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[1996] 2 C.F. 316

DES-2-95

Mohammed Nazir Khan, Marek Kalenski, Baldev Singh Gill et Nasreen Begum Nazir (requérants)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : Khan c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge Rothstein— Edmonton, 7, 8, 9, 10 et 11 février; Ottawa, 14 février 1996.

Justice criminelle et pénale Preuve Les requérants ont été accusés de trafic de stupéfiantUn juge de la Cour provinciale a ordonné à la Couronne de divulguer la correspondance échangée entre le bureau de la GRC et les agents de liaison de la GRC au Pakistan et en SuisseLa Couronne a déposé une plainte conformément à l’art. 37(1) de la LPC en s’opposant à la divulgation pour des raisons d’intérêt public déterminées et pour le motif que la divulgation porterait préjudice aux relations internationalesCompétence d’un juge désigné de la Cour fédéraleFacteurs pris en considération dans les cas visés par les art. 37(2) et 38(1)Obligation générale de divulgation de la CouronneCelle-ci doit divulguer les documents pertinents, utiles à la défenseLa règle interdisant la divulgation de renseignements révélant l’identité d’indicateurs et les dispositions législatives concernant le préjudice possible aux relations internationales constituent des exceptions à l’obligation générale de divulgationNormes à respecter et procédure à suivre dans les cas visés par les art. 37(2) et 38(1)Critère de la « pertinence probable » — La « pertinence probable » et la pondération sont des étapes distinctesLe critère de la « pertinence probable » n’est pas un fardeau onéreux incombant à l’accusé mais va au-delà de l’utilité que les renseignements peuvent avoir pour la défenseL’admissibilité des renseignements ne doit pas être prise en considérationLa question de la crédibilité ne peut pas servir de fondement à la divulgationY a-t-il une apparence de droit à la divulgation en l’espèce?Les requérants n’ont pas prouvé comment la divulgation de renseignements concernant des comptes bancaires à l’étranger a une valeur logiquement probante relativement à une question en litigeOn n’a pas convaincu la Cour que les raisons pour demander la divulgation s’avéraient plus qu’une recherche à l’aveugletteIl n’a pas été satisfait au critère de la « pertinence probable ».

Compétence de la Cour fédérale Compétence d’un juge désigné en vertu de l’art. 38(1) de la Loi sur la preuve au CanadaLa validité des oppositions à la divulgation doit être tranchée par le juge en chef ou un juge désigné de la Cour fédérale lorsque les oppositions sont fondées sur un préjudice possible aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité nationalesEn l’espèce, l’opposition soulevait un préjudice possible aux relations internationales, ce qui entraînait la compétence de la Cour fédéraleLe juge désigné a compétence pour trancher la question de la validité de l’opposition de la Couronne dans son ensemble.

Il s’agissait d’une demande de divulgation de renseignements se rapportant à des comptes bancaires à l’étranger. La Couronne s’est opposée à la divulgation de ces renseignements pour le motif que cela révélerait l’identité d’informateurs de police et des personnes visées par des enquêtes criminelles, et aussi parce que cela mettrait en péril les relations et les ententes internationales établies par la GRC. Les requérants ont été accusés de diverses infractions relatives au trafic de stupéfiant devant la Cour provinciale de l’Alberta. Un juge de cette Cour a ordonné à la Couronne de divulguer la correspondance en sa possession; au lieu de ce faire, celle-ci a déposé un certificat conformément au paragraphe 37(1) de la Loi sur la preuve au Canada en s’opposant à la divulgation pour des raisons d’intérêt public déterminées et pour le motif que la divulgation porterait préjudice aux relations internationales. Un agent de la GRC a déposé un certificat modifié dans lequel on renonçait à l’opposition faite à la divulgation de certains renseignements et on donnait certains détails supplémentaires sur les raisons du caractère confidentiel de documents particuliers. Bien que déposé à une date tardive, le certificat modifié était conforme à la loi qui l’autorisait. Peu de temps avant que la procédure de divulgation soit intentée le 3 avril 1995, il y a eu disjonction de la cause impliquant une requérante de sorte que celle-ci n’était plus partie à la procédure intentée ce jour-là. Par conséquent, la requérante en question n’avait pas la qualité de partie. La présente affaire soulevait deux questions : 1) une question préliminaire concernant la compétence du juge désigné en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi sur la preuve au Canada et 2) celle de savoir si les requérants ont établi l’existence d’une apparence de droit à la divulgation.

Jugement : la demande doit être rejetée.

1) Dans le cas d’une opposition à la divulgation fondée sur le préjudice possible aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité nationales, le paragraphe 38(1) de la Loi sur la preuve au Canada prévoit que seul le juge en chef de la Cour fédérale ou un autre juge de ce tribunal qu’il charge de l’audition de ce genre de demande peut trancher la question de la validité de l’opposition. En l’espèce, l’opposition a été soulevée devant la Cour provinciale de l’Alberta. Si l’opposition n’avait pas soulevé un préjudice possible aux relations internationales, mais seulement la protection des indicateurs et de l’identité des personnes visées par des enquêtes criminelles, la question de la validité de l’opposition aurait pu être tranchée par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Cependant, l’opposition soulevait un préjudice possible aux relations internationales, ce qui entraînait la compétence du juge en chef ou d’un juge désigné de la Cour fédérale. Dans les cas où une opposition est fondée sur le préjudice possible aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité nationales ainsi que sur d’autres raisons, le juge désigné peut trancher la question de la validité de l’opposition de la Couronne dans son ensemble.

2) Aux termes du paragraphe 37(2) de la Loi, le tribunal doit être convaincu que l’intérêt public dans la divulgation des renseignements l’emporte sur l’intérêt public déterminé dans le caractère confidentiel des renseignements. La partie qui demande la divulgation de renseignements doit d’abord établir une « preuve apparente » en faveur de la divulgation avant l’inspection de tout document. La Couronne est tenue de divulguer à la défense toute la preuve substantielle, qu’elle soit favorable à l’accusé ou non et indépendamment du fait que la Couronne se propose de la produire. Il y a des exceptions à cette obligation générale, comme lorsque les renseignements ne sont manifestement pas pertinents ou qu’ils font l’objet d’un privilège. Bien qu’il ait été jugé que, lorsque la Couronne est en possession de documents comme des dossiers thérapeutiques, ceux-ci doivent être considérés comme pertinents en tant que renseignements qui peuvent être utiles à la défense, cela ne s’étend pas aux renseignements qui pourraient révéler l’identité d’indicateurs. La procédure à suivre dans les cas visés par les paragraphes 37(2) et 38(1) de la LPC est la suivante : les requérants doivent d’abord prouver que les renseignements sont susceptibles d’être pertinents. Une fois établi le critère de la « pertinence probable », l’accusé doit prouver que les effets bénéfiques qu’entraînerait l’ordonnance de production des documents à la Cour pour inspection l’emportent sur les effets préjudiciables d’une telle production. Un juge aurait besoin d’examiner les documents en question pour être en mesure d’entreprendre cette pondération. Le critère de la « pertinence probable » va au-delà de « l’utilité que les renseignements peuvent avoir pour la défense ». Il faudra convaincre le juge que les renseignements ont une valeur logiquement probante relativement à une question en litige ou à l’habilité à témoigner d’un témoin. Le critère de la « pertinence probable » convient à l’étape de « l’apparence de droit à la divulgation » dans les procédures visées aux paragraphes 37(2) et 38(1) de la Loi. L’admissibilité des renseignements ne devrait pas être prise en considération dans les procédures visées par ces dispositions.

Les arguments invoqués par les requérants pour prouver qu’il y avait une apparence de droit à la divulgation étaient mal fondés. La Cour provinciale de l’Alberta a fondé sa décision sur le seuil plus bas — à savoir l’utilité que les renseignements peuvent avoir pour la défense. La norme de la pertinence aux fins de déterminer s’il y a une apparence de droit à la divulgation dans le contexte de la Loi sur la preuve au Canada consiste à savoir si les renseignements sont vraisemblablement pertinents. La Couronne n’a pas divulgué de renseignements supplémentaires volontairement, mais elle a été contrainte de le faire par la Cour provinciale de l’Alberta. Ce n’est pas un cas de renonciation ni un cas où on pourrait dire que la Couronne reconnaît la pertinence des renseignements au niveau applicable à une procédure visée aux paragraphes 37(2) et 38(1). La divulgation de certains renseignements n’a pas empêché la Couronne de soutenir que le reste des renseignements n’est pas visé par la norme applicable. Les avocats des requérants n’ont pas pu expliquer comment la divulgation de renseignements sur des comptes bancaires en Suisse ou au Pakistan aurait une valeur logiquement probante relativement à quelque question en litige. Les requérants n’ont pas fourni d’explications sur l’utilité que les renseignements sur ces comptes pourraient avoir pour eux et sur la question qu’ils veulent soulever et à laquelle ces renseignements se rapporteraient. On n’a pas convaincu la Cour que les raisons pour demander la divulgation s’avéraient plus que des conjectures ou une recherche à l’aveuglette. La crédibilité est toujours une question en litige et, par conséquent, la crédibilité en général ne peut pas servir de fondement à la divulgation de renseignements dans une procédure visée aux articles 37 et 38 de la Loi. Les affirmations des avocats des requérants n’équivalaient à rien d’autre que des conjectures. Rien de précis n’a été mentionné, et il n’a pas été satisfait au critère de la « pertinence probable ».

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 24.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 465(1)c).

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 37, 38.

Loi sur les stupéfiants, L.R.C. (1985), ch. N-1, art. 4(1),(2), 19.1 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 42, art. 12), 19.2 (édicté, idem).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1618 (édictée par DORS/92-43, art. 19).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411.

DÉCISION EXAMINÉE :

R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562; (1995), 128 D.L.R. (4th) 98.

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Kevork c. La Reine, [1984] 2 C.F. 753 (1984), 17 C.C.C. (3d) 426 (1re inst.); Goguen c. Gibson, [1983] 1 C.F. 872 (1re inst.); Goguen c. Gibson, [1983] 2 C.F. 463 (1984), 7 D.L.R. (4th) 144; 3 Admin. L.R. 225; 10 C.C.C. (3d) 492; 40 C.P.C. 295; 50 N.R. 286 (C.A.); Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 C.F. 229 (1988), 53 D.L.R. (4th) 568 (1re inst.); Gold c. R., [1986] 2 C.F. 129 (1986), 25 D.L.R. (4th) 285; 18 Admin. L.R. 212; 64 N.R. 260 (C.A.); R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326; (1991), 120 A.R. 161; [1992] 1 W.W.R. 97; 83 Alta. L.R. (2d) 93; 68 C.C.C. (3d) 1; 8 C.R. (4th) 277; 130 N.R. 277; 8 W.A.C. 161; R. c. Egger, [1993] 2 C.F. 451 (1993), 141 A.R. 81; 103 D.L.R. (4th) 678; 82 C.C.C. (3d) 193; 21 C.R. (4th) 186; 15 C.R.R. (2d) 193; 45 M.V.R. (2d) 161; 153 N.R. 272; 46 W.A.C. 81; R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727; (1995), 162 A.R. 272; 27 Alta. L.R. (3d) 1; 96 C.C.C. (3d) 225; 36 C.R. (4th) 201; 26 C.R.R. (2d) 189; 178 N.R. 118; 83 W.A.C. 272; R. c. Scott, [1990] 3 R.C.S. 979; (1990), 116 N.R. 361; 43 O.A.C. 277.

DEMANDE de divulgation de renseignements à laquelle s’est opposée la Couronne en vertu des articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada. Demande rejetée.

AVOCATS :

Robert H. Davidson, c.r., pour le requérant Mohammed Nazir Khan.

Shawn Beaver pour les requérants Marek Kalenski et Nasreen Begum Nazir.

Karl R. Wilberg pour le requérant Baldev Singh Gill.

Barbara S. Ritzen pour l’intimée.

PROCUREURS :

Davidson, Gregory, Edmonton, pour le requérant Mohammed Nazir Khan.

Pringle, Renouf & Associés, Edmonton, pour les requérants Marek Kalenski et Nasreen Begum Nazir.

Andrew, Donahoe & Oake, Edmonton, pour le requérant Baldev Singh Gill.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance de la Cour prononcés à l’audience par

Le juge Rothstein :

Introduction

La Couronne a refusé de divulguer aux requérants, qui sont les accusés dans des poursuites pénales devant la Cour provinciale de l’Alberta, certains renseignements pour le motif que leur divulgation révélerait l’identité d’informateurs de police et des personnes visées par des enquêtes criminelles, et aussi parce que la divulgation de renseignements de nature criminelle obtenus de forces policières, gouvernementales et de sécurité d’autres pays mettrait en péril les relations et les ententes internationales établies par la GRC.

La question soulevée dans la présente demande est de savoir s’il devrait y avoir divulgation des renseignements aux requérants. L’affaire arrive devant un juge de notre Cour chargé de l’entendre en vertu des paragraphes 37(2) et 38(1) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, et ses modifications, (LPC), parce que l’opposition de la Couronne est fondée en partie, au moins, sur le préjudice qui serait porté aux relations internationales[1].

Les renseignements en question, qui se rapportaient à des comptes bancaires en Suisse et au Pakistan, avaient été demandés par les requérants à partir du mois d’août 1994. La Couronne en a constamment refusé la divulgation. Le 3 avril 1995, la question de la divulgation a été instruite devant le juge E. Walter, de la Cour provinciale de l’Alberta, qui était saisi des poursuites criminelles intentées contre les requérants. (Quelques jours avant que la procédure de divulgation soit intentée le 3 avril 1995, il y a eu disjonction de la cause impliquant la requérante Nasreen Begum Nazir, de sorte que celle-ci n’était plus partie à la procédure intentée ce jour-là.)

Le 4 avril 1995, le juge a ordonné à la Couronne [traduction] « de divulguer la correspondance en sa possession et de le faire en temps opportun ». Il s’agissait de [traduction] « la correspondance échangée entre le bureau de la GRC et les agents de liaison de la GRC au Pakistan et en Suisse ».

La Couronne n’a pas divulgué les renseignements conformément à la directive du juge Walter, mais, aux alentours du 27 avril 1995, elle a déposé un certificat dans les poursuites intentées devant la Cour provinciale de l’Alberta conformément au paragraphe 37(1) de la LPC en s’opposant à la divulgation [traduction] « pour des raisons d’intérêt public déterminées et pour le motif que la divulgation porterait préjudice aux relations internationales ». Le 2 mai 1995, les requérants ont présenté à notre Cour une demande visant à faire annuler le certificat et ordonner la divulgation des renseignements.

Les poursuites intentées devant la Cour provinciale de l’Alberta

Les requérants Khan, Kalenski et Gill ont été accusés de diverses infractions relatives au trafic de stupéfiant :

24 février 1993 :       Khan est accusé de trafic de cocaïne en violation du paragraphe 4(1) de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. (1985), ch. N-1, et ses modifications, (ci-après la « LS »).

16 juillet 1993 :         Khan, Kalenski et Gill sont accusés de trafic de cocaïne entre mars et juin 1993 en violation du paragraphe 4(1) de la LS.

16 juillet 1993 :         Kalenski et Gill sont accusés de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic en violation du paragraphe 4(2) de la LS.

16 juillet 1993 :         Kalenski est accusé de possession des produits de la criminalité en violation de l’article 19.1 de la LS [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 42, art. 12].

7 février 1994 :          Kalenski plaide coupable à toutes les accusations.

Mars 1994 :               Khan est accusé de recyclage des produits de la criminalité en violation de l’article 19.2 de la LS [édicté, idem].

19 avril 1994 :           Khan, Kalenski et Gill sont accusés de complot en vue de faire le trafic de la cocaïne en violation du paragraphe 4(1) de la LS et de l’alinéa 465(1)c) du Code criminel, L.R.C. (1985), c. C-46, et ses modifications.

Le 26 mai 1994, Nasreen Begum Nazir a été accusée de possession des produits de la criminalité en violation de l’article 19.1 de la LS et de recyclage des produits de la criminalité en violation de l’article 19.2 de la LS.

Après des requêtes préliminaires, le procès de Khan, Kalenski et Gill relativement à toutes les accusations criminelles en instance s’est ouvert devant le juge Walter le 1er mai 1995. Au 14 décembre 1995, le procès était rendu au point où la Couronne avait terminé sa preuve. Il doit se poursuivre le 20 février 1996.

Le certificat qui est à l’origine de la présente instance émanait du surintendant François Hummel de la GRC. Il ne fait référence à aucun document précis en l’espèce. Le 12 janvier 1996, un certificat modifié délivré par l’inspecteur Garry William Gordon Clement de la GRC a été déposé dans le cadre des procédures engagées devant notre Cour : on y renonçait à l’opposition faite à la divulgation de certains renseignements et on donnait certains détails supplémentaires sur les raisons du caractère confidentiel de documents particuliers.

Le certificat modifié

Les avocats des requérants se sont opposés au dépôt du certificat modifié de l’inspecteur Clement. Toutefois, le dépôt d’un tel certificat était prévu dans une ordonnance de directives en date du 3 janvier 1996. Les avocats de toutes les parties ont participé à l’audience visant à donner des directives, et aucune opposition n’a été soulevée à ce moment-là.

De plus, le certificat retire l’opposition à la divulgation de certains documents et, en ce sens, il est favorable aux requérants.

En outre, le paragraphe 38(6) de la LPC permet à celui qui s’oppose de présenter des arguments en l’absence d’une autre partie. Il semble que, même si le certificat était rejeté, l’avocat de la Couronne pourrait présenter des arguments en l’absence d’une autre partie au sujet des raisons que le certificat modifié expose relativement au caractère confidentiel des documents concernés.

Bien que je ne voie rien qui s’oppose en principe au dépôt d’un certificat modifié, celui-ci a en fait été déposé à une date tardive dans les présentes procédures. Le certificat modifié indique qu’il découle d’un changement de circonstances. L’avocat de la Couronne soutient que, au nombre des nouvelles circonstances ayant entraîné la divulgation d’autres renseignements, il faut mentionner le fait qu’il y avait déjà eu divulgation de renseignements provenant de la Suisse. Donc, il n’était plus nécessaire de tenir secrets certains renseignements pour le motif que leur divulgation porterait préjudice aux relations internationales.

La divulgation des renseignements aux termes du certificat modifié s’est faite en raison de l’ordonnance rendue par le juge Walter le 4 avril 1995. Ce sera à ce juge de déterminer si la divulgation tardive des renseignements faite aux termes du certificat modifié est conforme à son ordonnance selon laquelle la divulgation doit avoir lieu « en temps opportun ».

Dans le contexte des procédures se déroulant devant moi, il faut encourager la divulgation des renseignements au moment opportun, et leur divulgation tardive peut entraîner l’adjudication de dépens. De plus, je profite de l’occasion pour formuler certaines remarques sur le caractère général du certificat du surintendant Hummel. Les paragraphes 37(1) et 38(1) n’exigent rien de plus que le certificat contienne une opposition attestant que « ces renseignements ne devraient pas être divulgués pour des raisons d’intérêt public déterminées » (paragraphe 37(1)) ou se fondant « sur le motif que la divulgation porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales » (paragraphe 38(1)). Par conséquent, à strictement parler, le certificat du surintendant Hummel (et le certificat de l’inspecteur Clement) sont conformes à la loi qui les autorise.

Naturellement, le certificat ne peut pas être précis au point de rompre le secret qu’il cherche à protéger. Cependant, on a du mal à croire qu’il n’était pas possible de fournir certaines précisions supplémentaires sans entraîner la divulgation par inadvertance de ce qui est censé être tenu secret. On aurait pu au moins donner la liste des documents, ne fût-ce même que par numéro. Si cela avait été fait, la Couronne aurait peut-être conclu que certains renseignements supplémentaires auraient pu être divulgués conformément à l’ordonnance rendue par le juge Walter le 4 avril 1995.

Compétence

Dans le cas d’une opposition à la divulgation fondée sur le préjudice possible aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité nationales, le paragraphe 38(1) de la LPC prévoit que seul le juge en chef de la Cour fédérale ou un autre juge de ce tribunal qu’il charge de l’audition de ce genre de demande peut trancher la question de la validité de l’opposition. En l’espèce, les oppositions sont fondées non seulement sur le préjudice aux relations internationales, mais également sur l’immunité accordée à l’indicateur et le préjudice qui peut résulter de la divulgation des noms des personnes visées par des enquêtes criminelles. Le pouvoir de la personne désignée en vertu du paragraphe 38(1) se limite-t-il à trancher la question de l’opposition fondée sur les relations internationales seulement ou bien le juge désigné peut-il trancher également la question de l’opposition fondée sur d’autres raisons d’intérêt public déterminées?

Selon l’article 37, un ministre ou toute autre personne intéressée peut s’opposer à la divulgation de renseignements devant le tribunal, l’organisme ou la personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements. Si les procédures sont portées devant une cour supérieure, un juge de ce tribunal peut trancher la question de l’opposition. Si l’opposition est portée devant un autre tribunal, elle doit être tranchée par un juge de la cour supérieure de la province dans laquelle l’autre tribunal exerce sa juridiction. Dans le cas des oppositions portées devant une personne ou un organisme autres qu’un tribunal, elles doivent être tranchées par la Section de première instance de la Cour fédérale. Dans tous les cas, toutefois, si les oppositions sont fondées sur le préjudice aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité, la question de la validité de l’opposition doit être tranchée par le juge en chef ou un juge désigné de la Cour fédérale.

La loi prévoit expressément quel tribunal doit trancher les oppositions, compte tenu du tribunal, de la personne ou de l’organisme devant lequel l’opposition a été soulevée à l’origine. En l’espèce, l’opposition a été soulevée devant la Cour provinciale de l’Alberta. Il n’y a pas de doute que, si l’opposition n’avait pas soulevé un préjudice possible aux relations internationales, mais seulement la protection des indicateurs et de l’identité des personnes visées par des enquêtes criminelles, la question de la validité de l’opposition devrait être tranchée par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Cependant, en l’espèce, l’opposition soulevait également un préjudice possible aux relations internationales, ce qui entraînait la compétence du juge en chef ou d’un juge désigné de la Cour fédérale.

Je suis d’avis que, dans les cas où une opposition est fondée sur le préjudice possible aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité nationales ainsi que sur d’autres raisons, le juge désigné peut trancher la question de la validité de l’opposition dans son ensemble. Même si je pense que le mot « uniquement » utilisé au paragraphe 38(1) vient préciser qu’une cour supérieure d’une province ne pourrait pas trancher une opposition fondée sur l’une des raisons y mentionnées, aucune limite n’est imposée expressément en ce qui concerne le juge désigné qui tranche une opposition qui soulève à la fois des raisons mentionnées au paragraphe 38(1) et d’autres raisons. De plus, les paragraphes 37(2) et (3) prévoient une réserve faite expressément à l’article 38.

En pratique, toute autre façon d’agir semblerait inutilement lourde, onéreuse et déroutante. En outre, il n’est peut-être pas facile de faire la distinction entre les relations internationales et d’autres raisons d’intérêt public déterminées. Les mêmes documents d’information peuvent se rapporter aux deux types de raisons, et les renseignements relatifs à ces deux types peuvent être liés entre eux inextricablement.

Bien que la loi ne soit pas certaine sur ce point, le début des paragraphes 37(2) et (3) ainsi que le libellé du paragraphe 38(1) portent à croire, selon moi, que le juge désigné peut trancher la question de la validité de l’opposition dans son ensemble lorsque celle-ci est fondée tant sur les motifs énoncés au paragraphe 38(1) que sur d’autres motifs.

Dans les circonstances de l’espèce, je suis d’opinion qu’un juge désigné a compétence pour trancher la question de la validité de l’opposition de la Couronne dans son ensemble.

Le droit

La jurisprudence de notre Cour a établi la façon de procéder dans les cas visés par les paragraphes 37(2) et 38(1) de la LPC. En vertu du paragraphe 37(2), le tribunal doit être convaincu que l’intérêt public dans la divulgation des renseignements l’emporte sur l’intérêt public déterminé dans le caractère confidentiel des renseignements. La partie qui demande la divulgation de renseignements doit d’abord établir une « preuve apparente » en faveur de la divulgation avant l’inspection de tout document. Si la partie qui demande la divulgation établit une preuve apparente en faveur de la divulgation, le tribunal examine ensuite les documents en question.

Pour déterminer si on a établi une preuve apparente en faveur de la divulgation, on a pris en considération les facteurs suivants :

a)         La nature de l’intérêt public que l’on tente de protéger par le secret; Kevork c. La Reine, [1984] 2 C.F. 753(1re inst.), aux pages 762 à 764; Goguen c. Gibson, [1983] 1 C.F. 872(1re inst.), à la page 884; Goguen c. Gibson, [1983] 2 C.F. 463(C.A.), à la page 479.

b)         La question de savoir si « un fait crucial pour la défense sera probablement ainsi établi »; Kevork c. La Reine, précité, aux pages 764 et 765; Goguen c. Gibson, précité, (1re inst.), à la page 906.

c)         La gravité de l’accusation ou des questions concernées; Kevork c. La Reine, précité, aux pages 765 et 766; Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 C.F. 229(1re inst.), à la page 238.

d)         L’admissibilité des documents et leur utilité; Kevork c. La Reine, précité, aux pages 766 à 768; Goguen c. Gibson, précité, (1re inst.), à la page 906; Gold c. R., [1986] 2 C.F. 129(C.A.).

e)         La question de savoir si les requérants ont établi qu’il n’existe pas d’autres moyens raisonnables d’obtenir les renseignements; Kevork c. La Reine, précité, à la page 767.

f)  La question de savoir si les demandes de divulgation de renseignements visent la communication de certains documents ou constituent des interrogatoires à l’aveuglette; Kevork c. La Reine, précité, à la page 767; Gold c. R., précité, aux pages 139 et 140.

Les avocats des requérants soutiennent que le droit en matière de divulgation de renseignements par la Couronne dans les poursuites pénales a subi des changements importants au cours des dernières années à la lumière de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) (Charte). Ils font valoir que le juge désigné, dans les demandes présentées en vertu des paragraphes 37(2) et 38(1) de la LPC, devrait, lorsqu’il s’agit de poursuites pénales, être guidé par la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada en matière de divulgation. Je suis d’accord.

L’obligation générale de la Couronne de divulguer à la défense les renseignements pertinents est exposée dans l’arrêt bien connu R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326 (Stinchcombe). Habituellement, la Couronne est tenue de divulguer à la défense toute la preuve substantielle, qu’elle soit favorable à l’accusé ou non et indépendamment du fait que la Couronne se propose de la produire. Cette obligation n’est toutefois pas absolue. Il y a des exceptions, comme lorsque les renseignements ne sont manifestement pas pertinents ou qu’ils font l’objet d’un privilège.

Les avocats des requérants soutiennent également que le droit exposé dans l’arrêt récent R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411 (O’Connor), se rapporte aussi à un examen de la procédure à suivre dans les cas visés par les paragraphes 37(2) et 38(1) de la LPC. L’arrêt O’Connor indique les procédures à suivre lorsqu’un accusé demande la production de documents en la possession de tiers comme les dossiers médicaux ou thérapeutiques d’une plaignante dans des poursuites pour viol ou agression sexuelle.

Dans l’arrêt O’Connor, le juge en chef Lamer et le juge Sopinka ont, au nom de la majorité sur ce point, conclu que l’obligation de divulgation de la Couronne, lorsqu’elle a en sa possession des dossiers de ce genre, consiste à produire ceux qui sont pertinents. La question de la pertinence dans de telles circonstances est fonction de l’utilité que les renseignements peuvent avoir pour la défense (voir les arrêts R. c. Egger, [1993] 2 R.C.S. 451 (Egger) et R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727 (Chaplin), qui suivent le raisonnement adopté dans l’arrêt Stinchcombe). Ils ont également conclu que la pertinence des dossiers thérapeutiques devait se présumer lorsque les dossiers sont en la possession de la Couronne, car toute préoccupation relative à la protection des renseignements personnels ou au privilège disparaît dès lors que la Couronne a en sa possession les documents en cause.

Les avocats des requérants ont allégué que, comme les renseignements en question ici sont en la possession de la Couronne, il faut présumer qu’ils sont pertinents, et que l’obligation de divulgation prescrite par les arrêts Egger et Chaplin doit donc être respectée.

Je ne suis pas d’accord. Nous examinons ici une opposition à la divulgation de renseignements concernant des indicateurs, des personnes visées par des enquêtes criminelles et des relations internationales. En ce qui a trait aux indicateurs, la règle interdisant la divulgation de renseignements qui permettraient d’identifier les indicateurs existe depuis longtemps. Naturellement, cette règle n’est pas absolue et il existe des exceptions précises : voir l’arrêt R. c. Scott, [1990] 3 R.C.S. 979 (Scott). Rien dans l’arrêt O’Connor ne modifie le privilège qui s’attache à l’identité des indicateurs comme il est énoncé dans l’arrêt Scott. Quant aux personnes visées par des enquêtes criminelles, l’arrêt Stinchcombe reconnaît que, bien que cette pratique ne doive pas être encouragée, la divulgation pourrait devoir être retardée afin que les enquêtes puissent être complétées (voir page 328). La loi reconnaît au paragraphe 38(1) de la LPC le préjudice possible aux relations internationales comme fondement de la non-divulgation. Tous ces cas représentent des exceptions à l’obligation générale de divulgation.

Par ailleurs, les observations faites par le juge en chef Lamer et le juge Sopinka dans l’arrêt O’Connor, encore une fois au nom de la majorité sur ce point, relativement aux renseignements en la possession de tiers, jettent un peu plus de lumière sur les normes à appliquer et la procédure à suivre dans les cas visés par les paragraphes 37(2) et 38(1) de la LPC. Bien que les raisons en faveur de la non- divulgation dans l’arrêt O’Connor soient différentes, l’analyse à effectuer pour décider s’il faut ordonner la divulgation des renseignements ressemble aux cas visés par la LPC.

La méthode adoptée dans l’arrêt O’Connor exige d’abord que les requérants prouvent que les renseignements sont susceptibles d’être pertinents. Une fois établi le critère de la « pertinence probable », l’accusé doit prouver que les effets bénéfiques qu’entraînerait l’ordonnance de production des documents à la Cour pour inspection l’emportent sur les effets préjudiciables d’une telle production. C’est seulement en examinant les documents en question qu’un juge sera en mesure d’entreprendre cette pondération requise. Le juge en chef Lamer et le juge Sopinka disent au paragraphe 21 de l’arrêt O’Connor [aux pages 435 et 436] :

Selon le juge L’Heureux-Dubé, une fois que l’accusé a satisfait au critère de la « pertinence probable », il lui faudra convaincre le juge que les effets bénéfiques qu’entraînerait l’ordonnance de production des documents à la cour pour inspection l’emportent sur les effets préjudiciables d’une telle production. Nous estimons que cette pondération devrait être entreprise à la seconde étape de la demande. L’étape de la « pertinence probable » devrait se limiter à la question de savoir si les renseignements figurant dans le dossier ont une incidence sur le droit de présenter une défense pleine et entière. De plus, le juge ne sera en mesure de procéder à la pondération requise que lorsqu’il aura eu l’occasion d’examiner les dossiers en question.

En ce qui concerne le critère de la pertinence probable, la norme va au-delà de « l’utilité que les renseignements peuvent avoir pour la défense ». Il faudra convaincre le juge que les renseignements ont une valeur logiquement probante relativement à une question en litige ou à l’habilité à témoigner d’un témoin. Le juge en chef et le juge Sopinka déclarent au paragraphe 22 [à la page 436] :

Dans le contexte de la divulgation, la « pertinence » est fonction de l’utilité que les renseignements peuvent avoir pour la défense (voir Egger, précité, à la p. 467, et Chaplin, précité, à la p. 740). Dans le contexte de la production, le critère de la pertinence devrait être plus élevé : le juge présidant le procès doit être convaincu qu’il existe une possibilité raisonnable que les renseignements aient une valeur logiquement probante relativement à une question en litige ou à l’habilité à témoigner d’un témoin. Lorsque nous parlons de pertinence par rapport à « une question en litige », nous faisons allusion non seulement à la preuve qui peut avoir une valeur probante relativement aux questions substantielles (c’est-à-dire le déroulement des événements), mais également à la preuve concernant la crédibilité des témoins et la fiabilité des autres éléments de preuve présentés dans l’affaire. Voir R. c. R. (L.) (1995), 39 C.R. (4th) 390 (C.A. Ont.), à la p. 398.

L’arrêt O’Connor distingue plus clairement l’étape de la « pertinence probable » ou de « l’apparence de droit à la divulgation » de l’étape de la pondération que ne le faisait auparavant la jurisprudence relative à la LPC. Comme le juge en chef Lamer et le juge Sopinka le signalent, la pondération exige un examen des dossiers en question. Il ne peut pas y avoir de pondération à l’étape de la « pertinence probable ». Selon l’approche relative à la LPC, cela signifie simplement que l’étape de « l’apparence de droit à la divulgation » doit d’abord porter sur la question de savoir si les renseignements en question sont vraisemblablement pertinents, ce qui laisse l’analyse de pondération à l’étape de l’examen des renseignements, une fois qu’on a établi une apparence de droit à la divulgation. Naturellement, il convient encore, à l’étape de « l’apparence de droit à la divulgation » d’examiner s’il existe un autre moyen raisonnable d’obtenir les renseignements.

Les questions prises en considération dans l’ancienne jurisprudence relative à la LPC, par exemple celles de savoir si « un fait crucial pour la défense sera probablement ainsi établi » ou si la demande de divulgation vise la communication de certains documents ou constitue un interrogatoire à l’aveuglette, indiquent une norme de pertinence analogue à la norme de « pertinence probable » énoncée dans l’arrêt O’Connor. Le juge en chef Lamer et le juge Sopinka disent dans l’arrêt O’Connor que le critère de la « pertinence probable » constitue un fardeau important, mais qu’il ne devrait pas s’interpréter comme un fardeau onéreux incombant à l’accusé. Il cherche à éviter les demandes de production qui reposent sur la conjecture et qui sont mal fondées et dilatoires (paragraphe 24) [à la page 437]. Néanmoins, c’est un critère plus élevé que celui de l’utilité pour la défense qui a été énoncé dans les arrêts Egger et Chaplin. Le critère de « l’apparence de droit à la divulgation », tel qu’il a été formulé dans la jurisprudence relative à la LPC, est également plus élevé et, en ce sens, il ressemble au critère de la « pertinence probable » énoncé dans l’arrêt O’Connor. Je suis convaincu que le critère de la « pertinence probable » énoncé dans l’arrêt O’Connor convient à l’étape de « l’apparence de droit à la divulgation » dans les procédures visées aux paragraphes 37(2) et 38(1) de la LPC.

L’une des conditions mentionnées dans la jurisprudence relative à la LPC en ce qui concerne l’étape de « l’apparence de droit à la divulgation » est l’admissibilité des documents. Dans ses motifs, le juge L’Heureux-Dubé déclare au nom de la majorité dans l’arrêt O’Connor aux paragraphes 164 et 166 [aux pages 507 et 508] :

Je ne saurais assez insister sur le fait que les lignes directrices énoncées ci-dessus ne correspondent pas nécessairement au test énoncé dans l’arrêt Seaboyer et à l’art. 276 du Code régissant l’admissibilité de la preuve lors du procès. La divulgation et la production sont des notions plus larges que l’admissibilité et, en conséquence, les éléments de preuve divulgués à la défense ne seront pas nécessairement admissibles lors du procès.

De toute façon, l’admissibilité des dossiers à titre d’éléments de preuve doit être réglée au moment où l’accusé cherche à les mettre en preuve. Le fait que la production de dossiers à la défense ait été ordonnée ne signifie pas que les dossiers soient nécessairement admissibles.

Je pense que ces observations, auxquelles ont souscrit le juge en chef Lamer et le juge Sopinka (voir le paragraphe 24 [à la page 437]), laissent entendre que la divulgation et la production sont des notions plus larges que l’admissibilité, et que cette dernière n’est pas un facteur à prendre en considération dans l’analyse qui mène à une décision portant sur la divulgation de renseignements. Je suis donc d’avis que l’admissibilité des renseignements ne devrait pas être prise en considération dans les procédures visées aux paragraphes 37(2) et 38(1) de la LPC.

J’ajouterai une autre observation qui découle naturellement du critère de la pertinence probable énoncé dans l’arrêt O’Connor. La crédibilité est toujours en cause et par conséquent, comme le dit le juge L’Heureux-Dubé (paragraphe 142 [à la page 497]), un requérant ne peut pas simplement invoquer la crédibilité en général comme fondement de la divulgation des renseignements concernés. S’il en était ainsi, la divulgation serait inévitable dans tous les cas. Il faut fournir une certaine base, bien que limitée, pour invoquer la crédibilité comme motif de divulgation afin de sortir du domaine de la conjecture. Je crois que cette façon d’aborder les questions relatives à la crédibilité est compatible avec le critère de la « pertinence probable » établi par le juge en chef Lamer et le juge Sopinka dans l’arrêt O’Connor.

Qualité pour agir de Nasreen Begum Nazir

Mme Nazir a la qualité de requérante dans les procédures instruites devant moi. Cependant, les procédures la concernant ont été disjointes des procédures concernant les trois autres requérants. La première étape dans une affaire concernant une opposition à la divulgation de renseignements est le dépôt d’un certificat auprès du tribunal qui a le pouvoir de contraindre à leur production. Comme les procédures concernant Mme Nazir ont été disjointes de celles concernant les autres requérants, je ne suis pas convaincu que la Couronne ait attesté, verbalement ou par écrit devant un tribunal ayant le pouvoir de contraindre à la production, son opposition à la divulgation dans le cas de Mme Nazir tel que le requiert le paragraphe 37(1). Tant que cela ne se fera pas, rien ne justifie la présentation d’une demande à notre Cour en vertu des paragraphes 37(2) et 38(1). Autrement dit, une des conditions préalables à la présentation d’une demande en vertu des paragraphes 37(2) et 38(1) n’a pas été remplie dans le cas de Mme Nazir.

L’avocat de Mme Nazir a avancé qu’un juge désigné pourrait être considéré comme un juge au sens du paragraphe 37(2) et que, puisque le certificat est maintenant déposé en l’espèce et qu’en fait il y a eu dépôt d’un certificat modifié seulement dans la présente instance, la Cour a le pouvoir d’examiner les oppositions à la divulgation des renseignements en ce qui concerne Mme Nazir. Toutefois, la loi prévoit clairement que les tribunaux mentionnés à l’article 37 sont les tribunaux devant lesquels le litige a été porté en premier lieu. Bien que ce puisse être la Cour fédérale dans certains cas, le litige n’est jamais porté en premier lieu devant un juge désigné.

Dans les circonstances, j’estime que Mme Nazir n’a pas la qualité de partie dans la présente instance. Elle peut continuer de demander normalement la divulgation de renseignements par la Couronne. C’est seulement si la Couronne atteste verbalement ou par écrit, dans des procédures instruites devant le tribunal ayant le pouvoir de contraindre à la production, son opposition à la divulgation en vertu de la LPC que Mme Nazir aura la qualité requise pour présenter une demande conformément aux paragraphes 37(2) et 38(1) de la LPC.

Y a-t-il une apparence de droit à la divulgation?

Les requérants invoquent trois arguments.

1. Le juge Walter a ordonné la divulgation.

2. La Couronne a déposé un certificat modifié divulguant certains renseignements, ce qui implique que tous les renseignements sont pertinents.

3. Les renseignements divulgués laissent supposer que les renseignements non encore divulgués sont susceptibles d’être pertinents.

Je traiterai chacun des arguments à tour de rôle. Premièrement, le juge Walter a été guidé, dans sa façon d’aborder la divulgation, par la norme énoncée dans les arrêts Egger et Chaplin. Il a fondé sa décision sur le seuil plus bas« à savoir l’utilité que les renseignements peuvent avoir pour la défense. La norme de la pertinence aux fins de déterminer s’il y a une apparence de droit à la divulgation dans le contexte de la LPC consiste à savoir si les renseignements sont vraisemblablement pertinents. Comme il a été indiqué précédemment, c’est une norme de pertinence plus élevée que celle prescrite par les arrêts Egger et Chaplin. Par conséquent, la décision du juge Walter n’aide pas les requérants parce qu’il s’est fondé sur un seuil plus bas de pertinence que celui qui est applicable en l’espèce.

Deuxièmement, la Couronne a divulgué des renseignements supplémentaires. Si la Couronne avait divulgué ces renseignements volontairement, cela pourrait laisser entendre que le reste des renseignements doit également être divulgué en raison de la renonciation. Ce n’est toutefois pas le cas ici. Le juge Walter avait ordonné la divulgation des documents en question. Le certificat modifié retire l’opposition relativement à certains renseignements, de sorte que ces renseignements sont pleinement assujettis à l’ordonnance de divulgation du juge Walter. Dans ces circonstances, la Couronne était tenue de divulguer les documents auxquels aucune opposition ne s’appliquait plus. Ce n’est pas un cas de renonciation ni un cas où on pourrait dire que la Couronne reconnaît la pertinence des renseignements au niveau applicable à une procédure visée aux paragraphes 37(2) et 38(1).

Il se pose peut-être une question au sujet du retard dans la présentation du certificat modifié de la Couronne et dans la divulgation des renseignements. Si tel est le cas, elle doit être tranchée par la Cour provinciale de l’Alberta. Quant à la question dont je suis saisi, il s’agit seulement de savoir si la divulgation de certains renseignements empêche la Couronne de soutenir que le reste des renseignements n’est pas visé par la norme applicable, et j’ai conclu qu’elle ne l’en empêche pas. Cela dit, je n’écarte pas le dépôt tardif d’un certificat modifié comme élément à prendre en considération dans l’adjudication des frais en l’espèce.

Je passe maintenant à la question de savoir si, compte tenu des circonstances de l’espèce et des arguments des requérants, il existe une possibilité raisonnable que les renseignements demandés aient une valeur logiquement probante relativement à une question en litige ou à l’habilité à témoigner d’un témoin, y compris les questions de la crédibilité des témoins et de la fiabilité des autres éléments de preuve.

Les documents en question sont de la correspondance échangée entre la GRC au Canada et les agents de liaison de la GRC en Suisse et au Pakistan. La correspondance porte sur l’existence et la propriété de comptes bancaires en Suisse et au Pakistan et des sommes d’argent qui s’y trouvent. Les avocats des requérants allèguent que ce genre de renseignements se rapporte aux accusations de possession des produits de la criminalité, de blanchiment d’argent et de complot en vue de faire le trafic de la cocaïne.

Les parties ont convenu devant moi qu’aucun témoin étranger n’avait été assigné à comparaître au procès tenu devant le juge Walter. Les seules dépositions relatives aux comptes à l’étranger ont été faites par des témoins canadiens ayant déposé au sujet de transferts dans des comptes à l’étranger. Les avocats des requérants n’ont pas pu m’expliquer comment la divulgation de renseignements sur des comptes bancaires en Suisse ou au Pakistan aurait une valeur logiquement probante relativement à quelque question en litige. La Couronne ne s’est pas fondée sur de tels renseignements pour établir sa preuve contre les requérants, et cette preuve est close. Je suis d’accord avec les avocats des requérants pour dire que le fait que la Couronne a terminé sa preuve n’est pas déterminant en ce qui a trait à la pertinence. Cependant, si la Couronne n’a rien soulevé, relativement à une question en litige, au sujet de comptes bancaires à l’étranger, il incombe alors aux requérants de fournir des explications sur l’utilité que les renseignements sur ces comptes pourrait avoir pour eux et sur la question qu’ils veulent soulever et à laquelle ces renseignements se rapporteraient. Mais ils ne l’ont pas fait.

Les requérants soutiennent que, s’ils devaient être reconnus coupables, la Couronne peut encore assigner des témoins à déposer au sujet des comptes bancaires à l’étranger pour établir l’envergure du complot allégué, ce qui influerait sur leurs peines possibles. L’avocat de la Couronne a confié qu’il n’avait pas l’intention d’assigner de tels témoins à l’étape de la détermination de la peine, mais que, si ces témoins devaient être assignés, les renseignements seront divulgués. L’engagement de la Couronne à cet égard me satisfait. Il faut naturellement préciser que, si cet engagement n’est pas respecté, les accusés n’auront pas perdu le droit de présenter de nouveau à notre Cour leur demande de divulgation et, le cas échéant, elle sera traitée avec célérité.

Il est ensuite maintenu que les renseignements non divulgués peuvent montrer que la Couronne a attendu indûment avant d’accuser M. Kalenski de complot. On a d’abord fait valoir devant le juge Walter que ce délai constituait un abus de procédure qui devrait entraîner l’arrêt des procédures prises contre M. Kalenski. Le juge Walter a refusé de prononcer l’arrêt des procédures. Les avocats des requérants soutiennent devant moi que les renseignements qui ont maintenant été divulgués montrent que le caporal Duguay de la GRC, qui a participé à l’enquête, était d’avis que l’accusation de complot serait portée au plus tard le 1er mars 1994. Ils affirment que l’accusation n’a été portée que le 19 avril 1994 et que cela laisse entendre qu’il s’agit d’un délai inexpliqué.

Le juge Walter a traité de la question de l’abus de procédure dans sa décision en date du 26 avril 1995. Il a déclaré, à la page 7 :

[traduction] Tous les éléments de preuve qui viendraient étayer une accusation de complot n’ont été, à mon avis, en la possession du détective Murphy que le 2 février 1994 au plus tôt et vraiment sous une forme utilisable que lorsque l’enregistrement de la déclaration de Majcharzak a été transcrit et examiné par le détective Murphy en mars 1994. L’accusé a pris connaissance du fait qu’une accusation de complot serait vraisemblablement portée contre lui, et ce, avant qu’il plaide coupable à des accusations sur des faits matériels précis. Je n’accepte pas l’argument selon lequel l’accusé a subi un préjudice quelconque relativement à un dispositif global allant dans le sens d’une peine globale si éventuellement il était reconnu coupable de complot. Rien dans les éléments de preuve portés à ma connaissance n’indique qu’il y ait eu un retard préalablement au dépôt de l’accusation ni que l’accusé ait subi un préjudice ou ait été victime d’une injustice.

Les avocats des requérants font valoir que le juge Walter ne disposait pas des renseignements concernant l’opinion du caporal Duguay selon laquelle l’accusation serait portée au plus tard le 1er mars 1994, lorsqu’il a rendu sa décision. Ils disent que cela donne lieu à un conflit entre les éléments de preuve sur lesquels le juge Walter s’est fondé dans sa décision du 26 avril 1995 et les renseignements se rapportant à l’opinion du caporal Duguay.

L’opinion du caporal Duguay a maintenant été divulguée, et l’avocat de M. Kalenski peut s’en servir dans une nouvelle demande d’arrêt des procédures s’il choisit d’en présenter une. C’est le juge Walter qui en fin de compte rendra une décision relativement à cette demande.

Pour obtenir la divulgation de renseignements supplémentaires, les requérants doivent prouver que la déclaration du caporal Duguay donne lieu à une inférence selon laquelle il y a d’autres renseignements dans les documents confidentiels qui, d’une certaine façon, auraient une valeur logiquement probante relativement à la question du retard déraisonnable dans le dépôt des accusations de complot contre M. Kalenski. Aucun lien de ce genre n’a été établi. Tout ce que l’avocat peut dire, c’est que les renseignements qui ont maintenant été divulgués lui sont utiles, qu’ils n’ont pas été divulgués antérieurement et que cela laisse supposer qu’il existe peut- être d’autres renseignements qui peuvent également lui être utiles. Ce ne sont que des conjectures. En effet, s’il y a eu un retard déraisonnable, il est survenu après le 2 février 1994 lorsque le juge Walter a conclu que la Couronne était en possession des éléments de preuve pour étayer l’accusation de complot. On ne m’a donné aucune raison de croire que la correspondance échangée entre des agents de la GRC au Canada, en Suisse et au Pakistan se rapporte à la présente question. L’avocat a reconnu qu’il devait convaincre la Cour que les raisons pour demander la divulgation s’avéraient plus qu’une recherche à l’aveuglette. Je ne suis pas convaincu que cela ait été fait relativement à cette question.

On a ensuite prétendu qu’un mandat de perquisition ayant autorisé la perquisition des résidences et des locaux commerciaux des requérants a été obtenu sur la base d’une dénonciation obtenue de la Suisse ou du Pakistan. Les requérants désirent contester la validité du mandat de perquisition. S’ils ont gain de cause, ils soutiendront en vertu de l’article 24 de la Charte que tout élément de preuve obtenu au moyen du mandat de perquisition devrait être écarté. Ils avancent que la contestation de la validité du mandat de perquisition découle du fait que la dénonciation utilisée pour obtenir le mandat de perquisition n’était pas fiable ou avait été obtenue illégalement.

La dénonciation en question a été signée sous serment le 6 avril 1994 par le détective J. W. Anderson, qui fait partie des services de police de la ville d’Edmonton. Les requérants se reportent à deux paragraphes de la dénonciation qui font allusion aux comptes bancaires en Suisse détenus par M. Khan, Mme Nazir et M. Kalenski et aux comptes bancaires au Pakistan détenus par M. Khan. Le paragraphe 54 mentionne que les documents concernant les comptes en Suisse se trouvent au bureau de Vancouver de la Swiss Bank Corporation. Le paragraphe 57 indique que l’identification de trois comptes au Pakistan a été rendue possible en raison d’une perquisition effectuée à la résidence de M. Khan au Canada.

Rien dans le paragraphe 54 ne laisse supposer que des renseignements ont été obtenus de sources étrangères en ce qui concerne les comptes bancaires situés en Suisse. Le paragraphe 57 mentionne effectivement que le caporal Duguay s’est assuré que le montant d’argent déposé dans deux comptes dépassait la somme de 850 000 $ et que deux autres comptes étaient également détenus, mais que les montants déposés dans ces comptes n’étaient pas connus. Ces renseignements ont pu être obtenus de l’agent de liaison de la GRC à Islamabad.

Rien dans les éléments portés à ma connaissance ne laisse supposer que les renseignements contenus au paragraphe 57 étaient faux. Pour établir que les éléments de preuve ne sont pas fiables, les requérants doivent fournir au moins quelque explication. Cela n’a pas été fait en l’espèce. Tout ce qu’ils pourraient soutenir d’autre, c’est que les renseignements ont été obtenus illégalement et n’ont donc pas été utilisés régulièrement dans la dénonciation d’Anderson pour obtenir le mandat de perquisition. Les avocats ont invoqué l’arrêt R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562 (Harrer). L’arrêt Harrer contient la proposition selon laquelle les éléments de preuve qui ont été obtenus dans d’autres pays mais ne sont pas conformes aux procédures canadiennes ne devraient pas être écartés si, dans le contexte particulier, leur admission ne rendrait pas le procès injuste.

Il faut se rappeler qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’éléments de preuve présentés lors du procès mais de renseignements qui ont mené à la délivrance d’un mandat de perquisition. La norme applicable consiste en des motifs raisonnables et probables. Les requérants n’ont fait aucunement mention de quelque injustice commise dans l’obtention des renseignements au Pakistan. En effet, même en supposant que quelque injustice soit survenue dans l’obtention des renseignements du Pakistan, il faut noter que la dénonciation du détective Anderson comporte environ 89 paragraphes. Bien qu’il n’incombe pas à un juge désigné de tirer des conclusions relativement à de telles questions, il lui faut déterminer si les arguments présentés au sujet de la divulgation sont réalistes. Dans les circonstances, je conclus que l’argument au sujet des renseignements obtenus du Pakistan n’est pas réaliste mais repose seulement sur la conjecture.

Les requérants prétendent qu’ils ont le droit de vérifier la crédibilité des indicateurs et qu’ils doivent, à cette fin, prendre connaissance des renseignements non divulgués. Comme je l’ai indiqué précédemment, la crédibilité est toujours une question en litige et, par conséquent, ce ne peut pas être la crédibilité en général qui peut servir de fondement à la divulgation de renseignements dans une procédure visée aux articles 37 et 38 de la LPC. Il doit exister une possibilité raisonnable que les renseignements devant être divulgués aient une valeur logiquement probante dans le contexte de la crédibilité. Bien que la norme puisse ne pas être élevée, il doit y avoir plus que de vagues affirmations pour satisfaire au critère de la pertinence applicable aux procédures visées aux paragraphes 37(2) et 38(1). En l’espèce, les affirmations des avocats n’équivalent, selon moi, à rien d’autre que des conjectures. Rien de précis n’a été mentionné, et il n’a pas été satisfait au critère de la "pertinence probable ».

Compte tenu de toutes les observations faites par les avocats des requérants et de toutes les raisons qu’ils ont données, je ne suis pas convaincu que les requérants aient prouvé que les renseignements qu’ils demandent satisfont au critère de la « pertinence probable ». Dans les circonstances, rien ne justifie d’aller plus avant dans l’inspection des documents et la conduite d’une analyse de pondération entre l’intérêt public en faveur de la divulgation et l’intérêt public déterminé en faveur du maintien du secret.

Dépens

Les requérants ont demandé des dépens sur une base procureur-client. Cependant, je ne perçois aucun acte fautif de la part du procureur de la Couronne en l’espèce qui justifierait l’adjudication de ces dépens.

Conformément à la Règle 1618 des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., 1978, ch. 663 [édictée par DORS/92-43, art. 19], les dépens ne peuvent être accordés que dans des circonstances spéciales. La Couronne soutient que les requérants n’ont pas satisfait au critère de l’apparence de droit à la divulgation, car ils n’ont pas présenté d’affidavit sur lequel fonder leurs prétentions à la pertinence (bien qu’ils ne fussent pas strictement tenus de le faire), et que plusieurs de leurs arguments ne figuraient pas dans leur exposé, mais avaient d’abord été soutenus à l’audience orale. Je crois que cela constituerait des circonstances spéciales dans une affaire appropriée. Toutefois, la Couronne n’a déposé son certificat modifié que tard au cours de l’instance. Il y a peut-être des raisons expliquant le dépôt tardif du certificat qui ne sont pas attribuables entièrement à la Couronne, mais néanmoins, les requérants ont dû faire face à ce qui pourrait être considéré comme la modification d’un acte de procédure tard en cours d’instance. Le dépôt tardif du certificat modifié a sans doute posé certains problèmes aux requérants dans la préparation de la présente audience.

Dans les circonstances, il s’agit d’une affaire dans laquelle il ne devrait pas y avoir d’adjudication des dépens.

Conclusion

La demande est rejetée.



[1] Les art. 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada sont reproduits dans leur intégralité, car plusieurs paragraphes sont mentionnés tout au long des présents motifs.

37. (1) Un ministre fédéral ou toute autre personne intéressée peut s’opposer à la divulgation de renseignements devant un tribunal, un organisme ou une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, en attestant verbalement ou par écrit devant eux que ces renseignements ne devraient pas être divulgués pour des raisons d’intérêt public déterminées.

(2) Sous réserve des articles 38 et 39, dans les cas où l’opposition visée au paragraphe (1) est portée devant une cour supérieure, celle-ci peut prendre connaissance des renseignements et ordonner leur divulgation, sous réserve des restrictions ou conditions qu’elle estime indiquées, si elle conclut qu’en l’espèce, les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public invoquées lors de l’attestation.

(3) Sous réserve des articles 38 et 39, dans les cas où l’opposition visée au paragraphe (1) est portée devant le tribunal, un organisme ou une personne qui ne constituent pas une cour supérieure, la question peut être décidée conformément au paragraphe (2), sur demande, par :

a) la Section de première instance de la Cour fédérale, dans les cas où l’organisme ou la personne investis du pouvoir de contraindre à la production de renseignements en vertu d’une loi fédérale ne constituent pas un tribunal régi par le droit d’une province;

b) la division ou cour de première instance de la cour supérieure de la province dans le ressort de laquelle le tribunal, l’organisme ou la personne ont compétence, dans les autres cas.

(4) Le délai dans lequel la demande visée au paragraphe (3) peut être faite est de dix jours suivant l’opposition, mais le tribunal saisi peut modifier ce délai s’il l’estime indiqué dans les circonstances.

(5) L’appel des décisions rendues en vertu des paragraphes (2) ou (3) se fait :

a) devant la Cour d’appel fédérale, pour ce qui est de celles de la Section de première instance de la Cour fédérale;

b) devant la cour d’appel d’une province, pour ce qui est de celles de la division ou cour de première instance d’une cour supérieure d’une province.

(6) Le délai dans lequel l’appel prévu au paragraphe (5) peut être interjeté est de dix jours suivant la date de la décision frappée d’appel, mais la cour d’appel peut le proroger si elle l’estime indiqué dans les circonstances.

(7) Nonobstant toute autre loi fédérale :

a) le délai de demande d’autorisation d’en appeler à la Cour suprême du Canada est de dix jours suivant le jugement frappé d’appel, visé au paragraphe (5), mais le tribunal compétent pour autoriser l’appel peut proroger ce délai s’il l’estime indiqué dans les circonstances;

b) dans les cas où l’autorisation est accordée, l’appel est interjeté conformément au paragraphe 60(1) de la Loi sur la Cour suprême, mais le délai qui s’applique est celui qu’a fixé le tribunal qui a autorisé l’appel.

38. (1) Dans les cas où l’opposition visée au paragraphe 37(1) se fonde sur le motif que la divulgation porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, la question peut être décidée conformément au paragraphe 37(2), sur demande, mais uniquement par le juge en chef de la Cour fédérale ou tout autre juge de ce tribunal qu’il charge de l’audition de ce genre de demande.

(2) Le délai dans lequel la demande visée au paragraphe (1) peut être faite est de dix jours suivant l’opposition, mais le juge en chef de la Cour fédérale ou le juge de ce tribunal qu’il charge de l’audition de ce genre de demande peut modifier ce délai s’il l’estime indiqué.

(3) Il y a appel de la décision visée au paragraphe (1) devant la Cour d’appel fédérale.

(4) Le paragraphe 37(6) s’applique aux appels prévus au paragraphe (3) et le paragraphe 37(7) s’applique aux appels des jugements rendus en vertu du paragraphe (3), compte tenu des adaptations de circonstance.

(5) Les demandes visées au paragraphe (1) font, en premier ressort ou en appel, l’objet d’une audition à huis clos; celle-ci a lieu dans la région de la capitale nationale définie à l’annexe de la Loi sur la capitale nationale si la personne qui s’oppose à la divulgation le demande.

(6) La personne qui a porté l’opposition qui fait l’objet d’une demande ou d’un appel a, au cours des auditions, en première instance ou en appel et sur demande, le droit de présenter des arguments en l’absence d’une autre partie.

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