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[1996] 1 C.F. 247

T-3002-94

Shawn Murray (requérant)

c.

Comité national chargé de l’examen des cas d’USD du Service correctionnel du Canada et Michel Deslauriers, directeur, Centre régional de réception, Ste-Anne-des-Plaines, Québec (intimés)

Répertorié : Murrayc. Canada (Service correctionnel, Comité national chargé de l’examen des cas d’USD) (1re inst.)

Section de première instance, juge Tremblay-Lamer — Montréal, 7 septembre; Ottawa, 22 septembre 1995.

Pénitenciers Demande d’annulation du refus en 1994 de transférer le requérant d’une unité spéciale de détention (USD) à un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé parce qu’il avait refusé de participer à un programme de maîtrise de la colèreTransfèrement à un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé recommandé depuis 1993Intention du Comité de transférer le requérant à l’établissement de Kent jusqu’à ce qu’un changement de politique, intervenu en janvier 1994, oblige le détenu à suivre un programme de maîtrise de la colèreDemande accueillieLa Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et son règlement d’application ne permettent pas au requérant de remettre en cause la légalité de l’existence des USDNécessaires pour assurer la protection du publicCompétence du Comité de transférer les détenus en vertu de l’art. 29 de la Loi, l’art. 5 du Règlement et la Directive no 551 du CommissaireLe maintien dans l’USD doit être conforme à l’art. 28 de la Loi qui oblige le Service à s’assurer, « dans la mesure du possible », que les détenus sont incarcérés dans le milieu le moins restrictif possible compte tenu du degré de garde nécessaireEn l’absence de changement dans la conduite, il est arbitraire de revenir sur une évaluation positive du fait de l’introduction d’une nouvelle politique.

Droit administratif Contrôle judiciaire Demande d’annulation du refus de transférer le requérant d’une unité spéciale de détention à un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé, et mandamus enjoignant de procéder au transfèrementLe Comité a étudié la demande de transfèrement à l’insu du requérantManquement à l’équité procéduraleChaque fois que la procédure ne constitue pas une contrainte excessive pour l’administration du système correctionnel, le détenu devrait être autorisé à présenter des observations lorsqu’une décision met en cause ses droits, ses intérêts ou ses privilègesAviser le requérant de la date du réexamen et lui donner au moins la possibilité de présenter des observations écrites ne constituent pas une contrainte excessive.

Il s’agit d’une demande d’annulation du refus de transférer le requérant de l’unité spéciale de détention (USD), à laquelle il avait été transféré en 1991 à la suite de sa participation à une prise d’otage, à un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé. Le transfèrement lui a été refusé parce qu’il n’avait pas voulu participer à un programme de maîtrise de la colère, malgré la recommandation de son équipe de gestion de cas, en mars 1993, de le transférer au Centre psychiatrique régional des Prairies et la décision du Comité lui-même de le transférer à l’établissement de Kent, laquelle a été annulée simplement parce qu’il avait refusé d’y aller. En janvier 1994, une nouvelle politique a été adoptée obligeant les détenus à suivre un programme de maîtrise de la colère. En septembre 1994, le Comité a, en l’absence et à l’insu du requérant, étudié sa demande de transfèrement. Il a décidé de le laisser dans l’USD parce qu’il n’avait pas rempli les conditions posées quant à sa participation à certains programmes. On lui a toujours assigné la cote de sécurité maximale.

Les questions en litige étaient les suivantes, savoir (1) si les USD étaient illégales; (2) si le transfèrement dans l’USD était illégal en ce que la décision émanait d’une autorité autre que l’autorité légale compétente; (3) s’il y a eu violation de l’équité procédurale; (4) si les intimés avaient l’obligation de détenir le requérant dans le milieu le moins restrictif possible; (5) s’il était arbitraire ou inéquitable d’imposer de nouvelles conditions en matière de transfèrement lorsqu’une décision définitive avait été arrêtée dans les faits et qu’il n’y avait pas eu d’inconduite de la part du requérant.

Jugement : la demande doit être accueillie.

(1) Ni la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ni le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ne permettent au requérant de remettre en cause la légalité de l’existence des USD. Les niveaux de sécurité prévus à l’article 18 du Règlement et à l’article 30 de la Loi s’attachent à la personne du détenu. La cote de sécurité du détenu ne correspond pas nécessairement à celle de l’établissement. En fait, la Loi autorise le placement d’un détenu dans n’importe quel pénitencier. Les unités spéciales de détention sont nécessaires pour assurer la protection du public, ce qui inclut le personnel du pénitencier et les autres détenus. Leur existence est donc légale.

(2) Le pouvoir de transférer un détenu d’une USD dans un autre pénitencier n’appartient pas au directeur du pénitencier mais au Comité en vertu de l’article 29 de la Loi (qui confère au commissaire le pouvoir de transférer des détenus d’un pénitencier à un autre), de l’article 5 du Règlement (délégation des pouvoirs de l’article 29) et de la Directive du Commissaire no 551.

(3) Les intimés n’ont pas satisfait aux exigences de l’équité procédurale. Si la comparution en personne n’est pas obligatoire dans tous les cas, l’équité procédurale exige que chaque fois que la procédure ne constitue pas une contrainte excessive pour l’administration du système correctionnel, le détenu soit autorisé à présenter des observations lorsqu’une décision met en cause ses droits, ses intérêts ou ses privilèges. Cela n’aurait pas constitué une contrainte excessive pour l’administration que d’aviser le requérant de la date à laquelle son cas serait réexaminé et de lui donner à tout le moins la possibilité de présenter des observations écrites.

(4) Le maintien d’un requérant dans une USD doit être conforme à l’article 28 de la Loi. L’obligation de « s’assurer, dans la mesure du possible, que le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue le milieu le moins restrictif possible » compte tenu du degré de garde nécessaire, est une obligation à caractère continu qui ne se limite pas au moment auquel le détenu est transféré pour la première fois. La décision de laisser un requérant dans une USD doit elle aussi être « raisonnable », de manière à ce qu’il soit incarcéré dans « le milieu le moins restrictif possible ». L’imposition de nouvelles règles en cours de décision soulève une question de droit, savoir le caractère arbitraire de la décision.

(5) Il ne convient pas d’appliquer de nouvelles politiques à un processus dont il résulte qu’un détenu est admissible à un transfèrement dans un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé. La décision de transférer un détenu est toujours fonction de sa conduite. Une décision positive peut être modifiée s’il y a preuve d’inconduite de la part du détenu avant que ne soit effectué le transfèrement. Il n’y avait aucune preuve d’inconduite de la part du requérant qui ait pu donner lieu à la décision attaquée. Celui-ci avait mérité, sinon le droit, du moins le privilège d’être transféré dans un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé. En l’absence de preuve de changement dans la conduite du requérant, les intimés ont agi de façon arbitraire en revenant sur une évaluation positive du fait de l’introduction d’une nouvelle politique.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 4d),e), 11, 28, 29, 30(1), 31.

Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., ch. 1251, art. 13.

Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, art. 5, 18, 19.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

R. v. Chester (1984), 5 Admin. L.R. 111; 40 C.R. (3d) 146 (H.C. Ont.); Gaudet c. Marchand, [1994] 3 R.C.S. 514; conf. (1994), 63 Q.A.C. 286 (C.A.); Hay c. Commission nationale des libérations conditionnelles (1985), 13 Admin. L.R. 17; 48 F.T.R. 165 (C.F. 1re inst.); Gaw c. Commissaire aux services correctionnels (1986), 19 Admin. L.R. 137; 2 F.T.R. 122 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

La Reine c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613; (1985), 52 O.R. (2d) 585; 24 D.L.R. (4th) 9; 16 Admin. L.R. 184; 23 C.C.C. (3d) 97; 49 C.R. (3d) 1; 63 N.R. 321; 14 O.A.C. 33; Morin c. Comité national chargé de l’examen des cas d’USD, [1985] 1 C.F. 3 (1985), 20 C.C.C. (3d) 123; 46 C.R. (3d) 238; 60 N.R. 121 (C.A.); Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; (1985), 24 D.L.R. (4th) 44; [1986] 1 W.W.R. 577; 69 B.C.L.R. 255; 16 Admin. L.R. 233; 23 C.C.C. (3d) 118; 49 C.R. (3d) 35; 63 N.R. 353.

DEMANDE d’annulation du refus de transférer le requérant d’une unité spéciale de détention à un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé. Demande accueillie.

AVOCATS :

Stephen Fineberg pour le requérant.

André Lespérance pour les intimés.

PROCUREURS :

Stephen Fineberg, Montréal, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Tremblay-Lamer : Le requérant est présentement détenu dans une unité spéciale de détention (USD) du Centre régional de réception de Ste-Anne-des-Plaines, province de Québec, parfois appelée « unité à sécurité maximale élevée », à laquelle il a été transféré le 6 septembre 1991 après avoir plaidé coupable à une accusation de prise d’otage en août 1991. Cet incident s’est produit à l’intérieur de la prison et une peine de dix-huit mois a été ajoutée à la peine initiale. Avant son transfèrement, le requérant était détenu dans un établissement à sécurité maximale où il purgeait une peine de huit ans pour vol qualifié.

Le 2 septembre 1994, les intimés ont refusé de transférer le requérant dans un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé et ont décidé de le laisser dans l’USD. Il appert de la décision que le requérant doit rester dans l’USD parce qu’il [traduction] « ne s’est pas conformé aux conditions posées par son ÉGC et les membres du Comité national d’examen quant à sa participation à certains programmes ». C’est de cette décision dont le requérant demande le contrôle judiciaire aux fins d’obtenir les redressements suivants :

(1) une ordonnance de la nature d’un certiorari annulant la décision du Comité national chargé de l’examen des cas de l’unité spéciale de détention du Service correctionnel du Canada, en date du 2 septembre 1994, de refuser de transférer le requérant dans un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé et de le laisser dans l’unité spéciale de détention;

(2) une ordonnance de la nature d’un mandamus enjoignant au Service correctionnel du Canada de transférer le requérant sans délai à l’un de ses centres psychiatriques régionaux ou, subsidiairement, dans un pénitencier à sécurité maximale.

LE CONTEXTE

Peu après son arrivée à l’établissement le 6 septembre 1991, le requérant a été vu par un psychiatre du Service correctionnel, le Dr Alfred Thibault. Le Dr Thibault a établi un rapport le 13 janvier 1992 en se fondant sur une entrevue menée avec le requérant le 31 décembre 1991. Selon le requérant, c’est sur ce rapport que s’est appuyé le Service correctionnel du Canada pour le laisser dans l’unité spéciale de détention. Le rapport a fait l’objet d’une plainte devant le Syndic de la corporation professionnelle des médecins du Québec. Le requérant y allègue qu’il n’y a pas eu véritablement d’entrevue en ce que le psychiatre, qui ne s’est pas présenté comme tel, ne l’a rencontré que brièvement.

La recommandation suivant laquelle il convenait de ramener le requérant dans un établissement « d’un niveau de sécurité moins élevé » remonte au 12 mars 1993. Dans un « Rapport récapitulatif sur l’évolution du cas », l’équipe de gestion du cas recommandait que le requérant soit transféré au Centre psychiatrique régional des Prairies à Saskatoon avant d’être envoyé dans un établissement à sécurité maximale. Ce rapport et les recommandations qu’il contenait ont été approuvés par écrit par le chef de la gestion des cas de l’unité spéciale de détention. Dans un « suivi psychologique récapitulatif » daté du 15 mars 1993, le psychologue du Service correctionnel du Canada recommandait également que le requérant soit transféré dans un autre établissement où il pourrait bénéficier de certains programmes. À la suite de ces rapports, une fiche de transfèrement du Service correctionnel du Canada, recommandant le transfèrement du requérant au Centre psychiatrique régional des Prairies, a été signée par le chef de la sécurité préventive de l’établissement le 7 avril, par le gestionnaire d’unité Pierre Groulx le 8 avril, ainsi que par le directeur adjoint Daniel Mérineau au nom du directeur Michel Deslauriers, intimé, le 19 avril. Un autre document, intitulé « Cote de sécurité » indique qu’il convient d’attribuer au requérant la cote « maximale ». Il a, entre autres, été signé par le directeur intimé le 8 avril 1993.

En juillet 1993, l’avocat du requérant a écrit au directeur et à son supérieur, le sous-commissaire, au sujet du maintien de son client dans l’unité spéciale de détention. Toujours en juillet, le requérant a été attaqué à coups de couteau par un autre détenu qui l’a blessé au bras. À la suite de cet incident, le requérant a été placé en isolement jusqu’en octobre 1993.

Le 20 août 1993, le requérant a reçu une lettre datée du 10 août 1993 dans laquelle le Service correctionnel du Canada indiquait que, malgré la recommandation de l’unité spéciale de détention de le transférer au Centre psychiatrique régional des Prairies à Saskatoon, le Comité national chargé de l’examen des cas d’USD (le Comité) avait décidé, le 8 juillet 1993, de le transférer à l’établissement de Kent à Agassiz (Colombie-Britannique). Le transfèrement devait avoir lieu le 28 septembre 1993.

Avant le transfèrement, le requérant a informé son agent de gestion de cas, le 10 septembre 1993, ainsi que le directeur intimé, le 14 septembre 1993, de son refus d’être transféré à l’établissement de Kent, estimant qu’il devrait plutôt être placé dans un [traduction] « centre psychiatrique régional avant d’aller dans un pénitencier ordinaire ». Il a demandé d’être transféré au Centre psychiatrique régional du Pacifique à Abbotsford (Colombie-Britannique). Le 15 septembre 1993, le requérant a changé d’idée et a accepté le transfèrement à l’établissement de Kent, croyant ainsi accroître ses chances d’être transféré au Centre psychiatrique régional. Entre-temps, il a appris qu’un autre prisonnier, rejeté par l’ensemble des autres détenus de l’unité spéciale de détention, l’accompagnerait à l’établissement de Kent. Il a cru qu’il serait ainsi placé en position dangereuse puisque les détenus de l’établissement de Kent s’attendraient à ce qu’il les renseigne sur le statut de ce prisonnier, lequel le percevrait du coup comme une menace. Aussi, le 22 septembre 1993, le requérant a-t-il informé son agent de gestion de cas de son intention de refuser le transfèrement à l’établissement de Kent. La veille du transfèrement, le directeur intimé et le psychologue de l’établissement lui ont expliqué que son cas ne relevait pas de la psychiatrie et que les programmes dont il avait besoin étaient offerts à Kent. Comme il refusait toujours d’aller à l’établissement de Kent, le directeur a annulé son transfèrement.

Le 12 novembre 1993, le Comité a rencontré le requérant et lui a refusé le transfèrement à un centre psychiatrique régional. Le requérant a suggéré qu’il soit transféré dans un établissement à sécurité maximale à Renous (Nouveau-Brunswick) ou à Edmonton (Alberta). Le Comité n’a pas accepté ces propositions.

En décembre 1993, le requérant a demandé un transfèrement à l’établissement à sécurité maximale de Donnacona, près de Québec, pour être plus près de son père. Le 18 janvier 1994, l’unité spéciale de détention a établi une nouvelle fiche intitulée « Évaluation et recommandation ». Elle recommandait encore une fois le transfèrement à l’établissement de Kent.

Le 28 janvier 1994, le Comité a rencontré le requérant et lui a demandé s’il accepterait de participer à un programme de maîtrise de la colère. Le requérant a répondu par la négative. Le même jour, son agent de gestion de cas l’a avisé de la décision du Comité de le laisser dans l’unité spéciale de détention. Un avis écrit daté du 31 janvier 1994 lui a été transmis le 21 février. Outre le refus du transfèrement, l’avis contenait cette recommandation : [traduction] « Vous êtes fortement encouragé à participer au programme de « maîtrise de la colère » et à continuer à rencontrer le psychologue ». Selon le requérant, ce programme ne se donnait pas en anglais à l’établissement et il ne voulait pas être le premier détenu à s’inscrire, et s’exposer ainsi à des graves représailles de la part de ses codétenus.

D’après une fiche intitulée « Niveau de sécurité du délinquant » en date du 6 mai 1994, signée ce même jour par l’agent de gestion de cas et le 19 mai par le directeur intimé, le requérant se voit assigner la cote de sécurité « MAXIMALE ». C’est également la conclusion d’un « Rapport récapitulatif sur l’évolution du cas » établi le 9 mai. Quant au rapport récapitulatif « Évaluation et recommandation », daté du 6 mai, il recommande le maintien du requérant dans l’USD.

Le 26 mai 1994, le requérant a soumis une nouvelle demande de transfèrement à l’établissement à sécurité maximale de Donnacona. Le 30 juin 1994, le Comité a une nouvelle fois décidé de laisser le requérant dans l’USD et l’a fortement encouragé à continuer à suivre sa psychothérapie et à acquérir les techniques de maîtrise de la colère.

Le 28 juin 1994, un nouveau « Rapport récapitulatif sur l’évolution du cas » a été établi, qui comporte certaines erreurs quant aux accusations relatives à l’incident de la prise d’otage. Ces erreurs avaient antérieurement été signalées et reconnues comme telles par le Service correctionnel du Canada. Elles se sont néanmoins retrouvées dans le rapport. De plus, celui-ci s’appuie sur l’évaluation du Dr Thibault, laquelle, selon le requérant, n’a pas véritablement eu lieu. Enfin, le requérant affirme que le Comité s’est fondé sur ce document pour rendre sa décision du 2 septembre 1994.

Le 4 juillet 1994, le requérant a été placé en isolement après qu’on eut trouvé dans sa cellule un couteau, caché sous le bloc évier-toilette. Le 19 juillet 1994, il a été déclaré non coupable par le tribunal disciplinaire de l’établissement. Il a néanmoins été laissé en isolement jusqu’au 4 août 1994. Le soir du 18 août 1994, soit la veille de sa comparution devant la Commission nationale des libérations conditionnelles, on a découvert dans sa cellule un couteau de fabrication artisanale, caché dans le calfeutrage sous l’évier-toilette. Il a de nouveau été placé en isolement. Le 23 septembre 1994, le président du tribunal disciplinaire l’a déclaré non coupable de possession d’un objet interdit. Il a notamment fait observer dans sa décision que la cellule n’avait pas été inspectée avant l’arrivée du requérant malgré la demande formelle que celui-ci avait faite en ce sens après qu’il eut remarqué un trou sous le bloc évier-toilette. De plus, le président a conclu que l’objet trouvé n’était pas un couteau artisanal mais plutôt un vieux morceau de métal arrondi.

Pendant que le requérant était en isolement, le 13 juillet 1994, son avocat a écrit au président du Comité pour lui demander son transfèrement dans un centre psychiatrique régional ou, subsidiairement, dans un établissement à sécurité maximale. Il a également demandé que le requérant et lui soient présents lorsque le Comité réexaminerait son cas.

Le 2 septembre 1994, pendant que le requérant était en isolement, le Comité a, en son absence et à son insu, étudié sa demande de transfèrement. Il a décidé de le laisser dans l’unité spéciale de détention parce qu’il n’avait pas rempli les conditions posées quant à sa participation à certains programmes. Ces conditions consistaient en des rencontres mensuelles avec son agent de gestion de cas et en un suivi psychologique individuel incluant l’apprentissage des techniques de maîtrise de la colère. Le requérant a été avisé de la décision le 23 septembre 1994.

QUESTION EN LITIGE

Le Comité a-t-il agi illégalement en décidant, le 2 septembre 1994, de laisser le requérant dans l’USD parce qu’il a refusé de se conformer aux conditions posées quant à sa participation à certains programmes?

ANALYSE

1.         Illégalité de l’existence de l’USD

Bien que les avocats aient soulevé la question, la Cour suprême n’a pas, dans l’arrêt La Reine c. Miller[1], remis en cause la légalité de cette institution. Le juge Le Dain s’exprime ainsi à la page 618 :

L’incarcération dans une unité spéciale de détention est réservée aux détenus particulièrement dangereux; c’est ce qui ressort de l’art. 5 de la directive du commissaire no 274 du 1er décembre 1980, qui donne à l’expression « Unité spéciale de détention » la définition suivante : « Unité spéciale de détention » (USD) désigne une installation destinée exclusivement aux détenus qui, tout en répondant aux critères de sécurité maximale, sont reconnus comme particulièrement dangereux » ... l’incarcération dans une unité spéciale est nettement plus sévère que la normale dans un pénitencier en ce sens qu’il y a privation de plusieurs privilèges ou agréments dont jouit la population carcérale générale.

Le requérant fait valoir que l’arrêt Miller est antérieur à la nouvelle législation et donc qu’il ne peut être invoqué pour confirmer la légalité de l’USD.

Le requérant renvoie à plusieurs articles de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition[2] et du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition[3] pour démontrer l’illégalité de l’existence de l’unité spéciale de détention. L’alinéa 4e) de la Loi énonce ainsi l’un des principes qui guident le Service correctionnel :

4. ...

e) le délinquant continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée;

L’article 4, en son alinéa d), prescrit également le respect de la liberté du détenu :

4. ...

d) les mesures nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants doivent être le moins restrictives possible;

Le paragraphe 30(1) de la Loi dispose en outre :

30. (1) Le Service assigne une cote de sécurité selon les catégories dites maximale, moyenne et minimale à chaque détenu conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96z.6).

Aussi, l’article 18 du Règlement dispose :

18. Pour l’application de l’article 30 de la Loi, le détenu reçoit, selon le cas :

a) la cote de sécurité maximale ...;

b) la cote de sécurité moyenne ...;

c) la cote de sécurité minimale ...

Le requérant en conclut que ni la Loi ni le Règlement ne confèrent le pouvoir de construire et d’exploiter des établissements à un niveau de sécurité plus élevé que les établissements à sécurité maximale.

Je ne puis souscrire à l’avis du requérant voulant que la nouvelle législation lui permette de remettre en cause la légalité de l’existence des unités spéciales de détention. L’article 18 du Règlement et l’article 30 de la Loi établissent les niveaux de sécurité pouvant être assignés à un détenu. La cote de sécurité s’attache à la personne du détenu et elle ne vise pas à déterminer les niveaux de sécurité attribués à un pénitencier en particulier. Elle ne confère non plus aucun pouvoir en ce qui a trait à la construction des établissements, fussent-ils à sécurité maximale, moyenne ou minimale. À toutes les périodes en cause, le requérant a reçu la cote « maximale », bien qu’il ait été gardé dans un établissement différent des établissements à sécurité maximale « ordinaires ».

En fait, la Loi autorise le placement d’un détenu dans n’importe quel pénitencier. L’article 11 de la Loi dispose en effet :

11. La personne condamnée ou transférée au pénitencier peut être écrouée dans n’importe quel pénitencier, toute désignation d’un tel établissement ou lieu dans le mandat de dépôt étant sans effet. [Non souligné dans l’original.]

Les principes devant guider la désignation de l’établissement approprié sont énoncés à l’article 28 de la Loi :

28. Le Service doit s’assurer, dans la mesure du possible, que le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue le milieu le moins restrictif possible, compte tenu des éléments suivants :

a) le degré de garde et de surveillance nécessaire à la sécurité du public, à celle du pénitencier, des personnes qui s’y trouvent et du détenu;

b) la facilité d’accès à la collectivité à laquelle il appartient, à sa famille et à un milieu culturel et linguistique compatible;

c) l’existence de programmes et services qui lui conviennent et sa volonté d’y participer.

L’article 28 de la Loi reprend essentiellement l’ancien article 13 du Règlement, lequel disposait :

13. Le détenu doit, conformément aux directives, être incarcéré dans l’institution qui semble la plus appropriée, compte tenu

a) du degré et la nature de la surveillance jugée nécessaire ou désirable pour la protection de la société; et

b) du programme de traitement disciplinaire jugé le plus approprié au détenu[4].

Dans la décision Chester[5], le juge Holland a confirmé la validité des unités spéciales de détention dans le cadre de l’article 13. Il a dit ceci, à la page 136 :

[traduction] À mon avis, l’article 13 du Règlement autorise l’établissement d’U.S.D. à cause de l’exigence voulant que le détenu soit incarcéré dans un établissement doté d’installations propres à assurer à la fois sa réhabilitation et la protection du public. Dans le règlement, le terme « institution » (qui reprend la définition de « pénitencier » figurant dans la Loi) comprend « un aménagement de quelque genre que ce soit ... que dirige le Service pour la garde, le traitement ou la formation des personnes condamnées ou envoyées au pénitencier... — À mon avis, une USD est un aménagement de ce genre et, partant, une institution au sens de l’art. 13. De plus, je suis d’avis que le mot « société » n’est pas limité aux membres du public vivant dans la communauté mais qu’il inclut également les gardiens et les autres détenus du pénitencier.

À l’instar du juge Holland, je dois convenir de la nécessité des unités spéciales de détention pour assurer la protection du public, ce qui inclut le personnel du pénitencier et les autres détenus. J’en viens donc à la conclusion que l’existence de l’unité spéciale de détention est légale.

2.         Le pouvoir de transférer un détenu de l’USD

Le requérant soutient que le transfèrement à l’unité spéciale de détention est illégale en ce que la décision émane d’une autorité autre que l’autorité légale compétente.

Dans l’arrêt Morin c. Comité national chargé de l’examen des cas d’USD[6], le juge MacGuigan, J.C.A., s’est exprimé ainsi au nom de la Cour à la majorité, à la page 17 :

Néanmoins, il semble que le seul fondement légal du pouvoir de transfert des détenus dans une USD se trouve au paragraphe 40(1) qui en confère expressément la responsabilité au chef de l’institution ou à son adjoint légitime ...

Cependant, comme les parties n’ont pas débattu de la légalité des Directives du commissaire et qu’en outre l’appelant paraît admettre la légalité de son transfert initial dans l’USD, il serait préférable, à mon avis, que je m’abstienne de décider du litige en me fondant sur ce motif.

Je ne suis pas d’accord avec le requérant. Le pouvoir de transférer un détenu de l’unité spéciale de détention dans un autre pénitencier n’appartient pas au directeur du pénitencier (lequel ordonne l’isolement préventif en vertu de l’article 31) mais bien au Comité en vertu de l’article 29 de la Loi, de l’article 5 du Règlement et de la Directive du commissaire, no 551. La Cour suprême du Canada l’a confirmé dans l’arrêt Gaudet c. Marchand[7], où l’on a conclu que le commissaire peut déléguer son pouvoir de transfèrement à un agent. Tout comme l’article 29 qui confère au commissaire le pouvoir de transférer des détenus d’un pénitencier à un autre, l’article 5 du Règlement dispose :

5. (1) L’agent désigné à cette fin par directive du commissaire, soit expressément, soit en fonction du poste que l’agent occupe, peut exercer les pouvoirs et fonctions attribués au commissaire en vertu des dispositions suivantes de la Loi :

b) l’article 29; ...

L’article 31 de la Loi et l’article 19 du Règlement, qu’a invoqués l’avocat du requérant, ne s’appliquent pas en l’espèce car ils traitent tous deux de l’isolement de détenus déjà incarcérés dans une unité spéciale de détention. Les conditions de l’isolement diffèrent de celles auxquelles est assujettie l’ensemble de la population de l’unité spéciale de détention. Or la décision du 2 septembre 1994 visait seulement à laisser le requérant dans l’unité spéciale de détention et non à l’isoler comme le prévoient les articles 31 de la Loi et 19 du Règlement.

3.         L’équité procédurale

Le requérant a demandé à comparaître en personne devant le Comité, accompagné de son avocat. D’après les faits, il n’a été ni avisé que le Comité se réunissait le 2 septembre 1994, ni invité à soumettre des observations écrites.

Les intimés font valoir que, suivant les explications de la Cour suprême du Canada, la teneur des obligations qu’impose l’équité procédurale variera selon les circonstances. Le Comité n’a donc aucune obligation de faire comparaître le requérant en personne. Dans l’arrêt Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent[8], la Cour a dit ce qui suit, à la page 654 :

Évidemment, il s’agit de déterminer ce que l’obligation de respecter l’équité dans la procédure peut raisonnablement exiger des autorités en tant que droit précis en matière de procédure dans un contexte législatif et administratif donné et ce qui devrait être considéré comme une violation de l’équité dans des circonstances particulières. Cette Cour a souligné, dans l’arrêt Martineau (No 2), précité, la prudence avec laquelle il faut aborder cette question dans le contexte de l’administration carcérale. Le juge Pigeon, aux motifs duquel les juges Martland, Ritchie, Beetz, Estey et Pratte ont souscrit, dit à la p. 637 :

Je dois cependant souligner que l’ordonnance rendue par le juge Mahoney ne porte que sur la compétence de la Division de première instance, non sur la question de savoir si le redressement devrait être accordé dans les circonstances de l’espèce. Cela dépendra de l’exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire et, à cet égard, il sera essentiel de garder à l’esprit les exigences de la discipline carcérale, tout comme il est essentiel de garder à l’esprit les exigences de l’administration efficace de la justice pénale lorsqu’on traite de demandes de certiorari avant le procès, comme cela vient d’être souligné dans Le Procureur général de la province de Québec c. Cohen ([1979] 2 R.C.S. 305). Il est particulièrement important de n’accorder ce redressement que dans des cas d’injustice grave et de bien veiller à ce que ces procédures ne servent pas à retarder le châtiment mérité au point de le rendre inefficace, sinon de l’éviter complètement.

Et la Cour d’ajouter :

La question est donc de savoir ce que l’équité dans la procédure exigeait du directeur dans l’exercice de son pouvoir, en application de l’art. 40 du Règlement sur le service des pénitenciers, de maintenir la ségrégation ou l’isolement administratifs des appelants, malgré la recommandation du Conseil, s’il était convaincu qu’elle était nécessaire ou souhaitable pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l’établissement. Je suis d’accord avec le juge en chef McEachern et le juge Anderson de la Cour d’appel qu’à cause des effets graves de la décision du directeur pour les appelants, l’équité dans la procédure exigeait qu’il leur fasse connaître les motifs de sa décision prochaine et leur donne la possibilité, même de façon informelle, de lui présenter des arguments relatifs à ces motifs et à la question générale de savoir s’il était nécessaire ou souhaitable de maintenir leur ségrégation pour assurer l’ordre et la discipline dans l’établissement[9].

Selon les intimés, le requérant a eu pleinement l’occasion de soumettre des observations écrites au Comité avant que celui-ci ne rende sa décision le 2 septembre 1994.

Bien que je convienne avec les intimés que l’équité procédurale n’exige pas qu’il y ait comparution en personne dans tous les cas, l’arrêt Cardinal confirme que chaque fois que la procédure ne constitue pas une contrainte excessive pour l’administration du système correctionnel, le détenu devrait être autorisé à présenter des observations lorsqu’une décision met en cause ses droits, ses intérêts ou ses privilèges.

Dans la présente espèce, non seulement le requérant n’a pas été avisé de la date à laquelle son cas serait réexaminé, mais la demande de son avocat d’être présent avec lui est restée sans réponse.

Je ne puis voir en quoi le fait d’aviser le requérant de la date et de lui donner sinon le droit d’être présent, du moins la possibilité de présenter des observations écrites, aurait constitué une contrainte excessive pour l’administration.

Les intimés n’ont pas satisfait aux exigences de l’équité procédurale.

4.         Le milieu le moins restrictif possible

Le requérant soutient que les intimés ont l’obligation de le détenir au niveau approprié de sécurité dans le milieu le moins restrictif possible. Les intimés lui ayant assigné la cote de sécurité maximale, il fait valoir que sa détention à un niveau plus élevé contrevient à la Loi.

Au risque de me répéter, je reprendrai le texte de l’article 28 de la Loi :

28. Le Service doit s’assurer, dans la mesure du possible, que le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue le milieu le moins restrictif possible, compte tenu des éléments suivants :

a) le degré de garde et de surveillance nécessaire à la sécurité du public, à celle du pénitencier, des personnes qui s’y trouvent et du détenu;

b) la facilité d’accès à la collectivité à laquelle il appartient, à sa famille et à un milieu culturel et linguistique compatible;

c) l’existence de programmes et services qui lui conviennent et sa volonté d’y participer.

Dans l’arrêt Miller, la Cour a reconnu que, comme le disait alors la Directive du commissaire, no 274, certains détenus, en plus de répondre aux critères de sécurité maximale, nécessitent une surveillance plus sévère parce qu’ils ont été reconnus comme particulièrement dangereux. L’actuelle Directive du commissaire, no 551 prévoit la constitution d’unités spéciales de détention pour créer un milieu où on encourage les détenus dangereux à agir de façon plus responsable.

Comme je l’ai souligné précédemment, les USD sont légales en ce qu’on y incarcère les détenus qui, compte tenu de tous les éléments de l’article 28, nécessitent une surveillance plus sévère parce qu’ils sont considérés comme plus « dangereux » que l’ensemble des autres détenus dans un pénitencier à sécurité maximale.

Le requérant a été reconnu comme un détenu dangereux après sa participation à une prise d’otage dans un pénitencier de la Saskatchewan. On peut aisément conclure que son transfèrement à l’USD après cet incident était « raisonnable » suivant les normes de l’article 28. Quoi qu’il en soit, la décision qui m’est soumise n’est pas celle de son transfèrement initial à l’USD, mais bien la décision de le laisser dans cette unité.

Le maintien du requérant dans l’USD doit également être conforme aux critères de l’article 28. L’obligation qui y est imposée de « s’assurer, dans la mesure du possible, que le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue le milieu le moins restrictif possible » (non souligné dans l’original) est une obligation à caractère continu qui ne se limite pas au moment auquel le détenu est transféré pour la première fois.

La décision du 2 septembre 1994 de laisser le requérant dans l’USD devait elle aussi être « raisonnable » de manière à ce que le requérant soit incarcéré dans « le milieu le moins restrictif possible ». Or ce qui était raisonnable dans les circonstances n’apparaît pas évident. La recommandation voulant que le requérant soit ramené dans un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé remonte au 12 mars 1993. De fait, il était recommandé qu’il soit transféré au Centre psychiatrique régional des Prairies à Saskatoon. Toutefois, le 8 juillet 1993, le Comité a estimé qu’il devait être transféré à l’établissement de Kent, opinion qu’il a maintenue jusqu’au 31 janvier 1994, date à laquelle il a refusé tout transfèrement, exigeant plutôt du requérant qu’il suive un programme de maîtrise de la colère offert dans l’USD.

Les intimés ont admis que le changement d’avis au sujet du transfèrement était attribuable à un changement de politique, laquelle obligeait désormais les détenus à participer à un programme de maîtrise de la colère. N’eût-été son propre refus d’aller à l’établissement de Kent, le requérant aurait été transféré le 28 septembre 1993. Malgré ce refus, les autorités étaient toujours d’avis qu’il devait être transféré à l’établissement de Kent.

Était-il « raisonnable » d’imposer cette nouvelle exigence au requérant dont la conduite ne justifiait pas le maintien dans l’USD? Les intimés ont pu le croire. Toutefois, l’imposition de nouvelles règles en cours de décision soulève une question de droit, savoir le caractère arbitraire de cette décision.

5.         Caractère arbitraire de la décision

Les deux parties conviennent que le requérant s’est vu refuser le transfèrement dans un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé pour ne pas s’être conformé aux exigences quant à sa participation à certains programmes. Il ressort en effet de la preuve que les intimés sont revenus sur leur évaluation positive après l’implantation d’une nouvelle politique nationale en matière de programmes à suivre et le refus du requérant de s’y conformer. Un rapport préparé par le Service correctionnel du Canada en janvier 1994 recommandait d’accorder une plus grande importance à la participation des détenus des USD aux programmes offerts avant de les transférer dans un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé.

Le requérant soutient que le décision du 2 septembre 1994 était arbitraire et inéquitable au motif qu’elle reposait uniquement sur l’application de nouvelles règles alors qu’il s’était conformé aux anciennes. De plus, le refus n’était pas fondé sur son inconduite.

La question ainsi soulevée est de savoir s’il est arbitraire et inéquitable d’imposer de nouvelles conditions en matière de transfèrement lorsqu’une décision définitive a été arrêtée dans les faits, et cela en l’absence d’inconduite de la part du requérant?

La question de l’imposition de nouvelles règles à un détenu a été examinée par le juge Muldoon dans la décision Hay c. Commission nationale des libérations conditionnelles[10]. Hay avait été transféré d’un établissement à sécurité minimale à un établissement à sécurité maximale par suite d’un changement de politique. C’était la seule raison du transfèrement et il n’y avait aucune allégation d’inconduite de la part du détenu. Le juge Muldoon s’est exprimé comme suit, à la page 27 :

Qu’elle ait été prise de bonne foi ou non, la décision de ramener le requérant de la ferme du pénitencier de la Saskatchewan au pénitencier était arbitraire et inéquitable. Compte tenu du concept bien établi de la « prison au sein d’une prison », il peut y avoir lieu d’appliquer les art. 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés lorsque des détenus passent d’une garde en milieu ouvert à une garde en milieu fermé ou sous surveillance très étroite. La décision d’effectuer un tel transfèrement sans le consentement du détenu et sans qu’il n’y ait faute ou mauvaise conduite de sa part, comme ce fut manifestement le cas pour le requérant, constitue l’exemple par excellence de la partialité et de l’arbitraire.

Il est possible que le changement de politique invoqué par les intimés touche une catégorie déterminée de détenus mais, en l’absence de faute, il ne peut prévaloir sur les droits individuels garantis au détenu par la loi.

Il a ajouté, toujours aux pages 27 et 28 :

... vu qu’il a manifestement mérité le privilège d’être placé à la ferme pénitentiaire et malgré les crimes graves qu’il a commis en 1977, le requérant ne doit pas être déplacé comme un pion simplement parce qu’il fait partie d’une catégorie de détenus visés par le changement de politique en 1984.

Le juge Muldoon parlait d’un « privilège » qu’a mérité le détenu alors qu’aucune inconduite ne justifiait son transfèrement d’un établissement à un autre.

Dans l’affaire Gaw c. Commissaire aux services correctionnels[11], le requérant demandait une ordonnance enjoignant au commissaire de se conformer à une procédure d’enquête qu’il s’était engagé à suivre. Ce dernier avait en effet avisé le requérant que si, après enquête préliminaire, un examen plus poussé s’avérait nécessaire, il y aurait alors tenue d’une audience formelle. Par la suite toutefois, le commissaire a avisé le requérant qu’il n’y aurait pas d’audience formelle. Le juge Dubé a dit ceci, à la page 140 :

La jurisprudence a clairement établi que les pouvoirs publics sont tenus de se conformer à leurs engagements quant à la procédure qu’ils suivront, à condition que cela ne contrevienne pas à leurs obligations. Lorsqu’un pouvoir public a promis de suivre une certaine procédure et que la personne intéressée s’est fiée à cette promesse et a agi en fonction de celle-ci, il n’est ni dans l’intérêt de la bonne administration de la justice ni dans celui de l’équité de passer outre à cette promesse et de traiter le cas de cette personne en suivant une autre procédure que celle que l’organisme public s’était lui-même engagé à suivre. Il ne faut pas changer les règles du jeu en cours de route, en particulier lorsque les droits fondamentaux d’une personne sont en cause. [Non souligné dans l’original.]

De mars 1993 à janvier 1994, une recommandation de transfèrement dans un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé figurait au dossier du requérant. Cette décision était fondée sur des évaluations périodiques. Elle signifiait que le risque que posait le requérant n’était pas suffisamment grand pour le laisser dans une USD. Il n’était donc plus considéré comme un « détenu dangereux » devant être gardé dans l’USD.

Il ne convient pas d’appliquer de nouvelles règles ou de nouvelles politiques à un processus dont il résulte qu’un détenu est admissible à un transfèrement dans un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé. Il s’agit bien en l’occurrence d’un processus puisque la décision de transférer un détenu est toujours fonction de sa conduite. Ainsi, une décision positive peut être modifiée s’il y a preuve d’inconduite de la part du détenu avant que ne soit effectué le transfèrement. En l’espèce toutefois, cela n’a pas été le cas. Il n’y a aucune preuve d’inconduite de la part du requérant qui ait pu donner lieu à la décision du 2 septembre 1994. Celui-ci avait manifestement mérité, sinon le droit, du moins le privilège d’être transféré dans un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé. En l’absence de preuve de changement dans la conduite du requérant, les intimés ont, à mon avis, agi de façon arbitraire en revenant sur une évaluation positive du seul fait de l’introduction d’une nouvelle politique. La décision du 2 septembre 1994 est en conséquence annulée.

La dernière décision valide du Comité, avant l’implantation des nouvelles règles, est celle au 12 novembre 1993 par laquelle il avait recommandé le transfèrement à l’établissement de Kent. Cette décision est donc maintenue.

Il est en conséquence ordonné au Service correctionnel du Canada de transférer le requérant sans délai dans un pénitencier à sécurité maximale, à moins que celui-ci ne commette une inconduite qui justifierait qu’on lui refuse le transfèrement. Le choix de l’établissement relève des intimés et non du requérant étant donné qu’en pratique, il n’est peut-être plus possible d’envoyer celui-ci à l’établissement de Kent.



[1] [1985] 2 R.C.S. 613.

[2] L.C. 1992, ch. 20.

[3] DORS/92-620.

[4] Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., ch. 1251.

[5] R. v. Chester (1984), 5 Admin. L.R. 111 (H.C. Ont.).

[6] [1985] 1 C.F. 3(C.A.).

[7] [1994] 3 R.C.S. 514; confirmant (1994), 63 Q.A.C. 286 (C.A.).

[8] [1985] 2 R.C.S. 643.

[9] Ibid., à la p. 659.

[10] (1985), 13 Admin. L.R. 17 (C.F. 1re inst.).

[11] (1986), 19 Admin. L.R. 137 (C.F. 1re inst.).

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