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[1996] 2 C.F. 694

T-1078-93

Enterprise Rent-A-Car Company et Enterprise Rent-A-Car Limited (Demanderesses)

c.

Herbert Singer, Rhoda Singer, Enterprise Car and Truck Rentals Ltd., Enterprise Car and Truck Rentals (Scarborough) Ltd., Horizon Car and Truck Rentals (Canada) Ltd., 720074 Ontario Limited, Discount Car & Truck Rentals Ltd., Discount Car & Truck Rentals (North York) Ltd., 2313-7292 Québec Inc., 2631-6935 Québec Inc., 819854 Ontario Limited et 401127 B.C. Ltd. (défendeurs)

T-397-93

Enterprise Car and Truck Rentals Limited (demanderesse)

c.

Enterprise Rent-A-Car Company et 1009329 Ontario Limited, faisant affaires sous le nom de Enterprise Rent-A-Car (défenderesses)

Répertorié : Enterprise Rent-A-Car Co. c. Singer (1re inst.)

Section de première instance, juge McKeown— Toronto, 17 octobre 1995; Ottawa, 15 mars 1996.

Marques de commerce Imitation frauduleuseLes compagnies demanderesses dans chaque action exploitent une entreprise de location d’automobilesElles demandent une injonction en vertu de l’art. 7b) de la Loi sur les marques de commerce, chacune reprochant à l’autre des pratiques d’imitation frauduleuse à l’égard du nom « Enterprise » — Le droit régissant l’imitation frauduleuse vise à protéger l’achalandage rattaché à une marque de commerceDans une action en imitation frauduleuse, le demandeur doit établir l’existence préalable d’un achalandage là où s’exerce l’entreprise des défendeursEnterprise U.S. a établi l’existence d’un minimum d’achalandage en liaison avec la marque de commerce « Enterprise » au Canada grâce à sa réputation auprès des CanadiensEnterprise U.S. dirigeait les activités de toutes ses filiales comme s’il s’agissait d’une seule entitéLes défendeurs à la première action ont fait une fausse déclaration au public et tenté d’éliminer la concurrenceLa fausse déclaration a causé ou est susceptible de causer un préjudice aux demanderessesEnterprise U.S. a perdu le contrôle sur l’emploi de son nom et de sa marque, ce qui suffit à fonder une action en imitation frauduleuseEnterprise Canada n’a pas employé le nom et la marque « Enterprise » de manière à acquérir un achalandage significatifLa déclaration d’un dirigeant des demanderesses et l’emploi du symbolen’ont pas eu pour effet de discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services de Enterprise CanadaCette dernière n’a établi aucun préjudice sous le régime de l’art. 7a) de la LoiIl n’est pas opportun de faire une déclaration relative à la propriété de la marque de commerce « Enterprise » au CanadaInjonction permanente prononcée contre les défendeurs à la première action.

Il s’agit en l’espèce d’actions en imitation frauduleuse qu’une compagnie américaine (Enterprise U.S.) et une compagnie canadienne (Enterprise Canada) ont intenté l’une contre l’autre en vertu de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce. On trouvera un résumé des faits dans la note de l’arrêtiste. Le redressement demandé est identique dans les deux actions.

Jugement : l’action intentée par la compagnie américaine doit être accueillie en partie; l’action de la compagnie canadienne doit être rejetée.

Aux termes de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, nul ne peut laisser croire que ses marchandises et services sont ceux d’une autre personne en s’appropriant ainsi l’achalandage de cette autre personne. Le droit régissant l’imitation frauduleuse vise donc à protéger l’achalandage rattaché à une marque de commerce ou à un nom commercial. Dans une action en imitation frauduleuse, le demandeur doit établir les trois éléments suivants : 1) le niveau requis d’achalandage ou de réputation, 2) une déclaration trompeuse au public de la part du défendeur, 3) un préjudice résultant de cette déclaration trompeuse. L’achalandage peut résulter de l’usage d’une marque de commerce au Canada et dans un autre pays lorsque cette marque est portée à l’attention des Canadiens. Lorsque Enterprise Canada a adopté le nom commercial « Enterprise » en 1991 et la marque de commerce « Enterprise » en 1992, Enterprise U.S. avait déjà acquis un minimum d’achalandage en liaison avec ce nom commercial et cette marque de commerce au Canada grâce à la réputation dont elle jouissait auprès des Canadiens, réputation qu’elle avait commencé à acquérir dans les années 1980 et qui s’était développée au début des années 1990. Chaque année, un grand nombre de Canadiens voyageant dans le sud des États-Unis sont exposés à l’abondante publicité de Enterprise U.S. et à la fréquente utilisation de sa marque de commerce dans ce pays. Avant le 6 mars 1991, Enterprise U.S. avait loué des voitures à plus de 4 800 résidents canadiens et au 31 décembre 1993, elle en avait loué à plus de 26 700 résidents canadiens. À ces dates, un achalandage était rattaché à l’exploitation de Enterprise U.S. en liaison avec l’usage de la marque de commerce et du nom commercial « Enterprise » au Canada grâce à sa réputation dans ce pays. Le demandeur doit, dans une action en imitation frauduleuse, établir l’existence préalable d’un achalandage dans le secteur même où s’exerce l’entreprise des défendeurs. Enterprise U.S. dirigeait les activités de toutes ses filiales comme s’il s’agissait d’une seule entité. L’emploi du nom commercial et de la marque de commerce « Enterprise » par les filiales à capital fermé de Enterprise U.S. constituait un emploi qui a bénéficié à cette dernière car elle en a conservé le contrôle. Enterprise U.S. a fait la preuve d’un achalandage suffisant au Canada, achalandage dont Enterprise Canada s’est appropriée. Le second élément de l’action en imitation frauduleuse est la fausse déclaration faite au public par les défendeurs, laquelle se produit lorsque l’usage d’une marque ou d’un nom est susceptible de causer de la confusion dans l’esprit du public en laissant croire qu’il existe un lien d’affaire entre les demandeurs et les défendeurs. La mauvaise foi du défendeur est un facteur de l’action en imitation frauduleuse, bien que le demandeur ne soit pas tenu de l’établir. L’explication qu’a donnée M. Singer quant au changement de nom de Watermark Investments Inc. à Enterprise Canada n’était pas digne de foi. Les mesures prises par les défendeurs en ce qui concerne l’emploi du nom « Enterprise » étaient davantage un moyen d’éliminer la concurrence que la simple intention de changer la dénomination sociale de l’entreprise. Le troisième élément de l’action en imitation frauduleuse exige que la fausse déclaration du défendeur ait causé ou ait été susceptible de causer un dommage aux demandeurs. Lorsque le préjudice subi par le demandeur est causé à son achalandage, les dommages sont intangibles. Enterprise U.S. a perdu le contrôle sur l’emploi de son nom et de sa marque, ayant démontré à la fois qu’elle avait une réputation au Canada qu’il valait la peine de protéger et que l’usage irrégulier du nom et de la marque « Enterprise » par Enterprise Canada avait été tel qu’il avait causé de la confusion dans l’esprit du public quant à cette réputation. Ce type de dommage suffisait à fonder une action en imitation frauduleuse. Enterprise U.S. a démontré l’existence des trois éléments nécessaires pour réussir dans son action en imitation frauduleuse contre Enterprise Canada.

Les défendeurs n’ont employé, de manière significative, le nom commercial et la marque de commerce « Enterprise » que dans les annonces placées dans les Pages jaunes et dans les sept établissements autonomes de location d’automobiles de Enterprise Canada. Celle-ci n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a employé le nom et la marque « Enterprise » de manière à acquérir un achalandage significatif rattaché à ce nom et à cette marque; par conséquent, elle n’a pas établi le bien-fondé de son recours contre Enterprise U.S. sous le régime de l’alinéa 7b) de la Loi. La déclaration d’un dirigeant de Enterprise U.S. selon laquelle le nom « Enterprise » était utilisé illégalement à Toronto et Enterprise U.S. avait obtenu une ordonnance judiciaire afin de mettre fin à cette situation n’a pas eu pour effet de discréditer l’entreprise ou les services de Enterprise Canada. La réputation de Enterprise Canada n’a d’aucune façon été compromise par cette déclaration. L’emploi, par Enterprise U.S., du symbole ® ne saurait constituer une déclaration trompeuse ayant eu pour effet de discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services de Enterprise Canada. Cette dernière n’a établi aucun préjudice sous le régime de l’alinéa 7a) de la Loi. Enterprise U.S. et Enterprise Canada ont demandé toutes deux une mesure de redressement à peu près identique, savoir un jugement déclarent que chacune est titulaire, au Canada, de toute marque de commerce ou de tout nom commercial comportant le mot « Enterprise » en liaison avec la location, le crédit-bail d’automobiles ou des services semblables. Il faut distinguer le jugement relatif à la propriété d’une marque de commerce et le jugement relatif au droit d’enregistrer une marque de commerce. Dans la présente affaire, il n’y a pas lieu de rendre un jugement relatif à la propriété de la marque de commerce « Enterprise » au Canada. Un tel jugement constituerait une atteinte au pouvoir discrétionnaire du registraire des marques de commerce de se prononcer sur les demandes pendantes d’enregistrement de la marque « Enterprise » au Canada.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 20.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 20 (mod. par L.C. 1990, ch. 37, art. 34).

Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, ch. T-10, art. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 4(2), 5, 7a),b), 19 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 60), 50(1) (mod., idem, art. 69).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Erven Warnink B.V. and Another v. J. Townend and Sons (Hull) Ltd. and Another, [1980] R.P.C. 31 (H.L.); Reckitt & Colman Products Ltd. v. Borden Inc. and others, [1990] R.P.C. 341 (H.L.); Orkin Exterminating Co. Inc. v. Pestco Co. of Canada Ltd. et al. (1985), 50 O.R. (2d) 726; 19 D.L.R. (4th) 90; 30 B.L.R. 152; 34 C.C.L.T. 1; 5 C.P.R. (3d) 433; 10 O.A.C. 14 (C.A.); Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd., [1987] 3 C.F. 544(abrégée); (1987), 38 D.L.R. (4th) 544; 17 C.I.P.R. 263; 14 C.P.R. (3d) 314; 12 F.T.R. 317; 80 N.R. 9 (C.A.); Westfair Foods Ltd. v. Jim Pattison Industries Ltd. (1989), 59 D.L.R. (4th) 46; 24 C.I.P.R. 70; 26 C.P.R. (3d) 28 (C.S.C.-B.); conf. par (1990), 68 D.L.R. (4th) 481; [1990] 5 W.W.R. 482; 45 B.C.L.R. (2d) 253; 30 C.P.R. (3d) 174 (C.A.C.-B.); Mentmore Manufacturing Co., Ltd. et al. c. National Merchandising Manufacturing Co. Inc. et al. (1978), 89 D.L.R. (3d) 195; 40 C.P.R. (2d) 164; 22 N.R. 161 (C.A.F.); Copperhead Brewing Co. c. John Labatt Ltée (1995), 61 C.P.R. (3d) 317 (C.F. 1re inst.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Bousquet c. Barmish Inc. (1991), 37 C.P.R. (3d) 516; 48 F.T.R. 122 (C.F. 1re inst.); conf. par (1993), 46 C.P.R. (3d) 510; 150 N.R. 234 (C.A.F.); Marineland c. Marine Wonderland & Animal Park Ltd., [1974] C.F. 558; (1974), 16 C.P.R. (2d) 97 (1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

MacDonald et al. c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134; (1976), 66 D.L.R. (3d) 1; 22 C.P.R. (2d) 1; 7 N.R. 477; Levitz Furniture Corp. and Levitz Furniture Co. of Washington Inc. v. Levitz Furniture Ltd., Value Industries Ltd. and Silver, [1972] 3 W.W.R. 65; (1972), 5 C.P.R. (2d) 13 (C.S.C.-B.); Royal Doulton Tableware Limited c. Cassidy’s Ltée., [1986] 1 C.F. 357 (1984), 5 C.I.P.R. 10; 1 C.P.R. (3d) 214 (1re inst.); Slazenger & Sons v. Feltham & Co. (2) (1889), 6 R.P.C. 531 (Ch. D.); S. & S. Industries Inc. v. Rowell, [1966] R.C.S. 419; (1966), 56 D.L.R. (2d) 501; 48 C.P.R. 193; 33 Fox Pat. C. 56; Riello Can. Inc. c. Lambert (1986), 8 C.I.P.R. 286; 9 C.P.R. (3d) 324; 3 F.T.R. 23 (C.F. 1re inst.); Brewster Transport Co. Ltd. v. Rocky Mountain Tours & Transport Co. Ltd., [1931] R.C.S. 336; [1931] 1 D.L.R. 715.

DÉCISIONS CITÉES :

Gastebled c. Stuyck, [1973] C.F. 24; (1973), 10 C.P.R. (2d) 48 (1re inst.); Centre Ice Ltd. c. Ligue nationale de hockey et autre (1993), 71 F.T.R. 5; 53 C.P.R. (3d) 34, à la p. 35 (C.F. 1re inst.); inf. par Centre Ice Ltd. c. Ligue nationale de hockey et autre (1994), 166 N.R. 44; 53 C.P.R. (3d) 34, à la p. 50 (C.A.F.); HQ Network Systems, Inc. c. HQ Office Supplies Warehouse Inc. (1990), 30 C.P.R. (3d) 558; 34 F.T.R. 219 (C.F. 1re inst.); Cheerio Toys & Games Ltd. v. Samuel Dubiner et al., [1965] 1 R.C.É. 579; (1964), 44 C.P.R. 134; 28 Fox Pat. C. 34; Steinberg Inc. c. J. L. Duval Ltée, [1993] 1 C.F. 145 (1992), 44 C.P.R. (3d) 417; 58 F.T.R. 156 (1re inst.); Walt Disney Productions v. Triple Five Corp. et al. (1994), 149 A.R. 112; 113 D.L.R. (4th) 229; [1994] 6 W.W.R. 385; 17 Alta. L.R. (3d) 225; 53 C.P.R. (3d) 129; 63 W.A.C. 112 (C.A.); M & I Door Systems Ltd. c. Indoco Industrial Door Co. (1989), 25 C.I.P.R. 199; 25 C.P.R. (3d) 477; 28 F.T.R. 267 (C.F. 1re inst.).

DOCTRINE

Bereskin, D. « The Source Theory of Trade Mark Law and its Effect on Trade Mark Licensing » (1987), 3 Can. Intell. Prop. Rev. 322.

Restatement of the Law of Torts, Tentative Draft No. 8. St. Paul, Minn. : American Law Institute, 1963.

ACTIONS intentées par une compagnie américaine et une compagnie canadienne visant la délivrance d’injonctions en vertu de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, chaque compagnie reprochant à l’autre des pratiques d’imitation frauduleuse à l’égard du nom « Enterprise ». Action de la compagnie américaine accueillie en partie, action de la compagnie canadienne rejetée.

AVOCATS :

Daniel R. Bereskin, c.r., Michael E. Charles et Mark L. Robbins pour les demanderesses (T-1078-93) et les défenderesses (T-397-93).

Kenneth D. McKay et Arthur B. Renaud pour les défendeurs (T-1078-93) et la demanderesse (T-397-93).

PROCUREURS :

Bereskin & Parr, Toronto, pour les demanderesses (T-1078-93) et les défenderesses (T-397-93).

Sim, Hughes, Ashton & McKay, Toronto, pour les défendeurs (T-1078-93) et la demanderesse (T-397-93).

NOTE DE L’ARRÊTISTE

Le directeur général a estimé qu’il convenait de publier sous forme abrégée les motifs de ce jugement, d’une longueur de 50 pages. Sont ainsi supprimées du recueil les 23 premières pages où sont exposés les faits. L’espèce a été retenue pour publication parce qu’il s’y trouve un exposé intéressant des règles de droit applicables en matière d’imitation frauduleuse.

Dans ces actions, une entreprise américaine et une entreprise canadienne de location d’automobiles ont demandé des injonctions en vertu de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, se reprochant mutuellement des pratiques d’imitation frauduleuse à l’égard du nom « Enterprise ». De plus, chacune a demandé que soit rendu un jugement déclaratoire portant qu’elle est la titulaire, au Canada, de toute marque de commerce ou de tout nom commercial comportant ce mot en liaison avec la location ou le crédit-bail d’automobiles. Les deux parties ont demandé une ordonnance visant la remise et la destruction du matériel d’identification. Enfin, la compagnie canadienne a soutenu que, contrairement à l’alinéa 7a) de la Loi, la partie adverse a fait des déclarations fausses ou trompeuses tendant à la discréditer ou a toléré que de telles déclarations soient faites. Les actions ont été réunies. La question était de savoir si, au moment où la compagnie canadienne a commencé d’utiliser le nom « Enterprise » au Canada, le renom de la compagnie américaine était suffisamment grand au Canada pour que cette dernière ait gain de cause dans son action en imitation frauduleuse.

La compagnie américaine œuvre dans le secteur de la location d’automobiles aux États-Unis depuis le début des années 1960. Elle utilise le nom « Enterprise » depuis le début des années 1970. En 1993, elle comptait 1 600 succursales aux États-Unis. Cette même année, elle a ouvert une filiale à Windsor (Ontario). La compagnie américaine était bien établie dans les États de la « ceinture de soleil », où les Canadiens passent souvent leurs vacances. De nombreux clients canadiens utilisent ses services par l’entremise d’hôtels de la « ceinture de soleil ». Six clients résidents canadiens et un agent de voyage ont témoigné qu’ils auraient tendance à croire qu’une entreprise de location d’automobiles utilisant le nom « Enterprise » au Canada serait la compagnie américaine ou une compagnie affiliée. Des centaines de milliers de téléspectateurs des régions de Toronto, Hamilton et Niagara ont vu les annonces publicitaires de la compagnie américaine au Canada sur les réseaux de télévision ABC, CBS et NBC. Pourtant, aucun témoin n’a déclaré avoir loué une automobile de la compagnie américaine parce qu’il avait vu une annonce.

Les défendeurs Herbert et Rhoda Singer ont fondé la société de location d’automobiles Discount en 1980. Au moment du procès, leur entreprise comptait 175 succursales. En 1992, les défendeurs utilisaient le nom « Enterprise ». Les contrats de location de Discount portaient les mots : [traduction] « Exploité par Enterprise Car and Truck Rentals Ltd. » Le juge qui a présidé le procès a souscrit à l’argument de l’avocat des demanderesses selon lequel M. Singer [traduction] « tentait tout simplement de créer, sur papier, l’usage d’un nom commercial … dans l’espoir que cela l’aiderait à empêcher » la compagnie américaine d’employer le nom « Enterprise » au Canada. En 1992, M. Singer a déposé une demande d’enregistrement de la marque de commerce « Enterprise », laquelle fait présentement l’objet de procédures d’opposition. En 1993, les défenderesses ont annoncé le nom « Enterprise » dans les annuaires des Pages jaunes un peu partout au Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge McKeown :

ANALYSE

L’alinéa 7b) de la Loi [Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13] dispose :

7. Nul ne peut :

b) appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

Dans l’arrêt MacDonald et al. c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134, le juge en chef Laskin déclare, à la page 147, que cette disposition est une codification de l’action en imitation frauduleuse de la common law. En vertu de cette règle, nul ne peut laisser croire que ses marchandises et services sont ceux d’une autre personne en s’appropriant ainsi l’achalandage d’une autre entreprise. La règle vise donc à protéger l’achalandage rattaché à une marque de commerce ou à un nom commercial. Telle qu’elle est formulée à l’alinéa 7b), elle protège une marque de commerce ou un nom commercial lorsque s’y rattache l’achalandage requis. La situation est différente dans le cas d’une marque de commerce ou d’un nom commercial déposé dont la protection est assurée du seul fait de l’enregistrement. Lord Diplock, dans l’arrêt Erven Warnink B.V. and Another v. J. Townend and Sons (Hull) Ltd. and Another, [1980] R.P.C. 31 (H.L.), décrit l’évolution du recours en imitation frauduleuse, aux pages 91 à 93 :

[traduction] L’action qu’on appelle aujourd’hui action en « imitation frauduleuse » est née au dix-neuvième siècle dans une affaire où un commerçant avait employé, en liaison avec ses propres marchandises, le nom commercial ou la marque de commerce d’un commerçant rival de manière à amener d’éventuels clients à croire que ses marchandises étaient celles de son concurrent. Même si, jusqu’à la fin du siècle, les actions en imitation frauduleuse ont essentiellement porté sur l’emploi frauduleux de noms commerciaux, de marques de commerce, de lettres ou d’autres étiquettes, le principe applicable avait été énoncé par lord Langdale M.R. dès 1842 en ces termes : « Une personne ne saurait vendre ses propres produits en les faisant passer pour ceux d’une autre personne » : Perry v. Truefitt, 6 Beav. 66. À la fin du siècle, dans l’affaire Reddaway v. Banham [1896] A.C. 199, lord Herschell a déclaré que ce que l’action en imitation frauduleuse visait à protéger n’était pas le droit de propriété d’un commerçant sur la marque de commerce, le nom commercial ou la présentation employés frauduleusement. La voie était donc tracée pour l’exercice d’un recours en imitation frauduleuse dans les cas où la tromperie ne consistait pas en l’emploi frauduleux d’une marque, d’un nom, de lettres ou d’autres étiquettes; mais puisqu’aucune de leurs Seigneuries ne s’était prononcée sur la nature juridique du droit protégé par l’action en imitation frauduleuse, le recours est demeuré une action sui generis qui permettait de réclamer des dommages-intérêts relativement au préjudice subi ou susceptible d’être subi par suite d’une tromperie quelconque.

Dans l’affaire Reddaway v. Banham, comme dans toutes les autres actions en imitation frauduleuse antérieures, Banham avait fait passer ses marchandises pour celles de Reddaway et cette tromperie avait causé un préjudice à Reddaway, savoir la perte de clients potentiels qui étaient devenus les clients de Banham. Il s’agissait d’une affaire-clé relativement à la question de savoir si l’emploi par un commerçant d’un terme qui décrivait correctement la composition de ses propres marchandises pouvait néanmoins constituer un délit d’imitation frauduleuse si ce terme était compris, par le marché dans lequel les marchandises étaient vendues, comme s’appliquant aux marchandises d’un concurrent; mais dans cette affaire, le tribunal n’a pas élargi la notion de tromperie donnant ouverture à l’action en imitation frauduleuse. Il a tout simplement adopté la définition que j’ai qualifiée de classique, c’est-à-dire faire passer ses propres marchandises pour les marchandises d’un autre. Le tribunal n’a pas non plus fournie un fondement logique qui aurait permis d’élargir la portée de cette notion.

C’est à lord Parker, dans l’arrêt Spalding v. Gamage (1915) 32 R.P.C. 273, que revient cet honneur. Dans un discours qui a reçu l’aval des autres membres de cette Chambre, lord Parker a décrit le droit dont la violation est l’objet de l’action en imitation frauduleuse comme étant le « droit de propriété dans le commerce ou l’achalandage susceptible d’être compromis par la tromperie ». La notion d’achalandage est, en droit, une notion large qui est peut-être définie par les propos de lord MacNaghten dans C.I.R. v. Muller [1901] A.C. 217, 223 : « Il s’agit de l’avantage propre au bon nom, à la réputation et aux contacts d’une entreprise. C’est la force d’attraction qui attire la clientèle ».

L’achalandage de l’entreprise d’un fabricant peut être compromis lorsqu’une autre personne qui vend des marchandises affirme avec raison que celles-ci sont faites par ce fabricant mais prétend qu’il s’agit de marchandises d’une qualité ou d’une catégorie supérieure alors qu’en fait, ce sont des marchandises d’une catégorie ou d’une qualité inférieure. Dans l’arrêt Spalding v. Gamage, lord Parker a dit que ce type de déclaration donnait ouverture à une action; selon lui, l’élargissement de la notion de tromperie donnant ouverture à poursuite en imitation frauduleuse découlait logiquement du fait que le droit protégé par ce recours est le droit de propriété du commerçant à l’égard de son entreprise ou de son achalandage.

La décision est importante en matière d’imitation frauduleuse en ce qu’elle reconnaît que faire croire que ses marchandises sont celles d’un autre ne constituait pas un genre distinct de faute ouvrant droit à une action, mais bien une espèce particulière de faute faisant partie d’un genre plus large, dont lord Herschell avait eu l’intuition dans Reddaway v. Banham. Parlant de l’emploi trompeur d’un terme descriptif, lord Herschell avait déclaré ce qui suit :

« Il me paraît illogique qu’un homme puisse par ce moyen, alors qu’il ne peut le faire par un autre, faire croire aux clients qu’ils obtiennent quelque chose qu’ils n’obtiennent pas, afin d’usurper le commerce d’un rival ».

Je cite cet extrait du jugement dont j’ai souligné quelques passages, parce que c’est lord Herschell qui a donné le discours principal dans une décision antérieure de cette Chambre, savoir Native Guano Co. v. Sewage Manure Co. (1889) 8 R.P.C. 125 à la page 129, sur laquelle la Cour d’appel s’est fondée afin de justifier l’infirmation de la décision du juge Goulding en l’espèce.

L’arrêt Spalding v. Gamage a amené les juges à reconnaître d’autres espèces appartenant au même genre; par exemple, même si le demandeur et le défendeur ne sont pas des concurrents dans le même type d’affaires, une fausse déclaration du défendeur quant à l’existence d’un lien entre les deux entreprises pourrait compromettre la réputation et, par voie de conséquence, l’achalandage du commerce du demandeur. Plusieurs affaires analogues ont été publiées, notamment Harrods Ltd. v. R. Harrod Ltd. (1924) 41 R.P.C. 74, l’affaire du prêteur d’argent.

En outre, l’explication de lord Paker sur la nature du droit de propriété protégé par l’action en imitation frauduleuse a également fourni un fondement nouveau et rationnel à deux décisions rendues au dix-neuvième siècle par le vice-chancelier Page Wood, Dent v. Turpin (1861) 2 J. & H. 139 et Southorn v. Reynolds (1865) 12 L.T. (N.S.) 75, dans lesquelles il avait été décidé que l’un des deux commerçants qui avaient hérité de l’achalandage rattaché à un nom commercial avait le droit, sans joindre l’autre à la demande, d’obtenir une injonction interdisant à un troisième commerçant d’utiliser ce nom, même si le droit du demandeur n’était pas exclusif. Un dommage serait causé à l’achalandage de son commerce par les fausses déclarations du défendeur qui affirmait que ses marchandises étaient celles d’un petit groupe de commerçants ayant le droit de faire usage du nom commercial, groupe dont le demandeur faisait partie contrairement au défendeur.

Vos Seigneuries, l’arrêt Spalding v. Gamage et la jurisprudence ultérieure permettent de définir cinq conditions qui doivent être réunies pour que le demandeur ait un droit d’action valable en imitation frauduleuse : (1) une fausse déclaration (2) faite par un commerçant dans le cours de ses affaires (3) à des clients éventuels ou à des consommateurs ultimes des biens ou services fournis par lui, (4) qui est conçue pour nuire aux affaires ou à l’achalandage d’un autre commerçant (en ce sens qu’il s’agit d’une conséquence raisonnablement prévisible) et (5) qui cause des dommages aux affaires ou à l’achalandage du commerçant par qui le recours est intenté ou (dans une action préventive) sera probablement intenté.

Dans l’arrêt Reckitt & Colman Products Ltd. v. Borden Inc. and others, [1990] R.P.C. 341 (H.L.) à la page 406, lord Oliver of Aylmerton a repris les cinq éléments du recours en imitation frauduleuse dégagés par lord Diplock pour en faire un critère à trois volets. Le demandeur doit donc établir les trois éléments suivants :

1) il possède le niveau requis d’achalandage ou de réputation dans l’esprit du public;

2) le défendeur a fait une déclaration trompeuse au public;

3) le demandeur a subi ou est susceptible de subir des dommages par suite de cette déclaration trompeuse.

Passons maintenant au premier élément à établir dans un recours en imitation frauduleuse : l’achalandage du demandeur. Dans l’arrêt Orkin Exterminating Co. Inc. v. Pestco Co. of Canada Ltd. et al. (1985), 50 O.R. (2d) 726 (C.A.), la Cour a déclaré que la règle de droit visait non seulement à protéger les intérêts des commerçants mais également à assurer la protection du public. Il faut en tenir compte en déterminant le niveau d’achalandage que le demandeur doit établir afin d’avoir gain de cause dans son action en imitation frauduleuse. Si le demandeur a acquis une certaine réputation auprès d’une partie de la population, ces personnes pourront être lésées par l’imitation frauduleuse, et leurs intérêts devraient être protégés même s’ils ne sont pas ceux du public en général. L’achalandage du demandeur peut être simplement local plutôt que national. Voir à titre d’exemples Gastebled c. Stuyck, [1973] C.F. 24 (1re inst.) et Centre Ice Ltd. c. Ligue nationale de hockey et autre (1993), 71 F.T.R. 5 (C.F. 1re inst.); infirmé pour d’autres motifs dans (1994), 166 N.R. 44 (C.A.F.).

Puisque chacune des parties a intenté un recours en imitation frauduleuse contre l’autre, la Cour doit examiner chaque demande. J’examinerai d’abord les arguments de Enterprise U.S. D’après les éléments de preuve présentés, Enterprise U.S. est la cinquième entreprise de location d’automobiles en importance aux États-Unis et, depuis 1991, elle occupe le premier rang des entreprises de location d’automobiles de remplacement. Elle est particulièrement connue dans les États de la « ceinture de soleil ». Certes, nombre de Canadiens séjournent dans ces États ensoleillés, mais aucun de ceux qui ont déposé devant cette Cour n’ont déclaré avoir entendu parler de Enterprise U.S. avant d’avoir loué une voiture, aux États-Unis, de cette société. De plus, l’étude préparée par M. Mayer, même si elle n’est pas concluante en la matière, révèle que très peu de Canadiens de 25 à 60 ans ont entendu parler de « Enterprise ».

Quarante et une voitures ont été louées à long terme de Enterprise U.S. entre 1984 et 1992 par des compagnies américaines ayant toutes, à l’exception de cinq d’entre elles, une adresse américaine. Ces voitures ont toutefois été achetées au Canada, conduites au Canada et, à l’expiration du contrat de location, vendues au Canada. Les agents de voyages canadiens réservent des voitures pour leurs clients canadiens à l’aide des systèmes informatiques de réservations aériennes; depuis 1986, Enterprise U.S. est membre de plusieurs de ces systèmes de réservations. Les clients canadiens qui ont témoigné étaient tous extrêmement satisfaits du service offert par Enterprise U.S. Depuis 1990, celle-ci possède une ligne téléphonique 1-800 au Canada, qu’on peut utiliser pour réserver une voiture de location. Bien qu’elle fasse diffuser des annonces sur les trois grands réseaux de télévision américaine et qu’il puisse en résulter certaines retombées au Canada, je ne suis pas convaincu qu’elle en ait fait la preuve. Je conclus donc que lorsque Enterprise Canada a adopté le nom commercial « Enterprise » en 1991 et la marque de commerce « Enterprise » en 1992, Enterprise U.S. avait déjà acquis un minimum d’achalandage en liaison avec ce nom commercial et cette marque de commerce au Canada grâce à la réputation dont elle jouissait auprès des Canadiens, réputation qu’elle avait commencé à acquérir au début des années 1980 et qui s’était développée peu à peu au début des années 1990.

L’achalandage peut résulter de l’usage d’une marque de commerce au Canada et de l’usage d’une marque de commerce dans un autre pays lorsque cette marque est portée à l’attention des Canadiens, soit par son usage soit par la publicité atteignant les Canadiens. Les faits de la présente affaire sont très semblables aux faits de l’affaire Orkin, précitée. Orkin Exterminating Co. Inc. était une société de contrôle des insectes et des animaux nuisibles établie depuis nombre d’années aux États-Unis. Le nom que l’entreprise utilisait depuis les années 1930 était celui de son fondateur. Le juge Morden (alors juge à la Cour d’appel) a dit ceci à la page 730 :

[traduction] En ce qui concerne la réputation de Orkin au Canada, il convient de souligner les faits suivants. Les citoyens canadiens qui voyagent aux États-Unis sont exposés à l’importante publicité de Orkin et à l’utilisation de ses marques de commerce dans ce pays. Selon la preuve, des millions de Canadiens se rendent aux États-Unis chaque année, particulièrement dans les États touristiques du sud où Orkin est très active. Au Canada, la population est exposée à la publicité et aux articles concernant Orkin publiés dans les revues américaines qui sont mises en circulation ici.

La Cour renvoie également, dans cette affaire, à plusieurs revues dans lesquelles le nom de Orkin avait été mentionné soit dans un article, soit dans une annonce. Dans la présente espèce, il ressort de la preuve que de nombreux citoyens canadiens se rendant aux États-Unis sont exposés à l’abondante publicité et à la fréquente utilisation de la marque de commerce de Enterprise U.S. Il ressort également de la preuve que, chaque année, un grand nombre de Canadiens voyagent dans le sud des États-Unis où Enterprise U.S. exerce de nombreuses activités. La Cour dispose également d’éléments de preuve concernant la publicité faite par Enterprise U.S. dans le Wall Street Journal et sur les ondes de la télévision. La preuve de l’achalandage de Enterprise U.S. dans l’affaire qui nous occupe se compare donc à celle présentée dans l’affaire Orkin, précitée. On trouve d’autres similitudes entre ces deux affaires. Toujours dans l’arrêt Orkin, précité, le juge Morden, J.C.A. dit ceci, à la page 731 :

[traduction] J’ai déjà parlé des clients canadiens de Orkin. Huit d’entre eux de la région de Toronto ont déclaré bien connaître Orkin, son entreprise et les noms et marques de commerce Orkin. Ils ont tous affirmé que s’ils devaient voir le nom ou le logo de Orkin au Canada, ils tiendraient pour acquis qu’ils représentaient la compagnie Orkin qu’ils connaissent ou une compagnie affiliée.

En l’espèce, six clients de Enterprise U.S. ont témoigné dans le même sens. À l’instar des témoins dans l’arrêt Orkin, précité, ces témoins ont dit que s’ils voyaient le nom ou le logo de « Enterprise » utilisé au Canada en liaison avec une entreprise de location d’automobiles, ils tiendraient pour acquis qu’il s’agit de Enterprise U.S. ou d’une compagnie affiliée; c’est à peu près ce qu’ont déclaré les témoins dans l’affaire Orkin, précitée. Comme dans cette affaire, il a été établi que Enterprise U.S. a des clients canadiens à qui elle a envoyé des avis de facturation. De plus, comme dans l’affaire Orkin, précitée, Enterprise U.S. avait plusieurs clients canadiens à la fin de 1993. Avant le 6 mars 1991, Enterprise U.S. avait loué des voitures à plus de 4 800 résidents canadiens. En juin 1992, le nombre de clients canadiens avait atteint environ 11 800 et en février 1993, ce chiffre atteignait environ 15 600. Au 31 décembre 1993, Enterprise U.S. avait loué des voitures à plus de 26 700 résidents canadiens. Comme la défenderesse dans l’affaire Orkin, précitée, la défenderesse Enterprise Canada avait fait paraître une annonce dans l’annuaire des Pages jaunes, de même que dans les pages blanches de l’annuaire de Toronto sous le nom de Enterprise Canada. En outre, comme dans l’affaire Orkin, précitée, lorsque le principal dirigeant de Enterprise Canada a adopté le nom « Enterprise », il n’ignorait pas que la demanderesse Enterprise U.S. utilisait ce nom. La défenderesse avait également soutenu dans Orkin, précitée, que tout achalandage rattaché au nom Orkin en Ontario lui appartenait puisque la demanderesse n’avait pas exercé son entreprise au Canada et qu’elle n’avait donc aucun achalandage à protéger dans ce pays. Rejetant cet argument, le juge Morden, J.C.A. s’est exprimé comme suit, à la page 737 :

[traduction] À mon humble avis, le juge Fitzpatrick a conclu à bon droit que Orkin avait droit à réparation au motif qu’elle avait une réputation (acquise notamment du fait qu’elle avait des clients) en Ontario et qu’elle avait l’intention d’accroître son entreprise dans cette province. Cela dit, il n’en découle pas nécessairement qu’une affaire telle que celle-ci ne puisse pas être tranchée pour des motifs plus généraux. Il s’agit d’un domaine du droit en évolution et j’estime préférable de trancher les prétentions contradictoires en m’en tenant à une analyse relativement étroite s’articulant autour des faits précis de l’espèce plutôt que de me fonder sans nécessité sur une analyse plus générale.

En examinant le droit anglais, la Cour d’appel de l’Ontario, a décidé de ne pas suivre le courant voulant que les commerçants étrangers n’ayant aucun établissement commercial en Angleterre ne puissent obtenir de redressement. Les principes énoncés dans l’arrêt Orkin ont été adoptés par inférence par le juge Reed dans HQ Network Systems, Inc. c. HQ Office Supplies Warehouse Inc. (1990), 30 C.P.R. (3d) 558 (C.F. 1re inst.).

En l’espèce, Enterprise U.S. avait acquis une réputation au Canada avant le 6 mars 1991, réputation qu’elle a toujours. L’entreprise a des clients canadiens d’un bout à l’autre du pays; depuis 1990, elle possède une ligne téléphonique 1-800 accessible à tous les Canadiens; et, dès 1989 ou 1990, les agents de voyage canadiens réservaient des automobiles auprès de Enterprise U.S. De plus, Enterprise U.S. a déposé des éléments de preuve établissant qu’elle avait, depuis 1990, l’intention de s’établir au Canada et d’y faire affaires. L’achalandage qu’elle avait établi au Canada au 6 mars 1991 était minimal, et la situation n’avait pas changé en juin 1992; toutefois, il ne fait aucun doute que dès ces deux dates, un achalandage était rattaché à l’exploitation de Enterprise U.S. en liaison avec l’usage de la marque de commerce et du nom commercial « Enterprise » au Canada en vertu de sa réputation dans ce pays.

Même si la réputation de Enterprise U.S. était peu répandue au Canada, la demanderesse n’a pas besoin d’avoir une grande renommée pour bénéficier de la protection de son achalandage. C’est la conclusion qui a été tirée dans l’arrêt Levitz Furniture Corp. and Levitz Furniture Co. of Washington Inc. v. Levitz Furniture Ltd., Value Industries Ltd. and Silver, [1972] 3 W.W.R. 65 (C.S.C.-B.). La Cour a dit ceci, à la page 67 :

[traduction] Même si les demanderesses n’ont pas acquis l’achalandage dont jouissaient les demanderesses dans les affaires Hilton Hotels Corpn. et al. v. Belkin et al., 17 W.W.R. 86, 24 C.P.R. 100 (C.-B.) (le juge McInnes) et Hyatt Corpn. et al. v. Hyatt House Hotels Ltd., C.-B., le juge Macfarlane, 17 décembre 1969 (décision non publiée), elles jouissent néanmoins d’une réputation dans ce pays. Elles ne sont peut-être pas célèbres, mais certaines personnes les connaissent.

Je renvoie également à l’ouvrage Restatement of the Law of Torts, Tentative Draft No. 8 (1963), à la page 113 cité dans l’arrêt Orkin, précité à la page 746 :

[traduction] S’il imite sciemment le nom commercial ou la marque de commerce d’un autre et agit de manière à laisser croire que son entreprise est liée à l’autre, on peut en conclure raisonnablement que certains clients éventuels seront induits en erreur.

Je conclus des agissements des défenderesses que M. Singer gérait sciemment ces entreprises de manière à empêcher que Enterprise U.S. s’installe au Canada. Je déduis des activités des défenderesses que Enterprise U.S. possédait au Canada un achalandage dont les défenderesses pouvaient éventuellement profiter.

Par conséquent, la preuve indiquant clairement que certains Canadiens connaissaient Enterprise U.S., celle-ci a acquis une réputation et un achalandage suffisants dans ce pays pour bénéficier de la protection de la loi.

L’avocat des défenderesses prétend qu’à moins que Enterprise U.S. puisse démontrer qu’elle utilise la marque de commerce « Enterprise » au Canada au sens de la Loi sur les marques de commerce, ou à moins qu’elle puisse démontrer qu’elle a bien fait connaître sa marque au sens de l’article 5, l’alinéa b) ne s’applique pas. Il se fonde sur l’arrêt Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd., [1987] 3 C.F. 544(abrégé); (1987), 38 D.L.R. (4th) 544 (C.A.), qui selon lui enlèverait toute compétence à la présente Cour à l’égard de l’action en imitations frauduleuses de la common law. À mon avis toutefois, cet arrêt vient étayer l’interprétation que donne l’arrêt Orkin, précité, à l’alinéa 7b), et n’exige pas le respect de l’article 5 comme condition préalable à une conclusion d’imitation frauduleuse.

Le juge MacGuigan, J.C.A. a dit ce qui suit, à la page 556 D.L.R. :

Le point litigieux est le droit du Parlement de créer un recours civil relativement à une marque de commerce qui n’est pas déposée en vertu de la Loi.

L’alinéa 7b) reflète dans la Loi l’action en passing off issue de la common law, le passing off consistant à laisser croire que les biens ou les services d’une personne sont en réalité ceux d’une autre, ou que quelqu’un d’autre les offre ou y est associé. Il s’agit en fait de « parasiter » au moyen d’une déclaration tendant à induire en erreur.

Il a ajouté, à la page 557 D.L.R. :

Comme l’a démontré l’historique du juge en chef Laskin dans l’arrêt MacDonald, précité, la Loi canadienne a traditionnellement visé la protection des marques non déposées aussi bien que celles des marques déposées…

Le Parlement, à l’alinéa 7b), entend protéger le renom associé aux marques de commerce. De la sorte, comme l’a dit le juge Laskin, cet alinéa est un « complément » du système de protection de toutes les marques de commerce. Ainsi, le recours civil qu’il prévoit, de concert avec l’article 53, se trouve à « véritablement faire partie intégrante du système global de surveillance » : voir Rocois Construction, précité, à la p. 172 C.P.R., p. 79 C.F., p. 226 N.R. Il a, en somme, un lien rationnel et fonctionnel avec le système visant les marques de commerce envisagé par le Parlement, en vertu duquel même les marques non enregistrées seraient protégées contre la fraude.

Et le juge MacGuigan de dire également, à la page 557 D.L.R. :

En traçant un aperçu de l’économie de la Loi dans l’arrêt Royal Doulton Tableware Ltd. et autres c. Cassidy’s Ltd.Cassidy’s Ltée (1984), 1 C.P.R. (3d) 214, à la p. 228, [1986] 1 C.F. 357 à la p. 374; 5 C.I.P.R. 10, le juge Strayer a dit que « la Loi sur les marques de commerce , aux articles 1 à 11, définit et prescrit plusieurs règles relatives aux marques de commerce et à leur adoption, sans mentionner les règles relatives à l’enregistrement. Par la suite, la Loi porte uniquement sur les marques de commerce enregistrées. » Il ajoute plus loin : « le Parlement, par les articles 1 à 11 de la Loi sur les marques de commerce , a prescrit les règles relatives à ce qui constitue une marque de commerce et son adoption, que cette marque soit enregistrée ou non. »

Je constate que les propos du juge Strayer (tel était alors son titre) dans l’arrêt Royal Doulton [Royal Doulton Tableware Limited c. Cassidy’s Ltée, [1986] 1 C.F. 357(1re inst.)], ne portaient pas sur l’action en imitation frauduleuse. Celui-ci examinait plutôt la question de savoir si la Cour avait compétence pour déclarer qu’une partie était titulaire d’une marque de commerce au Canada. La question en litige était celle de savoir si la Cour avait compétence à l’égard d’une marque de commerce non déposée. Le juge a conclu que les articles 1 à 11 de la Loi [Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, ch. T-10], dans le cadre de l’article 20 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, modifiée, confèrent compétence à la Cour fédérale sur les marques de commerce, déposées ou non. À mon avis, le juge Strayer n’affirme pas non plus qu’il ne faut pas tenir compte des principes de la common law en examinant la question des marques de commerce sous le régime des articles 1 à 11. Je ne veux pas non plus dire que lorsque le juge MacGuigan, J.C.A. reprend les propos du juge Stayer, il compte interdire l’application des principes de common law aux actions fondées sur l’alinéa 7b) de la Loi. Dans l’affaire Asbjorn Horgard A/S, précitée, la demanderesse était une compagnie étrangère qui possédait une marque de commerce étrangère non déposées au Canada. Il n’a jamais été question d’une obligation, pour la demanderesse, de satisfaire aux exigences de l’article 5 de la Loi. Le Parlement a établi un système en vertu duquel les marques de commerce non déposées sont protégées contre les déclarations préjudiciables.

Suivant l’esprit de la Loi tel qu’il ressort des articles 5 et 19 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 60], la personne qui enregistre valablement une marque de commerce a des droits qui sont exécutoires partout au Canada, et on peut déposer valablement une marque de commerce même si celle-ci n’est utilisée que dans une petite région. L’avantage de l’enregistrement, c’est que le titulaire de la marque de commerce déposée n’a pas besoin d’établir l’achalandage local de l’entreprise. Toutefois, comme je l’ai mentionné plus tôt, le demandeur doit, dans une action en imitation frauduleuse, établir l’existence préalable d’un achalandage dans le secteur même où s’exerce l’entreprise des défendeurs.

En conformité avec la Convention internationale pour la protection de la propriété industrielle, l’article 5 a pour objet de permettre au titulaire d’une marque de commerce dans un pays étranger de faire enregistrer cette marque de sorte que ce commerçant étranger se trouve sur un pied d’égalité avec le commerçant local, avec toutefois une différence de taille : la marque n’étant pas employée au Canada, il faut, selon la Loi, que cette marque de commerce soit connue au sens de l’article 5. Selon la jurisprudence, « connue » s’entend de « bien connue »; si le titulaire de la marque établit que celle-ci est bien connue, il est admissible à l’enregistrement et acquiert ainsi des droits sur cette marque dans l’ensemble du Canada. Toutefois, cela n’a rien à voir avec l’imitation frauduleuse prévue à l’alinéa 7b). Il n’y est pas question d’emploi ou de publicité de la marque de commerce.

Le juge Gibbs établit clairement cette distinction dans la décision Westfair Foods Ltd. v. Jim Pattison Industries Ltd. (1989), 59 D.L.R. (4th) 46 (C.S. C.-B.); confirmée par la Cour d’appel de la C.-B. (1990), 68 D.L.R. (4th) 481, lorsque le juge déclare; à la page 61 :

[traduction] La jurisprudence mettant en cause des marques de commerce déposées n’est pas très utile lorsque le litige porte sur l’imitation frauduleuse, parce que les conséquences juridiques sont différentes.

À mon avis, le respect de l’article 5 n’est pas une condition préalable à l’exercice de l’action en imitation frauduleuse en vertu de l’alinéa 7b). Dans l’hypothèse où l’article 5 s’applique, je conclus que Enterprise U.S. n’était pas bien connue au Canada en mars 1991 ni en juin 1992. Même si l’étude menée par M. Mayer aurait dû se limiter aux détenteurs d’un permis de conduire, il n’en demeure pas moins que le pourcentage de personnes qui connaissaient « Enterprise » était bien inférieur à 10 p. 100. L’étude a été menée en 1995 au moment où Enterprise U.S. et Enterprise Canada faisaient affaires au Canada depuis quatre ans.

Les défenderesses soutiennent qu’aucune des mesures prises par Enterprise U.S. avant que Enterprise Canada n’arrive dans le marché ne constitue un emploi au Canada. Toutefois, le paragraphe 4(2) est ainsi libellé :

4.

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ses services.

Le paragraphe est muet quant au lieu où cette liaison doit être faite.

Enterprise Canada prétend que, puisque Enterprise U.S. n’a conclu aucune convention relative à l’usager inscrit avec ses filiales, cette dernière ne peut bénéficier d’aucune façon de l’emploi de la marque de commerce au Canada. C’était peut-être vrai avant l’adoption, en 1993, du paragraphe 50(1) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 69] de la Loi sur les marques de commerce qui porte sur les licences. Le paragraphe 50(1) dispose :

50. (1) Pour l’application de la présente loi, si une licence d’emploi d’une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques et la qualité des marchandises et services, l’emploi, la publicité ou l’exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial—ou partie de ceux-ci—ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s’il s’agissait de ceux du propriétaire.

Ainsi, s’il peut être établi que le propriétaire d’une marque de commerce contrôle, directement ou indirectement, l’emploi de cette marque, par conséquent, aux fins de la Loi, notamment en ce qui a trait à l’achalandage, l’emploi, la publicité ou l’exposition d’une marque de commerce dans ce pays sont réputés avoir le même effet que s’il s’agissait du propriétaire. À mon avis, le nouvel article 50, de même que la version en vigueur avant 1993, s’appliquent aux dispositions concernant l’emploi d’une marque de commerce par une personne ou une entreprise qui en est le titulaire. Selon la jurisprudence, l’achalandage résultant de l’emploi d’une marque de commerce par des titulaires de licence contrôlés est réputé profiter au titulaire de la marque de commerce aux fins de la Loi. (Voir les propos du juge Noël dans Cheerio Toys & Games Ltd. v. Samuel Dubiner et al., [1965] 1 R.C.É. 579.) Ce principe peut s’appliquer en matière d’imitation frauduleuse. Comme je l’ai expliqué, Enterprise U.S. dirige les activités de toutes ses filiales, sauf en ce qui a trait à la publicité locale, cette exception n’ayant toutefois aucune répercussion sur le contrôle de la marque de commerce. Pour le public, Enterprise U.S. constitue une seule entité. De plus, les tribunaux canadiens, en interprétant les dispositions relatives aux usagers inscrits qui existaient avant 1993, ont conclu que ces dispositions étaient facultatives plutôt qu’impératives. Comme l’affirme Daniel R. Bereskin dans « The Source Theory of Trade Mark Law and its Effect on Trade Mark Licensing » (1987), 3 Can. Intell. Prop. 322 :

[traduction] Cet essai se fonde sur l’argument selon lequel même si la théorie de la source est incontestablement le fondement du droit en matière de marques de commerce au Canada, le simple emploi d’une marque de commerce par un preneur de licence dans un contexte contemporain typique d’octroi de licence ne résulte pas en soi en une seconde « source ».

Ce principe a été reconnu dans la décision Steinberg Inc. c. J. L. Duval Ltée, [1993] 1 C.F. 145(1re inst.), aux pages 151 à 153.

J’estime donc que l’emploi du nom commercial et de la marque de commerce « Enterprise » par les filiales à capital fermé de Enterprise U.S. constitue un emploi qui bénéficie à cette dernière car elle en a conservé le contrôle.

Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que Enterprise U.S. a réussi à prouver l’existence du premier des trois éléments nécessaires à la réussite d’une action en imitation frauduleuse. Enterprise U.S. a en effet fait la preuve d’un achalandage suffisant au Canada, achalandage dont Enterprise Canada s’est appropriée.

Le second élément qu’il faut établir dans la présente action en imitation frauduleuse est que les défendeurs ont fait une fausse déclaration au public. C’est le cas lorsque l’usage d’une marque de commerce ou d’un nom commercial est susceptible de causer de la confusion dans l’esprit du public en laissant croire qu’il existe un lien d’affaire entre les demandeurs et les défendeurs. Telle a été la conclusion dans l’arrêt Walt Disney Productions v. Triple Five Corp. et al. (1994), 149 A.R. 112 (C.A.). Bien entendu, en l’espèce, il n’y a aucun litige sur la question de savoir si oui ou non l’usage de la marque de commerce et du nom commercial « Enterprise » causera de la confusion puisque chacune des parties aux présentes emploie le même nom commercial et la même marque de commerce, et que chaque partie soutient que l’usage par l’autre partie du nom commercial et de la marque de commerce cause une confusion.

Il n’est pas nécessaire que le demandeur établisse que le défendeur était de mauvaise foi pour prouver l’imitation frauduleuse mais, bien entendu, la mauvaise foi est un facteur. Lord Lindley, dans l’arrêt Slazenger & Sons v. Feltham & Co. (2) (1889), 6 R.P.C. 531 (Ch. D.) dit ceci, à la page 538 :

[traduction] Il faut faire preuve de bon sens et, si on conclut que la personne avait l’intention de tromper si possible, je ne crois pas qu’il soit exagéré de conclure que la personne a réussi à l’occasion ou qu’elle pourrait réussir. Pour quelle raison serions-nous bien avisés de conclure que cette personne ne peut réussir alors qu’elle tente par tous les moyens d’atteindre son but?

Comme je l’ai déjà dit, l’explication qu’a donnée M. Singer du changement de nom de Watermark Investments Inc. à Enterprise Canada n’est pas digne de foi. Les mesures prises par les compagnies dont M. Singer était propriétaire relativement à l’emploi du nom « Enterprise » étaient, à mon avis, davantage un moyen d’éliminer la concurrence que la simple intention de changer la dénomination sociale de l’entreprise. Certes, la Cour n’a pas à tirer de conclusion à l’égard des mobiles de Enterprise Canada, mais il est ressort clairement de la preuve que les agissements des défenderesses dans la présente affaire sont, à tout le moins, suspects. Cette affaire se distingue des affaires Bousquet c. Barmish Inc. (1991), 37 C.P.R. (3d) 516 (C.F. 1re inst.); confirmée (1993), 46 C.P.R. (3d) 510 (C.A.F.) et Marineland c. Marine Wonderland & Animal Park Ltd., [1974] 2 C.F. 558(1re inst.), où le titulaire d’une marque de commerce étrangère devait établir que la marque de commerce de l’entreprise canadienne devait être annulée. La mauvaise foi dont l’entreprise canadienne avait fait montre en vue d’obtenir la marque de commerce n’était pas pertinente dans cette affaire. Il incombait toujours au propriétaire de la marque étrangère d’établir un motif d’annulation. Dans les affaires d’imitation frauduleuse, l’intention n’est pas pertinente. Ce qui importe, c’est l’existence antérieure de l’achalandage ou de la réputation.

Le troisième élément dont il faut démontrer l’existence pour avoir gain de cause dans une action en imitation frauduleuse est que la fausse déclaration du défendeur a causé ou est susceptible de causer un dommage aux demandeurs. Dans ce type d’affaire, où le préjudice subi par le demandeur est causé à son achalandage, les dommages sont intangibles. Dans l’arrêt Orkin, précité, à la page 748, le juge Morden, J.C.A. a dit ceci au sujet des dommages :

[traduction] Sans dommage, il n’y a pas d’imitation frauduleuse. Cet argument se trouve entièrement réfuté par l’allégation que Orkin a subi un dommage suffisant pour fonder une cause d’action contre Pestco. Elle n’exerce aucun contrôle sur l’impact de sa marque de commerce en Ontario et sera peut-être empêchée d’employer cette marque de commerce si elle tente de percer le marché ontarien—voilà les conséquences de l’emploi du nom « Orkin » par Pestco en Ontario.

En l’espèce, puisque Enterprise U.S. a démontré à la fois qu’elle avait une réputation au Canada qu’il valait la peine de protéger et que l’usage irrégulier du nom et de la marque de commerce « Enterprise » par Enterprise Canada avait été tel qu’il avait causé de la confusion dans l’esprit du public quant à cette réputation, il en découle que, par suite des ces agissements, Enterprise U.S. a perdu le contrôle sur l’emploi de son nom et de sa marque. Ce type de dommage suffit à fonder une action en imitation frauduleuse. Le montant des dommages-intérêts découlant de cette violation des droits de Enterprise U.S. ne sera pas déterminé aux présentes, cette question faisant l’objet d’un renvoi. Toutefois, la réputation limitée dont jouit Enterprise U.S. au Canada constituera un facteur important dans cette détermination.

Pour ces motifs, je conclus que Enterprise U.S. a démontré l’existence des trois éléments nécessaires pour réussir dans son action en imitation frauduleuse contre Enterprise Canada. Pour reprendre les termes de l’alinéa 7b), Enterprise U.S. a établi que les défenderesses ont appelé l’attention du public sur leurs services ou leur entreprise de manière à causer de la confusion au Canada, lorsqu’elles ont commencé à y appeler ainsi l’attention, entre leurs services ou leur entreprise et les services ou l’entreprise de Enterprise U.S.

Dans son action, la demanderesse conclut également à la responsabilité personnelle de Herbert et Rhoda Singer. Toutefois, comme il a été dit dans l’arrêt Mentmore Manufacturing Co., Ltd. et al. c. National Merchandising Manufacturing Co. Inc. et al. (1978), 89 D.L.R. (3d) 195 (C.A.F.), aux pages 204 et 205 :

À mon avis, il existe toutefois certainement des circonstances à partir desquelles il y a lieu de conclure que ce que visait l’administrateur ou le dirigeant n’était pas la conduite ordinaire des activités de fabrication et de vente de celle-ci, mais plutôt la commission délibérée d’actes qui étaient de nature à constituer une contrefaçon ou qui reflètent une indifférence à l’égard du risque de contrefaçon. De toute évidence, il est difficile de formuler précisément le critère approprié. Il convient de pouvoir dans chaque cas apprécier toutes les circonstances pour déterminer si celles-ci entraînent la responsabilité personnelle. Les termes dans lesquels le premier juge a formulé le critère qu’il a adopté sont peut-être critiquables—« s’est délibérément, ou de façon téméraire, lancé dans certaines opérations en se servant de la compagnie comme instrument, dans le but de s’assurer des profits ou une clientèle qui appartenait de droit aux demanderesses »—mais je ne saurais conclure que, sur l’essentiel, ce critère était erroné. Je ne saurais non plus conclure que les faits de la présente affaire sont tels qu’il y a manifestement lieu à responsabilité personnelle aux yeux de la loi.

À mon avis, la demanderesse n’a pas satisfait à la norme établie dans l’arrêt Mentmore, précité, en ce qui a trait aux allégations formulées contre Rhoda et Herbert Singer. Aucun élément de preuve ne permet en effet de conclure que ceux-ci ont agi, de quelque façon que ce soit, d’une manière qui sortait du cadre ordinaire des activités d’un dirigeant ou d’un administrateur. Par conséquent, les actions contre Herbert et Rhoda Singer sont rejetées.

Nous allons maintenant examiner les arguments des défenderesses. M. Singer a fondé la compagnie Discount en 1980 et l’entreprise a tout de suite connu du succès. Celle-ci est ensuite devenue la principale entreprise de location d’automobiles de remplacement au Canada. M. Singer a déclaré n’avoir pas entendu le nom « Enterprise » en liaison avec les entreprises de location d’automobiles aux États-Unis avant 1990. Je ne puis accepter ce témoignage; il n’est pas raisonnable, en effet, qu’une personne qui suit d’aussi près les activités de ses concurrents que M. Singer ne connaisse pas la principale entreprise américaine de location d’automobiles de remplacement, surtout que Discount est elle-même la principale entreprise de ce type dans le marché canadien. Avant 1993, Enterprise Canada se contentait d’estampiller le nom « Enterprise » sur les contrats de Discount. Toutefois, puisque le mot « Enterprise » était estampillé sous le nom « Discount », là où le franchisé inscrit habituellement le nom de sa société, le client ne prêtait probablement pas attention au nom « Enterprise »; il avait l’impression de faire affaires avec Discount. Les décalques comportant le nom « Enterprise » apposés sur la façade des établissements Discount ne suffiraient pas à faire connaître le nom de « Enterprise » à ces endroits. M. Singer a tenté d’expliquer que le mot « Enterprise » apparaissait sur la porte des établissements Discount de la même manière que le mot « Sears » apparaît à divers endroits dans les établissements Budget, notamment sur les portes. Mais dans ce cas, l’intention de Budget est d’attirer les clients de Sears qui ont une carte de crédit de cette compagnie, et non de faire croire que Sears exploite un commerce de location d’automobiles.

Les défendeurs n’ont employé, de manière significative, le nom commercial et la marque de commerce « Enterprise » que dans les annonces placées dans les Pages jaunes de l’annuaire et dans les sept établissements autonomes de location d’automobiles de Enterprise Canada, dont au moins un existait entre février 1993 et octobre 1994. Les sept établissements de location d’automobiles autonomes n’étaient pas tous ouverts pendant cette période. Je constate que l’ouverture de ces établissements autonomes a eu lieu bien après la réception par M. Singer d’une mise en demeure de M. Taylor de Enterprise U.S., datée du 19 mai 1992. À mon avis, Enterprise Canada n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a employé le nom et la marque de commerce « Enterprise » de manière à acquérir un achalandage significatif rattaché à ce nom et à cette marque de commerce; par conséquent, je ne puis conclure que Enterprise Canada a réussi à faire la preuve du bien-fondé de son recours contre Enterprise U.S. sous le régime de l’alinéa 7b ), étant donné surtout ma conclusion que Enterprise U.S. avait déjà, au moment où Enterprise Canada a commencé à employé le nom et la marque de commerce « Enterprise », généré un minimum d’achalandage au Canada.

Enterprise Canada soutient que Enterprise U.S. a contrevenu à l’alinéa 7a) de la Loi, lequel dispose :

7. Nul ne peut :

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer une entreprise, les marchandises ou les services d’un concurrent;

Dans l’arrêt MacDonald, précité, le juge en chef Laskin s’est exprimé comme suit à la page 147 :

Par exemple, l’al. a) du par. 7 vise l’équivalent du délit de diffamation par dénigrement ou par fausse déclaration préjudiciable, même si l’élément de malice, ou plutôt l’intention de causer du tort sans motif ou excuse raisonnable …

Dans l’arrêt S. & S. Industries Inc. v. Rowell, [1966] R.C.S. 419, qu’invoque la Cour dans l’arrêt MacDonald, précité, le juge Martland a dit ceci relativement à l’alinéa 7a), à la page 425 :

[traduction] À mon avis, l’al. a) de l’art. 7, selon sa signification normale, donne, dans les circonstances spécifiées, un droit d’action pour des déclarations qui sont, de fait, fausses et la malice ou l’absence de malice n’est à considérer que dans l’évaluation des dommages.

En l’espèce, Enterprise Canada soutient que Enterprise U.S. a violé les dispositions de l’alinéa 7a) de deux façons distinctes. La première violation s’est produite lors de la rencontre entre MM. Brugger et Nevedal en 1993, lorsque M. Nevedal a avisé M. Brugger que le nom « Enterprise » était utilisé illégalement à Toronto et que Enterprise U.S. avait obtenu une ordonnance judiciaire afin de mettre fin à cette situation. Enterprise Canada invoque les propos suivants du juge Strayer dans la décision Riello Can. Inc. c. Lambert (1986), 8 C.I.P.R. 286 (C.F. 1re inst.), à la page 304 :

Il est évident que malgré les déclarations sans équivoque que lui a envoyées la demanderesse concernant sa conviction que son brevet ne violait pas celui du défendeur, ce dernier a faire des déclarations dans sa lettre du 26 septembre 1983 (voir Pièce P-13) à au moins deux clients de la demanderesse, à savoir les Pétroles Motoco et Kalil Pétroles Inc. qui exprimaient clairement que les brûleurs de la demanderesse violaient son brevet et qu’ils seraient obligés de lui payer des droits raisonnables sur les ventes des brûleurs Riello. Le défendeur a admis avoir envoyé une telle lettre. Eu égard à ce qui précède, il est évident que ces déclarations étaient fausses ou trompeuses selon les termes de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce. Même si j’estimais qu’il serait possible d’affirmer que le défendeur n’avait pas de motif raisonnable de croire que ces déclarations étaient vraies, la Cour suprême a décidé en tout cas dans l’affaire S. & S. Industries Inc. c. Rowell, [1966] R.C.S. 419, 33 Fox Pat. C. 56, 48 C.P.R. 193, aux p. 202 à 203, qu’il n’était pas nécessaire que la demanderesse prouve la mauvaise foi ou l’absence de croyance raisonnable de la part du défendeur dans une action intentée en vertu de cet alinéa.

Je n’ai pas davantage de difficulté à décider que les déclarations du défendeur tendaient à discréditer l’entreprise et les marchandises de la demanderesse.

Enterprise Canada soutient que la situation en l’espèce est la même que dans l’affaire Riello, précitée, puisque, dans les deux cas, les dommages-intérêts ont fait l’objet d’un renvoi. Dans l’arrêt Riello, précité, la Cour a ajouté ceci, à la page 305 :

Pour établir la responsabilité en cas de préjudice, il est évidemment nécessaire de prouver qu’une certaine perte a découlé de l’acte préjudiciable (comme l’a indiqué la décision S. & S., précitée, à la p. 197). Étant donné que la question de la preuve du préjudice en l’espèce a été laissée de côté pour être déterminée à la suite d’une référence, je n’ai pas de base en ce moment pour décider qu’un préjudice s’est produit. Ma décision actuelle consiste à dire que le défendeur a fait des déclarations fausses ou trompeuses au sens de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce et que si, à la suite de la référence, une perte réelle de la part de la défenderesse est prouvée, le défendeur devra la compenser sous forme de dommages et intérêts payables en vertu de l’article 53 de la Loi.

Vu la preuve offerte, j’estime que l’échange entre MM. Nevedal et Brugger ne constitue pas une déclaration qui aurait pour effet de discréditer l’entreprise ou les services de Enterprise Canada. Cette conversation était amicale et M. Nevedal ne s’exprimait pas au nom des dirigeants de Enterprise U.S. Au surplus, je crois que même si la déclaration de M. Nevedal était inexacte étant donné que Enterprise U.S. n’avait pas obtenu d’ordonnance judiciaire, cette déclaration avait trait à la nature des relations juridiques entre Enterprise Canada et Enterprise U.S. et ne discréditait pas l’entreprise, les marchandises ou les services d’un concurrent au sens de l’alinéa 7a). La réputation de Enterprise Canada n’a d’aucune façon été compromise par cette déclaration, d’après le témoignage de M. Brugger, puisque ce dernier a continué de faire affaires avec l’entreprise comme il l’avait toujours fait.

La seconde façon dont Enterprise Canada prétend que Enterprise U.S. a enfreint l’alinéa 7a) concerne l’utilisation du symbole ® aux agences de location de Windsor, Edmonton, Calgary et Vancouver. Ce symbole était utilisé avec le logo « e » sur les affiches extérieures. Depuis l’automne 1994, Enterprise U.S. appose le symbole ® sur ses affiches extérieures à côté du logo « e » et quelquefois à côté du nom « Enterprise » dans quatre villes de la Colombie-Britannique. Les contrats de location utilisés et distribués par l’établissement de Windsor de Enterprise U.S. entre février et octobre 1993 portaient le symbole ®. en rapport avec le logo « e ». Les porte-clefs utilisés à cet endroit portent également le symbole ®. Ni le nom « Enterprise » ni le logo « e » ne sont déposés au Canada. M. Smith, directeur de la publicité de Enterprise U.S., a admis qu’il savait que Enterprise U.S. ne devait pas utiliser ce symbole au Canada. Enterprise Canada prétend qu’il s’agit là d’un usage irrégulier du symbole ® qui a pour effet d’indiquer au public que la marque de commerce a été déposée au Canada. Les défenderesses n’ayant pas le droit d’utiliser le nom « Enterprise », leurs entreprises, marchandises ou services n’ont subi aucun préjudice par suite de l’emploi, par Enterprise U.S., du symbole ®. Enterprise Canada n’a soumis aucun élément de preuve visant à démontrer qu’elle avait subi un préjudice du fait de l’usage par Enterprise U.S. du symbole ®. À mon avis, l’emploi, par Enterprise U.S., du symbole ® ne saurait constituer une déclaration trompeuse ayant pour effet de discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services de Enterprise Canada. Sous le régime de l’alinéa 7a), le demandeur doit établir un préjudice (voir M & I Door Systems Ltd. c. Indoco Industrial Door Co. (1989), 25 C.I.P.R. 199 (C.F. 1re inst.)). Or, Enterprise Canada n’a établi aucun préjudice sous le régime de l’alinéa 7a).

À titre subsidiaire, Enterprise Canada prétend que si Enterprise U.S. réussit en vertu de l’alinéa 7b), elle n’a pas droit à une injonction au motif que cette dernière demande un redressement en equity à cette Cour alors qu’elle n’est pas sans reproche tel qu’en font foi ses déclarations trompeuses au sens de l’alinéa 7a). Enterprise Canada fonde son argument sur l’arrêt Brewster Transport Co. Ltd. v. Rocky Mountain Tours & Transport Co. Ltd., [1931] R.C.S. 336. Dans cette affaire, la demanderesse réclamait une injonction interdisant aux défenderesses d’employer le même nom commercial qu’elle. L’injonction a été refusée au motif que la conduite de la demanderesse n’était pas irréprochable. Comme en l’espèce, la principale question en litige dans l’affaire Brewster, précitée, était de savoir qui, de la demanderesse ou des défenderesses, avait le droit d’utiliser le nom commercial en cause. Le juge en chef Anglin de la Cour suprême a dit ceci [à la page 339] :

[traduction] … il appert de la preuve que la demanderesse a employé ce nom à des fins commerciales sachant que l’entreprise américaine et ses filiales l’utilisaient déjà énormément tant aux États-Unis qu’au Canada et que la réputation de la American Royal Blue Line permettrait très certainement à la demanderesse de s’attirer une importante clientèle en utilisant ce nom, clientèle qu’elle n’aurait certainement pas obtenue autrement. Cela, à mon avis, constitue l’emploi d’un nom de manière à induire le public en erreur de sorte que son emploi par la demanderesse ne saurait être qualifié de régulier.

À mon avis, vu la preuve soumise, l’affaire Brewster, précitée, présente davantage d’analogies avec les agissements de Enterprise Canada qu’avec ceux de Enterprise U.S. Les défenderesses ont en effet tenté d’empêcher Enterprise U.S. de s’installer au Canada en prenant les moyens précédemment décrits dans le but de s’approprier le nom « Enterprise ». Les deux comportements qu’elles mettent en cause sont ultérieurs à leurs propres agissements. À mon avis, c’est Enterprise Canada qui ne s’est pas présentée devant la Cour les « mains nettes ».

Enterprise U.S. et Enterprise Canada demandent toutes deux une mesure de redressement à peu près identique, savoir un jugement déclarant que chacune est titulaire, au Canada, de toute marque de commerce ou de tout nom commercial comportant le mot « Enterprise » en liaison avec la location ou le crédit-bail d’automobiles ou des services semblables. La compétence de la Cour fédérale pour rendre un tel jugement lui est conférée par l’article 20 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 37, art. 34)], concurremment à sa compétence en matière de marques de commerce en vertu de la Loi. C’est la décision qui a été rendue dans Royal Doulton, précité, où le juge Strayer a dit ceci, à la page 374 :

Les demanderesses veulent en outre une déclaration selon laquelle Paragon [traduction] « est le titulaire de la marque de commerce « Victoriana Rose » pour son emploi en liaison avec de la vaisselle de porcelaine ». Notons que, telle que formulée, la mesure de redressement demandée ne comporte pas le droit à l’enregistrement. Je pense que la présente Cour peut faire une telle déclaration si on lui a soumis toute la preuve nécessaire. Je crois qu’elle a ce pouvoir en vertu de l’article 20 de la Loi sur la Cour fédérale , qui lui accorde une compétence concurrente « dans tous les autres cas où l’on cherche à obtenir un redressement en vertu d’une loi du Parlement du Canada, ou de toute autre règle de droit relativement à … une marque de commerce … » La Loi sur les marques de commerce, aux articles 1 à 11, définit et prescrit plusieurs règles relatives aux marques de commerce et à leur adoption, sans mentionner les règles relatives à l’enregistrement.

Se fondant sur la preuve soumise, le juge Stayer a refusé de rendre le jugement demandé.

Il faut distinguer le jugement relatif à la propriété d’une marque de commerce et le jugement relatif au droit d’enregistrer une marque de commerce. En adoptant la Loi, le Parlement a établi une procédure détaillée en vertu de laquelle le registraire des marques de commerce peut décider de l’opportunité d’enregistrer une marque au nom d’une personne ou d’une entreprise. Encore une fois, dans la décision Royal Doulton, précitée, le juge Strayer, abordant la question de savoir s’il devait substituer une partie à une autre à titre de titulaire d’une marque déposée, écrit, aux pages 373 et 374 :

Si l’on examine l’esprit de la Loi sur les marques de commerce, et plus particulièrement la procédure visant l’obtention de l’enregistrement d’une marque de commerce, on constate que le Parlement envisageait l’examen de chaque déposant et, en l’espèce, Paragon China Limited ne s’est pas soumise à cette procédure. L’article 29 de la Loi, surtout, exige que le demandeur fournisse un grand nombre de renseignements au registraire, renseignements que n’a pas fournis Paragon China Limited en l’espèce. Mentionnons également l’annonce prévue à l’article 36 et la procédure d’opposition à l’enregistrement prévue à l’article 37, qui ne sont pas intervenues dans le cas présent. À mon avis, ces procédures doivent être suivies pour tout enregistrement projeté, peu importe qu’une autre demanderesse, Cassidy’s Ltée, se soit déjà conformée à ces procédures en ce qui concerne la même marque de commerce. Rien dans la Loi, ni dans la jurisprudence, ne justifie d’interpréter le pouvoir qu’a la Cour de modifier le registre comme comprenant le pouvoir d’ordonner la substitution involontaire, contrairement à un transfert d’un détenteur à un autre auquel consent le demandeur d’une marque de commerce.

Bien entendu, un jugement relatif au droit à la propriété de la marque de commerce « Enterprise » au Canada ne saurait influer sur la détermination du droit à l’enregistrement de cette marque de commerce. Cette position est confirmée par la récente décision Copperhead Brewing Co. c. John Labatt Ltée. (1995), 61 C.P.R. (3d) 317 (C.F. 1re inst.) où, dans le cadre d’une action en imitation frauduleuse, la demanderesse avait invoqué dans sa déclaration et ses conclusions sa demande d’enregistrement pendante de la marque de commerce « Copperhead ». La Cour était saisie d’une requête de la défenderesse visant la radiation de certains paragraphes de la déclaration modifiée. La demanderesse a demandé qu’il soit déclaré qu’elle avait été la première à adopter une marque de commerce ou un nom commercial comprenant le mot « Copper », et qu’elle pouvait indiquer, dans sa demande d’enregistrement de la marque de commerce « Copperhead », qu’elle employait cette marque en liaison avec de la bière depuis au moins le 8 octobre 1993. Le juge Teitelbaum, en décidant qu’il convenait de radier les paragraphes contestés, a distingué cette affaire de la décision Royal Doulton, précitée, s’exprimant ainsi, à la page 325 :

Étant donné les remarques du juge Strayer, la Cour ne conteste pas l’idée que la demanderesse peut, dans certaines circonstances, avoir le droit d’obtenir un jugement déclaratoire sur la propriété de la marque non enregistrée « Copperhead ». Toutefois, il est également clair que ce jugement déclaratoire ne doit pas se rapporter à la question du droit à l’enregistrement. Après une lecture plus attentive de l’alinéa 18b), la Cour est d’avis que la demanderesse demande un jugement déclaratoire portant qu’elle a été la première à adopter une marque de commerce ou un nom commercial comprenant l’élément « copper » en tant que constatation de fait, ce qui, selon la Cour, est une situation fort différente de celle que le juge Strayer a examinée dans l’affaire Royal Doulton. En outre, en demandant pareil jugement déclaratoire, la demanderesse donne en fait au registraire des instructions émanant de la Cour sur des faits que le registraire doit constater ou trancher en premier lieu en ce qui a trait au caractère enregistrable d’une marque de commerce. À ce stade-ci, la Cour reconnaît qu’il ne lui appartient pas de faire pareille constatation ou de rendre pareille décision dans le cadre d’une action en commercialisation trompeuse, et que pareille constatation ne serait d’aucune utilité pour résoudre la question de la commercialisation trompeuse entre les parties. De même, en ce qui a trait à l’alinéa 18c), c’est au registraire qu’il appartient en premier lieu de trancher la question de savoir quand la demanderesse a été la première à utiliser la marque de commerce ou le nom commercial.

À mon avis, la présente affaire n’en est pas une dans laquelle il serait opportun de rendre un jugement relatif à la propriété de la marque de commerce « Enterprise » au Canada. J’ajouterais que tant les demanderesses que les défenderesses demandent présentement l’enregistrement au Canada de la marque de commerce « Enterprise ». Étant donné ma conclusion eu égard aux recours en imitation frauduleuse, les faits en cause ne permettent pas de déclarer que Enterprise Canada a droit à la propriété de la marque « Enterprise » au Canada. L’action en imitation frauduleuse de Enterprise U.S. est bien fondée mais, à l’instar du juge Teitelbaum, j’estime qu’un jugement relatif à la propriété d’une marque de commerce dans ce type d’action ne serait d’aucune utilité pour trancher les allégations que les parties font valoir l’une contre l’autre. Certes, la mesure de redressement demandée au juge Teitelbaum diffère sensiblement de celle demandée en l’espèce; néanmoins, je suis convaincu que toute déclaration relative à la propriété de la marque de commerce « Enterprise » constituerait une atteinte au pouvoir discrétionnaire du registraire des marques de commerce de se prononcer sur les demandes pendantes d’enregistrement de cette marque au Canada. Je fais miens les propos du juge Teitelbaum selon lesquels une telle déclaration équivaudrait à une directive enjoignant au registraire de tirer une conclusion de fait conforme au jugement de la Cour. Compte tenu des faits en cause et de la nature des procédures soumises à la présente Cour, j’estime qu’il serait préférable de laisser au registraire le soin de décider qui pourra enregistrer la marque de commerce « Enterprise » au Canada et, par voie de conséquence, qui en est le titulaire. Par conséquent, je n’exercerai pas mon pouvoir discrétionnaire de rendre un tel jugement.

En conformité avec les conclusions auxquelles j’en arrive dans la présente affaire, je prononcerai contre les défenderesses :

a) Un jugement déclaratoire portant que les défenderesses n’ont pas le droit d’utiliser les marques de commerce « Enterprise » ou « Enterprise Rent-a-Car » ou le nom commercial « Enterprise Rent-a-Car », ou toute marque de commerce semblable créant de la confusion au Canada en liaison avec des services de location ou de crédit-bail d’automobiles et de camions ou toute autre service semblable;

b) Une injonction permanente interdisant aux défenderesses et à leurs administrateurs, dirigeants, employés, mandataires, titulaires de licence ainsi qu’à toutes les personnes sur lesquelles elles exercent un contrôle, directement ou indirectement :

(i) d’annoncer, d’offrir ou de fournir au Canada des services de location ou de crédit-bail d’automobiles ou de camions ou des services similaires en liaison avec toute marque de commerce ou nom commercial qui comprend le mot « Enterprise »;

(ii) d’appeler l’attention du public sur les services ou l’entreprise de location d’automobiles ou de camions des défenderesses de manière à causer de la confusion entre ces services et l’entreprise et ceux des demanderesses sous la marque de commerce « Enterprise »;

(iii) de faire passer leurs services et leur entreprise pour ceux des demanderesses ou de l’une d’elles en utilisant des marques de commerce et noms commerciaux qui comprennent le mot « Enterprise » et en juxtaposant des marques de commerce qui comprennent le mot « Enterprise » et les marques de commerce « Discount »;

(iv) d’agir de manière à porter les clients et le public en général à croire qu’il existe un lien ou un accord de licence entre les demanderesses ou l’une d’elles et les défenderesses ou l’une d’elles, en tentant de démontrer qu’il y a un lien entre les défenderesses et les demanderesses par l’emploi de marques de commerce et par les déclarations des défenderesses affirmant qu’elles sont associées à l’entreprise américaine qui utilise la marque de commerce « Enterprise ».

c) Une ordonnance enjoignant aux défenderesses de remettre ou de détruire sous serment tout matériel, notamment les étiquettes, affiches, documents publicitaires, documents imprimés se trouvant en la possession ou sous le contrôle de l’une d’elles, portant des marques de commerce ou des noms commerciaux qui comprennent le mot « Enterprise », ou toute autre pièce qui enfreindrait l’injonction accordée aux présentes.

Si les avocats ne peuvent en arriver à une entente relative aux dépens, je serai disposé à les entendre.

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