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[1996] 2 C.F. 146

A-68-95

Norman A. Mintzer (appelant) (demandeur)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée) (défenderesse)

Répertorié : Mintzer c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Strayer et Linden, J.C.A. —Toronto, 17 novembre; Ottawa, 21 décembre 1995.

Pensions Appel contre la décision de la Section de première instance qui a rejeté la requête en jugement sommaire portant que le ministre du Revenu national n’a pas le droit de compenser un arriéré d’impôt par des prestations de retraite du Régime de pensions du CanadaLe ministre a exigé la retenue du montant de la dette par voie de compensation statutaireLes art. 65(1) et 108(3)a) du Régime de pensions du Canada n’ont aucune incidence sur le droit de déduction ou de compensation prévu à l’art. 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenuDistinction entre compensation et saisieLes prestations de retraite ne constituent pas un fonds détenu en fiducie par la CouronneLe nouvel art. 65(1.1) ne vise pas à lier la CouronneLe ministre a droit à la compensationQuestion sérieuse à juger au regard de la Règle 432.2(1).

Impôt sur le revenu Il échet d’examiner si le ministre du Revenu national a le droit de compenser un arriéré d’impôt par des prestations de retraite du Régime de pensions du CanadaAux termes de l’art. 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, le ministre du Revenu national peut exiger la retenue par voie de compensation lorsqu’une personne est endettée envers Sa MajestéDistinction entre compensation en common law et compensation en equityL’exécution de la compensation n’est pas subordonnée à une procédure judiciaire puisque la Loi elle-même confère le pouvoir nécessaireLes modifications de 1995 du Régime de pensions du Canada ne dérogent pas à l’art. 224.1.

Couronne Créanciers et débiteurs Déduction ou compensation d’un arriéré d’impôt par application de l’art. 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenuLe contribuable n’a pas été libéré de la detteL’art. 65(1.1) du Régime de pensions du Canada ne lie pas la CouronneCompensation ne vaut pas saisie au sens de la loi de l’OntarioL’exécution de la compensation sous le régime de l’art. 224.1 n’est pas subordonnée à une procédure judiciaireLes termes « exécution de saisie et saisie-arrêt » figurant à l’art. 65(1.1) ne s’entendent pas également de la compensationLa Couronne a droit à la compensation.

Appel contre la décision de la Section de première instance qui a rejeté la requête en jugement sommaire portant que le ministre du Revenu national n’a pas le droit de compenser un arriéré d’impôt sur le revenu par des prestations de retraite du Régime de pensions du Canada qui reviennent au contribuable. En mars 1993, le ministre a signé une formule de « compensation statutaire » pour exiger que 75 245 22 $ soient retenus par voie de déduction ou de compensation, pour impôt dû pour les années 1986 à 1991, sur des montants dus au contribuable au titre du Régime de pensions du Canada. La Couronne reconnaît, non pas dans ses plaidoiries mais par témoignage par affidavit, que le contribuable ne doit rien au titre des années d’imposition 1986 à 1991 parce qu’il ne résidait pas au Canada durant cet intervalle. Elle affirme cependant qu’elle ne lui a jamais fait remise ni ne l’a libéré de l’arriéré d’impôt pour les années d’imposition 1973, 1974 et 1976 à 1979 inclusivement. Le juge des requêtes a conclu que le paragraphe 65(1) du Régime de pensions du Canada n’a aucune incidence sur le droit de déduction ou de compensation prévu à l’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu et qu’il y a une question réelle à juger qui ne saurait être tranchée par voie de jugement sommaire. Deux questions principales se posent dans cet appel, savoir : 1) si la Couronne a légalement le droit de compenser un arriéré d’impôt sur le revenu par des prestations de retraite payables à l’appelant, et 2) dans l’affirmative, si la modification apportée en 1995 au Régime de pensions du Canada lui interdit d’exercer son droit de compensation.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

1) L’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu investit le ministre du pouvoir d’exiger la déduction ou compensation « lorsqu’une personne est endettée envers Sa Majesté ». Bien que la compensation ait pu viser la dette qui était censée être contractée à l’égard des années d’imposition 1986 à 1991, elle n’est pas limitée dans ses termes au recouvrement spécifique de cette somme. En l’espèce, elle s’applique indifféremment à n’importe quelle prestation du régime de pensions du Canada payable à l’appelant, au titre de n’importe quel arriéré d’impôt sur le revenu, y compris celui se rapportant aux années d’imposition 1973, 1974 et 1976 à 1979, jusqu’à concurrence des 75 245 22 $ qui y sont spécifiés. Cette « compensation » ne vaut pas, sur le plan juridique, « saisie » au sens de la loi de l’Ontario où la compensation a été exécutée. Nous sommes en présence d’une compensation au sens de la common law et non de l’equity. « Saisie » s’entend dans le contexte de la procédure judiciaire, alors que l’exécution de la « compensation » prévue à l’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu n’est pas subordonnée à une procédure judiciaire. La loi elle-même confère le pouvoir nécessaire. Le mot « saisie » figurant au paragraphe 65(1) du Régime de pensions du Canada se réfère à quelque chose qui est accordé à un tiers ou exercé par ce tiers, lequel n’est pas la Couronne. Les prestations payables à l’appelant ne sont pas protégées de la compensation du fait qu’elles sont des fonds détenus en fiducie par la Couronne en application de l’alinéa 108(3)a) du Régime de pensions du Canada. Ce ne sont pas les cotisations versées au Trésor qui sont visées par la compensation, mais les « prestations » qui sont ou peuvent devenir « payables » au prestataire en application du Régime de pensions du Canada. Cette loi n’incarne pas la volonté de créer une fiducie, que ce soit à l’égard des cotisations ou des prestations. La Couronne assume, à l’égard des fonds portés au crédit du compte du régime de pensions du Canada ou des prestations non encore payées, le rôle d’un administrateur exerçant ses fonctions gouvernementales et non pas celui d’un fiduciaire.

2) L’appelant soutient que le paragraphe 65(1.1) du Régime de pensions du Canada, entré en vigueur le 13 juillet 1995, interdit de compenser un arriéré d’impôt par des prestations, car pareille compensation vaut « exécution de saisie et saisie-arrêt ». Le nouveau paragraphe ne vise pas à lier la Couronne ni à déroger aux dispositions de l’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Si le législateur avait voulu prévoir une exception au droit de compensation prévu à cet article 224.1, il aurait pu le faire facilement par une disposition expresse au paragraphe 65(1.1). « Compensation » est un concept juridique tout à fait différent de « saisie » et de « saisie-exécution » en common law comme en equity. Les termes « exécution de saisie et saisie-arrêt » figurant au paragraphe 65(1.1) ne visent pas à embrasser également la compensation de manière à anéantir les droits que le ministre tient de l’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le droit de compensation de la Couronne contre l’appelant n’est pas affecté par la modification. Ayant conclu à jugement sommaire sous le régime du paragraphe 432.2(1) des Règles, l’appelant n’a pu prouver qu’il n’y a pas aucune question sérieuse à juger. L’intimée a satisfait à la prescription de cette règle en établissant qu’il y a une question sérieuse à juger. Le juge des requêtes n’a pas commis une erreur en rejetant la requête en jugement sommaire de l’appelant.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 8, 12, 15, 26.

Code civil du Québec, S.Q. 1991, ch. 64, art. 1676.

Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, art. 553(12).

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 17.

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 224.1.

Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, art. 2(1) « prestation », 62(2), 65(1),(1.1.) (édicté par L.C. 1995, ch. 33, art. 29), 65.1(1) (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 33), 108(1),(2) (mod. par L.C. 1995, ch. 33, art. 46), (3)a).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 341, 432.1 (édictée par DORS/94-41, art. 5), 432.2 (édictée, idem), 432.3 (édictée, idem), 432.4 (édictée, idem), 432.5 (édictée, idem), 432.6 (édictée, idem), 432.7 (édictée, idem).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225; [1989] 5 W.W.R. 385; (1989), 26 C.P.R. (3d) 289; 98 N.R. 161; Overseas Aviation Engineering (G.B.) Ltd., In re, [1963] Ch. 24 (C.A.); Bankruptcy Notice, A, In re, [1934] Ch. 431 (C.A.); Sigurdson v. The Queen in right of British Columbia (1982), 132 D.L.R. (3d) 131; [1982] 2 W.W.R. 579; 33 B.C.L.R. 190; 41 C.B.R. (N.S.) 113 (C.A.C.-B.).

DÉCISIONS CITÉES :

Holt c. Telford, [1987] 2 R.C.S. 193; (1987), 81 A.R. 385; 41 D.L.R. (4th) 385; [1987] 6 W.W.R. 385; 54 Alta. L.R. (2d) 193; 39 B.L.R. 241; 21 C.P.C. (2d) 1; 78 N.R. 321; Atlantic Lines & Navigation Co. Inc. c. Didymi (Le), [1988] 1 C.F. 3 (1987), 39 D.L.R. (4th) 399; 78 N.R. 99 (C.A.); Aero Trades (West.) Ltd. (Syndic de) c. Can., [1989] 1 W.W.R. 723; (1988), 71 C.B.R. (N.S.) 97; 18 C.E.R. 139; [1989] 1 C.T.C. 142; 89 DTC 5050; 2 TCT 4042 (C.A.F.); W. C. Fast Enterprises Ltd. v. All-Power Sports (1973) Ltd., Astrope and Royal Bank of Canada (1981), 29 A.R. 483; 126 D.L.R. (3d) 27; 16 Alta. L.R. (2d) 47; 40 C.B.R. (N.S.) 182 (C.A.); Paterson (D.S.) & Co. Ltd., Re, [1931] O.R. 777 (C.S.); R. c. Guerin, [1983] 2 C.F. 656 (1982), 143 D.L.R. (3d) 416; [1983] 2 W.W.R. 686; [1983] 1 C.N.L.R. 20; 13 E.T.R. 245; 45 N.R. 181 (C.A.); Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; (1992), 88 D.L.R. (4th) 1; [1992] 2 W.W.R. 193; 84 Alta. L.R. (2d) 129; 3 Admin. L.R. (2d) 1; 7 C.E.L.R. (N.S.) 1; 132 N.R. 321; Johnston v. Hogg (1882-83), 10 Q.B.D. 432; Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le), [1995] 3 C.F. 68 (1995), 184 N.R. 307 (C.A.).

DOCTRINE

Dunlop, C. R. B. Creditor-Debtor Law in Canada, 2nd ed. Toronto : Carswell, 1995.

Halsbury’s Laws of England, vol. 42, 4th ed. London : Butterworths, 1983, para. 406.

Judge, J. A. M. et M. E. Grottenthaler. « Legal and Equitable Set-Offs » (1991), 70 Rev. du Bar. Can. 91.

Law Reform Commission of British Columbia. Report on Set-Off (LRC 97). Vancouver : Ministry of Attorney General, 1988.

Palmer, K. R. The Law of Set-Off in Canada. Aurora, Ont. : Canada Law Book, 1993.

APPEL contre la décision de la Section de première instance ([1995] 1 C.T.C. 220) qui a rejeté la requête en jugement sommaire de l’appelant en application du paragraphe 432.3(1) des Règles de la Cour fédérale. Appel rejeté.

AVOCATS :

Norman A. Mintzer pour son propre compte.

Harley R. Nott pour l’intimée (défenderesse).

PROCUREURS :

Norman A. Mintzer pour son propre compte.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée (défenderesse).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge stone, J.C.A. : Par requête introduite dans le cadre de la présente action, l’appelant cherche à obtenir un redressement par voie de jugement sommaire en disant que selon les règles de common law, le ministre du Revenu national n’a pas le droit de compenser par des prestations de retraite du Régime de pensions du Canada [L.R.C. (1985), ch. C-8] qui reviennent à l’appelant, un arriéré d’impôt sur le revenu qu’on lui reproche par application de la Loi de l’impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1]. Cette requête a été rejetée par le juge Rothstein siégeant comme juge des requêtes [[1995] 1 C.T.C. 220]. Au cours des débats devant la Cour, l’appelant a aussi invoqué une récente modification du Régime de pensions du Canada pour soutenir qu’il est interdit au ministre de continuer à pratiquer la compensation sur les prestations payables après l’entrée en vigueur de cette modification.

Une formule de « compensation statutaire » en date du 31 mars 1993, signée du directeur, Impôt, du Bureau de district de Toronto du ministère du Revenu national, Impôt, et adressée au « Régime de pensions du Canada, Programmes de la sécurité du revenu, Santé et Bien-être Canada », porte notamment ce qui suit :

CONFORMÉMENT à une ou plusieurs des lois suivantes, le soussigné exige par les présentes que 75 245 22 $ soient retenus par voie de déduction ou de compensation sur des montants dont vous êtes redevable ou pouvez devenir redevable au contribuable dont le nom figure ci-dessus,

au taux d’un montant mensuel égal à 100 pour cent de tout montant pouvant être ou devenir payable au contribuable,

à l’égard de transactions dont les précisions figurent ci-après en plus de tout autre montant qui peut être ou devenir payable au contribuable, et lorsque le contribuable est un employé, de toute somme dont Sa Majesté du chef du Canada lui est redevable lorsque ce contribuable cesse de travailler jusqu’au retrait de la présente demande péremptoire et jusqu’au remboursement du montant dont le contribuable est redevable.

LA PRÉSENTE DEMANDE PÉREMPTOIRE a été exécutée en vertu d’une ou de plusieurs des lois mentionnées ci-dessous :

la Loi de l’impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada, la Loi sur l’assurance-chômage, la Loi de l’impôt sur les revenus pétroliers.

La demande de paiement doit être envoyée mensuellement en conformité avec les procédures de règlement interministériel et doit être identifiée par le numéro intra, le code du compte-créancier, le nom du contribuable, son adresse, son numéro d’assurance sociale, s’il y a lieu, et son numéro de compte.

Selon l’appelant, le ministre l’a informé en avril 1992 qu’il devait faire ses déclarations d’impôt pour les années d’imposition 1986 à 1991 inclusivement, pour être admissible aux prestations du régime de pensions du Canada. Qu’avant de déposer ses déclarations pour ces années, [traduction] « il ne devait rien au fisc ». Et qu’il a commencé à recevoir des prestations mensuelles de 372 30 $ en août 1992. On peut lire ce qui suit aux paragraphes 8 et 9 de sa plaidoirie :

[traduction] 8. Vers mai 1993, la défenderesse a, sous prétexte d’arriéré d’impôt pour les années 1986 à 1991 inclusivement, saisi les prestations de retraite que le demandeur reçoit du régime de pensions du Canada. Le demandeur a touché la dernière de ces prestations en avril 1993, et il ne devait rien au fisc.

9. Le demandeur soutient que la saisie des prestations qu’il reçoit du régime de pensions du Canada est invalide et nulle au regard du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, modifié, par les motifs suivants :

a) Il s’agit là d’une cession, d’une constitution de privilège, d’un escompte ou d’une constitution de garantie, qu’interdit l’article 65; et

b) Il ne s’agit pas là d’un paiement autorisé en application de l’article 108.

Et au paragraphe 14 :

[traduction] 14. Le demandeur soutient que le Régime de pensions du Canada est un régime fondé sur les gains cotisables et qui compense la perte de revenu tenant à la retraite, à l’infirmité ou à la mort, et que ses fonds sont détenus en fiducie par la défenderesse au profit des cotisants, dont le demandeur.

L’appelant reconnaît aux paragraphes 16 et 18 de sa plaidoirie que son revenu pour les années 1973 et 1974 a fait l’objet d’une nouvelle cotisation par Revenu Canada et qu’il en a interjeté appel. Et au paragraphe 19 :

[traduction] 19. Vers 1988, la défenderesse a remis au demandeur toute dette fiscale qu’il lui devait jusqu’à cette date, et celui-ci s’est désisté de ses appels.

L’appelant soutient, aux paragraphes 20 à 26, que le ministre a illégalement saisi des fonds détenus dans son compte de fiducie, que l’intimée a reconnu [traduction] « l’inconvenance de ses actions » et que vers 1988, [traduction] « la défenderesse a remis au demandeur toute dette fiscale qu’il lui devait, en compensation du préjudice causé à lui-même et à sa famille par ses actions ». Il reproche aussi à l’intimée d’avoir porté atteinte aux droits et libertés que lui garantissent les articles 7, 8, 12, 15 et 26 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Il n’a cependant pas poursuivi ces dernières conclusions dans son argumentation devant la Cour.

L’intimée oppose aux allégations de l’appelant ce qui suit aux paragraphes 9 à 13 de la défense :

[traduction] 9. Par suite des nouvelles cotisations susmentionnées pour les années d’imposition 1986 à 1991, il a été établi que le demandeur devait la somme de 70 178 51 $ à titre d’impôt, pénalités et intérêts compris.

10. Après avoir essayé vainement de rejoindre le demandeur afin de recouvrer la dette susmentionnée qu’il devait à Sa Majesté, le ministre du Revenu national, conformément à l’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, a exigé la retenue par voie de déduction ou de compensation de la somme de 75 245 22 $, qui était le montant dû à cette date, intérêts compris, sur les montants payables au demandeur en application du Régime de pensions du Canada. La demande péremptoire de compensation statutaire a été envoyée le 31 mars 1993 à Santé et Bien-être Canada, et avis en a été envoyé le même jour au demandeur, à sa dernière adresse postale connue.

11. Conformément à la compensation statutaire exigée par le ministre du Revenu national, l’intégralité de la pension de retraite payable au demandeur a été retenue à compter de mai 1993; la retenue se poursuit à cette date.

12. La défenderesse affirme que la compensation exigée par le ministre du Revenu national était et est valide; elle n’est interdite par aucune disposition du Régime de pensions du Canada, ni, en particulier, par son article 65. Que la compensation ne vaut pas cession, constitution de privilège, saisie, escompte ou constitution de garantie au sens de cette dernière disposition. Que la compensation ne constitue pas une somme supplémentaire portée au débit du compte du régime de pensions du Canada et qu’ainsi, l’article 108 du Régime de pensions du Canada n’a pas application en l’espèce. En conséquence, la défenderesse nie le paragraphe 9 de la déclaration du demandeur.

13. En ce qui concerne le paragraphe 14 de la déclaration, la défenderesse nie que les fonds dans le compte du régime de pensions du Canada soient détenus en fiducie par la Couronne au profit des cotisants ou des prestataires.

Et aux paragraphes 20 et 21 :

[traduction] 20. Vers novembre 1993, Revenu Canada, Impôt, a reçu du demandeur des demandes de rajustement T1 en date du 18 octobre 1993 pour ses déclarations d’impôt relatives aux années d’imposition 1986 à 1991 inclusivement. Le demandeur voulait un rajustement par ce motif que durant les années susmentionnées, il ne résidait pas au Canada, que le revenu porté sur ces déclarations d’impôt n’avait pas été gagné au Canada ni ne provenait d’aucune source canadienne, et qu’il avait déposé ces déclarations d’impôt afin d’être admissible aux prestations du régime de pensions du Canada. Aucune suite n’a encore été donnée à cette date à ces demandes de rajustement T1; la défenderesse nie en conséquence les allégations contenues aux paragraphes 7 et 8 de la déclaration. Au cas où les demandes de rajustement du demandeur seraient accueillies, cela signifierait qu’il ne doit pas, au titre de l’impôt pour ces années d’imposition, la somme de 75 245 22 $ qui fait actuellement l’objet de la mesure de compensation.

21. Le demandeur doit à la défenderesse un arriéré d’impôt pour les années d’imposition 1973, 1974 et 1976 à 1979 inclusivement. La défenderesse nie qu’elle lui ait remis cette dette, ainsi qu’il le prétend au paragraphe 19 de la déclaration. Vers le 21 décembre 1988, Revenu Canada a renoncé au solde arrêté à l’époque à 117 400 74 $ et jugé non recouvrable. Cette créance, avec intérêts courus, demeure en souffrance et pourra être rétablie pour recouvrement à tout moment, dès que les conditions s’y prêtent. La défenderesse nie en outre les faits articulés à cet égard aux paragraphes 7 et 8 de la déclaration.

Au paragraphe 23, l’intimée soutient que l’appelant n’a pas donné suite à ses appels contre les cotisations, et nie l’assertion que [traduction] « les appels n’étaient pas poursuivis parce que Revenu Canada a fait remise de la dette » ainsi que le prétend l’appelant au paragraphe 19 de sa plaidoirie. Par témoignage par affidavit cependant, l’intimée reconnaît que l’appelant ne doit rien au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1986 à 1991 parce qu’il ne résidait pas au Canada durant cet intervalle, mais affirme que [traduction] « à aucun moment, Revenu Canada n’a fait remise au demandeur ni ne l’a libéré » de l’arriéré d’impôt pour les années d’imposition 1973, 1974 et 1976 à 1979 inclusivement[1] , bien que « Revenu Canada y eût renoncé en 1988, la créance étant jugée non recouvrable »[2]. Ce témoignage n’a pas été contesté.

Peu de temps après le dépôt de la défense, l’appelant a introduit la requête en jugement par les motifs suivants, tels qu’ils figurent dans l’avis de requête :

[traduction] 1. Conformément aux Règles 432.1(1) et 432.3, par ce motif que l’article 65 du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, modifié, interdit la saisie par la défenderesse de prestations du régime de pensions du Canada, laquelle saisie est nulle et non avenue;

2. Conformément aux Règles 432.1(1) et 432.3, par ce motif que l’article 108 du Régime de pensions du Canada interdit le versement à la défenderesse ou à son ordre, des prestations du régime de pensions du Canada revenant à l’appelant, lequel versement est nul et non avenu;

3. Conformément aux Règles 341, 432.1(1) et 432.2, par ce motif que la défenderesse a reconnu que le plaignant ne lui doit pas l’argent en compensation duquel les prestations du régime de pensions du Canada revenant à ce dernier ont été saisies, et qu’il ne s’agit donc pas là d’une dette à l’égard de laquelle ces prestations auraient pu être saisies.

Voici ce que prévoient les Règles 341, 432.1(1) [édictée par DORS/94-41, art. 5] et 432.3 [édictée, idem] des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] :

Règle 341. Une partie peut, à tout stade d’une procédure, demander un jugement sur toute question

a) après une admission faite dans les plaidoiries ou d’autres documents déposés à la Cour, ou faite au cours de l’interrogatoire d’une autre partie, ou

b) au sujet de laquelle la seule preuve est constituée par des documents et les affidavits qui sont nécessaires pour prouver la signature ou l’authenticité de ces documents,

sans attendre le jugement de tout autre point litigieux entre les parties.

Règle 432.1 (1) Le demandeur peut, après le dépôt par le défendeur de sa défense ou avant ce dépôt si la Cour le lui permet, et à tout moment avant que l’heure et la date de l’instruction soit fixée, présenter au juge une requête, appuyée d’un affidavit ou d’un autre élément de preuve, en vue d’obtenir un jugement sommaire sur tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration comportant allégués.

Règle 432.3 (1) Lorsque le juge est convaincu qu’il n’existe aucune question sérieuse à instruire à l’égard d’une réclamation ou d’une défense, il rend un jugement sommaire en conséquence.

(2) Lorsque le juge est convaincu que la seule question sérieuse est le montant auquel la partie requérante a droit, il peut ordonner l’instruction de cette question ou rendre un jugement sommaire assorti d’un renvoi pour détermination du montant.

(3) Lorsque le juge est convaincu que la seule question sérieuse en est une de droit, il peut statuer sur celle-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

(4) Lorsque le juge décide qu’il existe une question sérieuse à l’égard de la réclamation ou de la défense, il peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d’une partie, soit sur une question ou en général, sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) l’ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour qu’il puisse trancher les questions de fait ou de droit;

b) il estime injuste de trancher les questions dans le cadre de la requête en vue d’obtenir un jugement sommaire.

(5) Lorsqu’une requête en vue d’obtenir un jugement sommaire est rejetée en tout ou en partie, le juge peut ordonner que l’action ou les questions qui y sont soulevées et qui ne sont pas tranchées par le jugement sommaire soient instruites de la manière courante, mais, à la demande d’une partie, le juge peut ordonner une instruction avancée en vertu de la règle 327.1.

L’appelant ne conclut pas à vrai dire à jugement sommaire sous le régime de la Règle 341, mais invoque les aveux du genre visé par cette règle à l’appui de sa requête en jugement sommaire.

Rejetant la requête, le juge des requêtes s’est prononcé sur la question de savoir s’il y avait une dette fiscale en souffrance à la date de l’exécution de la compensation statutaire; il a conclu en ces termes à la page 221 des motifs d’ordonnance :

En ce qui concerne cette troisième demande, les parties s’accordent à dire que le demandeur ne devait aucun montant d’impôt sur le revenu pour les années de 1986 à 1991. Les saisies ont pourtant été effectuées à l’origine aux fins du recouvrement d’une dette qui remontait à cette époque-là, époque où, a-t-on pu établir, le demandeur n’était pas résident du Canada. La défenderesse prétend néanmoins que le demandeur lui est redevable de plus de 117 000 $ d’impôt sur le revenu pour une certaine période au cours des années 1970, et que les fonds saisis devraient être imputés sur cette dette. De son côté, le demandeur dit avoir été libéré de l’obligation que représente la dette, ou que celle-ci a simplement été remise. Or, il y a en l’espèce une question réelle à juger qui ne saurait être tranchée par voie de jugement sommaire.

Passant à l’argument proposé par l’appelant que les prestations versées en application du Régime de pensions du Canada sont protégées de la compensation par le paragraphe 65(1) et l’alinéa 108(3)a) de cette loi, il a conclu aux pages 222 et 223 :

L’article 224.1 [de la Loi de l’impôt sur le revenu] parle de « retenue par voie de déduction ou de compensation… sur tout montant qui peut être ou qui peut devenir payable à cette personne par Sa Majesté du chef du Canada ». Au paragraphe 65(1) du Régime de pensions du Canada, il est question de cessions, de privilèges, de saisies et de garanties. Or, la déduction ou compensation effectuée en vertu de l’article 224.1 a lieu entre Sa Majesté et la personne qui reçoit des versements d’elle. La cession, le privilège, la saisie ou la garantie visé au paragraphe 65(1) est à accorder à un tiers ou à exercer par lui à l’égard des prestations payables par Sa Majesté au prestataire en vertu du Régime de pensions du Canada. Le paragraphe 65(1) n’a aucune incidence sur le droit de déduction ou de compensation prévu à l’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Aux termes de l’alinéa 108(3)a) du Régime de pensions du Canada, les montants payables en vertu du Régime à valoir sur les prestations doivent être payés sur le Trésor et portés au débit du compte du régime de pensions du Canada. L’article 224.1 autorise le ministre à retenir par voie de déduction ou de compensation les montants qui peuvent être ou qui peuvent devenir payables à une personne par Sa Majesté. De toute évidence, les montants payables à une personne au titre du Régime de pensions du Canada sont de ceux que le ministre peut retenir par voie de déduction ou de compensation en vertu de l’article 224.1.

Les arguments que le demandeur tire du paragraphe 65(1) et de l’alinéa 108(3)a) du Régime de pensions du Canada sont mal fondés. J’arrive à cette conclusion sans préjudice de tout autre moyen que pourra invoquer le demandeur à l’appui de sa demande. Par ailleurs, il ne convient pas de trancher cette affaire par voie de jugement sommaire, et elle fera en conséquence l’objet d’un procès.

Les textes de loi en jeu sont l’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, modifiée :

224.1 Lorsqu’une personne est endettée envers Sa Majesté, en vertu de la présente loi ou en vertu d’une loi d’une province avec laquelle le ministre des Finances a conclu un accord en vue de recouvrer les impôts payables à la province en vertu de cette loi, le ministre peut exiger la retenue par voie de déduction ou de compensation d’un tel montant qu’il peut spécifier sur tout montant qui peut être ou qui peut devenir payable à cette personne par Sa Majesté du chef du Canada.

et le paragraphe 65(1) et l’alinéa 108(3)a) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, modifié :

65. (1) Une prestation ne peut être cédée, grevée de privilège, saisie, escomptée ou donnée en garantie. Toute opération qui vise à céder, grever, saisir, escompter ou donner en garantie une prestation est nulle.

108.

(3) Doivent être payés sur le Trésor et portés au débit du compte du régime de pensions du Canada :

a) les montants payables en vertu de la présente loi au titre des prestations ou à valoir sur celles-ci ou de toute autre façon;

L’appelant invoque aussi la modification apportée au Régime de pensions du Canada par l’article 29, L.C. 1995, ch. 33 :

29. Les paragraphes 65(2) et (3) de la même loi sont remplacés par ce qui suit :

(1.1) Les prestations sont, en droit et en equity, exemptes d’exécution de saisie et de saisie-arrêt.

Cette modification est entrée en vigueur le 13 juillet 1995.

Deux questions principales se posent dans le présent appel, savoir en premier lieu si la Couronne a légalement le droit de compenser un arriéré d’impôt sur le revenu par des prestations de retraite payables à l’appelant, et en second lieu, au cas où la Couronne en aurait le droit, si la modification apportée en 1995 au Régime de pensions du Canada lui interdit, à compter de la date de son entrée en vigueur, de compenser l’arriéré d’impôt sur le revenu par ces prestations. Ces deux questions doivent être analysées compte tenu du redressement recherché par voie de requête, savoir un jugement sommaire en application de la Règle 341 ou des Règles 432.1 à 432.7 [édictée par DORS/94-41, art. 5] des Règles de la Cour fédérale.

Je les examinerai dans l’ordre dans lequel elles ont été soulevées au cours des débats.

Le droit de compensation de la Couronne avant le 13 juillet 1995

L’appelant soutient que, à supposer que la compensation statutaire soit valide, elle ne saurait servir à compenser par des prestations de retraite quelque arriéré d’impôt sur le revenu relatif aux années d’imposition 1986 à 1991 inclusivement. Que la compensation est expressément interdite par le paragraphe 65(1) du Régime de pensions du Canada et que, de toute façon, elle ne peut porter sur des fonds que la Couronne détient en fiducie en application des dispositions de la même loi.

Un jugement sommaire en application des Règles 432.1 à 432.7 peut être obtenu quand les circonstances le justifient. Aux termes de l’alinéa 341a) des Règles, il est possible de demander un jugement « après une admission » faite dans l’un quelconque des documents visés par cette disposition. En l’espèce, l’intimée a effectivement reconnu que la section de vérification internationale de Revenu Canada, Bureau de district de Toronto, [traduction] « tenait M. Mintzer pour non-résident du Canada, du point de vue fiscal, à l’égard des années d’imposition 1986 à 1991 inclusivement », que celui-ci n’était pas tenu de faire des déclarations d’impôt pour ces années et que le solde de son arriéré serait rajusté en conséquence [traduction] « pour faire ressortir que la dette censément contractée à l’égard de ces années n’existe pas »[3]. Elle fait cependant savoir qu’il a été décidé [traduction] « de réduire de tout solde créditeur résultant de ce rajustement, la somme susmentionnée de 117 400 34 $ que doit M. Mintzer à l’égard des années d’imposition 1973, 1974 et 1976 à 1979, lors de la compensation opérée sur les prestations subséquentes du régime de pensions du Canada qu’il reçoit après rajustement »[4].

L’appelant soutient qu’il a droit au jugement visé par les Règles en raison de ces aveux. Que la compensation statutaire exigeait expressément que la somme de « 75 245 22 $ » soit retenue par voie de déduction ou de compensation sur les sommes auxquelles il a droit en application du Régime de pensions du Canada. Et que, du fait qu’il ne doit aucun impôt pour aucune des années d’imposition 1986 à 1991, la compensation statutaire ne saurait frapper des prestations au titre de l’arriéré d’impôt qu’il peut devoir pour les années d’imposition 1973, 1974 et 1976 à 1979. Cet argument n’est pas fondé. L’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu habilite le ministre à exiger la retenue par voie de déduction ou de compensation « [l]orsqu’une personne est endettée envers Sa Majesté ». Bien que la compensation statutaire ait pu viser la dette qui était censée être contractée à l’égard des années d’imposition 1986 à 1991, elle n’est pas limitée dans ses termes au recouvrement spécifique de cette somme. Elle ne fait qu’exiger la retenue de la somme de « 75 245 22 $ » par voie de déduction ou de compensation, et préciser qu’elle « a été exécutée en vertu … de la Loi de l’impôt sur le revenu », sans référence à l’année ou aux années d’imposition à l’égard desquelles la dette est due. Il me semble qu’à moins de retrait, la compensation statutaire s’applique indifféremment à n’importe quelle prestation du régime de pensions du Canada payable à l’appelant, au titre de n’importe quel arriéré d’impôt sur le revenu, y compris celui se rapportant aux années d’imposition 1973, 1974 et 1976 à 1979, jusqu’à concurrence des 75 245 22 $ qui y sont spécifiés.

L’appelant soutient encore que par la compensation statutaire, le ministre a « saisi » les prestations en question, en violation du paragraphe 65(1) du Régime de pensions du Canada. Je ne trouve pas cet argument fondé. Cette « compensation » ne vaut pas, sur le plan juridique, « saisie » au sens de la loi de l’Ontario où la compensation a été exécutée. Nous sommes en présence d’une compensation au sens de la common law et non de l’equity[5]. L’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu investit le ministre d’un large pouvoir de déduction ou de compensation dans les cas prévus. J’estime cependant que « saisie » et « compensation » sont deux notions juridiques tout à fait différentes. « Saisie » s’entend dans le contexte de la procédure judiciaire. Voir par exemple W. C. Fast Enterprises Ltd. v. All-Power Sports (1973) Ltd., Astrope and Royal Bank of Canada (1981), 29 A.R. 483 (C.A.), aux pages 497 et 498, où le juge en chef McGillivray de l’Alberta a cité entre autres la conclusion tirée par le juge Sedgewick dans Paterson (D.S.) & Co. Ltd., Re, [1931] O.R. 777 (C.S. siégeant en matière de faillite), à la page 780, que les mots « saisie-arrêt ou saisie » figurant dans une loi ontarienne « correspondaient à l’exercice du pouvoir judiciaire »[6]. À mon sens, l’exécution de la « compensation » prévue à l’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu n’est pas subordonnée à une procédure judiciaire. La loi elle-même confère le pouvoir nécessaire. Point n’est besoin de passer par une procédure judiciaire.

Avec égards, je conviens avec le juge des requêtes que le mot « saisie » figurant au paragraphe 65(1) du Régime de pensions du Canada se réfère à quelque chose qui est accordé à un tiers ou exercé par ce tiers, lequel n’est pas la Couronne. Ce paragraphe vise à faire en sorte que les prestations payables en application de cette loi soient réservées à l’usage du prestataire en lui interdisant de les aliéner ou de les grever de privilège. Cet argument est renforcé par l’exception prévue au paragraphe 65.1(1) en faveur du conjoint comme suit[7] :

65.1 (1) Indépendamment du paragraphe 65(1) mais sous réserve des autres dispositions du présent article, le ministre peut, sur demande faite par un cotisant ou son conjoint de la manière et en la forme prescrites, approuver la cession d’une partie de la pension de retraite du cotisant à son conjoint si les circonstances décrites à l’un ou l’autre des paragraphes (6) ou (7) se sont concrétisées.

N’était ce paragraphe, l’interdiction prévue au paragraphe 65(1) empêcherait certainement qu’une cession de ce genre se réalise. Je ne vois rien dans les termes du paragraphe ci-dessus qui signifie qu’il vise à empêcher le ministre d’exercer le pouvoir qu’il tient de l’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Je suis également d’avis que les prestations payables à l’appelant ne sont pas protégées de la compensation du fait qu’elles sont des fonds détenus en fiducie par la Couronne en application de l’alinéa 108(3)a) du Régime de pensions du Canada. Le paragraphe 62(2) de la partie II de cette loi indique à quel moment les prestations sont réputées être payables au prestataire :

62.

(2) Pour l’application de la présente loi, lorsqu’une prestation est payable en vertu de la présente partie à compter d’un mois en particulier, la prestation est réputée être devenue payable au début de ce mois.

Le paragraphe 108(1) du Régime de pensions du Canada ouvre, parmi les comptes du Canada, « un compte intitulé “compte du régime de pensions du Canada” ». Le paragraphe 108(2) [mod. par L.C. 1995, ch. 33, art. 46] prévoit que certains fonds et intérêts doivent être versés au Trésor et portés au crédit du compte du régime de pensions du Canada. Aux termes de l’alinéa 108(3)a), les « prestations » de pension doivent « être payé[e]s sur le Trésor et porté-[e]s au débit du compte du régime de pensions du Canada ».

S’appuyant sur l’article 108, l’appelant soutient que les « prestations » sont détenues en fiducie par la Couronne et ne sauraient servir à compenser un arriéré d’impôt. À mon avis, cet argument n’est pas fondé. Ce ne sont pas les cotisations versées au Trésor qui sont visées par la compensation, mais les « prestations » qui sont ou peuvent devenir « payables » au prestataire en application du Régime de pensions du Canada. Il me semble qu’à ce titre, les « prestations »[8] ne relèveraient plus d’aucune fiducie que l’appelant pourrait faire valoir, si fiducie il y a. De toute façon, je ne pense pas que cette loi incarne la volonté de créer une fiducie, que ce soit à l’égard des cotisations ou des prestations[9]. Selon mon interprétation du Régime de pensions du Canada, la Couronne assume, à l’égard des fonds portés au crédit du compte du régime de pensions du Canada ou des prestations non encore payées, le rôle d’un administrateur exerçant ses fonctions gouvernementales et non pas celui d’un fiduciaire.

Le droit de compensation de la Couronne après le 13 juillet 1995

L’appelant soutient que le paragraphe 65(1.1), entré en vigueur le 13 juillet 1995, interdit de compenser un arriéré d’impôt par des prestations, car pareille compensation vaut « exécution de saisie et saisie-arrêt ». L’intimée propose trois arguments pour réfuter cette interprétation des mots « exécution de saisie » et « saisie-arrêt » qui cherche à faire échec au droit de compensation prévu à l’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu. En premier lieu, le texte de loi modificatif ne circonscrit pas expressément le droit de compensation prévu à l’article 224.1, comme cela aurait été le cas si le paragraphe 65(1.1) du Régime de pensions du Canada s’était ouvert sur des mots tels que : « Par dérogation aux dispositions de toute autre loi », et l’absence de tels mots signifie que dans l’esprit du législateur, le droit de compensation n’est nullement affecté par la modification. En deuxième lieu, de même que « compensation » et « saisie » sont deux concepts juridiques différents, de même « compensation » d’une part, et « saisie-arrêt » et « exécution de saisie » d’autre part. Enfin, par application de l’article 17 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, la Couronne n’est pas soumise aux restrictions de la modification de 1995. Voici ce que prévoit cet article :

17. Sauf indication contraire y figurant, nul texte ne lie Sa Majesté ni n’a d’effet sur ses droits et prérogatives.

L’intimée soutient que rien dans la modification de 1995 ne traduit la volonté de lier la Couronne, au regard de l’un quelconque des critères définis dans Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225, aux pages 270 à 283, où il a été jugé que la Couronne serait liée par les dispositions expresses de la loi ou par une manifestation claire de volonté ressortant du contexte d’autres dispositions ou encore dans le cas où le but d’une loi serait irrémédiablement compromis si le gouvernement n’était pas lié par celle-ci (voir aussi Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, motifs prononcés par le juge La Forest, aux pages 52 à 63). Je ne vois ni dans le paragraphe 65(1.1) ni dans le contexte des autres dispositions aucune manifestation de la volonté de lier la Couronne, ni même la possibilité que ce texte puisse être frustré de son but si la Couronne n’était pas liée par ses dispositions.

Je ne peux concevoir que le nouveau paragraphe vise à déroger aux dispositions de l’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Les termes employés dans ce dernier sont « déduction ou de compensation », et ni l’un ni l’autre ne figure au paragraphe 65(1.1). Le législateur avait certainement conscience de la distinction entre saisie d’une part, et déduction ou compensation de l’autre. S’il avait voulu prévoir une exception au droit de compensation prévu à l’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, il aurait pu le faire facilement par une disposition expresse au paragraphe 65(1.1) du Régime de pensions du Canada.

Qui plus est, « saisie » dans son sens ordinaire et naturel tel qu’il s’entend en common law, signifie « prise de possession forcée »; Johnston v. Hogg (1882-83), 10 Q.B.D. 432, motifs prononcés par le juge Cave, à la page 434[10]. Le terme « exécution » a été défini par lord Denning, M.R., dans Overseas Aviation Engineering (G.B.) Ltd., In re, [1963] Ch. 24 (C.A.), à la page 39, comme étant [traduction] « la procédure employée pour exécuter le jugement de l’instance judiciaire ou y donner effet »[11]. Le terme « compensation » a été défini dans Bankruptcy Notice, A, In re, [1934] Ch. 431 (C.A.) par lord Hanworth, M.R., en ces termes à la page 437 :

[traduction] Pour ce qui est du terme « compensation », c’est un terme bien connu et au sens bien établi; c’est quelque chose qui constitue une défense parce que la nature et la qualité de la somme invoquée sont telles qu’on est en droit de la considérer comme ayant pour effet de réduire d’autant la demande, à l’égard de laquelle il peut y avoir compensation par cette somme.

Dans Halsbury’s Laws of England, 4e éd. (Londres : Butterworths, 1983), vol. 42, paragraphe 406, on peut lire cette définition du terme :

[traduction] Lorsque A réclame une somme d’argent contre B et que de son côté, celui-ci réclame, par demande reconventionnelle contre A, une somme telle que, jusqu’à concurrence de sa demande reconventionnelle, B est fondé à ne pas payer la demande de A et à faire valoir sa demande reconventionnelle en défense à une action en exécution de A, on dit que B a un droit de compensation contre A jusqu’à concurrence de sa demande reconventionnelle. [Notes omises.]

Dans Sigurdson v. The Queen in right of British Columbia (1982), 132 D.L.R. (3d) 131 (C.A.C.-B.), le juge Carrothers de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, rendant le jugement de la majorité, s’est prononcé en ces termes à la page 592 :

[traduction] Les règles de droit en matière de compensation véritable sont bien établies. Une compensation véritable de la dette ne peut avoir lieu qu’entre deux débiteurs qui sont aussi créanciers l’un de l’autre. La compensation est simplement la remise ou l’annulation à due concurrence de dettes réciproques en défalquant de la créance de l’un sa dette envers l’autre. Une compensation est une demande reconventionnelle à due concurrence de dettes mutuelles ou réciproques à l’égard des mêmes parties, en ce qui concerne le même droit.

Il est manifeste que « compensation » est un concept juridique tout à fait différent de « saisie » et de « saisie-exécution » en common law comme en equity[12].

À mon avis, la modification de 1995 n’empêche pas en l’espèce la Couronne d’exercer son droit de compensation en vertu de l’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Il me semble que les termes « exécution de saisie et saisie-arrêt » figurant au paragraphe 65(1.1) du Régime de pensions du Canada ne visent pas à embrasser également la compensation de manière à anéantir les droits que le ministre tient de l’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Ils ne font que s’ajouter aux interdictions déjà prévues au paragraphe 65(1). Le droit de compensation que la Couronne tient de l’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu contre l’appelant n’est pas affecté par la modification.

Je conclus que le juge des requêtes n’a pas commis une erreur en rejetant la requête en jugement sommaire du requérant. Comme noté supra, sur le plan juridique, l’article 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu habilite le ministre à compenser tout arriéré d’impôt payable en application de cette loi pour les années d’imposition 1973, 1974 et 1976 à 1979 inclusivement, par les prestations payables à l’appelant en vertu du Régime de pensions du Canada, jusqu’à concurrence de la somme spécifiée dans la compensation statutaire, à moins que cette compensation ne soit retirée auparavant. Je conclus en outre que les aveux faits par l’intimée ne constituent pas un fondement valide pour rendre un jugement sommaire sous le régime des Règles 432.1 à 432.7. Ces aveux ne portent que sur l’absence de dette fiscale pour les années d’imposition 1986 à 1991 inclusivement. Ils n’ont aucun rapport avec la question de savoir si l’appelant doit à Sa Majesté l’impôt établi pour les années 1973, 1974 et 1976 à 1979 inclusivement. L’appelant a bien prétendu qu’il y a eu remise de cette dette de 117 400 74 $ et qu’il en a été libéré, mais il n’a produit aucune preuve à l’appui de ses assertions ni n’a réfuté la preuve du contraire produite par l’intimée. Ayant conclu à jugement sommaire, il était tenu par le paragraphe 432.2(1) des Règles de produire la preuve qu’il n’y a pas aucune question sérieuse à instruire au sens du paragraphe 432.3(1) des Règles; Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le), [1995] 3 C.F. 68 (C.A.), à la page 82. Ce qu’il n’a pas fait. L’intimée a satisfait à la prescription du paragraphe 432.2(1) des Règles en établissant par affidavit ou d’autres moyens de preuve qu’il y a une question sérieuse à instruire[13]. Les moyens de défense avancés ne sont pas clairement dénués de fondement. Avec égards, je conviens avec le juge des requêtes que l’appelant n’a pas droit à un jugement sommaire en cet état de la cause.

Je me prononce pour le rejet de l’appel, avec dépens si l’intimée en fait la demande.

Le juge Strayer, J.C.A. : Je souscris aux motifs ci-dessus.

Le juge Linden, J.C.A. : Je souscris aux motifs ci-dessus.



[1] Affidavit de Nazim Zaver, établi sous serment le 26 janvier 1995, para. 6, dossier d’appel, p. 56. La même déposition se retrouve au para. 11 de cet affidavit, p. 57 et 58 du dossier d’appel. Au para. 2 de l’affidavit établi sous serment le 4 octobre 1993 par Brian Murphy et déposé en défense à la requête de l’appelant, le déposant témoigne que cette créance était en souffrance au 21 décembre 1988, mais qu’elle « n’a pas été recouvrée et Revenu Canada y a renoncé » (dossier d’appel, p. 37). Il n’y a aucune preuve établissant que la Couronne a fait remise de la dette ou que l’appelant en a été libéré.

[2] Affidavit de Nazim Zaver, ibid., para. 13, dossier d’appel, p. 58.

[3] Ibid., para. 10, dossier d’appel, à la p. 57.

[4] Ibid., para. 11, dossier d’appel, aux p. 57 et 58.

[5] Holt c. Telford, [1987] 2 R.C.S. 193; Atlantic Lines & Navigation Co. Inc. c. Didymi (Le), [1988] 1 C.F. 3(C.A.). Cf. Aero Trades (West.) Ltd. (Syndic de) c. Can., [1989] 1 W.W.R. 723 (C.A.F.). Voir K. R. Palmer, The Law of Set-Off in Canada (Canada Law Book : Aurora, 1993), aux p. 5 et 6; J. A. M. Judge et M. E. Grottenthaler, « Legal and Equitable Set-Offs » (1991), 70 Rev. du Bar. Can. 91; et Commission de réforme du droit de la Colombie-Britannique, Report on Set-Off (LRC 97, juillet 1988).

[6] Voir l’analyse détaillée du concept de saisie ou de saisie-arrêt avant ou après jugement dans C. R. B. Dunlop, Creditor-Debtor Law in Canada, 2e éd. (Toronto : Carswell, 1995), chapitres 6 et 11.

[7] Édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 33.

[8] Le terme « prestation » est défini à l'art. 2(1) de cette loi comme signifiant « [p]restation payable en vertu de la présente loi, y compris une pension ».

[9] Voir R. c. Guerin, [1983] 2 C.F. 656(C.A.), aux p. 692 à 696.

[10] Voir l’analyse de ce concept dans Dunlop, note 6 supra, aux p. 281 à 288.

[11] La « saisie-exécution », y compris la « saisie-exécution en equity », est analysée en détail dans Dunlop, note 6 supra, chapitres 9, 10 et 12.

[12] Pour les définitions de la notion de « compensation » (set-off), voir aussi Palmer, note 5 supra, aux p. 1 à 4. Les effets pourraient être cependant différents dans le droit civil du Québec. La Cour note que le texte français de l’art. 65(1.1) prévoit que les prestations sont, en common law et en equity, « exemptes d’exécution de saisie et de saisie-arrêt ». Il y a lieu de contraster le terme « saisie » figurant aux art. 65(1) et (1.1) du Régime de pensions du Canada avec le mot « compensation » figurant dans le texte français de l’art. 224.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, aux termes duquel le ministre « peut exiger la retenue par voie de déduction ou de compensation d’un tel montant qu’il peut spécifier ». L’art. 1676 du Code civil du Québec [S.Q. 1991, ch. 64] interdit la « compensation » (set-off) si l’objet de la dette est un bien insaisissable. L’art. 553(12) du Code de procédure civile [L.R.Q., ch. C-25] exempte de la saisie tout ce qui est déclaré insaisissable par la loi. Personne n’a cité une loi semblable en Ontario où les concepts de common law s’appliqueront à moins d’avoir été modifiés par la loi écrite.

[13] La Règle 432.2(1) porte :

Règle 432.2 (1) En réponse à un affidavit ou à un autre élément de preuve présenté à l’appui d’une requête en vue d’obtenir un jugement sommaire, la partie intimée ne peut s’appuyer sur les seules allégations ou dénégations contenues dans ses plaidoiries écrites; elle doit énoncer, dans un affidavit ou à l’aide d’un autre élément de preuve, des faits précis démontrant l’existence d’une question sérieuse à instruire.

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