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[1996] 1 C.F. 497

A-859-92

Harjinderpal Singh Nagra (requérant)

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Nagra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Muldoon— Vancouver, 3 février; Ottawa, 15 novembre 1995.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Le requérant est un citoyen de l’Inde qui a épousé une Canadienne après être entré au Canada — Il a obtenu une dispense de visa — Il a été déclaré coupable de crimes — L’arbitre a jugé que le requérant n’était pas un résident permanent et a pris une mesure de renvoi conditionnel contre lui — La section d’appel de la C.I.S.R. a statué que le requérant n’était pas un résident permanent et qu’elle n’avait pas compétence pour se prononcer sur l’appel interjeté de la mesure de renvoi — L’admission au Canada est un processus à deux étapes : (1) l’immigrant doit obtenir un visa à l’étranger avant de se présenter à un point d’entrée au Canada; (2) l’immigrant doit se présenter en personne devant un agent d’immigration à un point d’entrée pour y être interrogé — Le requérant a été exempté seulement de la première étape — Comme il n’a pas respecté la seconde étape, il n’est pas un résident permanent.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Renvoi de visiteurs Le requérant est entré au Canada en 1986 Il a été déclaré coupable de crimes en 1990 Une mesure de renvoi conditionnel a été prise contre lui au motif quil était visé à lart. 27(2)d) de la Loi sur limmigration La C.S.C. a par la suite annulé les déclarations de culpabilité Son fondement ayant été supprimé, la mesure de renvoi est annulée.

Il s’agit d’une demande visant 1) à faire annuler les ordonnances par lesquelles la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a accueilli une requête visant à faire rejeter un appel pour défaut de compétence et a rejeté l’appel interjeté d’une mesure de renvoi; (2) à obtenir une ordonnance annulant une mesure de renvoi; (3) à obtenir un jugement déclaratoire portant que le requérant est un résident permanent.

Le requérant est citoyen de l’Inde. Il est entré au Canada avec le statut de visiteur en 1985. Il a par la suite épousé une citoyenne canadienne. En 1986, le gouverneur en conseil a dispensé le requérant des exigences du paragraphe 9(1) de la Loi sur limmigration, qui oblige tout immigrant à demander et à obtenir un visa avant de se présenter à un point d’entrée au Canada. En 1990, le requérant a été déclaré coupable de deux crimes. Lors de l’enquête subséquente tenue conformément au paragraphe 27(2), l’arbitre a déterminé que le requérant n’était pas un résident permanent et qu’il était une personne visée à l’alinéa 27(2)d) de la Loi, et il a pris une mesure de renvoi conditionnel contre l’appelant. La Commission a conclu que le requérant n’était pas un résident permanent, qu’il n’était donc pas visé à l’article 70 et qu’elle n’avait pas compétence pour se prononcer sur l’appel interjeté de la mesure de renvoi. Par la suite, la Cour suprême du Canada a annulé les déclarations de culpabilité et a ordonné la tenue d’un nouveau procès, qui n’a pas encore eu lieu.

Les questions en litige sont celles de savoir : (1) si le requérant était un résident permanent; (2) si la Commission avait compétence pour entendre l’appel interjeté de la mesure de renvoi.

Jugement : la demande devrait être rejetée, mais la mesure de renvoi devrait être annulée.

L’admission au Canada est un processus qui comporte au moins deux étapes. Le paragraphe 9(1) contient l’essentiel de la première étape. La seconde étape est celle au cours de laquelle l’immigrant se présente en personne devant un agent d’immigration à un point d’entrée. Il existe aussi d’autres conditions, dont l’enquête sur les antécédents en vue de l’autorisation sécuritaire et la visite médicale exigée par l’article 11.

Le requérant n’a été dispensé que des exigences de la première étape. Il n’a jamais été dispensé de se conformer aux dispositions de la seconde étape que l’on retrouve aux articles 11, 12 et 14. Comme il n’a pas satisfait aux exigences de la seconde étape, il n’est pas devenu un résident permanent du Canada : il n’a jamais obtenu le droit de s’y établir.

Le fondement de la mesure de renvoi est disparu par suite de l’annulation des déclarations de culpabilité. La mesure d’expulsion n’a aucun fondement valable et elle doit être annulée.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), 28(1)g) (abrogé par L.C. 1992, ch. 49, art. 128).

Loi sur limmigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 9(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 4), 11 (mod., idem, art. 6), 12(1) (mod., idem, art. 7), (3), 14(1), (2) (mod., idem, art. 8), (4) (mod., idem), 27(2) (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 16), 70 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; ch. 29, art. 6).

Règlement de dispense du visa Immigration no 1, 1986, DORS/86-180, art. 3.

Règlement sur limmigration de 1978, DORS/78-172, art. 12 (mod. par DORS/83-540, art. 2).

JURISPRUDENCE

DÉCISION NON SUIVIE :

Dass c. Canada (Ministre de lEmploi et de lImmigration), [1993] 2 C.F. 337 (1993), 59 F.T.R. 312 (1re inst.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Sivacilar c. Ministre de lEmploi et de lImmigration (1984), 57 N.R. 57 (C.A.F.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Ho c. Can. (Min. de lEmploi et de lImmigration) (1986), 47 Alta. L.R. (2d) 82; 6 F.T.R. 78 (C.F. 1re inst.); Ferrerya c. Ministre de lEmploi et de lImmigration (1992), 56 F.T.R. 270 (C.F. 1re inst.); Escamilla c. Canada (Solliciteur général) (1993), 68 F.T.R. 93; 22 Imm. L.R. (2d) 94 (C.F. 1re inst.); R v. Nagra (H.S.) (1993), 44 W.A.C. 81 (C.A.C.-B.); inf. à [1994] 1 R.C.S. 355; (1994), 40 B.C.A.C. 79; 164 N.R. 191; 65 W.A.C. 79.

DÉCISIONS CITÉES :

Dawson c. Ministre de lEmploi et de lImmigration (1988), 21 F.T.R. 212; 6 Imm. L.R. (2d) 37 (C.F. 1re inst.); Ministre de lEmploi et de lImmigration et autres c. Jiminez-Perez et autre, [1984] 2 R.C.S. 565; (1984), 14 D.L.R. (4th) 609; [1985] 1 W.W.R. 577; 9 Admin. L.R. 280; 56 N.R. 215; John c. Ministre de lEmploi et de lImmigration, T-2463-89, jugement en date du 10-4-90, le juge Addy, C.F. 1re inst., non publié; Virk c. Ministre de lEmploi et de lImmigration (1991), 46 F.T.R. 145 (C.F. 1re inst.); Taei c. Ministre de lEmploi et de lImmigration (1993), 64 F.T.R. 311 (C.F. 1re inst.); Pillay c. Ministre de lEmploi et de lImmigration (1993), 70 F.T.R. 12; 22 Imm. L.R. (2d) 146 (C.F. 1re inst.); Kanes c. Ministre de lEmploi et de lImmigration (1993), 72 F.T.R. 226 (C.F. 1re inst.)

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a statué que le requérant n’était pas un résident permanent et qu’elle n’avait pas compétence pour entendre l’appel interjeté d’une mesure de renvoi conditionnel (Nagra c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 17 Imm. L.R. (2d) 279 (S.A.C.I.S.R.)). La demande est rejetée, mais la mesure de renvoi est annulée parce que son fondement est disparu par suite de l’annulation des déclarations de culpabilité sur lesquelles elle était fondée.

AVOCATS :

William J. Macintosh pour le requérant.

Sandra E. Weafer pour l’intimé.

PROCUREURS :

William Macintosh Associates, Vancouver, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Muldoon : Bien que la présente instance porte un numéro de dossier de la Section d’appel de la Cour, le juge en chef l’a déférée à la Section de première instance conformément à sa directive no 18. (L’expression « section d’appel » désigne ci-après la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.) En conséquence, une requête introductive d’instance modifiée a été déposée en l’espèce le 2 mars 1993 à titre de document no 12.

Voici le redressement que sollicite le requérant dans la requête en question :

[traduction] a) une ordonnance annulant l’ordonnance du 30 avril 1992 de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié par laquelle la Commission a accueilli la requête présentée par l’intimé en vue de faire rejeter l’appel pour défaut de compétence;

b) une ordonnance annulant l’ordonnance et la décision datées du 30 avril 1992 par lesquelles la Commission a rejeté l’appel interjeté par le requérant de la mesure de renvoi prise contre lui le 25 octobre 1991;

c) une ordonnance annulant la mesure de renvoi prise le 25 octobre 1991 contre le requérant par l’arbitre Leach;

d) un jugement déclaratoire portant que le requérant est un résident permanent;

e) tout autre redressement que la Cour jugera bon d’accorder.

Le principal moyen que le requérant invoque pour justifier les réparations qu’il sollicite est le suivant :

[traduction] a) que la Commission a commis une erreur de droit en rendant sa décision et ses ordonnances, notamment en décidant que le requérant n’était pas un résident permanent; et que, par conséquent, la Commission n’avait pas compétence pour entendre tout appel interjeté par le requérant en vertu de l’article 70 de la Loi sur l’immigration;

La section d’appel (on emploiera parfois : la Commission) a rendu sa décision le 30 avril 1992 dans le dossier no V91-01621 [(1992), 17 Imm. L.R. (2d) 279]. Elle était composée d’un seul membre de la section d’appel, par suite d’une entente intervenue entre les avocats des parties. Voici les deux questions litigieuses qui ont été soumises à la section d’appel [à la page 281] :

a) l’arbitre a-t-il commis une erreur en concluant que l’appelant [maintenant le requérant] n’était pas un résident permanent et qu’il était une personne visée à l’alinéa 27(2)d) de la Loi?

b) la Section d’appel est-elle compétente pour entendre le présent appel?

Les extraits saillants des motifs de la section d’appel sont utiles en raison des conclusions de fait qu’ils contiennent et parce qu’ils illustrent le raisonnement que le membre de la section d’appel a suivi en ce qui concerne les questions litigieuses à l’égard desquelles son raisonnement est contesté en l’espèce. Les extraits en question commencent à la page 281 :

L’appelant est citoyen de l’Inde. Il est entré au Canada avec le statut de visiteur en février 1985. Il s’est marié par la suite à une citoyenne canadienne. Sa femme a présenté un engagement à fournir de l’aide dans le cadre du processus de parrainage de la demande de résidence permanente de l’appelant. L’appelant a présenté une demande d’exemption aux exigences énoncées au par. 9(1) de la Loi sur l’immigration de 1976 [S.C. 1976-77, ch. 52] (également le par. 9(1) de la Loi actuelle); le paragraphe exige que l’appelant demande et obtienne un visa avant de se présenter à un point d’entrée. (9.(1) Sous réserve des dispositions réglementaires, tout immigrant et tout visiteur doit demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d’entrée.) La demande de résidence permanente de l’appelant a été traitée par ... [l’]agente d’immigration. Le 11 juin 1985, elle a décidé d’approuver la demande d’exemption du visa. Cette décision exigeait en outre qu’elle prépare un formulaire IMM 655. Il s’agit d’une demande d’autorisation spéciale qu’on soumet au Gouverneur en Conseil en vue de dispenser l’intéressé des exigences énoncées au par. 9(1) de la Loi sur l’immigration.

Le formulaire a été dûment rempli par [l’agente d’immigration]. On l’a ensuite présenté au Gouverneur en Conseil. Le 30 janvier 1986, le Gouverneur en Conseil a accordé la demande d’exemption de l’appelant. Le décret du conseil no 1986-291 a été enregistré et publié comme ordonnance statutaire dans la Gazette du Canada, Partie II. L’exemption de l’appelant a été incluse dans le décret du conseil sous l’article 738.

En 1990, l’appelant a été déclaré coupable de deux crimes. Du fait de ces inculpations, il a fait l’objet d’une enquête de l’immigration, conformément au paragraphe 27(2) de la Loi. À l’enquête, l’appelant a confirmé qu’il était résident permanent du Canada grâce à l’exemption de visa que lui avait accordée le Gouverneur en Conseil le 30 janvier 1986. L’arbitre a déterminé que l’appelant n’était pas un résident permanent et qu’il était une personne visée à l’alinéa 27(2)d) de la Loi.

Par conséquent, l’arbitre a prononcé une ordonnance de renvoi conditionnel contre l’appelant. À cette même date, la demande de réfugié de l’appelant a été transmise à la Section du statut de réfugié (la « Section du statut ») par le tribunal parce que, au moment de l’audience visant à déterminer si la revendication du demandeur avait un minimum de fondement, le représentant de l’intimé avait concédé que la revendication du statut de réfugié de l’appelant avait le fondement requis.

Le conseil de l’appelant a soutenu que ce dernier était devenu résident permanent le jour où on lui avait accordé le décret du conseil. L’appelant avait satisfait à toutes les exigences énoncées dans la Loi et dans son règlement. L’agent d’immigration avait suivi toutes les démarches appropriées. Aucune réserve ne figurait sur le formulaire de demande du Gouverneur en Conseil. Par conséquent, l’arbitre aurait dû déterminer que l’appelant était un résident permanent. Le fait que l’arbitre a rendu une telle décision aurait dû le placer dans l’obligation d’annuler le rapport établi contre l’appelant. (Anderson c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1981] 2 C.F. 30 113 D.L.R. (3d) 243, 36 N.R. 423 (C.A.); la Cour d’appel fédérale avait maintenu qu’un arbitre ne pouvait rendre une ordonnance de renvoi que pour les motifs énoncés dans le rapport écrit du sous-ministre, qui constituait le fondement de l’enquête.) Étant donné que l’appelant était un résident permanent, il ne pouvait pas être visé par l’alinéa 27(2)d) de la Loi. Le rapport établi conformément à l’article 27 ne contenait aucune autre allégation.

Le conseil de l’appelant a cité la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Sivacilar (Sivacilar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1984), 57 N.R. 57 (C.A.F.)). Dans cette affaire, M. Sivacilar était entré au Canada avec le statut de visiteur. Il avait épousé une citoyenne canadienne au Canada. Il était parvenu à obtenir une exemption de visa grâce au décret octroyé par le Gouverneur en Conseil.

Par la suite, la femme de M. Sivacilar a renoncé au parrainage. Une enquête a été convoquée pour le motif que M. Sivacilar travaillait au Canada sans avoir d’abord obtenu un permis de travail. L’arbitre devait déterminer si M. Sivacilar devait être renvoyé du Canada. L’arbitre a par conséquent signifié un avis d’interdiction de séjour. M. Sivacilar a demandé qu’on procède à un contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre. La Cour d’appel fédérale a rejeté la décision de l’arbitre. Le juge Hugessen, J.C.A., rédigeant au nom du tribunal, a déclaré ce qui suit à la p. 59 :

Comme je l’ai indiqué, le document soumis au gouverneur en conseil pour demander une autorisation spéciale contient, à deux endroits distincts, l’affirmation officielle, approuvée par un agent d’immigration supérieur, que toutes les conditions de la Loi ont été remplies. Dans ce document, il est demandé l’autorisation d’admettre le requérant malgré le paragraphe 9(1). Le décret en conseil C.P. 1983-2469 une fois adopté, le requérant est devenu une personne ayant droit d’entrer au Canada et d’y demeurer. Il avait acquis le droit d’être reçu et il ne restait aucune formalité à remplir pour lui octroyer le droit d’établissement. Le fait que, par la suite, sa femme ait prétendu retirer son parrainage n’affectait aucunement ce droit.

(Italique ajouté.)

(Reproduction de l’original avec erreurs et omissions.)

Le conseil de l’appelant a allégué qu’on peut invoquer l’affaire Sivacilar lorsque le droit d’établissement entre en vigueur par suite d’un processus de décision. L’expression « droit d’établissement » est définie au paragraphe 2(1) de la Loi et signifie « autorisation d’entrer au Canada pour y établir sa résidence permanente ». Il s’agit tout simplement d’une décision rendue par un agent d’immigration selon laquelle une personne est admissible au Canada. Dans le cas où l’on accorde une dispense aux exigences relatives à l’obtention d’un visa d’immigrant, la personne obtient le droit d’établissement après que l’agent d’immigration décide qu’elle satisfait à toutes les exigences énoncées dans la Loi et son règlement.

Le conseil de l’appelant a allégué que, dans l’affaire en l’espèce, cette décision a été prise par [l’agente d’immigration] lorsqu’elle a présenté la demande d’exemption au Gouverneur en Conseil. Une fois la dispense obtenue, l’appelant a obtenu le droit d’établissement.

La Loi et le règlement n’exigent pas qu’un agent d’immigration effectue d’autres démarches et accorde le droit d’établissement à l’appelant en remplissant une fiche relative au droit d’établissement. Le conseil de l’appelant a qualifié cette étape « d’enregistrement après les faits » qui suit la première décision de l’agent d’immigration.

Le conseil de l’intimé a allégué que, dans Sivacilar, la Cour d’appel fédérale avait simplement décidé de casser l’avis d’interdiction de séjour dont M. Sivacilar avait été frappé. En accordant une exemption face aux exigences du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’immigration de 1976, le Gouverneur en Conseil a par le fait même conféré à M. Sivacilar le droit d’établissement au Canada. Le tribunal n’a pas conféré le statut de résident permanent à l’intéressé. Il lui a seulement permis de présenter une demande de droit d’établissement à un agent d’immigration.

Pour étayer cet argument, le conseil de l’intimé s’est référé aux décisions rendues par la Cour fédérale du Canada, Section de première instance, dans Ho (Ho c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1986), 47 Alta. L.R. (2d) 82, 6 F.T.R. 78) et Dawson (Dawson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 37, 21 F.T.R. 212).

Le membre unique de la section d’appel de la C.I.S.R. a poursuivi en présentant l’analyse que l’avocat du ministre avait faite des décisions Ho [Ho c. Can. (Min. de l’Emploi et de l’Immigration) (1986), 47 Alta. L.R. (2d) 82 (C.F. 1re inst.)] et Dawson [Dawson c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1988), 21 F.T.R. 212 (C.F. 1re inst.)]. La section d’appel a poursuivi en déclarant, aux pages 285 et 286 :

Le savant juge en chef adjoint a fait savoir que sa décision ne visait pas à conférer le statut d’immigrant ayant reçu le droit d’établissement à M. Ho.

Le savant juge a déclaré à la p. 80 [F.T.R.] que :

En outre, conformément à la décision, on ne peut que reconnaître à Kwong Man Ho le droit de présenter sa demande d’établissement, mais non ordonner que le statut qu’il demande lui soit accordé. En ce sens, les conditions de l’intimé sont respectées.

La Cour fédérale du Canada est parvenue à une conclusion semblable dans Dawson. L’honorable juge Teitelbaum s’est référé à Sivacilar et a maintenu que la renonciation de la femme au processus de parrainage était sans effet parce que le requérant avait reçu le droit d’obtenir le statut de résident permanent au Canada en tant qu’immigrant reçu ayant reçu le droit d’établissement dès le moment où le Gouverneur en Conseil lui avait accordé une exemption aux exigences de l’art. 9 de la Loi sur l’immigration de 1976. Le tribunal a émis un bref de mandamus selon lequel l’intimé, le Ministre, devait traiter la demande de droit d’établissement présentée par le requérant et devait lui conférer le statut de résident permanent au Canada.

Le conseil de l’intimé a allégué que les deux cas précités appuyaient la proposition selon laquelle, même si l’appelant avait reçu le droit d’obtenir le statut de résident permanent du fait de l’octroi d’une exemption aux exigences du par. 9(1) de la Loi par le Gouverneur en Conseil, cela ne lui conférait pas automatiquement le statut d’immigrant ayant reçu le droit d’établissement. Le statut de résident permanent ne peut être conféré que par un agent d’immigration qui prend des mesures supplémentaires pour accorder à l’intéressé le droit de s’établir ou encore, par une ordonnance du tribunal selon laquelle l’intimé, le Ministre, doit faire une telle démarche. Sous réserve que les exigences de la Loi et de son règlement aient été satisfaites, l’intéressé se verrait conférer le droit d’établissement par un agent d’immigration. Cette étape n’a pas été effectuée dans l’affaire en l’espèce. Par conséquent, l’appelant n’était pas un résident permanent.

Le conseil de l’intimé a allégué que l’arbitre n’avait pas commis d’erreur en rejetant la demande de résidence permanente de l’appelant et en déterminant que l’appelant était une personne visée à l’al. 27(2)d) de la Loi.

Le membre de la section d’appel a jugé que l’avocat de l’intimé avait raison. Il a estimé que la situation de la personne qui a été soustraite par le gouverneur en conseil à l’application du paragraphe 9(1) de la Loi [Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2] s’apparente à celle de l’immigrant à qui un agent des visas a délivré un visa et qui se présente ensuite en personne devant un agent d’immigration à un point d’entrée conformément à l’article 12 du Règlement [Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172 (mod. par DORS/83-540, art. 2)].

Les motifs de la section d’appel se poursuivent à la page 286 :

La délivrance du visa par l’agent des visas ne confère pas le statut d’immigrant ayant reçu le droit d’établissement à l’immigrant éventuel, pas plus que l’octroi d’une exemption par le Gouverneur en Conseil.

Le statut d’immigrant ayant reçu le droit d’établissement ne peut être obtenu qu’après que l’immigrant a obtenu de l’agent d’immigration au point d’entrée le droit de s’établir au pays. De même, même si l’appelant avait obtenu le droit de revendiquer le statut de résident permanent, ce droit n’aurait été concrétisé que lorsqu’un agent d’immigration lui aurait octroyé le droit d’établissement.

Nulle part dans les motifs du jugement rendu par le juge Hugessen dans Sivacilar ne retrouve-t-on une mention selon laquelle le simple octroi par le Gouverneur en Conseil d’une dispense aux exigences du par. 9(1) de la Loi sur l’immigration de 1976 confère à l’intéressé le statut d’immigrant ayant reçu le droit d’établissement.

En outre, j’estime que la décision rendue par la Cour fédérale du Canada dans Ho et Dawson énonce exactement l’état du droit à cet égard. Ces deux décisions correspondent à celle rendue par la Cour suprême du Canada dans Jiminez-Perez [[1984 2 R.C.S. 565]. Dans Jiminez-Perez, la Cour suprême du Canada a maintenu qu’il n’y avait pas accueil ni parrainage d’une demande de droit d’établissement avant qu’un décret du conseil soit obtenu. Dans Sivacilar, la Cour d’appel fédérale ne s’est pas référée à Jiminez-Perez. Je suis disposé à suivre les motifs énoncés dans Ho et Dawson. Je souscris donc à la conclusion de l’arbitre selon laquelle l’appelant n’était pas un résident permanent et qu’il était une personne visée à l’alinéa 27(2)d) de la Loi.

La section d’appel [à la page 287] a également conclu que, comme le requérant n’était pas une personne visée à l’article 70 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; ch. 29, art. 6] de la Loi, il n’était pas non plus « une personne à qui on a conféré un droit d’interjeter appel devant la Section d’appel », laquelle, a-t-elle conclu, n’était pas compétente pour entendre l’appel. La décision de la section d’appel est publiée à (1993), 17 Imm. L.R. (2d) 279.

La question de savoir si le décret de dispense confère ipso facto de lui-même la résidence permanente au requérant même si la Loi et le Règlement ne le prévoient pas explicitement a récemment été examinée par la Section de première instance dans le jugement Dass c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 C.F. 337 En toute déférence pour un collègue de rang égal, le juge en l’espèce fait observer que le jugement Dass renferme des conclusions avec lesquelles des personnes raisonnables pourraient, sans rancœur, ne pas être d’accord. Ainsi, à la page 346 :

... c’est la condamnation subséquente de M. Dass qui a poussé le Ministère à refuser de poursuivre l’instruction de sa demande de droit d’établissement et de résidence permanente. À mon avis, la condamnation subséquente de M. Dass rappelle le retrait du parrainage par l’épouse dans les causes Sivacilar et Dawson, supra. Tout comme il a été jugé que le retrait du parrainage n’affectait pas le droit à l’autorisation d’établissement dans ces cas, j’estime en l’espèce que les condamnations subséquentes ne devaient avoir aucun effet sur la délivrance de l’autorisation d’établissement ou sur l’instruction de la demande de résidence permanente.

C’est cette analogie que le juge en l’espèce trouve difficile à accepter. Le retrait de l’engagement de parrainage ne suppose pas nécessairement que le requérant a commis des actes anti-sociaux ou criminels. Le retrait de l’engagement de parrainage du conjoint n’implique pas qu’il y a eu perpétration d’un crime ou d’une autre infraction contre le Canada et la population canadienne. L’analogie entre la perpétration d’infractions criminelles de la part du requérant et le retrait de l’engagement de parrainage de la part de la femme du requérant est forte, voire même tirée par les cheveux. En toute déférence pour un éminent collègue, les actes criminels commis par le requérant doivent être considérés—en général et sans circonstances atténuantes—comme des actes qui rendent le requérant irrecevable à présenter une demande d’établissement.

Si le droit d’établissement ou l’établissement d’une résidence permanente constitue un processus à deux étapes, l’obtention d’une dispense de présenter une demande de visa à l’étranger ne fera pas disparaître en elle-même la seconde étape. Voilà, du moins, ce qui semble être la véritable intention du législateur. Le chemin critique se trouve dans les dispositions suivantes : à la partie II de la Loi intitulée « Admission au Canada » [art. 9(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 4)] :

9. (1) … sauf cas prévus par règlement, les immigrants … doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d’entrée.

En temps normal, l’obligation de se présenter à un point d’entrée subsiste. Un « immigrant » est une « personne qui sollicite l’établissement » en se présentant, évidemment, à un point d’entrée.

Toujours à la partie II (Admission au Canada), on trouve ce qui suit [art. 12(1) (mod., idem, art. 7), (3), 14(1), (2) (mod., idem, art. 8), (4) (mod., idem)] :

12. (1) Sous réserve des règlements, quiconque cherche à entrer au Canada est tenu de se présenter devant un agent d’immigration à un point d’entrée ou à tout autre lieu désigné par l’agent principal en vue de l’interrogatoire visant à déterminer s’il est autorisé à entrer au Canada ou s’il peut y être admis.

(3) L’agent d’immigration qui procède à l’interrogatoire peut, lorsqu’il le juge à propos :

a) confier la fin de l’interrogatoire à un autre agent d’immigration;

b) retenir la personne interrogée ...

14. (1) L’agent d’immigration laisse entrer au Canada ceux dont l’interrogatoire l’a convaincu :

a) soit qu’ils en ont le droit

(2) L’agent d’immigration qui est convaincu, après interrogatoire d’un immigrant, que l’octroi du droit d’établissement ne contreviendrait pas, dans son cas, à la présente loi ni à ses règlements est tenu :

a) soit de lui accorder ce droit;

b) soit de l’autoriser à entrer au Canada à condition qu’il se présente, pour interrogatoire complémentaire, devant un agent d’immigration dans le délai et au lieu fixés.

(4) L’agent d’immigration qui est convaincu, après interrogatoire complémentaire, que l’établissement au Canada d’un immigrant autorisé à y entrer au titre des alinéas (2)b), 23(1)b) ou 32(3)b) ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements lui en accorde le droit.

Sont reproduits ci-dessus les éléments essentiels du régime d’admission au Canada prévu par la loi. Ainsi que la Cour l’a déjà fait remarquer, il s’agit d’un processus qui comporte au moins deux étapes. Le paragraphe 9(1) contient l’essentiel de la première étape, celle qui consiste à demander et obtenir un visa à l’étranger avant de se présenter à un point d’entrée au Canada. La seconde étape est celle au cours de laquelle l’immigrant—le résident permanent potentiel—se présente en personne devant un agent d’immigration à un point d’entrée pour y être interrogé. Il s’agit donc d’un processus qui comporte au moins deux étapes, tant que le législateur fédéral n’en aura pas décidé autrement. Il existe, bien sûr, d’autres conditions, dont les plus évidentes sont l’enquête sur les antécédents en vue de l’autorisation sécuritaire et la visite médicale exigée par l’article 11 [mod., idem , art. 6].

Dans l’arrêt Sivacilar [Sivacilar c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1984), 57 N.R. 57], la Cour d’appel a statué que le requérant, à qui avait été délivré un visa d’immigrant, avait le droit d’entrer au Canada. La Cour a jugé que les titulaires de visas d’immigrant—dont M. Sivacilar faisait partie—acquièrent ainsi le droit d’être reçus. La Cour n’a cependant pas statué que M. Sivacilar avait acquis le statut de résident permanent. Elle a bel et bien dit qu’« il ne restait aucune formalité à remplir » pour lui octroyer le droit d’établissement, mais cela tenait au fait que, dans cette affaire, vu l’ensemble des faits, toutes les autorisations nécessaires avaient été accordées. Le droit d’être reçu ne constitue pas en soi le droit d’établissement, mais uniquement un droit qu’il reste à exercer si l’agent d’immigration estime qu’il n’existe aucun obstacle juridique. Il y a deux étapes distinctes. L’arrêt Sivacilar ne régit donc pas la présente espèce et il ne permet pas de se soustraire à ces deux étapes.

Ce concept des deux étapes a du moins été formulé dans le jugement Ho c. Can. (Min. de l’Emploi et de l’Immigration) (1986), 47 Alta. L.R. (2d) 82 (C.F. 1re inst.), dans lequel à la page 85, le juge en chef adjoint déclare :

Les faits sont identiques à ceux de l’affaire Sivacilar et je me considère lié par cette décision. Par conséquent, Kwong Man Ho conserve le droit de présenter sa demande depuis le Canada, et il est exempté des dispositions de l’art. 9 de la Loi. Ce droit ne peut lui être refusé parce que sa femme lui a retiré son parrainage. Il ne peut donc être soumis à une enquête comme le serait le visiteur qui a prolongé son séjour au Canada sans autorisation; et une ordonnance interdira la tenue d’une telle enquête. De plus, un mandamus enjoindra aux intimés de traiter la demande depuis le Canada, conformément aux lois et règlements actuels. Je ne veux pas présumer de l’issue de cette demande et toute ordonnance visant un résultat particulier serait mal venue. [Non souligné dans le texte original.]

Le juge en chef adjoint a refusé de déclarer que le requérant avait déjà obtenu le droit d’établissement.

Dans le jugement Ferrerya c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1992), 56 F.T.R. 270 (C.F. 1re inst.), madame le juge Reed n’a pas désavoué le concept du processus comportant au moins deux étapes. Elle a déclaré, à la page 272 :

Or, il est évident, selon moi, qu’un décret du conseil qui soustrait une personne à l’obligation d’obtenir un visa énoncée au paragraphe 9(1) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, n’est nullement attributif du droit à la résidence permanente. L’exemption permet simplement de demander le droit d’établissement en dépit du fait que l’auteur de la demande se trouve déjà au Canada. [Le paragraphe 9(1) disposait :] « Sauf dans les cas prévus, tous les immigrants et visiteurs sont tenus de demander et d’obtenir un visa avant d’arriver à un point d’entrée ».

L’arrêt Sivacilar (Sivacilar c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1984), 57 N.R. 57 (C.A.F.)) repose sur le fait qu’une décision avait déjà été rendue relativement à la demande du droit d’établissement. Cela s’était passé avant la prise du décret portant exemption et le juge Hugessen souligne bien qu’à deux endroits dans la demande il avait été affirmé que le requérant avait rempli toutes les conditions de la Loi.

Voici, pour sa part, ce que le juge Gibson a déclaré au sujet du processus comportant au moins deux étapes dans le jugement Escamilla c. Canada (Solliciteur général) (1993), 68 F.T.R. 93 (C.F. 1re inst.), dans lequel le requérant n’avait jamais reçu de fiche relative au droit d’établissement. Le juge a déclaré à la page 99 :

Le requérant n’est certainement pas citoyen canadien. Les résidents permanents sont des personnes qui, entre autres, ont obtenu le droit d’établissement. Comme je viens de conclure que le décret susmentionné n’oblige pas le ministère à accorder au requérant le droit d’établissement, c’est-à-dire la permission d’entrer au Canada ou d’y demeurer pour y établir sa résidence permanente, et que rien dans la preuve dont je dispose ne m’indique que le requérant a obtenu de fait ce droit, l’arbitre, en tant que fonctionnaire lié par la Loi sur l’immigration, ne peut faire autrement que procéder à l’enquête en vertu du paragraphe 27(2).

La mesure d’expulsion conditionnelle prise par l’arbitre l’a été légalement. Je ne trouve rien qui puisse justifier son annulation. Deux rapports ont été faits comme il se doit par des agents d’immigration au sous-ministre de l’Emploi et de l’Immigration. Le choix de donner suite au rapport fondé sur l’alinéa 19(1)c) de la Loi sur l’immigration, concernant l’infraction commise au Canada et dont le requérant a été déclaré coupable après que le décret a été pris, plutôt qu’au rapport antérieur, fondé sur l’alinéa 19(2)a), concernant l’infraction commise à l’étranger, appartenait entièrement au sous-ministre de l’Emploi et de l’Immigration qui a ordonné l’enquête ...

Comme je l’ai indiqué plus haut, j’ai conclu, comme l’a fait l’arbitre, que le requérant n’était pas une personne ayant obtenu le droit d’entrer au Canada ou d’y demeurer. Il ne pouvait absolument pas obtenir ce droit parce qu’il se heurtait, pendant toute la période pertinente, à l’empêchement prévu à l’alinéa 19(2)a) de la Loi sur l’immigration. Même si cet alinéa prévoit une procédure d’exemption, le fardeau de mettre celle-ci en œuvre incombe, dans les circonstances de l’espèce, au requérant, et rien dans la preuve dont je dispose ne m’indique qu’il s’est déchargé de ce fardeau.

Les parties ont également cité les décisions suivantes :

Ministre de l’Emploi et de l’Immigration et autres c. Jiminez-Perez et autre, [1984] 2 R.C.S. 565; John c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (T-2463-89, 10 avril 1990, le juge Addy) non publiée; Virk c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1991), 46 F.T.R. 145 (C.F. 1re inst.); Taei c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 64 F.T.R. 311 (C.F. 1re inst.); Pillay c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 70 F.T.R. 12 (C.F. 1re inst.); et Kanes c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 72 F.T.R. 226 (C.F. 1re inst.).

Le requérant est un prédicateur sikh, suivant les renseignements contenus à la page 70 de son dossier de demande, une copie de sa demande d’autorisation spéciale du gouverneur en conseil; suivant la transcription des notes sténographiques de l’audience qui s’est déroulée devant l’arbitre, il serait un avocat. Ces deux professions ne sont pas incompatibles. L’agente d’immigration qui a signé cette demande d’autorisation spéciale de dispense de l’obligation faite par le paragraphe 9(1) de la Loi d’obtenir un visa avait surtout des doutes au sujet de l’authenticité du mariage du requérant. Ses soupçons ont été dissipés. Elle a signé la demande en question le 11 juin 1985. Le décret de dispense C.P. 1986-291, enregistré sous le numéro DORS/86-180 [Règlement de dispense du visaImmigration no 1, 1986] le 30 janvier 1986 est publié dans la partie II de la Gazette du Canada, vol. 120, no 4 du 19 février 1986. Le texte de ce décret précise qu’il est pris « en vertu du paragraphe 9(1) et de l’alinéa 115(1)ii) de la Loi sur l’immigration de 1976 ». Son paragraphe clé est le paragraphe 3, qui dispose : « Le paragraphe 9(1) de la Loi ne s’applique pas à un immigrant dont le nom figure à l’annexe ». Le requérant est nommément désigné dans l’annexe. Qu’est-ce qui ne s’applique pas à lui? Le même paragraphe 9(1) déjà reproduit dans les présents motifs. Ainsi donc, le requérant a été légalement dispensé de l’obligation légale de « demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d’entrée ». Il s’agit là de la première étape qu’il devait franchir et de la dispense qu’il a obtenue—rien de plus, rien de moins.

Le requérant n’a jamais été dispensé de se conformer aux dispositions de la seconde étape que l’on retrouve par exemple aux articles 11, 12 et 14. Mais, ainsi qu’il ressort du dossier, il n’a pas satisfait aux exigences de la seconde étape. Par conséquent, il n’est pas devenu un résident permanent du Canada : il n’a jamais obtenu le droit de s’y établir, comme le confirme l’attestation de M. J.-Y. Prévost qui est reproduite à la page 63 du dossier du requérant. À cet égard, le membre de la section d’appel a déclaré :

La délivrance du visa par l’agent des visas ne confère pas plus le statut d’immigrant ayant reçu le droit d’établissement à l’immigrant éventuel, pas plus que l’octroi d’une exemption par le Gouverneur en Conseil.

La Cour confirme cette conclusion.

La section d’appel a également statué que, comme le requérant n’était pas un résident permanent, il n’était pas une personne visée à l’article 70 de la Loi. La section d’appel a statué qu’elle n’avait donc pas compétence pour se prononcer sur l’appel interjeté par le requérant de la mesure de renvoi prise contre lui.

L’avocat du requérant a fortement insisté pour que la Cour se prononce sur la conclusion qui précède. La Cour a sursis au prononcé d’une décision sur cette question.

Dans l’intervalle, en février et en juin 1990, même avant la décision de l’arbitre et avant que la mesure d’expulsion conditionnelle ne soit prise le 25 octobre 1991, le requérant a eu des démêlés avec la justice.

Ainsi, de toute évidence au moment même où la section d’appel formulait et rendait sa décision, c’est-à-dire entre le 12 mars et le 30 avril 1992, le requérant a été reconnu coupable de deux chefs d’accusation de complot et c’est essentiellement sur cette déclaration de culpabilité que la mesure d’expulsion était fondée. Les infractions reprochés sont exposées dans un document intitulé « Reconnaissance des faits » que l’avocat du requérant a signé au nom de ce dernier le 30 avril 1991 et qui est confirmé par la copie de l’acte d’accusation et par les autres documents de la Cour de comté de Vancouver qui se trouvent aux pages 51 à 64 du dossier du requérant. Le paragraphe 3 de la Reconnaissance des faits est ainsi libellé (page 64) :

[traduction] 3. [Le requérant, Nagra] a été reconnu coupable à Vancouver (C.-B.) le 28 juin 1990 [par le juge Westmore et un jury] des infractions suivantes; a) un chef d’accusation de complot en vue de commettre l’acte criminel de supposition intentionnelle de personne prévu à l’alinéa 403a) du Code criminel du Canada; b) d’un chef d’accusation de complot en vue de commettre l’acte criminel prévu à l’alinéa 57(2)b) du Code criminel du Canada (obtention d’un passeport par suite d’une déclaration écrite ou orale qu’il savait être fausse).

Le requérant a, comme on le voit à la page 62, été condamné à une peine concurrente d’emprisonnement de quatre mois pour les deux premiers des trois chefs d’accusation.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a constaté que le verdict de la Cour de comté n’était pas exempt de défauts, mais elle a néanmoins débouté le requérant de son appel [(1993), 44 W.A.C. 81]. La justice a péniblement suivi son cours et, le 14 mars 1994, assez longtemps après le prononcé de la décision de la section d’appel de la C.I.S.R. (le 30 avril 1992), la Cour suprême du Canada a parlé. L’intitulé de cet arrêt est R. c. Nagra, [1994] 1 R.C.S. 355. L’arrêt de la Cour suprême a été prononcé à l’audience par le juge en chef [à la page 356] :

Il ne sera pas nécessaire de vous entendre Me Tammen. Nous accueillons le pourvoi. Nous sommes d’avis qu’il ne s’agit pas d’un cas où il convenait [que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique applique] les dispositions du sous-al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 [décision entachée d’une erreur grave ou erreur judiciaire].

En conséquence, le pourvoi est accueilli, la déclaration de culpabilité est annulée et un nouveau procès est ordonné.

On est loin d’un acquittement pur et simple. La Cour suprême a cependant bel et bien annulé les condamnations sur lesquelles la mesure d’expulsion était fondée. Notre Cour n’a pas entendu parler d’un éventuel nouveau procès.

Alors donc, où en sommes-nous? La décision contestée qui a été rendue le 30 avril 1992 par le membre de la section d’appel était et demeure bien fondée. Depuis lors, le motif fondant la mesure d’expulsion en a été supprimé par suite de l’annulation des condamnations criminelles dont le requérant a fait l’objet. Il est maintenant possible de mieux comprendre pourquoi l’avocat du requérant insiste tant pour que la Cour déclare que le requérant est déjà un résident permanent. Mais tout ce qu’on peut dire, c’est que maintenant que les condamnations ont été annulées, il devrait peut-être avoir le statut de résident permanent ou ne pas l’avoir.

La Cour suprême du Canada a ordonné la tenue d’un nouveau procès. La Cour fédérale ne sait pas si le nouveau procès aura jamais lieu. Il se peut que des témoins essentiels aient disparu, que leurs souvenirs soient moins précis maintenant qu’ils ne l’étaient au moment du premier procès. Il pourrait y avoir d’autres raisons. Il est possible que le procureur général de la Colombie-Britannique puisse répondre à la question de savoir si un nouveau procès aura lieu.

Dans l’intervalle, il n’a pas été démontré que le requérant avait franchi la seconde étape lui permettant d’obtenir la résidence permanente, à cause du rapport alors tout à fait légitime qui a été fait en vertu du paragraphe 27(2) [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 16] de la Loi sur l’immigration. L’avocat de l’intimé [traduction] « concède que la mesure d’expulsion n’est plus valide » (lignes 8 et 9 de la page 5 de la transcription). Il s’agit là d’une concession tout à fait légitime, mais elle ne suffit évidemment pas à faire disparaître la mesure d’expulsion. La mesure d’expulsion doit être invalidée ou annulée par une autorité judiciaire si l’arbitre qui a pris la mesure d’expulsion ne peut plus le faire parce qu’il est dessaisi de l’affaire.

Voici, aux pages 50 et 51 de la transcription, la thèse tout à fait raisonnable de l’intimé :

[traduction] Me WEAFER : [l’avocate de l’intimé] Monsieur le juge, ainsi que je vous l’ai précisé au départ, il n’est pas nécessaire de trancher cette question aujourd’hui, étant donné que la question de savoir s’il est un résident permanent se pose en raison du fait qu’il désire interjeter appel de la mesure d’expulsion. Et, comme je vous l’ai déjà précisé, l’intimé est disposé à concéder que la mesure d’expulsion n’est pas valide, étant donné qu’elle est fondée sur des condamnations qui ont été annulées par la Cour suprême du Canada.

Je vous fais également remarquer que, bien que, dans la demande qu’il a alors présentée sous forme de requête introductive d’instance, mon collègue concluait effectivement à l’annulation de la mesure d’expulsion, je ne crois pas que vous puissiez être régulièrement saisi de cette question alors que la seule décision qui est contestée est celle de la Section d’appel de l’immigration. Mais si je le comprends bien, mon collègue ne désire pas prendre les mesures nécessaires pour soumettre directement cette question à la Cour.

Les deux avocats se sont engagés dans un débat discutable qui est consigné dans la transcription, de la page 55, ligne 19, à la page 57, ligne 57, et de la page 59, ligne 25, à la page 60, ligne 11. Il y a une chose qui est parfaitement claire et c’est que l’intimé semble disposé à se mettre en quatre pour aider le requérant à annuler ou à éteindre la mesure d’expulsion suivante qui a été prise le 25 octobre 1991 par l’arbitre :

[traduction] VU L’ENSEMBLE DE LA PREUVE PRODUITE À L’ENQUÊTE TENUE CONFORMÉMENT AUX DISPOSITIONS DE LA LOI SUR L’IMMIGRATION, MODIFIÉE, J’ORDONNE PAR LES PRÉSENTES QUE VOUS FASSIEZ L’OBJET D’UN RENVOI CONDITIONNEL EN VERTU DU PARAGRAPHE 32.1(4) DE LADITE LOI PARCE QUE VOUS ÊTES UNE PERSONNE VISÉE À

l’alinéa 27(2)d) de la Loi sur l’immigration du fait que vous êtes une personne qui a été déclarée coupable d’une infraction prévue au Code criminel du Canada.

(Reproduit conformément à l’original avec les erreurs et les omissions)

Les deux avocats semblent ne pas être conscients :

1. de la directive no 18 du juge en chef;

2. de l’abrogation de l’alinéa 28(1)g) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] par L.C. 1992, ch. 49, article 128;

3. de la réparation demandée par le requérant en l’espèce à l’alinéa c) de sa requête introductive d’instance modifiée fondée sur l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, à savoir une ordonnance annulant la mesure d’expulsion prise le 25 octobre 1991 par l’arbitre Leach contre le requérant.

Les deux premiers points sont des questions d’ordre procédural. Le principe d’interprétation salutaire qui s’applique exige que le requérant (ou le demandeur) ne soit pas privé de la qualité pour agir que lui reconnaît le droit substantiel au moment où il invoque le pouvoir de réparation de la Cour, mais que les parties respectent néanmoins les modifications procédurales au moment de leur entrée en vigueur. Compte tenu de la portée du premier et du deuxième facteur susmentionnés, la Cour a toute la latitude voulue pour accorder au requérant la réparation qu’il sollicite à l’alinéa c) de sa requête. Il semble qu’il s’agisse là du couteau qui permet de trancher de façon logique et sensée le nœud gordien dans lequel les avocats des parties se sont empêtrés. Ce nœud semble unique.

Ainsi donc, en résumé, l’arbitre a eu raison de statuer que le requérant n’est pas un résident permanent qui a obtenu le droit d’établissement; toutefois, il s’avère, depuis le prononcé de cette décision, que la mesure d’expulsion que l’arbitre a prise simultanément n’a aucun fondement valable et qu’elle doit être annulée. En outre, les ordonnances prononcées par le membre unique de la section d’appel sont également bien fondées, étant donné que le requérant n’avait pas—et n’a toujours pas—le statut de résident permanent. Finalement, la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.

La désignation de l’intimé doit être remplacée nunc pro tunc par celle qui figure ci-dessus.

En conséquence, la Cour accorde la permission demandée et annule la mesure d’expulsion prise le 25 octobre 1991 par l’arbitre Leach contre le requérant. La Cour accorde la permission demandée en ce qui concerne tous les autres aspects de la requête introductive d’instance modifiée du requérant et rejette à cet égard la requête en question.

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