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[1996] 2 C.F. 798

A-543-94 (T-2120-93)

Procureur général du Canada (appelant) (intimé)

c.

Lily Kampman (intimée) (requérante)

Répertorié : Kampman c. Canada (Conseil du Trésor) (C.A.)

Cour d’appel, juges Marceau, Linden et Robertson, J.C.A.—Ottawa, 30 janvier et 1er avril 1996.

Fonction publiqueFin d’emploiAppel d’une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire de la décision du Comité d’appel de la Commission de la fonction publiqueLe poste d’infirmière diplômée que l’intimée occupait dans un établissement pénitentiaire exigeait la cote de fiabilité approfondieCelle-ci a été révoquée en raison du défaut de l’intimée de déclarer sa relation avec un délinquant en liberté conditionnelleL’administrateur général a recommandé son congédiement de la fonction publique conformément à l’art. 31 de la LEFPRecommandation confirmée par le Comité d’appelLa révocation de la cote est une prérogative de l’administrateur général et ne constitue pas une véritable décision administrativeLe droit à l’équité procédurale est protégé par l’art. 31 grâce à la procédure de grief interne.

PénitenciersL’intimée est une infirmière diplômée travaillant dans un établissement pénitentiaire à sécurité maximaleSon poste exigeait l’attribution de la cote de fiabilité approfondieL’administrateur général a révoqué cette cote pour défaut, par l’intimée, de révéler sa relation avec un délinquant en liberté conditionnelleIl a recommandé son renvoi de la fonction publique conformément à l’art. 31 de la LEFPLa révocation de la cote est une décision préliminaire sans conséquence permanenteL’art. 31 prévoit un moyen de contrôle approprié de la décision de l’administrateur généralL’obligation d’équité a été remplie.

Droit administratifContrôle judiciaireUne infirmière travaillant dans un pénitencier a été renvoyée de la fonction publique après révocation de sa « cote de fiabilité approfondie » par l’administrateur général pour n’avoir pas révélé sa liaison avec un délinquant en liberté conditionnelleElle a été déboutée par le Comité d’appel institué en vertu de la LEFPLe juge de première instance a renvoyé le dossier au Comité pour déterminer si l’intéressée a été équitablement traitéeY-a-t-il une obligation d’équité et, dans l’affirmative, peut-on remédier à un manquement quelconque à cette obligation par une autre voie de recours appropriée?Critères d’examen que le Comité doit appliquer au regard de la révocation de la cote de fiabilitéLa révocation de la cote est une prérogative de l’administrateur généralElle se distingue de la révocation d’une licence ou d’un permis nécessaire à l’exercice d’une activitéLa révocation de la cote ne constitue pas une véritable décision administrative ayant des conséquences permanentesLes règles d’équité et de justice naturelle s’appliquent à la façon dont on a donné suite à la recommandation de renvoiQuoi qu’il en soit, le principe audi alteram partem a été respecté grâce à la procédure de grief interneLe droit à l’équité procédurale est protégé par l’art. 31 de la LEFP.

Il s’agissait de l’appel d’une décision de la Section de première instance rejetant une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Comité d’appel de la Commission de la fonction publique, à l’exception d’un seul élément de cette décision. L’intimée a été engagée, en décembre 1989, en qualité d’infirmière diplômée dans un établissement pénitentiaire à sécurité maximale en Colombie-Britannique. Ce poste exigeait l’attribution d’une « cote de fiabilité approfondie ». Quelque temps après sa nomination, l’intimée a noué une relation avec un délinquant en liberté conditionnelle et a négligé d’en informer ses supérieurs, contrevenant ainsi à l’article 19 du Code de discipline du Service correctionnel du Canada. En conséquence, l’administrateur général a révoqué sa cote de fiabilité approfondie et recommandé à la Commission de la fonction publique de mettre fin à l’emploi de l’intimée conformément à l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, du fait qu’en l’absence de la cote requise, elle était incapable de remplir ses fonctions. L’intimée a présenté un grief contre la révocation de sa cote, grief qui a été joint à celui qu’elle avait déposé contre la mesure de suspension disciplinaire que le Service correctionnel du Canada lui avait infligée en excipant des mêmes faits. Ces deux griefs ont été rejetés par le Commissaire. L’intimée a, sans succès, interjeté appel de la décision de l’administrateur général devant un comité d’appel établi aux termes de la LEFP. Saisi d’une demande de contrôle judiciaire, le juge Strayer a accueilli la requête, mais a renvoyé le dossier au Comité d’appel pour qu’il décide si l’intimée avait été traitée équitablement tout au long du processus conduisant à la décision de révoquer sa cote de fiabilité approfondie. Cet appel a soulevé la question de savoir si l’obligation d’équité peut se poser dans le contexte d’une recommandation de renvoi aux termes de l’article 31 de la LEFP et, dans l’affirmative, si l’on a ultérieurement remédié au manquement à cette obligation par une autre voie de recours appropriée.

Arrêt (le juge Robertson, J.C.A. dissident) : l’appel doit être accueilli.

Le juge Marceau, J.C.A. : La cote de fiabilité approfondie atteste que l’administrateur général de l’organisme est subjectivement d’avis que la personne intéressée est digne de grande confiance ou fiabilité. La révocation de cette cote est une prérogative de l’administrateur général et reflète simplement un changement d’opinion, une perte de confiance quant à la fiabilité de l’employé(e). Il existe une différence fondamentale entre la révocation de la cote de fiabilité approfondie initialement attribuée à un employé avant qu’il n’entre en fonction, et la révocation d’une licence ou d’un permis nécessaire à l’exercice d’une activité. Dans ce dernier cas, la décision a une dynamique propre parce qu’elle interdit immédiatement et pour toujours l’exercice de l’activité. Dans le premier cas, la révocation n’a pas de conséquences permanentes, puisque l’administrateur général n’a pas l’autorité de congédier l’employé. Dans un cas, la décision est finale; dans l’autre, elle n’est que préliminaire. La décision de l’administrateur général de révoquer la cote attribuée à l’intimée ne constituait pas une véritable décision administrative autonome aux conséquences permanentes et directes, mais plutôt une recommandation de renvoi basée sur l’opinion formée par l’administrateur général voulant que l’employée ne manifeste plus le degré de fiabilité requis du titulaire du poste. C’est dans la façon de donner suite à pareille recommandation que les règles, non seulement d’équité, mais de justice naturelle doivent intervenir et c’est ce qu’exige l’article 31. La loi avait établi, à l’article 31, un système de contrôle approprié de la décision d’un administrateur général dans la mesure où un tel contrôle peut s’exercer sur la validité d’une opinion subjective. La Cour ne serait pas fondée à outrepasser la volonté du Parlement en imposant, au regard de la décision de formuler une recommandation, des exigences de procédure visant à offrir, en fait, une protection superflue. Les obligations essentielles qui se rattachent au principe audi alteram partem ont été pleinement respectées grâce à la procédure de grief interne dont l’intimée pouvait se prévaloir et dont elle s’est servie avec l’aide de son représentant. Le juge des requêtes ne pouvait pas faire grief au Comité d’appel d’avoir omis de prendre en considération le caractère équitable de la décision de l’administrateur général, alors que le droit à l’équité procédurale était pleinement protégé par l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et qu’il a été observé par l’enquête et l’audition du Comité d’appel de la Commission de la fonction publique.

Le juge Robertson, J.C.A. (dissident) : La décision de révoquer la cote de fiabilité approfondie de l’intimée fait partie intégrante de la recommandation visant son renvoi de la fonction publique et peut donc être réexaminée par le Comité d’appel aux termes de l’article 31 de la LEFP. L’administrateur général était tenu d’agir équitablement dans les deux cas, pour trois raisons. En premier lieu, cette conclusion répond aux trois critères énoncés par la Cour suprême du Canada voulant que l’obligation d’équité existe lorsque (i) une décision est de nature définitive et particulière, qu’elle soit d’ordre administratif, judiciaire ou quasi judiciaire, (ii) la relation en est une d’employeur- employé, et (iii) la décision a des effets importants et graves sur l’employé, comme l’est une décision de renvoi. Deuxièmement, les directives de l’employeur régissant la cote de fiabilité approfondie reconnaissent et examinent la nécessité d’établir des garanties procédurales. Conformément à la Politique gouvernementale sur la sécurité, on doit donner aux intéressés les motifs de refus d’une cote de fiabilité. Si un candidat a le droit de se faire entendre avant qu’une décision ne soit prise lui refusant la cote de fiabilité approfondie, il s’ensuit, a fortiori, que l’obligation d’équité exige que l’employé ait la possibilité d’être entendu avant la révocation de cette cote. Troisièmement, l’obligation d’agir équitablement dans le cadre d’une décision de renvoi prise conformément à l’article 31 de la Loi a été implicitement reconnue dans deux décisions de la Cour.

Subsidiairement, le cas sous étude ne pouvait se démarquer de la jurisprudence de la Cour suprême par le fait que la décision de l’administrateur général recommandant le congédiement de l’intimée de la fonction publique n’était pas « finale ». Une décision ne doit pas être finale pour qu’une obligation d’équité s’y rattache. L’obligation d’équité peut naître lorsque le pouvoir de recommander ou de conseiller peut éventuellement avoir de graves conséquences défavorables pour la personne concernée. L’autre question subsidiaire concernait la portée de l’obligation d’équité. De façon générale, la portée de l’obligation a pour corollaire qu’à tout le moins, la personne touchée ait une possibilité suffisante de connaître la preuve contre laquelle elle doit se défendre, de la réfuter et de présenter sa propre preuve. L’obligation d’équité doit exister dans le contexte d’une recommandation de renvoi pour la simple raison que l’objectif premier des garanties procédurales consiste à faire en sorte que les décisions qui ont des répercussions appréciables et profondes soient prises en toute connaissance de cause. Pour s’assurer qu’il en est ainsi, les exigences minimales en matière d’équité sont la pleine divulgation et l’occasion de se faire entendre.

Deux sortes de procédures pourraient être considérées comme des voies de recours additionnelles et appropriées en cas de manquement à l’équité procédurale : la procédure d’appel prévue à l’article 31 de la LEFP et la procédure de grief instituée par l’article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Une autre voie de recours appropriée existe si la décision contestée peut être revue par un organisme supérieur indépendant qui n’est pas lié ou restreint par une conclusion antérieure et si cet organisme est habilité à rectifier le manquement au devoir d’équité. Les pouvoirs de révision du Comité d’appel ne sont pas de novo; il peut simplement accepter ou rejeter la recommandation dont il est saisi. Ayant déterminé que la décision de révoquer la cote de fiabilité approfondie de l’intimée reposait sur l’existence d’une relation non divulguée, le Comité d’appel n’a pas examiné plus à fond la question du caractère équitable de la procédure d’enquête. Même si le Comité d’appel est un organisme supérieur, ses pouvoirs de réexamen et de redressement sont tellement limités qu’il ne constitue pas une nouvelle voie de recours appropriée. Pour qu’il le soit, il faudrait établir que la procédure de grief, objet de l’article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, a permis à l’intimée d’avoir suffisamment connaissance des accusations qu’elle devait réfuter et qu’elle lui a fourni l’occasion d’y répliquer efficacement. La partie appelante n’a pas prouvé que l’intimée a été suffisamment informée, durant la procédure de grief, des éléments sur lesquels l’administrateur général a fondé sa décision, tels que la teneur des deux rapports d’enquête. Ni la procédure d’appel prévue par la LEFP, ni la procédure de grief établie par l’article 91 de la LRTFP ne constituent une autre voie de recours suffisante.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11.

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, art. 31.

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23.

Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, ch. P-35.

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 91, 92.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Kampman et le Conseil du Trésor (Solliciteur général- Service correctionnel Canada), [1992] C.R.T.F.P.C. no 4 (QL); Kampman c. Canada (1993), 151 N.R. 181 (C.A.F.); Ahmad c. La Commission de la Fonction publique, [1974] 2 C.F. 644 (1974), 51 D.L.R. (3d) 470; 6 N.R. 287 (C.A.); Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada c. Lewis, [1986] 1 C.F. 70 (1985), 8 C.C.E.L. 53; 60 N.R. 14 (C.A.); demande de pourvoi devant la C.S.C. rejetée [1985] 2 R.C.S. viii; Dansereau c. Canada (Comité d’appel de la fonction publique), [1991] 1 C.F. 444 (1990), 91 CLLC 14,010; 122 N.R. 122 (C.A.); Clare c. Canada (Procureur général), [1993] 1 C.F. 641 (1993), 100 D.L.R. (4th) 400; 93 CLLC 14 025; 149 N.R. 303 (C.A.); Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653; (1990), 69 D.L.R. (4th) 489; [1990] 3 W.W.R. 289; 83 Sask. R. 81; 43 Admin. L.R. 157; 30 C.C.E.L. 237; 90 CLLC 14,010; 106 N.R. 17; Desjardins c. Bouchard, [1983] 2 C.F. 641 (1982), 7 D.L.R. (4th) 644; 11 C.C.C. (3d) 167; 51 N.R. 204 (C.A.); Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106 D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; 13 C.R. (3d) 1; 15 C.R. (3d) 315; 30 N.R. 119; Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.); Harelkin c. Université de Régina, [1979] 2 R.C.S. 561; (1979), 96 D.L.R. (3d) 14; [1979] 3 W.W.R. 676; 26 N.R. 364.

DÉCISIONS CITÉES :

Dickinson c. Ministère du Revenu national (Impôt), [1987] DCA [8-1] 162 (C.A.C.F.P.); Munro (Re) (1993), 105 D.L.R. (4th) 342; [1993] 7 W.W.R. 484; 15 Admin. L.R. (2d) 307; 113 Sask. R. 169; 52 W.A.C. 169 (C.A. Sask.); Abel et al. and Advisory Review Board et al., (Re) (1979), 24 O.R. (2d) 279; 97 D.L.R. (3d) 304; 46 C.C.C. (2d) 342 (C. Div.); conf. par (1980), 31 O.R. (2d) 520; 119 D.L.R. (3d) 101; 56 C.C.C. (2d) 153 (C.A.); Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879; (1989), 62 D.L.R. (4th) 385; 100 N.R. 241; Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; (1978), 88 D.L.R. (3d) 671; 78 CLLC 14,181; 23 N.R. 410; Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75; Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385; (1992), 89 D.L.R. (4th) 218; 3 Admin. L.R. (2d) 242; 133 N.R. 345; Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181; (1987), 41 D.L.R. (4th) 429; 24 Admin. L.R. 91; 74 N.R. 33; Polten and Governing Council of the University of Toronto et al., Re (1975), 8 O.R. (2d) 749; 59 D.L.R. (3d) 197 (C. div.); Hitchcock c. New Brunswick (Deputy Solicitor General) (1988), 93 R.N.-B. (2e) 294 (B.R. 1re inst.); Callahan v. Newfoundland (Minister of Social Services) et al. (1993), 113 Nfld.& P.E.I.R. 1 (C.S. 1re inst.).

DOCTRINE

Evans, J. M., ed. de Smith’s Judicial Review of Administrative Action, 4th ed. London : Stevens & Sons, 1980.

Manuel du Conseil du Trésor. Module — Gestion de l’information et gestion administrative : Sécurité. Ottawa : Conseil du Trésor du Canada.

Wade, H. W. R. Administrative Law, 6th ed. Oxford : Clarendon Press, 1988.

APPEL d’une décision rendue par la Section de première instance ([1995] 1 C.F. 306 rejetant une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Comité d’appel de la Commission de la fonction publique, rendue aux termes de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, mais renvoyant le dossier au Comité d’appel pour plus ample étude d’un élément particulier. Appel accueilli.

AVOCATS :

Mylène Bouzigon pour l’appelant (intimé).

Sean T. McGee pour l’intimée (requérante).

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant (intimé).

Nelligan Power, Ottawa, pour l’intimée (requérante).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Marceau, J.C.A. : Il s’agit de l’appel d’une décision[1] rendue par le juge des requêtes de la Section de première instance qui, saisi d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Comité d’appel de la Commission de la fonction publique (le Comité d’appel) rendue aux termes de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique[2], a rejeté la demande en question, à l’exception d’un seul élément et a renvoyé le dossier au Comité pour plus ample étude de ce point. L’exposé des faits et de la procédure qui ont entouré la décision du Comité permettra d’éclaircir cet élément.

L’intimée a été engagée dans la fonction publique en qualité d’infirmière diplômée à l’établissement pénitentiaire Kent à sécurité maximale en Colombie-Britannique, à partir du 4 décembre 1989. On lui avait indiqué que son poste exigeait l’attribution d’une « cote de fiabilité approfondie ». Par lettre du 18 avril 1991, le sous-commissaire (région du Pacifique) de Service correctionnel Canada l’a informée que, suite à de nouveaux renseignements, il avait réexaminé sa cote de fiabilité approfondie et était d’avis que sa relation avec un délinquant en liberté conditionnelle et, en particulier, le défaut d’en informer le Service correctionnel, lui avaient fait perdre sa fiabilité pour ce qui est de contrôler les renseignements et les biens fédéraux de nature confidentielle auxquels elle avait accès. Il avait donc révoqué sa cote et n’avait d’autre choix aujourd’hui que de recommander à la Commission de la fonction publique son congédiement, conformément à l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, étant donné qu’en l’absence de la cote requise, elle était incapable de remplir ses fonctions. La lettre rappelait enfin à l’intimée qu’elle avait le droit de contester la révocation de sa cote en recourant à la procédure de grief de son Ministère, conformément aux articles 91 et 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique[3].

L’intimée a sans délai présenté un grief contre la révocation de sa cote par l’administrateur général, grief qui a été joint à celui qu’elle avait déjà déposé contre la suspension disciplinaire que le Service correctionnel du Canada lui avait infligée sur le fondement des mêmes faits. Elle a présenté ses observations par écrit et de vive voix, comme le prévoit la procédure de grief du Ministère, assistée de son agent négociateur, l’Institut professionnel de la fonction publique, mais l’un et l’autre griefs ont été rejetés par le commissaire. L’intimée a alors porté la révocation devant un arbitre aux termes de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, mais celui-ci a décidé qu’une révocation de la cote de fiabilité approfondie n’était pas susceptible d’arbitrage en vertu de cette disposition de la Loi, parce qu’elle n’était pas de nature disciplinaire, mais plutôt qu’elle « [faisait] partie intégrante de la recommandation que l’administrateur général a faite en vertu du paragraphe 31(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique » [Kampman et le Conseil du Trésor (Solliciteur général-Service correctionnel Canada), [1992] C.R.T.F.P.C. no 4 (QL), à la page 114]. La demande de contrôle judiciaire de la décision arbitrale a été rejetée par la Cour.

Libre alors d’officialiser sa décision, le sous-commissaire a recommandé à la Commission de la fonction publique de congédier l’intimée conformément à l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. L’intéressée s’est immédiatement prévalue du droit, que lui reconnaît ce même article de loi, d’en appeler de cette recommandation. L’article 31, qui s’appliquait alors, a été abrogé en 1993. En voici le texte :

31. (1) L’administrateur général qui juge un fonctionnaire incompétent dans l’exercice des fonctions de son poste ou incapable de remplir ces fonctions peut recommander à la Commission soit le renvoi de ce fonctionnaire, soit sa rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur. Dans les deux cas, il en avise par écrit le fonctionnaire.

(2) Dans le délai imparti par la Commission après réception de l’avis mentionné au paragraphe (1), le fonctionnaire peut faire appel de la recommandation de l’administrateur général devant un comité chargé par la Commission de faire une enquête, au cours de laquelle les parties, ou leurs représentants, ont l’occasion de se faire entendre.

(3) Après notification de la décision du comité, la Commission, en fonction de cette dernière :

a) avertit l’administrateur général qu’il ne sera pas donné suite à sa recommandation;

b) rétrograde ou renvoie le fonctionnaire.

(4) En l’absence d’appel, la Commission peut prendre, à l’égard de la recommandation, toute mesure qu’elle estime opportune.

(5) La Commission peut renvoyer un fonctionnaire en application d’une recommandation fondée sur le présent article; le fonctionnaire perd dès lors sa qualité de fonctionnaire[4].

Le Comité d’appel institué par la Commission a rendu sa décision après avoir effectué une enquête en l’absence de l’intimée, la demande de son représentant visant à ajourner l’audience fixée pour entendre la cause n’ayant pas été accueillie au motif que la présence de l’intéressée n’était pas nécessaire. La décision du Comité d’appel a été annulée par la Cour pour des raisons qu’il vaut la peine de reproduire en raison de l’analyse que je proposerai par la suite :

À mon avis, il y a eu déni de justice naturelle à l’égard de la requérante. Dans son arrêt Kane c. Le conseil d’administration de l’Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105; 31 N.R. 214, la Cour suprême du Canada précise qu’une justice de haute qualité est exigée dans un cas de ce genre. Le juge Dickson (tel était alors son titre) s’est prononcé en ces termes, à la page 1113 :

« Une justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d’une personne d’exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu. Abbott v. Sullivan, [1952] 1 K.B. 189, à la p. 198; Russell v. Duke of Norfolk, précité, à la p. 119. Une suspension de nature disciplinaire peut avoir des conséquences graves et permanentes sur une carrière. »

En l’espèce, le déni de justice naturelle découle du fait que la requérante n’a pas obtenu la possibilité d’être présente à l’audience afin de témoigner pour son propre compte. Il n’appartient pas à la Cour de s’interroger pour savoir si son témoignage aurait fait avancer sa cause car, comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans l’affaire Cardinal et Oswald c. Le directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; 63 N.R. 353, la négation du droit à une audition équitable elle-même rend une décision invalide. C’est le juge Le Dain qui a énoncé ce principe à la page 661 :

« … j’estime nécessaire d’affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l’audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n’appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d’hypothèses sur ce qu’aurait pu être le résultat de l’audition. »

Pour ces motifs, nous sommes d’avis que le déni de justice naturelle à l’égard de la requérante a rendu illégale la décision du comité d’appel »[5].

Le Comité d’appel a donc procédé à une nouvelle audition de la cause en présence de l’intimée et de son représentant puis a rendu une seconde décision que le président a soigneusement motivée. Il a commencé par dire que, d’après lui, la question à laquelle il devait répondre consistait à savoir si l’administrateur général pouvait conclure, sur la foi des renseignements qui lui avaient été présentés, que l’intimée était incapable de remplir ses fonctions. Puis, considérant que la question ainsi définie ne pouvait être dissociée des raisons qui avaient motivé la révocation de la cote de fiabilité approfondie, il a conclu que la procédure suivie par l’administrateur général pour révoquer cette cote était pertinente au regard de son enquête dans la mesure où elle se rapportait à l’exactitude des renseignements sur lesquels la recommandation se fondait. Le Comité d’appel a finalement conclu qu’il était loisible à l’administrateur général, au vu des preuves incontestées qu’il détenait, de se persuader que l’intimée était incapable de remplir les devoirs de sa charge et, par conséquent, qu’il fallait donner suite à sa recommandation. Telle est la décision que devait revoir le juge de première instance dont l’ordonnance fait l’objet du présent appel.

Le juge des requêtes a convenu sans peine avec le président « qu’une personne qui exerce des fonctions exigeant une cote de fiabilité approfondie et qui perd cette cote en raison de ses actes, peut être considérée comme incapable de continuer à remplir ses fonctions »[6]. Le cas relevait donc certainement du paragraphe 31(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Le juge a également convenu sans peine avec le président pour dire que « [le] Comité d’appel [peut] réviser la décision, prise par l’administrateur général dans le cadre de sa décision de recommander le renvoi, portant que l’employée est incapable parce qu’on ne peut plus, à son avis, lui attribuer la cote de fiabilité approfondie »[7]. La difficile question qui se posait au juge des requêtes consistait à savoir quelle norme d’examen le Comité d’appel devrait appliquer à l’égard de la révocation de cette cote.

Se référant à l’affaire Ahmad c. La Commission de la Fonction publique, [1974] 2 C.F. 644(C.A.), le juge des requêtes a rappelé l’observation de la Cour selon laquelle l’incompétence d’une personne (sur quoi se fondait en l’espèce la recommandation) est une question d’opinion que le comité devrait respecter sauf : (i) si l’on a omis d’appliquer une directive légale ou juridique; (ii) s’il y a lieu de croire que la décision n’a pas été prise honnêtement; ou (iii) comme le dit le juge en chef Jackett [à la page 647], le comité d’appel a en main « des documents pertinents, établissant effectivement que [l’administrateur général] a eu tort d’estimer », ce qui voudrait dire que les faits sur lesquels il s’était appuyé pour former son opinion étaient inexacts. À son avis, ces conditions, qui justifient clairement un contrôle judiciaire, s’appliquaient pleinement en l’espèce, puisqu’une recommandation fondée sur l’incapacité ne peut être considérée différemment d’une autre basée sur l’incompétence. Mais le Comité d’appel ne s’est pas trompé en disant qu’aucune de ces conditions ne s’appliquait en fait, puisqu’aucune directive légale n’avait été perdue de vue, que la bonne foi était évidente et que les faits sur lesquels l’administrateur général avait fondé sa décision étaient incontestés. Cependant, de l’avis du juge, le Comité d’appel aurait dû étudier un quatrième motif qui ne figure pas dans l’affaire Ahmad, parce qu’il n’était pas encore reconnu par la jurisprudence. Ce quatrième motif consistait à savoir si l’administrateur général avait suivi une procédure conforme aux exigences d’équité avant de conclure que l’employée ne méritait plus la cote de fiabilité approfondie et qu’elle était dès lors incapable de remplir ses fonctions. Le Comité d’appel n’avait pas étudié ce quatrième point, c’est pourquoi le juge des requêtes a décidé que le dossier devait être renvoyé au Comité d’appel pour lui permettre « d’examiner convenablement la procédure suivie par l’administrateur général pour révoquer la cote de fiabilité approfondie de la requérante »[8].

Il faut signaler tout d’abord que la conclusion tirée par le juge des requêtes, et qui est simplement reproduite dans son jugement formel, présente à première vue une certaine difficulté d’interprétation et d’application. Une cour ne peut, en matière de contrôle judiciaire, renvoyer une affaire à un tribunal sans annuler la décision sous examen, du fait que le tribunal, étant dessaisi, ne pourrait ni modifier sa première décision ni y ajouter une autre. Il s’agissait, sans doute, ici, d’une simple inadvertance et l’on doit interpréter ce jugement comme infirmant la décision incriminée du fait que le tribunal avait omis de considérer tous les motifs d’examen appropriés.

La conclusion du juge de première instance étant ainsi éclaircie, je dois respectueusement exprimer mon désaccord là-dessus, essentiellement parce que je ne conçois pas, ni ne caractérise, la révocation de ce qu’on appelle la cote de fiabilité approfondie de la même manière que lui. J’essaierai de m’expliquer là-dessus aussi brièvement que possible.

Le Manuel du Conseil du Trésor, que le Conseil du Trésor a publié en sa qualité d’employeur et de directeur général de la fonction publique, en vertu du pouvoir que lui confère la Loi sur la gestion des finances publiques[9], contient, à mon avis, des directives, instructions, lignes de conduite ou procédures à l’usage des employés pour l’administration et l’application des programmes opérationnels et des activités propres à une institution gouvernementale. Un des modules du Manuel, portant sur la gestion de l’information et la gestion administrative, traite des questions de sécurité. Il énonce la politique du gouvernement du Canada à ce sujet ainsi que les normes opérationnelles pour la conservation et la protection des renseignements et biens de nature délicate. Le Manuel expose les mesures que les administrateurs généraux ont la responsabilité d’appliquer pour mettre en œuvre cette politique. Les renseignements et les biens auxquels un fonctionnaire peut avoir accès sont censés appartenir à l’une des trois catégories suivantes : la catégorie des renseignements et biens « désignés », classification qu’effectue l’administrateur général qui exerce une surveillance sur ces renseignements et biens compte tenu du fait que leur utilisation ou leur divulgation non autorisée pourrait raisonnablement causer préjudice aux intérêts du pays, exception faite de la sécurité nationale. En ce qui concerne cette dernière, les renseignements peuvent être « classifiés » comme « confidentiels », « secrets » ou « très secrets ». Enfin, les renseignements ou biens peuvent n’être ni « classifiés » ni « désignés ». Le Manuel prévoit trois sortes d’enquêtes de sécurité sur le personnel qui s’appliquent aux fonctionnaires futurs ou actuels selon la catégorie des renseignements ou des biens auxquels ils peuvent avoir accès dans l’exercice de leurs fonctions. Si une fiabilité de base est de règle pour tout employé, une fiabilité approfondie est requise de quiconque peut, de par ses fonctions, avoir accès à des renseignements ou à des biens désignés, et une cote de sécurité doit être attribuée à toute personne qui peut prendre connaissance de renseignements classifiés. C’est préalablement à une offre d’emploi qu’il faut procéder à l’évaluation ou aux enquêtes en vue de s’assurer que le candidat ou la candidate répond aux normes requises, mais il peut arriver, en cours d’emploi, que de nouveaux renseignements portent l’administrateur général à conclure que le résultat de l’enquête initiale devrait être revu.

À la lecture du Manuel, force est de constater la différence fondamentale qui existe entre une évaluation de sécurité sur laquelle on s’appuie pour accorder une cote sécuritaire et l’enquête préalable à l’attribution de ce qu’on appelle la cote de fiabilité de base ou approfondie. Une cote sécuritaire porte sur la loyauté du sujet envers le Canada; le refus de l’accorder ou sa révocation, qui ne peuvent se fonder que sur des faits objectifs, doivent faire l’objet d’un examen par le comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité institué par la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité[10], d’accord avec le Conseil privé, et seul le gouverneur général, qui a conservé le droit de suspendre ou de congédier un membre de la fonction publique pour des raisons de sécurité, peut donner à ce refus ou à cette révocation la suite qu’elle comporte. Par contraste, l’évaluation de fiabilité relève de l’institution concernée et la cote de fiabilité approfondie, ainsi dénommée, atteste essentiellement que l’administrateur général de l’organisme est subjectivement d’avis que l’intéressé(e) est digne de grande confiance ou de fiabilité. C’est à lui qu’appartient la prérogative de révoquer cette cote, ce qui reflète simplement un changement d’opinion, une perte de confiance quant à la fiabilité de l’employé(e).

Tout en gardant à l’esprit l’un des arguments invoqués, j’ajouterai qu’il existe, à mon sens, une différence fondamentale entre la révocation de la cote de fiabilité approfondie initialement attribuée à un candidat ou une candidate avant qu’il ou elle n’occupe son poste, et la révocation d’une licence ou d’un permis qu’exige l’exercice d’une activité. Dans ce dernier cas, la décision a une dynamique propre parce qu’elle interdit immédiatement et pour toujours l’exercice de l’activité, alors que dans le premier cas, la révocation empêche immédiatement le fonctionnaire d’avoir accès aux renseignements et biens désignés, sans pour autant avoir des conséquences permanentes sur lui ou sur elle puisque l’administrateur général n’a pas l’autorité de congédier l’employé(e). Dans un cas, la décision est finale; dans l’autre, elle n’est que préliminaire.

En fait, la décision de l’administrateur général de révoquer la cote attribuée à un(e) fonctionnaire ne vise qu’à donner effet au manque de confiance qu’il ressent à son égard en recommandant à la Commission de la fonction publique, qui est l’autorité compétente en matière de nomination ou de congédiement, de remercier l’employé(e). Considéré au moment où les faits relatifs à ce cas d’espèce se sont produits, cela ne pouvait que mettre en jeu l’ancien article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Il est vrai que l’on n’est pas immédiatement porté à mettre sur un même pied la question de fiabilité et celle de compétence ou de capacité, mais je ne vois aucune difficulté à le faire et il en irait difficilement autrement puisque l’article 31 constituait, en ce temps-là, la seule voie offerte à l’administrateur général, dans les circonstances entourant le cas, pour donner effet à sa perte de confiance. Telle était la position adoptée par l’arbitre Brown lorsqu’il s’est déclaré incompétent au regard de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique du fait, comme on l’a déjà dit, que la révocation de la cote et les conséquences qui en découlent faisaient « partie intégrante de la recommandation que l’administrateur général a faite en vertu du paragraphe 31(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique », le Comité d’appel ayant fait sienne cette position que le juge des requêtes a également entérinée en l’espèce.

Nous ne sommes donc pas en présence d’une véritable décision administrative autonome aux conséquences permanentes qui en découlent directement, mais plutôt d’une recommandation de renvoi basée sur l’opinion formée par l’administrateur général voulant que l’employée ne manifeste plus le degré de fiabilité requis du titulaire du poste qu’elle occupe. C’est dans la façon de donner suite à pareille recommandation que les règles, non seulement d’équité, mais de justice naturelle, doivent intervenir, ce qu’exige exactement l’article 31, comme l’a énergiquement répété la Cour dans le jugement cité précédemment.

À mon avis, la loi avait établi, à l’article 31, un système de contrôle approprié de la décision d’un administrateur général, dans la mesure où l’on peut exercer un tel contrôle sur la validité d’une opinion subjective, tel qu’énoncé dans l’affaire Ahmad. La Cour ne serait pas fondée à outrepasser la volonté du Parlement en imposant, au regard de la décision de formuler une recommandation, des exigences de procédure visant à offrir, en fait, une protection superflue.

Quoi qu’il en soit, même si l’on m’avait persuadé que l’administrateur général était légalement tenu de respecter le devoir d’équité, c’est-à-dire l’obligation de donner à l’employée l’occasion d’exposer son cas avant de lui retirer officiellement sa confiance et de recommander son congédiement, j’aurais quand même été en désaccord avec le juge des requêtes, parce que je suis d’avis que les obligations essentielles qui se rattachent au principe audi alteram partem ont été pleinement respectées grâce à la procédure de grief interne dont l’intimée pouvait se prévaloir et dont elle s’est servie avec l’aide de son représentant. En effet, si l’affaire avait été renvoyée une nouvelle fois à l’administrateur général pour qu’il puisse remplir l’obligation d’agir équitablement, que pourrait-il faire d’autre sinon procéder à une nouvelle audition semblable, quoique moins indépendante, à celles qui ont eu lieu aux divers paliers de la procédure de grief ministérielle. Il est vrai que le processus de révision déclenché par cette procédure est simplement d’ordre interne, mais il ne faudrait pas confondre le droit d’une partie d’être entendue avant que l’on ne prenne une décision touchant ses droits, avec celui d’en appeler d’une telle décision auprès d’un organisme indépendant ou d’une autorité supérieure[11].

Je suis par conséquent d’avis que le juge des requêtes ne pouvait pas faire grief au Comité d’appel d’avoir omis de prendre en considération le caractère équitable de la décision de l’administrateur général, alors que le droit à l’équité procédurale était pleinement protégé par l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et qu’il a été observé par l’enquête et l’audition du Comité d’appel de la Commission de la fonction publique.

L’appel est accueilli, la décision du juge des requêtes est annulée et celle du Comité d’appel de la Commission de la fonction publique, en date du 22 juillet 1993, rétablie.

À mon avis, il n’y a pas lieu en l’espèce d’adjuger de dépens.

Le juge Linden, J.C.A. : J’y souscris.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. (dissident)

I—INTRODUCTION

La véritable portée du présent litige qui relève du droit administratif se dégage en partie de ses antécédents tortueux. C’est la quatrième fois que la Cour est appelée à trancher des questions issues du congédiement de l’intimée de la fonction publique. Infirmière diplômée au service d’un établissement pénitentiaire canadien, celle-ci a noué une relation avec un détenu et omis d’en informer ses supérieurs, contrevenant ainsi aux règlements régissant son emploi. En réaction à cela, le sous-commissaire (région du Pacifique) (l’administrateur général) a révoqué la « cote de fiabilité approfondie » attribuée à l’intimée sans laquelle celle-ci ne pouvait plus conserver son poste d’infirmière. L’administrateur général a ensuite logiquement entrepris de recommander que l’intéressée soit renvoyée de la fonction publique conformément à l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33 (la LEFP) au motif qu’elle n’était plus apte à remplir ses fonctions. Cet article de loi s’énonçait à l’époque comme il suit :

31. (1) L’administrateur général qui juge un fonctionnaire incompétent dans l’exercice des fonctions de son poste ou incapable de remplir ces fonctions peut recommander à la Commission soit le renvoi de ce fonctionnaire, soit sa rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur. Dans les deux cas, il en avise par écrit le fonctionnaire.

(2) Dans le délai imparti par la Commission après réception de l’avis mentionné au paragraphe (1), le fonctionnaire peut faire appel de la recommandation de l’administrateur général devant un comité chargé par la Commission de faire une enquête, au cours de laquelle les parties, ou leurs représentants, ont l’occasion de se faire entendre.

L’intimée a interjeté appel contre la décision de l’administrateur général auprès du comité d’appel établi en vertu de la LEFP, mais a été déboutée. Saisi d’une demande de contrôle judiciaire, le juge Strayer (siégeant alors à la Section de première instance) a accueilli la requête dans la mesure où il renvoyait l’affaire au Comité d’appel pour déterminer si l’intimée avait été équitablement traitée tout au long du processus conduisant à la décision de révoquer sa cote de fiabilité approfondie (aujourd’hui publiée dans [1995] 1 C.F. 306(ci-après les motifs)). Parmi les diverses questions soulevées dans cet appel, deux d’entre elles revêtent une importance fondamentale au chapitre du droit régissant l’emploi dans le secteur public. L’obligation d’équité se pose-t-elle et, dans l’affirmative, a-t-on ultérieurement remédié à un manquement quelconque au moyen d’un autre recours approprié?

J’ai eu l’avantage de lire l’ébauche des motifs rédigés par mon collègue le juge Marceau, J.C.A. où il conclut qu’aucune obligation d’équité ne se pose en l’espèce et qu’il existe, par ailleurs, un autre recours approprié. Sauf tout respect, je ne peux être d’accord là-dessus. À mon avis, une telle obligation existe et ni l’article 31 de la LEFP, ni la procédure de grief prévue à l’article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, ne peuvent être qualifiés de recours appropriés. Je commence par relater les faits qui ont conduit au présent appel.

II—LES FAITS ET LES DÉCISIONS

L’intimée, une infirmière diplômée, a été engagée à l’établissement pénitentiaire Kent, en Colombie-Britannique, à partir du 4 décembre 1989. Pour occuper ce poste, elle a obtenu, comme elle le devait, la cote de fiabilité approfondie. Cette cote veut dire simplement qu’une personne [traduction] « a fait preuve de fiabilité dans un précédent emploi et qu’elle est honnête et digne de confiance » (dossier d’appel, à la page 50). Pour tirer cette conclusion, le fonctionnaire compétent chargé d’effectuer l’enquête doit attester [traduction] « que … à son avis, les risques afférents à l’emploi de l’intéressé ou à la passation de marché avec lui sont acceptables » (dossier d’appel, à la page 53).

Le 13 décembre 1990, un détenu du nom de Robert Moorehead a été libéré sous condition de l’établissement Kent. Peu de temps après, l’intimée et Moorehead ont ensemble noué une relation quelconque. Moorehead a été ultérieurement arrêté et inculpé de certaines infractions de nature sexuelle mettant en cause une autre femme et a été réincarcéré à la même prison. L’intimée, seule infirmière de service à ce moment-là, a participé à la procédure de réadmission. À aucun moment elle n’a informé ses supérieurs de sa relation avec le détenu (motifs, à la page 310).

Cependant, celui-ci en a promptement fait part à la direction du pénitencier. Il a informé les autorités, peu après sa réincarcération, que l’infirmière avait eu des rapports intimes avec lui (dossier d’appel, à la page 75) comme avec d’autres détenus également (dossier d’appel, à la page 94). Il semble que Moorehead ait voulu que l’intimée témoigne, lors de son procès à venir, qu’ils avaient eu ensemble une relation sexuelle normale, car il était lui-même accusé d’agression sexuelle (dossier d’appel, à la page 75). L’intimée a constamment réfuté les allégations de Moorehead tout en maintenant qu’elle et lui étaient de simples connaissances (dossier d’appel, à la page 455).

Suite aux révélations de Moorehead, deux rapports d’enquête ont été présentés au sous-directeur de la prison. Au cours de ces enquêtes, des témoins ne faisant pas partie de la fonction publique ont été interrogés. Le premier rapport affaiblit la version de l’intimée sans nécessairement confirmer les déclarations intéressées de Moorehead. La seconde enquête a décrit quelque peu différemment la nature de la relation (dossier d’appel, aux pages 75 à 80 et 90 à 96). Les deux rapports ont conclu cependant qu’une relation d’une sorte ou d’une autre a existé et qu’elle n’avait pas été rapportée.

Le directeur de l’établissement Kent a décidé que la relation non divulguée entre l’intimée et le détenu contrevenait à l’article 19 du Code de discipline régissant le service correctionnel du Canada, directive 060 du Commissaire en date du 1er janvier 1987 (dossier d’appel, à la page 111) qui s’énonce ainsi :

19. Commet une infraction grave, justifiant normalement une suspension sans rémunération ou le congédiement, l’employé qui :

e.   établit avec un délinquant, un ancien délinquant ou avec les amis ou parents d’un délinquant ou ancien délinquant, en dehors de ses fonctions, des relations qui ne sont pas approuvées par son supérieur immédiat. [Non souligné dans l’original.]

L’intimée était donc passible d’une mesure disciplinaire de suspension sans rémunération pour une durée de 30 postes de travail consécutifs. Le 8 avril 1991, elle a déposé un grief contre sa suspension. Se fondant sur les mêmes faits, l’administrateur général l’a informée par lettre du 18 avril 1991 qu’il révoquait immédiatement sa cote de fiabilité approfondie au motif qu’ayant noué une relation dont elle n’avait pas fait état, elle s’était montrée indigne de confiance. Comme l’intimée ne pouvait s’acquitter de ses fonctions en l’absence de cette cote, l’administrateur général a recommandé son renvoi de la fonction publique aux termes de l’article 31 de la LEFP. Il l’a informée qu’elle pouvait contester, par grief, la révocation de sa cote conformément à l’article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et en appeler de la recommandation de renvoi en vertu de l’article 31 de la LEFP (dossier d’appel, aux pages 13 et 14). L’intimée s’est prévalue simultanément de ces deux options et a également demandé, le 29 avril 1991, que le comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité revoie la révocation de sa cote. Par lettre du 8 mai 1991, le comité a rejeté cette demande au motif que sa compétence se limitait aux cotes de sécurité (dossier d’appel, à la page 458).

Conformément à la procédure établie par l’article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, l’intimée a contesté la révocation de sa cote en présentant un grief qui a été joint à celui qui portait sur sa suspension. Comme ce grief avait trait à une enquête sur la fiabilité, et comme le veut la politique gouvernementale sur la sécurité, il a été automatiquement porté à la dernière étape de la procédure de grief instituée par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et la convention collective applicable (dossier d’appel, à la page 59). À ce stade final, le plaignant peut présenter des observations par écrit ou de vive voix au commissaire du Service correctionnel du Canada (le commissaire). Celui-ci ayant rejeté le grief, l’intimée a alors demandé que les deux questions en litige soient soumises à l’arbitrage aux termes de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. L’employeur a fait valoir, devant l’arbitre, que la relation de l’intimée avec le détenu était soutenue et de nature personnelle. Par décision du 10 janvier 1992, l’arbitre a rejeté le grief de l’employée portant sur la mesure de suspension disciplinaire et s’est déclaré incompétent quant à la décision de révoquer sa cote de fiabilité (Kampman et Conseil du Trésor (Solliciteur général-Service correctionnel du Canada), C.R.T.F.P., dossiers numéros 166-2-21656 et 166-2-21771, 10 janvier 1992 [[1992] C.R.T.F.P.C. no 4 (QL)]). L’intimée a requis un contrôle judiciaire de la décision arbitrale, mais sa demande a fait l’objet d’un rejet non motivé de la Cour (voir A-84-92, 21 janvier 1993, (C.A.F.)).

Le 26 avril 1991, l’intimée a demandé d’en appeler, auprès du comité d’appel de la Commission de la fonction publique, de la recommandation de l’administrateur général visant son renvoi de la fonction publique aux termes de l’article 31 de la LEFP. Devant le premier comité d’appel, l’employeur a qualifié la relation de [traduction] « rencontres (dating) » (dossier d’appel, à la page 278). L’intimée n’a pu se présenter devant le premier comité d’appel pour cause de maladie. Celui-ci a refusé sa requête d’ajournement au motif qu’étant représentée par un avocat, sa présence n’était pas requise. Par ordonnance du 1er novembre 1991, il a rejeté l’appel de l’intimée. Celle-ci a également demandé un contrôle judiciaire de cette décision. La Cour a accueilli sa requête en disant que le fait de procéder à l’audition en l’absence de l’intimée constituait un déni de justice naturelle. La décision du comité d’appel a été infirmée et l’affaire lui a été renvoyée en vue d’une reprise de l’audition en présence de l’intéressée (voir (1993), 151 N.R. 181 (C.A.F.)).

Le Comité d’appel a tenu une nouvelle audience en présence de l’intimée. L’employeur n’y a pas du tout qualifié la nature de la relation. Pour le Comité, l’essentiel de la question consistait à savoir s’ [traduction] « il était loisible à l’administrateur général de conclure, sur la foi des renseignements obtenus, que [l’employée] était incapable de remplir ses fonctions d’infirmière dans une institution » (dossier d’appel, à la page 643). Il a ensuite déterminé que cette question et celle du motif de révocation de la cote de fiabilité ne pouvaient être dissociées. Toutefois, il a conclu que sa compétence se limitait à examiner si la procédure suivie par l’administrateur général pour aboutir à la décision de révoquer la cote de fiabilité a mis en question l’exactitude et la fiabilité des renseignements sur lesquels se fondait cette décision. Le Comité d’appel a déterminé que celle-ci reposait sur deux conclusions, à savoir : qu’une relation existait et que l’employée n’en avait pas informé son surveillant. C’est pourquoi, il avait conclu que les renseignements sur lesquels l’administrateur général s’était fondé étaient fiables, nonobstant le fait que l’intimée n’a pas eu l’occasion de témoigner avant que l’administrateur général ne décide de révoquer sa cote de fiabilité (dossier d’appel, aux pages 643 et 644). Le Comité d’appel a conclu en disant que, suite à la perte de sa cote de fiabilité approfondie, l’intimée devenait incapable de s’acquitter de ses fonctions au sens de l’article 31 de la LEFP, vu que cette cote constituait une exigence du poste (dossier d’appel, à la page 646).

L’intimée a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Le juge de première instance a considéré les quatre questions suivantes : (1) l’incapacité visée au paragraphe 31(1) de la LEFP peut-elle découler de la perte de la cote de fiabilité approfondie, lorsque cette cote constitue une condition d’emploi? (2) le cas échéant, un comité d’appel saisi d’un appel en vertu de ce paragraphe peut-il revoir la révocation de la cote dans le cadre de la révision de la recommandation de renvoyer l’intimée de la fonction publique? (3) dans l’affirmative, quelle norme le comité d’appel doit appliquer pour revoir la révocation de la cote? et (4) l’employée a-t-elle le droit d’être avertie et d’avoir l’occasion de corriger sa conduite avant la révocation de sa cote?

Au sujet de la première question, le juge de première instance a conclu que la cote de fiabilité approfondie est une « qualité requise comme toutes les autres » dont la perte peut entraîner l’incapacité au sens de l’article 31 (motifs, à la page 316). Cela étant, le juge a abordé la deuxième question consistant à savoir si le Comité d’appel est habilité à revoir la décision de révoquer dans le cadre de son examen de la recommandation de renvoi. Il a répondu à ce point par l’affirmative en disant que le Comité d’appel est tenu de revoir la décision voulant que l’employée ne soit plus apte à conserver la cote de fiabilité approfondie, du fait que cette décision sert de base à l’allégation d’incapacité (motifs, à la page 317). En ce qui concerne la troisième question, le juge a conclu qu’à la lumière de la jurisprudence récente de la Cour suprême, les pouvoirs de révision du comité d’appel doivent être adaptés, quant à leur portée, par l’addition d’un nouveau critère à ceux qui ont été établis dans l’affaire Ahmad c. La Commission de la Fonction publique, [1974] 2 C.F. 644(C.A.).

Je m’arrête un instant ici pour signaler que l’affaire Ahmad fait jurisprudence relativement au pouvoir de révision d’un comité d’appel institué en vertu de l’article 31 de la LEFP. La Cour a décidé, dans cette affaire, que cette compétence se limitait à déterminer (i) si l’autorité compétente avait omis d’appliquer une directive légale ou juridique; (ii) s’il existe une preuve de la mauvaise foi de l’autorité compétente; ou (iii) si le Comité d’appel était convaincu, d’après les documents dont il disposait, que l’autorité compétente avait effectivement eu tort de rendre la décision contestée (à la page 647). En l’absence de l’une ou l’autre des conclusions ci-dessus, un comité d’appel ne peut intervenir dans la décision qui lui est soumise.

À la lumière d’arrêts plus récents de la Cour suprême, le juge de première instance a conclu que le Comité d’appel doit également étudier si l’administrateur général s’est conformé, dans sa prise de décision, au devoir d’équité. Le juge de première instance a conclu que le comité d’appel a commis une erreur de droit lorsqu’il n’a pas examiné si l’administrateur général a manqué à cette obligation et il a décidé de renvoyer l’affaire devant le Comité d’appel pour qu’il réexamine cet aspect de la question (motifs, à la page 321). Bien qu’il ait expressément refusé de dire s’il y a eu, en l’occurrence, un manquement à ce devoir (à la page 321), il a effectivement conclu que la décision de l’administrateur général de révoquer la cote de fiabilité approfondie de l’intimée a été prise « sans qu’elle soit avisée qu’il en était question et sans qu’on lui fournisse l’occasion de faire valoir ses prétentions à ce sujet » (aux pages 311 et 312).

En ce qui concerne la quatrième et dernière question dont il était saisi, le juge de première instance a décidé qu’il n’y avait aucune obligation d’avertir l’intéressée, vu les faits de cette affaire, puisque l’opinion de l’administrateur général se fondait sur un seul cas sérieux de mauvais jugement, par opposition à une tendance au mauvais discernement. En outre, contrairement aux faits relatés dans Dansereau c. Canada (Comité d’appel de la fonction publique), [1991] 1 C.F. 444(C.A.) et Clare c. Canada (Procureur général), [1993] 1 C.F. 641(C.A.) qui ont établi l’obligation d’avertir et d’envoyer en consultation les employés de longue date, l’intimée n’avait travaillé que relativement peu de temps.

Par ordonnance du 15 septembre 1994, le juge de première instance a rejeté la demande de contrôle judiciaire et renvoyé la question au Comité d’appel afin qu’il réexamine si le devoir d’équité avait été rempli.

III—QUESTIONS EN LITIGE

L’employeur appelant soulève deux questions en l’espèce. La première est celle de savoir si la décision de révoquer la cote de fiabilité approfondie d’un employé est soustraite au pouvoir de révision du Comité d’appel aux termes de l’article 31 de la LEFP. Il soutient qu’une telle décision diffère d’une recommandation de renvoi et que seule cette dernière est susceptible d’examen par un comité d’appel. L’autre décision peut seulement être contestée par voie de contrôle judiciaire devant la Section de première instance. La seconde question consiste à savoir si le recours de l’intimée à la procédure de grief interne prévue à l’article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique a servi à rectifier ou à réparer un manquement quelconque. Cette question postule, bien sûr, l’existence d’une obligation en droit à laquelle il y a eu manquement.

Je suis d’avis que la façon dont les parties ont abordé ces points dans le cadre de l’appel est problématique et leur évaluation des questions pertinentes, trop restrictive. Tout d’abord, si nous rejetons le premier argument de l’appelant, comme l’ont fait le juge Marceau, J.C.A. et le juge de première instance, il nous faut alors examiner la question fondamentale de savoir si le devoir d’équité peut naître dans le contexte d’une recommandation de renvoi prise en vertu de l’article 31 de la LEFP. Les parties ont présumé qu’il peut en être ainsi. Par ailleurs, mon collègue le juge Marceau, J.C.A. affirme le contraire. Je suis d’avis que d’après les faits de l’espèce, l’administrateur général était tenu d’agir équitablement en prenant la décision de révoquer la cote de fiabilité approfondie de l’intimée et, partant, en recommandant son renvoi de la fonction publique.

Il y a une autre question dont les parties n’ont pas tenu compte. On peut soutenir qu’il est possible de remédier à un manquement au devoir d’équité en se prévalant d’une autre voie de recours jugée appropriée en droit. Les parties ont centré leurs arguments visant les autres voies de redressement sur la procédure de grief qui a été suivie. Il est cependant nécessaire aussi de déterminer si un appel interjeté auprès du Comité d’appel nommé en vertu de la LEFP, constitue un tel recours. Les parties ont, semble-t-il, supposé qu’il n’en allait pas ainsi, probablement parce que le comité d’appel n’a pas compétence de novo pour revoir la décision d’un administrateur général. Comme on en discutera plus loin, mon collègue le juge Marceau, J.C.A. est d’avis que « le droit à l’équité procédurale était pleinement protégé par l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et qu’il a été observé par l’enquête et l’audition du Comité d’appel de la Commission de la fonction publique » (aux pages 16 et 17 de ses motifs).

Sur cette toile de fond, trois questions appellent un examen : (i) la décision de révoquer est-elle soustraite à l’examen du Comité d’appel en vertu de l’article 31 de la LEFP? (ii) Dans la négative, l’employeur est-il tenu à un devoir d’équité envers l’intimée? (iii) En supposant qu’une telle obligation existe, mais qu’elle ne soit pas respectée, les articles 31 de la LEFP et 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique offrent-il un autre moyen de recours approprié? Je traiterai, comme il se doit, de ces trois questions.

IV—LA DÉCISION DE RÉVOQUER EST-ELLE

L’employeur appelant soutient que l’administrateur général a pris deux décisions : révoquer la cote de fiabilité approfondie de l’intimée et recommander son congédiement de la fonction publique. La première décision se rapporte uniquement à la conservation et à la protection, dans le cadre de l’institution, de renseignements et biens désignés et classifiés (comme les drogues). La seconde résulte du fait que l’employée ne remplit plus les conditions voulues pour s’acquitter de ses fonctions. C’est pourquoi, l’appelant soutient que seule la dernière décision est susceptible d’examen par le Comité d’appel aux termes de l’article 31 de la LEFP. L’intimée allègue qu’il s’agit essentiellement d’une seule décision, à savoir : que l’administrateur général a changé d’opinion quant à son degré de confiance dans la fiabilité de l’employée. Il faut donc conclure que les deux aspects de la décision peuvent être revus par le Comité d’appel.

Le juge Marceau, J.C.A. est d’accord avec l’intimée quant à son interprétation de la décision de révoquer, tout comme l’ont été le juge Strayer et le Comité d’appel. À ce sujet, je souscris entièrement aux motifs énoncés par le juge Marceau, J.C.A. En somme, la décision de révoquer la cote de fiabilité approfondie de l’intimée fait partie intégrante de la recommandation visant son renvoi de la fonction publique et peut donc être réexaminée par le Comité d’appel aux termes de l’article 31 de la LEFP. Il reste à déterminer si un devoir d’équité s’ensuit.

V—L’OBLIGATION D’AGIR ÉQUITABLEMENT

C’est une vérité évidente que les décisions relevant du droit public n’entraînent pas toutes l’obligation d’agir équitablement. Celle-ci dépend du contexte propre à chaque cas tout comme en dépendent son étendue ou sa portée. Je suis d’avis qu’une telle obligation existe en l’espèce et cette conclusion repose sur trois éléments : (i) elle répond aux trois facteurs énoncés par la Cour suprême du Canada; (ii) elle est conforme aux directives de l’employeur régissant la cote de fiabilité approfondie; et (iii) elle est en cohérence avec deux jugements de la Cour reconnaissant l’existence d’une obligation d’équité dans le contexte de l’article 31 de la LEFP (voir Dansereau, supra et Clare, supra.)

1)         La jurisprudence de la Cour suprême

J’aborde en premier lieu la jurisprudence de la Cour suprême portant sur l’existence de l’obligation d’agir équitablement. Les critères servant à déterminer si pareille obligation existe en cas de cessation d’emploi sont énoncés dans Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653. L’intimé, Knight, était à l’emploi du conseil appelant à titre de directeur de l’éducation. Les clauses de son contrat stipulaient que celui-ci pouvait être résilié par l’une ou l’autre des parties sur préavis de trois mois à condition que l’employé ait droit à une audition équitable et qu’il y ait enquête. Au cours des négociations entourant le renouvellement du contrat de travail de l’intimé, les parties n’ont pu arriver à une entente. Le conseil, voulant reconduire le contrat pour une seule année au lieu des trois ans souhaités par l’intimé, a donc adopté une résolution mettant fin à l’emploi de celui-ci avec préavis de trois mois. L’intéressé a intenté une action fondée en partie sur son droit à l’équité procédurale. La Cour suprême a majoritairement conclu qu’il avait droit à cette équité, mais que cette obligation avait été remplie. L’intéressé était au courant des raisons qui motivaient le préavis du conseil et il avait eu la possibilité de se faire entendre avant que celui-ci ne prenne sa décision.

Les motifs majoritaires de la Cour relatifs à l’affaire Knight, énoncent clairement qu’une obligation d’équité ne naît pas à tout coup. Mme le juge L’Heureux-Dubé, à la page 669, fait état, en ces termes, de trois facteurs qui conditionnent l’existence d’une telle obligation dans un cas déterminé :

L’existence d’une obligation générale d’agir équitablement dépendra de l’examen de trois facteurs : (i) la nature de la décision qui doit être rendue par l’organisme administratif en question, (ii) la relation existant entre cet organisme et le particulier, et (iii) l’effet de cette décision sur les droits du particulier. Notre Cour a affirmé dans l’arrêt Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, précité, que dans les cas où ces trois éléments se retrouvent, une obligation générale d’agir équitablement incombe à un organisme décisionnel public, …

La politique qui sous-tend cette conclusion veut qu’en matière de pouvoirs légaux qu’ils soient discrétionnaires ou non, le public a intérêt à s’assurer qu’ils sont dûment exercés à des fins légitimes (à la page 675).

Mme le juge L’Heureux-Dubé conclut que lorsqu’une décision est de nature définitive et particulière (i) qu’elle soit d’ordre administratif, judiciaire ou quasi judiciaire, (ii) que la relation en est une d’employeur-employé (même si la charge est à titre amovible) et (iii) que la décision en question est importante et a de graves répercussions sur l’employé comme une décision de renvoi, l’obligation d’agir équitablement existe (aux pages 669 à 677). Partant de ce cadre analytique, elle conclut que d’après les faits en cause, l’obligation d’équité s’imposait dans ce cas-là.

À mon avis, rien dans les faits ne distingue l’espèce de l’arrêt Knight. La décision de l’administrateur général de révoquer la cote de fiabilité approfondie de l’intimée et de recommander son renvoi de la fonction publique pour raison d’incapacité est une décision particulière visant à mettre fin à son emploi. La relation est nettement celle d’employeur-employé et la décision porte gravement atteinte à l’intimée. En évaluant la fiabilité de celle-ci, l’administrateur général exprimait une opinion personnelle fondée sur les résultats d’une enquête portant sur la conduite de l’employée. Sa décision ne reposait pas sur une connaissance personnelle des faits ni sur des renseignements recueillis exclusivement dans le milieu de travail. Les enquêteurs avaient dû s’informer auprès de personnes étrangères à la fonction publique et tirer des conclusions portant essentiellement sur la crédibilité au lieu de se limiter aux questions d’incapacité ou d’incompétence.

2)         Les directives de l’employeur—Politique gouvernementale sur la sécurité

Les directives de l’employeur régissant la cote de fiabilité approfondie reconnaissent et examinent clairement la nécessité d’établir des garanties procédurales. La Politique gouvernementale sur la sécurité [Manuel du Conseil du Trésor. Module—Gestion de l’information et gestion administrative : Sécurité] prévoit que préalablement à l’octroi ou au refus d’une cote de fiabilité approfondie, [traduction] « toutes les personnes faisant l’objet de présélection seront traitées équitablement et impartialement » (dossier d’appel, à la page 28). Elle prescrit en outre ce qui suit [chapitre 2-4, à la page 13] :

2.7

On s’attend à ce que les fonctionnaires qui attribuent la cote de fiabilité approfondie fassent une évaluation juste et objective qui respecte les droits de la personne. Les personnes visées doivent avoir l’occasion d’expliquer les renseignements défavorables avant qu’une décision ne soit prise, et on doit leur donner les motifs du refus d’une cote de fiabilité, à moins que ces renseignements ne fassent l’objet d’une exception en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. [Souligné dans l’original.]

Si un candidat a le droit de se faire entendre avant qu’une décision soit prise lui refusant la cote de fiabilité approfondie, il s’ensuit, a fortiori, que l’obligation d’équité exige qu’un employé ait la possibilité d’être entendu au moyen d’observations écrites ou orales, avant la révocation de cette cote. Cette conclusion s’accorde avec l’arrêt de la Cour dans l’affaire Desjardins c. Bouchard, [1983] 2 C.F. 641(C.A.), dans lequel le juge Pratte, J.C.A. examine l’obligation d’agir équitablement dans le contexte d’une décision révoquant un pardon (à la page 651) :

… la révocation d’un pardon me semble plus lourde de conséquences pour la personne concernée que le simple refus d’accéder à une demande de pardon. Dans le premier cas, cette personne se voit priver de droits tandis que dans le second elle se voit refuser un privilège. D’autre part, alors que le pouvoir d’accorder un pardon est purement discrétionnaire, il n’en est pas ainsi du pouvoir de révocation qui ne peut être exercé que dans les circonstances que précise l’article 7. Il me semblerait juste qu’on ne révoque pas un pardon sans avoir préalablement permis à l’intéressé de contester l’existence des faits sur lesquels on peut se fonder pour exercer le pouvoir de révocation. [Non souligné dans le texte.]

Ce raisonnement s’applique également, d’après moi, à la révocation de la cote de fiabilité approfondie. Si l’on a le droit de se faire entendre avant de se voir refuser cette cote, on est alors fondé à exercer ce droit et à connaître les éléments du dossier auxquels il faut répondre avant d’être privé de cette cote.

3)         La jurisprudence de la Cour fédérale

Enfin, deux décisions de la Cour (voir Dansereau et Clare, supra) ont implicitement reconnu l’obligation d’agir équitablement dans le cadre d’une décision de renvoi prise conformément à l’article 31 de la LEFP. Dans l’affaire Dansereau, l’employé avait travaillé durant plusieurs années à titre de pompier et de capitaine à l’aéroport de Dorval. En l’espace d’un mois, il s’est vu infliger trois évaluations de rendement insatisfaisantes qui étaient censées porter sur une période de trois ans. L’employé n’avait pas été averti jusque-là que son rendement laissait à désirer. Se fondant sur ces évaluations, le ministère a recommandé le renvoi de l’intéressé, ce qu’un comité d’appel a finalement confirmé. La Cour a conclu, à la majorité, qu’à moins de circonstances extraordinaires et pressantes, un employé qui justifie de longs états de service a le droit de recevoir un avertissement avant d’être congédié pour incompétence. Bien que la mauvaise foi fût l’argument principal invoqué en l’espèce, par opposition à celui d’équité, le juge Décary, J.C.A., au nom de la majorité, a adopté dans l’ensemble l’analyse faite dans l’affaire Dickinson c. Ministère du Revenu national (Impôt), [1987] DCA [8-1] 162 (C.A.C.F.P.) voulant que « le fait d’avertir un employé des conséquences qu’il encourt s’il continue d’agir de façon inacceptable représente plus qu’une formalité ou qu’une politesse dont on ne fait profiter que les employés appréciés par ailleurs; c’est un principe de justice élémentaire. » (Dansereau, à la page 457, non souligné dans le texte.)

Un deuxième jugement de la Cour reconnaissant l’existence de l’obligation d’agir équitablement dans ce contexte a été rendu dans l’affaire Clare, supra. Il s’agissait du rendement d’un employé jugé insatisfaisant en raison de stress dû à des problèmes familiaux et professionnels. L’intimé avait sans cesse requis de l’aide dans le cadre du Programme d’aide aux employés, mais l’employeur, bien qu’il fût tenu par les dispositions de son propre manuel d’envoyer en consultation un employé souffrant de problèmes de santé ou de comportement, n’a rien fait dans ce sens. Dans les motifs que j’ai rédigés au nom de la Cour à l’unanimité, j’ai statué, en me fondant sur les faits de la cause, qu’il fallait obligatoirement envoyer l’employé en consultation lorsqu’il en faisait la demande. J’ai explicitement rattaché cette obligation aux exigences d’équité (à la page 661).

Comme l’a formulé le juge Dickson (alors juge puîné) dans l’affaire Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, à la page 631 : « En conclusion, la simple question à laquelle il faut répondre est celle-ci : compte tenu des faits de ce cas particulier, le tribunal a-t-il agi équitablement à l’égard de la personne qui se prétend lésée? Il me semble que c’est la question sous-jacente à laquelle les cours ont tenté de répondre dans toutes les affaires concernant la justice naturelle et l’équité. »

4)         Questions subsidiaires

Avant d’aborder les autres voies de recours appropriées, il y a lieu d’examiner deux questions subsidiaires. La première consiste à savoir si le cas sous étude peut se différencier de celui de Knight par le fait que la décision de l’administrateur général recommandant le congédiement de l’intimée de la fonction publique n’était pas « finale ». À mon avis, la réponse est non. Une abondante jurisprudence veut qu’une décision ne soit pas obligatoirement finale pour qu’une obligation d’équité s’y rattache. Comme le dit H. W. R. Wade dans Administrative Law, 6e éd. (Oxford : Clarendon Press, 1988) aux pages 570 et 571, le pouvoir de recommander peut aussi comporter l’obligation d’agir équitablement :

[traduction] La justice naturelle se rapporte à l’exercice du pouvoir, c’est-à-dire aux actes et ordres qui ont des effets juridiques et qui, d’une certaine façon, modifient la situation juridique d’une personne en la désavantageant. Cependant, les étapes préliminaires qui, par elles-mêmes, n’ont pas de conséquences juridiques immédiates, peuvent conduire à des actes ou des ordres qui en entraînent. Dans ce cas, la protection qu’offre une procédure équitable se révélerait nécessaire tout au long et les étapes successives doivent être considérées non seulement séparément, mais dans leur ensemble. La question qui doit se poser est celle de savoir si chaque étape, vue dans le cadre d’ensemble de la procédure légale, est équitable envers les personnes touchées.

En général, cependant, les tribunaux favorisent le respect de la justice naturelle dans les enquêtes préliminaires et les rapports qui peuvent avoir de graves effets juridiques sur une personne. [Non souligné dans le texte; les renvois sont omis.]

En somme, lorsque le pouvoir de recommander ou d’aviser peut éventuellement avoir de graves conséquences défavorables pour la personne concernée, comme c’est le cas en l’espèce, il est clair qu’une obligation d’agir équitablement peut en résulter : voir Munro (Re) (1993), 105 D.L.R. (4th) 342 (C.A. Sask.); Abel et al. and Advisory Review Board et al., (Re) (1979), 24 O.R. (2d) 279 (C. div.), confirmé par (1980), 31 O.R. (2d) 520 (C.A.); et J. M. Evans, éditeur, de Smith’s Judicial Review of Administrative Action, 4e éd. (Londres : Stevens and Sons, 1980) aux pages 233 à 237.

La deuxième question subsidiaire qui se pose porte, non pas sur l’existence de l’obligation, mais sur sa portée. À mon avis, une distinction s’impose entre l’existence de l’obligation et les effets qu’elle entraîne. Il importe de déterminer la portée de l’obligation d’équité pour deux raisons : (i) c’est sur elle qu’on se fonde pour évaluer s’il existe une autre voie de recours appropriée en cas d’inexécution de l’obligation, et (ii) on ne saurait présumer que l’obligation d’équité puisse être remplie uniquement par une audition orale. Une audition est de loin la procédure la plus sûre et la moins susceptible d’être contestée avec succès, mais on peut, dans certains cas, se faire entendre par le biais d’observations écrites. Dans d’autres causes, comme celles de Dansereau et Clare, aucune allusion n’est même faite à la question d’audition. On constate une suite d’exigences relatives à l’obligation d’équité suivant le contexte et les circonstances propres à chaque cas : voir Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, aux pages 895 et 896; Knight, supra, à la page 682; Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311, aux pages 326 et 327; Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75; Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, à la page 196; et Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385, à la page 402.

De façon générale, la portée de l’obligation a pour corollaire qu’à tout le moins la personne touchée « ait une possibilité suffisante de connaître la preuve contre laquelle elle doit se défendre, de la réfuter et de présenter sa propre preuve » (Thomson, supra, à la page 402, le juge Cory pour la majorité). Comme on l’a vu plus haut, cette norme minimale se reflète dans la politique gouvernementale sur la sécurité prescrivant qu’un candidat a le droit de savoir d’avance pourquoi la cote de fiabilité approfondie lui sera refusée et d’avoir l’occasion de réfuter les faits sur quoi se fonde la décision.

Les conclusions du juge de première instance qu’on a discutées plus tôt, traduisent cette approche au regard de l’obligation qui est due. Bien qu’il s’abstienne expressément de conclure à l’exécution ou non de ce devoir dans ce cas d’espèce (motifs, à la page 321), ses conclusions mènent implicitement au constat suivant : l’intimée n’a pas été avertie de l’éventuelle révocation de sa cote de fiabilité approfondie ni de son renvoi possible de la fonction publique. Elle n’a pas eu l’occasion de présenter des observations ni n’a été entendue ou consultée avant la décision de l’administrateur général recommandant son renvoi (aux pages 312 et 321).

J’aimerais, à ce stade-ci, reconnaître que l’obligation d’agir équitablement dans le contexte de l’article 31 de la LEFP, n’impose pas automatiquement à l’administrateur général l’obligation d’accorder une audition à l’employé(e) avant de recommander son congédiement. Dans un cas typique relevant de l’article 31, l’obligation d’équité est intrinsèquement remplie lorsque l’employeur se conforme aux procédures établies régissant l’examen et les évaluations de rendement. Toutefois, lorsque le cas n’est pas typique, comme l’est la recommandation de révoquer la cote de fiabilité approfondie, laquelle repose sur une procédure d’enquête, la portée de l’obligation peut nécessiter des garanties procédurales additionnelles qui ne font pas partie du processus normal. L’évaluation de chaque cas ou type de cas doit se faire, d’après la jurisprudence de la Cour suprême, en fonction des circonstances qui lui sont propres.

L’obligation d’équité doit exister dans le contexte d’une recommandation de renvoi, pour une raison bien simple : l’objectif premier des garanties procédurales consiste à faire en sorte que les décisions qui ont des répercussions appréciables et profondes doivent être prises en pleine connaissance de cause. À mon avis, les procédures nécessaires pour atteindre ces objectifs selon qu’il s’agit d’une recommandation fondée sur une enquête sont clairement différentes de celles qui sont nécessaires pour atteindre ces objectifs lorsqu’il s’agit d’une série d’évaluations de rendement insatisfaisant (incompétence) ou d’une inaptitude évidente à s’acquitter des tâches requises (incapacité).

L’obligation d’agir équitablement et en connaissance de cause est intrinsèquement remplie dans une recommandation typique de renvoi pour incompétence. Celle-ci se fonde sur une succession de rapports d’évaluation documentés servant à avertir l’em-ployé(e) qu’une amélioration de son rendement s’impose. L’employé(e) reçoit ces rapports périodiquement, a l’occasion de les commenter et de réaliser les progrès qu’on exige de lui (ou d’elle). Par conséquent, on ne saurait douter que la recommandation de l’administrateur général est prise en connaissance de cause ou que l’employé(e) a été bien traité(e). Les garanties procédurales et l’équité sont également inhérentes à un cas typique d’incapacité. La maladie ou l’invalidité dont elle résulte s’explique d’elle-même. Ou bien l’employé(e) peut s’acquitter de ses fonctions ou bien il (ou elle) ne le peut pas. Cela ne veut pas dire que l’obligation d’équité n’existe pas dans le cas typique relevant de l’article 31 de la LEFP, mais que cette obligation est intrinsèquement remplie par les garanties procédurales en vigueur.

Toutefois, les circonstances entourant le cas sous examen ne sont pas typiques. La recommandation de renvoi, faite par l’administrateur général, se fondait sur les résultats d’une enquête et non sur l’évaluation de preuves essentiellement indiscutables. L’existence d’une relation quelconque n’est pas en cause ici, mais le litige portant sur la nature et l’intensité véritables de cette relation n’a jamais été élucidé dans les faits. Le détenu allègue qu’il s’agissait d’une relation d’ordre sexuel et les rapports d’enquête laissent également entrevoir cette possibilité. C’est de ce seul renseignement que l’administrateur général disposait et sur lequel il s’est fondé pour prendre la décision de révoquer la cote de fiabilité approfondie de l’intimée. Partant, le fait qu’il ait omis de mettre l’intimée au courant des éléments de preuve qui jouaient contre elle et de lui donner la possibilité de réfuter les allégations de relation sexuelle, revêt une importance cruciale. L’administrateur général aurait certainement moins douté de la fiabilité de l’intimée si cette relation n’était autre qu’une simple amitié anodine, par opposition à une intimité soutenue. Cela aiderait aussi à comprendre pourquoi la relation en question n’a pas été rapportée.

Lord Denning s’est penché sur la question de l’existence et de la portée de l’obligation d’équité dans pareil contexte, dans une déclaration que la Cour suprême a faite sienne (voir les motifs rédigés pour la minorité par le juge Dickson (alors juge puîné), dans l’arrêt Martineau, supra, à la page 624 et dans ceux du juge Estey au nom de la Cour dans l’arrêt Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, à la page 217. Dans l’affaire Selvarajan v Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.), à la page 19, lord Denning dit ce qui suit :

[traduction] Dès qu’on peut infliger des peines ou sanctions à une personne ou qu’on peut la poursuivre ou la priver de recours, de redressement ou lui faire subir de toute autre manière un préjudice en raison de l’enquête et du rapport, il faut l’informer de la nature de la plainte et lui permettre d’y répondre. [Non souligné dans le texte.]

En résumé, c’est l’enquête ayant servi à étayer dans les faits la décision de l’administrateur général de révoquer la cote de fiabilité approfondie qui étend la portée du devoir d’équité dû dans les circonstances propres à ce cas. Pour s’assurer que la révocation est décidée en connaissance de cause, les exigences minimales en matière d’équité sont la pleine divulgation et l’occasion de se faire entendre.

Pour conclure sur ce point et sur les faits de la présente cause, l’obligation d’agir équitablement existait. Cela dit, la question suivante consiste à savoir si une autre voie de recours est offerte qui soit appropriée et de nature à corriger un manquement quelconque à l’obligation d’équité.

VI—AUTRES VOIES DE RECOURS

Deux sortes de procédures pourraient être considérées comme des voies de recours appropriées en cas de manquement à l’équité procédurale : la procédure d’appel prévue par l’article 31 de la LEFP et la procédure de grief instituée par l’article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

Pour évaluer si ces procédures corrigent en fait une violation éventuelle, il faut se tourner vers la jurisprudence relative aux autres voies de recours appropriées. Mon analyse portera en premier lieu sur l’affaire Harelkin c. Université de Régina, [1979] 2 R.C.S. 561. Il s’agissait en l’espèce d’un étudiant de l’Université de Régina à qui les autorités universitaires avaient enjoint d’abandonner ses études. Le comité chargé d’entendre les raisons invoquées contre l’étudiant et de trancher, n’a entendu qu’une seule partie, l’université, et a rendu une décision défavorable à l’étudiant. Celui-ci ignorait ce qu’on lui reprochait et n’a pas eu l’occasion de corriger ou de réfuter une déclaration qui lui fût préjudiciable. L’étudiant a, plus tard, demandé aux tribunaux de se prévaloir des recours en certiorari et en mandamus. Le juge Beetz, parlant au nom de la majorité de la Cour suprême, a conclu, à la page 585, que la décision du comité universitaire n’était pas entachée de nullité, nonobstant le manquement au devoir d’équité, mais qu’elle était annulable à l’insistance de l’étudiant et susceptible d’appel jusqu’à ce qu’elle soit annulée par une cour supérieure ou infirmée par le sénat de l’université. Il a conclu qu’il faut tenir compte de plusieurs facteurs avant de décider si le droit d’appel de l’étudiant au comité du sénat constituait une autre voie de recours appropriée de nature à corriger le manquement : la procédure d’appel, la composition du comité du sénat, ses pouvoirs et la façon dont ils sont exercés ainsi que le fardeau d’une conclusion antérieure, la célérité et les frais (à la page 588).

À la page 582 de ses motifs, le juge Beetz cite les propos du juge Weatherston de la Cour divisionnaire de l’Ontario dans l’affaire Polten and Governing Council of the University of Toronto et al., Re (1975), 8 O.R. (2d) 749, à la page 768, voulant que « si le dernier appel est en fait un nouveau procès et non un appel au sens habituel, je ne vois pas pourquoi l’absence de justice naturelle au niveau intermédiaire n’est pas corrigée. »

En somme, la Cour a majoritairement conclu que le droit d’appel au comité du sénat de l’université offrait à l’étudiant une voie de recours appropriée du fait qu’elle comportait un appel auprès d’un organisme supérieur ayant compétence pour réexaminer le cas, que l’étudiant n’aurait pas le fardeau d’atténuer la conclusion antérieure qui le défavorisait et que le sénat disposait des « moyens nécessaires pour remédier à toutes les injustices » (Harelkin, à la page 592).

La Cour a examiné les éléments que doit comporter une voie de recours additionnelle, dans l’affaire Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada c. Lewis, [1986] 1 C.F. 70(C.A.), (autorisation de pourvoi devant la Cour suprême rejetée [1985] 2 R.C.S. viii). M. Lewis était un agent d’immigration qu’on avait interrogé au cours d’une enquête portant sur un incident relatif à une présumée agression contre un immigrant détenu. Lors de cet interrogatoire, l’agent n’avait pas été informé de la plainte formulée contre lui. Il était sous l’impression que l’enquête portait sur la conduite d’un autre agent mêlé à cet incident. L’employeur a soutenu que même si l’obligation d’équité n’avait pas été respectée, l’agent ne devrait pas bénéficier d’un recours extraordinaire, puisqu’il n’avait pas demandé le renvoi du grief à l’arbitrage conformément aux dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique [S.R.C. 1970, ch. P-35]. Aux yeux de l’employeur, cette procédure constituait une voie de recours additionnelle appropriée.

Dans l’affaire Lewis, la Cour a majoritairement décidé que l’étape du renvoi à l’arbitrage dans le cadre de la procédure de grief était une voie de recours additionnelle appropriée parce que : (i) la procédure d’arbitrage exige que la décision soit rendue par un tiers indépendant; (ii) les parties pouvaient citer des témoins à comparaître en leur faveur; et (iii) l’employeur est obligé de prendre la mesure décidée par l’arbitre (à la page 98). À la suite de quoi, la Cour a majoritairement refusé d’accorder à l’agent le redressement demandé : voir également Hitchcock c. New-Brunswick (Deputy Solicitor General) (1988), 93 R.N.-B. (2e) 294 (B.R. 1re inst.); et Callahan v. Newfoundland (Minister of Social Services) et al. (1993), 113 Nfld. & P.E.I.R. 1 (C.S. 1re inst.).

En résumé, si la décision contestée peut être revue par un organisme supérieur indépendant qui n’est pas lié ou restreint par une conclusion antérieure, et si cet organisme est habilité à rectifier le manquement au devoir d’équité, on peut dire alors qu’une autre voie de recours appropriée existe. À mon avis, comme on le verra ci-après, l’exigence voulant que le réexamen soit confié à un organisme supérieur indépendant souffre une seule exception : un nouvel examen par l’autorité compétente initiale peut également servir à rectifier tout manquement antérieur au devoir d’équité. J’aborde maintenant la question consistant à déterminer si, d’après les faits de la présente cause, il existe une autre voie de recours appropriée.

Il faut tout d’abord examiner le droit d’en appeler au comité d’appel de la Commission de la fonction publique aux termes de l’article 31 de la LEFP. Les parties n’ont pas avancé d’arguments sur ce point et ont présumé, semble-t-il, que ce comité ne constituait pas une voie de recours appropriée. Cependant, aux pages 16 et 17 de ses motifs, le juge Marceau, J.C.A. conclut que tout droit éventuel à l’équité procédurale était « pleinement protégé par l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et qu’il a été observé par l’enquête et l’audition du comité d’appel de la Commission de la fonction publique ». Je ne peux, en toute déférence, partager cet avis. D’après le raisonnement suivi dans l’affaire Ahmad, les pouvoirs de révision du comité d’appel ne sont pas de novo. Il peut soit accepter, soit rejeter la recommandation dont il est saisi, mais il est tenu de l’accepter sauf (i) s’il y a eu mauvaise application d’une directive légale ou juridique; (ii) s’il y a preuve de mauvaise foi; ou (iii) si le Comité d’appel est convaincu, sur la foi des documents soumis, que l’administrateur général a, de fait, commis une erreur en émettant l’opinion contestée (à la page 647). Dans le présent cas, le comité d’appel a constaté que ses pouvoirs de réexamen se limitaient à dire si la procédure suivie par l’administrateur général pour rendre sa décision de révoquer la cote de fiabilité approfondie soulevait des doutes quant à l’exactitude ou la fiabilité des renseignements sur lesquels il s’était fondé. Ayant déterminé que la décision était dictée par l’existence d’une relation non divulguée, le Comité d’appel n’a pas examiné plus à fond la question du caractère équitable de la procédure d’enquête. Il en résulte que même si le Comité d’appel est un organisme supérieur, ses pouvoirs de réexamen et de redressement sont tellement limités qu’il ne constitue pas une autre voie de recours appropriée.

La seconde voie de recours additionnelle appropriée est la procédure de grief engagée par l’intimée en vertu de l’article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Il va de soi que l’arbitrage des griefs prévue à l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ne constitue pas, dans les circonstances d’espèce, une autre voie de recours appropriée, étant donné que l’arbitre s’est déclaré incompétent pour étudier la décision de révoquer la cote de fiabilité approfondie de l’employée. La partie appelante allègue toutefois, et le juge Marceau, J.C.A. conclut, que le processus d’examen interne de la procédure de grief suffit à remédier à tout vice de procédure entachant la décision initiale de révoquer la cote de fiabilité approfondie de l’intimée. Les éléments de preuve n’appuient pas une telle conclusion.

En l’occurrence, les pièces au dossier ne disent pas ce que comporte la procédure de grief. L’agent négociateur de l’intimée a eu l’occasion de présenter au commissaire des observations d’un genre ou l’autre, mais rien n’indique si l’intimée a été suffisamment informée des accusations portées contre elle, pas plus que nous ne savons de quelle latitude elle a bénéficié pour présenter ses observations (dossier d’appel, à la page 100). Je ne crois pas qu’on puisse simplement supposer qu’elle a obtenu tous les renseignements nécessaires, ni qu’elle a eu une possibilité suffisante de répliquer avant que le commissaire ne décide de rejeter son grief. Vu la nature importante de la relation entre l’intimée et le détenu au regard de la prise de décision, il faut, pour que la procédure de grief puisse être considérée comme une autre voie de recours appropriée, établir que cette procédure a permis à l’intimée d’avoir suffisamment connaissance des accusations qu’elle devait réfuter et qu’elle lui a fourni l’occasion d’y répliquer efficacement. C’est alors seulement que l’on peut considérer que le commissaire est parvenu à une décision éclairée. Des éléments de preuve sont indispensables, à mon point de vue, pour étayer une allégation voulant qu’un processus donné remplit les exigences propres à une voie de recours additionnelle appropriée, avant que la Cour ne conclue que le manquement au devoir d’équité a été réparé. Nous ne saurions procéder, en pareille matière, en faisant acte de foi. À mon avis, la partie appelante n’a pas prouvé que l’intimée a été suffisamment informée, durant la procédure de grief, des éléments sur lesquels l’administrateur général a fondé sa décision, tels que la teneur des deux rapports d’enquête. Bien sûr, une divulgation suffisante ne signifie pas nécessairement qu’elle doive être pleine et entière.

Il appert donc nettement que la procédure d’appel prévue par la LEFP ne constitue pas une voie de recours additionnelle appropriée, pas plus qu’il n’a été établi que la procédure de grief, objet de l’article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, n’aurait réparé le manquement.

VII—CONCLUSION

L’appel devrait être rejeté avec dépens.



[1] Maintenant publiée dans [1995] 1 C.F. 306(1re inst.).

[2] L.R.C. (1985), ch. P-33.

[3] L.R.C. (1985), ch. P-35.

[4] Cette disposition a été abrogée par la loi qui a pris effet le 1er juin 1993, L.C. 1992, ch. 54, art. 21. Les cas de cessation d’emploi qu’elle régissait relèvent aujourd’hui de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et le Comité d’appel de la Commission de la fonction publique ne joue plus aucun rôle à cet égard.

[5] La décision figure aujourd’hui dans (1993), 151 N.R. 181 (C.A.F.), à la p. 183 [Kampman c. Canada].

[6] [1995] 1 C.F. 306 à la p. 316.

[7] Ibid., à la p. 317.

[8] Ibid., à la p. 322.

[9] L.R.C. (1985), ch. F-11.

[10] L.R.C. (1985), ch. C-23.

[11] Voir, à titre de comparaison sur ce point : Commission de l’Emploi et de l’immigration du Canada c. Lewis, [1986] 1 C.F. 70(C.A.).

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