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[1996] 3 C.F. 539

96-T-13

Atlantic Oil Workers Union (requérant)

c.

Directeur des enquêtes et recherches, Bureau de la politique de concurrence et Ultramar Canada Inc. (intimés)

Répertorié : Atlantic Oil Workers Union c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Bureau de la politique de concurrence) (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay— Halifax, 13 février; Ottawa, 7 juin 1996.

Pratique Modification des délais Requête en prorogation du délai prévu pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du directeur des enquêtes et recherches selon laquelle Ultramar avait rempli ses engagements et pouvait fermer la raffinerie de Dartmouth (Nouvelle-Écosse)La demande avait été présentée tardivement parce que l’avocat du syndicat avait mal compris le calcul du délai pendant les vacances de NoëlIl n’existe pas de chance raisonnable d’obtenir gain de cause dans une affaire défendableLe critère applicable au contrôle d’une décision administrative discrétionnaire est celui de la décision manifestement déraisonnable.

Droit administratif Contrôle judiciaire Requête en prorogation du délai prévu pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du directeur des enquêtes et recherches selon laquelle Ultramar avait rempli ses engagements et pouvait fermer la raffinerieLe critère applicable au contrôle d’une décision administrative discrétionnaire est celui de la décision manifestement déraisonnable.

L’intimée, Ultramar Canada Inc., a acquis la raffinerie de Dartmouth (Nouvelle-Écosse) de la Compagnie Pétrolière Impériale Limitée par suite d’une ordonnance par consentement rendue par le Tribunal de la concurrence au mois de février 1990. L’ordonnance autorisait le directeur à approuver l’acquisition de la raffinerie et d’autres éléments d’actif, sous réserve des conditions générales énoncées dans l’ordonnance. L’acquisition de la raffinerie par Ultramar a par la suite été approuvée après que celle-ci eut pris envers le directeur intimé, en septembre 1990, certains engagements écrits, notamment celui d’exploiter la raffinerie pendant au moins sept ans, sauf en cas de changement défavorable important. Au mois d’octobre 1993, Ultramar s’est également engagée, dans le cas où elle informerait le directeur de son intention de cesser d’exploiter la raffinerie avant l’expiration de la période de sept ans, à offrir en vente la raffinerie sans imposer de restriction déraisonnable quant au prix et à fournir au directeur des données permettant de déterminer s’il existait un intérêt raisonnable, légitime et soutenu de la part d’une partie viable en ce qui a trait au maintien de la raffinerie comme entreprise en pleine exploitation au Canada. Les engagements d’octobre 1993 prévoyaient qu’Ultramar respecterait ses engagements si elle établissait de façon jugée satisfaisante par le directeur qu’elle a publiquement offert en vente la raffinerie sans imposer de restriction déraisonnable quant au prix et qu’il n’existait aucune manifestation légitime d’intérêt quant à l’achat de la raffinerie et au maintien de son exploitation. En mai 1994, Ultramar a avisé le directeur qu’elle avait l’intention de fermer la raffinerie. En septembre 1994, le procureur général de la Nouvelle-Écosse a demandé à la Cour de prononcer une ordonnance interdisant au directeur de rendre une décision sur la question du changement défavorable important. Lorsque Ultramar a fermé la raffinerie en octobre 1994, la province a déposé une deuxième demande de contrôle judiciaire devant la Cour afin d’obtenir une ordonnance enjoignant au directeur de forcer Ultramar à continuer d’exploiter la raffinerie. Les deux demandes ont été rejetées au mois d’août 1995. En octobre 1995, le directeur a conclu qu’il y avait eu un changement défavorable important et, au mois de décembre 1995, il a rendu une décision dans laquelle il concluait qu’Ultramar avait respecté les engagements pris en octobre 1993, car elle avait publiquement offert en vente la raffinerie sans imposer de restriction déraisonnable quant au prix et qu’il n’existait aucune manifestation légitime d’intérêt quant à l’achat de la raffinerie et au maintien de son exploitation.

Le syndicat avait l’intention de demander le contrôle judiciaire de la décision du directeur, mais il l’a fait tardivement en raison d’une méprise sur la façon de calculer le délai pendant les vacances de Noël. Il s’agit d’une requête en prorogation du délai prévu pour la présentation de cette demande, fondée sur le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale.

Jugement : la requête doit être rejetée.

Le requérant ne satisfait pas aux conditions applicables à l’octroi de la prorogation du délai prévu pour le dépôt d’une demande.

En l’espèce, il a été reconnu que le requérant avait l’intention de présenter la demande en temps voulu et qu’il n’avait pas abandonné cette intention. Toutefois, il n’a pas démontré qu’il avait une cause soutenable et une chance raisonnable d’avoir gain de cause.

L’argument selon lequel le directeur avait manqué à son obligation d’agir équitablement (le défaut du directeur de fournir au syndicat l’ensemble de la preuve avant de rendre sa décision) a fait l’objet de brefs commentaires. Rien dans la preuve n’indique que le syndicat ait jamais demandé à examiner l’ensemble de la preuve soumise au directeur. De plus, l’existence de ce droit n’a pas été établie en l’espèce. Même si ce motif avait été régulièrement soumis, il ne donnerait aucune chance raisonnable de succès.

La Cour hésiterait à intervenir à moins d’être convaincue que les décisions sont manifestement déraisonnables, c’est-à-dire qu’elles ne s’appuient sur aucun élément de preuve ou principe juridique pertinent. C’est particulièrement vrai lorsqu’on ne peut pas dire que les décisions sont en corrélation avec la compétence du directeur, mais concernent plutôt des questions qui relèvent manifestement du pouvoir décisionnel discrétionnaire qu’il exerce en vertu de la loi habilitante et des conditions des ententes auxquelles il a donné son aval en vue de l’acquisition de la raffinerie par Ultramar, y compris les engagements pris par écrit par cette dernière.

Essentiellement, le requérant prétend que puisque l’ordonnance par consentement de février 1990 du Tribunal de la concurrence définit la raffinerie comme les installations de raffinage et les installations terminales et de mouillage connexes incluant une capacité de stockage, le directeur a eu tort de conclure qu’Ultramar s’est conformée aux engagements qu’elle a pris en 1993 d’offrir publiquement en vente la raffinerie, étant donné qu’elle n’a pas inclus les installations terminales et de mouillage et la capacité de stockage connexe dans l’ensemble qu’elle a offert en vente comme étant la raffinerie. L’examen de la décision n’étaye pas un tel argument. Il existait déjà deux décisions, l’une rendue par le Tribunal de la concurrence et l’autre par la Cour, qui avaient conclu que les engagements pris par Ultramar envers le directeur ne faisaient pas partie de l’ordonnance par consentement de 1990 et que les conditions de cette ordonnance ne constituaient pas la source du pouvoir de ce dernier en ce qui a trait aux engagements pris par Ultramar. Par conséquent, la pratique de l’industrie n’était pas sans pertinence. En outre, les engagements peuvent être contestés ou exécutés uniquement par l’une des deux parties visées, à savoir le directeur et Ultramar. Lorsque ces deux parties s’entendent sur leur interprétation, la Cour ne peut pas souscrire à une interprétation différente émanant d’autres parties. Par conséquent, le requérant n’a pu démontrer que la décision rendue par le directeur après avoir examiné l’ensemble d’éléments d’actif offert en vente était manifestement déraisonnable, et il n’avait aucune chance raisonnable d’avoir gain de cause en plaidant ce motif de contrôle judiciaire.

Le syndicat fait également valoir que le directeur a commis une erreur en concluant qu’Ultramar a respecté son engagement d’offrir publiquement en vente la raffinerie sans imposer de restriction déraisonnable quant au prix. Il soutient qu’en omettant d’indiquer le prix auquel elle était disposée à vendre la raffinerie, Ultramar a imposé une restriction déraisonnable quant aux prix en refusant de le divulguer complètement. On ne peut, dans les circonstances de la présente espèce, qualifier de restriction déraisonnable quant au prix le défaut d’Ultramar de fixer un prix de départ.

On ne peut pas dire non plus que la conclusion du directeur voulant qu’il n’existe aucune manifestation d’un intérêt légitime en ce qui a trait au maintien en exploitation de la raffinerie était déraisonnable.

Bien que la norme générale veuille que la considération sous-jacente en pareil cas soit la question de savoir si, dans les circonstances, la prorogation du délai prévu pour former un recours est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties, elle n’oblige pas la Cour à déroger à la règle législative fondamentale qui limite ce délai si elle conclut que le requérant, sur la base des éléments de preuve et des arguments présentés au soutien de la demande de prorogation, n’a aucune cause soutenable et n’a aucune chance raisonnable de succès dans une demande de contrôle judiciaire.

Si l’objectif des travailleurs syndiqués de retourner travailler à la raffinerie doit se réaliser, ce sera à la suite de décisions rendues non pas par les tribunaux, mais par d’autres parties.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19).

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 28(2).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1618 (édictée par DORS/92-43, art. 19).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Grewal c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 C.F. 263 (1985), 63 N.R. 106 (C.A.); LeBlanc c. Banque nationale du Canada, [1994] 1 C.F. 81(1re inst.); Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354; Gingras c. Canada, [1990] 2 C.F. 68 (1990), 69 D.L.R. (4th) 55 (1re inst.); Canada (Loi sur la concurrence : Directeur des enquêtes et recherches) c. Imperial Oil Limited, [1994] D.T.C.C. no 23 (QL); Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Ultramar Canada Inc., [1995] 3 C.F. 713 (1995), 127 D.L.R. (4th) 517; 63 C.P.R. (3d) 161 (1re inst.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Bialski c. Conseil national de recherches du Canada (1994), 81 F.T.R. 98 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Canada (Directeur des enquêtes et recherches : Loi sur la concurrence) c. Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, [1990] D.T.C.C. no 3 (QL).

DEMANDE d’ordonnance fondée sur le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, visant la prorogation du délai applicable au dépôt d’une demande de contrôle judiciaire. Demande rejetée.

AVOCATS :

Kimberly H. W. Turner pour le requérant.

Michael F. Donovan pour l’intimé—Directeur des enquêtes et recherches, Bureau de la politique de concurrence.

Michael S. Koch pour l’intimée—Ultramar Canada Inc.

PROCUREURS :

Pink Breen Larkin, Halifax, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé—Directeur des enquêtes et recherches, Bureau de la politique de concurrence.

Smith, Lyons, Torrance, Stevenson & Mayer, Toronto, pour l’intimée — Ultramar Canada Inc.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge MacKay : Il s’agit en l’espèce d’une requête présentée par l’Atlantic Oil Workers Union, Local 1 (le requérant ou le syndicat), en vertu du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] (la Loi), en vue d’obtenir une ordonnance prorogeant le délai de présentation d’une demande de contrôle judiciaire. S’il obtient la permission demandée, le syndicat sollicite le contrôle et l’annulation par voie d’ordonnance de la décision rendue par le directeur des enquêtes et recherches intimé du Bureau de la politique de concurrence (le directeur) le 14 décembre 1995.

Dans sa décision, le directeur a statué que l’intimée Ultramar a respecté les engagements qu’elle a pris envers lui le 25 octobre 1993, c’est-à-dire qu’elle a établi de façon jugée satisfaisante par le directeur qu’elle avait cherché à offrir publiquement en vente sa raffinerie de pétrole située à Dartmouth (Nouvelle-Écosse) sans imposer de restriction déraisonnable quant au prix, et qu’il n’existait aucune manifestation légitime d’intérêt quant à l’achat de la raffinerie et au maintien de son exploitation. Il s’agit de la décision dont le syndicat cherche à obtenir l’annulation au moyen d’une demande de contrôle judiciaire.

Le paragraphe 18.1(2) de la Loi dispose :

18.1

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance … à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

Aucune demande n’a été présentée dans le délai de présentation de trente jours parce qu’un avocat du requérant a mal compris comment ce délai serait calculé pendant les vacances de Noël à la fin de l’année, comme celui-ci le reconnaît franchement dans un affidavit. Le syndicat, qui avait l’intention de présenter une demande en temps voulu, ne l’a pas fait uniquement à cause de cette méprise.

Le 25 janvier 1996, le requérant a présenté une demande de contrôle judiciaire datée du 5 janvier 1996 dans le dossier T-208-96 et, présumant que l’affaire pourrait suivre son cours, a indiqué des motifs de contrôle judiciaire dans l’avis de requête introductive d’instance. L’avocat de l’intimée Ultramar a exprimé l’opinion que la demande avait été présentée hors délai. Le syndicat a alors présenté une requête distincte fondée sur le paragraphe 18.1(2) de la Loi afin d’obtenir l’autorisation de se pourvoir en justice et, le même jour, soit le 2 février 1996, il a déposé un avis de désistement dans le dossier T-208-96. L’audition de cette requête en prorogation de délai, qui est datée du 2 février 1996 et a été déposée le même jour, a eu lieu à Halifax le 13 février. Les motifs indiqués dans l’avis de requête en prorogation de délai sont [traduction] « que ces prorogations de délai sont prévues à l’article 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale et qu’il est opportun d’accorder une prorogation dans les circonstances de l’espèce ».

L’audition de la requête a été fixée au 13 février 1996, date à laquelle les avocats du requérant et de l’intimée Ultramar ont été entendus. Le conseiller juridique du directeur était présent, mais le directeur n’a pas pris position sur la demande. Quelque temps plus tard, les avocats du syndicat et de l’intimée Ultramar ont présenté des observations écrites portant sur des questions soulevées à l’audience. Après avoir examiné les arguments qui ont été présentés à l’audience et les observations écrites qui ont été fournies en mars, je suis d’avis de rejeter la requête visant à obtenir une prorogation du délai de présentation d’une demande de contrôle judiciaire. L’ordonnance que je rends est motivée brièvement ci-après.

Il est admis que les principes généraux qui s’appliquent à une prorogation du délai de présentation d’une demande sont ceux qui sont exposés dans l’affaire Grewal c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 C.F. 263(C.A.). Quoique cette affaire se rapporte à ce qui était alors le paragraphe 28(2) de la Loi [S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10], le libellé de cette disposition est similaire à celui du paragraphe 18.1(2) actuel. Dans cette affaire, le juge en chef Thurlow, qui prononçait les motifs au nom de la Cour d’appel, a notamment déclaré (aux pages 272 et 277) :

… on doit tout d’abord se demander si … la prorogation du délai est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties.

… il faut notamment se demander si le requérant avait, dans le délai de 10 jours, l’intention de présenter sa demande et s’il a toujours eu cette intention par la suite. Tout abandon de cette intention, tout relâchement ou défaut du requérant de poursuivre cette fin avec la diligence qui pouvait raisonnablement être exigée de lui ne pourrait que nuire considérablement à ses chances d’obtenir la prorogation. La longueur de la période pour laquelle la prorogation est exigée et la question de savoir si cette prorogation causerait un préjudice à la partie adverse et, si c’est le cas, la nature de ce préjudice, sont également pertinentes.

L’avocat du syndicat se reporte à l’affaire Bialski c. Conseil national de recherches du Canada (1994), 81 F.T.R. 98 (C.F. 1re inst.), dans laquelle l’avocat du requérant a commis une erreur similaire à celle de l’avocat du syndicat dans la présente espèce au sujet du calcul du délai de présentation d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi. Dans Bialski, ma collègue Mme le juge Reed a accordé une prorogation de délai parce que le requérant a fourni une explication raisonnable du retard et qu’il avait une cause soutenable. Dans cette affaire, l’intimé s’est opposé à la prorogation de délai en invoquant l’argument d’ordre juridictionnel selon lequel la décision litigieuse n’aurait pas été rendue par un office fédéral dans l’exercice d’un pouvoir expressément conféré par la loi. Mme le juge Reed n’a pas souscrit à cet argument, et aucun débat n’a eu lieu sur la cause soutenable qu’aurait eu le requérant ou sur ses chances d’avoir gain de cause dans la demande qu’il cherchait à présenter.

Dans la présente espèce, l’intimée Ultramar reconnaît que le requérant avait l’intention de présenter la demande en temps voulu et qu’il n’avait pas abandonné cette intention. Ultramar ne conteste pas le fait que le retard du syndicat repose sur une explication raisonnable. Elle admet que, en temps normal, la décision du directeur ferait l’objet d’un contrôle judiciaire. Ultramar fait toutefois valoir que le syndicat n’a pas démontré qu’il a une cause soutenable et qu’il a une chance raisonnable d’avoir gain de cause dans une demande de contrôle judiciaire de la décision du directeur. Ce critère, ainsi formulé, est énoncé dans la décision rendue par la Cour dans l’affaire LeBlanc c. Banque nationale du Canada, [1994] 1 C.F. 81(1re inst.), à la page 92 :

Bien que cette Cour n’ait pas, lorsqu’elle examine une demande de prorogation de délai, à apprécier de façon définitive le bien-fondé des arguments du requérant, elle doit être persuadée, comme l’enseigne clairement la jurisprudence, que ce dernier a une cause soutenable et qu’il a une chance raisonnable d’avoir gain de cause.

On ne sait pas encore si ce critère, tel qu’il est formulé dans cette décision, serait reconnu par la Cour d’appel. Il convient de signaler que le requérant et l’intimée Ultramar acceptent tous deux cette formulation du critère pour le règlement du présent litige. Je fais également remarquer que mes collègues ont formulé ce critère de manière un peu différente dans de récentes décisions, c’est-à-dire que le requérant doit établir qu’il a des motifs soutenables et qu’il a une chance raisonnable de succès, une cause défendable, pour se voir accorder une prorogation de délai par la Cour. Bien que, concrètement, cela puisse revenir au même, cette dernière tournure reflète peut-être plus fidèlement la jurisprudence actuelle.

Dans l’affaire LeBlanc, après avoir examiné la preuve dont je disposais, je suis arrivé à la conclusion que le requérant n’avait pas prouvé qu’il avait une chance raisonnable d’avoir gain de cause, et je n’ai accordé aucune prorogation de délai. Dans la présente espèce, la thèse de l’intimée Ultramar repose sur l’argument qui veut que les éléments de preuve soumis à la Cour à l’audition de la requête et les observations écrites que le syndicat a présentées par la suite ne démontrent pas que celui-ci a une cause soutenable et que la demande de contrôle judiciaire a une chance raisonnable de succès.

L’intimée a en outre donné à entendre qu’elle subirait un préjudice si la requête en prorogation de délai était accueillie parce qu’il lui faudrait répondre à cette requête, ce qui représenterait une troisième réponse dans une instance ayant trait à la raffinerie, et cette instance, en partie, soulève des questions similaires à celles qui ont déjà été tranchées. Cet argument serait valable uniquement s’il est établi que le requérant n’a aucune chance raisonnable d’avoir gain de cause s’il présente une demande de contrôle judiciaire. Si le requérant a une chance de succès, le seul préjudice que subirait l’intimée résiderait dans les frais de l’instance et, à mon avis, pareil risque ne constitue pas un préjudice pour l’intimée si le requérant a une chance raisonnable d’avoir gain de cause. Par ailleurs, je suis d’accord avec le requérant pour dire que l’octroi d’une prorogation de délai ne représente pas un préjudice véritable pour Ultramar car sa situation ne serait pas pire que si la demande avait été présentée à temps.

Il est peut-être utile de rappeler quelques-uns des faits ayant mené à la décision du directeur qui donne lieu aux observations des parties sur la question de savoir si le syndicat a une chance raisonnable d’avoir gain de cause s’il obtient la permission de se pourvoir en justice.

Le requérant, l’Atlantic Oil Workers Union, Local 1, représente les employés de la raffinerie d’Eastern Passage qu’Ultramar Canada Inc. exploitait à Dartmouth (Nouvelle-Écosse). Cette personne morale s’est portée acquéreur de la raffinerie à la suite d’une ordonnance par consentement en date du 6 février 1990 [Canada (Directeur des enquêtes et recherches : Loi sur la concurrence) c. La Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, [1990] D.T.C.C. no 3 (QL)] par laquelle le Tribunal de la concurrence a obligé l’ancien exploitant de la raffinerie, la Compagnie Pétrolière Impériale Limitée, à se dessaisir de certains éléments d’actif dans la région de l’Atlantique, dont la raffinerie d’Eastern Passage. L’ordonnance autorisait le directeur à approuver l’acquisition de la raffinerie et d’autres éléments d’actif, sous réserve des conditions générales prévues dans l’ordonnance du Tribunal.

L’acquisition de la raffinerie par Ultramar a par la suite été approuvée après que celle-ci eut pris envers le directeur intimé, en septembre 1990, certains engagements écrits, notamment celui d’exploiter la raffinerie pendant au moins sept ans, sauf en cas de changement défavorable important. Le 25 octobre 1993, Ultramar s’est également engagée par écrit, dans le cas où elle informerait le directeur de son intention de cesser d’exploiter la raffinerie avant l’expiration de la période de sept ans, à offrir en vente la raffinerie sans imposer de restriction déraisonnable quant au prix et à fournir au directeur des données permettant de déterminer s’il existait un intérêt raisonnable, légitime et soutenu de la part d’une partie viable en ce qui a trait au maintien de la raffinerie comme entreprise en pleine exploitation au Canada. Les engagements d’octobre 1993 prévoyaient qu’Ultramar respecterait ses engagements si elle établissait de façon jugée satisfaisante par le directeur qu’elle a publiquement offert en vente la raffinerie sans imposer de restriction déraisonnable quant au prix et qu’il n’existait aucune manifestation légitime d’intérêt quant à l’achat de la raffinerie et au maintien de son exploitation.

En mai 1994, Ultramar a avisé le directeur qu’elle était arrivée à la conclusion qu’il y avait eu un changement défavorable important et qu’elle avait l’intention de fermer la raffinerie. Le syndicat a cherché à soulever des questions au sujet de cette décision devant le Tribunal de la concurrence, mais celui-ci a statué qu’il n’avait pas compétence dans cette affaire. (Voir : Canada (Loi sur la concurrence : Directeur des enquêtes et recherches) c. Imperial Oil Limited, [1994] D.T.C.C. no 23 (QL), motifs de la décision concernant la compétence relative aux engagements, par le juge Rothstein.) En septembre 1994, le procureur général de la Nouvelle-Écosse, qui agissait au nom de la province, a déposé auprès de la Cour une demande visant à obtenir une ordonnance interdisant au directeur de rendre une décision sur la question du changement défavorable important. Lorsqu’Ultramar a fermé la raffinerie en octobre 1994, la province a déposé auprès de la Cour une deuxième demande de contrôle judiciaire afin d’obtenir une ordonnance enjoignant au directeur de forcer Ultramar à continuer d’exploiter la raffinerie. Les deux demandes ont été entendues en même temps au début de 1995, et ont toutes deux été rejetées par des ordonnances datées du 31 août 1995 [Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Ultramar Canada Inc., [1995] 3 C.F. 713(1re inst.)].

En octobre 1995, le directeur a conclu qu’il y avait eu un changement défavorable important au sens des engagements pris par Ultramar en 1990. Il a ensuite accepté des observations au sujet du respect des engagements pris par Ultramar en octobre 1993. Dans des observations qu’il a présentées de vive voix et par écrit au directeur sur cette question, le syndicat a affirmé qu’Ultramar ne s’était pas conformée à ces engagements. Le 14 décembre 1995, le directeur a rendu une décision dans laquelle il concluait qu’Ultramar avait respecté les engagements pris en octobre 1993. Il s’agit évidemment de la décision visée par la demande de contrôle et d’annulation que le syndicat déposera si la Cour fait droit à la présente requête en prorogation de délai.

Il ne s’agit pas de statuer de façon définitive, à ce stade-ci, sur le bien-fondé du redressement que sollicite le requérant par voie de contrôle judiciaire, s’il est autorisé à se pourvoir en justice en présentant sa demande tardivement, mais il est nécessaire de l’évaluer afin de déterminer, lorsqu’il s’agit d’une affaire contestée comme c’est le cas en l’espèce, si le requérant a établi qu’il a une chance raisonnable de succès, une cause défendable.

La première difficulté qui se pose réside dans le fait que les motifs de redressement ne sont pas exposés de façon circonstanciée dans la requête en prorogation de délai du requérant, qui dispose simplement :

[traduction] Les motifs de la requête sont que ces prorogations de délai sont prévues au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale et qu’il est opportun d’accorder une prorogation dans les circonstances de l’espèce.

L’affidavit présenté au soutien de la requête, qui a été signé et déposé le 2 février 1996 par un avocat du syndicat, Me Roberts, fait allusion aux motifs de redressement uniquement dans les termes suivants :

[traduction] 12. J’ai informé l’Atlantic Oil Workers Union, Local 1, que le directeur des enquêtes et recherches a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire et a outrepassé sa compétence dans la décision qu’il a rendue le 14 décembre 1995 en appliquant une définition de la « raffinerie d’Eastern Passage » qui différait de celle qu’a appliquée le Tribunal de la concurrence.

26. À mon avis, la demande de l’Atlantic Oil Workers Union, Local 1, soulève des motifs soutenables et a une chance raisonnable de succès au fond.

Je me propose de considérer l’excès de compétence présumé, auquel aurait donné lieu l’application d’une définition de la raffinerie qui diffère de celle qu’a appliquée le Tribunal de la concurrence, comme principal motif invoqué au soutien de la demande de contrôle judiciaire.

D’autres motifs, qui ne sont pas soutenus par une mention directe dans la preuve par affidavit, sont invoqués dans la présente espèce, et comme les parties les ont traités dans leurs observations orales et écrites, je me propose de les examiner aussi. Deux motifs supplémentaires sont exposés dans les observations écrites du requérant, en date du 13 février 1996, et ont été évoqués à l’audition de la demande ce jour-là; ils étaient exposés dans l’avis de requête introductive d’instance qui a été retiré dans le dossier T-208-96. Ils figuraient également parmi les questions abordées dans des observations écrites, jointes comme pièce D à l’affidavit de Me Roberts, qui ont été présentées au directeur au nom du syndicat avant que le directeur ne rende sa décision, et ils sont développés dans des observations écrites en date du 5 mars 1996 que le requérant a présentées au soutien de la présente requête en prorogation de délai. Ces deux motifs sont que le directeur a outrepassé sa compétence en concluant que l’intimée Ultramar a offert en vente la raffinerie [traduction] « sans imposer de restriction déraisonnable quant au prix », comme le prévoyait l’engagement pris en 1993, et en concluant en outre qu’il n’existait aucun intérêt légitime et soutenu de la part d’un acheteur potentiel en ce qui a trait à l’achat de la raffinerie et au maintien de son exploitation. Enfin, il est question d’un troisième motif supplémentaire dans les observations écrites du requérant, en date du 5 mars 1996, à savoir que le directeur aurait manqué à son obligation d’équité procédurale en statuant que l’intimée Ultramar a respecté l’engagement pris en 1993, sans avoir fourni au requérant tous les éléments de preuve dont il disposait pour lui permettre de les examiner avant le prononcé de la décision attaquée.

Je n’ai pas l’intention d’examiner le dernier motif proposé, c’est-à-dire le défaut du directeur de fournir au syndicat l’ensemble de la preuve avant de rendre sa décision. Ce motif n’est mentionné ni dans la requête en prorogation de délai, ni dans l’affidavit de Me Roberts, ni dans les pièces jointes à ce document. Il n’y a rien dans la preuve dont j’ai été saisi qui me permet de croire que le syndicat requérant, qui a présenté des observations aussi bien de vive voix que par écrit au directeur avant qu’il ne rende sa décision, a jamais demandé à quelque moment que ce soit à examiner l’ensemble de la preuve soumise au directeur et, partant, rien ne permet de conclure que ce dernier a refusé de fournir quelque renseignement que ce soit. Par ailleurs, ce motif implique un droit qu’aurait le requérant d’examiner tous les renseignements fournis au directeur, et l’existence de ce droit n’a pas été établie en l’espèce. Dans une décision antérieure portant sur un contrôle judiciaire visant à empêcher le directeur de rendre une décision sur les engagements pris par Ultramar en 1990, une question similaire a été soulevée par la requérante, à savoir la province de la Nouvelle-Écosse, qu’appuyait le syndicat. J’ai statué dans cette affaire que le directeur, dans l’exercice du pouvoir administratif discrétionnaire que lui confère la loi habilitante, était libre de concevoir des mécanismes pour régler les questions relevant de ce pouvoir discrétionnaire. (Voir : Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Ultramar Canada Inc., [1995] 3 C.F. 713 (1re inst.).) En accord avec cette décision, je n’inférerais pas dans la présente espèce que le directeur était légalement tenu de fournir aux parties intéressées l’ensemble de la preuve dont il disposait pour leur permettre de faire des commentaires avant qu’il ne rende sa décision.

En raison de ces considérations, la possibilité d’un manquement à l’équité dans la procédure suivie par le directeur en l’espèce n’a pas été régulièrement soumise à la Cour en tant que motif de contrôle judiciaire. Même si elle l’avait été, j’estime qu’elle ne donnerait aucune chance raisonnable de succès à une demande présentée par le requérant en vue du contrôle judiciaire de la décision du directeur en litige.

Avant de passer à l’examen des chances de succès du requérant en ce qui a trait aux autres motifs de contrôle judiciaire qui sont invoqués, j’estime utile de reproduire les passages pertinents des engagements pris par Ultramar en octobre 1993 et de la décision par laquelle le directeur a conclu que ces engagements ont été respectés. Il est également utile de se reporter brièvement à la norme à respecter dans une demande de contrôle judiciaire comme celle-ci.

Dans la lettre en date du 25 octobre 1993 qu’elle a adressée au directeur, Ultramar a pris [traduction] « de nouveaux engagements envers le directeur relativement à l’acquisition par Ultramar Canada Inc. des éléments d’actif de Texaco situés dans la région de l’Atlantique dont Impériale s’était portée acquéreur », et la personne morale intimée a notamment déclaré :

[traduction] La présente a pour objet de confirmer que, si Ultramar Canada Inc. avise le directeur, conformément aux engagements du 24 septembre 1990, d’une mesure qui compromettra l’exploitation de la raffinerie, notamment si elle informe le directeur de son intention de cesser de l’exploiter avant l’expiration de la période de sept ans prévue dans les engagements du 24 septembre 1990, Ultramar fournira au directeur, après avoir examiné la question avec celui-ci, des données permettant de déterminer s’il existe encore un intérêt raisonnable et légitime de la part d’une partie viable en ce qui a trait au maintien de la raffinerie comme entreprise en pleine exploitation au Canada. Pour se conformer à cet engagement, Ultramar devra établir, à la satisfaction du directeur, qu’elle a publiquement offert en vente la raffinerie sans imposer de restriction déraisonnable quant au prix et qu’il n’existe aucune manifestation légitime d’intérêt quant à l’achat de la raffinerie et au maintien de son exploitation.

Dans la lettre en date du 14 décembre 1995 qu’il a envoyée à Ultramar et qui a été distribuée à d’autres parties intéressées, dont le syndicat requérant, le directeur a notamment fait part de sa décision ainsi qu’il suit :

[traduction] J’ai examiné la question de savoir si Ultramar s’est acquittée de l’obligation qui lui incombe en vertu de l’engagement pris en 1993 de déterminer s’il existe un intérêt en ce qui a trait au maintien de l’exploitation de la raffinerie au Canada. Pour examiner cette question, j’ai tenu compte des observations soumises par Ultramar, ainsi que des observations présentées par l’Atlantic Oil Workers Union et Scotia Synfuels Limited. J’ai également demandé conseil à un spécialiste de l’industrie, M. K. Brown.

Selon les renseignements dont je dispose, Ultramar a mené une campagne publique de marketing visant à offrir en vente les unités de traitement de la raffinerie et a déclaré qu’elle mettrait à la disposition de l’acheteur la capacité nécessaire au terminal et donnerait accès aux installations de mouillage de manière à permettre l’exploitation de la raffinerie à des conditions commerciales. Ultramar a assujetti la vente à l’obligation de prendre la raffinerie « en l’état », ce qui veut dire que l’acheteur devrait se charger de la remise en œuvre requise et accorder à Ultramar une garantie d’indemnisation suffisante contre toute responsabilité contre l’atteinte à l’environnement sur le site. Ultramar n’a fixé aucun prix de départ pour les éléments d’actif et a indiqué qu’elle étudierait les offres. Une trousse d’information a été fournie aux acheteurs potentiels intéressés et une salle de lecture a été aménagée afin de leur permettre de prendre connaissance de renseignements plus complets sur la raffinerie.

La campagne de marketing n’a pas attiré beaucoup d’acheteurs potentiels. Il n’y a eu que quatre visiteurs à la salle de lecture et que trois acheteurs intéressés, dont deux se sont désistés. Le troisième acheteur intéressé est Scotia Synfuels Limited, dont il est question ci-dessous.

Dans leurs observations, les parties intéressées ont soutenu que l’offre d’Ultramar ne visait que les unités de traitement, ce qui ne constitue pas un ensemble d’éléments d’actif suffisant pour se conformer aux engagements. Ces parties font valoir que la vente de la raffinerie devrait englober les installations terminales et de mouillage, comme c’était le cas lorsqu’Ultramar a acheté la raffinerie en 1990. Elles affirment en outre que les efforts faits par Ultramar pour vendre la raffinerie ont été insuffisants, en particulier eu égard au refus de celle-ci de fixer un prix et d’offrir en vente l’installation complète avant que n’aient lieu les derniers pourparlers avec Scotia. Elles prétendent enfin que le prix de départ, lorsqu’il a finalement été fixé, était déraisonnable.

Ayant examiné tous ces arguments, je suis d’avis que l’ensemble d’éléments d’actif était suffisant. Il existe un précédent dans l’industrie pétrolière en ce qui a trait aux achats d’installations de raffinage sans titre de propriété sur les installations terminales et de mouillage requises. L’utilisation de ces installations peut être réglée et l’a été au moyen d’ententes commerciales excluant la propriété.

En ce qui concerne la campagne de marketing menée par Ultramar, il ne fait aucun doute que les acheteurs potentiels ont été mis au courant de la vente et des conditions qui s’y rattachaient. La vente a été annoncée dans les revues spécialisées et les journaux appropriés. La trousse d’information a été distribuée à plus d’une centaine d’acheteurs potentiels, et plus de deux cents acheteurs potentiels ont été personnellement avisés de la vente. Les renseignements dont je dispose montrent bien que tous les acheteurs probables connus de la raffinerie ont été mis au courant de la vente.

Comme il est précisé ci-dessus, seulement quatre visiteurs se sont rendus à la salle de lecture et la seule partie encore intéressée à se porter acquéreur des éléments d’actif est Scotia Synfuels Limited. L’offre de Scotia porte sur les unités de traitement ainsi que sur les installations terminales et de mouillage. Le prix offert est inférieur au prix qu’Ultramar juge acceptable pour l’ensemble des éléments d’actif, et l’offre renferme des conditions qu’elle considère inacceptables. En particulier, l’offre précise qu’Ultramar se chargera de la remise en œuvre requise ou acceptera un prix moins élevé si Scotia s’en charge. En outre, l’offre prévoit des plafonds spécifiques en ce qui a trait à la responsabilité de Scotia quant aux coûts de la remise en œuvre requise et à la responsabilité future contre toute atteinte à l’environnement.

Selon moi, l’intérêt manifesté par Scotia Synfuels ne répond pas aux exigences des engagements … Tout compte fait, je ne considère pas l’intérêt manifesté par Scotia comme un intérêt légitime en ce qui a trait au maintien de la raffinerie comme entreprise en pleine exploitation au Canada.

Compte tenu des renseignements dont je dispose, je suis d’avis qu’Ultramar a respecté les engagements qu’elle a pris en 1993 et qui consistent à offrir publiquement en vente la raffinerie sans imposer de restriction déraisonnable quant au prix, et qu’il n’existe aucune manifestation légitime d’intérêt quant à l’achat de la raffinerie et au maintien de son exploitation.

S’agissant de l’examen des chances du requérant d’avoir gain de cause par rapport à l’un ou l’autre des motifs de contrôle judiciaire invoqués, il importe de ne pas oublier la norme de contrôle qui s’applique dans les circonstances de l’espèce.

Les parties conviennent que la fonction du directeur en litige est une fonction administrative discrétionnaire, que le directeur exerce dans le cadre de son rôle en matière d’enquête sur des activités commerciales et de mise en œuvre de la politique de concurrence. Il s’agit d’une fonction spéciale exercée par un fonctionnaire ayant des connaissances et des responsabilités particulières dans le cadre du pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi. Dans la présente espèce, cette fonction comporte la détermination de faits et l’examen de l’application des engagements d’Ultramar à ces faits. La Cour hésiterait à intervenir dans l’exercice de cette fonction, à moins d’être convaincue non seulement que les décisions rendues par le directeur sont déraisonnables, c’est-à-dire que la Cour pourrait avoir tiré une conclusion différente à partir de la preuve soumise au directeur, mais qu’elles sont manifestement déraisonnables, c’est-à-dire qu’elles ne s’appuient sur aucun élément de preuve ou principe juridique pertinent. C’est particulièrement vrai lorsqu’on ne peut pas dire que les décisions sont en corrélation avec la compétence du directeur, mais concernent plutôt des questions qui relèvent manifestement du pouvoir décisionnel discrétionnaire qu’il exerce en vertu de la loi habilitante et des conditions des ententes auxquelles il a donné son aval en vue de l’acquisition de la raffinerie par Ultramar, y compris les engagements pris par écrit par cette dernière.

Dans l’affaire Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8, le juge McIntyre, qui s’exprimait au nom de la Cour, a fait les remarques suivantes :

C’est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s’ingérer dans l’exercice qu’un organisme désigné par la loi fait d’un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

Dans l’affaire Gingras c. Canada, [1990] 2 C.F. 68 (1re inst.), à la page 88, mon collègue le juge Dubé a résumé en ces termes la jurisprudence canadienne relative au critère applicable dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision administrative discrétionnaire :

Les cours canadiennes à tous les niveaux ont réaffirmé à maintes reprises les critères interdépendants élaborés dans Padfield. À l’instar de la Chambre des lords, elles ont également conclu qu’une autorité administrative abuse de son pouvoir lorsqu’elle agit pour des fins impropres, autres que celles prévues par la loi, ou selon des principes erronés ou en tenant compte des considérations étrangères à la loi et non pertinentes, ou en omettant de tenir compte des considérations pertinentes, ou de façon arbitraire, déraisonnable ou discriminatoire. [Renvois omis.]

Ces décisions expriment en termes courants dans le domaine du contrôle judiciaire de décisions administratives des exemples particuliers de circonstances qui peuvent être collectivement qualifiées de manifestement déraisonnables, c’est-à-dire la norme qui doit être établie pour justifier l’intervention de la Cour sur la base des motifs invoqués dans la présente espèce.

Le principal motif qui serait invoqué pour obtenir le contrôle judiciaire de la décision attaquée est ainsi formulé dans les observations écrites du requérant en date du 5 mars 1996 (à la page 25) :

[traduction] … le directeur a commis une erreur en acceptant une définition modifiée de la « raffinerie » qui va à l’encontre de l’entente liant toutes les parties et de l’ordonnance par consentement en date du 6 février 1990 rendue par le Tribunal de la concurrence. L’intimée Ultramar ne peut pas avoir respecté l’engagement du 25 septembre 1993 en offrant en vente seulement une partie de la raffinerie. Le directeur a en outre commis une erreur en tenant compte de considérations dénuées de pertinence comme la pratique de l’industrie en ce qui a trait à la vente de raffineries, plutôt que des conditions expresses de l’engagement pris le 25 septembre 1993.

En gros, le requérant prétend que puisque l’ordonnance par consentement de février 1990 du Tribunal de la concurrence définit la raffinerie comme les installations de raffinage et les installations terminales et de mouillage connexes incluant une capacité de stockage, le directeur a eu tort de conclure qu’Ultramar s’est conformée aux engagements qu’elle a pris en 1993 d’offrir publiquement en vente la raffinerie étant donné qu’elle n’a pas inclus les installations terminales et de mouillage et la capacité de stockage connexe dans l’ensemble qu’elle a offert en vente comme la raffinerie.

Ultramar soutient que l’examen de la décision du directeur ne corrobore pas l’affirmation du syndicat selon laquelle le directeur n’a pas appliqué la définition de la raffinerie qui est donnée dans l’ordonnance par consentement de 1990 du Tribunal. Il ressort de cette décision que le directeur a pris en considération les observations des parties intéressées selon lesquelles la [traduction] « vente de la raffinerie devrait englober les installations terminales et de mouillage, comme c’était le cas lorsqu’Ultramar a acheté la raffinerie en 1990 », mais que celui-ci était convaincu que l’ensemble d’éléments d’actif offert en vente était suffisant. Le directeur mentionne également dans sa décision, en ce qui a trait à la campagne publique de marketing dont la raffinerie a fait l’objet, qu’Ultramar a offert en vente [traduction] « les unités de traitement de la raffinerie et a indiqué qu’elle mettrait à la disposition de l’acheteur la capacité nécessaire au terminal et donnerait accès aux installations de mouillage de manière à permettre l’exploitation de la raffinerie à des conditions commerciales ». À mon avis, le syndicat n’a pas eu tort de supposer qu’Ultramar n’a pas offert en vente toute la raffinerie décrite dans l’ordonnance par consentement de 1990. Même si des pourparlers ont eu lieu en octobre 1995 avec Scotia Synfuels relativement à l’achat de toute la raffinerie et du terminal, il me paraît évident à la lecture de la décision du directeur que les efforts de marketing faits par Ultramar avant ces pourparlers se rapportaient aux installations de traitement, à l’exclusion des installations terminales et de mouillage.

Cependant, le raisonnement du syndicat relativement à son principal motif de contrôle judiciaire serait subordonné à la conclusion que le directeur était tenu d’accepter la définition de la raffinerie d’Eastern Passage contenue dans l’ordonnance par consentement de 1990 lorsqu’il a examiné la question de savoir si Ultramar a respecté ses engagements. Dans les observations qu’il a présentées le 5 mars 1996, le syndicat soutient :

[traduction] … le directeur n’a tenu aucun compte de la définition de la raffinerie qui liait toutes les parties à l’ordonnance par consentement rendue par le Tribunal de la concurrence, et Ultramar en tant que futur acheteur aux termes de cette ordonnance. Le requérant reconnaît que les engagements ne font pas partie de l’ordonnance par consentement, mais n’eût été cette ordonnance, aucun engagement n’aurait été pris. Le directeur tire son pouvoir vis-à-vis des engagements des conditions de l’ordonnance par consentement. La définition de la « raffinerie » contenue dans l’ordonnance par consentement régit le règlement de la question de savoir si l’intimée Ultramar a respecté l’engagement pris le 25 septembre 1993.

À mon avis, il s’agit d’un motif qui n’a aucune chance raisonnable de succès s’il était débattu à fond dans une demande de contrôle judiciaire. Comme l’avocat d’Ultramar le fait remarquer, il existe déjà deux décisions, l’une rendue par le Tribunal de la concurrence et l’autre par la Cour, qui ont conclu que les engagements pris par Ultramar envers le directeur ne font pas partie de l’ordonnance par consentement de 1990 et que les conditions de cette ordonnance, bien qu’elles fournissent un cadre général pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire que la Loi sur la concurrence [L.R.C. (1985), ch. C-34], confère au directeur, ne constituent pas la source du pouvoir de ce dernier en ce qui a trait aux engagements pris par Ultramar. La source du pouvoir du directeur à cet égard est la loi habilitante et les engagements eux-mêmes. (Voir : Canada (Loi sur la concurrence : Directeur des enquêtes et recherches) c. Imperial Oil Limited, précité, et Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Ultramar Canada Inc., précité, aux pages 746 à 750.)

Selon moi, la thèse du requérant, qui veut que la définition de la raffinerie prévue dans l’ordonnance par consentement lie le directeur pour ce qui est de déterminer si Ultramar a respecté ses engagements, repose sur un sous-entendu, à savoir que le pouvoir du directeur en ce qui a trait aux engagements découle de l’ordonnance par consentement. Comme cette idée a déjà été rejetée à deux reprises, j’estime que le syndicat n’a aucune chance raisonnable d’avoir gain de cause si cet argument était plaidé une fois de plus.

Le syndicat soutient en outre que le directeur a outrepassé sa compétence en tenant compte de facteurs touchant la pratique de l’industrie qui étaient dénués de pertinence pour déterminer si l’ensemble d’éléments d’actif offert en vente comme la raffinerie par Ultramar était suffisant. Cet argument est dans une large mesure étroitement lié à l’idée que les engagements pris par Ultramar en 1993, et l’examen du respect de ces engagements par le directeur, exigeaient que la raffinerie offerte en vente par Ultramar corresponde à la définition donnée dans l’ordonnance par consentement de 1990. S’il ne s’agit pas d’une condition, ce qui me paraît être le cas, on peut difficilement soutenir que la pratique de l’industrie est sans importance.

Qui plus est, comme je l’ai déclaré dans l’affaire Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Ultramar Canada Inc., précitée, à la page 750, de par leur nature, les engagements de 1990 et de 1993 ont été pris envers le directeur et Ultramar a explicitement convenu qu’ils constituaient un contrat entre elle et le directeur. Les engagements jouent un rôle particulier dans les arrangements qui ont été pris, mais, en définitive, ils peuvent être contestés ou exécutés uniquement par l’une des deux parties visées, à savoir le directeur et Ultramar. Lorsque ces deux parties s’entendent sur leur interprétation, la Cour ne peut pas souscrire à une interprétation différente émanant d’autres parties, même si elles sont profondément intéressées par l’affaire, sauf peut-être dans des circonstances exceptionnelles, dont aucune n’a été mentionnée en l’espèce.

Je ne suis pas convaincu que le requérant peut démontrer que la décision rendue par le directeur après avoir examiné l’ensemble d’éléments d’actif offert en vente comme la raffinerie par Ultramar à la lumière des engagements pris par cette dernière en 1993 est manifestement déraisonnable. Par conséquent, j’estime que le requérant n’a aucune chance raisonnable d’avoir gain de cause en plaidant ce motif de contrôle judiciaire.

Le syndicat a soulevé un autre motif de contrôle judiciaire dans la demande versée au dossier T-208-96 qui a été retirée et dans ses observations écrites en date du 5 mars 1996. Il fait valoir que le directeur a commis une erreur en concluant qu’Ultramar a respecté l’engagement qu’elle a pris d’offrir publiquement en vente la raffinerie sans imposer de restriction déraisonnable quant au prix.

Le fondement de l’erreur alléguée par le syndicat réside dans l’opinion selon laquelle Ultramar, en omettant d’indiquer le prix auquel elle était disposée à vendre la raffinerie, a imposé une restriction déraisonnable quant aux prix en refusant de le divulguer complètement. Le syndicat a soumis cet argument au directeur dans les observations écrites qu’il lui a présentées avant le prononcé de la décision, mais il prétend maintenant que le directeur ne l’a pas examiné et a commis une erreur dans la décision qu’il a rendue.

Je ne suis pas convaincu qu’on puisse dire que le directeur n’a fait aucun cas de cet argument. Dans sa décision, il fait allusion aux observations présentées par le syndicat, parmi d’autres, mais pas à cet argument en particulier. Sa décision renferme également les remarques suivantes :

[traduction] … Ultramar n’a fixé aucun prix de départ pour les éléments d’actif et a indiqué qu’elle étudierait les offres.

Elles [les parties intéressées] affirment en outre que les efforts faits par Ultramar pour vendre la raffinerie ont été insuffisants, en particulier eu égard au refus de celle-ci de fixer un prix et d’offrir en vente l’installation complète avant que n’aient lieu les derniers pourparlers avec Scotia…

J’en déduis que le directeur était au courant de cette question qui a été soulevée par le syndicat. Le fait qu’il n’en a pas parlé dans sa décision n’est pas, en soi, un motif qui justifierait la Cour d’intervenir en l’espèce, car aucune preuve ni aucun argument n’a été offert au soutien de la conclusion que la décision du directeur serait manifestement déraisonnable relativement à cet aspect des efforts faits par Ultramar pour vendre la raffinerie et de ses engagements, c’est-à-dire que la raffinerie a été offerte en vente sans restriction déraisonnable quant au prix. Selon moi, on ne peut pas qualifier de restriction déraisonnable quant au prix le défaut d’Ultramar de fixer un prix de départ, à moins qu’il n’existe une tendance générale voulant que la fixation d’un prix de départ soit une norme en ce qui concerne la vente de raffineries, ou que le défaut de fixer un prix n’ait limité indûment des acheteurs intéressés sur le marché, ou encore qu’un autre facteur pouvant être considéré comme ayant un effet défavorable ne soit jugé déraisonnable. Rien ne permet d’établir l’existence de l’une de ces circonstances ou d’un autre motif permettant de conclure que le directeur, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, a rendu une décision manifestement déraisonnable.

Enfin, le requérant prétend que le directeur a eu tort de conclure qu’il n’existait aucune manifestation légitime d’intérêt quant à l’achat de la raffinerie et au maintien de son exploitation.

Dans sa décision, le directeur examine les efforts de marketing d’Ultramar et l’intérêt suscité par l’achat de la raffinerie. Il arrive à la conclusion qu’il ne fait aucun doute [traduction] « que tous les acheteurs probables connus de la raffinerie ont été mis au courant de la vente », et personne ne conteste cette conclusion. Malgré tout, il n’y a eu, en fin de compte, qu’un seul acheteur potentiel qui s’est intéressé sérieusement à la raffinerie, à savoir Scotia Synfuels Limited. Dans sa décision, le directeur aborde cet intérêt et les conditions s’y rattachant. Après avoir résumé ses motifs, il arrive à la conclusion suivante : [traduction] « Tout compte fait, je ne considère pas l’intérêt manifesté par Scotia comme un intérêt légitime en ce qui a trait au maintien de la raffinerie comme entreprise en pleine exploitation au Canada », et il ajoute que, selon lui, [traduction] « il n’existe aucune manifestation légitime d’intérêt quant à l’achat de la raffinerie et au maintien de son exploitation ».

Le principal moyen invoqué par le syndicat lorsqu’il affirme que cette conclusion est erronée est que le prix de départ qu’Ultramar a fixé vers la fin du processus était déraisonnable et que le directeur n’a pas examiné la question de savoir si ce prix [traduction] « était raisonnable en soi, au lieu de mettre l’accent sur les lacunes présumées de l’offre faite par Scotia Synfuels ». Le syndicat soutient que le prix de départ fixé par Ultramar était déraisonnable parce qu’il a été établi en fonction de la valeur de remplacement d’une raffinerie en exploitation; dans la présente espèce, la raffinerie n’était pas en exploitation, et c’est un facteur qui, selon le syndicat, devrait commander un prix moins élevé vu les nombreux travaux de remise en œuvre et les sommes considérables que nécessite la raffinerie pour devenir une entreprise qui a des chances de réussir. Pourtant, lorsqu’on s’arrête aux motifs fournis par le directeur pour conclure qu’il n’existe aucun intérêt légitime en ce qui a trait au maintien en exploitation de la raffinerie (ces motifs ne sont pas reproduits dans les présents motifs), on s’aperçoit qu’il fait allusion aux coûts de remise en œuvre, à la responsabilité contre l’atteinte à l’environnement à l’égard de laquelle Scotia limiterait ses engagements, au refus de Scotia de convenir d’acheter la raffinerie « en l’état » et à d’autres facteurs au soutien de sa conclusion. Je ne suis pas convaincu que son analyse des facteurs importants dans les négociations qu’ont menées Scotia et Ultramar sur le prix de la raffinerie est moins valable que celle que le syndicat voudrait qu’il fasse. Bref, il me semble que, sous ce rapport du moins, on ne peut pas dire que la décision que le directeur a prise dans l’exercice de son pouvoir administratif discrétionnaire est déraisonnable, encore moins manifestement déraisonnable. On ne peut pas dire que la décision a été rendue sans motifs ou éléments de preuve à l’appui. C’est incontestablement au directeur qu’il appartient de déterminer comment ces motifs ou ces éléments de preuve doivent être évalués dans la décision.

Conclusion

J’arrive à la conclusion qu’il convient de rejeter la requête en prorogation du délai de présentation d’une demande de contrôle judiciaire soumise par le syndicat. Je ne suis pas convaincu que, s’il obtient la permission de se pourvoir en justice, le requérant aurait une chance raisonnable de parvenir à persuader la Cour d’intervenir puisque, selon moi, il est improbable que le syndicat puisse prouver à la Cour, au moyen de l’un ou l’autre des motifs proposés, que le directeur, dans l’exercice de son pouvoir administratif discrétionnaire, a rendu une décision manifestement déraisonnable en concluant qu’Ultramar a respecté les engagements pris en septembre 1993.

Le syndicat aura peut-être l’impression, à première vue, que cette décision va à l’encontre de la norme générale dont il a été question plus haut, telle que l’a énoncée le juge en chef Thurlow dans l’affaire Grewal précitée, c’est-à-dire que la considération sous-jacente en pareil cas est la question de savoir si, dans les circonstances, la prorogation du délai prévu pour former un recours est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties. À mon avis, rien n’oblige la Cour à déroger à la règle législative fondamentale qui limite ce délai si elle conclut que le requérant, sur la base des éléments de preuve et des arguments présentés au soutien de la demande de prorogation, n’a aucune cause soutenable et n’a aucune chance raisonnable de succès dans une demande de contrôle judiciaire. En décidant ainsi, j’accepte essentiellement la preuve du requérant telle qu’elle a été faite, mais compte tenu de ce qui doit être prouvé en droit pour justifier un redressement, je conclus que le requérant n’a aucune cause soutenable et qu’il n’a aucune chance raisonnable d’avoir gain de cause.

Lorsque la Cour parvient à une telle conclusion, elle a la responsabilité, dans l’intérêt de la justice entre les parties, de le dire et de rejeter la requête en prorogation de délai. Cette responsabilité n’est pas facile à assumer. Un requérant peut bien penser, à tort ou à raison, qu’il a le droit de comparaître en justice et de faire valoir tous ses arguments. Mais si je ne m’abuse, justice a été rendue et les doutes au sujet de la reprise possible des opérations à la raffinerie d’Eastern Passage ont été dissipés, peut-être pas à l’avantage des membres du syndicat requérant, mais au moins de manière à ce qu’ils puissent cesser d’envisager la possibilité d’une intervention judiciaire au soutien de leur objectif ultime, soit la reprise du travail à la raffinerie. Si cet objectif doit se réaliser, ce sera à la suite de décisions rendues non pas par les tribunaux, mais par d’autres parties.

Il est bien possible que l’avocat du syndicat requérant qui s’est trompé en calculant le délai de présentation de la demande de contrôle judiciaire soit mécontent, mais à moins qu’il ne soit établi que ma décision est mal fondée, on peut, en définitive, penser qu’il est dans l’intérêt à long terme du requérant qu’une demande de contrôle judiciaire n’ayant aucune chance raisonnable de succès n’ait pas suivi son cours.

En temps normal, il n’y a pas de frais à l’occasion d’une demande de contrôle judiciaire, conformément à la Règle 1618 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 (édictée par DORS/92-43, art. 19)]. Pour ce qui est de la présente requête en prorogation du délai de présentation d’une demande de contrôle judiciaire, il me paraît indiqué, en particulier dans les circonstances de l’espèce, que chaque partie supporte ses propres frais. C’est ce que prévoit l’ordonnance rejetant la requête.

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