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[1996] 3 C.F. 609

T-978-95

Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada (requérant)

c.

Le Conseil canadien des relations du travail (intimé)

et

La Commission des relations de travail dans la fonction publique, le Tribunal des droits de la personne, le Tribunal canadien du commerce extérieur et l’Office national des transports du Canada (intervenants)

Répertorié : Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Canada (Conseil des relations du travail) (1re inst.)

Section de première instance, juge Nöel—Ottawa, 12 juin et 12 août 1996.

Droit administratif Demande présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels en vue de la révision de la décision par laquelle le CCRT a refusé de communiquer les notes prises par des membres du Conseil au cours dune audienceL’art. 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels exempte de lobligation de divulgation les renseignements personnels dont la communication risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédéralesLes notes font lobjet dune exemption en vertu de l’art. 22(1)b)Examen du privilège décisionnel et des principes dindépendance judiciaireLeur application à des tribunaux administratifs exige que les tribunaux judiciaires veillent au respect des règles de la justice naturelleLa divulgation des notes dévoilerait le processus décisionnel des membres du CCRT, nuirait au fonctionnement du CCRT, doù l’on pourrait avec raison appréhender une entrave au bon exercice des fonctions que lui confie la Loi en le privant dun outil essentiel à l’accomplissement de ses fonctions, et obligerait le CCRT à conserver les renseignements personnels consignés dans des notes durant une période de deux ansÀ l’appui de cette conclusion, l’art. 119 dispose que les membres du CCRT ne sont pas tenus de déposer dans une action.

Juges et tribunaux Demande présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels en vue de la révision de la décision par laquelle le CCRT a refusé de communiquer les notes prises par des membres du Conseil au cours dune audienceLes notes prises par un juge au cours d’une audience sont au cœur même du privilège décisionnel, puisque ces notes révèlent la démarche intellectuelle retenue par le jugeUn juge doit pouvoir prendre des notes, libre de toute crainte que ces notes auront par la suite à être divulguées à des fins qui ne sont pas celles de leur auteurLa liberté du juge de trancher les affaires qui lui sont soumises ressort de l’essence même de l’indépendance judiciaireCette liberté ne peut exister que si le juge est complètement libre de toute immixtion par des personnes de l’extérieur dans la manière dont il mène le procès et prend sa décisionLes principes d’indépendance judiciaire ont été introduits dans le domaine administratif par les tribunaux judiciaires qui ont veillé au respect des règles de la justice naturelle.

Relations du travail Un chauffeur dautobus sest plaint auprès du CCRT de ne pas avoir été représenté équitablement par son syndicatLe CCRT a rejeté la plainteLe chauffeur dautobus a présenté une demande de renseignements personnels en vertu de la LoiLes notes prises par les membres du Conseil lors de l’audience ont été considérées comme étant des aide-mémoire dun tribunal quasi-judiciaire et ne relevant pas du ConseilUne demande a été présentée à la Section de première instance de la Cour fédérale en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels en vue de la révision du refusLes tribunaux judiciaires appliquent les règles de la justice naturelle en ce qui concerne le CCRT en recourant au mécanisme de contrôle judiciaire prévu dans le Code et aux art. 28 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédéraleLa Cour doit veiller à ce que le Conseil ait la liberté de trancher en toute indépendance sans ingérence aucuneSi la démarche intellectuelle des membres du Conseil était dévoilée par la divulgation des notes, cela nuirait au fonctionnement du CCRT et à l’exercice des fonctions que lui confie la LoiL’art. 119 du Code (les membres du CCRT ne sont pas tenus de déposer dans une action civile) illustre bien l’intention du législateur de mettre les membres du CCRT à l’abri de toute ingérence dans leurs démarches intellectuellesLes notes ne relevaient pas du CCRTElles ont été dévoilées au Commissaire « sans préjudice » et avec le consentement des membres du Conseil.

Protection des renseignements personnels Demande présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels en vue de la révision de la décision par laquelle le CCRT a refusé de communiquer les notes prises par des membres du Conseil au cours dune audienceLes notes constituaient un compte rendu lapidaire de l’audience avec des observations de leurs auteursNi le Code canadien du travail ni la politique du Conseil ne réglementent la rédaction, la conservation et la disposition des notesL’art. 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels exempte de l’obligation de divulgation les renseignements personnels dont la communication risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédéralesDemande rejetée(1) Les notes faisaient l’objet dune exemption en vertu de l’art. 22(1)b)On pourrait avec raison appréhender que la divulgation prive le CCRT dun outil essentiel à l’accomplissement des fonctions que lui confie la loi et l’oblige à rassembler et à conserver les renseignements personnels consignés dans des notes durant une période de deux ans(2) Les notes ne « relevaient » pas du CCRT au sens de l’art. 12(1)b) (droit daccès aux renseignements personnels relevant dune institution fédérale).

Il s’agissait d’une demande présentée par le Commissaire à la protection de la vie privée en vue de la révision de la décision par laquelle le Conseil canadien des relations du travail (le CCRT) a refusé de communiquer les notes prises par des membres du Conseil au cours de l’audition d’une plainte selon laquelle un travailleur n’avait pas été représenté équitablement par son syndicat. Les notes constituaient un compte rendu lapidaire de l’audience avec, à l’occasion, des observations de leurs auteurs. On ne trouve en la matière aucune condition fixée dans le Code canadien du travail ou dans la politique ou la procédure du Conseil touchant la rédaction, la conservation et la disposition de notes prises par des membres du Conseil au cours d’une audience publique. Un agent chargé de la protection des renseignements personnels et de l’accès à l’information a examiné les notes « sans préjudice » aux observations du CCRT et a conclu qu’elles contenaient des renseignements personnels concernant le plaignant qui avait comparu devant le Conseil et qui avait demandé les renseignements initialement.

L’alinéa 12(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels confère à tout citoyen canadien et à tout résident permanent le droit de se faire communiquer « les autres renseignements personnels le concernant et relevant d’une institution fédérale ». L’alinéa 22(1)b) prévoit que le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales. Le CCRT a soutenu que la communication des notes des membres du Conseil « risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales » au sens de l’alinéa 22(1)b) en portant atteinte à l’indépendance et à la liberté intellectuelle de décideurs quasi-judiciaires exerçant leurs fonctions dans le cadre du Code canadien du travail, en divulguant leur démarche intellectuelle personnelle et en les portant à modifier la manière dont ils parviennent à leurs décisions. Il a soutenu également que les notes ne constituaient pas des renseignements « relevant » de lui au sens de l’article 12 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Il s’agissait de savoir : (1) si les notes faisaient l’objet d’une exemption en vertu de l’alinéa 22(1)b); (2) si elles contenaient des « renseignements personnels »; et (3) si elles « relevaient » du CCRT et, subsidiairement, si elles devraient relever du Conseil.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Les notes dévoilaient une partie de la démarche intellectuelle et du processus décisionnel des membres du CCRT, dans la mesure où les observations au sujet de la crédibilité d’un témoin ou de la force des arguments avancés à l’audience sont le reflet de réactions personnelles aux preuves et aux arguments présentés par les parties et dans la mesure où ces notes sont considérées comme une partie essentielle du processus décisionnel des membres du Conseil.

Les membres du CCRT sont, en dernier ressort, juges des faits dans les affaires dont ils sont saisis en vertu du Code, et les décisions qu’ils rendent sur les questions de droit relevant de la compétence que leur confère le Code sont définitives.

Les notes prises par un juge au cours d’une audience sont au cœur même du privilège décisionnel, puisque ces notes sont susceptibles de révéler la démarche intellectuelle retenue par le juge pour parvenir à sa décision, au-delà de ce que nous révèlent les motifs du jugement. Par leur nature même, ces notes sont utilisées par le juge pour consigner ses réflexions sur certains points précis, réflexions dont il aura à se servir plus tard. Vu l’importance de consigner ses réflexions au fur et à mesure et vu les incertitudes de la mémoire, un juge doit pouvoir prendre des notes, libre de toute ingérence, et notamment libre de toute crainte que ces notes auront par la suite à être divulguées à des fins qui ne sont pas celles de leur auteur. Un juge doit avoir l’entière liberté de décider de ce qu’il convient de noter ou non, et être certain que personne ne pourra par la suite venir mettre en doute la sagesse de ses résolutions. Le fait de permettre que les notes d’audience soient utilisées par d’autres, à des fins différentes de celles de leur auteur, freinerait manifestement l’utilisation d’un outil essentiel au pouvoir judiciaire, à savoir la faculté et la liberté de noter ce qui nous paraît devoir être noté au fur et à mesure que l’audience se déroule, et cela dans le but unique et exclusif d’aider le juge à parvenir à une juste décision. La liberté complète de chaque juge de trancher les affaires qui lui sont soumises ressort de l’essence même du principe de l’indépendance judiciaire. La liberté complète de trancher ne peut exister que si le juge est complètement libre de toute immixtion par des personnes de l’extérieur, dans la manière dont il mène le procès et prend sa décision.

Les principes d’indépendance judiciaire ont été appliqués à des tribunaux administratifs qui se prononcent sur les droits des parties en tranchant des litiges. Ils ont été introduits dans le domaine administratif par les tribunaux judiciaires qui ont veillé au respect des règles de la justice naturelle. En ce qui concerne le CCRT, les tribunaux veilleront au respect des règles de la justice naturelle au moyen de la procédure de contrôle judiciaire prévue à l’article 22 du Code et aux articles 28 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Alors que, dans le cas où il existe des « raisons sérieuses de croire que le processus suivi n’a pas respecté les règles de justice naturelle », le contrôle judiciaire va parfois exiger d’un tribunal qu’il se penche de près sur les aspects internes du processus décisionnel et alors que, en cela, les tribunaux administratifs ne peuvent pas invoquer le secret du délibéré au même degré que peuvent le faire les tribunaux de l’ordre judiciaire, il n’existe par ailleurs aucun principe, aucune règle, autorisant les ingérences dans la démarche intellectuelle d’un décideur au-delà de ce qu’il a lui-même pu livrer dans ses motifs. Pour s’assurer que les tribunaux administratifs statuent conformément aux règles de justice naturelle, les cours de justice doivent veiller à ce que les tribunaux administratifs aient la liberté de trancher en toute indépendance sans ingérence aucune. Une ingérence systématique et officialisée dans la démarche intellectuelle d’un décideur, telle celle qu’entraînerait la divulgation des notes d’audience, nuirait à l’intégrité du processus décisionnel.

(1) L’intimé a rapporté la preuve qui lui incombait de par l’alinéa 22(1)b) et il a établi que la divulgation des notes, en dévoilant la démarche intellectuelle et, partant, le processus décisionnel de ses membres, nuirait au bon fonctionnement du Conseil. La divulgation des documents demandés nuirait au fonctionnement du CCRT, tribunal appelé à se prononcer sur les droits et les obligations, d’où l’on pourrait avec raison appréhender une entrave au bon exercice des fonctions que lui confie le Code. En officialisant la divulgation des notes d’audience au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels, on priverait le CCRT d’un outil qui paraît essentiel à l’accomplissement de ses fonctions. Si l’on n’exempte pas ces notes, tout « renseignement personnel » qu’elles contiennent, y compris les opinions concernant les plaideurs, les avocats et les témoins, devront, d’après la loi, être systématiquement rassemblées par le CCRT et conservées dans un fichier pendant au moins deux ans. Il serait alors à craindre que cela nuise à l’exercice, par le Conseil, des fonctions que lui confie le Code.

À l’appui de cette conclusion, on pourrait également invoquer l’article 119 du Code, qui dispose que les membres du CCRT ne peuvent être tenus de déposer dans une action — ou toute autre procédure — au civil, relativement à des renseignements obtenus dans l’exercice des fonctions qui leur sont confiées. L’article 119 illustre bien l’intention du législateur de mettre les membres du CCRT à l’abri de toute ingérence dans la démarche intellectuelle qui sous-tend leurs décisions.

(2) Le requérant a soutenu que, comme la Loi sur l’accès à l’information exempte de l’obligation de divulgation le « compte rendu des consultations ou des délibérations » auxquelles ont participé les agents d’une institution fédérale, mais que cette exemption ne figure pas dans la Loi sur la protection des renseignements personnels , il faut conclure que le privilège décisionnel n’est pas censé soustraire ces renseignements à l’obligation de divulgation au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il est plus probable que le législateur n’a pas estimé qu’un compte rendu de consultations et de délibérations soit susceptible de contenir le genre de « renseignements » visés par la Loi sur la protection des renseignements personnels. L’expression « renseignements personnels » comprend « les renseignements » de nature personnelle, y compris les renseignements touchant des domaines énumérés à l’article 3, mais elle s’entend aussi de « points de vue » ou d’« opinions » qu’un individu entretient sur autrui. Mais, il est peu probable que puisse être considéré comme un « renseignement personnel » concernant un individu ce qu’un décideur pourrait exprimer au cours de consultations ou de délibérations, car les choses consignées par un décideur dans le cadre de délibérations n’ont pas pour objet d’informer. Qui plus est, et quels que soient les « points de vue » ou les « opinions » exprimés par le décideur, on ne peut pas dire qu’il s’agisse des « points de vue » ou des « opinions » du décideur, à moins que ces éléments ne se retrouvent éventuellement dans les motifs de la décision. La Loi sur la protection des renseignements personnels vise des renseignements destinés à informer qui sont susceptibles d’un tel usage. Les consultations et les délibérations consignées ne répondent à ni l’un ni l’autre de ces critères. La Loi prévoit que le gouvernement ne recueillera, en matière de renseignements personnels, que ceux qui sont nécessaires à son fonctionnement et, là où de tels renseignements doivent être recueillis, elle exige qu’ils soient « à jour, exacts et complets ». À cette fin, on reconnaît à l’intéressé un droit d’accès aux renseignements qui le concernent, ainsi que le droit d’y apporter des corrections, ou d’insister pour que soient ajoutées à ces renseignements des mentions reflétant son point de vue. Or, un compte rendu de consultations ou de délibérations ne se prête guère aux mentions et aux corrections.

(3) Les notes ne « relevaient » pas du CCRT. (i) Le simple fait que le CCRT ait pu produire les notes en vue de leur examen n’établit pas qu’il en ait eu le contrôle. Les notes ont été produites pour être soumises à un examen « sans préjudice », dans l’espoir que le Commissaire cesserait de les réclamer. Cet examen a eu lieu après que l’intimé eut obtenu le consentement des membres. Le fait que, dans ce contexte, le Commissaire affirme que le Conseil avait le contrôle de ces notes frisait la mauvaise foi. (ii) En adoptant la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information, le législateur a entendu donner accès aux renseignements parvenus sous le contrôle d’une institution fédérale dans l’exercice des fonctions que lui confie la loi. Ni le Code canadien du travail ni la politique et les procédures du CCRT ne renferment de règle relative à ces notes. Les notes sont considérées par leurs auteurs comme quelque chose leur appartenant. Les membres du CCRT sont libres de prendre des notes, là où ils estiment que c’est indiqué, et ils peuvent aussi bien choisir de ne pas en prendre. Les notes sont destinées à n’être lues que par leur auteur. Les membres restent responsables de la conservation et de la sauvegarde de leurs notes et peuvent à tout moment les détruire. Les notes, enfin, ne font pas partie des archives officielles du Conseil et ne sont versées dans aucun fichier sur lequel le CCRT exercerait un contrôle administratif. Le fait que des dossiers sont laissés ou conservés dans les locaux d’une institution fédérale ne veut pas dire que les dossiers en question « relèvent » de l’institution. Le texte s’entend bien d’un contrôle, quel qu’il soit, mais d’un contrôle qui s’exerce en vertu de règles de droit. Il est inconcevable d’invoquer la Loi sur la protection des renseignements personnels pour contraindre une institution fédérale à faire intrusion dans le dossier d’un tiers, violant ainsi son droit à la vie privée, uniquement en réponse aux droits invoqués par un individu en matière de protection des renseignements personnels. (iii) Le CCRT ne revendique sur les notes aucune autorité, de facto ou de jure, et il n’a effectivement exercé aucun contrôle sur ces documents. Il n’a pas établi de règlements affirmant son autorité sur les notes prises par ses membres, parce qu’une telle démarche n’était pas considérée comme propice à la bonne exécution des tâches qui lui incombent. Il est douteux également que le pouvoir qu’a le CCRT de régler « le déroulement de ses audiences » l’autorise à imposer à ses membres qu’ils prennent des notes ou à les soumettre à quelqu’autre forme de contrôle. Rien ne permet d’affirmer que le CCRT aurait failli au devoir qui lui aurait incombé d’exercer son autorité sur les notes.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 11d).

Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, art. 23.

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 9, 10, 15, 16, 18, 22 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 56), 24(4), 34(6) (mod. par L.C. 1991, ch. 39, art. 1), 37, 50, 69, 94, 95, 96, 97 (mod., idem, art. 2), 98, 99 (mod., idem, art. 3), 119.

Code de la route, S.R.O. 1970, ch. 202.

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III.

Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33, art. 2b).

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1.

Loi sur l’accès à l’information, S.C. 1980-81-82-83, ch. 111, ann. I, art. 2, 19(1), 20.

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 2, 3 « document », 4 (mod. L.C. 1992, ch. 1, art. 144), 7, 10, 16, 19, 20, 21, 30, 37, 41, 42, 54, 70, 72, ann. I (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 274; idem, ch. 47, art. 52).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(4) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), 28 (mod., idem, art. 8).

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 2, 3 « fins administratives », « renseignements personnels », 4, 6, 7, 8 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 20, art. 13; (3e suppl.), ch. 1, art. 12), 10 (mod., idem), 12, 18, 21, 22, 29 (mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 37), 33, 35, 37(1), 41, 42, 53, ann. I.

Loi sur les architectes de 1984, L.O. 1984, ch. 12, art. 43.

Loi sur les juges, S.R.C. 1970, ch. J-1.

Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1990, ch. L.2, art. 111.

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 108 (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 77).

Règlement sur la protection des renseignements personnels, DORS/83-508, art. 4.

Règles sur la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1610 (édictée par DORS/92-43, art. 19).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Ottawa Football Club c. Canada (Ministre de la Condition physique et du Sport amateur), [1989] 2 C.F. 480 (1989), 23 C.P.R. (3d) 297; 24 F.T.R. 62 (1re inst.); Bande indienne de Montana c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1989] 1 C.F. 143 [1988] 5 W.W.R. 151; (1988), 59 Alta. L.R. (2d) 353; 18 F.T.R. 15 (1re inst.); Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1995] 2 C.F. 110 (1995), 69 C.P.R. (3d) 441; 179 N.R. 350 (C.A.); MacKeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796; (1989), 94 N.S.R. (2d) 1; 61 D.L.R. 688; 247 A.P.R. 1; 41 Admin. L.R. 236; 50 C.C.C. (3d) 449; 72 C.R. (3d) 129; 100 N.R. 81; Rubin c. Canada (Société canadienne dhypothèques et de logement), [1989] 1 C.F. 265 (1988), 52 D.L.R. (4th) 671; 19 F.T.R. 160; 86 N.R. 186 (C.A.); Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1995] 3 C.F. 199 (1995), 124 D.L.R. (4th) 553; 181 N.R. 139 (C.A.); Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Solliciteur général), [1988] 3 C.F. 551 (1988), 31 Admin. L.R. 103; 20 F.T.R. 314 (1re inst.); Sutherland c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1994] 3 C.F. 527 (1994), 115 D.L.R. (4th) 265; 77 F.T.R. 241 (1re inst.); Bombardier c. Commission de la Fonction publique du Canada (1990), 41 F.T.R. 39 (C.F. 1re inst.); Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l’Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (1988), 53 D.L.R. (4th) 246; 32 Admin. L.R. 178; 26 C.P.R. (3d) 407; 87 N.R. 8 (C.A.); Kaiser c. Canada (Ministre du Revenu national — M.R.N.), [1995] A.C.F. no 926 (1re inst.) (QL); Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157; (1995), 95 CLLC 210-009; 177 N.R. 1; Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673; (1985), 52 O.R. (2d) 779; 24 D.L.R. (4th) 161; 23 C.C.C. (3d) 193; 49 C.R. (3d) 97; 19 C.R.R. 354; 37 M.V.R. 9; 64 N.R. 1; 14 O.A.C. 79; Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56; (1986), 30 D.L.R. (4th) 481; 26 C.R.R. 59; 70 N.R. 1; R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114; (1990), 61 C.C.C. (3d) 127; Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3; (1995), 122 D.L.R. (4th) 129; 177 N.R. 325; Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), [1992] 1 R.C.S. 952; (1992), 90 D.L.R. (4th) 609; 3 Admin. L.R. (2d) 173; 136 N.R. 5; 147 C.A.Q. 169; Douville c. Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec, [1993] C.A.I. 266 (Comm. d’accès à l’inf.); Agnew v. Ontario Assn. of Architects (1987), 64 O.R. (2d) 8; 30 Admin. L.R. 285; 26 O.A.C. 354 (C. div.); Ellis-Don Ltd. v. Ontario Labour Relations Board (1994), 16 O.R. (3d) 698; 110 D.L.R. (4th) 731; 24 Admin. L.R. (2d) 122; 94 CLLC 14,012; 68 O.A.C. 216; [1994] O.L.R.B. Rep. 113 (Cour de div.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Gilles Charlebois (1993), 91 di 14 (C.C.R.T.); Charlebois c. Syndicat uni du Transport, section locale 279 et al. (1994), 169 N.R. 144 (C.A.F.); Charlebois c. Amalgamated Transit Union Local 279, [1995] 1 R.C.S. vi.

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; (1988), 35 Admin. L.R. 153; 95 N.R. 161; Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; (1981), 127 D.L.R. (3d) 1; 38 N.R. 541.

DOCTRINE

Déclaration universelle sur l’Indépendance de la Justice, adoptée par la Première conférence mondiale sur l’Indépendance de la Justice, Montréal, 10 juin 1983. Dans Shimon Shetreet et Jules Deschênes, éd., Judicial Independence : The Contemporary Debate. Dordrecht, The Netherlands : Martinus Nijhoff Publishers, 1985.

Dictionary of Canadian Law, by Daphne A. Dukelow and Betsy Nuse. Scarborough, Ont. : Thomson Professional Publishing Canada, 1991, « control ».

Le Petit Robert I, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris : Le Robert, 1984, « Information », « Opinion ».

DEMANDE présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels en vue de la révision de la décision par laquelle le CCRT a refusé de communiquer les notes prises par des membres du Conseil au cours de l’audition d’une plainte. Demande rejetée.

AVOCATS :

Timothy D. Ray, Holly A. Harris et Martine Nantel pour le requérant.

Bernard Chernos, c.r., Robert A. Watson et Maryse Tremblay pour l’intimé.

David W. Scott, c.r., Peter B. Annis et M. Martine Richard pour l’intervenant la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

Randall J. Hofley pour l’intervenant le Tribunal des droits de la personne.

Joël J. Robichaud pour l’intervenant le Tribunal canadien du commerce extérieur.

Alix Jenkins pour l’intervenant l’Office national des transports du Canada.

PROCUREURS :

Beament Green Dust, Ottawa, et les Services juridiques du Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée du Canada, Ottawa, pour le requérant.

Chernos, Conway, Toronto, pour l’intimé.

Scott & Aylen, Ottawa, pour l’intervenant la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

Stikeman, Elliott, Ottawa, pour l’intervenant le Tribunal des droits de la personne.

Services juridiques du Tribunal canadien du commerce extérieur, Ottawa, pour l’intervenant le Tribunal canadien du commerce extérieur.

Services juridiques de l’Office national des transports du Canada, Hull, pour l’intervenant l’Office national des transports du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Noël : La présente demande, fondée sur l’article 42 de la Loi sur la protection des renseignements personnels[1], sollicite de la Cour fédérale la révision de la décision par laquelle le Conseil canadien des relations du travail (le CCRT ou le Conseil) a refusé de communiquer au Commissaire à la protection de la vie privée (le Commissaire) les notes prises par des membres du CCRT (les notes) au cours d’une audience. La Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP), le Tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP), le Tribunal canadien du commerce extérieur (le TCCE) et l’Office national des transports (l’ONT) se sont vu accorder, dans le cadre de cette demande, la qualité d’intervenant.

I.          Les faits

Le 10 février 1992, Gilles Charlebois, un chauffeur d’autobus qui, jusqu’à son licenciement le 12 juin 1991, était au service de la Commission de transport régional d’Ottawa-Carleton (OC Transpo) depuis presque 11 ans, a déposé une plainte auprès du Conseil canadien des relations du travail, conformément à l’article 97 du Code canadien du travail[2]. Dans sa plainte, Charlebois affirmait que son syndicat, le Syndicat uni du transport, section locale 279 (le SUT), ne l’avait pas représenté de façon juste et avait donc violé l’article 37 du Code canadien du travail[3] en traitant certains griefs, et particulièrement en décidant de ne pas renvoyer à l’arbitrage celui portant sur son congédiement par OC Transpo. La décision du SUT, de ne pas soumettre à l’arbitrage les griefs formulés par Charlebois pour ses pertes de salaire et son licenciement, a été prise à la majorité des voix par vote secret des membres lors d’une assemblée générale du SUT.

Le Conseil, composé du vice-président, Thomas M. Eberlee, et des membres Robert Cadieux et Mary Rozenberg, a entendu la plainte de M. Charlebois les 30 septembre, 1er octobre et 23 octobre 1992. Plusieurs personnes, y compris M. Charlebois, ont témoigné devant le Conseil. Le Conseil a entendu des dépositions touchant les événements entourant les suites que le SUT avait données aux griefs formulés par Charlebois à partir du mois de décembre 1990, les circonstances accompagnant et dérivant de l’assemblée générale du syndicat qui a eu lieu le 12 novembre 1991 et qui s’est poursuivie le lendemain matin, et la décision des membres de ce syndicat de ne pas renvoyer les griefs à l’arbitrage. Rejetant la plainte de Charlebois, le Conseil a conclu que :

… c’est au plaignant qu’il incombe d’amener le Conseil à conclure, d’après la prépondérance des probabilités, que la preuve montre que la conduite du syndicat était contraire à l’article 37.

En l’occurrence, cette preuve n’existe tout simplement pas. Comme nous l’avons dit, la façon du syndicat de traiter les griefs jusqu’au 12 novembre échappe à toute critique. Ni la conduite des dirigeants du syndicat aux assemblées des 12 et 13 novembre ni le déroulement du vote secret n’ont dépassé les bornes. Les membres du syndicat ont décidé de ne pas renvoyer les griefs à l’arbitrage. C’est pour cette raison que Charlebois a déposé sa plainte. Si les membres du syndicat avaient pris la décision contraire, M. Charlebois ne se serait pas retrouvé devant le Conseil. Pourtant, personne n’aurait mieux su pourquoi ses collègues syndiqués auraient voté oui que nous ne savons pourquoi ils lui ont dit non. Compte tenu de tout le contexte, rien ne prouve vraiment que la décision du syndicat était fondée sur des motifs contraires à l’article 37[4].

Le 10 février 1993, Charlebois a déposé, conformément à la Loi, une demande de communication de renseignements personnels. Charlebois demandait au Conseil canadien des relations du travail des renseignements concernant l’audition, par le CCRT, de la plainte qu’il avait déposée. Il demandait :

[traduction] Copie de tout dossier, de toute correspondance, de tout document et de tout rapport, etc.; y compris les notes touchant les conversations téléphoniques avec [l’appelant], ou concernant celui-ci, le compte rendu des réunions, des audiences, des enquêtes, etc. concernant [l’appelant], que celui-ci ait ou non été présent, la transcription, les enregistrements électromagnétiques, les télécopies, les évaluations du rendement, les descriptions de tâches consignées sous quelque forme que ce soit, et quel que soit leur lieu d’archivage, touchant [l’appelant], de tous les membres de la formation de jugement, ainsi que de tout témoin, ou avocat, ayant trait à tout ce qui concerne la plainte, CCRT dossier no 745-4164, jusqu’à et y compris la décision no 989 rendue par le Conseil.

Cette demande vise tout dossier accessible, dans son intégralité, sans exclusion aucune, comprenant des renseignements personnels et non personnels, ainsi que tous les dossiers annexes pertinents en l’espèce, cette énumération n’étant d’ailleurs pas limitative[5].

En réponse à la demande formulée par Charlebois, le CCRT a envoyé à celui-ci copie de tout ce qui se trouvait dans son dossier ayant trait à la plainte. Dans la lettre accompagnant l’envoi, en date du 15 mars 1993, Ruth Smith, coordonnatrice de la protection des renseignements personnels au Conseil, expliquait qu’aucune note concernant des entretiens téléphoniques, des évaluations du rendement, des descriptions de fonctions, des transcriptions et des enregistrements électromagnétiques n’avait été envoyée à Charlebois étant donné qu’il n’en existait pas. En ce qui concerne les notes prises par les membres du Conseil, la coordonnatrice de la protection des renseignements personnels déclarait :

[traduction] En ce qui concerne les notes personnelles, toute note personnelle prise par les membres de la formation du Conseil qui a statué à l’audience est considérée comme aide-mémoire d’un tribunal quasi judiciaire. Dans la mesure où ces notes n’ont aucun objet administratif, elles ne relèvent pas du Conseil. Cette interprétation a été retenue par le Commissaire à la protection de la vie privée dans une affaire concernant la Commission des relations de travail dans la fonction publique, notre homologue du secteur public[6].

Le 6 avril 1993, Charlebois a déposé une plainte auprès du Commissaire à la protection de la vie privée, invoquant le fait qu’il n’avait pas reçu du CCRT tous les renseignements personnels le concernant[7]. Par lettre en date du 25 avril 1994, le Commissaire a fait savoir au président du CCRT, J. S. W. Weatherill, qu’il avait été amené à modifier sa position selon laquelle les notes prises par des membres du Conseil appartenaient en propre aux membres et ne constituaient pas des renseignements relevant du CCRT :

[traduction] Cette plainte, comme d’autres plaintes du même ordre, m’oblige à revenir sur la position que j’avais prise et qui me paraît maintenant incompatible avec l’approche qui me semble s’imposer concernant l’accès aux renseignements personnels détenus par des institutions fédérales. Les notes prises par les membres du CCRT n’appartiennent pas en propre à ces membres. Il s’agit, plutôt, de notes prises dans le cadre des fonctions qu’exerce chaque membre du Conseil et susceptibles de contribuer à la prise de décisions affectant un individu. À l’inverse des tribunaux judiciaires, le CCRT est soumis aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels et il est clair que de telles notes relèvent du CCRT. L’article 3 de la Loi donne des renseignements personnels une définition selon laquelle il s’agit de « renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable… » Je ne relève, dans la Loi, aucune disposition qui, de manière expresse ou implicite, pourrait constituer une exception applicable aux notes prises par les membres du Conseil. Ces notes sont donc soumises aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, au même titre que tout autre renseignement relevant du CCRT.

J’ai cru comprendre, d’après ce que m’ont dit certains de vos collaborateurs, que les notes prises par deux des trois membres du Conseil, au cours de l’audition de la plainte en question, existent effectivement. On me dit que le mandat du troisième membre du Conseil a pris fin et que ses notes ont été détruites. Les notes en questions devraient donc être examinées et préparées en vue de répondre à la demande formulée par le plaignant en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels[8].

Le Commissaire à la protection de la vie privée a ensuite invité le CCRT à lui présenter ses observations, comme le prévoit le paragraphe 33(2) de la Loi[9].

Par lettre en date du 17 juin 1994, le président du CCRT répondait à l’invitation du Commissaire et présentait les observations du CCRT sur la plainte de Charlebois. Le CCRT faisait valoir essentiellement deux choses. D’abord, il affirmait que les notes prises par des membres du Conseil au cours d’audiences publiques ne constituent pas des renseignements « relevant » du CCRT au sens de l’article 12 de la Loi. Il estimait, par ailleurs, que toute autre interprétation de l’article 12 aurait pour effet de priver un individu du droit d’être entendu lors d’une audience impartiale en vertu des principes de justice fondamentale consacrés par la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III]. Le président du Conseil a fait les déclarations suivantes concernant le CCRT en tant que tribunal administratif, exposant la pratique du Conseil touchant les notes prises par ses membres :

[traduction] … la Loi s’applique à des tribunaux administratifs très divers. Certains sont des organismes de réglementation ayant pour mission d’appliquer les politiques décrétées par le gouvernement au pouvoir. D’autres, tels les comités de sélection qui assurent la dotation en personnel, sont composés de fonctionnaires. D’autres tribunaux, enfin, et c’est le cas du Conseil, sont des tribunaux quasi judiciaires appelés à exercer leurs fonctions adjudicatives plus ou moins comme le ferait un tribunal de l’ordre judiciaire, c’est-à-dire de manière impartiale et indépendante.

Il convient de relever que les notes demandées par Charlebois ne sont pas le fait d’un agent ou employé du Conseil, mais bien de membres de celui-ci. Les membres du Conseil sont nommés par décret et sont inamovibles pendant la durée de leur mandat qui, dans le cas du président et du vice-président, est de dix ans au maximum et de cinq ans pour les membres.

De plus, on ne trouve en la matière aucune condition fixée dans le Code, dans l’exposé de fonctions des membres ou dans la politique ou la procédure du Conseil touchant la rédaction, la conservation et la disposition de notes prises par des membres du Conseil au cours d’une audience publique. Certains membres d’une formation de jugement peuvent choisir de prendre des notes et d’autres non. Les notes ainsi prises constituent des aide-mémoire rédigés par un membre du Conseil pour préparer sa décision.

Ce sont également les membres qui fixent la forme et le contenu de leurs notes. Ces notes ne sont donc pas des comptes rendus d’audience et elles sont à l’usage exclusif du membre qui les a prises. Elles contiennent des renseignements qui, selon le membre en question, sont pertinents ou utiles, l’aidant à prendre sa décision. Le membre est libre de consigner tout ou partie des témoignages ou arguments présentés par les parties et il peut même ajouter des commentaires personnels sur la crédibilité d’un témoin ou la qualité de l’argumentation.

À tout moment au cours de l’audience et après celle-ci, les membres ont leurs notes personnelles en leur possession, sous leur garde et sous leur contrôle; personne d’autre n’est autorisé à les voir, à les lire ou à les utiliser sans le consentement de leur auteur. De plus, les membres du Conseil demeurent responsables de la sauvegarde de leurs notes personnelles et peuvent les détruire sans obtenir l’autorisation préalable du Conseil. Leurs notes ne font pas partie des archives du Conseil et ne sont pas versées dans des dossiers relevant de l’autorité administrative du Conseil.

Les notes personnelles des membres peuvent être, ou non, conservées dans les locaux du Conseil. Bien que le Conseil puisse avoir la possession physique des notes personnelles de certains de ses membres, il s’agit d’une possession simple qui ne permet pas en soi de dire que les notes en question « relèvent » du Conseil aux fins de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Étant donné que le Conseil n’exerce aucun droit ni aucun pouvoir sur ces notes, il ne peut pas en réglementer l’usage, et puisqu’il n’exerce pas la moindre responsabilité en ce qui concerne la protection et la disposition de ces notes, on ne peut pas dire que ces notes « relèvent » de lui. Ajoutons que le Conseil ne sait jamais si, dans un cas donné, des notes ont oui ou non été prises.

Cela étant, le Conseil estime que les notes prises par des membres de la formation pendant l’audience relative à la plainte de Charlebois et dans l’exercice de leurs fonctions quasi judiciaires ne « relèvent » pas du Conseil et que leur communication ne peut donc pas être exigée au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels[10]

Dans une lettre en date du 12 juillet 1994, le Commissaire accuse réception des observations formulées par le CCRT, faisant part de son désaccord sur la position du CCRT, en les termes suivants :

[traduction] D’après vous, donc, les notes prises par des membres du Conseil canadien des relations du travail pendant les audiences ne seraient pas soumises aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels et l’inverse entraînerait un déni du droit à une audition impartiale.

Je ne vois rien, pour ma part, qui soit susceptible de mieux contribuer à l’idée d’une audition impartiale conforme aux principes de justice fondamentale que le droit de prendre connaissance des renseignements sur lesquels sera fondée une décision affectant les droits et les obligations d’une personne. Je ne trouve dans la Loi sur la protection des renseignements personnels rien de contraire à cette idée, ou fondant l’argument que vous avancez et selon lequel les dispositions de cette loi ne doivent pas s’appliquer.

Les notes en question sont prises par les membres d’une formation dans l’exercice de leurs fonctions officielles et non pas à titre personnel. Ces notes peuvent, il est clair, constituer des renseignements concernant un individu et servent à prendre une décision qui va directement l’affecter, précisément comme le prévoit la Loi sur la protection des renseignements personnels. Si le législateur avait visé un autre résultat, il aurait omis de faire figurer le Conseil à l’annexe de la Loi, ou bien, il aurait spécifiquement prévu que ces notes seraient exemptées comme le prévoit la législation québécoise à laquelle vous faites référence.

Étant donné que le Conseil ne fournit pas habituellement le procès-verbal de ses délibérations, ces notes peuvent très bien revêtir, pour l’intéressé, une grande importance. Je ne veux pas dire par cela que le fait de fournir un procès-verbal des délibérations permettrait de soustraire ces notes aux dispositions de la Loi mais, plutôt, qu’en l’absence d’un procès-verbal officiel, on ne saurait reprocher à un individu de chercher d’autres moyens de connaître les arguments retenus contre lui. La Loi sur la protection des renseignements personnels confirme qu’un individu a le droit de savoir ce qu’on dit et ce qu’on écrit à son sujet.

J’ajoute, bien que vous n’évoquiez pas précisément la question dans votre lettre, que je vois mal comment le simple fait de communiquer ces notes à l’intéressé entraverait les travaux du Conseil. J’estime pour ma part que cela contribuerait plutôt à un renforcement du crédit accordé aux décisions du Conseil, encourageant par là même un règlement plus rapide des contentieux[11].

Le Commissaire a reconnu que, dans certaines circonstances, la divulgation des notes prises par des membres pourrait effectivement porter préjudice. Sur ce point, le Commissaire écrivait que :

[traduction] C’est surtout au sujet de ce dernier point que je vous écris. À la fin de votre lettre, vous laissez entendre qu’en l’occurrence la communication à M. Charlebois des renseignements en question nuirait à l’administration du Code du travail et serait contraire à l’intérêt public. Vous ne précisez pas pourquoi il en serait ainsi en l’occurrence.

Peut-être pourrions-nous, sans préjuger de vos observations, convenir d’examiner ensemble les renseignements en question afin de voir si l’exception s’appliquerait en l’espèce. En tout état de cause, c’est avec plaisir que je recevrai les observations complémentaires que vous voudrez me transmettre sur ce point[12].

Vers le 29 novembre 1994, Joyce McLean, agent chargé de la protection des renseignements personnels et de l’accès à l’information, s’est réunie avec Ruth Smith, coordonnatrice de la protection des renseignements personnels au CCRT, afin d’examiner les notes des deux membres du Conseil, Thomas Eberlee et Mary Rozenberg[13]. Dans un mémoire ampliatif au dossier, Mme McLean fait les observations suivantes concernant les notes prises par les membres :

Dossier de Thomas Eberlee (président)

—   Les notes prises à l’audience sont lisibles.

—   Elles semblent constituer un compte rendu.

—   De temps en temps M. Eberlee fait une observation (clairement indiquée comme telle dans la marge ou par des parenthèses).

Dossier de Mary Rozenberg (membre du Conseil)

—   D’un style plus lapidaire que les notes de M. Eberlee—mais lisibles et compréhensibles.

—   Compte rendu de l’audience mais peut-être moins complet que celui de M. Eberlee.

—   Très peu d’observations (signalées par des encres de couleurs différentes ou inscrites sur des languettes adhésives).

—   Deux dessins dans la marge : des marguerites et un visage.

Mme McLean a conclu de son examen que [traduction] « les notes contiennent des renseignements personnels concernant Gilles Charlebois[14]. »

Par lettre en date du 20 décembre 1994, le président du CCRT a confirmé la position du Conseil, selon laquelle la Loi ne s’applique pas aux notes prises par des membres du Conseil au cours des audiences. Le 1er février 1995, le Commissaire a fait connaître les résultats de son enquête sur la plainte de Charlebois, conformément à l’article 35 de la Loi[15]. Le Commissaire a conclu que c’est à juste titre que Charlebois s’était plaint de ne pas avoir reçu communication de tous les renseignements personnels auxquels il avait droit. Le Commissaire a décidé que :

[traduction] … les renseignements notés par un membre d’une formation, concernant un individu au cours de son audition, ne sont pas consignés par ledit membre à titre personnel mais bien dans le cadre de ses fonctions officielles. À l’inverse des tribunaux judiciaires, le CCRT est soumis aux dispositions de la Loi et je dois donc présumer que telle était l’intention du législateur. Je ne relève, dans la Loi, aucune disposition qui, de manière expresse ou implicite permette d’écarter l’application normale des dispositions de la Loi lorsqu’il s’agit du CCRT ou de ses membres. Comme j’ai eu l’occasion de le dire dans un courrier précédent, je ne vois pas non plus comment le fait de connaître les renseignements au vu desquels a été prise une décision affectant les droits et les obligations d’un individu porterait atteinte à l’idée de justice fondamentale. J’estime, au contraire, que cela serait de nature à la renforcer. J’estime, enfin, que le législateur a déjà prévu des exceptions claires et appropriées à l’application de la Loi et qu’il n’est donc pas nécessaire d’en créer de nouvelles. La Loi sur la protection des renseignements personnels étaye le droit qu’à un individu de savoir ce que disent ou écrivent à son sujet les institutions fédérales auxquelles s’applique ce texte de loi. Je suis convaincu que les individus sont très attachés à ce droit, en particulier lorsque sont prises des décisions les affectant ou affectant leurs moyens d’existence dans les cas où il n’y a pas de procès-verbal. Le fait que des institutions puissent soustraire à l’action de la loi de larges pans de leur action ne peut manquer d’avoir sur le droit au respect de la vie privée des individus des effets importants[16].

Vu ces conclusions, le Commissaire a recommandé au CCRT de réunir et d’examiner les notes prises par les membres des formations, de prendre les mesures permettant de rassembler et de classer les renseignements personnels ainsi recueillis par les membres du Conseil, de conserver ces renseignements pour une période d’au moins deux ans comme le prévoit le Règlement sur la protection des renseignements personnels [DORS/83-508] et de communiquer ces renseignements en réponse aux demandes formulées en vertu de la Loi. Par lettre en date du 10 février 1995, le président du CCRT a rappelé, que selon le Conseil, la Loi ne s’applique pas aux notes prises par ses membres. Le 29 mars 1995, le Commissaire a communiqué les résultats de son enquête à Charlebois. Le Commissaire a également demandé à Charlebois de l’autoriser à exercer un recours en révision devant la Cour fédérale, conformément à l’article 42 de la Loi[17]. Charlebois a transmis son consentement au Commissaire le 7 avril 1995. Le 9 mai 1995, le Commissaire a introduit la présente demande par le dépôt d’un avis de requête introductive d’instance fondé sur l’article 42 de la Loi.

Les éléments de preuve déposés par les parties

À l’appui de sa demande, le requérant a versé au dossier l’affidavit de Joyce McLean, agent chargé de la protection des renseignements personnels et de l’accès à l’information auprès du Commissaire. En plus du récit des événements intervenus entre le dépôt de la plainte de Charlebois et le dépôt de la présente demande, l’affidavit de Joyce McLean rend compte de la correspondance entre le président du CCRT et le Commissaire et entre le Commissaire et le plaignant, Charlebois.

En ce qui concerne les notes en question les preuves sont rares. Ces notes n’ont pas été produites par le Conseil. Les seuls indices concernant leur contenu sont les observations consignées par l’agent chargé de la protection des renseignements personnels et de l’accès à l’information, qui a pu les examiner[18]. Ajoutons que, puisque le CCRT n’a pas déposé d’affidavit en réponse, on ne dispose d’aucun élément qui, en soi, permette de connaître la manière dont lesdites notes ont été prises. Mais, a été versée au dossier du requérant, une longue lettre, en date du 17 juin 1994, dans laquelle le président du Conseil (pièce E accompagnant l’affidavit de Joyce McLean) présentait ses observations au Commissaire à la protection de la vie privée. Cette lettre développe des arguments et avance des faits quant à la manière dont les notes étaient prises. Le mémoire déposé par le Conseil porte à l’attention de la Cour les faits dont il est ainsi fait état, ce qui est également le cas de trois des quatre intervenants. Le quatrième, à savoir la Commission des relations de travail dans la fonction publique, s’est assurée que ces faits seraient effectivement portés à l’attention de la Cour. Elle a versé au dossier l’affidavit de M. Philip Chodos, vice-président adjoint de la CRTFP, document dans lequel M. Chodos décrit sa manière de prendre des notes et l’utilisation qu’il en fait lors des audiences convoquées en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique[19]. Au sujet de ladite lettre, M. Chodos confirme [traduction] « les points soulevés … en ce qui concerne la pratique et la procédure touchant les notes prises par les membres du Conseil, tout cela s’applique au même titre à la Commission des relations de travail dans la fonction publique ainsi qu’à ses membres »[20]. Toutes les parties à la présente demande, y compris le requérant, conviennent que les faits avancés dans la lettre du 17 juin 1994 envoyée par le président du CCRT au Commissaire ont été officiellement portés à l’attention de la Cour.

En l’espèce, j’ai fait remarquer dès le début de l’audience que s’il ressort bien du dossier que les notes ont été prises par des membres du CCRT au cours d’une audience devant le Conseil, le dossier ne contient aucun élément concernant la nature des procédures devant le CCRT. J’ai fait observer aux avocats des parties que faute de renseignements expliquant le contexte dans lequel la demande avait été déposée par le Commissaire, les dossiers étaient à mon avis incomplets et ne permettaient pas de statuer de manière appropriée sur la demande de contrôle judiciaire[21]. En réponse, l’intimé, avec le consentement de l’ensemble des parties, a déposé plusieurs documents qui, j’en suis persuadé, exposent tous les faits permettant de statuer sur la présente demande[22].

II.         Les arguments présentés

Les arguments avancés par les parties touchent essentiellement trois questions :

1. Les notes prises par des membres du CCRT contiennent-elles des « renseignements personnels » au sens de la Loi?

2. Dans l’affirmative, ces notes « relèvent »-elles du CCRT au sens de la Loi et, subsidiairement, devraient-elles relever du Conseil?

3. Si les notes contiennent effectivement des renseignements personnels et si elles relèvent du CCRT, le CCRT a-t-il démontré que les renseignements demandés bénéficient de l’exception prévue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi?

1)         Les renseignements figurant dans les notes sont-ils des « renseignements personnels »?

Le requérant fait valoir que la définition de « renseignements personnels » qui figure dans la Loi est extrêmement large et que la jurisprudence s’est prononcée nettement pour une interprétation large, favorable à la protection de l’identité des individus[23]. Le requérant relève que la définition de « renseignements personnels » qui figure dans la Loi, c’est-à-dire des renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, ne fait que citer des exemples de renseignements personnels sans pour cela restreindre la généralité de la définition. Le requérant estime que les notes prises par les membres trouvent leur place parmi les exemples cités aux alinéas 3b), e), g) et i) de la définition.

L’intimé considère, pour sa part, qu’aux termes de la Loi, la notion de « renseignements personnels » ne s’applique pas aux notes des membres, ces notes étant des annotations personnelles des membres du CCRT sur la crédibilité, la preuve et les arguments de droit présentés à l’audience. Ces notes, de caractère personnel, correspondent à une démarche provisoire qui pourra, par la suite, paraître non fondée aux yeux de son auteur. L’intimé soutient qu’en décidant que les notes sont effectivement des « renseignements personnels » selon la Loi, on nuirait à la confidentialité qui marque la démarche décisionnelle d’un tribunal quasi judiciaire, confidentialité protégée par l’article 119 du Code, selon lequel les membres du CCRT ne sont pas tenus de déposer dans une action—ou toute autre procédure—au civil, relativement à des renseignements obtenus dans l’exercice des fonctions qui leur sont confiées. D’après l’intimé, pareille conclusion conférerait également aux parties qui se présentent devant le CCRT, des pouvoirs d’inquisition à l’égard des membres du CCRT, bien contrairement au principe du caractère définitif des décisions, énoncé à l’article 22 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 56] du Code, et qui en forme la clause privative[24].

Le TCDP estime, quant à lui, que les renseignements figurant dans les notes prises par les membres du Conseil sont de deux sortes :

(i) des renseignements figurant déjà au dossier ou des renseignements présentés à l’audience et consignés dans la transcription de l’audience; et

(ii) les opinions ou observations des membres concernant les renseignements appartenant à la catégorie (i), y compris la manière dont ces éléments sont présentés[25].

Le TCDP fait valoir que les renseignements appartenant à la première catégorie peuvent, par leur nature même, être obtenus, en vertu de la Loi, à partir de sources autres que les notes des membres. Les renseignements de la deuxième catégorie ne sont pas, cependant, aux termes de la Loi, des « renseignements personnels », étant donné qu’ils ne contiennent pas des « idées ou opinions (des membres) … sur lui (c’est-à-dire sur l’intéressé) ». Le TCDP estime, au contraire, que les opinions ou observations contenues dans les notes des membres ne visent pas l’intéressé en tant qu’individu mais, plutôt, la preuve et les arguments de droit présentés à l’audience[26], et donc que la Loi n’est pas censée s’appliquer aux notes prises par les membres du Conseil.

2)         Les notes relèvent-elles du Conseil?

Le requérant développe les trois arguments suivants à l’appui de sa thèse que les notes des membres du CCRT « relèvent » du Conseil. D’abord, il fait valoir que le simple fait que les notes aient été réunies et examinées par le CCRT démontre qu’en l’espèce les notes relèvent bien du Conseil[27]. Deuxièmement, il fait valoir qu’il y a lieu d’interpréter de manière large cette notion, qui se trouve dans la Loi, de renseignements qui « relèvent » d’un organisme et que cette expression a été interprétée par les tribunaux comme voulant dire que les documents en question sont « sous la garde du gouvernement quels que soient par ailleurs les moyens utilisés pour obtenir cette garde. » À l’appui de cet argument, le requérant invoque les décisions rendues par la Section de première instance de la Cour fédérale dans les affaires Ottawa Football Club c. Canada (Ministre de la condition physique et du Sport amateur)[28] et Bande indienne de Montana c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)[29] ainsi que l’arrêt de la Cour d’appel Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics)[30]. Selon un troisième argument avancé par le requérant, le CCRT a, de par le Code, le pouvoir de régler ses propres affaires internes selon le sens ordinaire du contrôle, et que cela lui permet de « gérer, diriger ou régir » les renseignements de nature personnelle produits ou utilisés dans l’exercice d’une fonction administrative, cette catégorie de renseignements comprenant les notes des membres. D’après le requérant, donc, on pourrait s’attendre à voir le Conseil exercer sur ces renseignements son contrôle puisqu’il s’agit de renseignements produits par les membres dans l’exercice de leurs fonctions officielles[31].

L’intimé et les intervenants admettent que le mot « relèvent » qui figure à l’alinéa 12(1)b) de la Loi devrait être interprété de manière large et s’appliquer aux documents sur lesquels une institution fédérale exerce, au jour le jour, un contrôle administratif ou de gestion ou sur lesquels l’institution fédérale en question exerce en dernier ressort, ou sur le coup, un contrôle complet, partiel, provisoire ou durable. Selon eux, cependant, la preuve démontre que les notes prises par les membres ne sont pas soumises au contrôle du Conseil, et cela, quelle que soit la définition que l’on puisse raisonnablement retenir de la notion de contrôle. Cette preuve, tirée de la lettre, en date du 17 juin 1994, du président du CCRT au Commissaire, a été résumée en ces termes par la CRTFP :

Les organismes tels que le CCRT sont des tribunaux quasi judiciaires appelés à exercer une fonction décisionnelle comme le ferait une cour de justice, c’est-à-dire de manière indépendante et impartiale; (page 3, paragraphe 2).

Le Code canadien du travail, l’exposé de fonctions des membres du Conseil, les politiques ou procédures de cet organisme, ne contiennent aucune exigence touchant la rédaction, la conservation et la disposition des notes prises par les membres au cours d’audiences; (page 4, paragraphe 2).

Certains membres d’une formation de jugement peuvent décider de prendre des notes, d’autres peuvent décider de ne pas en prendre. Les notes qui sont prises servent d’aide-mémoire dans la préparation de la décision qu’est appelé à prendre le membre; (page 4, paragraphe 2);

Les membres du Conseil décident eux-mêmes de la forme et du contenu de leurs notes, qui ne constituent nullement un procès-verbal de l’audience et qui sont à l’usage exclusif du membre. Ces notes contiennent des renseignements qui, aux yeux de leur auteur, sont pertinents en l’espèce ou utiles pour parvenir à une décision; (page 4, paragraphe 3);

Les membres sont libres de consigner dans leur intégralité ou en partie seulement les témoignages ou arguments présentés par les parties et ils peuvent ajouter à cela des commentaires personnels touchant la crédibilité d’un témoin ou la qualité d’une argumentation; (page 4, paragraphe 3);

En tout temps, les membres conservent la possession, la garde et le contrôle de leurs notes personnelles; personne d’autre n’est admis à les voir, à les lire ou à les utiliser sans leur consentement; (page 4, paragraphe 4);

Les notes prises par des membres du Conseil ne font pas partie des archives de cette institution et ne sont pas regroupées dans un fichier sur lequel le Conseil exercerait un contrôle administratif; (page 4, paragraphe 4);

Les notes personnelles des membres peuvent ou non se trouver dans les locaux du Conseil; (page 4, paragraphe 4)[32].

L’intimé et les intervenants rejettent l’argument avancé par le requérant, selon lequel le simple fait que le CCRT ait produit les notes des membres pour qu’elles puissent être examinées par un agent chargé de la protection des renseignements personnels et de l’accès à l’information démontre que les notes en question relèvent du CCRT. Ils estiment que le requérant ne devrait pas pouvoir invoquer le fait que les notes ont été produites afin d’être examinées, car le Commissaire avait convenu au préalable que l’examen se ferait « sans préjudice »[33]. Ils estiment en outre que, compte tenu de la preuve selon laquelle les membres du Conseil demeurent responsables de la garde et de la sauvegarde de leurs notes personnelles et donc que, si leurs notes personnelles ont pu être produites, ce n’est qu’avec le consentement des membres du Conseil qui ont voulu en cela coopérer à l’enquête du Commissaire.

L’intimé et les intervenants soutiennent que les notes des membres ne constituent pas des renseignements produits dans l’exercice d’une fonction administrative ou dans l’exercice de fonctions officielles puisqu’il ressort de la preuve que les membres du Conseil ne sont pas, officiellement, tenus de prendre des notes. Ils estiment que la question de savoir si les documents ont été produits dans l’exercice d’une fonction officielle est dénuée de pertinence lorsqu’il s’agit de savoir si les documents en question relèvent ou non de l’institution fédérale en cause. Chargés d’une fonction décisionnelle quasi-judiciaire, les membres doivent assurer l’indépendance intégrale de leur processus de décision et, pour cela, il leur faut conserver le contrôle exclusif des notes prises à l’audience. Dans sa plaidoirie, l’intimé s’est fondé sur les arguments développés par la CRTFP et selon lesquels la Loi ne doit pas empiéter sur le droit à l’intimité des agents ou des employés du gouvernement; les notes personnelles telles que celles dont il est question ici appartiennent en propre à leurs auteurs et ne sont soumises ni au contrôle de l’institution, ni à l’obligation de les communiquer dans le cadre d’une demande d’accès[34].

En dernier lieu, l’intimé et les intervenants font valoir que la notion de contrôle exprimée par le mot « relevant » qui figure à l’alinéa 12(1)b) de la Loi, devrait être interprétée de manière à éviter tout résultat absurde et afin de se conformer aux valeurs contenues dans la Charte canadienne des droits et libertés, [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], et notamment le droit de chacun à une audition impartiale de sa cause, conformément aux principes de justice fondamentale ainsi que le prévoit l’article 7 de la Charte. D’après eux, l’interprétation du mot « relevant » prônée par le requérant, interprétation ouvrant la voie à la communication des notes personnelles de décideurs quasi-judiciaires, entraînerait une immixtion, ou susciterait une crainte raisonnable d’immixtion dans l’indépendance et la liberté intellectuelle des décideurs[35].

3)         Lesdites notes bénéficient-elles de l’exception prévue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi?

Selon le requérant, pour pouvoir obtenir gain de cause en invoquant l’alinéa 22(1)b) de la Loi, l’intimé doit démontrer que la divulgation des renseignements en question risquerait vraisemblablement de porter préjudice[36]. Selon le requérant, le fait que l’intimé estime que la communication des notes [traduction] « dévoilerait la démarche intellectuelle de membres du Conseil et nuirait en définitive à l’administration du Code canadien du travail ainsi qu’à l’intérêt public » ne permet pas en soi de faire bénéficier les notes de l’exception prévue à l’alinéa 22(1)b). Le requérant estime au contraire que le fait de dévoiler la démarche intellectuelle des décideurs servirait l’idée même d’audition impartiale en communiquant aux plaideurs les renseignements qui ont servi de fondement aux décisions en cause. Le requérant estime qu’en tout état de cause l’examen des notes en question a démontré que la communication des notes au plaignant n’entraînerait aucun préjudice[37]. Le requérant soutient par ailleurs que puisque les deux membres du Conseil ne se sont pas opposés à la communication de leurs notes au requérant, c’est bien que ces deux membres estimaient que cette divulgation n’entraînerait aucun préjudice. Le requérant estime en dernier lieu, qu’en tout état de cause l’intimé n’a produit aucune preuve démontrant que la communication des notes aurait effectivement pour effet de dévoiler la démarche intellectuelle des membres du Conseil[38].

L’intimé fait valoir que le CCRT est un tribunal quasi-judiciaire appelé à exercer une fonction décisionnelle de manière indépendante et impartiale, fonction analogue, donc, à celle des tribunaux judiciaires. Le fait de reconnaître un droit à la communication des notes risquerait de nuire, selon l’intimé, aux activités destinées à faire respecter le Code canadien du travail puisque :

[traduction] … cela porterait atteinte à la liberté des membres du CCRT d’entendre et de trancher les affaires dont ils sont saisis en nuisant à la manière dont ils exercent leurs fonctions et rendent leurs décisions. Cela découragerait la prise de notes, nuirait à la manière même dont les notes sont prises et nuirait à la manière dont ces notes sont actuellement utilisées. Cela découragerait également la franchise et la liberté de propos entre membres du CCRT et aurait pour effet d’éliminer, parmi les membres du CCRT, le recours à des aide-mémoire dans leur examen et dans leur jugement des affaires relevant de leur compétence. (…) En accordant le droit de se faire communiquer ces notes, on nuirait à l’indépendance des membres du CCRT comme on nuirait de manière correspondante à l’indépendance des juges[39].

Dans son mémoire complémentaire, l’intimé fait valoir que les notes en question ont été prises par des membres du Conseil dans le cadre du processus de délibération et de jugement inhérent à la compétence exclusive du CCRT, compétence qui consiste à se prononcer, en tant qu’instance de jugement, sur des questions de relations de travail à l’échelon fédéral. Selon l’intimé, la Cour suprême du Canada a jugé que l’indépendance et l’impartialité sont essentielles à l’exercice de la fonction judiciaire, et que le fait d’exiger des membres d’un tribunal qu’ils témoignent au sujet de leurs délibérations et de la démarche intellectuelle qui sous-tend leurs décisions constituerait une ingérence mettant en cause l’indépendance qui est le fondement même de leur impartialité. L’intimé estime que seul un tribunal judiciaire est à même de décider s’il convient ou non d’ordonner la production des notes d’un arbitre des griefs et qu’une telle ordonnance ne saurait être rendue que dans le cadre du contrôle judiciaire par un tribunal de la décision de l’arbitre. Selon l’intimé :

[traduction] Le fait d’exiger la communication des notes prises par les membres, sans pour cela déposer une demande de contrôle judiciaire et sans qu’un tribunal judiciaire soit appelé à dire si les circonstances précises d’une affaire exigent que l’on fasse exception à l’immunité reconnue aux membres d’un tribunal en matière de témoignage « risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales » au sens de l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels[40].

La CRTFP soutient que [traduction] « dans la mesure où la communication des notes personnelles nuit à l’indépendance et à la liberté intellectuelle de décideurs quasi-judiciaires, on peut raisonnablement penser que cela nuirait à l’exercice des fonctions et à l’accomplissement de la mission confiées au tribunal »[41]. Selon la CRTFP, une telle ingérence se manifesterait sous deux formes. Premièrement, la communication des notes serait une atteinte à la réflexion personnelle des décideurs, puisque cela dévoilerait la démarche intellectuelle qui sous-tend leur décision. Deuxièmement, il est probable que les décideurs modifieraient alors la manière dont ils parviennent à leurs décisions afin d’éviter toute contestation ou toutes questions que pourrait soulever une mauvaise interprétation des notes qu’ils ont consignées[42].

III.        Analyse

La présente demande, déposée par le Commissaire à la protection de la vie privée et tendant à la communication des notes prises à l’audience par des membres du CCRT, soulève plusieurs problèmes complexes, dont certains ont trait à l’interprétation des lois. Les notes, par exemple, sont-elles comprises dans ce que la Loi appelle « renseignements personnels ». Si oui, peut-on dire qu’il s’agit de documents « relevant d’une institution fédérale » au sens où cette expression, tirée de la Loi, est comprise? Il ne me semble y avoir aucune solution simple à ces problèmes d’interprétation des lois et j’estime qu’on ne peut pas les résoudre isolément, car la demande présentée par le Commissaire soulève des questions encore plus essentielles. Le Commissaire met en effet en cause les fondements du principe bien établi voulant que les décideurs soient libres d’entendre et de trancher les affaires dont ils sont saisis sans avoir à subir, pour quelque raison que ce soit, une influence extrinsèque, ce principe ayant pour corollaire que le processus décisionnel ne doit être soumis à aucune ingérence de l’extérieur[43]. Selon les tribunaux, cette nécessaire indépendance constitue une règle de justice naturelle à laquelle les tribunaux de l’ordre administratif sont eux-mêmes tenus sous réserve de leur supervision par les tribunaux de l’ordre judiciaire. Se fondant sur l’amplitude considérable du champ d’application dont le législateur a doté la Loi sur la protection des renseignements personnels, ainsi que sur l’interprétation très large que les tribunaux en ont faite, le Commissaire soutient que le législateur a voulu que l’on puisse, en se fondant sur la Loi sur la protection des renseignements personnels, obtenir la communication de notes prises par les décideurs siégeant au sein de tribunaux administratifs, ce qui aurait pour effet de subordonner aux droits dont bénéficient, au niveau des renseignements personnels, les personnes comparaissant devant eux, la protection dont les décideurs bénéficient depuis longtemps contre toute ingérence dans la démarche intellectuelle qui les amène à une décision.

Cela étant, il me semble devoir situer la question dans son contexte en examinant assez longuement le problème fondamental de l’effet que la divulgation de notes pourrait avoir sur l’indépendance des membres du CCRT, et la question connexe de l’exception prévue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi. Avant de ce faire, cependant, il serait utile de rappeler les dispositions pertinentes de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur l’accès à l’information[44] et de se pencher brièvement sur la manière dont, jusqu’ici, les tribunaux ont interprété ces deux textes.

1.         Dispositions législatives

a)         Loi sur l’accès à l’information

L’objet de la Loi sur l’accès à l’information est exposé en son article 2 :

2. (1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

(2) La présente loi vise à compléter les modalités d’accès aux documents de l’administration fédérale; elle ne vise pas à restreindre l’accès aux renseignements que les institutions fédérales mettent normalement à la disposition du grand public.

C’est à l’article 4 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144] qu’est défini le droit d’accès reconnu par la Loi sur l’accès à l’information :

4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l’accès aux documents relevant d’une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande :

a) les citoyens canadiens;

b) les résidents permanents au sens de la Loi sur l’immigration.

(2) Le gouverneur en conseil peut, par décret, étendre, conditionnellement ou non, le droit d’accès visé au paragraphe (1) à des personnes autres que celles qui y sont mentionnées.

(3) Pour l’application de la présente loi, les documents qu’il est possible de préparer à partir d’un document informatisé relevant d’une institution fédérale sont eux-mêmes considérés comme relevant de celle-ci, même s’ils n’existent pas en tant que tels au moment où ils font l’objet d’une demande de communication. La présente disposition ne vaut que sous réserve des restrictions réglementaires éventuellement applicables à la possibilité de préparer les documents et que si l’institution a normalement à sa disposition le matériel, le logiciel et les compétences techniques nécessaires à la préparation.

Ainsi, la Loi sur l’accès à l’information, qui s’applique nonobstant les dispositions de toute autre loi, confère un droit d’accès aux documents « relevant d’une institution fédérale ». Selon la définition qui en est donnée, on entend par « document » :

3.

« document » Tous éléments d’information … notamment correspondance, note, livre, plan, carte, dessin, diagramme, illustration ou graphique, photographie, film, microformule, enregistrement sonore, magnétoscopique ou informatisé ou toute reproduction de ces éléments d’information[45];

Les institutions fédérales auxquelles s’appliquent les règles de l’accès à l’information comprennent tout ministère ou département d’État relevant du gouvernement du Canada, ou tout organisme figurant à l’annexe I de la Loi sur l’accès à l’information[46]. Or, figurent à l’annexe I, le CCRT, le TCCE [ajouté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 47, art. 52], l’ONT [ajouté idem, ch. 28, art. 274] et la CRTFP. Les tribunaux judiciaires, y compris la Cour fédérale du Canada, n’y figurent pas.

La Loi sur l’accès à l’information exempte certains types de renseignements documentaires du droit d’accès largement défini que reconnaît l’article 4. Certaines exemptions prévues par la Loi sur l’accès à l’information sont obligatoires. L’article 19, par exemple, prévoit que les documents contenant les « renseignements personnels » visés dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, ne pourront généralement pas être communiqués :

19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

(2) Le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où :

a) l’individu qu’ils concernent y consent;

b) le public y a accès;

c) la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

D’autres exemptions sont de nature discrétionnaire. L’article 21 de la Loi sur l’accès à l’information, par exemple, prévoit que le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents rendant compte de consultations ou de délibérations où sont concernés des cadres ou employés d’une institution fédérale :

21. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents datés de moins de vingt ans lors de la demande et contenant :

a) des avis ou recommandations élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre;

b) des comptes rendus de consultations ou délibérations où sont concernés des cadres ou employés d’une institution fédérale, un ministre ou son personnel;

c) des projets préparés ou des renseignements portant sur des positions envisagées dans le cadre de négociations menées ou à mener par le gouvernement du Canada ou en son nom, ainsi que des renseignements portant sur les considérations qui y sont liées;

d) des projets relatifs à la gestion du personnel ou à l’administration d’une institution fédérale et qui n’ont pas encore été mis en œuvre.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux documents contenant :

a) le compte rendu ou l’exposé des motifs d’une décision qui est prise dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ou rendue dans l’exercice d’une fonction judiciaire ou quasi-judiciaire et qui touche les droits d’une personne;

b) le rapport établi par un consultant ou conseiller à une époque où il n’appartient pas au personnel d’une institution fédérale ou d’un ministre.

On trouve une autre exemption à l’article 16 au sujet des renseignements obtenus ou préparés par une institution fédérale qui constitue un organisme d’enquête et dont la divulgation risquerait vraisemblablement, entre autres, de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales. Voici ce que prévoit l’article 16 :

16. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents :

c) contenant des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d’enquêtes licites, notamment :

(i) des renseignements relatifs à l’existence ou à la nature d’une enquête déterminée,

(ii) des renseignements qui permettraient de remonter à une source de renseignements confidentielle,

(iii) des renseignements obtenus ou préparés au cours d’une enquête; …

En cas de demande de communication d’un document en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, le responsable de l’institution fédérale qui reçoit la demande doit répondre par écrit pour indiquer s’il communiquera ou non le document voulu. Si oui, le responsable de l’institution fédérale doit donner communication au demandeur[47]. Lorsqu’une institution fédérale refuse de donner communication des dossiers demandés, le responsable de l’institution doit, dans sa réponse au demandeur, indiquer si le dossier n’existe pas ou, alors, citer les dispositions précises de la Loi sur l’accès à l’information qui fondent son refus[48].

La Loi sur l’accès à l’information porte création d’un Commissariat à l’information[49]. L’une des principales fonctions du Commissaire à l’information consiste à recevoir et à enquêter sur les plaintes déposées par ceux à qui l’on a refusé de communiquer des documents qu’ils avaient demandés en vertu de la Loi sur l’accès à l’information[50]. Si le Commissaire à l’information estime que la plainte est fondée, il transmet au responsable de l’institution fédérale dont relève le dossier en question un rapport des conclusions de son enquête[51]. Si le responsable de l’institution fédérale refuse de donner communication d’un dossier demandé en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, l’auteur de la plainte a le droit de solliciter de la Cour fédérale le contrôle judiciaire de la décision de refus. Le Commissaire à l’information peut, lui aussi, avec le consentement de l’intéressé, solliciter le contrôle judiciaire de la décision de refus[52].

La Loi sur l’accès à l’information prévoit donc un mécanisme permettant d’obtenir la communication de dossiers relevant d’une institution fédérale, et impose en même temps aux institutions fédérales et au ministre désigné certaines obligations. L’article 70, par exemple, dispose que :

70. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le ministre désigné est responsable :

a) du contrôle des modalités de tenue et de gestion des documents relevant des institutions fédérales dans le but d’en assurer la conformité avec la présente loi et ses règlements;

b) de l’établissement des formulaires nécessaires à la mise en œuvre de la présente loi et de ses règlements;

c) de la rédaction des instructions et directives nécessaires à la mise en œuvre de la présente loi et de ses règlements et de leur diffusion auprès des institutions fédérales;

d) de la détermination de la forme et du fond des rapports au Parlement visés à l’article 72.

Le responsable de chaque institution fédérale doit également remettre au Parlement un rapport annuel sur la manière dont est administrée, au sein de l’institution, la Loi sur l’accès à l’information[53].

b)         La Loi sur la protection des renseignements personnels

L’objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels est énoncé à l’article 2 de la Loi :

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en matière de protection des renseignements personnels relevant des institutions fédérales et de droit d’accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent.

Notons qu’avant l’adoption de la Loi sur la protection des renseignements personnels, la protection, en matière de renseignements personnels, de la vie privée des gens, était assurée par la partie IV de la Loi canadienne sur les droits de la personne, partie ayant pour titre « Protection des renseignements personnels »[54]. Selon le paragraphe 2(b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la partie IV de cette Loi a pour objet de donner effet aux principes suivants :

2.

b) les individus ont droit à la vie privée et ils ont droit d’accès aux dossiers qui contiennent des renseignements personnels les concernant à toutes fins, notamment pour s’assurer qu’ils sont complets et que les renseignements qu’ils contiennent sont exacts, et ce dans toute la mesure compatible avec l’intérêt public.

Le droit d’accès reconnu par la Loi aux individus est défini à l’article 12 :

12. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, tout citoyen canadien et tout résident permanent, au sens de la Loi sur l’immigration, a le droit de se faire communiquer sur demande :

a) les renseignements personnels le concernant et versés dans un fichier de renseignements personnels;

b) les autres renseignements personnels le concernant et relevant d’une institution fédérale, dans la mesure où il peut fournir sur leur localisation des indications suffisamment précises pour que l’institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux.

(2) Tout individu qui reçoit communication, en vertu de l’alinéa (1)a), de renseignements personnels qui ont été, sont ou peuvent être utilisés à des fins administratives, a le droit :

a) de demander la correction des renseignements personnels le concernant qui, selon lui, sont erronés ou incomplets;

b) d’exiger, s’il y a lieu, qu’il soit fait mention des corrections qui ont été demandées mais non effectuées;

c) d’exiger :

(i) que toute personne ou tout organisme à qui ces renseignements ont été communiqués pour servir à des fins administratives dans les deux ans précédant la demande de correction ou de mention des corrections non effectuées soient avisés de la correction ou de la mention,

(ii) que l’organisme, s’il s’agit d’une institution fédérale, effectue la correction ou porte la mention sur toute copie de document contenant les renseignements qui relèvent de lui.

(3) Le gouverneur en conseil peut, par décret, étendre, conditionnellement ou non, le droit d’accès visé au paragraphe (1) à des individus autres que ceux qui y sont mentionnés.

L’article 12 de la Loi donne aux individus accès aux renseignements personnels les concernant. À l’instar de la Loi sur l’accès à l’information, la Loi s’applique aux renseignements « relevant d’une institution fédérale ». Les institutions fédérales auxquelles la Loi s’applique figurent à l’annexe I de la Loi. Comme dans la Loi sur l’accès à l’information, le CCRT, le TCCE, l’ONT et la CRTFP y figurent, mais non les tribunaux judiciaires.

Non seulement les renseignements concernés doivent-ils relever d’une institution fédérale, mais encore doivent-ils être des renseignements « personnels ». La notion de « renseignements personnels » est définie à l’article 3 :

3.

« renseignements personnels » Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment :

a) les renseignements relatifs à sa race, à son origine nationale ou ethnique, à sa couleur, à sa religion, à son âge ou à sa situation de famille;

b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;

c) tout numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice, qui lui est propre;

d) son adresse, ses empreintes digitales ou son groupe sanguin;

e) ses opinions ou ses idées personnelles, à l’exclusion de celles qui portent sur un autre individu ou sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à octroyer à un autre individu par une institution fédérale, ou subdivision de celle-ci visée par règlement;

f) toute correspondance de nature, implicitement ou explicitement, privée ou confidentielle envoyée par lui à une institution fédérale, ainsi que les réponses de l’institution dans la mesure où elles révèlent le contenu de la correspondance de l’expéditeur;

g) les idées ou opinions d’autrui sur lui;

h) les idées ou opinions d’un autre individu qui portent sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à lui octroyer par une institution, ou subdivision de celle-ci, visée à l’alinéa e), à l’exclusion du nom de cet autre individu si ce nom est mentionné avec les idées ou opinions;

i) son nom lorsque celui-ci est mentionné avec d’autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet;

toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment :

(i) le fait même qu’il est ou a été employé par l’institution;

(ii) son titre et les [sic] adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail,

(iii) la classification, l’éventail des salaires et les attributions de son poste,

(iv) son nom lorsque celui-ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi,

(v) les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de son emploi;

k) un individu qui a conclu un contrat de prestation de services avec une institution fédérale et portant sur la nature de la prestation, notamment les conditions du contrat, le nom de l’individu ainsi que les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de la prestation;

l) des avantages financiers facultatifs, notamment la délivrance d’un permis ou d’une licence accordés à un individu, y compris le nom de celui-ci et la nature précise de ces avantages;

m) un individu décédé depuis plus de vingt ans.

L’article 12 confère non seulement un droit d’accès largement défini aux « renseignements personnels », mais également un droit d’accès aux renseignements personnels versés dans un fichier de renseignements personnels. C’est à l’article 10 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 1, art. 12] de la Loi que se trouve défini ce qu’on doit entendre par « fichier de renseignements personnels », c’est-à-dire :

10. (1) Le responsable d’une institution fédérale veille à ce que soient versés dans des fichiers de renseignements personnels tous les renseignements personnels qui relèvent de son institution et qui :

a) ont été, sont ou peuvent être utilisés à des fins administratives;

b) sont marqués de façon à pouvoir être retrouvés par référence au nom d’un individu ou à un numéro, symbole ou autre indication identificatrice propre à cet individu.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux renseignements personnels qui relèvent des Archives publiques et qui y ont été versés par une institution fédérale pour dépôt ou à des fins historiques[55].

L’expression « fins administratives » est définie à l’article 3 de la Loi :

« fins administratives » Destination de l’usage de renseignements personnels concernant un individu dans le cadre d’une décision le touchant directement.

Le paragraphe 12(2) de la Loi précise ce qu’un individu est en droit de faire des renseignements personnels auxquels il a accès en vertu de la Loi. C’est ainsi que l’on peut demander que des corrections soient apportées à ces renseignements personnels ou qu’il soit fait mention des corrections qui ont été demandées lorsque l’intéressé estime que les renseignements sont erronés ou incomplets. Chacun peut également exiger que toute personne ou tout organisme à qui ces renseignements ont été communiqués dans les deux ans précédant la demande de correction soit avisé de la correction ou de la mention.

La Loi contient également des dispositions de portée générale permettant d’assurer que la collecte, la conservation et le retrait de renseignements personnels par des institutions fédérales se fait correctement et de veiller à l’exactitude de ces renseignements[56]. C’est ainsi que, par exemple, l’article 4 de la Loi prévoit que :

4. Les seuls renseignements personnels que peut recueillir une institution fédérale sont ceux qui ont un lien direct avec ses programmes ou ses activités.

L’article 6 de la Loi s’applique à la conservation, à l’exactitude et au retrait des renseignements personnels :

6. (1) Les renseignements personnels utilisés par une institution fédérale à des fins administratives doivent être conservés après usage par l’institution pendant une période, déterminée par règlement, suffisamment longue pour permettre à l’individu qu’ils concernent d’exercer son droit d’accès à ces renseignements.

(2) Une institution fédérale est tenue de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements personnels qu’elle utilise à des fins administratives soient à jour, exacts et complets.

(3) Une institution fédérale procède au retrait des renseignements personnels qui relèvent d’elle conformément aux règlements et aux instructions ou directives applicables du ministre désigné.

L’obligation qu’ont les institutions fédérales, de conserver les renseignements personnels est définie de manière plus précise dans le Règlement sur la protection des renseignements personnels[57]. L’article 4 du Règlement prévoit notamment :

4. (1) Les renseignements personnels utilisés par une institution fédérale à des fins administratives doivent être conservés par cette institution :

a) pendant au moins deux ans après la dernière fois où ces renseignements ont été utilisés à des fins administratives, à moins que l’individu qu’ils concernent ne consente à leur retrait du fichier; et

b) dans les cas où une demande d’accès à ces renseignements a été reçue, jusqu’à ce que son auteur ait eu la possibilité d’exercer tous ses droits en vertu de la Loi.

Les paragraphes 7 et 8 [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 20, art. 13; (3e suppl.), ch. 1, art. 12] de la Loi permettent d’assurer que les renseignements personnels relevant d’une institution fédérale ne serviront qu’aux fins pour lesquelles les renseignements ont été obtenus ou réunis par l’institution et que ces renseignements ne seront divulgués qu’avec le consentement de l’individu concerné ou conformément aux conditions fixées au paragraphe 8(2).

À l’instar de la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit plusieurs exemptions permettant au responsable d’une institution fédérale de refuser de communiquer les renseignements personnels demandés au titre du paragraphe 12(1). Selon l’article 21, le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de renseignements personnels dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada, ou à ses efforts de détection, de prévention ou de répression d’activités hostiles ou subversives. L’article 22 prévoit une exemption analogue à celle de l’article 16 de la Loi sur l’accès à l’information. Cette disposition prévoit notamment que :

22. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) :

b) soit dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d’enquêtes licites, notamment :

(i) des renseignements relatifs à l’existence ou à la nature d’une enquête déterminée,

(ii) des renseignements qui permettraient de remonter à une source de renseignements confidentielle,

(iii) des renseignements obtenus ou préparés au cours d’une enquête; …

Le gouverneur en conseil peut désigner « fichiers inconsultables » des fichiers de renseignements personnels qui sont formés de dossiers dans chacun desquels dominent les renseignements visés aux articles 21 et 22[58].

La Loi a porté création d’un Commissariat à la protection de la vie privée[59]. Les pouvoirs et fonctions du Commissaire à la protection de la vie privée sont analogues à ceux que la Loi sur l’accès à l’information confère au Commissaire à l’information. Le Commissaire reçoit et enquête sur les plaintes qui lui sont soumises, notamment par des individus à qui l’on a refusé de communiquer des renseignements personnels qu’ils avaient demandés en vertu du paragraphe 12(1)[60]. Ainsi que la Loi sur l’accès à l’information le prévoit pour le Commissaire à l’information, le Commissaire à la protection de la vie privée doit transmettre au responsable de l’institution fédérale dont relèvent les renseignements personnels en question un rapport des conclusions de l’enquête s’il estime que la plainte est fondée[61]. Si, après enquête sur une plainte déposée à la suite d’un refus de communiquer des renseignements personnels demandés en vertu de la Loi, l’auteur de la plainte se voit toujours refuser l’accès aux renseignements en question, il a le droit de solliciter de la Cour fédérale le contrôle judiciaire de la décision de refus[62]. Avec le consentement de l’intéressé, le Commissaire peut, lui aussi, demander le contrôle judiciaire de la décision de refus[63].

Le Commissaire a non seulement le pouvoir d’enquêter sur une plainte, mais aussi de larges pouvoirs lui permettant de veiller au respect des dispositions de la Loi par les institutions fédérales. C’est ainsi que le paragraphe 37(1) de la Loi prévoit que :

37. (1) Pour le contrôle d’application des articles 4 à 8, le Commissaire à la protection de la vie privée peut, à son appréciation, tenir des enquêtes quant aux renseignements personnels qui relèvent des institutions fédérales.

Le Commissaire peut donc mener les enquêtes nécessaires pour assurer qu’en ce qui concerne la collecte, la conservation, le retrait, l’utilisation, la communication et l’exactitude des renseignements personnels relevant d’elles, les institutions fédérales se conforment aux dispositions de la Loi[64].

c)         Interprétation de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels

Il est acquis que les dispositions de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels doivent être interprétées de manière libérale et fondée sur l’objet visé de ces deux textes de loi. Dans l’affaire Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics) la Cour d’appel, se penchant sur l’interprétation qu’il convenait de donner du mot « relevant » qui figure dans la Loi sur l’accès à l’information, a décidé à la majorité que :

… il incombe tout autant aux cours de justice de donner au paragraphe 4(1) de la Loi sur l’accès à l’information une interprétation libérale et fondée sur l’objet visé, sans ajouter des termes restrictifs qui ne se trouvent pas dans la Loi ou autrement contourner la volonté du législateur, qu’« il incombe aux commissions et aux cours de justice » ainsi que le juge en chef Lamer de la Cour suprême du Canada nous l’a rappelé au sujet de la Loi canadienne sur les droits de la personne, « de donner à l’article 3 une interprétation libérale et fondée sur l’objet visé, sans faire abstraction des termes restrictifs de la Loi ni autrement contourner la volonté de la législature. [Souligné dans l’original, mais les renvois sont omis[65].]

Cette interprétation libérale, fondée sur l’objet même de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, est notamment illustrée par la manière dont la Cour a abordé la question de l’interprétation des exemptions aux droits reconnus en matière d’accès par ces deux textes de loi. Dans l’affaire Rubin c. Canada (Société canadienne d’hypothèques et de logement), la Cour d’appel a décidé que, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’il a, en vertu du paragraphe 21(1) de la Loi sur l’accès à l’information, de refuser de communiquer les renseignements demandés au titre de cette Loi, le responsable administratif d’une institution fédérale doit tenir compte de l’économie et de l’objet de la Loi[66]. Le juge Heald, de la Cour d’appel, a notamment déclaré que :

Lorsqu’on se rappelle que le paragraphe 4(1) de la Loi confère aux citoyens canadiens et aux résidents permanents un droit général d’accès et que les exemptions à cette règle doivent être précises et limitées, le législateur a, à mon avis, clairement voulu que les exemptions fassent l’objet d’une interprétation stricte[67].

Quant à la question de savoir à qui incombe la preuve qu’une exemption peut effectivement être invoquée, Sa Seigneurie a jugé que :

La communication est la règle générale et l’exemption, l’exception, et c’est à ceux qui réclament l’exemption de prouver leur droit à cet égard[68].

Le rejet, par la Cour, d’une interprétation trop restrictive de l’expression « renseignements personnels » illustre bien l’approche libérale du problème de l’interprétation des lois dans le contexte de la Loi sur la protection des renseignements personnels, approche s’inspirant essentiellement de l’objet même du texte. Dans l’affaire Dagg. c. Canada (Ministre des Finances), la Cour d’appel a décidé que c’est à mauvais escient que le juge des requêtes avait conclu que seuls pouvaient être considérés comme des renseignements personnels aux termes de la Loi, ceux dont la « caractéristique prédominante » était de nature personnelle[69]. Le juge en chef Isaac a affirmé :

En ajoutant le « critère de la caractéristique prédominante », le juge des requêtes a tenté sans raison valable de modifier la définition de l’expression « renseignements personnels », ce qui va à l’encontre de l’avertissement formulé par la Section de première instance de la Cour dans l’affaire Rubin c. Canada (Conseil privé, Greffier) (1993), 48 C.P.R. (3d) 337, aux pages 343 et 344 :

Bien qu’il soit un lieu commun de dire que les tribunaux ont pour responsabilité d’interpréter les lois, seul un primitif naïf penserait qu’il leur est loisible d’en faire ce qu’ils veulent. Ils doivent se contrôler eux-mêmes et ne doivent pas traiter à la légère la volonté du législateur telle qu’elle s’exprime dans les lois qu’il adopte. Il ne faut jamais qu’ils se laissent aller, même sans s’en rendre compte, à faire fi du législateur puisque ce pays est fondé sur les principes de l’État de droit[70].

Dans l’affaire Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Solliciteur général), examinant le paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information [S.C. 1980-81-82-83, ch. 111, ann. I], qui prévoit la non-divulgation de renseignements personnels, le juge en chef adjoint Jerome a affirmé que :

L’objectif du paragraphe 19(1), dans lequel se retrouve l’article 3 de la Loi sur les renseignements personnels, est clairement de protéger la vie privée ou l’identité des individus dont le nom peut être mentionné dans des documents qui peuvent par ailleurs être communiqués. Je constate que la définition de l’expression renseignements personnels est délibérément large. Elle illustre tout à fait les efforts considérables qui ont été déployés pour protéger l’identité des individus[71].

Dans l’affaire Sutherland c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), le juge Rothstein, interprétant la définition de « renseignements personnels », a retenu un critère analogue à celui qui avait été appliqué, en matière de communication de documents au titre de la Loi sur l’accès à l’information, par la Cour d’appel dans l’affaire SCHL :

Étant donné que la Loi sur la protection des renseignements personnels vise à protéger les « renseignements personnels », les renseignements concernant des individus identifiables sont, en règle générale, des « renseignements personnels »; ce n’est que dans le cas où une exception précise s’appliquerait, qu’il ne s’agirait pas de « renseignements personnels »[72].

Cette approche libérale, fondée sur l’objet même de la loi, et que la Cour a retenue dans l’interprétation aussi bien de la Loi sur l’accès à l’information que de la Loi sur la protection des renseignements personnels, est en partie due au statut particulier reconnu aux deux textes. Selon le paragraphe 4(1) de la Loi sur l’accès à l’information, celle-ci s’applique « nonobstant toute autre loi fédérale », ce qui confère au texte un statut quasi constitutionnel. L’adoption, par le Parlement, de la partie IV de la Loi canadienne sur les droits de la personne, remplacée depuis par la Loi sur la protection des renseignements personnels, montre toute l’importance qu’on accorde à la protection de la vie privée des individus. Compte tenu de cette origine législative quasi constitutionnelle de la Loi sur la protection des renseignements personnels, c’est à juste titre qu’on l’interprète en fonction de son objet.

La Cour a rappelé, à plusieurs occasions que la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels doivent être interprétées ensemble. Dans l’affaire Bombardier c. Commission de la Fonction Publique du Canada, le requérant avait demandé, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, la communication de la grille de correction ainsi que de l’original d’un examen que lui avait administré un organisme de la fonction publique[73]. Le requérant soutenait qu’une disposition de la Loi sur l’accès à l’information, autorisant les institutions fédérales à protéger la confidentialité de tels examens, ne s’appliquait pas puisque sa demande de communication était fondée sur la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le juge Addy a considéré l’argument irrecevable pour les raisons suivantes :

Toute loi doit être interprétée en tenant compte des autres lois traitant du même sujet ou d’un sujet connexe.

Si j’accordais en l’occurrence au mot « leur support » l’interprétation préconisée par le requérant de façon à inclure le texte intégral des épreuves « in basket » et de la grille de correction, l’intention du législateur telle qu’exprimée dans l’art. 22 de la Loi sur l’accès à l’information serait non seulement infirmée mais annulée et l’article deviendrait inopérant puisque toute personne ayant subi un essai, un examen ou une épreuve jouirait d’un droit absolu d’en obtenir communication intégrale grâce aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels[74].

Plus récemment, dans l’affaire Dagg c. Canada (Ministre des Finances), la Cour d’appel fédérale s’est demandée si, dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, l’expression « renseignements personnels » devait être interprétée restrictivement afin de ne pas nuire aux droits que confère aux citoyens la Loi sur l’accès à l’information[75]. Le juge en chef Isaac a ainsi déclaré :

Le Parlement a édicté la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels comme annexes à la Loi édictant la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels modifiant la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la Cour fédérale et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois (S.C. 1980-81-82-83, ch. 111, ann. I et II), qui sont entrées en vigueur en même temps. Les objets qu’elles visent ne sont pas obscurs. Le paragraphe 2(1) de la Loi sur l’accès à l’information énonce que cette Loi vise à assurer au public l’accès aux documents de l’administration fédérale conformément aux principes exprimés dans la Loi et sous réserve des exceptions précises et limitées qui y sont prévues. L’article 19 de cette Loi, qui concerne les « renseignements personnels », ne décrit que l’une des nombreuses « exceptions précises et limitées » prévues dans la Loi. De la même façon, l’objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels est énoncé en termes clairs à l’article 2 de cette Loi. Cet objet consiste à assurer la protection de la vie privée d’individus en ce qui concerne des « renseignements personnels » relevant des institutions fédérales ainsi qu’à fournir à ces individus un droit d’accès à ces renseignements.

Il est évident que les deux lois doivent être lues ensemble, étant donné que l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information intègre par renvoi certaines dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Néanmoins, aucune disposition de l’une ou l’autre de ces lois ne donne à entendre que l’une est subordonnée à l’autre. Toutes deux ont la même importance et aucune ne doit l’emporter sur l’autre. Il est indéniable qu’elles sont complémentaires et doivent être interprétées de façon harmonieuse, conformément aux principes d’interprétation législative bien reconnus, de façon à donner effet à l’intention déclarée du Parlement et à assurer la réalisation des objectifs qu’il a énoncés[76].

En ce qui concerne l’opinion qu’a exprimée le juge des requêtes, selon qui la Loi sur l’accès à l’information doit primer, la Loi sur la protection des renseignements personnels se voyant reconnaître un champ plus étroit et plus limité, le chef en chef Isaac a déclaré :

Ce raisonnement va également à l’encontre de l’intention du Parlement que le ministre des Communications a exprimée lorsqu’il a déposé le projet de loi en troisième lecture à la Chambre des communes. Voici ce qu’il a dit (Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. XVI, 1re sess., 32e lég., à la p. 18853) :

En combinant les dispositions relatives à l’accès à l’information et la mesure sur la protection des renseignements personnels dans un seul bill, nous avons pu intégrer entièrement ces deux mesures complémentaires.

On a créé des droits parallèles pour l’accès aux renseignements détenus par le gouvernement et l’examen des décisions visant à refuser l’accès à l’information … Par conséquent, l’expression « renseignements personnels » signifie la même chose dans la loi sur la protection des renseignements personnels et dans la loi sur l’accès à l’information.

D’autre part, la partie du projet de loi concernant l’accès à l’information prévoit la divulgation de certains renseignements suivant les principes établis dans la partie concernant la protection des renseignements personnels. Cela permettra d’adopter une politique uniforme à l’égard des renseignements personnels, ce qui nous évitera de faire comme dans certains pays où il y a contradiction entre le droit à la protection des renseignements personnels et le droit d’accès à l’information gouvernementale[77].

2.         L’exemption

Pour les intimés et les intervenants, la communication des notes des membres du CCRT « risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales » au sens de l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, en portant atteinte à l’indépendance et à la liberté intellectuelle de décideurs quasi-judiciaires exerçant leurs fonctions dans le cadre du Code canadien du travail, en divulguant leur démarche intellectuelle personnelle et en les portant à modifier la manière dont ils parviennent à leurs décisions.

a)         La charge de la preuve aux termes de l’alinéa 22(1)b) de la Loi

L’alinéa 22(1)b) de la Loi dispose que :

22. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) :

b) soit dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d’enquêtes licites, notamment :

(i) des renseignements relatifs à l’existence ou à la nature d’une enquête déterminée,

(ii) des renseignements qui permettraient de remonter à une source de renseignements confidentielle,

(iii) des renseignements obtenus ou préparés au cours d’une enquête; …

Par son libellé et sa teneur, cette exemption ressemble de près à l’exemption prévue dans la Loi sur l’accès à l’information pour les renseignements touchant un tiers, exemption sur laquelle la Cour d’appel fédérale a eu l’occasion de se pencher dans l’affaire Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l’Agriculture)[78]. Les alinéas 20(1)c) et d) de la Loi sur l’accès à l’information disposent que :

20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrat ou à d’autres fins.

Se prononçant au nom de la Cour d’appel, le juge MacGuigan a estimé que, compte tenu du principe énoncé à l’article 2 de la Loi sur l’accès à l’information, selon lequel cette Loi doit être interprétée selon le principe que les exceptions au droit du public à la communication de documents de l’administration fédérale doivent être « précises et limitées », les alinéas 20(1)c) et d) doivent s’interpréter comme imposant, à la partie invoquant l’exception, l’obligation de démontrer que la divulgation des documents pose un « risque vraisemblable de préjudice probable»[79]. C’est donc ici à l’intimé de démontrer que la communication des notes risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter le Code canadien du travail.

Dans l’affaire Kaiser c. Canada (Ministre du Revenu nationalM.R.N.), le juge Rothstein a ordonné la divulgation de renseignements relevant du ministre du Revenu national, celui-ci n’ayant pas, comme il était tenu de le faire en vertu de l’alinéa 22(1)b) de la Loi, démontré la nécessité de la confidentialité qu’il invoquait en soutenant que la divulgation des renseignements en question risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter la Loi de l’impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1][80]. Examinant la question du fardeau de la preuve, le juge Rothstein a estimé que :

Il doit expliquer à la Cour les raisons pour lesquelles la divulgation de l’information visée risquerait vraisemblablement d’entraîner le préjudice supposé. Il ne s’agit pas d’un cas ou le préjudice voulant résulter d’une divulgation va de soi. L’intimé m’a demandé de présumer qu’un préjudice résultera de la divulgation si telle divulgation a lieu. Pour qu’une telle présomption soit possible, les explications fournies par l’intimée doivent montrer sans équivoque l’existence d’un lien entre la divulgation et le préjudice supposé, au point de justifier le maintien du caractère confidentiel des renseignements[81].

L’intimé doit donc, en l’espèce, expliquer à la Cour en quoi la divulgation des notes risquerait vraisemblablement d’entraîner une entrave aux mesures destinées à faire respecter le Code canadien du travail.

b)         La position du Commissaire

Tout d’abord, il convient de noter que, depuis le début de l’instance, le Commissaire a défendu la thèse selon laquelle, bien que la divulgation des notes risque effectivement de dévoiler la démarche intellectuelle suivie par les membres du CCRT pour aboutir à leurs décisions, elle n’aurait pas pour effet de nuire aux activités destinées à faire respecter le Code canadien du travail. Les extraits suivants du courrier que le Commissaire a transmis au président du CCRT illustrent bien cette position :

[traduction] D’après moi, rien ne contribue mieux au concept d’audition équitable, conforme aux principes de justice fondamentale, que le droit de prendre connaissance des renseignements qui ont fondé une décision affectant les droits et obligations de l’intéressé. Je ne trouve, dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, rien qui aille à l’encontre de cela, ou qui étaye votre opinion que la Loi ne devrait pas s’appliquer.

Je ne vois pas non plus, bien que vous n’évoquiez pas précisément la question dans votre lettre, comment le fait de transmettre ces notes à l’intéressé entraverait les délibérations du Conseil. J’estime, pour ma part, que la divulgation pourrait même accroître la considération qui s’attache au processus décisionnel du Conseil et par là même favoriser le règlement rapide des contentieux[82].

et

[traduction] Je ne relève l’existence d’aucune disposition qui exclue ou exempte, explicitement ou implicitement, les renseignements en question, le CCRT lui-même, ou les membres de celui-ci, d’une application normale de la Loi. Je ne concède pas non plus, comme j’ai pu vous le dire dans un courrier précédent, que le fait de connaître les renseignements au vu desquels a été prise une décision affectant les droits et les obligations de l’intéressé, nuirait à l’équité fondamentale. Au contraire, j’estime que cela ne pourrait que contribuer à son développement[83].

Dans sa plaidoirie écrite, le Commissaire a maintenu cette position :

[traduction] Je ne relève au dossier aucun élément qui démontre qu’un membre du Conseil se verrait effectivement entravé dans l’exercice de ses fonctions si les renseignements personnels contenus dans ses notes étaient soumis à la procédure prévue par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Ce n’est pas faire honneur aux membres du Conseil que de laisser entendre que la communication de leurs notes les gênerait dans l’exécution correcte de leurs fonctions[84].

et

[traduction] Nous estimons que la faculté, pour les membres du Conseil, d’agir avec indépendance et impartialité, est d’intérêt public et qu’elle est conçue dans l’intérêt des individus et non pour la commodité des membres du Conseil. Il s’agit de donner confiance en l’administration de la justice. Rien ne permet d’affirmer que le fait de communiquer à Gilles Charlebois des renseignements personnels le concernant nuirait à l’ordre public. Au contraire, les membres du Conseil demeurent impartiaux et indépendants, qu’un individu puisse ou non avoir accès aux renseignements personnels le concernant[85].

et

[traduction] Contrairement à la thèse de l’intimé et des intervenants, selon qui la divulgation des notes des membres du Conseil serait source de préjudice, nous estimons que la divulgation des notes des membres du Conseil favoriserait l’administration de la justice en encourageant les membres du Conseil à respecter cette partie de leur activité qui consiste à prendre des notes et qui, comme l’a dit M. Chodos, constitue « une partie essentielle du processus décisionnel »[86].

À la fin de l’audience, l’avocat du Commissaire a en outre fait valoir qu’en l’occurrence la divulgation des notes ne dévoilerait pas la démarche intellectuelle au moyen de laquelle les membres du CCRT parviennent à leurs décisions. Le requérant avait fait allusion à cet argument dans sa plaidoirie écrite :

[traduction] En tout état de cause, l’examen des notes en question permet d’affirmer que le simple fait d’y donner accès au plaignant n’entraînerait pas, comme il est allégué, un préjudice. Rien ne me porte à conclure qu’il y aurait effectivement préjudice[87].

et

[traduction] Rien ne démontre non plus qu’en l’occurrence l’application des dispositions de la Loi porterait à y voir une ingérence dans le processus de décision. On ne saurait tenir pour acquis que la divulgation des renseignements personnels figurant dans les notes des membres du Conseil dévoilerait la démarche intellectuelle d’un membre du tribunal. L’argument voulant qu’en règle générale les renseignements personnels consignés dans les notes ne révèlent rien de l’esprit du décideur est renforcé par cette déclaration de M. Chodos, consignée dans son affidavit :

« Il s’agit de notes manuscrites prises au cours des audiences. Ce n’est pas du tout un compte rendu sténographique des débats. Elles sont consignées dans un style télégraphique, elliptique, et sont, souvent, illisibles pour autrui … C’est dire que ces notes pourraient donner une impression trompeuse de ce qui s’est passé et, en l’absence d’une explication de ma part, elles seraient quasi incompréhensibles »[88].

Je précise d’emblée que je n’accepte pas l’argument du Commissaire, selon qui la présente demande pourrait être tranchée en concluant simplement que les notes n’auraient pas pour effet de révéler le processus par lequel les membres du CCRT parviennent à leurs décisions. D’abord, comme le montrent la correspondance et les plaidoiries écrites citées plus haut, le Commissaire prétend d’une manière générale, que l’indépendance et l’impartialité des membres du CCRT ne seraient en rien affectées par la divulgation des notes. Il fait valoir que le dévoilement de la démarche intellectuelle suivie par les membres du CCRT, loin d’être nuisible, permettrait aussi de dévoiler les « renseignements qui ont fondé une décision affectant les droits et obligations de l’intéressé, » et que cela pourrait même « accroître la considération qui s’attache au processus décisionnel du Conseil » et « favoriserait l’administration de la justice en encourageant les membres du Conseil à respecter cette partie de leur activité qui consiste à prendre des notes… partie essentielle du processus décisionnel. » Il m’est difficile d’admettre la thèse du Commissaire, qui maintient, d’une part, que la divulgation donnerait accès aux renseignements qui ont servi de fondement à la décision, rejetant l’idée, d’autre part, que cela aurait en même temps pour effet de dévoiler la démarche intellectuelle des membres du Conseil. En soutenant cela, le requérant tente en fait de réorienter le débat qui l’oppose jusqu’ici à l’intimé.

Je relève, en second lieu, que, normalement, dans le cadre de son enquête sur la plainte de Charlebois, le Commissaire n’aurait pas eu accès aux notes des membres du CCRT. En l’occurrence, une des collaboratrices du Commissaire a pu examiner les notes, étant bien entendu que cela se ferait sans préjudice. J’estime que le Commissaire est maintenant malvenu à invoquer les résultats de cet examen en prétendant que, « en tout état de cause, l’examen des notes en question a démontré, que le simple fait d’y donner accès ne serait pas, comme il est allégué, source de préjudice ».

Et enfin, même si l’on tient compte de l’examen des notes auquel a pu procéder l’agent chargé de la protection des renseignements personnels et de l’accès à l’information, la preuve démontre bien, d’après moi, que la divulgation des notes révélerait effectivement la démarche intellectuelle des membres du CCRT. Dans son mémoire en date du 29 novembre 1994, l’agent chargé de la protection des renseignements personnels et de l’accès à l’information, Joyce McLean, explique que les notes de Thomas Eberlee, président de la formation de jugement qui a rendu la décision au nom du CCRT, semblaient former un compte rendu de l’audience [traduction] « avec, à l’occasion, des observations d’Eberlee, clairement signalées en tant que telles dans la marge ou entre parenthèses. » Les notes de Mary Rozenberg, membre de la même formation, consistaient également d’un compte rendu de l’audience, Rozenberg signalant ses propres observations par l’utilisation d’encres de différentes couleurs ou en les notant sur un post-it[89]. Dans son affidavit en date du 17 octobre 1995, Philip Chodos, président adjoint de la CRTFP, a déclaré que :

[traduction] 2. La CRTFP est un tribunal administratif exerçant des responsabilités quasi-judiciaires et dont la mission principale est de résoudre des conflits du travail dans la fonction publique fédérale. La procédure devant la CRTFP est contradictoire et les décisions se fondent sur les preuves produites par les parties lors des audiences publiques.

3. En tant que président adjoint de la CRTFP ces sept dernières années, j’ai présidé à de nombreuses audiences et rendu de nombreuses décisions dans le cadre d’affaires fondées sur la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur les relations de travail, la Loi sur les relations de travail au Parlement, et du Code canadien du travail, partie II, dans la mesure où ce texte s’applique à la fonction publique fédérale.

4. Présidant ces audiences, j’ai pris note des preuves et des arguments avancés par les parties pour m’aider moi-même à parvenir à une décision et pour m’aider, après cela, à la mettre sous forme écrite.

5. Il s’agit de notes manuscrites prises au cours des audiences. Ce n’est pas du tout un compte rendu sténographique des débats. Elles sont consignées dans un style télégraphique, elliptique et sont, souvent, illisibles pour autrui. J’utilise de nombreuses abréviations que toute autre personne aurait du mal à déchiffrer. Si les arguments avancés ou la jurisprudence citée me sont déjà connus, il est possible que je n’y fasse même pas allusion dans mes notes. Parfois, dans mes notes, je fais également des observations touchant la crédibilité de certains témoins, la pertinence ou la force de certains arguments ou de certaines thèses. Souvent, ces questions seront résolues au cours de l’audience, bien que cela ne paraisse pas nécessairement au vu de mes notes. C’est dire que ces notes pourraient donner une impression trompeuse de ce qui s’est passé et, en l’absence d’une explication de ma part, seraient quasi incompréhensibles.

6. L’audience terminée, j’utilise les notes que j’ai prises comme aide-mémoire pour la rédaction de ma décision; je considère les notes comme une partie essentielle de la démarche qui me permet d’aboutir à une décision. Je prends également des notes pendant que je prépare ma décision, ces notes comprenant des schémas, des analyses et des projets de décision, tout cela renfermant des renseignements sur les parties comparaissant devant moi. [Non souligné dans l’original][90].

Dans la mesure où les observations que les membres du Conseil font, dans leurs notes, au sujet de la crédibilité d’un témoin ou de la force des arguments avancés à l’audience, sont le reflet de réactions personnelles aux preuves et aux arguments présentés par les parties, et dans la mesure où ces notes sont considérées comme une partie essentielle du processus décisionnel des membres du Conseil, j’estime, après avoir examiné des éléments qui m’ont été présentés, que les notes en question dévoilent effectivement une partie de la démarche intellectuelle et du processus décisionnel des membres du CCRT[91].

c)         La nature du CCRT et les pouvoirs et fonctions de ses membres

Pour dire si la divulgation des notes des membres du CCRT aurait ou non pour effet d’« entraver leur indépendance et leur liberté intellectuelle », il est indispensable de comprendre la nature du Conseil canadien des relations du travail ainsi que des pouvoirs et fonctions de ses membres.

La composition et le fonctionnement du CCRT sont définis à la partie I, section II du Code. Le CCRT comprend un président, un vice-président, des membres à plein temps et des membres à temps partiel[92]. Les membres à plein temps et à temps partiel sont nommés par le gouverneur en conseil, à titre inamovible, pour des mandats ne devant pas dépasser cinq ans et trois ans respectivement, le président et le vice-président étant nommés pour des mandats ne dépassant pas 10 ans[93]. Selon l’article 15 du Code, le CCRT peut prendre des règlements d’application générale concernant :

15.

a) l’établissement de règles de procédure pour ses auditions;

b) la détermination des unités habiles à négocier collectivement;

c) l’accréditation des syndicats à titre d’agents négociateurs d’unités de négociation;

d) la tenue de scrutins de représentation;

g) l’audition ou le règlement des demandes, plaintes, questions, différends ou désaccords dont il peut être saisi;

k) les modalités et délais de présentation des éléments de preuve et renseignements qui peuvent lui être fournis dans le cadre des procédures engagées devant lui;

p) la délégation de ses fonctions et les pouvoirs et obligations des délégataires;

q) toute mesure utile ou connexe à l’exécution de la mission qui lui est confiée par la présente partie[94].

Les divers pouvoirs du CCRT sont décrits à l’article 16 qui dispose que :

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

a) convoquer des témoins et les contraindre à comparaître et à déposer sous serment, oralement ou par écrit, ainsi qu’à produire les documents et pièces qu’il estime nécessaires pour mener à bien ses enquêtes et examens sur les questions de sa compétence;

b) faire prêter serment et recevoir des affirmations solennelles;

c) accepter sous serment, par voie d’affidavit ou sous une autre forme, tous témoignages et renseignements qu’à son appréciation, il juge indiqués, qu’ils soient admissibles ou non en justice;

d) en conformité avec ses règlements, examiner les éléments de preuve qui lui sont présentés sur l’adhésion des employés au syndicat sollicitant l’accréditation;

e) examiner les documents constitutifs ou les statuts ainsi que tout document connexe :

(i) du syndicat ou du regroupement de syndicats sollicitant l’accréditation,

(ii) de tout syndicat membre du regroupement sollicitant l’accréditation;

f) procéder, s’il le juge nécessaire, à l’examen de dossiers ou registres et à la tenue d’enquêtes;

g) obliger un employeur à afficher, en permanence et aux endroits appropriés, les avis qu’il estime nécessaire de porter à l’attention d’employés sur toute question dont il est saisi;

h) sous réserve des restrictions que le gouverneur en conseil peut imposer par règlement en matière de défense ou de sécurité, pénétrer dans des locaux ou terrains de l’employeur où des employés exécutent ou ont exécuté un travail, procéder à l’examen de tout ouvrage, outillage, appareil ou objet s’y trouvant ou travail s’y effectuant, et interroger toute personne sur toute question dont il est saisi;

i) ordonner à tout moment, avant d’y apporter une conclusion définitive :

(i) que soit tenu un scrutin de représentation, ou un scrutin de représentation supplémentaire, au sein des employés concernés par la procédure s’il estime qu’une telle mesure l’aiderait à trancher un point soulevé, ou susceptible de l’être, qu’un tel scrutin de représentation soit ou non prévu pour le cas dans la présente partie,

(ii) que les bulletins de vote déposés au cours d’un scrutin de représentation tenu aux termes du sous-alinéa (i) ou d’une autre disposition de la présente partie soient conservés dans des urnes scellées et ne soient dépouillés que sur son ordre;

j) pénétrer dans les locaux ou terrains d’un employeur pour y tenir des scrutins de représentation pendant les heures de travail;

k) déléguer à quiconque les pouvoirs qu’il détient aux termes des alinéas b) à h) ou j) en exigeant, s’il y a lieu, un rapport de la part du délégataire;

l) suspendre ou remettre la procédure à tout moment;

m) abréger ou proroger les délais applicables à l’introduction de la procédure, à l’accomplissement d’un acte, au dépôt d’un document ou à la présentation d’éléments de preuve;

n) modifier tout document produit ou en permettre la modification;

o) mettre une autre partie en cause à toute étape;

p) trancher, dans le cadre de la présente partie, toute question qui peut se poser à l’occasion de la procédure, et notamment déterminer :

(i) si une personne est un employeur ou un employé,

(ii) si une personne occupe un poste de direction ou un poste de confiance comportant l’accès à des renseignements confidentiels en matière de relations de travail,

(iii) si une personne adhère à un syndicat,

(iv) si une organisation est une organisation patronale, un syndicat ou un regroupement de syndicats,

(v) si un groupe d’employés constitue une unité habile à négocier collectivement,

(vi) si une convention collective a été conclue,

(vii) si une personne ou une organisation est partie à une convention collective ou est liée par celle-ci,

(viii) si une convention collective est en vigueur.

En plus des pouvoirs énumérés à l’article 16 du Code, le CCRT a, en vertu de l’article 18, le pouvoir de :

18. … réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réintroduire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet.

Les décisions et ordonnances du CCRT sont protégées par une clause privative ainsi libellée :

22. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, les ordonnances ou les décisions du Conseil sont définitives et ne sont susceptibles de contestation ou de révision par voie judiciaire que pour les motifs visés aux alinéas 18.1(4)a), b) ou e) de la Loi sur la Cour fédérale et dans le cadre de cette loi.

(2) Sauf exception prévue au paragraphe (1), l’action—décision, ordonnance ou procédure—du Conseil, dans la mesure où elle est censée s’exercer dans le cadre de la présente partie, ne peut, pour quelque motif, y compris celui de l’excès de pouvoir ou de l’incompétence à une étape quelconque de la procédure :

a) être contestée, révisée, empêchée ou limitée;

b) faire l’objet d’un recours judiciaire, notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto[95].

L’article 22 restreint les motifs qui permettent aux tribunaux judiciaires de contrôler les décisions du CCRT. L’article 22 exclut même des motifs possibles de contrôle judiciaire, ceux que prévoient les alinéas 18.1(4)c) et d) de la Loi sur la Cour fédérale, c’est-à-dire l’erreur de droit et la conclusion de fait erronée. Les membres du CCRT sont donc, en dernier ressort, juges des faits dans les affaires dont ils sont saisis en vertu du Code, et les décisions qu’ils rendent sur les questions de droit relevant de la compétence que leur confère le Code, sont définitives.

C’est dans ce contexte législatif que la formation de trois membres du CCRT a entendu et tranché la plainte déposée par Charlebois en vertu de l’article 97, le plaignant invoquant une violation de l’article 37 du Code[96]. Dans son récent arrêt Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail)[97], la Cour suprême a eu à se pencher sur la nature du Conseil canadien des relations du travail et sur les pouvoirs et obligations de ses membres en matière de plaintes fondées sur l’article 97 du Code. Dans l’affaire Société Radio-Canada, l’Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists avait déposé une plainte auprès du CCRT, affirmant que la SRC s’était immiscée dans les activités d’un syndicat, contrairement à l’alinéa 94(1)a) du Code, en obligeant un journaliste à choisir entre son poste d’animateur d’un programme de radio et son rôle de président d’un syndicat. Le CCRT avait conclu, à la majorité, que la SRC avait enfreint les règles qui régissent les relations de travail. La Cour suprême s’est notamment prononcée sur la question de savoir quel était, pour contester la conclusion du Conseil, le critère applicable en matière de contrôle judiciaire.

La Cour a décidé, à la majorité, qu’en concluant à une violation des règles régissant les relations de travail, le Conseil s’était prononcé sur une question de droit relevant de ses attributions et que, en matière de contrôle judiciaire, le critère d’intervention serait celui du caractère manifestement déraisonnable de la décision. La Cour a ainsi écarté l’argument de la SRC, selon lequel en décidant que la SRC s’était immiscée dans l’administration d’un syndicat, le CCRT s’était prononcé sur une question de « compétence ». Ce faisant, la Cour suprême a adopté une approche pragmatique et fonctionnelle, retenant notamment l’objet de la loi portant création de ce tribunal administratif, sa raison d’être et le domaine de connaissance propres à ses membres[98]. Dans des motifs auxquels a souscrit une majorité des membres de la Cour, le juge Iacobucci estime que :

Le tribunal des relations du travail, qu’on trouve aux niveaux fédéral et provincial, est un exemple classique d’organisme administratif qui est à la fois hautement spécialisé et, dans une très grande mesure, à l’abri de tout contrôle. Les décisions de l’organisme fédéral jouissent de la protection de la clause privative générale que renferme l’art. 22 du Code. Le Conseil canadien des relations du travail doit concevoir un régime cohérent et pratique pour l’application des nombreuses dispositions législatives qui régissent les relations de travail des employeurs et employés dont les activités sont du ressort fédéral. Pour que les différends entre ces travailleurs et leurs employeurs puissent se régler rapidement et d’une manière conciliable avec leurs autres droits et obligations aux termes du Code canadien du travail, les décisions du Conseil ne doivent pas pouvoir être systématiquement annulées par les cours de justice chaque fois que ces dernières désapprouvent la façon dont le Conseil a tranché une question donnée. Ainsi, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle du caractère manifestement déraisonnable à moins que le Conseil n’ait commis une erreur de compétence[99].

Selon le juge Iacobucci, en décidant que les actions de la SRC constituaient de prime abord une ingérence dans l’administration d’un syndicat, le CCRT ne s’était nullement prononcé sur une question de compétence. Pour conclure ainsi, le juge s’est fondé sur les larges pouvoirs que le Code confère au CCRT :

La conclusion que cette décision n’a rien à voir avec la compétence est appuyée par une analyse fonctionnelle du Code canadien du travail dans son ensemble. Le Code renferme, à son art. 22, une clause privative générale qui restreint le contrôle judiciaire aux seules erreurs qui donnent lieu à une perte ou à un excès de compétence.

À cette clause privative générale sont conjugués les vastes pouvoirs du Conseil de trancher les questions qu’on lui soumet. La compétence du Conseil pour entendre et régler toutes les plaintes de pratiques déloyales de travail découle des par. 97(1) et 98(1). L’article 99 du Code confère au Conseil de larges pouvoirs de redressement dans le cas où il conclut à une violation du Code.[100].

Le juge Iacobucci a conclu à la compétence exclusive du Conseil pour décider si la SRC s’était livrée à une pratique déloyale de travail, estimant qu’on ne doit s’immiscer dans cette décision que s’il est démontré qu’elle est manifestement déraisonnable.

d)         L’indépendance des membres du CCRT

L’intimé et les intervenants font valoir que la divulgation des notes nuirait à l’indépendance et à la liberté intellectuelle de décideurs quasi-judiciaires agissant en vertu du Code canadien du travail, en révélant la démarche intellectuelle qui leur est propre et en les portant à modifier la manière dont ils parviennent à leurs décisions.

Indépendance judiciaire et privilège décisionnel

La Cour suprême a, dans plusieurs de ses arrêts, considéré la notion d’indépendance décisionnelle. Dans l’arrêt Valente c. La Reine et autres, elle se penche sur la question de savoir si une cour provinciale saisie de l’appel interjeté d’une déclaration de culpabilité au titre du Code de la route [S.R.O. 1970, ch. 202], est un tribunal indépendant au sens de l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés[101]. Parlant au nom de la Cour, le juge Le Dain a relevé que l’indépendance judiciaire comporte à la fois des rapports individuels et des rapports institutionnels :

On admet généralement que l’indépendance judiciaire fait intervenir des rapports tant individuels qu’institutionnels : l’indépendance individuelle d’un juge, qui se manifeste dans certains de ses attributs, tels l’inamovibilité, et l’indépendance institutionnelle de la Cour ou du tribunal qu’il préside, qui ressort de ses rapports institutionnels ou administratifs avec les organes exécutif et législatif du gouvernement[102].

Le juge a formulé de la manière suivante le « critère » de l’indépendance judiciaire :

Même si l’indépendance judiciaire est un statut ou une relation reposant sur des conditions ou des garanties objectives, autant qu’un état d’esprit ou une attitude dans l’exercice concret des fonctions judiciaires, il est logique, à mon avis, que le critère de l’indépendance aux fins de l’al. 11d) de la Charte soit, comme dans le cas de l’impartialité, de savoir si le tribunal peut raisonnablement être perçu comme indépendant. Tant l’indépendance que l’impartialité sont fondamentales non seulement pour pouvoir rendre justice dans un cas donné, mais aussi pour assurer la confiance de l’individu comme du public dans l’administration de la justice. Sans cette confiance, le système ne peut commander le respect et l’acceptation qui sont essentiels à son fonctionnement efficace. Il importe donc qu’un tribunal soit perçu comme indépendant autant qu’impartial et que le critère de l’indépendance comporte cette perception qui doit toutefois, comme je l’ai proposé, être celle d’un tribunal jouissant des conditions ou garanties objectives essentielles d’indépendance judiciaire, et non pas une perception de la manière dont il agira en fait, indépendamment de la question de savoir s’il jouit de ces conditions ou garanties[103].

Le juge Le Dain a estimé que les trois conditions essentielles de l’indépendance judiciaire aux fins de l’alinéa 11d) de la Charte sont l’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance institutionnelle du tribunal pour les questions d’administration directement liées à l’exercice de sa fonction judiciaire. En ce qui concerne la troisième condition, le juge a noté que :

Si la plus grande autonomie ou indépendance administrative qu’il est recommandé d’accorder aux tribunaux, ou une partie de celle-ci, peut se révéler hautement souhaitable, elle ne saurait, à mon avis, être considérée comme essentielle pour les fins de l’al. 11d) de la Charte. Les aspects essentiels de l’indépendance institutionnelle qui peuvent raisonnablement être perçus comme suffisants pour les fins de l’al. 11d) doivent, je pense, se limiter à ceux mentionnés par le juge en chef Howland. On peut les résumer comme étant le contrôle par le tribunal des décisions administratives qui portent directement et immédiatement sur l’exercice des fonctions judiciaires. Dans la mesure où la distinction entre l’indépendance dans l’administration et l’indépendance dans les décisions se veut le reflet de cette limitation, je n’y vois aucune objection. On peut s’y opposer toutefois dans la mesure où le degré souhaitable ou recommandé d’indépendance ou d’autonomie administrative des tribunaux est concerné. À mon avis, le fait que certains avantages financiers applicables aux fonctionnaires soient aussi applicables aux juges de cour provinciale, que la Cour provinciale (Division criminelle) et ses juges soient, dans des brochures, associés au ministère du Procureur général, et que l’exécutif exerce un contrôle administratif sur certains bénéfices ou avantages discrétionnaires touchant les juges, n’empêchait pas la Cour provinciale (Division criminelle) à l’époque où le juge Sharpe a décliné compétence, d’être raisonnablement perçue comme possédant l’indépendance institutionnelle essentielle pour les fins de l’al. 11d)[104].

Dans l’arrêt Beauregard c. Canada, la Cour suprême s’est penchée sur la question de savoir si une modification législative apportée à la Loi sur les juges [S.R.C. 1970, ch. J-1], obligeant les juges à contribuer à leur régime de pension, entamait le principe de l’indépendance judiciaire[105]. Le juge en chef Dickson a ainsi résumé l’essentiel de ce principe :

Historiquement, ce qui a généralement été accepté comme l’essentiel du principe de l’indépendance judiciaire a été la liberté complète des juges pris individuellement d’instruire et de juger les affaires qui leur sont soumises : personne de l’extérieur—que ce soit un gouvernement, un groupe de pression, un particulier ou même un autre juge—ne doit intervenir en fait, ou tenter d’intervenir, dans la façon dont un juge mène l’affaire et rend sa décision. Cet élément essentiel continue d’être au centre du principe de l’indépendance judiciaire. Néanmoins, ce n’est pas là tout le contenu du principe[106].

Relevant que le principe de l’indépendance judiciaire s’était développé et englobait maintenant, parallèlement au développement du rôle social et constitutionnel du pouvoir judiciaire, un élément institutionnel ou collectif, le juge a déclaré :

La raison d’être de cette conception moderne à deux volets de l’indépendance judiciaire est la reconnaissance que les tribunaux ne sont pas chargés uniquement de statuer sur des affaires individuelles. Il s’agit là évidemment d’un rôle. C’est également le contexte pour un second rôle différent et également important, celui de protecteur de la constitution et des valeurs fondamentales qui y sont enchâssées—la primauté du droit, la justice fondamentale, l’égalité, la préservation du processus démocratique, pour n’en nommer peut-être que les plus importantes. En d’autres termes, l’indépendance judiciaire est essentielle au règlement juste et équitable des litiges dans les affaires individuelles. Elle constitue également l’élément vital du caractère constitutionnel des sociétés démocratiques[107].

Et enfin, le juge en chef Dickson a résumé le principe de l’indépendance judiciaire tel qu’il s’est développé au Canada :

En résumé, l’histoire de la Constitution du Canada et le droit constitutionnel canadien actuel établissent clairement les racines profondes, la vitalité et le caractère vibrant contemporains du principe de l’indépendance judiciaire au Canada. Le rôle des tribunaux en tant qu’arbitres des litiges, interprètes du droit et défenseurs de la Constitution exige qu’ils soient complètement séparés, sur le plan des pouvoirs et des fonctions, de tous les autres participants au système judiciaire.

Je mets l’accent sur le mot « tous » dans la phrase précédente parce que, bien que l’indépendance judiciaire soit habituellement étudiée et analysée en fonction du rapport qui existe entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif, dans le présent pourvoi le rapport pertinent est celui qui existe entre le pouvoir judiciaire et le Parlement. Rien ne dépend de cette différence contextuelle. Bien qu’un soin particulier doive être pris pour préserver l’indépendance de la magistrature vis-à-vis du pouvoir exécutif (du fait que le pouvoir exécutif soit si souvent partie aux litiges devant les tribunaux), le principe de l’indépendance judiciaire doit également être maintenu face à toute autre ingérence possible, y compris celle du pouvoir législatif[108].

Dans l’arrêt R. c. Lippé, la Cour suprême a jugé que le système permettant aux juges à temps partiel d’une cour municipale d’exercer la profession d’avocat au Québec n’était pas contraire à la garantie d’impartialité judiciaire inscrite à l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi qu’à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne [L.R.Q., ch. C-12] du Québec[109]. Le juge Gonthier, sur qui s’est alignée une majorité de la Cour suprême, a réaffirmé dans toute son étendue le concept d’indépendance judiciaire telle qu’exposé dans les arrêts Valente et Beauregard :

J’ai eu l’avantage de prendre connaissance des motifs de jugement du Juge en chef. Je partage ses conclusions et je suis essentiellement d’accord avec le raisonnement qui les sous-tend.

Toutefois, je tiens à indiquer que, même si la portée précise de l’« indépendance judiciaire » n’a pas à être en cause ici, je rejette, en toute déférence, le sens restreint qu’il donne à l’« indépendance judiciaire », qu’il définit comme se rapportant uniquement à l’indépendance vis-à-vis du gouvernement …

J’estime que la définition plus large de l’« indépendance judiciaire » de l’arrêt Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, à la p. 69, est à la fois appropriée et importante :

Historiquement, ce qui a généralement été accepté comme l’essentiel du principe de l’indépendance judiciaire a été la liberté complète des juges pris individuellement d’instruire et de juger les affaires qui leur sont soumises : personne de l’extérieur—que ce soit un gouvernement, un groupe de pression, un particulier ou même un autre juge—ne doit intervenir en fait, ou tenter d’intervenir, dans la façon dont un juge mène l’affaire et rend sa décision.

Cela était conforme avec la pensée exprimée antérieurement par le juge Le Dain dans l’arrêt Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, à la p. 685 :

Comme tel, il connote non seulement un état d’esprit ou une attitude dans l’exercice concret des fonctions judiciaires, mais aussi un statut, une relation avec autrui, particulièrement avec l’organe exécutif du gouvernement, qui repose sur des conditions ou garanties objectives. (Je souligne)[110].

Un peu plus loin, le juge fait sienne la manière dont l’étendue du principe de l’indépendance judiciaire est exprimée dans la Déclaration universelle sur l’Indépendance de la Justice, Première conférence mondiale sur l’Indépendance de la Justice, Montréal, le 10 juin 1983, dans S. Shetreet et J. Deschênes, éd., Judicial Independance : The Contemporary Debate (1985), à la page 465 :

Indépendance

2.02 Le juge est libre et tenu de régler les affaires dont il est saisi en toute impartialité, selon son interprétation des faits et de la loi, sans être soumis à des restrictions, des influences, des incitations, des pressions, des menaces ou des ingérences, directes ou indirectes, de quelque origine que ce soit[111].

Dans l’affaire MacKeigan c. Hickman, une Commission royale enquêtant sur les circonstances dans lesquelles Donald Marshall avait pu être, à tort, jugé coupable de meurtre, voulait contraindre à témoigner les cinq membres de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse qui avait, sur renvoi du ministre fédéral de la Justice, infirmé la condamnation[112]. La Commission prétendait faire témoigner les juges sur trois éléments du renvoi : les raisons pour lesquelles un ancien procureur général de la Nouvelle-Écosse avait siégé lors de l’audition du renvoi, la teneur du dossier tel que transmis à la Cour d’appel, et les éléments qui, de l’avis de la Cour d’appel, étaient constitutifs de l’erreur judiciaire. Les juges ont affirmé que la Commission n’avait aucun pouvoir d’ordonner leur comparution, la magistrature bénéficiant d’une immunité qui la soustrait à l’obligation de témoigner.

Au nom de la majorité, le juge McLachlin a conclu qu’une immunité absolue couvrait les trois éléments en question, à savoir la constitution de la formation, le dossier soumis à la Cour d’appel et les éléments qui, selon la Cour d’appel, étaient constitutifs de l’erreur judiciaire. Le juge Cory a reconnu qu’un privilège absolu (le privilège décisionnel) était applicable au troisième élément, qui touchait la fonction décisionnelle du pouvoir judiciaire. Le juge a cependant estimé qu’un privilège restreint (le privilège administratif) s’appliquait aux deux premiers éléments qui ont trait aux fonctions administratives du pouvoir judiciaire et que, en ce qui concerne ces fonctions-là, l’immunité des juges doit céder le pas dans des circonstances exceptionnelles telles que celles où l’administration de la justice est elle-même en cause devant un organisme doté du pouvoir constitutionnel nécessaire pour procéder à un tel examen. Le juge Cory a cerné la portée de l’immunité judiciaire qui préserve les juges contre toute tentative d’immixtion dans la démarche intellectuelle à l’origine de leurs décisions.

Néanmoins, je m’empresse de dire que je partage l’avis de ma collègue qu’il existe pour de très bonnes raisons un privilège absolu accordé aux juges qui les exempte de l’obligation de témoigner quant au processus mental suivi pour rendre un jugement ou quant à savoir comment ils sont arrivés à une décision dans une affaire dont ils étaient saisis. C’est la règle qui s’applique depuis l’arrêt Knowles’ Trial (1692), 12 How. St. Tr. 1167, et il en a toujours été invariablement ainsi jusqu’à nos jours. Voir, par exemple, l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario R. v. Moran (1987), 21 O.A.C. 257, à la p. 269, le juge Martin.

Un jugement et les motifs de jugement d’un juge doivent être consignés et peuvent faire l’objet d’un examen par voie d’appel interjeté par la communauté juridique ou par le public en général. Il est essentiel à la préservation de notre système de justice qu’un juge ne soit pas tenu de répondre à des questions concernant la façon dont il est arrivé à une décision. Les motifs et les décisions parlent d’eux-mêmes. S’ils doivent être mis en doute, les procédures d’appel fournissent un moyen efficace et complet de les contester.

De même, une large exemption de l’obligation de témoigner de la part des juges à l’égard de l’administration des travaux des tribunaux constitue un facteur important et nécessaire dans le fonctionnement du système judiciaire. Par exemple, il serait impensable qu’un organisme extérieur, fût-il un ministère ou un organisme gouvernemental ou encore un barreau, puisse dire quel juge entendra une affaire en particulier ou quels membres d’une cour d’appel siégeront dans un appel. Il est important que les juges jouissent d’une exemption relativement à leurs conversations avec le personnel administratif tout autant qu’avec leurs collègues et leurs clercs. Néanmoins, une distinction importante doit être établie entre les deux types d’immunité judiciaire. Il y a d’abord le privilège des juges de ne pas être interrogés quant aux décisions qu’ils ont rendues. Ce privilège attaché à l’adjudication est d’importance fondamentale et de nature absolue. Ensuite, il y a le privilège relatif à l’administration des tribunaux. Ce privilège attaché à l’administration n’a pas la même importance fondamentale et est de nature restreinte. [Non souligné dans l’original][113].

Le juge McLachlin relève que dans l’arrêt Beauregard, la Cour n’a pas prôné une séparation absolue du pouvoir judiciaire et des autres pouvoirs étatiques, mais une démarcation nette au niveau des pouvoirs et fonctions judiciaires, définissant en les termes suivants les éléments essentiels de l’indépendance judiciaire :

La condition capitale du maintien de l’indépendance judiciaire est que les relations entre le pouvoir judiciaire et les autres organes du gouvernement ne doivent pas empiéter sur les « pouvoirs et fonctions » essentiels du tribunal, pour reprendre les termes du juge en chef Dickson. Suivant mon interprétation de l’arrêt Beauregard c. Canada, il est nécessaire d’éviter des incidents et des rapports qui pourraient avoir des répercussions sur l’indépendance du pouvoir judiciaire relativement à deux fonctions judiciaires cruciales : l’impartialité judiciaire dans la prise de décisions et le rôle du pouvoir judiciaire en tant qu’arbitre et protecteur de la Constitution.

En résumé, en tant que principe constitutionnel fondamental du régime de gouvernement canadien, l’indépendance judiciaire comporte à la fois des éléments individuels et des éléments institutionnels. Les actes des autres organes du gouvernement qui minent l’indépendance du pouvoir judiciaire nuisent donc à l’intégrité de notre Constitution. En tant que protecteurs de notre Constitution, les tribunaux ne prendront pas ces empiétements à la légère[114].

En ce qui concerne le privilège reconnu au pouvoir judiciaire, en vertu duquel les juges peuvent refuser de témoigner au sujet de la démarche intellectuelle qui les a amenés à une décision, le juge a conclu en ses termes :

Le droit du juge de refuser de répondre aux organes exécutif ou législatif du gouvernement ou à leurs représentants quant à savoir comment et pourquoi il est arrivé à une conclusion judiciaire donnée, est essentiel à l’indépendance personnelle de ce juge, qui constitue l’un des deux aspects principaux de l’indépendance judiciaire : Valente c. La Reine et Beauregard c. Canada, précités. Le juge ne doit pas craindre qu’après avoir rendu sa décision, il puisse être appelé à la justifier devant un autre organe du gouvernement. L’analyse faite dans l’arrêt Beauregard c. Canada appuie la conclusion que l’immunité judiciaire est au cœur du concept de l’indépendance judiciaire. Comme l’a affirmé le juge en chef Dickson dans l’arrêt Beauregard c. Canada, pour jouer le bon rôle constitutionnel, le pouvoir judiciaire doit être complètement séparé, sur le plan des pouvoirs et des fonctions, des autres organes du gouvernement. Cette séparation signifie implicitement que les organes exécutif ou législatif du gouvernement ne peuvent pas exiger d’un juge qu’il explique son jugement et en rende compte. Donner suite à l’exigence qu’un juge témoigne devant un organisme civil, émanant du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif, quant à savoir comment et pourquoi il a rendu sa décision, serait attaquer l’élément le plus sacro-saint de l’indépendance judiciaire. [Non souligné dans l’original.[115]]

À reprendre les termes utilisés par les juges Cory et McLachlin dans l’arrêt MacKeigan, les notes prises par un juge au cours d’une audience sont indiscutablement au cœur même du privilège décisionnel, puisque ces notes sont susceptibles de révéler la démarche intellectuelle retenue par le juge pour parvenir à sa décision, au-delà de ce que nous révèlent les motifs du jugement. Par leur nature même, ces notes sont utilisées par le juge pour consigner ses réflexions sur certains points précis, réflexions dont il aura à se servir plus tard. Les notes lui sont indispensables car, vu les incertitudes de la mémoire, il faut bien consigner ses réflexions au fur et à mesure. C’est pourquoi un juge doit pouvoir prendre des notes, libre de toute ingérence, et notamment libre de toute crainte que ces notes auront par la suite à être divulguées à des fins qui ne sont pas celles de leur auteur. Un juge doit avoir l’entière liberté de décider de ce qu’il convient de noter ou non, et être certain que personne ne pourra par la suite venir mettre en doute la sagesse de ses résolutions. Le fait de permettre que les notes d’audience soient utilisées par d’autres, à des fins différentes de celles de leur auteur, freinerait manifestement l’utilisation d’un outil essentiel au pouvoir judiciaire, à savoir la faculté et la liberté de noter à son gré certaines choses au fur et à mesure que l’audience se déroule, et cela dans le but unique et exclusif d’aider le juge à parvenir à une juste décision.

Le privilège décisionnel, également appelé « immunité judiciaire » est décrit, dans l’arrêt MacKeigan [à la page 830], comme étant « essentiel à l’indépendance personnelle [du] juge, qui constitue l’un des deux aspects principaux de l’indépendance judiciaire », [à la page 841] « essentiel à la préservation de notre système de justice » et d’importance fondamentale et de nature absolue ». La manière dont est décrit dans MacKeigan le privilège décisionnel, ressort de l’essence même du principe de l’indépendance judiciaire tel que défini par le juge en chef Dickson dans l’arrêt Beauregard : la liberté complète de chaque juge de trancher les affaires qui lui sont soumises. Or, la liberté complète de trancher ne peut exister que si le juge est complètement libre de toute immixtion par des personnes de l’extérieur, dans la manière dont il mène le procès et prend sa décision. Le devoir du juge qui statue sur une affaire qui lui est soumise, est décrit dans la Déclaration universelle sur l’Indépendance de la Justice, le passage pertinent ayant été repris par la Cour suprême dans l’arrêt Lippé : individuellement, les juges doivent statuer de manière impartiale, conformément à leur évaluation des faits et à leur compréhension du droit. Il ne faut pas qu’intervienne d’autres « restrictions, influences, sollicitations, pressions, menaces, ingérences, directes ou indirectes, quel qu’en soit l’origine ou le motif ».

À supposer, un temps, que ces principes s’appliquent au même degré à des décideurs quasi-judiciaires tels les membres du CCRT, les déclarations de Philip Chodos, consignées dans son affidavit, portent à dire que l’idée même que leurs notes personnelles pourraient être réunies et conservées en vue de leur divulgation au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels, entraverait le processus décisionnel des membres du CCRT en les gênant dans l’utilisation d’un outil qui forme une partie essentielle de ce processus. Dans sa déposition, M. Chodos a en effet déclaré que ses notes personnelles forment une partie essentielle de la démarche qui lui permet d’aboutir à une décision et que :

[traduction] Si je savais que mes notes seraient soumises à l’examen d’un tiers, soit je ne prendrais aucune note, soit je tenterais de consigner tout ce qui s’est passé à l’audience. La première solution nuirait à la qualité de mes décisions. La seconde ralentirait sensiblement les débats et m’empêcherait de bien observer le comportement des témoins[116].

Application des principes d’indépendance judiciaire aux tribunaux administratifs

Il y a lieu de noter que, dans les arrêts Valente, Beauregard et MacKeigan, la Cour suprême, remontant aux sources du principe de l’indépendance judiciaire dans notre droit constitutionnel et dans la common law, visait les cours supérieures. Il s’agit donc de savoir dans quelle mesure les principes de l’indépendance judiciaire, y compris l’indépendance personnelle des juges et le privilège décisionnel qui en découle, peuvent être appliqués aux membres d’un tribunal administratif. Dans l’affaire Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, la Cour suprême a eu à dire si c’est à tort qu’un juge de première instance s’était refusé à exercer son pouvoir discrétionnaire de connaître d’une demande de contrôle judiciaire, déposée par deux bandes indiennes et visant des cotisations à l’impôt foncier, dans une affaire où les procédures d’appel définies dans les règlements fiscaux de la bande prévoyaient la possibilité de faire appel de ces cotisations devant des comités d’appel internes[117]. Le juge de première instance a estimé que les procédures d’appel offraient une voie de recours suffisante et qu’il n’était pas nécessaire de solliciter le contrôle judiciaire de la Cour. Selon le juge en chef Lamer (aux motifs duquel a souscrit le juge Cory) c’est à tort que le juge de première instance n’a pas tenu compte du fait que certains pouvaient, avec raison, appréhender le parti pris des membres du comité d’appel étant donné que ceux-ci n’avaient ni indépendance, ni sécurité financière, qu’ils n’étaient pas inamovibles, et qu’en plus ces comités avaient à se prononcer sur les intérêts des personnes (en l’occurrence les bandes) à qui ils devaient leur nomination. Les juges Sopinka, L’Heureux-Dubé, Gonthier et Iacobucci ont jugé prématurées les allégations de parti pris, mais la Cour entière a estimé que, s’agissant de savoir si la crainte de partialité se justifiait, il convenait d’appliquer aux comités d’appel les principes dégagés dans l’arrêt Valente[118].

Quant à l’applicabilité, à l’égard des tribunaux administratifs, des principes dégagés dans Valente, le juge en chef Lamer a déclaré que :

Je partage cet avis et je conclus que l’un des principes de justice naturelle veut qu’une partie reçoive une audience devant un tribunal qui non seulement est indépendant, mais qui le paraît. La partie qui craint raisonnablement la partialité ne devrait pas être obligée de se soumettre au tribunal qui fait naître cette crainte. De plus, les principes en matière d’indépendance judiciaire énoncés dans l’arrêt Valente s’appliquent dans le cas d’un tribunal administratif lorsque celui-ci agit à titre d’organisme juridictionnel qui tranche les différends et détermine les droits des parties. Je reconnais toutefois que l’application stricte de ces principes ne se justifie pas toujours. Dans l’arrêt Valente, précité, le juge Le Dain a écrit, aux pp. 692 et 693 :

Il ne serait cependant pas possible d’appliquer les conditions les plus rigoureuses et les plus élaborées de l’indépendance judiciaire à l’exigence constitutionnelle d’indépendance qu’énonce l’al. 11d) de la Charte, qui peut devoir s’appliquer à différents tribunaux. […] Les conditions essentielles de l’indépendance judiciaire, pour les fins de l’al. 11d), doivent avoir un lien raisonnable avec cette diversité.

Par conséquent, bien que les tribunaux administratifs soient assujettis aux principes énoncés dans l’arrêt Valente, le critère relatif à l’indépendance institutionnelle doit être appliqué à la lumière des fonctions que remplit le tribunal particulier dont il s’agit. Le niveau requis d’indépendance institutionnelle (c.-à-d. l’inamovibilité, la sécurité financière et le contrôle administratif) dépendra de la nature du tribunal, des intérêts en jeu et des autres signes indicatifs de l’indépendance, tels les serments professionnels.

Parfois, un haut niveau d’indépendance s’imposera. Par exemple, lorsque les décisions du tribunal ont une incidence sur le droit d’une partie à la sécurité de sa personne (comme dans le cas des arbitres en matière d’immigration dans l’arrêt Mohammad, précité), une application plus stricte des principes énoncés dans l’arrêt Valente peut se justifier. En l’espèce, il s’agit d’un tribunal administratif chargé de trancher des différends concernant l’évaluation en matière d’impôt foncier. À mon avis, une plus grande souplesse est manifestement justifiée dans une telle situation[119].

Le juge en chef Lamer a relevé que les membres des comités d’appel exerçaient des fonctions juridictionnelles analogues à celles des tribunaux, estimant cependant que, même si les membres des comités d’appel faisaient serment d’impartialité, et que les intérêts en jeu (les cotisations à l’impôt foncier) étaient de moindre importance que, disons, les questions touchant la sécurité de la personne, une application, même souple, des principes dégagés dans Valente portait à conclure qu’une personne pourrait effectivement s’inquiéter, avec raison, du manque d’indépendance des membres des comités d’appel.

Dans l’affaire Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), la Cour suprême a eu à dire dans quelle mesure les tribunaux administratifs peuvent invoquer le secret du délibéré[120]. L’intimée, prestataire de l’aide sociale, a mis en cause une décision de la Commission lui refusant le remboursement de certains pansements, engageant une action en nullité et alléguant que le processus de consultation utilisé par la Commission pour parvenir à sa décision était contraire aux règles de justice naturelle. La Cour a estimé que le processus de consultation de la Commission, qui imposait cette consultation, contrairement à la volonté des membres chargés de trancher les différends, donnait une impression de pressions systémiques contraires aux règles de justice naturelle. À l’instruction, l’avocat de l’intimée était parvenu à surmonter les objections de la Commission et à obliger le secrétaire de celle-ci de répondre à des questions portant sur le processus de consultation. La Commission a soutenu, devant la Cour suprême, que le principe du secret du délibéré exigeait qu’on accueille les objections qu’elle avait formulées. Écrivant au nom de la Cour, le juge Gonthier a estimé que :

À mon avis, les objections formulées par la Commission doivent être rejetées. Les questions posées par l’intimée ne touchaient pas les motifs au fond ou leur élaboration dans la pensée des décideurs. Ces questions visaient plutôt le processus formel mis sur pied par la Commission pour assurer la cohérence de sa jurisprudence. Elles portaient d’une part sur le cadre institutionnel dans lequel la décision est rendue et son fonctionnement et, d’autre part, sur son influence réelle ou apparente sur la liberté d’esprit des décideurs. Cette distinction avait été soulignée par le juge Dugas durant les interrogatoires mêmes.

Dans le cas des tribunaux administratifs, la difficulté de distinguer entre les faits portant sur un aspect du délibéré qui pourront être mis en preuve et ceux qui ne le pourront pas est particulièrement compréhensible. L’institutionnalisation des décisions des tribunaux administratifs crée une tension entre, d’une part, le traditionnel concept du secret du délibéré et, d’autre part, le droit fondamental d’une partie de savoir que la décision a été rendue en conformité avec les principes de justice naturelle. En effet, le processus de consultation institutionnalisé mis en œuvre dans le cadre de délibérés fait l’objet de règles de procédure visant à régir le processus des « tables de consensus ». Le caractère public de ces règles, par ailleurs fort souhaitable, est paradoxalement ce qui peut donner prise à une action en nullité ou à une évocation. L’apparence de justice peut être mise en cause. L’évolution bien particulière de la pratique des tribunaux administratifs oblige donc la Cour à s’immiscer dans des domaines où, s’il s’agissait d’un tribunal judiciaire, elle refuserait probablement de s’aventurer :

Le droit du juge de refuser de répondre aux organes exécutif ou législatif du gouvernement ou à leurs représentants quant à savoir comment et pourquoi il est arrivé à une conclusion judiciaire donnée, est essentiel à l’indépendance personnelle de ce juge, qui constitue l’un des deux aspects principaux de l’indépendance judiciaire : Valente c. La Reine et Beauregard c. Canada […] Donner suite à l’exigence qu’un juge témoigne devant un organisme civil, émanant du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif, quant à savoir comment et pourquoi il a rendu sa décision, serait attaquer l’élément le plus sacro-saint de l’indépendance judiciaire. (Je souligne.)

(MacKeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796, aux pp. 830 et 831.)

Par ailleurs, lorsque les décisions d’un tribunal administratif sont sans appel, comme c’est le cas à la Commission, il n’existe qu’une seule façon de réviser celle-ci : le contrôle de la légalité. Or, il relève de la nature même du contrôle judiciaire d’examiner, entre autres, le processus décisionnel du décideur. Certains des motifs pour lesquels une décision peut être attaquée portent même sur l’aspect interne de ce processus décisionnel : par exemple, la décision a-t-elle été prise sous la dictée d’un tiers? Résulte-t-elle de l’application aveugle d’une directive ou d’une politique pré-établie? Tous ces événements sont concomitants au délibéré ou en font partie.

Il me semble donc que, de par la nature du contrôle qui est exercé sur leurs décisions, les tribunaux administratifs ne puissent invoquer le secret du délibéré au même degré que les tribunaux judiciaires. Le secret demeure bien sûr la règle, mais il pourra néanmoins être levé lorsque le justiciable peut faire état de raisons sérieuses de croire que le processus suivi n’a pas respecté les règles de justice naturelle. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en vient la majorité en Cour d’appel, aux pp. 2074 et 2075 :

Cette confidentialité cède cependant devant l’application des règles de la justice naturelle, car le respect de ces règles constitue la première assise de tout système judiciaire.

La confidentialité peut donc être exceptionnellement levée lorsque des motifs sérieux de le faire sont préalablement soumis au tribunal.

Je rejetterais donc ce premier motif d’appel. [Non souligné dans l’original.][121]

Les principes d’indépendance judiciaire dégagés par la jurisprudence de la Cour suprême à partir de l’arrêt Valente ont été appliqués à des tribunaux administratifs qui, de par leurs fonctions juridictionnelles, sont appelés à se prononcer sur les droits des parties en tranchant des litiges[122]. Si ces principes et les garanties qu’ils consacrent sont l’apanage essentiel des tribunaux judiciaires, ils ont été introduits dans le domaine administratif par les tribunaux judiciaires qui ont veillé au respect des règles de la justice naturelle. En ce qui concerne le CCRT, personne ne conteste que les tribunaux veilleront au respect des règles de la justice naturelle au moyen de la procédure de contrôle judiciaire prévue à l’article 22 du Code et aux articles 28 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

Dans l’arrêt Matsqui, qui porte sur l’indépendance institutionnelle des comités d’appel des cotisations à l’impôt foncier, la Cour suprême a jugé que les principes d’indépendance judiciaire exposés dans Valente devaient être [à la page 51] « appliqué[s] à la lumière des fonctions que remplit le tribunal particulier dont il s’agit ». Dans cette affaire-là, la Cour a estimé qu’il y avait lieu d’appliquer de manière souple les principes dégagés dans Valente. S’agissant, cependant, d’une immixtion directe dans la démarche intellectuelle d’un décideur chargé de se prononcer sur les droits des parties, il convient peut-être d’appliquer ces principes d’une manière quelque peu moins souple. Dans l’arrêt Tremblay, par exemple, le juge Gonthier, au début de ses motifs écartant les objections exprimées par la Commission, remarque que [à la page 964] « [l]es questions posées par l’intimée ne touchaient pas les motifs au fond ou leur élaboration dans la pensée des décideurs », mais [aux pages 964 et 965] « portaient d’une part sur le cadre institutionnel dans lequel la décision est rendue et son fonctionnement et, d’autre part, sur son influence réelle ou apparente sur la liberté d’esprit des décideurs ». Alors que par sa nature même, dans le cas où il existe des « raisons sérieuses de croire que le processus suivi n’a pas respecté les règles de justice naturelle »[123], le contrôle judiciaire va parfois exiger d’un tribunal qu’il se penche de près sur les aspects internes du processus décisionnel. Si en cela les tribunaux administratifs ne peuvent invoquer le secret du délibéré au même degré que peuvent le faire les tribunaux de l’ordre judiciaire, je ne connais par ailleurs aucun principe, aucune règle, autorisant les ingérences dans la démarche intellectuelle d’un décideur au-delà de ce qu’il a lui-même pu livrer dans ses motifs.

Il est du devoir et du rôle des tribunaux judiciaires de veiller à ce que les tribunaux administratifs statuent conformément aux règles de justice naturelle[124]. Cela étant, les tribunaux de l’ordre judiciaire doivent veiller au déroulement équitable des procédures prévues. Pour ce faire, les cours de justice doivent aussi veiller à ce que les tribunaux administratifs aient la liberté de trancher en toute indépendance, selon leur appréciation des faits, sans ingérence aucune. J’estime qu’une ingérence systématique et officialisée dans la démarche intellectuelle d’un décideur, telle qu’entraînerait la divulgation des notes d’audience, nuirait à l’intégrité du processus décisionnel.

C’est également l’avis exprimé par le Commissaire de la Commission d’accès à l’information (Québec) dans l’affaire Douville c. Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec, décision déboutant un requérant qui demandait que lui soient communiquées les notes prises par un arbitre lors d’une audience de la Commission de la santé et de la sécurité du travail[125]. Voici ce qu’a décidé le Commissaire québécois :

Par ailleurs, il appert qu’un décideur ou membre du bureau de révision, lorsqu’il entend et dispose d’un dossier, exerce une fonction quasi-judiciaire. Il faut donc considérer les dispositions de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 56 de la Charte des droits et libertés de la personne :

23. Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu’il s’agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle.

Le tribunal peut toutefois ordonner le huis clos dans l’intérêt de la morale ou de l’ordre public.

En outre, lorsqu’elles concernent des procédures en matière familiale, les audiences en première instance se tiennent à huis clos, à moins que le tribunal, à la demande d’une personne et s’il l’estime utile dans l’intérêt de la justice n’en décide autrement.

56.1. Dans les articles 9, 23, 30, 31, 34 et 38, dans le chapitre III de la partie II ainsi que dans la partie IV, le mot « tribunal » inclut un coroner, un commissaire-enquêteur sur les incendies, une commission d’enquête et une personne ou un organisme exerçant des fonctions quasi-judiciaires.

À mon avis, une ordonnance visant la divulgation des notes personnelles prises par un décideur ou membre du bureau de révision de l’organisme dans l’exercice d’une fonction quasi-judiciaire irait à l’encontre de l’article 23, précité. Elle porterait atteinte au caractère d’indépendance dont doit jouir une telle personne dans l’exercice de ses fonctions.

Ces notes, qui sont prises comme aide-mémoire en vue de la préparation d’une décision à rendre, ne sont pas accessibles[126].

Cette décision se fonde sur l’idée que la divulgation des notes personnelles prises par un décideur dans l’exercice d’une fonction quasi-judiciaire est contraire à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec[127], qui garantit à chacun le droit à une audition impartiale de sa cause. Le requérant fait en l’espèce valoir que cette décision est inapplicable ici étant donné que l’article 23 n’a pas son pendant dans la charte fédérale. Pourtant, selon moi, l’article 23 de la Charte du Québec ne fait que codifier le droit à une audition impartiale tel que l’a formulé la jurisprudence. Ce droit subsiste et demeure applicable à toute loi fédérale, sauf disposition précise. Au niveau de la législation fédérale, ce droit est reconnu et énoncé aux alinéas 2e) et f) de la Déclaration canadienne des droits qui dispose que :

2. Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnues et déclaré aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme

e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;

f) privant une personne accusée d’un acte criminel du droit à la présomption d’innocence jusqu’à ce que la preuve de sa culpabilité ait été établie en conformité de la loi, après une audition impartiale et publique de sa cause par un tribunal indépendant et non préjugé, ou le privant sans juste cause du droit à un cautionnement raisonnable[128]

J’estime que l’intimé a rapporté la preuve qui lui incombait de par l’alinéa 22(1)b) et qu’il a établi que la divulgation des notes, en dévoilant la démarche intellectuelle et, partant, le processus décisionnel de ses membres, nuirait au bon fonctionnement du Conseil. Je suis convaincu, plus précisément, que la divulgation des documents demandés nuirait au fonctionnement du CCRT, tribunal appelé à se prononcer sur les droits et les obligations, d’où l’on pourrait avec raison appréhender une entrave au bon exercice des fonctions que lui confie le Code. En officialisant la divulgation des notes d’audience au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels, on priverait le Conseil d’un outil qui me paraît essentiel à l’accomplissement de ses fonctions. J’ajoute que si l’on n’exempte pas ces notes, tout « renseignement personnel » qu’elles contiennent, y compris les opinions concernant les plaideurs, les avocats et les témoins, devront, d’après la loi, être systématiquement rassemblées par le CCRT et conservées dans un fichier pendant au moins deux ans, au cas où l’individu concerné en demanderait la communication[129]. Il serait alors à craindre que cela nuise à l’exercice, par le CCRT, des fonctions que lui confie le Code, et c’est pourquoi je conclus que les notes en question bénéficient, au titre de l’alinéa 22(1)b) de la Loi, d’une exemption par rapport à l’obligation de les divulguer.

Article 119 du Code

À l’appui de cette conclusion, on pourrait également invoquer l’article 119 du Code qui dispose que :

119. Les membres du Conseil ou d’une commission de conciliation, les conciliateurs, les commissaires-conciliateurs, les fonctionnaires ou autres personnes employés par le Conseil ou faisant partie de l’administration publique fédérale, ainsi que toutes les personnes nommées par le Conseil ou le ministre aux termes de la présente partie, ne sont pas tenus de déposer dans une action—ou toute autre procédure—au civil, relativement à des renseignements obtenus dans l’exercice des fonctions qui leur sont confiées en application de la présente partie.

C’est reconnaître aux membres du CCRT un privilège légal qui les relève de l’obligation de témoigner, privilège comparable à l’immunité du juge, reconnue par la Cour suprême dans l’arrêt MacKeigan en vertu des principes d’indépendance judiciaire. De telles dispositions ne sont pas rares dans les textes de loi régissant les relations de travail et on en trouve des analogues, par exemple, dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et dans la Loi sur les relations de travail de l’Ontario[130].

On a porté à l’attention de la Cour deux affaires, où en Ontario les tribunaux ont été appelés à se prononcer, dans le cadre de demandes de contrôle judiciaire, sur des requêtes tendant à ce que des membres d’organismes administratifs viennent témoigner sur les décisions qu’ils ont prises. Dans ces deux affaires, le texte régissant les organismes en question contenait des dispositions analogues à l’article 119 du Code. Dans l’affaire Agnew v. Ontario Assn. of Architects, un postulant malheureux à l’Association des architectes de l’Ontario, écarté par le comité chargé d’évaluer l’expérience professionnelle, entendait, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, assigner les membres du comité à venir témoigner au sujet de leur décision, selon laquelle l’intéressé ne répondait pas, en matière d’expérience, aux exigences prévues par le règlement pour la délivrance d’une autorisation d’exercer la profession d’architecte[131]. L’association a fait valoir qu’un article de la Loi de 1984 sur les architectes accordait aux membres du comité une immunité de témoignage et qu’en tout état de cause, les membres de tribunaux administratifs constitués en vertu d’une loi ne peuvent être contraints à témoigner sur les étapes de la réflexion qui les a menés à prendre telle ou telle décision[132]. Le juge Campbell de la Cour divisionnaire de l’Ontario ne s’est pas arrêté à cette disposition légale, choisissant plutôt de se fonder, de façon plus générale, sur le fait que les membres de tribunaux administratifs ne peuvent pas être contraints à témoigner :

[traduction] … Les juges ne peuvent pas normalement être contraints à témoigner au sujet des décisions auxquelles ils parviennent ou des raisons pour lesquelles ils se sont prononcés en tel ou tel sens : Re Clendenning and Board of Police Com’rs for City of Belleville (1976), 15 O.R. (2d) 97, 75 D.L.R. (3d) 33, 33 C.C.C. (2d) 236 (C. Div.). Cette règle n’est pas uniquement applicable aux juges des cours supérieures. On peut, à la lumière de ce qu’en a dit le juge Martin, de la Cour d’appel, dans l’affaire R. v. Moran (1987), 36 C.C.C. (3d) 225 à la p. 239, 21 O.A.C. 257 aux p. 269 et 270, conclure que cette règle peut également s’appliquer aux juges de paix.

S’agissant d’un juge cité à venir témoigner sur un point en rapport avec sa décision, la charge de persuasion passe à la partie qui émet la citation et à qui il incombe dorénavant de démontrer que la preuve recherchée n’entraînera aucune immixtion dans la démarche intellectuelle adoptée par le juge pour aboutir à sa décision.

Il n’est pas clair, d’après la jurisprudence et la doctrine, si cette règle générale s’applique aussi aux membres des tribunaux administratifs. Il n’existe, logiquement, aucune raison pour qu’il n’en soit pas ainsi. Le tort découlant d’une immixtion dans la démarche décisionnelle d’un membre d’un tribunal administratif est exactement le même que le tort qui découlerait d’une immixtion dans la démarche décisionnelle d’un juge. [Non souligné dans l’original[133].]

Le requérant a répondu qu’il n’avait pas la moindre intention de fouiller dans la démarche décisionnelle des membres. Le juge Campbell a déclaré :

[traduction] L’avocat du requérant affirme qu’il n’entend aucunement fouiller dans la démarche intellectuelle suivie par les membres, ou dans leur démarche décisionnelle, mais qu’il entend, au contraire, explorer un tout autre domaine; les questions de savoir s’ils ont tenu compte de la documentation versée au dossier, s’ils en ont tenu compte dans leur décision, s’ils ont abouti à leur décision de façon individuelle ou s’ils s’en sont remis à l’opinion d’autrui, s’ils ont préjugé de la question.

Je ne vois guère de différence entre ces questions-là et les questions touchant le processus décisionnel. Les renseignements recherchés se situent au cœur même du processus décisionnel en rapport direct avec ce tort que l’on cherche justement à éviter par la règle qui interdit toute immixtion dans la démarche intellectuelle de celui qui a pris la décision[134].

La décision rendue dans l’affaire Agnew précède les arrêts Tremblay et Matsqui, à l’occasion desquels la Cour suprême a décidé, respectivement, que les tribunaux administratifs ne peuvent pas invoquer le secret du délibéré au même titre que les tribunaux de l’ordre judiciaire, et que, s’agissant de tribunaux administratifs, c’est avec souplesse qu’il convient d’appliquer les principes d’indépendance judiciaire. Cela dit, la décision de la Haute Cour de l’Ontario conserve son utilité. La remarque du juge Campbell, selon qui le tort qu’il y aurait à s’immiscer dans la démarche décisionnelle d’un membre de tribunal administratif est le même que le tort qu’il y aurait à s’immiscer dans la démarche décisionnelle d’un juge, est conforme à la réserve exprimée par le juge Gonthier dans l’arrêt Tremblay, lorsqu’il déclare, en préambule à sa décision que [à la page 964] « Les questions posées par l’intimé ne touchaient pas les motifs au fond ou leur élaboration dans la pensée des décideurs ». Comme le juge Campbell, au niveau du préjudice à éviter, je ne vois aucune différence entre l’immixtion dans le processus décisionnel d’un juge et l’immixtion dans le processus décisionnel du membre d’un autre type de tribunal. Dans la mesure où la question met en jeu des droits, le tort ou préjudice anticipé est analogue[135].

Dans l’affaire Ellis-Don Ltd. v. Ontario Labour Relations Board, la Cour divisionnaire de l’Ontario a été saisie, à l’occasion d’une demande de contrôle judiciaire, d’une demande tendant à ce que les membres de la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) soient appelés à témoigner au sujet de la décision qu’ils avaient prise en l’occurrence[136]. La Cour s’est penchée à la fois sur la disposition légale censée accorder aux membres de la Commission une immunité de témoignage, et sur la portée de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Tremblay. Selon la décision de la CRTO, Ellis-Don Ltd. était lié par les termes d’un accord provincial. La compagnie avait, cependant, obtenu copie d’un avant-projet de décision, selon lequel Ellis-Don Ltd. n’aurait pas été lié. Ayant appris que la décision définitive de la CRTO avait été prise suite à une réunion plénière de la Commission, Ellis-Don Ltd. sollicita le contrôle judiciaire de la décision, faisant valoir que la procédure suivie par la CRTO était contraire à la justice fondamentale, et demandant que le président, le vice-président et le registrateur de la CRTO soient enjoints de fournir certains renseignements touchant les procédures de la CRTO. La CRTO a répondu que l’article 111 de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario accordait à ses membres une immunité de témoignage[137].

Le juge Steele a conclu que, dans un cas où l’on allègue un déni de justice naturelle, l’article 111 de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario ne doit pas avoir pour effet de refuser au demandeur le droit de chercher à savoir si on lui a fait du tort. Il a ordonné aux membres de la CRTO de se soumettre à un contre-interrogatoire. La Cour divisionnaire a infirmé la décision du juge Steele, estimant que, justement, l’article 111 s’appliquait aux faits de l’affaire. Selon la Cour, il y avait lieu de donner à l’article 111 une interprétation libérale fondée sur l’objet même de la Loi, le mot « témoigner » ne s’entendant pas seulement de dépositions orales. Selon la Cour, toute autre interprétation de l’article 111 :

[traduction] … nuirait à l’objet même de l’art. 111 qui est de mettre les membres de la Commission à l’abri des distractions, des pertes de temps et des tentatives éventuelles d’intimidation qui découleraient de l’obligation d’avoir à témoigner sur leurs activités au sein de la Commission dans le cadre d’autres procédures juridiques[138].

Le requérant faisait valoir qu’il y avait de bonnes raisons de penser que la procédure suivie par la Commission n’était pas conforme à la justice naturelle, et que, selon l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire Tremblay, il convenait de lever le voile sur le secret du délibéré. La Cour a estimé que :

[traduction] En l’espèce, les faits relèvent nettement de l’art. 111. Cette disposition, qui n’a pas été évoquée dans l’arrêt Tremblay, précité, est censée protéger le secret du délibéré et éviter l’effet d’intimidation que risquerait d’avoir sur le processus décisionnel la possibilité d’être obligé de témoigner. Une législature a, il est clair, le pouvoir de modifier ce que la common law exige en matière de justice naturelle. En l’espèce, elle a manifestement et précisément écarté un des moyens qu’une partie pourrait invoquer pour démontrer une violation de la justice naturelle. On ne saurait, sans miner l’objet même de la disposition législative en question, l’interpréter comme créant une exception en ce qui concerne la justice naturelle[139].

La Cour a décidé que si, les principes formulés dans l’affaire Tremblay s’appliquaient effectivement en l’espèce, le requérant n’était pas parvenu à établir l’existence d’une violation des règles de justice naturelle.

L’intimé et les intervenants ont fait valoir devant moi que le rassemblement, la conservation et la divulgation éventuelle des notes en vertu des dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels auraient pour effet d’obliger les membres à « déposer » au sens de l’article 119 du Code. Je ne suis pas de cet avis. Cela dit, il n’en demeure pas moins que l’article 119 illustre bien l’intention du législateur de mettre les membres du CCRT à l’abri de toute ingérence dans la démarche intellectuelle qui sous-tend leurs décisions. Cela confirme la conclusion à laquelle je suis parvenu et selon laquelle les notes en question ne sont pas soumises à l’obligation de communication au titre de l’alinéa 22(1)b) de la Loi.

3.         Ce qu’il faut entendre par « renseignements personnels »—la portée de la Loi sur la protection des renseignements personnels

En réplique à cette conclusion, le requérant soutient que, du simple point de vue de l’interprétation des lois, il faut écarter toute idée que les notes en question pourraient être exemptées de l’obligation de communication au titre de l’alinéa 22(1)b). Il a, plus précisément, soutenu en fin de réplique[140] que, le « compte rendu des consultations ou des délibérations » auxquelles ont participé les agents d’une institution fédérale n’étant pas soumis à l’obligation de divulgation au titre de la Loi sur l’accès à l’information[141], cette exemption ne figurant pas toutefois dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, il faut conclure que le privilège décisionnel n’est pas censé soustraire ces renseignements à l’obligation de divulgation au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels. J’estime qu’une telle inférence va au-delà de ce qu’on peut affirmer.

L’exemption prévue démontre cependant, que, en ce qui concerne la Loi sur l’accès à l’information, le législateur a considéré le privilège décisionnel et a choisi de le respecter. Que la question soit passée sous silence dans la Loi sur la protection des renseignements personnels s’explique plutôt par le champ plus réduit de ce deuxième texte; ce silence n’indique pas nécessairement que le législateur a voulu, dans cette Loi, écarter le privilège décisionnel. La Loi sur l’accès à l’information a, en effet, un champ d’application beaucoup plus étendu que la Loi sur la protection des renseignements personnels. Sous réserve de certaines exemptions précises, la Loi sur l’accès à l’information met à la disposition de toute personne intéressée[142] l’ensemble des dossiers relevant du gouvernement fédéral. Dans la mesure où cette Loi entend donner accès aux « documents de l’administration fédérale »[143], et que ce terme n’est lui-même pas défini, le texte se fonde sur l’hypothèse que tous ces documents contiennent des renseignements auxquels la Loi confère un droit d’accès. C’est dire que, selon la Loi sur l’accès à l’information, tous les dossiers relevant du gouvernement sont accessibles, quel que soit leur contenu[144]. C’est dans ce contexte-là que, dans la Loi sur l’accès à l’information, le législateur a décidé d’exempter de l’obligation de divulgation le compte rendu des consultations et des délibérations des décideurs, consigné au cours du processus décisionnel.

La Loi sur la protection des renseignements personnels a, elle, un champ d’application beaucoup plus restreint. Elle ne donne accès qu’aux « renseignements personnels » et, aux termes de la définition qui en est donnée, n’en fournit l’accès qu’à l’individu concerné. Ainsi, avant même d’envisager, dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, une exemption en faveur du compte rendu des consultations et des délibérations des décideurs, il aurait fallu que le législateur estime que de telles consultations et de telles délibérations sont susceptibles de contenir le type de renseignement visé par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cela me paraît peu vraisemblable.

Un sens très large est donné à l’expression « renseignements personnels ». Sa définition comprend « les renseignements » de nature personnelle, au sens où ce mot est généralement entendu[145], y compris les renseignements touchant des domaines énumérés à l’article 3. L’expression, cependant, s’entend aussi de « points de vue » ou d’« opinions[146] » qu’un individu entretient sur autrui. Malgré une définition aussi large, il est peu probable que puisse être considéré comme un « renseignement personnel » concernant un individu ce qu’un décideur pourrait exprimer au cours de consultations ou de délibérations. S’il en est ainsi, c’est que les choses consignées par un décideur dans le cadre de délibérations n’a pas pour objet d’informer. Qui plus est, et quels que soient les « points de vue » ou les « opinions » exprimés par un décideur à l’égard de quelqu’un au cours de délibérations, on ne peut pas dire qu’il s’agisse des « points de vue » ou des « opinions » du décideur, à moins que ces éléments ne se retrouvent éventuellement dans les motifs de la décision.

L’économie de la Loi sur la protection des renseignements personnels renforce l’idée que cette Loi vise des renseignements destinés à informer, ou du moins qui sont susceptibles d’un tel usage. Or, les consultations et les délibérations, telles qu’elles sont consignées, ne répondent à ni l’un ni l’autre de ces critères. La Loi a deux objets essentiels, à savoir la protection des renseignements personnels relevant des institutions fédérales et le droit d’accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent[147]. Dans cette optique, la Loi prévoit que le gouvernement ne recueillera, en matière de renseignements personnels, que ceux qui sont nécessaires à son fonctionnement[148] et, là où de tels renseignements doivent effectivement être recueillis, elle exige que ces renseignements soient à jour, exacts et complets[149]. À cette fin, on reconnaît à l’intéressé un droit d’accès aux renseignements qui le concernent, ainsi que le droit d’y apporter des corrections, ou d’insister pour que soient ajoutées à ces renseignements des mentions reflétant son point de vue[150].

Or, un compte rendu de consultations ou de délibérations ne se prête guère aux mentions et aux corrections. Il ne prétend pas être, et ne peut pas raisonnablement être considéré comme « exact », « à jour » ou « complet » quant à ce qu’il contient. Qu’il nous soit d’ailleurs permis de douter qu’en l’espèce, le plaignant, en déposant sa demande d’accès, se soit vraiment soucié des renseignements personnels le concernant. Dans sa lettre au Commissaire à la protection de la vie privée, il a clairement fait savoir que s’il avait besoin des renseignements en question, c’était pour poursuivre l’action longue et compliquée qu’il avait intentée devant les tribunaux pour violation des droits que lui garantit le Code[151]. À cet égard, la procédure d’appel offrait au plaignant un moyen efficace de corriger toute erreur de fait ou d’opinion que le Conseil aurait pu retenir dans le cadre de sa décision[152].

J’estime donc que, si la Loi sur la protection des renseignements personnels ne prévoit, en effet, aucune exemption à l’égard du compte rendu des consultations et des délibérations auxquelles prennent part des décideurs, ce n’est pas nécessairement par volonté d’écarter, dans le cadre de la Loi, le privilège décisionnel. Il est plus probable que le législateur n’a tout simplement pas estimé qu’un compte rendu de consultations et de délibérations soit susceptible de contenir des « renseignements », et moins encore des « renseignements personnels » aux termes de la définition qu’en donne la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Avant d’aborder une autre question, notons que si, aux termes de la Loi sur l’accès à l’information, le compte rendu d’une consultation ou d’une délibération, consigné par le décideur dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, n’est pas soumis à l’obligation de divulgation, les notes prises par les décideurs au cours d’une audience, telles que les notes ici en cause, ne bénéficient pas, elles, d’une telle exemption[153]. Les notes d’audience sont pourtant intimement liées au privilège décisionnel, comme le sont les consultations et délibérations auxquelles participent les décideurs. Cette omission peut être due à un oubli, mais j’estime plutôt que si les notes d’audience ne figurent pas dans le cadre de l’exemption c’est qu’on ne considère pas, normalement, qu’elles « relèvent » du gouvernement. Et c’est là le second problème d’interprétation des lois que j’aborde maintenant.

4.         Les notes relèvent-elles du CCRT?

Je note d’emblée que, tant dans la Loi sur la protection des renseignements personnels que dans la Loi sur l’accès à l’information, l’expression « relevant d’une institution fédérale » est utilisée, dans un même but, c’est-à-dire pour identifier, dans les deux cas, ce qui est visé. Les deux lois retiennent ainsi des moyens identiques au service d’objectifs identiques. L’expression « relevant d’une institution fédérale » doit donc être interprétée de la même manière dans les deux lois. C’est dire que, si les notes en question « relèvent » du gouvernement aux fins de la protection des renseignements personnels, elles « relèvent » également du gouvernement aux fins de l’accès à l’information[154].

Le requérant soutient, en premier lieu, que le simple fait que les notes aient été « récupérées » et « examinées » par le CCRT, démontre qu’elles relèvent bien de cet organisme. Je ne suis pas de cet avis. Rappelons que les notes ont été produites pour être soumises à un examen « sans préjudice », dans l’espoir que le Commissaire cesserait de les réclamer. Selon la preuve produite devant la Cour, il ressort que cet examen a eu lieu après que l’intimé eut obtenu le consentement des membres. Le fait que le CCRT ait pu, dans ce contexte, produire les notes en vue de leur examen n’établit pas qu’il en ait eu le contrôle, et le fait que le Commissaire affirme le contraire, alors qu’il avait lui-même convenu que l’examen aurait lieu « sans préjudice », frise la mauvaise foi. Je rejette donc l’argument selon lequel il a été démontré que les notes relevaient du CCRT puisque « en tout état de cause, les notes ont en l’espèce été récupérées et examinées »[155].

C’est par ailleurs avec justesse que le requérant fait valoir que le mot « relevant » doit être interprété de manière aussi large que possible afin de servir au mieux l’objet même de la Loi. C’est effectivement le principe retenu jusqu’ici par la jurisprudence. Dans l’affaire Ottawa Football Club[156], affaire portant sur la Loi sur l’accès à l’information, le juge Strayer (maintenant à la Cour d’appel fédérale) ne relève aucune distinction entre les « documents de l’administration fédérale » et les documents qui seraient, pour s’exprimer autrement, « en sa possession ». Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si le fait qu’un renseignement ait été fourni à une institution fédérale, à la condition expresse qu’il serait tenu pour confidentiel, en empêchait l’accès. Le juge Strayer a déclaré :

La signification évidente du libellé de la Loi ne laisse pas entendre que les « renseignements », « les documents de l’administration fédérale » et les « documents » du gouvernement doivent être soumis à un test visant à établir comment le gouvernement les a obtenus et à quelles conditions. Or, c’est cette sorte de limite que la LCF me demande de créer. Je ne vois aucune raison de le faire. Il ressort clairement des paragraphes 2(1) et 4(1) précités que la Loi donne accès, sous réserve de plusieurs exceptions, aux documents de l’administration fédérale et aux renseignements qu’ils peuvent contenir, nonobstant la façon dont l’administration en a eu possession. C’est sûrement aussi l’interprétation la plus conforme à l’objet de la Loi. D’autre part, l’interprétation proposée par la LCF ne semble pas conforme à l’alinéa 20(1)b) sur lequel elle s’appuie aussi : cet alinéa laisse évidemment présumer que des « renseignements … fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle » sont visés prima facie par la définition du mot « documents » par ailleurs susceptibles de communication n’était-ce la protection possible prévue par l’alinéa en cause. En d’autres mots, cette exception confirme la règle que les documents confidentiels fournis au gouvernement par un tiers peuvent former la totalité ou une partie des « documents des institutions fédérales »[157].

Le renseignement en question avait été fourni par la LCF au ministre de la Condition physique et du sport amateur afin d’obtenir une aide, notamment financière, devant lui permettre de se maintenir en activité, question relevant effectivement de la compétence du ministre.

Dans l’affaire Bande indienne de Montana[158], autre affaire d’accès à l’information, on faisait valoir que les états financiers fournis par la bande au ministre des Affaires indiennes, en vertu d’une obligation légale, ne relevaient pas du gouvernement étant donné le rapport fiduciaire liant le ministre à la bande. Le juge en chef adjoint Jerome a estimé que, malgré le rapport fiduciaire, les documents en question étaient « des documents des institutions fédérales ». Il a ainsi déclaré que :

Alors que l’on peut comprendre que la bande trouve répugnant que leurs dossiers personnels fassent l’objet d’une demande d’accès à l’information, le fait demeure qu’étant donné les exigences de communication, une copie de leurs états financiers constitue des documents des institutions fédérales[159].

Le juge en chef adjoint Jerome a également rappelé que les renseignements en question avaient été transmis au gouvernement en raison d’une mission fixée par la loi.

Dans l’affaire Société canadienne des postes[160], la Cour d’appel a une nouvelle fois eu l’occasion de se pencher sur la portée de l’expression « relevant d’une institution fédérale ». Il s’agissait de dire si « relevaient » du gouvernement fédéral les documents rassemblés par le ministère des Travaux publics dans le cadre d’une mission qu’il remplissait en tant qu’agent, auprès de la Société canadienne des postes, son commettant. Cette mission comprenait une activité de conseil, notamment en matière de gestion d’immeubles. Le juge Létourneau, de la Cour d’appel, en réponse à une vigoureuse opinion dissidente de son confrère le juge Marceau, a conclu que les documents en question relevaient effectivement du ministère des Travaux publics du Canada :

L’expression « relevant de » (« control ») que l’on trouve au paragraphe 4(1) de la Loi sur l’accès à l’information (la Loi) constitue une notion qui n’est pas définie et qui n’est assujettie à aucune limite. Le législateur fédéral n’a pas jugé bon d’établir une distinction entre les documents « relevant d’ » une institution fédérale (« under the control of ») de façon ultime ou immédiate, complète ou partielle, temporaire ou permanente ou « de jure » ou « de facto ». Si, comme l’affirme l’appelante, le législateur fédéral avait voulu nuancer la notion véhiculée par l’expression « relevant de » ou la restreindre au pouvoir de disposer des documents, il aurait certainement pu le faire en limitant le droit d’accès des citoyens aux seuls documents dont l’administration fédérale peut disposer ou qui relèvent ultimement ou de façon durable d’elle.

À mon avis, il incombe tout autant aux cours de justice de donner au paragraphe 4(1) de la Loi sur l’accès à l’information une interprétation libérale et fondée sur l’objet visé, sans ajouter des termes restrictifs qui ne se trouvent pas dans la Loi ou autrement contourner la volonté du législateur, qu’« il incombe aux commissions et aux cours de justice », ainsi que le juge en chef Lamer de la Cour suprême du Canada nous l’a rappelé au sujet de la Loi canadienne sur les droits de la personne, « de donner à l’art. 3. une interprétation libérale et fondée sur l’objet visé, sans faire abstraction des termes restrictifs de la Loi ni autrement contourner la volonté de la législature ». En règle générale, « lorsqu’on interprète une loi, on ne doit pas y ajouter ou supprimer des mots et le lecteur ne devrait pas essayer de combler les lacunes qu’il pense voir ». La Cour n’a pas le pouvoir de limiter le sens large de l’expression « relevant de » (« control »), étant donné qu’il n’y a rien dans la Loi qui indique qu’on ne devrait pas donner son sens large à cette expression. Au contraire, le législateur fédéral voulait conférer par la loi aux citoyens un droit d’accès efficace aux documents de l’administration fédérale. Ainsi que le lord juge Halsbury l’a déclaré dans l’arrêt Bank of England v. Vagliano Brothers :

[traduction] Il me semble que le fait d’interpréter la loi en y ajoutant des mots qu’on n’y trouve pas ou que le libellé de la loi elle-même n’autorise pas à y trouver contrevient à une des règles d’interprétation les plus connues. [Souligné dans l’original, les renvois ont été omis[161].]

Le juge Marceau, avait conclu que le mot « relevant » signifiait plus que la simple garde ou possession. Son avis à cet égard était fondé sur une conclusion de fait essentielle, à savoir que le ministère des Travaux publics n’avait pas acquis les documents en question dans le cadre des fonctions que lui confie la loi. Voici le contexte dans lequel, selon lui, le fait de confondre les expressions « en la possession de » et « relevant de » :

… pourrait conduire à des résultats absurdes, étant donné qu’elle ne viserait pas les documents qui appartiennent à l’administration fédérale mais qui ont été confiés à un gardien extérieur, alors qu’elle s’appliquerait à des documents se retrouvant entre les mains d’une institution par accident ou illégalement (comme dans le cas d’une saisie illégale)[162].

Cela étant, le juge Marceau conclut plus loin que :

Compte tenu de ces observations initiales, il me semble que l’on peut dire qu’un document ou un renseignement relève d’une institution—et non seulement qu’il se trouve en sa possession—si cette institution peut considérer que le renseignement ou le document en question lui appartient de sorte qu’elle peut le conserver ou en disposer indépendamment de sa nature ou de son contenu et malgré toute objection formulée par la personne concernée. Et, à mon sens, ces conditions ne sont réunies que lorsque le document a été constituée ou créé par l’institution dans le cadre de l’exécution de ses fonctions officielles. [Souligné dans l’original[163].]

Il est intéressant de noter que le juge Létourneau, dans sa décision majoritaire, considère les faits sur lesquels se fonde l’opinion du juge Marceau comme étant erronés. En effet, après avoir relevé que le ministère des Travaux publics avait à la fois la possession et la garde des dossiers en question, le juge Létourneau a conclu que le ministère des Travaux publics avait effectivement recueilli les dossiers en question « dans l’exécution de ses fonctions officielles »[164]. Le jugement de la Cour d’appel signifie ainsi que les dossiers amassés par une institution fédérale « relèvent » de cette institution, quelle que soit par ailleurs la nature du contrôle qu’elle exerce dans la mesure où elle détient lesdits dossiers dans l’exercice de ses fonctions officielles[165].

Il ressort clairement des faits retenus par la jurisprudence pour préciser le sens à donner au mot « relevant », que dans chaque cas les renseignements en question étaient parvenus sous le contrôle et (ou) la garde des institutions fédérales dans l’exercice des fonctions que leur confiait la loi. Les renseignements qui parviennent au gouvernement de cette manière-là constituent à l’évidence la catégorie d’information à laquelle le législateur a entendu donner accès en adoptant la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information[166].

Abordons maintenant le dossier dont est saisie la Cour et, plus précisément, les notes qui sont ici en cause et la question de savoir de qui elles relèvent. Il est évident que ni le Code canadien du travail, ni la politique et les procédures du CCRT, ne renferment de règle relative à ces notes. Les notes sont considérées par leurs auteurs comme quelque chose leur appartenant. Les membres du CCRT sont entièrement libres de prendre des notes, là où ils estiment que c’est indiqué, et ils peuvent aussi bien choisir de ne pas en prendre. Les notes sont destinées à n’être lues que par leur auteur. Nulle autre personne n’est autorisée à voir, à lire ou à utiliser ces notes, et leur auteur s’attend manifestement à ce que personne d’autre ne les voie[167]. Les membres restent responsables de la conservation et de la sauvegarde de leurs notes et peuvent à tout moment les détruire. Les notes, enfin, ne font pas partie des archives officielles du CCRT, et ne sont versées dans aucun fichier sur lequel le CCRT exercerait un contrôle administratif.

Il en ressort d’après moi que, même en interprétant de manière libérale le mot « relevant », on ne peut pas dire que les notes en question « relèvent » du CCRT. Non seulement ces notes sont-elles hors du contrôle ou de la garde du CCRT, mais le CCRT lui-même considère que ces notes se situent en dehors de ses fonctions officielles.

Le dossier indique pourtant que les notes en question étaient conservées par les membres du Conseil, soit dans leur bureau, soit chez eux, mais plus probablement au bureau[168]. Cela porte à se demander s’il ne découlerait pas, du simple fait que les notes ont pu être conservées par les membres dans les locaux du CCRT, que ces notes « relèvent » effectivement du Conseil, au sens donné à ce terme par l’alinéa 12(1)b) de la Loi.

Je ne crois pas qu’il en soit ainsi. S’il est vrai que, dans la mesure où des dossiers sont laissés ou conservés dans les locaux d’une institution fédérale, celle-ci a la possibilité de facto d’en prendre connaissance, cela ne veut pas dire que les dossiers en question « relèvent » de l’institution au sens de l’alinéa 12(1)b) de la Loi. Le texte s’entend bien d’un contrôle, quel qu’il soit, mais d’un contrôle qui s’exerce en vertu de règles de droit[169]. Il est inconcevable d’invoquer la Loi sur la protection des renseignements personnels pour contraindre une institution fédérale à faire intrusion dans le dossier d’un tiers, violant ainsi son droit à la vie privée, uniquement en réponse aux droits invoqués par un individu en matière de protection des renseignements personnels.

Dans son dossier complémentaire, produit en réplique, le requérant fait également valoir que, même si le CCRT n’exerçait aucune autorité officielle sur les notes en question, on pouvait s’attendre néanmoins à ce qu’il ait exercé un certain contrôle sur les notes dans le courant de ses activités ordinaires. Cela suffit, selon le requérant, pour que les notes en question « relèvent » du Conseil[170]. Sur ce point, le requérant fait remarquer que le mot « relever » s’entend du « pouvoir de régir »[171]. Les alinéas 15(a) et 15(q) du Code sont également invoqués. Ils confèrent au CCRT le pouvoir d’adopter des règlements concernant :

15.

a) l’établissement de règles de procédure pour ses auditions;

q) toute mesure utile ou connexe à l’exécution de la mission qui lui est confiée par la présente partie.

D’après le requérant, le CCRT pouvait, et aurait dû, invoquer ces dispositions pour asseoir son autorité sur les notes.

Si le CCRT a choisi de ne pas établir de règlements affirmant son pouvoir ou son autorité sur les notes prises par ses membres, c’est sans doute parce qu’une telle démarche n’était pas considérée comme propice à la bonne exécution des tâches qui lui incombent. Je doute également que le fait d’imposer à ses membres qu’ils prennent des notes, ou de les soumettre à quelqu’autre forme de contrôle, relève du pouvoir qu’a le CCRT de régler le déroulement de ses audiences.

Quoi qu’il en soit, c’est un fait que le CCRT ne revendique sur les notes aucune autorité, de facto ou de jure, et qu’il n’a effectivement exercé aucun contrôle sur ces documents. Cette situation est d’ailleurs parfaitement conforme à la pratique des tribunaux administratifs, pratique elle-même inspirée par la pratique des tribunaux judiciaires. Rien ne permet d’affirmer que cette pratique est contraire au Code et, en particulier, rien ne permet d’affirmer que le CCRT aurait failli au devoir qui lui aurait incombé d’exercer son autorité sur les notes. J’en conclus que les notes en question ne « relèvent » pas du CCRT aux fins de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

5.         Observations finales

D’après la documentation versée au dossier par le Commissaire, la divulgation des notes en question pourrait « favoriser l’administration de la justice » en encourageant les décideurs à « respecter cette partie de leur activité qui consiste à prendre des notes »[172]. Le Commissaire estime que les décideurs devraient être tenus de prendre des notes, et que le gouvernement devrait avoir autorité sur celles-ci, ce qui entraînerait la création de fichiers de renseignements personnels susceptibles d’être examinés, corrigés ou annotés sous sa direction. L’éventuelle divulgation de ces notes à l’individu concerné pourrait même, selon le Commissaire, « accroître la considération qui s’attache au processus décisionnel du Conseil » et « favoriser le règlement rapide des contentieux »[173].

J’estime, en toute déférence, que le Commissaire n’a pas tenu compte des intérêts qui plaident contre la divulgation qu’il sollicite en l’espèce, et que la position qu’il a prise l’a porté à s’aventurer hors de son domaine particulier de connaissance. La liberté dont doit jouir un décideur au niveau des notes qu’il peut prendre, n’est pas là pour « la commodité des membres du Conseil », comme semble le croire le Commissaire[174]. Il s’agit, au contraire, d’un élément essentiel des fonctions confiées aux décideurs, fonctions qui consistent à trancher en toute liberté et en toute indépendance les questions dont ils sont saisis, et cela au mieux de leurs capacités et sans aucune restriction, pression ou ingérence de la part de qui que ce soit, ou pour quelque motif que ce soit.

Ne pouvant pas en l’espèce se fonder sur la jurisprudence, le Commissaire a tout simplement choisi de ne pas tenir compte d’une pratique judiciaire de longue date qui met les décideurs à l’abri de toute ingérence dans le processus intellectuel par lequel ils aboutissent à leurs décisions. C’est qu’il estime cette pratique superflue et comme nuisant même au bon fonctionnement de notre système de droit, et cela malgré l’avis clairement manifesté des tribunaux judiciaires qui attachent une importance particulière à l’équité procédurale. J’estime qu’en prétendant améliorer le fonctionnement de notre système de droit, le Commissaire a perdu de vue l’objet et les limites des textes qui lui sont applicables.

Par ces motifs, la demande est rejetée avec dépens.



[1] L.R.C. (1985), ch. P-21 (ci-après citée soit sous cette forme soit sous celle de Loi).

[2] L.R.C. (1985), ch. L-2 (ci-après appelé le Code). L’art. 97 [mod. par L.C. 1991, ch. 39, art. 2] dispose que :

97. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), toute personne ou organisation peut adresser au Conseil, par écrit, une plainte reprochant :

a) soit à un employeur, à quiconque agit pour le compte de celui-ci, à un syndicat, à quiconque agit pour le compte de celui-ci ou à un employé d’avoir manqué ou contrevenu aux paragraphes 24(4) ou 34(6) ou aux articles 37, 50, 69, 94 ou 95;

b) soit à une personne d’avoir contrevenu à l’article 96.

[3] Le Code, en son art. 37, dispose que :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[4] Gilles Charlebois (1993), 91 di 14 (C.C.R.T.), à la p. 25 (ci-après dénommé motifs du CCRT). M. Charlebois a déposé devant la Cour d’appel fédérale une demande de contrôle judiciaire (par avis de requête introductive d’instance en date du 3 mars 1993) conformément à l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8)]. La demande de contrôle judiciaire a été rejetée par la Cour d’appel le 26 avril 1994 : Charlebois c. Le Syndicat uni du transport, section locale 279 et al. (1994), 169 N.R. 144 (C.A.F.). À la p. 145 de ses motifs, la Cour d’appel a déclaré que :

Les moyens sur lesquels cette Cour peut se fonder pour entreprendre un contrôle judiciaire de la décision du Conseil prise le 3 février 1993 sont limités par l’art. 22(1) du Code.

Le requérant ne prétend pas que, dans sa façon de traiter la plainte, le Conseil a commis un déni de justice naturelle ou qu’il a agi, ou s’est abstenu d’agir, par fraude. Il ne soutient pas non plus que le Conseil n’était pas compétent pour instruire et juger sa plainte.

Par conséquent, la seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si le Conseil s’est trompé en exerçant sa compétence de manière à donner à cette Cour le droit d’intervenir. En d’autres termes, est-ce que l’interprétation donnée par le Conseil de l’art. 37 était « manifestement déraisonnable »? … On nous demande d’annuler la décision, essentiellement pour le motif que le Conseil a mal interprété l’art. 37 du Code en concluant que le processus de prise de décision du Syndicat en vertu de ses statuts pour décider si un grief devait être soumis à l’arbitrage, n’a contrevenu à aucune des dispositions de cet article.

À notre avis, aucun motif valable n’a été avancé qui justifie que cette Cour intervienne dans la décision du Conseil. [Renvois omis.]

En plus de solliciter le contrôle judiciaire de la décision du Conseil, Charlebois a demandé au Conseil de réexaminer sa plainte. L’affaire a été réexaminée par les membres qui s’étaient initialement prononcés sur sa plainte et, par lettre en date du 27 mai 1994, le Conseil a conclu que :

En dernière analyse, les arguments qui nous ont été présentés à l’appui d’une demande de réexamen ne contiennent rien qui porterait le Conseil à modifier sa décision initiale. Cette demande de réexamen est par conséquent rejetée.

Charlebois a déposé une demande d’autorisation de porter la décision de la Cour d’appel devant la Cour suprême du Canada. Cette demande a été rejetée le 12 janvier 1995 [[1995] 1 R.C.S. vi]. Les efforts de Charlebois en vue d’obtenir le contrôle judiciaire du réexamen auquel avait procédé le Conseil ont pris fin le 21 avril 1995 lorsque la Cour d’appel a rejeté sa demande d’ordonnance prorogeant le délai prévu pour le dépôt des demandes de contrôle judiciaire.

[5] Dossier du requérant, à la p. 11.

[6] Dossier du requérant, à la p. 13.

[7] Dossier du requérant, aux p. 15 à 19. Dans sa lettre de plainte, Charlebois faisait savoir au Commissaire à la protection de la vie privée qu’il avait instamment besoin de ces renseignements, déclarant :

[traduction] Si possible, j’ai besoin de ces renseignements dès que possible étant donné les délais prévus pour le dépôt d’un recours devant la Cour d’appel fédérale. Je vous saurais gré des mesures que vous pourrez prendre en ce sens.

[8] Pièce D accompagnant l’affidavit de Joyce McLean; dossier du requérant, à la p. 20.

[9] L’art. 33 dispose que :

33. (1) Les enquêtes menées sur les plaintes par le Commissaire à la protection de la vie privée sont secrètes.

(2) Au cours d’une enquête relative à une plainte, le plaignant et le responsable de l’institution fédérale concernée doivent avoir la possibilité de présenter leurs observations au Commissaire à la protection de la vie privée; toutefois, nul n’a le droit absolu d’être présent lorsqu’une autre personne présente des observations au Commissaire, ni d’en recevoir communication ou de faire des commentaires à leur sujet.

[10] Dossier du requérant, aux p. 24 et 25.

[11] Dossier du requérant, aux p. 28 et 29.

[12] Idem, à la p. 29.

[13] D’après un mémoire ampliatif au dossier, rédigée par Mme McLean et portant la date du 18 novembre 1994, cet examen devait permettre de savoir si les notes prises par les membres du Conseil contenaient effectivement des renseignements personnels : voir le dossier du requérant à la p. 30, selon ce mémoire ampliatif :

[traduction] Il a été décidé que j’examinerai les notes des membres du Conseil afin de voir si elles contiennent effectivement des renseignements personnels. (Martine Nantel devra, à cette fin, prendre les mesures nécessaires auprès du CCRT et me tenir au courant).

Si les notes contiennent des renseignements personnels, nous tenterons de négocier avec le CCRT afin de permettre à Charlebois d’en prendre connaissance (mais pas d’en faire une copie), à condition que cela ne préjuge en rien des positions qui pourraient à l’avenir être adoptées en ce qui concerne les notes prises par les membres du Conseil. Dans cette hypothèse, la plainte serait RÉGLÉE.

[14] Dossier du requérant, à la p. 8.

[15] 35. (1) Dans les cas où il conclut au bien-fondé d’une plainte portant sur des renseignements personnels, le Commissaire à la protection de la vie privée adresse au responsable de l’institution fédérale de qui relèvent les renseignements personnels un rapport où :

a) il présente les conclusions de son enquête ainsi que les recommandations qu’il juge indiquées;

b) il demande, s’il le juge à propos, au responsable de lui donner avis, dans un délai déterminé, soit des mesures prises ou envisagées pour la mise en œuvre de ses recommandations, soit des motifs invoqués pour ne pas y donner suite.

[16] Dossier du requérant, à la p. 36.

[17] 42. Le Commissaire à la protection de la vie privée a qualité pour :

a) exercer lui-même, à l’issue de son enquête et dans les délais prévus à l’article 41, le recours en révision pour refus de communication de renseignements personnels, avec le consentement de l’individu qui les avait demandés;

b) comparaître devant la Cour au nom de l’individu qui a exercé un recours devant elle en vertu de l’article 41;

c) comparaître, avec l’autorisation de la Cour, comme partie à une instance engagée en vertu de l’article 41.

[18] Dossier du requérant, à la p. 8.

[19] L.R.C. (1985), ch. P-35 (ci-après appelé la LRTFP).

[20] Affidavit de Philip Chodos, en date du 17 octobre 1995, au par. 8.

[21] Voir la Règle 1610 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663, édictée par DORS/92-43, art. 19] qui autorise un juge à remédier aux insuffisances du dossier en cas de demande de contrôle judiciaire.

[22] Ces documents comprennent :

—   la plainte initiale de Charlebois au CCRT, en date du 10 février 1993;

—   la décision du Conseil, en date du 3 février 1993, la demande de contrôle judiciaire déposée par le plaignant en vertu de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, déposée le 4 mars 1993;

—   la demande de réexamen soumise au CCRT par le plaignant, et portant la date du 15 février 1994;

—   le jugement de la Cour d’appel fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire du plaignant, en date du 26 avril 1994;

—   la décision du CCRT, en date du 27 mai 1994, suite à son réexamen de la plainte;

—   la décision de la Cour suprême du Canada refusant l’autorisation de se pourvoir contre l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, en date du 12 janvier 1995; et

—   l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, en date du 21 avril 1995, refusant la prorogation du délai en vue de permettre au plaignant de déposer une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue sur réexamen par le CCRT.

[23] L’art. 3 prévoit notamment :

3. …

« renseignements personnels » Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, …

b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;

e) ses opinions ou ses idées personnelles, à l’exclusion de celles qui portent sur un autre individu ou sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à octroyer à un autre individu par une institution fédérale ou subdivision de celle-ci visée par règlement;

g) les idées ou opinions d’autrui sur lui;

i) son nom lorsque celui-ci est mentionné avec d’autres renseignements personnels le concernant lorsque la seule divulgation de son nom révélerait des renseignements à son sujet;

[24] Dossier de l’intimé, aux par. 32 à 36.

[25] TCDP, mémoire, aux par. 9 et 10.

[26] Cet argument est également avancé par le TCCE qui estime que les notes des membres contiennent les « commentaires et réflexions des membres concernant la preuve et les arguments présentés à l’audience, ces notes devant les aider à parvenir à une décision » : voir TCCE, mémoire, par. 7.

[27] Dossier du requérant, à la p. 56, par. 36.

[28] [1989] 2 C.F. 480(1re inst.) (ci-après désigné sous la forme Ottawa Football Club).

[29] [1989] 1 C.F. 143(1re inst.) (ci-après cité sous la forme Bande indienne de Montana).

[30] [1995] 2 C.F. 110(C.A.) (ci-après cité sous la forme Société canadienne des postes).

[31] Dossier complémentaire du requérant, aux par. 7 à 9, 16 et 31.

[32] CRTFP, mémoire, au par. 5.

[33] Dossier de l’intimé, par. 7; CRTFP, mémoire, aux par. 18 et 19.

[34] CRTFP, mémoire, par. 24 et 25.

[35] CRTFP, mémoire, par. 40 à 43.

[36] 22. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) :

b) soit dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d’enquêtes illicites, notamment :

(i) des renseignements relatifs à l’existence ou à la nature d’une enquête déterminée,

(ii) des renseignements qui permettraient de remonter à une source de renseignements confidentielle, et

(iii) des renseignements obtenus ou préparés au cours d’une enquête; …

[37] Dossier du requérant, para. 46 à 54.

[38] Dossier complémentaire du requérant, par. 48 à 54.

[39] Dossier de l’intimé, aux par. 46 et 47.

[40] Mémoire complémentaire de l’intimé, au par. 57.

[41] CRTFP, mémoire, au par. 39.

[42] CRTFP, mémoire, aux par. 29 à 35.

[43] En ce qui concerne les tribunaux judiciaires, ce principe est appelé indépendance judiciaire et son corollaire, l’indépendance décisionnelle : voir MacKeigan c. Hickman, infra, note 112 aux p. 840 et 841.

[44] L.R.C. (1985), ch. A-1 (ci-après Loi sur l’accès à l’information). Ainsi que nous aurons l’occasion de le voir, la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information ont une origine commune. Les deux textes se complètent étant donné qu’ils créent deux droits d’accès parallèles. Il est donc utile de garder à l’esprit le dispositif et le but des deux lois lorsqu’on examine les problèmes fondamentaux d’interprétation auxquels peuvent donner lieu l’un ou l’autre de ces texte.

[45] Loi sur l’accès à l’information, art. 3.

[46] Ibid.

[47] Loi sur l’accès à l’information, art. 7.

[48] Loi sur l’accès à l’information, art. 10.

[49] Loi sur l’accès à l’information, art. 54.

[50] Loi sur l’accès à l’information, art. 30.

[51] Loi sur l’accès à l’information, art. 37.

[52] Loi sur l’accès à l’information, art. 41 et 42.

[53] Loi sur l’accès à l’information, art. 72.

[54] S.C. 1976-77, ch. 33.

[55] Voir la Loi sur la protection des renseignements personnels, art. 3.

[56] L’ensemble de ces dispositions est communément appelé Code de bonne conduite en matière de renseignements; voir dossier complémentaire du requérant, par. 3.

[57] DORS/83-508 (ci-après dénommé le Règlement).

[58] Loi sur la protection des renseignements personnels, art. 18.

[59] Loi sur la protection des renseignements personnels, art. 53.

[60] Loi sur la protection des renseignements personnels, art. 29 [mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 37].

[61] Loi sur la protection des renseignements personnels, art. 35.

[62] Loi sur la protection des renseignements personnels, art. 41.

[63] Loi sur la protection des renseignements personnels, art. 42.

[64] Selon le requérant, il s’agit d’un « pouvoir de vérification » permettant au Commissaire de veiller à ce que le gouvernement respecte le code de bonne conduite en matière de renseignements personnels; voir dossier complémentaire du requérant, au par. 5.

[65] Société canadienne des postes, précité, note 30 à la p. 128, le juge d’appel Létourneau.

[66] [1989] 1 C.F. 265(C.A.) (ci-après cité sous la forme SCHL).

[67] Idem, à la p. 274.

[68] Idem, à la p. 276.

[69] [1995] 3 C.F. 199(C.A.) (ci-après cité sous la forme Dagg).

[70] Idem, aux p. 219 et 220.

[71] [1988] 3 C.F. 551(1re inst.), à la p. 557.

[72] [1994] 3 C.F 527 (1re inst.), à la p. 539.

[73] (1990), 41 F.T.R. 39 (C.F. 1re inst.), aux p. 45 et 46 (ci-après cité sous la forme Bombardier). Le demandeur faisait valoir que la grille de correction était « le support » des renseignements personnels dont il demandait communication.

[74] Idem, à la p. 45.

[75] Dagg, précité, note 69.

[76] Idem, à la p. 217.

[77] Idem, à la p. 218.

[78] [1989] 1 C.F. 47(C.A.) (ci-après cité sous la forme Canada Packers).

[79] Idem, à la p. 60.

[80] [1995] A.C.F. no 926 (1re inst.) (QL) (ci-après cité sous la forme Kaiser).

[81] Idem, à la p. 3.

[82] Lettre du Commissaire à la protection de la vie privée au président du CCRT, en date du 12 juillet 1994; voir dossier du requérant, à la p. 28.

[83] Lettre du Commissaire à la protection de la vie privée au président du CCRT, en date du 1er février 1995; voir dossier du requérant, à la p. 36.

[84] Mémoire du requérant, au par. 48.

[85] Dossier complémentaire du requérant, au par. 33.

[86] Dossier complémentaire du requérant, au par. 53.

[87] Mémoire du requérant, au par. 54.

[88] Dossier complémentaire du requérant, au par. 46.

[89] Pièce G, accompagnant l’affidavit de Joyce McLean, dossier du requérant, à la p. 31.

[90] Affidavit de Philip Chodos, en date du 17 octobre 1995.

[91] Le requérant a fait valoir que la déposition consignée dans l’affidavit de M. Chodos est de caractère personnel et qu’on ne peut pas lui donner une application générale. J’admets l’argument de l’avocat de la CRTFP, selon lequel la déposition de M. Chodos doit être considérée comme exposant la teneur typique de notes prises par les membres d’organismes tels que la CRTFP et le CCRT.

[92] Code canadien du travail, précité, note 2, art. 9.

[93] Idem, art. 10.

[94] Idem, art. 15.

[95] Code canadien du travail, art. 22. L’art. 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] dispose que :

18.1

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

[96] Les pouvoirs et obligations du CCRT, lors du dépôt d’une plainte en vertu de l’art. 97, sont exposés à l’art. 98 du Code qui prévoit notamment que :

98. (1) Sous réserve du paragraphe (3), le Conseil peut, sur réception d’une plainte présentée au titre de l’article 97, aider les parties à régler le point en litige, s’il décide de ne pas le faire ou si les parties ne sont pas parvenues à régler l’affaire dans le délai qu’il juge raisonnable dans les circonstances, il l’instruit lui-même.

L’art. 99 [mod. par L.C. 1991, ch. 39, art. 3] du Code confère au CCRT de larges pouvoirs pour remédier à toute atteinte au Code en ce qui concerne les plaintes déposées en vertu des art. 24(4) et 34(6) [mod., idem, art. 1] ainsi que de celles déposées en vertu des articles 37, 50, 69, 94, 95 ou 96.

[97] [1995] 1 R.C.S. 157 (ci-après cité sous la forme de SRC).

[98] SRC, précité note 97, à la p. 179; appliquant le critère énoncé par le juge Beetz dans l’arrêt U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048.

[99] Idem, aux p. 179 et 180.

[100] Idem, aux p. 183 et 184.

[101] Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673 (ci-après cité sous la forme Valente).

[102] Idem, à la p. 687.

[103] Idem, à la p. 689.

[104] Idem, aux p. 711 et 712.

[105] Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56 (ci-après cité sous la forme Beauregard).

[106] Idem, à la p. 69.

[107] Idem, à la p. 70.

[108] Idem, aux p. 73 et 74.

[109] R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114 (ci-après cité sous la forme Lippé).

[110] Idem, aux p. 152 et 153.

[111] Idem, à la p. 153.

[112] MacKeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796 (ci-après cité sous la forme MacKeigan).

[113] Idem, aux p. 840 et 841.

[114] Idem, aux p. 827 et 828.

[115] Idem, aux p. 830 et 831.

[116] Affidavit de Philip Chodos, en date du 17 octobre 1995, au par. 7.

[117] Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3 (ci-après cité sous la forme Matsqui).

[118] Idem, à la p. 67.

[119] Idem, aux p. 49 et 51.

[120] Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), [1992] 1 R.C.S. 952 (ci-après cité sous la forme Tremblay).

[121] Idem, aux p. 964 à 966.

[122] Ce résultat n’a rien de surprenant. L’exigence voulant que le pouvoir et la fonction des tribunaux soient complètement distinctes des autres secteurs de la justice découle, selon Beauregard [à la p. 73], du rôle des tribunaux en tant que « arbitres des litiges, interprètes du droit et défenseurs de la Constitution ». Le CCRT participe à au moins deux de ces rôles; l’art. 22 du Code prévoit que le CCRT interprète et tranche en dernier ressort dans le domaine des relations du travail au Canada relevant de la compétence que lui confère le Code.

[123] Tremblay, précité, note 120, à la p. 966.

[124] En l’occurrence, cette obligation a sa source dans la loi puisqu’elle est définie à l’art. 22 du Code canadien du travail ainsi qu’aux art. 28 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Selon la jurisprudence, le pouvoir de supervision que les cours supérieures exercent sur les tribunaux administratifs en cas de défaut de compétence ou d’excès de pouvoir a sa source dans la constitution : Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220.

[125] Douville c. Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec, [1993] C.A.I. 266 (ci-après cité sous la forme Douville).

[126] Idem, à la p. 268.

[127] Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, qui prévoit, en son art. 23 que :

23. Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu’il s’agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle.

[128] Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), ann. III.

[129] Voir les consignes transmises par le Commissaire à la protection de la vie privée au président du CCRT après avoir décidé que les notes étaient soumises à l’obligation de communication : dossier du requérant, à la p. 36. Voir également l’art. 6 de la Loi ainsi que l’art. 4 du Règlement.

[130] L’art. 108 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 77] dispose que :

108. Les commissaires, les conciliateurs, les commissaires-conciliateurs, les membres d’un bureau de conciliation, d’un conseil d’arbitrage ou d’un comité d’examen visé aux articles 78.1 ou 78.4, les arbitres de griefs ou de différends, les fonctionnaires supérieurs ou autres de la Commission, ou les personnes qu’elle nomme, et les enquêteurs nommés aux titre de l’article 54.1, ne sont pas tenus de déposer, dans une action—ou tout autre procédure—au civil, relativement à des renseignements obtenus dans l’accomplissemen de leurs fonctions aux termes de la présente loi.

L’art. 111 de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. L. 2, dispose que :

111. Sauf si la Commission y consent, ses membres, son registrateur, et les autres membres de son personnel sont exemptés de l’obligation de témoigner dans une action civile ou dans une instance devant la Commission ou devant toute autre commission, en ce qui concerne des renseignements obtenus dans le cadre de leurs fonctions ou en rapport avec celles-ci dans le cadre de la présente loi.

[131] Agnew v. Ontario Assn. of Architects (1987), 64 O.R. (2d) 8 (C. div.) (ci-après cité sous la forme Agnew).

[132] Selon l’article applicable de la Architects Act, 1984 [Loi de 1984 sur les architectes], L.O. 1984, ch. 12, l’art. 43 dispose :

[traduction] 43. (1) Quiconque participe à l’application de la présente loi, y compris une personne qui effectue un examen ou une révision aux termes de l’article 32 ou une enquête aux termes de l’article 38, est tenu au secret à l’égard de toutes les questions dont il a connaissance dans le cadre de ses fonctions, de son emploi, de son enquête ou de son examen, et ne les communique à personne, sauf dans les cas suivants :

a) il est tenu dans le cadre de l’application :

(i) soit de la présente loi, des règlements et des règlements administratifs,

(ii) soit de la Loi sur les ingénieurs, des règlements pris et des règlements administratifs adoptés en application de cette loi,

ou de toute instance engagée sous le régime :

(iii) soit de la présente loi ou des règlements,

(iv) soit de la Loi sur les ingénieurs ou des règlements pris en application de cette loi;

b) il les communique à son avocat;

c) il les communique avec le consentement de la personne à laquelle ces renseignements se rapportent.

(2) Aucune personne visée par le paragraphe (1) n’est tenue, dans une action ou une instance, de témoigner ou de produire des livres, dossiers, documents ou objets, au sujet des renseignements dont elle a eu connaissance dans le cadre de ses fonctions, de son emploi, de son enquête ou de son examen sauf s’il s’agit d’une instance engagée sous le régime de la présente loi, ou de règlements ou des règlements administratifs, ou d’une instance engagée en vertu de la Loi sur les ingénieurs, ou des règlements pris ou des règlements administratifs adoptés en application de cette loi.

[133] Agnew, précité, note 131, à la p. 14.

[134] Idem, aux p. 16 et 17.

[135] Cela semble d’ailleurs conforme à l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Beauregard, le juge en chef Dickson ayant estimé que le caractère indispensable de l’indépendance judiciaire découle, en partie, du rôle que les tribunaux sont appelés à jouer en tant qu’arbitres et interprètes de la loi. Ce rôle est partagé par les tribunaux administratifs qui agissent dans leurs propres domaines de compétences.

[136] Ellis-Don Ltd. v. Ontario Labour Relations Board (1994), 16 O.R. (3d) 698 (C. div.) (ci-après cité sous la forme Ellis-Don).

[137] L’art. 111 dispose que :

111. Sauf si la Commission y consent, ses membres, son registrateur et les autres membres de son personnel sont exemptés de l’obligation de témoigner dans une action civile ou dans une instance devant la Commission ou devant toute autre commission, en ce qui concerne des renseignements obtenus dans le cadre de leurs fonctions ou en rapport avec celles-ci dans le cadre de la présente loi.

[138] Ellis-Don, précité, note 136, à la p. 709.

[139] Idem, à la p. 714.

[140] Cet argument ne figure pas dans le mémoire du requérant.

[141] L’art. 21(1)b) de la Loi sur l’accès à l’information, lu concurremment avec l’art. 21(2)a).

[142] Les citoyens canadiens et résidents permanents, art. 4(1).

[143] Art. 2(1).

[144] La Loi pourrait donc être plus exactement dénommée « Loi sur l’accès aux dossiers ».

[145] Renseignement … ce par quoi on fait connaître qqch. à qqn. (exposé, relation, document); la chose, le fait que l’on porte à la connaissance de qqn. … (Dictionnaire Le Petit Robert 1, Paris, 1984).

Notons que, dans la Loi, l’expression « renseignements personnels » est principalement définie comme s’entendant de « renseignements concernant un individu » [soulignement ajouté].

[146] Opinion … Manière de penser, de juger; attitude de l’esprit qui tient pour vraie une assertion; assertion que l’esprit accepte ou rejette (généralement en admettant une possibilité d’erreur) … Point de vue, position intellectuelle, idée ou ensemble des idées que l’on a dans un domaine déterminé … 3 (Dr. …) Avis d’une personne dans une délibération … 4 … jugement de valeur porté sur une personne, un acte, une qualité. (Dictionnaire Le Petit Robert, Paris, 1984).

[147] Art. 2 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[148] Art. 4 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[149] Art. 6(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[150] Art. 12 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[151] Voir la lettre du plaignant en date du 6 avril 1993 au Commissaire à la protection de la vie privée, dossier du requérant, à la p. 19, où il déclare [traduction] « il me faudrait ces renseignements dès que possible étant donné le délai fixé pour le dépôt de ma demande devant la Cour d’appel ». Si, en raison de sa portée très large, la Loi sur l’accès à l’information se prête à une telle utilisation dans le cadre d’un litige, la Loi sur la protection des renseignements personnels devrait, en principe, être invoquée surtout pour des motifs touchant à la vie privée et le Commissaire devrait tenir compte de cela lorsqu’il se prononce sur le bien-fondé des demandes portées devant lui.

[152] « Un jugement et les motifs de jugement d’un juge doivent être consignés et peuvent faire l’objet d’un examen par voie d’appel interjeté par la communauté juridique ou par le public en général. Les motifs et les décisions parlent d’eux-mêmes. S’ils doivent être mis en doute, les procédures d’appel fournissent un moyen efficace et complet de les contester. » Le juge Cory, arrêt MacKeigan, précité, note 112, à la p. 841.

[153] Il existe une différence de nature entre les « consultations » et « délibérations » auxquelles prennent part des décideurs, et les notes prises par un décideur au cours d’une audience. Étant donné que toute exemption doit être interprétée strictement, il est peu probable en effet que les notes soient elles-mêmes exemptées.

[154] En matière de divulgation, la présente demande a des implications qui vont bien au-delà de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[155] Mémoire du requérant, au par. 36.

[156] Précité, note 28.

[157] Idem, aux p. 485 et 486.

[158] Précité, note 29.

[159] Idem, à la p. 151.

[160] Précité, note 30.

[161] Idem, aux p. 127 à 129, le juge Pratte, J.C.A., souscrivant à cette opinion.

[162] Société canadienne des postes, précité, à la p. 122. La première proposition est douteuse car il me paraît évident que certains dossiers peuvent relever d’une institution fédérale quel que soit par ailleurs l’organisme ou la personne qui en a la garde. La seconde proposition soulève une question plus intéressante.

[163] Société canadienne des postes, précité, à la p. 123.

[164] Société canadienne des postes, précité, à la p. 130.

[165] Société canadienne des postes, précité, à la p. 128.

[166] N’a pas encore été tranchée la question de savoir si sont soumis au droit d’accès les renseignements qui parviennent à une institution fédérale autrement que dans l’exercice de ses fonctions officielles. Jusqu’ici, seul le juge Marceau, de la Cour d’appel, s’est prononcé sur ce point, soutenant vigoureusement la proposition voulant que de tels renseignements ne soient pas soumis au droit d’accès défini par la Loi sur l’accès à l’information. Voir Société canadienne des postes, précité, aux p. 120 à 128.

[167] La seule raison pour laquelle, en l’espèce, les notes ont été vues par quelqu’un d’autre est que le Commissaire s’était arrangé pour qu’elles soient examinées « sans préjudice ». Voir dossier du requérant, aux p. 29 et 30.

[168] Mémoire ampliatif de Joyce McLean, en date du 29 novembre 1994; dossier du requérant, à la p. 31.

[169] Le juge Strayer ne pouvait songer qu’à la garde légale lorsqu’il a déclaré que la Loi sur l’accès à l’information s’appliquait à tout document de l’administration fédérale « nonobstant la façon dont l’administration en a eu possession ». Ottawa Football Club, précité, note 28, à la p. 485.

[170] Dossier complémentaire du requérant, au par. 31.

[171] The Dictionary of Canadian Law, (1991) est cité comme source de cette définition.

[172] Dossier complémentaire du requérant, au par. 53.

[173] Lettre du Commissaire à la protection de la vie privée au président du CCRT, en date du 12 juin 1994, dossier du requérant, à la p. 29.

[174] Dossier complémentaire du requérant, au par. 33.

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