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[1996] 3 C.F. 947

T-670-96

Karlheinz Schreiber (demandeur)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Schreiber c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson— Edmonton, 25 juillet; Ottawa, 15 août 1996.

Pratique Jugements et ordonnances Suspension d’exécutionDemande de suspension de l’effet du jugement qui a statué que la norme canadienne applicable à la délivrance d’un mandat de perquisition devait être respectée avant de demander aux autorités suisses de saisir des dossiers bancairesIl a été satisfait au critère énoncé dans l’arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd.1) L’interaction de l’art. 8 de la Charte avec les ententes internationales aux fins d’entraide juridique en matière criminelle est une question sérieuse à juger2) Tous les Canadiens subiront un préjudice irréparable du fait de la réduction de la capacité du Canada d’enquêter sur les activités criminelles ayant des aspects internationaux, en l’absence d’un mécanisme qui permettra au Canada de s’acquitter de ses obligations prévues par l’art. 8 de la Charte tout en bénéficiant des dispositions d’entraide juridique existantes et envisagées3) À court terme, l’intérêt public dans l’application efficace des lois l’emporte sur l’intérêt public dans la protection des renseignements personnels de ceux qui font l’objet d’une enquête criminelle.

Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Demande de suspension de l’effet du jugement qui a statué que la norme canadienne applicable à la délivrance d’un mandat de perquisition devait être respectée avant de demander aux autorités suisses de saisir des dossiers bancairesIl a été satisfait au critère énoncé dans l’arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd.

Il s’agit d’une demande visant à obtenir une ordonnance portant suspension, en attendant qu’un appel soit interjeté, de l’effet du jugement dans lequel le juge Wetston a décidé que la norme canadienne applicable à la délivrance d’un mandat de perquisition devait être respectée avant que les autorités canadiennes n’aient demandé aux autorités suisses de rechercher et de saisir les dossiers bancaires du demandeur.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Le critère, à trois volets, de l’octroi d’une suspension énoncé dans l’arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd.) a été respecté : 1) L’interaction de l’article 8 de la Charte avec les importantes ententes qui existent entre le Canada et d’autres nations, aux fins d’entraide juridique en matière criminelle, est une question sérieuse à juger : 2) Tous les Canadiens, représentés par le procureur général du Canada, subiront un préjudice irréparable du fait de la réduction de la capacité du Canada d’enquêter efficacement sur les activités criminelles importantes ayant des aspects internationaux, en l’absence d’un mécanisme qui permettra effectivement au Canada de s’acquitter de ses obligations prévues par l’article 8 de la Charte tout en bénéficiant des dispositions d’entraide juridique existantes et envisagées. 3) À court terme, l’intérêt public dans l’application efficace des lois l’emporte sur l’intérêt public dans la protection des renseignements personnels de ceux qui font l’objet d’une enquête criminelle.

La suspension demandée en attendant qu’il soit statué sur l’appel a été accordée à deux conditions : le procureur général doit 1) demander sur-le-champ à la Cour d’appel fédérale d’accélérer l’audition de l’appel 2) écrire aux autorités suisses pour demander qu’elles suspendent toute autre suite qu’elles pourraient donner à la demande d’entraide juridique en attendant l’issue de l’appel.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 8, 9.

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34.

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63.

Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 30.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 341A (édictée par DORS/79-57, art. 8), 475.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679; (1992), 93 D.L.R. (4th) 1; 92 CLLC 14,036; 10 C.R.R. (2d) 1; 139 N.R. 1; Thibaudeau c. M.R.N., [1994] 2 C.F 189; (1994), 114 D.L.R. (4th) 261; 21 C.R.R. (2d) 35; [1994] 2 C.T.C. 4; 94 DTC 6230; 167 N.R. 161; 3 R.F.L. (4th) 153 (C.A.); Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627; (1995), 124 D.L.R. (4th) 449; 29 C.R.R. (2d) 1; [1995] 1 C.T.C. 382; 95 DTC 5273; 182 N.R. 1; 12 R.F.L. (4th) 1; Thibaudeau c. Canada (Ministre du Revenu nationalM.R.N.), [1994] A.C.S. no 54 (QL); R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; (1991), 75 O.R. (2d) 388; 71 D.L.R. (4th) 551; 63 C.C.C. (3d) 481; 5 C.R. (4th) 253; 3 C.R.R. (2d) 1; 125 N.R. 1; 47 O.A.C. 81; Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; (1987), 38 D.L.R. (4th) 321; [1987] 3 W.W.R. 1; 46 Man. R. (2d) 241; 25 Admin. L.R. 20; 87 CLLC 14,015; 18 C.P.C. (2d) 273; 73 N.R. 341; RJRMacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; (1994), 54 C.P.R. (3d) 114; 164 N.R. 1; 60 Q.A.C. 241.

DEMANDE de suspension, en attendant qu’un appel soit interjeté, de l’effet du jugement qui a statué que la norme canadienne applicable à la délivrance d’un mandat de perquisition devait être respectée avant que les autorités canadiennes n’aient pu demander aux autorités suisses de rechercher et de saisir les dossiers bancaires du demandeur. Demande accueillie.

AVOCATS :

Robert W. Hladun, c.r. et Gary D. Braun pour le demandeur.

S. David Frankel, c.r. pour le défendeur.

PROCUREURS :

Hladun & Company, Edmonton, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Gibson : Les présents motifs découlent de deux demandes dont j’ai été saisi à Edmonton (Alberta), le 25 juillet 1996.

Le défendeur s’est fondé sur la Règle 341A des Règles de la Cour fédérale[1] et d’autres textes pour solliciter une ordonnance portant suspension de l’effet du jugement rendu en l’espèce par le juge Wetston le 4 juillet 1996 [[1996] 3 C.F. 931. Le demandeur a conclu à une ordonnance accordant un sursis d’exécution de toute autre suite ou de tout autre recours à la lettre de demande envoyée à la Suisse par le défendeur le 29 septembre 1995, modifiée par une autre lettre en date du 16 juillet 1996. La lettre de demande mentionnée dans la requête du demandeur constituait une demande d’assistance des autorités suisses relativement à une enquête criminelle canadienne. En réponse à la lettre de demande, celles-ci, agissant conformément au droit suisse, ont rendu une ordonnance portant saisie des documents et des dossiers relatifs au compte bancaire du demandeur en Suisse. Des documents et des dossiers bancaires ont été saisis et sont actuellement aux mains des autorités suisses.

LA REQUÊTE DU DÉFENDEUR

Dans le jugement dont on a demande la suspension, le juge Wetston a statué sur un mémoire spécial dont il était saisi en application de la Règle 475. Les parties étaient convenues que le règlement de la question de droit suivante trancherait l’action [à la page 936] :

[traduction] La norme canadienne applicable à la délivrance d’un mandat de perquisition devait-elle être respectée avant que le ministre de la Justice et le procureur général du Canada n’aient présenté aux autorités suisses la lettre de demande les priant de rechercher et de saisir les documents et les dossiers bancaires du demandeur?

Le juge Wetston a répondu à la question par l’affirmative. Voici des extraits de ses motifs de jugement [aux pages 939 à 944].

Ni l’une ni l’autre des parties n’a pu renvoyer la Cour à une jurisprudence canadienne particulière portant sur la question de droit dont je suis saisi.

Ainsi que je l’ai dit ci-dessus, je ne considère pas qu’en l’espèce, la protection prévue par la Charte est demandée dans un contexte extraterritorial. Le simple fait que le demandeur ait choisi d’avoir des comptes bancaires en Suisse ne tranche pas la question. Si le demandeur peut être poursuivi au Canada, je ne vois pas pourquoi il ne devrait pas avoir droit aux avantages accessoires de la Charte. Je ne considère pas cela comme étant une pondération déraisonnable entre les droits du demandeur et l’obligation du gouvernement de faire appliquer le droit pénal de ce pays. À l’évidence, « chacun » a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, et cela sans avoir à être officiellement poursuivi pour un méfait allégué. En fait, le juge Dickson [tel était alors son titre] a dit dans l’arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., précité, à la page 160, que l’article 8 vise à empêcher les fouilles et les perquisitions injustifiées avant qu’elles n’aient lieu, et non simplement à déterminer, après le fait, si elles auraient dû survenir en premier lieu.

L’autorisation préalable assure donc un degré élevé d’impartialité dans la pondération des droits du particulier et de ceux du gouvernement dans l’application de la loi. L’idée que la pondération peut avoir lieu entre les enquêteurs de la police et les agents d’exécution du gouvernement n’est pas soutenable. La même neutralité s’impose, à mon avis, que les fouilles, les perquisitions ou les saisies aient lieu par suite d’un mandat décerné au Canada, ou qu’elles résultent d’une lettre de demande à laquelle on donnera suite à l’extérieur du Canada. La nécessité de protéger contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives n’est pas moins importante lorsqu’une perquisition a lieu à l’étranger, plutôt qu’à l’intérieur du Canada. J’estime que l’exigence d’une autorisation préalable ne fait pas des fouilles, des perquisitions ou des saisies effectuées à l’extérieur du Canada un outil d’exécution moins puissant pour les autorités publiques.

Je reconnais qu’il n’existe peut-être pas, dans l’état actuel du droit canadien, une procédure d’octroi de l’autorisation préalable d’une lettre de demande. Toutefois, l’inexistence de méthodes d’enquêtes admissibles sur le plan constitutionnel ne justifie pas le recours à des méthodes d’enquête inadmissibles sur le même plan : … Je n’ai pas à trancher la question de savoir si l’article 487.01 [édicté par L.C. 1993, ch. 40, art. 15) du Code criminel, qui porte sur les mandats généraux, peut être utilisé à ces fins. Néanmoins, je crois qu’il est peu probable que cette disposition s’applique. [Citations supprimées.]

La question d’une possible suspension de son jugement, en attendant un appel, n’a pas été soulevée devant le juge Wetston.

La suspension de l’effet d’un jugement déclaratoire concernant les droits prévus à la Charte canadienne des droits et libertés[2] ne devrait pas être accordée à la légère. Dans l’arrêt Schachter c. Canada[3], le juge en chef du Canada s’est prononcé en ces termes :

Une suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité est une question sérieuse du point de vue de l’application de la Charte, car on se trouve alors à permettre que se perpétue pendant un certain temps une situation qui a été jugée contraire aux principes consacrés dans la Charte. Il peut exister de bonnes raisons pragmatiques d’autoriser cet état de choses dans des cas particuliers.

Dans le même ordre d’idée, le juge Hugessen s’est exprimé en ces termes dans l’arrêt Thibaudeau c. M.R.N.[4] :

En outre, l’avocate de l’intimée nous a demandé, si nous accueillons la demande, de retarder toute déclaration d’invalidité de l’alinéa 56(1)b) pendant un certain temps afin de permettre au législateur d’apporter les modifications nécessaires à la Loi. Plusieurs motifs nous obligent à refuser cette demande … D’un point de vue plus fondamental, il s’agit en l’espèce des droits des individus qui leur sont garantis par la loi suprême du pays. Il faudrait assurément des motifs très convaincants pour justifier toute suspension de ces droits. Or, aucun n’a été invoqué.

Malgré les préoccupations exprimées par le juge Hugessen, et sa mise en garde dans l’arrêt Schachter, précité, dans le cadre du pourvoi contre la décision Thibaudeau devant la Cour suprême du Canada, le juge en chef du Canada a, au nom de la Cour en séance plénière, suspendu la décision de la Cour d’appel fédérale déclarant inconstitutionnelle une disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63] et ce, jusqu’à ce que la Cour suprême elle-même ait statué sur l’affaire[5]. En outre, dans l’arrêt R. c. Swain[6], la Cour suprême a suspendu, sous condition, l’effet de son jugement, malgré le fait qu’il a été conclu qu’une disposition du Code criminel [S.R.C. 1970, ch. C-34] violait les articles 7 et 9 de la Charte portant sur le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne et le droit d’être protégé contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires. Encore une fois, le juge en chef Lamer a rédigé les motifs justifiant la suspension.

Il n’y a pas eu contestation devant moi de l’application, à l’occasion d’une demande telle que la présente, du critère à trois volets énoncé dans l’arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd.[7]. Les éléments du critère ont récemment été revus par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJRMacDonald Inc. c. Canada (Procureur général)[8], où les juges Sopinka et Cory ont tenu les propos suivants à la page 334 :

L’arrêt Metropolitan Stores établit une analyse en trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande de suspension d’instance ou d’injonction interlocutoire. Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu’il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond.

On n’a pas contesté devant moi que l’espèce soulève une sérieuse question à juger par la Cour d’appel fédérale. Ainsi qu’il a été cité ci-dessus, le juge Wetston a souligné que ni l’une ni l’autre des parties comparaissant devant lui n’avait pu renvoyer la Cour à une jurisprudence canadienne particulière portant sur la question de droit dont il était saisi. Cette question de droit portait sur l’interaction de l’article 8 de la Charte avec les importantes ententes qui existent entre le Canada et d’autres nations, aux fins d’entraide juridique en matière criminelle. Je disposais d’une publication du ministère de la Justice relative à son rôle dans l’entraide juridique. Cette publication s’intitule « L’application des lois dans le village planétaire », reflétant l’importance qui est attachée à la coopération mutuelle dans une époque technologique. Il ne m’est pas difficile de conclure qu’il existe en l’espèce une question sérieuse à juger.

Le défendeur m’a présenté un important affidavit de William H. Corbett, avocat général principal à l’administration centrale du ministère de la Justice à Ottawa. Il ressort de l’affidavit que M. Corbett a participé pendant longtemps à des affaires d’entraide juridique, notamment à l’élaboration de la Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle[9]. M. Corbett a témoigné de l’importance de la participation du Canada à l’entraide juridique et de l’impact du jugement du juge Wetston sur la capacité du Canada de s’intéresser aux aspects internationaux des enquêtes criminelles importantes. Je suis convaincu, compte tenu de l’affidavit de M. Corbett, que tous les Canadiens, représentés par le procureur général du Canada, subiront un préjudice irréparable du fait de la réduction de la capacité du Canada d’enquêter efficacement sur les activités criminelles importantes ayant des aspects internationaux, en l’absence d’un mécanisme qui permettra effectivement au Canada de s’acquitter de ses obligations prévues par l’article 8 de la Charte tout en bénéficiant des dispositions d’entraide juridique existantes et envisagées.

J’aborde maintenant la question de la prépondérance des inconvénients. Le juge Wetston s’est, assez longuement, penché sur la pondération entre le droit à la protection des renseignements personnels dans les circonstances de l’espèce et l’obligation du gouvernement fédéral d’aider à l’application du droit pénal de ce pays. Les citations ci-dessus reflètent ses conclusions à cet égard.

Je souscris entièrement aux conclusions du juge Wetston à cet égard. Toutefois, on me demande d’examiner l’équilibre entre le droit des individus à la protection des renseignements personnels et l’obligation du gouvernement fédéral d’aider à l’application du droit pénal de ce pays, non pas dans le contexte à long terme dont était saisi le juge Wetston, mais plutôt dans le contexte à court terme d’une période, en attendant qu’il soit statué sur un appel, période au cours de laquelle, j’en suis convaincu, en l’absence d’une suspension du jugement du juge Wetston ou d’une modification législative, il n’y aura aucun mécanisme efficace en place pour permettre au gouvernement fédéral de s’acquitter de son obligation.

Dans l’arrêt RJRMacDonald, les juges Sopinka et Cory ont tenu compte de l’« intérêt public » dans l’évaluation de la prépondérance des inconvénients. Ils ont déclaré [aux pages 343 et 344] :

[traduction] Bien qu’il soit fort important de tenir compte de l’intérêt public dans l’appréciation de la prépondérance des inconvénients, l’intérêt public dans les cas relevant de la Charte n’est pas sans équivoque ou asymétrique comme le laisse entendre l’arrêt Metropolitan Stores. Le procureur général n’est pas le représentant exclusif d’un public « monolithe » dans les litiges sur la Charte, et le requérant ne présente pas toujours une revendication individualisée. La plupart du temps, le requérant peut également affirmer qu’il représente une vision de « l’intérêt public ». De même, il se peut que l’intérêt public ne milite pas toujours en faveur de l’application d’une loi existante.

À notre avis, il convient d’autoriser les deux parties à une procédure interlocutoire relevant de la Charte à invoquer des considérations d’intérêt public. Chaque partie a droit de faire connaître au tribunal le préjudice qu’elle pourrait subir avant la décision sur le fond. En outre, le requérant ou l’intimé peut faire pencher la balance des inconvénients en sa faveur en démontrant au tribunal que l’intérêt public commande l’octroi ou le refus du redressement demandé. « L’intérêt public » comprend à la fois les intérêts de l’ensemble de la société et les intérêts particuliers de groupes identifiables.

Les personnes, et l’article 8 de la Charte parle de « chacun », ont droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Ainsi donc, le droit que le demandeur tient de la Charte, droit dont le juge Wetston a conclu qu’il avait été violé dans les circonstances de l’espèce, constitue un intérêt public protégé par le droit fondamental du pays. Ce droit est contrebalancé par le droit d’assurer une enquête efficace sur les activités criminelles, droit qui touche la vie et le bien-être de tous les Canadiens. En comparant ces deux intérêts publics, je trouve que la conclusion que, à court terme, et j’insiste, à court terme, l’intérêt public dans l’application efficace des lois l’emporte sur l’intérêt public dans la protection des renseignements personnels de ceux qui font l’objet d’une enquête criminelle, ne va pas à l’encontre de la conclusion contraire visant un terme plus long tirée par le juge Wetston.

En fin de compte, je conclus, et j’insiste encore une fois, à court terme, que l’intérêt public représenté par le défendeur à l’instance l’emporte sur le droit de chacun à la protection des renseignements personnels, comme en l’espèce, représenté par le demandeur.

Je conclus que le critère à trois volets auquel il faut satisfaire pour justifier l’octroi de la suspension du jugement du juge Wetston a, compte tenu des faits et des arguments invoqués devant moi, été respecté. En conséquence, en attendant qu’il soit statué sur l’appel, la suspension demandée a été accordée.

Deux conditions ont été imposées pour qu’il y ait suspension. En premier lieu, j’ai exigé du défendeur qu’il demande sur-le-champ à la Cour d’appel fédérale d’accélérer l’audition de l’appel pour minimiser la période pendant laquelle la violation des droits conférés par l’article 8 de la Charte sera permise. En second lieu, j’impose au défendeur l’obligation d’écrire aux autorités suisses pour demander qu’elles suspendent toute autre suite qu’elles pourraient donner à la demande d’entraide juridique que le gouvernement fédéral leur a envoyée concernant le demandeur, en attendant, encore une fois, l’issue de l’appel en l’espèce.

LA REQUÊTE DU DEMANDEUR

La dernière condition imposée traite effectivement de la réparation demandée au nom du demandeur dans la seconde requête dont j’étais saisi, mentionnée au début des présents motifs. Cela étant, j’ai rejeté la demande du demandeur.



[1] C.R.C., ch. 663 (édictée par DORS/79-57, art. 8).

[2] [1992] 2 R.C.S. 679, à la p. 716.

[3] Qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

[4] [1994] 2 C.F. 189(C.A.), à la p. 224, cassé en pourvoi, [1995] 2 R.C.S. 627.

[5] [1994] A.C.S. no 54 (QL).

[6] [1991] 1 R.C.S. 933.

[7] [1987] 1 R.C.S. 110.

[8] [1994] 1 R.C.S. 311.

[9] L.R.C. (1985) (4e supp.), ch. 30.

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