas duces tecum et ceux tirés des dossiers d’Apotex, déjà fournis à Merck conformément à l’ordonnance de la Cour. Les présents motifs portent sur les ordonnances ainsi rendues.

Contexte

Les procédures entre les demanderesses et Apotex au sujet du brevet de Merck concernant le maléate d’énalapril ont commencé en septembre 1991 quand Merck a déposé sa déclaration dans l’action en violation de brevet. Les procédures ont été nombreuses et la Cour ne fait mention ici, en bref, que des principales phases pertinentes par rapport à la procédure pour outrage dont elle est saisie.

Avant le procès dans l’action, le 4 novembre 1993, la demande d’injonction interlocutoire de Merck visant à interdire la fabrication et la vente par Apotex de son produit de maléate d’énalapril a été rejetée, mais la Cour a ordonné à Apotex de tenir un compte des recettes, de la production, des ventes et des expéditions de son produit en attendant l’issue de l’action. Le procès a pris fin en avril 1994 et, le 14 décembre 1994, des motifs de jugement ont été déposés, faisant droit à l’action des demanderesses et reconnaissant leur droit à une grande partie de la réparation sollicitée, dont une déclaration portant que certaines revendications du brevet en cause avaient été contrefaites et [à la page 185] « une injonction permanente interdisant à la défenderesse [Apotex] de contrefaire, par l’entremise de ses dirigeants, administrateurs, préposés, mandataires, employés ou d’autres », le brevet de Merck. Le jugement officiel n’a été déposé qu’après des consultations avec les avocats des parties sur les termes appropriés. Après que les avocats eurent été consultés sur les termes appropriés, de façon à donner effet aux conclusions et à la réparation énoncée dans les motifs, le jugement a été déposé le 22 décembre 1995. La Cour a sursis à ce jugement par ordonnance le 23 décembre 1995 en attendant que la défenderesse ait la possibilité de se faire entendre au sujet d’une requête pour faire suspendre l’effet du jugement et après une nouvelle audition, par ordonnance en date du 9 janvier 1995, le sursis provisoire a été retiré et le jugement déposé le 22 décembre 1994 a pris effet.

Par la suite, l’appel formé par Apotex contre le jugement a été accueilli en grande partie par ordonnance de la Cour d’appel en date du 19 avril 1995 [[1995] 2 C.F. 723C.A.)], puis l’arrêt de cette Cour a été modifié par ordonnance en date du 16 mai 1995. Les deux parties ont demandé la permission d’en appeler de cet arrêt, mais l’autorisation de pourvoi a été refusée aux deux parties par la Cour suprême du Canada le 7 décembre 1995.

En avril 1995, les demanderesses ont déposé deux requêtes. La première, en vue d’une ordonnance enjoignant à la société défenderesse et à MM. Sherman et Kay d’exposer les raisons pour lesquelles ils ne devraient pas être déclarés coupables d’outrage à la présente Cour, a été entendue par le juge Pinard et, par ordonnance accordée le 27 avril 1995, il a fait droit à la demande, d’où les présentes procédures. Cette ordonnance a été portée en appel devant la Cour d’appel, qui a, le 6 juillet 1995, invalidé l’appel parce qu’il n’avait pas été interjeté dans le délai imparti. La seconde demande, visant des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires, n’a pas été mise au rôle avant qu’ait été entendue une requête présentée par la défenderesse en vue d’une ordonnance en application du paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] suspendant en permanence la procédure pour outrage ou suspendant la requête pour dommages-intérêts punitifs ou exemplaires en permanence ou jusqu’à ce que la procédure pour outrage ait été tranchée. Mon collègue le juge Rothstein a, le 1er août 1995, ordonné que la requête pour des dommages-intérêts punitifs soit suspendue jusqu’à ce que la procédure pour outrage (à laquelle il n’a pas été sursis) ait été tranchée. Par la suite, la défenderesse a demandé une prorogation du délai pour en appeler de l’ordonnance de justification du 27 avril 1995 rendue par le juge Pinard, demande que mon collègue le juge Richard a rejetée, le 13 octobre 1995. Entre-temps, par ordonnance du juge en chef adjoint, l’audience de justification dans la procédure pour outrage a été fixée pour une durée maximale de cinq jours à compter du 6 décembre 1995.

Il a été fait brièvement mention d’une ordonnance en date du 4 novembre 1993 enjoignant à Apotex de tenir et de fournir à Merck un compte des ventes et des expéditions de son produit en attendant l’issue de l’action en violation de brevet. Cette requête a été l’objet à l’automne de 1995 de requêtes opposées des parties que la Cour a entendues le 26 octobre 1995, rendant le 5 décembre 1995 [[1995] A.C.F. no 1626 (1re inst.) (QL)] des ordonnances et des motifs dans lesquels elle a précisé sous quels aspects l’ordonnance du 4 novembre 1993 continuait d’être en vigueur. Cette décision a été citée en passant par l’avocat d’Apotex relativement à la requête pour restreindre l’usage par Merck dans la procédure d’outrage des renseignements reçus par elle par suite de l’ordonnance du 4 novembre 1993.

La Cour se propose d’étudier les requêtes dans l’ordre suivant : la requête générale pour arrêter la procédure; ensuite, les requêtes pour interdire l’usage par les demanderesses des renseignements reçus par suite de l’ordonnance de la Cour dans l’action en violation de brevet; puis, la demande connexe pour interdire aux avocats des demanderesses de continuer à occuper dans la présente instance; puis, la requête pour annuler les brefs de subpœna duces tecum adressés à MM. Jack Kay, Moshe Green, Harvey Organ, Richard Barbeau et Roger Moore; enfin, une requête pour que le dossier de la Cour dans la présente instance soit scellé et gardé strictement confidentiel.

Requête pour arrêter ou suspendre la procédure pour outrage

La requête visant à arrêter la procédure pour outrage ou à suspendre cette procédure en permanence en application du paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale ou à annuler l’ordonnance du juge Pinard, qui a été présentée au nom des parties « accusées », savoir la défenderesse Apotex et MM. Sherman et Kay, est appuyée par les avocats représentant Apotex et M. Sherman, par l’avocat représentant les « accusés » MM. Sherman et Kay, par l’avocat représentant les témoins indépendants MM. Green et Organ, et par l’avocat représentant MM. Barbeau et Moore.

L’ordonnance qui prescrit la tenue d’une audience de justification dans la présente procédure pour outrage a été rendue le 27 avril 1995 conformément à la Règle 355 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663]. Voici les passages pertinents de cette Règle :

Règle 355. (1) Est coupable d’outrage au tribunal quiconque désobéit à un bref ou une ordonnance de la Cour ou d’un de ses juges, ou agit de façon à gêner la bonne administration de la justice, ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Cour…

(2) Sauf disposition contraire, quiconque est coupable d’outrage au tribunal est passible d’une amende qui, dans le cas d’un particulier ne doit pas dépasser $5,000 ou d’un emprisonnement d’un an au plus. L’emprisonnement et, dans le cas d’une corporation, une amende, pour refus d’obéissance à un bref ou une ordonnance, peuvent être renouvelés jusqu’à ce que la personne condamnée obéisse.

(4) Une personne ne peut être condamnée pour outrage au tribunal commis hors de la présence du juge que s’il lui a été signifié une ordonnance de justification lui enjoignant de comparaître devant la Cour, au jour et à l’heure fixés pour entendre la preuve des actes dont il est accusé et pour présenter, le cas échéant, sa défense en exposant les raisons de sa conduite…

L’ordonnance a été rendue en réponse à une requête présentée par les demanderesses le 18 avril 1995 en vue d’une ordonnance en application de la Règle 355 enjoignant à Bernard Sherman et à Jack Kay de comparaître devant la Cour à titre personnel et à titre de dirigeants de la défenderesse pour exposer les raisons pour lesquelles eux-mêmes et la défenderesse Apotex ne devraient pas être déclarés coupables d’outrage à la présente Cour : a) pour avoir violé l’injonction permanente et une ordonnance portant remise ou destruction de toutes les compositions, c’est-à-dire les produits Apo-Enalapril, de la défenderesse, toutes deux prononcées le 14 décembre 1994 dans les motifs de jugement rendus ce jour-là, en vendant et en distribuant ces produits durant la période comprise entre le 14 et le 22 décembre 1994, et en aidant des tiers à distribuer et à vendre les comprimés d’Apo-Enalapril durant la période comprise entre le 9 janvier 1995 et aujourd’hui, et en se faisant leur complice; b) pour avoir agi de façon à [traduction] « gêner la bonne administration de la justice et à porter atteinte à l’autorité et à la dignité de la Cour » par les actes allégués entre le 14 et le 22 décembre 1994 et après le 9 janvier 1995 jusqu’à ce jour, de façon à entraver le processus judiciaire et à rendre futiles l’injonction permanente et l’ordonnance de remise ou de destruction des comprimés d’Apo-Enalapril.

Les motifs sur lesquels reposait cette requête pour une audience de justification étaient énoncés et certains faits y étaient allégués. La requête était appuyée par des affidavits, dont trois des avocats du cabinet qui occupait pour les demanderesses. L’ordonnance a accordé la requête dans les termes sollicités, résumés plus haut sous les rubriques a) et b), alléguant la violation de l’injonction permanente et de l’ordonnance portant remise ou destruction du produit contrefait prononcées dans les motifs de jugement le 14 décembre 1994 et le fait d’avoir agi de façon à gêner la bonne administration de la justice et à porter atteinte à l’autorité et à la dignité de la présente Cour.

Cette ordonnance qui prescrit la tenue d’une audience de justification est maintenant contestée. La Cour est d’avis qu’aucune raison ne saurait justifier la réparation demandée subsidiairement, soit l’annulation de l’ordonnance du juge Pinard. Ce dernier y a conclu expressément que les demanderesses avaient établi une présomption qui l’autorisait à enjoindre aux parties désignées de comparaître pour exposer les raisons pour lesquelles elles ne devraient pas être déclarées coupables d’outrage au tribunal. Comme la Cour l’a déjà dit, l’ordonnance a été portée en appel, après l’expiration du délai fixé par les Règles, et les appelants ont été déboutés de leur appel. Une demande pour obtenir la prorogation du délai pour déposer l’avis d’appel a été rejetée. La Cour estime qu’aucun motif ne saurait justifier aujourd’hui l’annulation de cette ordonnance.

La Cour croit comprendre que le fondement de la réparation sollicitée, soit l’arrêt ou la suspension de la procédure réclamés par tous les avocats qui ont comparu, sauf les avocats des demanderesses, a trait à la nature de cette procédure et aux actes des avocats des demanderesses quand ils ont présenté leur requête pour une audience de justification et quand ils ont assuré le suivi de l’ordonnance en vue de l’audience. Essentiellement, l’argument avancé veut que la présente procédure soit de nature pénale et que la défenderesse et les accusés nommément désignés aient droit à toutes les garanties de la procédure pénale, y compris, si la procédure doit se poursuivre, le droit à ce que le procureur général ou du moins un poursuivant indépendant des avocats des demanderesses soit chargé de la poursuite pour outrage au tribunal.

L’avocat de MM. Sherman et Kay affirme qu’étant donné les circonstances de l’espèce, il s’agit d’une procédure pour outrage pénal. Cet argument est fondé dans une large mesure sur le fait que l’injonction et l’ordonnance de remise, qu’auraient violées les accusés et la défenderesse, n’avaient pas été prononcées officiellement avant que le jugement ait été inscrit le 22 décembre 1994. Avant cela, les motifs de jugement en date du 14 décembre 1994 ne peuvent fonder qu’une plainte concernant les actes allégués des « accusés » et de la défenderesse qui auraient agi de façon à gêner la bonne administration de la justice et à porter atteinte à l’autorité et à la dignité de la Cour. Bref, la seule infraction à ce moment-là était une violation d’une loi de l’État, donc de nature pénale. Aucune infraction consistant à violer une ordonnance de la Cour ne pouvait être reprochée tant que le jugement officiel n’avait pas été inscrit. D’autres motifs, analysés plus loin, ont aussi été avancés à l’appui de la qualification pénale de la procédure.

La procédure engagée en l’espèce suit les principes énoncés dans l’arrêt Baxter c. Cutter, précité, où la Cour suprême du Canada a fait droit à un pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel qui avait confirmé la décision de la Section de première instance en tenant pour fondée une exception préliminaire à une ordonnance de justification dans une affaire où les actes qui auraient constitué un outrage au tribunal ont été accomplis entre la date du dépôt des motifs du jugement et celle de l’inscription du jugement officiel. Au nom de la Cour, le juge Dickson (plus tard juge en chef) a reconnu qu’aux termes des Règles de la présente Cour, le jugement ne devient exécutoire qu’à la date où il est inscrit selon les Règles, de sorte qu’il n’y avait pas d’injonction et qu’il ne pouvait donc pas y avoir de violation de l’injonction avant la date de l’inscription du jugement.

Néanmoins, il a conclu qu’une violation manifeste des conditions des motifs du jugement, qui se produit avant le dépôt du jugement officiel, peut constituer un outrage au tribunal. Il s’est exprimé en ces termes (à la page 396) :

Les pouvoirs de la cour en matière d’outrage ont pour but général d’assurer le fonctionnement harmonieux du système judiciaire. L’outrage au tribunal va beaucoup plus loin que la violation des ordonnances de la cour. Le paragraphe (1) de la règle 355 des Règles de la Cour fédérale, que je reprends ici pour faciliter le renvoi, prévoit notamment :

Règle 355. (1) Est coupable d’outrage au tribunal quiconque désobéit à un bref ou une ordonnance de la Cour ou d’un de ses juges, ou agit de façon à gêner la bonne administration de la justice, ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Cour. (C’est moi qui souligne.)

L’alinéa a) de l’ordonnance de justification en l’espèce se fonde sur la première partie de la règle 355(1), tandis que l’alinéa b) se fonde sur les mots soulignés. Même s’il n’y a pas eu violation réelle d’une injonction constituant un outrage au tribunal au sens de l’alinéa a), il faut quand même étudier l’alinéa b).

(La présente Cour fait remarquer qu’en l’espèce l’ordonnance de justification est essentiellement identique à celle à laquelle le juge Dickson se reporte, qu’il a citée auparavant dans son opinion et qu’il appelle maintenant les alinéas a) et b).) Il a ajouté ceci (aux pages 396 à 398) :

L’outrage relatif à des injonctions a toujours été de portée plus générale que la violation réelle d’une injonction. Le juge Cattanach le reconnaît en l’espèce. Thomas Maxwell est désigné dans l’ordonnance de justification comme auteur d’un outrage au tribunal à titre personnel bien qu’il ne soit pas partie à l’action. Il n’est pas personnellement lié par l’injonction et il ne pouvait donc pas être personnellement coupable de violation. Néanmoins, le juge Cattanach a reconnu qu’il pouvait quand même être déclaré coupable d’outrage, si en toute connaissance de l’existence de l’injonction, il a contrevenu à ses conditions. Bien qu’il ne s’agisse pas formellement de la violation d’une injonction, une telle conduite constitue un outrage au tribunal parce qu’elle tend à entraver le cours de la justice; Kerr on Injunctions, 6e éd., 1927, à la p. 675; Poje v. Attorney General for British Columbia, [1953] 1 R.C.S. 516.

Le même type d’analyse s’applique à la période comprise entre les motifs de jugement et le prononcé du jugement. Cutter soutient, en réalité, qu’il s’agit d’une période de grâce pendant laquelle le défendeur peut désobéir impunément aux interdictions énoncées dans les motifs de jugement. Accepter un tel argument équivaudrait à reconnaître qu’il est loisible à une partie de faire échec totalement à une injonction. Cela minerait tout le processus de recours aux tribunaux pour régler des différends. C’est précisément ce que les pouvoirs relatifs à l’outrage au tribunal visent à éviter.

Il ne s’agit pas d’un cas où une interdiction a été faite dans les motifs de jugement mais n’a pas été incluse dans la minute du jugement; …

Bien qu’en théorie il soit possible à un juge de changer totalement d’avis entre le prononcé des motifs de jugement et celui du jugement lui-même, cela est peu probable. Les motifs de jugement ne sont pas censés être provisoires. L’intervalle qui sépare les motifs de la minute du jugement donne simplement l’occasion de fixer le texte précis qui donnera effet à la décision du juge. Dès que le juge a fait connaître sa décision en en rendant les motifs, et à supposer que toute interdiction qui y est contenue est clairement énoncée, il n’est permis à personne, à mon avis, de faire fi de la façon dont le juge a disposé de l’affaire sous prétexte qu’aucun jugement n’est encore exécutoire. La situation qui existe après les motifs de jugement est très différente de celle où le défendeur agit avant une décision des tribunaux. Dès que les motifs de jugement ont été rendus, toute action qui tend à contrecarrer l’objet de l’injonction prévue porte atteinte à ce qui a déjà reçu l’approbation de la justice. Une telle conduite mine le processus judiciaire et peut constituer un outrage au tribunal.

Je conclus donc qu’il peut y avoir eu, en droit, entre le 11 décembre et le 18 décembre 1980, outrage au tribunal parce qu’on a agi de façon à gêner la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Cour (règle 355).

La distinction établie par le juge Dickson entre l’outrage qui réside dans la violation d’une ordonnance judiciaire et celui qui consiste à gêner la bonne administration de la justice lorsqu’aucune ordonnance n’a encore été rendue met en évidence l’un des principes élémentaires des poursuites pour outrage en vertu du paragraphe 355(1) des Règles qu’a énoncés le juge Pratte, J.C.A., dans l’arrêt Beloit Can. Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1988), 18 C.I.P.R. 1 (C.A.F.), à la page 14. Il s’est exprimé ainsi :

Il ressort de la Règle 355(1) des Règles de la Cour fédérale qu’une personne peut se rendre coupable d’outrage au tribunal soit en désobéissant à une ordonnance de la Cour soit en entravant le cours de la justice.

La seule personne qui puisse désobéir à une ordonnance d’un tribunal est la partie que vise cette ordonnance. Toutefois, un tiers qui s’est sciemment fait le complice d’une partie pour désobéir à une injonction peut être déclaré coupable d’outrage, non pas parce qu’il a violé l’injonction, mais plutôt parce qu’il a agi de manière à entraver le cours de la justice.

L’aspect public des poursuites pour outrage tel que souligné par le juge Dickson dans l’arrêt Baxter c. Cutter, dans le cas des actes gênant la bonne administration de la justice, mais ne contrevenant pas à une ordonnance de la Cour puisque aucune n’a été rendue avant le 22 décembre 1994, est l’un des motifs invoqués en l’espèce pour que la qualification pénale de la présente procédure soit retenue. En outre, selon cet argument l’absence de tout avantage que les demanderesses pourraient tirer de cette procédure, puisqu’elles ne demandent pas l’interdiction de la poursuite de la violation de l’ordonnance de la Cour, fait ressortir la nature publique et essentiellement pénale de la procédure. Ces facteurs et les actes des avocats des demanderesses qui sont décrits en l’espèce comme inopportuns et punitifs, seraient la preuve que l’objet de cette procédure est le châtiment de la défenderesse pour une infraction qui est essentiellement une violation d’une loi de l’État et donc que cette procédure est de nature pénale.

La distinction entre l’outrage pénal et l’outrage civil est mentionnée dans nombre de décisions. Dans l’arrêt United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901, la Cour suprême était appelée à statuer sur le pourvoi formé par un syndicat contre des déclarations de culpabilité à l’égard d’un outrage pénal pour avoir désobéi, d’une manière qui a reçu beaucoup de publicité, à des directives d’une commission des relations du travail qui avaient été déposées en Cour du Banc de la Reine de l’Alberta en tant qu’ordonnances de cette cour et qui étaient exécutoires à ce titre. Le juge Sopinka, dissident sur la question de savoir si les ordonnances en cause pouvaient donner lieu à un outrage pénal en cas de désobéissance, a dit ce qui suit (aux pages 943 et 944) :

Il importe de distinguer le droit en matière d’outrage criminel de l’outrage civil. L’outrage criminel vise, encore aujourd’hui, à punir la conduite qui, délibérément, déconsidère l’administration de la justice par les cours. D’autre part, l’objectif de l’outrage civil est d’assurer la conformité à la procédure d’un tribunal dont, notamment, celle d’une cour de justice. [Citations omises.]

Dans le cas d’outrage criminel au tribunal commis ex facie, le procureur général intente généralement les poursuites, alors qu’en matière d’outrage civil, ce rôle revient à une partie ou à une personne visée par l’ordonnance que l’on cherche à faire exécuter. Dans une procédure pour outrage civil, la cour peut, pour assurer la conformité à une ordonnance, infliger une amende ou une autre peine qui sera exigée en cas de violation. Toutefois, dans tous les cas, l’objectif est d’obtenir la conformité et non de punir.

Dans le même arrêt, Madame le juge McLachlin, au nom de la majorité, a dit ceci au sujet de l’outrage pénal (à la page 932) :

Dans cette affaire, comme dans d’autres cas où on avait conclu à l’outrage criminel, les cours ont porté leur attention sur la notion de transgression publique qui « transcende les limites d’un différend entre les parties au litige et représente une atteinte à l’administration de la justice dans son ensemble » … L’essence de l’infraction n’est pas un préjudice réel ou potentiel à des personnes ou des biens; d’autres infractions traitent de ces cas. C’est plutôt la violation manifeste, constante et flagrante d’une ordonnance de la cour sans égard à l’effet que cette violation peut avoir sur le respect dû aux décisions de la cour.

Dans l’arrêt Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065, la Cour suprême était appelée à trancher la question de savoir si une personne citée pour outrage pour ne pas avoir respecté une injonction pouvait être contrainte à témoigner. La procédure pour outrage était régie dans cette affaire par l’article 50 du Code de procédure civile [L.R.Q., ch. C-25], qui est comparable au paragraphe 355(1) des Règles de la Cour fédérale. Au nom de la majorité, le juge Gonthier a dit ce qui suit (aux pages 1075 et 1076) :

Cette définition [c’est-à-dire celle de l’art. 50 C.p.c.] met bien en évidence les traits communs à tous les types d’outrage couverts par le Code de procédure civile, traits communs qui peuvent être indûment masqués par une trop forte insistance sur la distinction entre outrage civil et outrage criminel. La sanction de l’outrage au tribunal, même lorsqu’elle sert à assurer l’exécution d’une ordonnance purement privée, comporte toujours un élément de « droit public », en quelque sorte, car elle met toujours en jeu le respect du rôle et de l’autorité des tribunaux, un des fondements de l’État de droit.

… le pouvoir de punir pour outrage au tribunal fait partie intégrante des pouvoirs inhérents des tribunaux … et à ce titre constitue un élément essentiel pour la bonne marche de la justice.

Cet aspect de droit public de l’outrage au tribunal se traduit bien sûr dans les sanctions qui l’accompagnent. Tout outrage au tribunal, même s’il s’agit d’un outrage civil, peut entraîner une peine de prison d’un an, aux termes de l’art. 51 C.p.c. L’outrage au tribunal s’éloigne quelque peu du droit privé pour se rapprocher du droit public, ce qui lui confère une place d’exception au sein d’un code essentiellement de droit privé comme le Code de procédure civile. Comme nous le verrons, en droit québécois, l’outrage au tribunal fait l’objet d’un régime très spécial.

La présente Cour estime qu’il importe peu, au regard de l’issue de la présente affaire, que la procédure soit qualifiée de pénale, comme la défenderesse et ceux qui appuient sa requête le préconisent, ou de civile comme les demanderesses le voudraient. Comme l’affirme le juge Gonthier, tout outrage au tribunal, même civil, comporte des aspects de droit public. Toute violation d’une ordonnance d’un tribunal, sur laquelle repose d’ordinaire l’outrage civil, tend à déconsidérer l’administration de la justice. La sanction appliquée quand le tribunal conclut à l’outrage, même dans des cas où il s’agit clairement d’outrage civil, c’est-à-dire l’emprisonnement ou une amende, est inévitablement de la nature d’un châtiment plutôt que d’une réparation destinée à compenser le tort causé à autrui.

En l’espèce, les motifs du jugement et l’ordonnance ultérieure découlent d’une procédure civile ordinaire se rapportant à la protection des droits de brevet revendiqués. La Cour est d’avis que, pour que la présente affaire soit tenue pour un outrage pénal, il faudrait une preuve qui l’amène à conclure que les actes allégués justifiant une déclaration de culpabilité pour outrage attestent que les accusés ont transgressé « publiquement » une ordonnance de la Cour « tout en voulant que cette désobéissance publique contribue à miner l’autorité de la cour, en le sachant ou sans s’en soucier », pour reprendre les propos du juge McLachlin dans l’arrêt United Nurses of Alberta , précité, à la page 933.

La Cour n’a pas encore entendu de témoignage dans la présente instance. Le simple fait que les principaux faits reprochés en l’espèce se soient produits avant que l’ordonnance de la Cour ait été déposée, mais après que les motifs du jugement eurent été déposés, de sorte que l’outrage est fondé sur les aspects publics de l’infraction et non sur la violation d’une ordonnance de la Cour, n’entraîne pas en soi la transformation de ce qui est un outrage civil en outrage pénal.

La procédure qui porte avant tout en l’espèce sur le respect dû à l’administration de la justice n’est pas pénale en ce sens qu’il y a lieu de la renvoyer au procureur général et à ceux qui sont chargés normalement de l’engagement des poursuites pénales. Ce ne sont pas toutes les infractions qui rendent leur auteur passible d’un châtiment sous forme d’amende ou d’emprisonnement qui sont poursuivies par un poursuivant public, agissant sous l’autorité du procureur général, chargé de l’administration de la justice. Même le Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] n’interdit pas l’engagement de poursuites par un poursuivant privé dans certains cas.

La Cour tire cette conclusion malgré l’argumentation valable présentée par les « accusés », MM. Sherman et Kay, qui font valoir qu’en demandant l’ordonnance de justification et en préparant l’audience, les avocats des demanderesses ont agi d’une manière qui n’est pas considérée comme convenable de la part de personnes qui s’occupent de poursuites publiques. La Cour étudie ces allégations plus en détail par rapport à la requête tendant à rendre les avocats des demanderesses inhabiles à continuer d’occuper. Aux fins de la présente requête, il suffit de faire remarquer que les parties requérantes sollicitent l’arrêt ou la suspension de la procédure ou son renvoi aux autorités responsables des poursuites parce que la conduite des avocats des demanderesses serait selon elles non conforme aux normes des poursuivants publics.

Ces allégations sont reliées à un argument, tiré des motifs à l’appui de la requête visant à arrêter la présente procédure, selon lequel les garanties habituellement applicables aux poursuites pénales qui devraient être appliquées en l’espèce, comprennent

[traduction] … le droit d’être poursuivi par un poursuivant public dont les obligations sont définies par la loi et dont le rôle ne consiste pas en soi à obtenir une déclaration de culpabilité mais bien à présenter devant le tribunal les éléments de preuve pertinents par rapport aux actes reprochés. Le poursuivant public est investi d’obligations tant envers le public qu’envers l’accusé. En l’absence de cette garantie et d’autres, la procédure pour outrage violerait les règles de justice fondamentale et l’application régulière de la loi.

Au nom des parties requérantes, mention a été faite de deux décisions relatives à une procédure pour outrage engagée par des poursuivants privés dans lesquelles le tribunal en cause a fait des observations sur la participation possible de poursuivants publics. Dans l’affaire Iron Ore Company of Canada v. United Steel Workers of America, Local 5795, and Dwyer et al. (1979), 20 Nfld. & P.E.I.R. 27 (C.A.), confirmant la déclaration de culpabilité prononcée par la juridiction de première instance pour outrage dans une procédure engagée par la Cour suprême elle-même en raison de la violation publique flagrante de l’ordonnance de la Cour par les personnes en grève illégale, le juge Gushue, J.C.A., a fait observer [à la page 45] :

[traduction] … il faut noter que la procédure a été intentée par I.O.C. à la demande de la Cour. Normalement, et cela est préférable, le procureur général engage une telle procédure. Sans aucun doute, la Cour ne peut pas tolérer que la désobéissance manifeste à ses ordonnances passe inaperçue et reste impunie si les faits justifient un châtiment. Toutefois, il convient que le procureur général soit le poursuivant—et non l’une des parties à une poursuite civile qui ne se préoccupe que de faire respecter ses droits civils et, dans une affaire comme celle-ci, de régler le problème aussi rapidement et aisément que possible. Il ne peut qu’être plus difficile de parvenir à un règlement rapide si une partie semble avoir intenté une procédure qui risque de priver certaines ou l’ensemble des autres parties de leur liberté« même si ce n’est que pour un bref laps de temps.

Dans l’affaire Canada Post Corp. v. Canadian Union of Postal Workers (CUPW), [1991] O.J. no 2472 (Div. gén.) (QL), le juge Farley, saisi d’une requête préliminaire en outrage pour violation alléguée des ordonnances de la Cour limitant le piquetage durant une grève, a étudié les circonstances, dont la nécessité d’enquêter sur les faits allégués, et conclu [aux pages 39 et 40] :

[traduction] Vu les circonstances, la cour doit demander au procureur général de participer à la procédure de façon à maintenir l’intégrité du système judiciaire dans une affaire d’une telle importance publique …

Pour les motifs donnés par le juge Gushue dans l’affaire Iron Ore, précitée, il ne conviendrait pas, bien qu’il soit légal, que la demanderesse en l’espèce soutienne l’accusation. Il est préférable que le procureur général s’en charge et c’est ce que la cour le prie de faire.

Aucun autre exemple de renvoi possible de la procédure pour outrage au procureur général n’a été cité, sauf lorsque la décision initiale d’intenter une procédure est prise par des poursuivants publics relativement à une affaire d’importance publique, parce qu’il s’agit clairement d’outrage pénal mettant en cause la désobéissance publique aux ordonnances de la Cour.

La Cour n’est pas convaincue que la procédure dont elle est saisie justifie la prise de dispositions particulières pour sa bonne marche, hormis celles déjà établies par la jurisprudence de la présente Cour relativement à la procédure pour outrage prévue à la Règle 355 et par les principes applicables en vertu de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] ou de la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III]. Il incombe à la Cour de voir à ce que dans la procédure, les règles de justice fondamentale et l’application régulière de la loi soient respectées. La Cour estime qu’elles ne sont pas compromises par les actes qu’ont accomplis les avocats des demanderesses en sollicitant l’audience de justification ou en préparant la présente audience. Les inquiétudes de la défenderesse, des « accusés » et des témoins cités et comparaissant peuvent être étudiées au fur et à mesure et si le tribunal qui tient l’audience commet des erreurs importantes, elles peuvent être corrigées par la voie normale des appels.

La Cour remarque que, dans les motifs écrits à l’appui de la requête pour arrêter la procédure, il est affirmé que la Règle 355 porte atteinte à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits, car [traduction] « elle permet l’engagement de poursuites privées qui peuvent conduire à la privation de liberté tout en contournant certaines garanties normalement applicables dans les poursuites pénales. » Cet argument n’a pas été développé quand la requête a été présentée devant la Cour et, en effet, les avocats d’Apotex et de Sherman ont indiqué qu’après avoir étudié la question, ils ne contestaient plus la validité de la Règle 355. La question n’est pas analysée dans les présents motifs.

Pour les motifs déjà donnés, la Cour n’est pas convaincue qu’il y a lieu d’arrêter la procédure intentée par suite de l’ordonnance du 27 avril 1995 prescrivant la tenue d’une audience de justification. La Cour n’est pas convaincue non plus que cette procédure doit être suspendue conformément au paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale, soit en permanence, soit en attendant le renvoi de cette affaire à des poursuivants agissant sous la direction du procureur général, qui est chargé de l’administration de la justice, ou à un autre poursuivant indépendant, comme le suggèrent les requérants. En conséquence, la demande visant à arrêter ou à suspendre la procédure ou à annuler l’ordonnance du 27 avril est rejetée.

Requêtes pour empêcher l’usage par les demanderesses des renseignements obtenus par suite de l’ordonnance de la Cour dans l’action en violation de brevet

La requête présentée au nom d’Apotex et de Jack Kay sollicite entre autres des ordonnances adressées d’abord aux avocats des demanderesses, s’ils ne sont pas rendus inhabiles par la présente Cour à continuer d’occuper comme « poursuivants » dans la procédure pour outrage, puis à Merck, afin d’interdire « tout usage abusif » dans la présente procédure ou un autre cadre des documents ou renseignements reçus dans le contexte de l’action en violation de brevet.

Ce qui fait particulièrement problème c’est l’usage des renseignements obtenus grâce aux efforts d’Apotex pour se conformer à l’ordonnance du 4 novembre 1993, lui enjoignant de tenir un compte des recettes, de la production, des ventes et des expéditions de maléate d’énalapril, et de fournir des renseignements périodiquement à Merck jusqu’à ordonnance contraire de la Cour. Les renseignements fournis conformément à cette ordonnance sont invoqués comme fondement des allégations selon lesquelles Apotex et d’autres qui sont cités pour outrage auraient omis de respecter les conditions des motifs du jugement rendus le 14 décembre 1994 et auraient omis de respecter le jugement dans l’action en violation de brevet après le 9 janvier 1995. Ils servent aussi à établir la description des renseignements que les témoins éventuels, auxquels a été signifié un subpœna duces tecum, seront tenus de produire devant la Cour quand ils comparaîtront dans la procédure pour outrage.

La Cour tient à noter que, telle que formulée, la requête s’applique à tous les renseignements obtenus par Merck dans le cadre de l’action en violation de brevet, mais l’argumentation avancée à l’appui de la requête et examinée dans les présents motifs porte en grande partie sur des renseignements reçus en application de l’ordonnance du 4 novembre 1993.

À l’appui de la requête, il est affirmé que les documents ou renseignements fournis suivant l’ordonnance de la Cour sont visés par un engagement implicite de la partie qui les reçoit à ne pas les utiliser à des fins connexes ou ultérieures au litige. Selon cet argument, ils seraient utilisés dans la présente procédure pour outrage à une fin connexe; la Cour est donc priée d’interdire un tel usage. Le principe ou la règle relative à un engagement implicite a le plus souvent été étudiée par rapport à des documents et à des renseignements produits lors d’un interrogatoire préalable prévu par les Règles de la Cour. Le contexte et le fondement de la règle sont analysés par mon collègue Madame le juge Reed dans l’affaire Canada c. ICHI Canada Ltd., [1992] 1 C.F. 5711re inst.) et par le juge en chef adjoint Morden dans l’affaire Goodman v. Rossi (1995), 24 O.R. (3d) 359 (C.A.). Le principe a été reconnu par le protonotaire adjoint Giles de la présente Cour dans l’affaire Control Data Canada Ltd. c. Senstar Corp., [1988] 3 C.F. 4391re inst.), où il a rejeté une demande tendant à remettre à un avocat étranger des renseignements produits en vertu d’une ordonnance de confidentialité et des renseignements produits au cours de l’interrogatoire préalable, et en outre dans l’affaire Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd., [1991] 1 C.F. 3251re inst.), où il a rejeté une demande visant à autoriser les avocats étrangers désignés de sociétés mères à avoir accès à des documents produits sous le couvert d’une ordonnance de confidentialité.

Dans l’affaire Canada c. ICHI, précitée, Madame le juge Reed a dit notamment ce qui suit (à la page 580) :

Une ordonnance sera donc émise exigeant que la demanderesse convoque un représentant aux fins de l’interrogatoire préalable. La défenderesse apprendra, à la lecture des présents motifs, l’existence d’un engagement implicite automatique, de telle sorte que l’information obtenue, lors de l’interrogatoire, ne pourra être utilisée qu’aux seules fins du litige pour lequel elle a été obtenue. Bien entendu, cela ne limite pas l’utilisation d’informations qui, subséquemment, feront partie du dossier public. Cette décision n’affecte pas non plus l’utilisation d’informations obtenues lors de l’interrogatoire préalable qui auraient pu être obtenues d’une autre source. L’engagement implicite ne peut porter sur des documents et des informations obtenus d’une source étrangère à l’interrogatoire préalable, sous prétexte qu’ils ont été obtenus pendant l’enquête préalable. De plus, l’engagement implicite n’empêche pas une partie de demander, dans le contexte d’une instance connexe, d’être relevée de cet engagement implicite, afin que les informations obtenues lors de l’interrogatoire préalable puissent être utilisées dans cette autre instance. Toutefois, il s’agit d’une question qui devra être déterminée dans le contexte de cette instance et non dans la présente affaire.

Par la suite, ce raisonnement a été adopté dans l’arrêt Eli Lilly and Co. c. Interpharm Inc. (1993), 50 C.P.R. (3d) 208 (C.A.F.), à la page 213, par le juge McDonald, pour la majorité, qui a confirmé l’ordonnance du juge Reed accordant la permission d’utiliser dans la procédure B des renseignements, obtenus dans la procédure A, qui avaient fait l’objet d’une ordonnance de confidentialité mais qui avaient ensuite été déposés dans la procédure A par l’avocat dans un exposé des faits et du droit versé dans le dossier public.

De l’avis des demanderesses, aucun engagement implicite n’a été pris en l’espèce car les renseignements en cause ont été fournis non pas au cours de l’interrogatoire préalable, mais conformément à une ordonnance de la Cour. La Cour n’est pas convaincue que tel soit le cas. Le passage tiré des motifs du juge Reed dans l’affaire Canada c. ICHI, cité plus haut, établit un lien entre la règle de l’engagement implicite et les renseignements fournis lors de l’interrogatoire préalable, mais dans cette affaire-là la Cour avait ordonné qu’un représentant soit convoqué aux fins de l’interrogatoire préalable. Dans l’affaire Goodman v. Rossi, précitée, le juge en chef adjoint de l’Ontario Morden, après avoir étudié l’historique de la reconnaissance de l’engagement implicite, fondé à l’origine sur l’interrogatoire préalable ordonné par la Cour, a fait observer ce qui suit (à la page 370) :

[traduction] … je ne crois pas que, dans notre pratique, l’absence d’ordonnance empêche la reconnaissance de l’engagement implicite. L’obligation de communiquer et de produire imposée par la règle de la cour est quasiment identique à celle imposée par une ordonnance de la cour.

La Cour est d’avis que, s’il existe un engagement implicite en ce qui concerne les renseignements produits au cours de l’interrogatoire préalable, ce qui est maintenant reconnu, l’on peut en dire autant des renseignements reçus par une partie d’une autre partie en vertu d’une ordonnance de la Cour. L’engagement implicite peut être mis à exécution par une ordonnance de la Cour visant à interdire la communication de renseignements dans des procédures ou des activités connexes (Carbone v. De La Rocha (1993), 13 O.R. (3d) 355 (Div. gén.)). La violation de l’engagement implicite peut constituer un outrage au tribunal (Home Office v Harman, [1982] 1 All ER 532 (H.L.)).

Les limites de cet engagement sont que les renseignements ne doivent pas être utilisés à des fins connexes ou ultérieures au litige. Cela signifie toutes fins autres que celles visées par la procédure dans laquelle les renseignements sont produits (Orfus Realty v. D.G. Jewellery of Canada Ltd. (1995), 24 O.R. (3d) 379 (C.A.), à la page 382).

Dans ses motifs de jugement en date du 5 décembre 1995 relativement à des requêtes opposées de Merck et d’Apotex concernant l’ordonnance du 4 novembre 1993, en vertu de laquelle les renseignements en cause ont été reçus, la Cour a fait des observations sur les fins visées par cette ordonnance, en particulier celle de faire en sorte que des pièces puissent être consultées pour l’évaluation des dommages-intérêts ou des profits, et elle a fait remarquer que les parties avaient des opinions divergentes sur la question de savoir si les renseignements pouvaient être utilisés dans la procédure pour outrage, question qui doit être tranchée dans la présente instance.

Apotex et d’autres sont d’avis que la procédure pour outrage est connexe ou ultérieure aux fins auxquelles la Cour a ordonné que les renseignements soient fournis et que la présente procédure est distincte et ne fait pas partie de l’ensemble des procédures dans l’action en violation de brevet. Ainsi, selon eux, la procédure pour outrage commence par une formalité différente; elle peut mettre en cause et met en cause en l’espèce des parties différentes, et non seulement la demanderesse et les sociétés défenderesses qui sont les parties à l’action en violation de brevet; son objet est différent, puisque le châtiment et non l’indemnisation ou la protection de droits est l’objectif visé; des principes de droit différents sont applicables à la procédure et à l’action en violation de brevet.

La Cour est d’avis que la procédure pour outrage qui vise à faire respecter une ordonnance de la Cour, y compris par l’application d’un châtiment pour sa violation, fait partie intégrante de la procédure dans laquelle l’ordonnance a été rendue. Depuis longtemps, il existe, indépendamment de toute procédure prévue au Code criminel et de l’outrage pénal reconnu en common law, des procédures de la nature de l’outrage qui sont applicables en cas de violation des ordonnances de la Cour et qui constituent un élément essentiel des moyens de contrainte de la Cour.

Dans l’affaire McClure v. Backstein (1987), 17 C.P.C. (2d) 242 (C.S. Ont.), le juge Steele a décidé que le témoignage d’un débiteur fait dans le cadre d’un interrogatoire après jugement pourrait être pris en compte par la Cour dans une procédure pour outrage, bien que le débiteur ne puisse pas être contraint à témoigner dans cette procédure. La procédure pour outrage n’était pas séparée mais faisait partie intégrante de l’ensemble de l’action civile, qui s’entend de l’engagement de celle-ci jusqu’au jugement et à l’exécution du jugement. Le témoignage fait antérieurement n’a pas été fait dans une procédure antérieure, mais dans la même procédure. Il faut convenir que cette procédure était de nature différente de la procédure pour outrage dans la présente instance, mais la question dont était saisie la Cour dans cette affaire-là comme dans la présente concernait l’exécution de sa propre ordonnance ou de ses propres directives.

Dans l’affaire Apple Computer, Inc. c. Minitronics of Canada Ltd. (1988), 20 C.P.R. (3d) 438 (C.F. 1re inst.), le juge Strayer, maintenant juge de la Cour d’appel, a admis des documents qui avaient été demandés à l’origine en vertu d’une ordonnance Anton Piller, mais qui n’avaient pas alors été obtenus parce qu’ils avaient déjà été mis sous garde par les douaniers qui les avaient ensuite remis en vertu d’une ordonnance d’un autre tribunal rendue en application du Code criminel. Les arguments selon lesquels les documents n’étaient pas admissibles ont été repoussés et ces documents ont été invoqués dans la procédure pour outrage. Implicitement, si les documents avaient été saisis en vertu de l’ordonnance Anton Piller, ils auraient aussi été admissibles dans la procédure pour outrage engagée pour la violation d’une injonction.

Dans l’arrêt Crest Homes Plc. v. Marks, [1987] A.C. 829 (H.L.), la Chambre des lords a confirmé l’usage de renseignements, obtenus par suite d’une ordonnance Anton Piller rendue dans une instance postérieure, dans une procédure pour outrage découlant d’une affaire antérieure mettant en cause les mêmes questions et les mêmes parties. Au nom des membres juristes de la Chambre, lord Oliver of Aylmerton a dit ceci, à la page 860 :

[traduction] Les mesures légitimes d’application et d’exécution ou d’observation des ordonnances de la cour et des engagements pris devant la cour font, à mon sens, autant partie intégrante de l’action que toute autre démarche faite à bon droit par le demandeur dans le cadre de la poursuite qu’il a intentée. La procédure normale lorsque l’outrage reproché est le fait d’une partie à l’action consiste à demander l’incarcération par requête dans cette action à titre de démarche incidente. À mon sens, l’exécution de l’ordonnance de la cour dans l’action dans laquelle la communication de la preuve est obtenue n’est en rien « connexe » ou « étrangère » et il ne fait aucun doute quant à moi que les documents communiqués lors de l’interrogatoire préalable dans l’action peuvent parfaitement être utilisés à bon droit dans le but de faire cette démarche sans porter aucunement atteinte à l’engagement implicite et sans qu’il soit nécessaire d’obtenir la permission de la cour au préalable.

Certes, les faits de l’arrêt Crest Homes Plc. sont un peu inhabituels, mais la Cour estime qu’ils sont applicables en l’espèce. Lorsque les renseignements sont obtenus par suite d’une ordonnance régulière de la Cour, ils peuvent être utilisés dans une procédure pour outrage postérieure qui vise à faire exécuter l’ordonnance ou le jugement de la Cour.

De l’avis de la Cour, quand les avocats de Merck et Merck ont reçu les renseignements obtenus par suite de l’ordonnance du 4 novembre 1993, ils se sont engagés implicitement à ne les utiliser qu’aux fins de l’action en violation de brevet, mais ces fins incluent la procédure pour outrage intentée à l’égard de la violation alléguée du prononcé des motifs de la Cour et de son jugement. La procédure pour outrage fait partie intégrante des moyens de contrainte de la Cour dans le procès relatif à l’action en violation de brevet, qui s’entend de l’engagement de celle-ci jusqu’à sa conclusion, y compris le jugement et son exécution. Cette procédure n’est pas séparée ou distincte de l’action en violation de brevet et elle est visée par l’engagement implicite. L’usage des renseignements dans cette procédure ne vise pas une fin connexe ou ultérieure, du point de vue de l’engagement implicite.

Vu ces considérations, l’ordonnance que la Cour rend maintenant en réponse à la demande d’Apotex et de Jack Kay inclut une ordonnance rejetant la demande en vue d’une ordonnance interdisant l’usage des renseignements reçus, par les avocats de Merck ou par les demanderesses, dans le contexte de l’action en violation de brevet, que ce soit ou non en vertu d’une ordonnance de la Cour. Bien entendu, elle est rendue sous réserve de toute ordonnance que peut rendre la Cour par la suite à l’égard de l’usage de renseignements ou documents spécifiés qui ont été reçus dans le contexte de l’action en violation de brevet.

Requête pour rendre les avocats des demanderesses inhabiles à continuer d’occuper dans la procédure pour outrage ou pour le leur interdire

La réparation est sollicitée essentiellement parce que, selon l’argument avancé, les avocats des demanderesses ont manifesté une attitude vindicative et non le comportement équitable, impartial, attendu d’un poursuivant qui cherche à présenter des éléments de preuve d’un acte répréhensible dans une procédure qui, selon cet argument, est essentiellement pénale. La Cour a déjà indiqué qu’elle n’était pas convaincue que la présente procédure devait être arrêtée ou suspendue en permanence ou même temporairement pour permettre à la Cour de renvoyer la question de l’engagement de la procédure pour l’outrage allégué aux personnes généralement responsables des poursuites publiques.

La Cour ajoute maintenant que les cas de manquements à leurs devoirs qui sont reprochés aux avocats des demanderesses, bien qu’ils soient nombreux, ne l’amènent pas à conclure que les avocats doivent maintenant cesser d’occuper dans la procédure pour outrage. La Cour résume les plaintes formulées au nom de MM. Sherman et Kay et appuyées par les avocats de toutes les autres parties sauf les demanderesses. La Cour procède ainsi parce que, essentiellement, l’argument avancé veut que les actes reprochés vicient la procédure au point qu’elle doit maintenant être arrêtée ou à tout le moins, si elle doit être poursuivie, que la Cour doit ordonner le renvoi de la poursuite de l’affaire à des poursuivants publics sous l’autorité du procureur général.

Les actes reprochés sont présentés dans l’optique d’une procédure de nature essentiellement pénale. La Cour n’a certes pas accepté la qualification d’outrage pénal à l’égard de la présente procédure, au sens donné à ce terme dans la jurisprudence, mais sous certains aspects, elle est comparable à l’outrage pénal, en partie à cause des dispositions applicables de la Charte. Ces aspects justifient l’examen et l’évaluation des plaintes concernant la conduite des avocats des demanderesses, qui a été qualifiée, dans l’optique du droit pénal, de manquement au devoir du poursuivant et d’abus de procédure, parce qu’elle était incompatible avec l’obligation du poursuivant de ne pas agir comme une partie opposée, mais de présenter de façon équitable les éléments de preuve permettant à la Cour de décider si son jugement a été respecté.

La conduite qui a fait l’objet de la plainte en l’espèce aurait consisté notamment dans les actes suivants :

1) La présentation simultanée, c’est-à-dire par des requêtes déposées le même jour par les demanderesses, de demandes sollicitant une audience de justification relative à un outrage et des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires dans le cadre de la référence concernant les dommages-intérêts qui doit avoir lieu dans cette affaire;

2) Le dépôt de trois affidavits de membres du cabinet des avocats représentant les demanderesses, à l’appui de la requête sollicitant une audience de justification;

3) La poursuite de la requête sollicitant une audience de justification après la décision de la Cour d’appel du 19 avril 1995 qui a presque éliminé le fondement de toute allégation de violation des droits de brevet des demanderesses, sauf quant à des lots désignés du produit en vrac reçus par Apotex après la délivrance du brevet de Merck, de façon que le seul fondement réel de cette procédure était de nature pénale, l’objet de celle-ci étant le châtiment;

4) La demande tendant à citer non seulement la défenderesse Apotex, mais aussi MM. Sherman et Kay, relativement à des actes allégués entre le 14 et le 22 décembre 1994, alors que de toute évidence aucun jugement et aucune injonction permanente n’étaient en vigueur;

5) La demande des demanderesses en date du 7 juin 1995, rejetée par le juge Noël le 12 juin 1995, visant entre autres à obtenir une ordonnance fixant des conditions à l’interrogatoire oral et à la communication, par ceux qui étaient cités à comparaître pour se justifier, avant l’audience, de renseignements concernant les témoins, leur témoignage prévu et les documents, et des ordonnances quant à l’admissibilité d’éléments dont les transcriptions, les documents et les pièces reçus dans le cadre de l’action en violation de brevet antérieure;

6) La proposition des demanderesses, par lettre, en novembre 1995, que le statut de M. Kay, cité pour outrage, soit modifié et qu’il ne soit plus tenu de comparaître et de se justifier;

7) La délivrance ultérieure, le 19 novembre 1995, d’un subpœna duces tecum enjoignant à M. Kay, qui est encore cité par l’ordonnance du 27 avril 1995, de comparaître et d’exposer les raisons pour lesquelles il ne devrait pas être déclaré coupable d’outrage à la présente Cour;

8) La délivrance, le 19 novembre 1995, de subpœna duces tecum à MM. Barbeau et Moore, employés de la défenderesse Apotex, et à deux membres d’une personne morale faisant affaire avec Apotex, MM. Green et Organ, sans donner aux parties accusées, apparemment avant une heure avancée du jour précédant l’audience, quelque indication du témoignage attendu de ces témoins;

9) La tentative manifeste des avocats des demanderesses pour présenter la requête en dommages-intérêts exemplaires dans le cadre de la référence concernant les dommages-intérêts avant la procédure pour outrage, ou en même temps, question qui a été tranchée par l’ordonnance du 1er août 1995 suspendant la procédure relative à la requête en vue de la référence, y compris toute demande de dommages-intérêts punitifs, jusqu’à l’issue de la procédure pour outrage;

10) Le rôle qu’a continué de jouer l’avocat principal des demanderesses malgré sa participation directe et personnelle à la correspondance et aux appels téléphoniques des 15 et 16 décembre 1994 qui peuvent représenter des éléments de preuve importants dans la présente instance;

11) L’usage par les avocats de renseignements reçus en vertu de l’ordonnance de la Cour en date du 4 novembre 1993, sous réserve d’un engagement implicite à ne pas les utiliser à des fins connexes, aux fins de la présente procédure pour outrage. (La Cour a déjà étudié cette question assez en détail.)

Tous ces actes illustrent les opinions divergentes des avocats des parties sur la nature de la procédure en instance et sur les conséquences de celle-ci sur le rôle et la conduite des avocats. Pour les requérants, il est affirmé que les avocats des demanderesses ont, en préparant la présente procédure, mésusé du rôle impartial que doit être celui de tout poursuivant dans une procédure pénale ou quasi pénale.

La Cour n’est pas convaincue que la conduite reprochée peut être qualifiée d’abus de la procédure de la Cour ou qu’elle vicie la procédure au point de justifier l’arrêt ou la suspension de la procédure ou une ordonnance rendant les avocats des demanderesses inhabiles à continuer d’occuper ou le leur interdisant.

Les droits des « accusés » cités en l’espèce pour outrage n’ont pas encore été violés par quelque procédure en instance. Il appartiendra à la Cour de veiller à ce qu’ils soient reconnus et protégés convenablement, au fur et à mesure. Ce que l’un ou l’autre des avocats propose pour la préparation de l’audience ou ce qu’il peut demander à la Cour en vue de l’audience ne caractérise pas en soi l’audience. Les avocats chercheront certainement à protéger entièrement les droits de leurs clients dans toute procédure. Tous les avocats, ceux représentant les demanderesses et la défenderesse, les personnes citées pour outrage, ou les autres personnes en cause, ont l’obligation d’aider la Cour à voir à ce que justice soit rendue et l’obligation de préserver, dans toute audience dans la présente instance, l’indépendance professionnelle et le degré d’impartialité exigés par la loi.

La Cour conclut à l’inexistence de tout motif l’autorisant à rendre les avocats des demanderesses inhabiles à occuper pour les demanderesses dans toute nouvelle procédure en vertu de l’ordonnance du 27 avril 1995 ou à le leur interdire. L’ordonnance que la Cour rend maintenant inclut le rejet de cette demande de réparation.

Requêtes pour annuler les subpœnas

Deux requêtes ont été présentées en vue de l’annulation des subpœnas duces tecum adressés à diverses personnes, l’une par Apotex et Jack Kay qui sollicite une ordonnance annulant tous les subpœnas délivrés à MM. Kay, Green et Organ, et à MM. Barbeau et Moore, l’autre au nom de MM. Barbeau et Moore. La Cour va étudier ces requêtes en faisant mention des personnes en cause.

La requête pour annuler les subpœnas doit être accueillie en ce qui concerne M. Jack Kay. Dirigeant d’Apotex, il est tenu, aux termes de l’ordonnance du 27 avril 1995, de comparaître devant la Cour pour exposer les raisons pour lesquelles il ne devrait pas être déclaré coupable d’outrage au tribunal. Cette ordonnance n’a pas été modifiée. En tant que personne citée pour outrage, il ne peut pas être contraint à témoigner (arrêt Vidéotron, précité) et le subpœna qui lui a été délivré est annulé par l’ordonnance que la Cour rend maintenant.

Les demanderesses peuvent décider de ne pas donner suite à la procédure pour faire déclarer M. Kay coupable d’outrage, question que la Cour ne tranche pas. Néanmoins, il ne peut pas être contraint à témoigner à cette étape, dans la mesure où il est inclus dans l’ordonnance du 27 avril 1995, qui régit la présente procédure, parmi les personnes tenues de comparaître et de se justifier.

La requête pour annuler les subpœnas signifiés à MM. Green et Organ n’est pas fondée sur les défauts allégués des subpœnas eux-mêmes, mais bien sur l’opinion, que la Cour a repoussée, que la procédure pour outrage est viciée, pour les motifs déjà étudiés, et doit être arrêtée. Puisque la Cour refuse de rendre une telle ordonnance, il n’y a aucune raison d’annuler les subpœnas délivrés à ces personnes. Ils sont des dirigeants et des représentants d’une société qui distribue des produits pharmaceutiques et qui fournit des services à Apotex et, apparemment, à Merck, conformément à un contrat. La Cour se rend parfaitement compte du fait qu’ils ne veulent pas être mêlés au conflit entre les parties. Néanmoins, s’ils ont des éléments de preuve qui sont pertinents pour l’audience de justification, ils peuvent être cités à comparaître. Toutes les pièces qu’ils pourront produire, s’ils sont cités, feront l’objet de l’ordonnance de confidentialité examinée dans la présente espèce, ou de toute autre ordonnance, à la requête de tout intéressé.

Les requêtes pour annuler les subpœnas duces tecum signifiés à MM. Barbeau et Moore sont rejetées. Ils peuvent être contraints à témoigner, bien qu’ils soient des employés d’Apotex et qu’à titre d’employés, ils soient en principe liés par les termes de l’injonction incluse dans le jugement du 22 décembre 1994 qui lie « la défenderesse … par l’entremise de ses dirigeants, administrateurs, préposés, mandataires, employés ». Ils n’étaient pas parties à cette action dans laquelle l’injonction a été décernée et ils n’ont pas été cités à comparaître pour répondre d’une allégation d’outrage. S’ils sont appelés à témoigner et, dans la mesure où ils font l’objet de subpœnas toujours en vigueur, ils ne peuvent pas être cités comme « accusés » et obligés d’exposer les raisons pour lesquelles ils ne devraient pas être déclarés coupables d’outrage. Les subpœnas qui leur sont adressés leur enjoignent, à l’annexe A, d’apporter à l’audience de justification et, devant la Cour,

de produire des copies conformes de ce qui suit : (dans le cas du subpœna adressé à Barbeau)

1.   Toutes les notes, manuscrites, dactylographiées ou imprimées, mémorandums, fac-similés, lettres, copies sur support papier de messages par courrier électronique entre M. Richard Barbeau ou un employé d’Apotex Inc. et les clients d’Apotex Inc. les 14, 15, 16 et 28 décembre 1994 et les 4 et 9 janvier 1995, relatifs aux commandes ou aux ventes de comprimés d’APO-ENALAPRIL portant ces dates-là et aux motifs de jugement du juge MacKay en date du 14 décembre 1994.

2.   Tous les mémorandums et les communications écrites, fac-similés, lettres, copies sur support papier de messages par courrier électronique entre M. Richard Barbeau ou un employé d’Apotex Inc. et les distributeurs et grossistes de comprimés d’APO-ENALAPRIL relatifs aux transferts de comprimés d’APO-ENALAPRIL de ces distributeurs et grossistes à des tiers distributeurs, grossistes, pharmaciens et chaînes de pharmacies durant la période du 9 janvier 1995 au 19 avril 1995 inclus.

3.   Tous les mémorandums et les communications écrites, fac-similés, lettres, copies sur support papier de messages par courrier électronique, y compris les messages entre M. Richard Barbeau et des employés et représentants d’Apotex Inc. sous la direction ou la surveillance de M. Barbeau, et des pharmaciens et des chaînes de pharmacies au Canada relatifs aux transferts de comprimés d’APO-ENALAPRIL de distributeurs et de grossistes de comprimés d’APO-ENALAPRIL à des pharmaciens et chaînes de pharmacies durant la période du 9 janvier 1995 au 19 avril 1995 inclus.

La Cour fait remarquer que le paragraphe 1 précité donne l’ordre de produire des documents portant certaines dates (c’est-à-dire le 28 décembre 1994 et les 4 et 9 janvier 1995) qui sont des dates autres que celles auxquelles les actes allégués des parties citées pour outrage ont été accomplis. Sous ce rapport, la Cour estime que les subpœnas délivrés sont viciés et les témoins Barbeau et Moore ne sont pas tenus de produire de documents portant les dates énumérées au paragraphe 1 de l’annexe A du subpœna qui ne sont pas comprises dans les périodes spécifiées dans l’ordonnance du 27 avril 1995, savoir du 14 au 22 décembre 1994 et le 9 janvier 1995.

Pour ce qui est de savoir si des documents qu’il est ainsi enjoint de produire sont admissibles en preuve à la reprise de l’audience de justification, la Cour refuse de statuer jusqu’à ce qu’aient été présentés des arguments relatifs à des documents spécifiés, dont l’admissibilité peut être contestée durant l’instance.

Requête sollicitant une ordonnance de confidentialité

Au nom d’Apotex et de Jack Kay, une ordonnance est sollicitée afin que le dossier de la Cour et toutes les pièces qu’il contient, se rapportant à « la requête en cause », soient scellés et gardés strictement confidentiels.

Cet aspect de la requête n’a pas été abordé quand la question a été soumise à la Cour le 6 décembre 1995. Sans en être certaine, la Cour présume que la mention de « la requête en cause » s’entend non pas de la requête dont la Cour est maintenant saisie, mais bien de la procédure en instance par suite de l’ordonnance de la Cour en date du 27 avril 1995. En raison d’une certaine incertitude au sujet de la portée que serait censée avoir l’ordonnance de confidentialité sollicitée, la Cour se propose de ne pas répondre à cet aspect de la requête, sauf pour ordonner que les renseignements déjà fournis à Merck en vertu de l’ordonnance de la Cour en date du 4 novembre 1993 ou produits par les témoins en conformité avec les subpœnas duces tecum, soient scellés et tenus confidentiels. Tous les autres renseignements contenus dans le dossier de la Cour dont la production est demandée et qui font l’objet d’une ordonnance de confidentialité rendue relativement à l’action en violation de brevet doivent continuer d’être tenus confidentiels conformément à cette ordonnance antérieure.

Si toutes les parties s’entendaient sur les autres termes d’une ordonnance de confidentialité acceptable, la Cour serait heureuse de souscrire à un projet d’ordonnance conjoint. En cas de désaccord, toute partie peut demander, en motivant sa requête, que les renseignements qu’elle peut être appelée à produire soient scellés et gardés confidentiels.

L’ordonnance rendue à cette étape limite la protection du caractère confidentiel aux renseignements fournis aux demanderesses en vertu de l’ordonnance du 4 novembre 1993 et aux renseignements produits par les témoins en conformité avec les subpœnas.

Conclusion

La Cour rend maintenant les ordonnances précitées relativement aux requêtes préliminaires présentées.

Si les avocats veulent obtenir d’autres instructions ou décisions, ils sont invités à convenir de termes acceptables et à présenter à la Cour leur argumentation conjointe à ce sujet par conférence téléphonique avant la reprise de l’audience, s’ils l’estiment souhaitable, ou au début de l’audience. En cas de désaccord, l’un ou l’autre des avocats peut présenter des observations à la Cour.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.