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[1996] 3 C.F. 565

A-683-94

Smith & Nephew Inc. (intimée)

c.

Glen Oak Inc. et Dylex Limited, exerçant son activité sous la dénomination « Bi-Way » ou « Bi-Way Stores » (appelantes)

et

Beiersdorf AG (partie nécessaire)

Répertorié : Smith & Nephew Inc. c. Glen Oak Inc. (C.A.)

Cour d’appel, juges Hugessen, Desjardins et Linden, J.C.A.—Toronto, 7 et 8 mai; Ottawa, 4 juin 1996.

Marques de commerce Contrefaçon Appel d’une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale interdisant aux appelantes de vendre et de distribuer des produits portant les marques de commerce « Nivea »L’intimée est usager inscrit et titulaire d’une licence à l’égard de ces marques de commerceLes marques et l’achalandage ont été vendus à Beiersdorf AGL’intimée ne peut revendiquer d’autres droits que ceux qui découlent de la Loi et de sa qualité de titulaire de licence à l’égard des marques déposées « Nivea » — Les appelantes peuvent livrer concurrence à l’intimée sur le marché canadienL’intimée n’a de droits qu’en qualité de titulaire de licence, non comme propriétaire des marques de commerceL’action en imitation frauduleuse fondée sur l’art. 7 de la Loi sur les marques de commerce ne peut être exercéeExamen de la jurisprudence sur l’action en imitation frauduleuseL’intimée n’a pas établi l’existence d’une question sérieuse à trancher.

Il s’agit d’un appel formé contre un jugement de la Section de première instance qui a fait droit à la demande d’injonction interlocutoire de l’intimée visant à interdire aux appelantes de vendre et de distribuer des produits portant les marques de commerce « Nivea ». Les appelantes sont importatrices et distributrices de produits de beauté portant la marque de commerce « Nivea », notamment une crème pour le visage fabriquée et mise en marché par une filiale mexicaine d’une société allemande, Beiersdorf AG (BDF). L’intimée met elle aussi en marché au Canada des produits portant la marque de commerce « Nivea », fabriqués aux États-Unis par une filiale en propriété exclusive de BDF. L’intimée a déjà été la propriétaire des marques de commerce canadiennes ainsi que de l’achalandage attaché à la marque Nivea et à sa présentation distinctive, mais cette situation a cessé en 1992 quand les marques et l’achalandage ont été vendus à BDF et que l’intimée est devenue un usager inscrit des marques de BDF et a obtenu une licence à cet égard. Le présent appel porte sur la question de savoir si l’intimée, à titre de licenciée à l’égard de marques de commerce déposées au Canada, peut faire valoir des droits contre des personnes qui importent, distribuent et vendent des produits portant lesdites marques, qui ont été mis dans le circuit commercial par le propriétaire des marques.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

L’intimée peut faire valoir uniquement les droits que lui confèrent la Loi sur les marques de commerce et son statut de licenciée à l’égard des marques déposées Nivea. Elle ne peut non plus intenter une action en imitation frauduleuse fondée sur la common law. L’objet d’une marque de commerce est de distinguer les produits sur lesquels elle est apposée et d’en préciser la source. En tant que licenciée canadienne et importatrice de produits portant les marques déposées de BDF, l’intimée ne peut pas se plaindre de la vente au Canada d’autres produits qui sont aussi fabriqués par BDF ou en vertu d’une licence octroyée par BDF et qui portent les mêmes marques. Il ne peut pas y avoir de tromperie quant à la source des produits, qui sont exactement ce qu’ils sont censés être, une crème et un savon pour le visage Nivea dont la qualité et les caractéristiques sont contrôlées par BDF. Aucun élément de preuve n’établit que les appelantes ont obtenu les produits illégalement, et elles n’ont pas l’obligation soit par contrat ou aux termes des dispositions de la Loi sur les marques de commerce de ne pas faire concurrence à l’intimée sur le marché canadien. L’intimée ne peut faire valoir de droits qu’à titre de licenciée et non de propriétaire des marques déposées en question. Comme licenciée, elle ne peut revendiquer de droits contre des produits qui, directement ou indirectement, proviennent de la société qui lui a octroyé sa licence.

L’intimée ne peut faire valoir qu’elle a le droit d’intenter une action en imitation frauduleuse sous le régime de l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce, même si l’alinéa 7b) avait la portée qu’elle lui attribue et protègait autre chose que des marques non déposées. Les produits vendus par les appelantes et par l’intimée ne sont pas les leurs mais bien ceux de BDF. Cette dernière est la seule à posséder la marque déposée et l’achalandage attaché à cette marque, et l’action en imitation frauduleuse fondée sur la Loi, comme son équivalent de common law, ne pouvait être intentée que par elle à titre de propriétaire de cet achalandage. L’intimée ne pouvait pas faire valoir les droits précis que l’enregistrement d’une marque de commerce confère au propriétaire ou à l’usager inscrit à l’encontre des produits provenant du propriétaire inscrit des marques. Dans sa demande d’injonction interlocutoire, l’intimée n’a pas établi l’existence d’une question sérieuse à trancher, et sa demande aurait donc dû être rejetée.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 2 « marque de commerce », 7, 50 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 69).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, tarif B (mod. par DORS/95-282, art. 5).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Imperial Tobacco Co. of India v. Bonnan, [1924] A.C. 755 (P.C.); Revlon Inc. and Others v. Cripps & Lee Ltd. and Others, [1980] F.S.R. 85 (C.A.); Bousquet c. Barmish Inc. (1993), 46 C.P.R. (3d) 510; 150 N.R. 234 (C.A.F.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Remington Rand Ltd. v. Transworld Metal Co. Ltd. et al., [1960] R.C.É. 463; (1960), 32 C.P.R. 99; 19 Fox Pat. C. 204; H.J. Heinz Co. of Canada Ltd. c. Edan Foods Sales Inc. (1991), 35 C.P.R. (3d) 213; 44 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS NON SUIVIES :

Mattel Canada Inc. c. GTS Acquisitions Ltd., [1990] 1 C.F. 462 (1989), 25 C.I.P.R. 150; 27 C.P.R. (3d) 358 (1re inst.); McCabe c. Yamamoto & Co. (America) Inc., [1989] 3 C.F. 290 (1989), 23 C.I.P.R. 64; 23 C.P.R. (3d) 498; 25 F.T.R. 186 (1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd., [1987] 3 C.F. 544 (1987), 38 D.L.R. (4th) 544; 17 C.I.P.R. 263; 14 C.P.R. (3d) 314; 12 F.T.R. 317; 80 N.R. 9 (C.A.); Dumont Vins & Spiritueux Inc. c. Celliers du Monde Inc., [1992] 2 C.F. 634 (1992), 42 C.P.R. (3d) 197; 139 N.R. 357 (C.A.); Consumers Distributing Company Ltd. c. Seiko Time Canada Ltd. et autres, [1984] 1 R.C.S. 583; (1984), 10 D.L.R. (4th) 161; 29 C.C.L.T. 296; 3 C.I.P.R. 223; 1 C.P.R. (3d) 1; 54 N.R. 161.

DÉCISION CITÉE :

American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] 1 All E.R. 504 (H.L.).

APPEL d’une décision de la Section de première instance accueillant la demande d’injonction interlocutoire de l’intimée visant à interdire aux appelantes de vendre et de distribuer des produits portant la marque de commerce « Nivea ». Appel accueilli.

AVOCATS :

Frank Farfan et Robert Nakano pour les appelantes.

D. Doak Horne et Ferne Cohen pour l’intimée.

PROCUREURS :

MacBeth & Johnson, Toronto, pour les appelantes.

Gowling, Strathy & Henderson, Toronto, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Hugessen, J.C.A. : Voici un cas classique de commercialisation parallèle. Les appelantes Glen Oak et Dylex sont respectivement l’importateur/distributeur et le détaillant de certains produits, en particulier la crème et le savon pour le visage portant la marque de commerce bien connue « Nivea ». Cette marque de commerce est l’objet de plusieurs enregistrements au Canada et dans chaque cas, le propriétaire est la société allemande Beiersdorf AG (très connue, ci-après désignée BDF), appelée dans l’intitulé de la cause « partie nécessaire ». L’intimée (demanderesse) Smith & Nephew Inc. (Smith & Nephew) était l’usager inscrit[1] de ces marques de commerce et est maintenant licenciée à cet égard.

La crème pour le visage importée et distribuée par Glen Oak et vendue au détail par Dylex sous la marque « Nivea » est fabriquée et mise sur le marché par une entreprise associée ou filiale mexicaine de BDF. Son emballage et son étiquetage indiquent que Nivea est une « marca registrada » et que la source de ce produit est « BDF ». L’étiquette indique aussi que l’un des ingrédients est une « sol. formaldehido y acido citrico ».

Quant au savon pour le visage importé, distribué et vendu au détail par les appelantes, l’emballage et l’étiquetage indiquent qu’il est fabriqué et mis sur le marché en partie par « Smith + Nephew » (la société mère britannique de l’intimée est Smith & Nephew PLC) et en partie par Beiersdorf U.K. Ltd. L’emballage indique aussi que la marque de commerce « Nivea » appartient à Beiersdorf AG (BDF).

Les produits qui sont commercialisés au Canada par l’intimée à titre de licenciée à l’égard des diverses marques de commerce Nivea sont importés par celle-ci des États-Unis où ils sont fabriqués par Beiersdorf Inc., filiale en propriété exclusive de BDF. La crème pour le visage importée des États-Unis ne contient pas de formaldéhyde.

Le présent appel a été formé contre un jugement de la Section de première instance qui a fait droit à la demande d’injonction interlocutoire de l’intimée visant à interdire aux appelantes de vendre et de distribuer des produits portant les marques de commerce Nivea, et comportant diverses conclusions accessoires, dont une ordonnance portant restitution des produits.

Le juge des requêtes n’a pas motivé son ordonnance. Cependant, pour rendre celle-ci, il a dû être convaincu que la demanderesse avait satisfait au critère classique à trois volets et établi qu’il y avait une question sérieuse à trancher, qu’elle subirait un préjudice irréparable et que la balance des inconvénients penchait en sa faveur[2]. Bien que les appelantes aient débattu les trois volets du critère[3], leur seul argument valable concernait le premier volet. Or, comme les faits essentiels ne sont pas contestés, cet argument se résume à une pure question de droit, savoir si la demanderesse à titre de licenciée à l’égard de marques de commerce déposées au Canada peut faire valoir des droits contre des personnes qui importent, distribuent et vendent des produits portant lesdites marques qui ont été mis dans le circuit commercial par le propriétaire des marques. Les avocats n’ont pu citer qu’une décision[4], une ordonnance interlocutoire de la Section de première instance, qui répond directement à la question par l’affirmative. À mon avis, pour les motifs que je vais exposer plus loin, cette affaire a été tranchée erronément.

Tout d’abord, il est clair, ce que les avocats de l’intimée ont reconnu durant leur plaidoyer, que Smith & Nephew, à titre de demanderesse devant la Section de première instance, ne fait valoir et ne peut faire valoir que les droits que lui confèrent la Loi sur les marques de commerce et son statut de licenciée à l’égard des marques déposées Nivea. Elle ne peut pas intenter devant la présente Cour une action purement de common law en imitation frauduleuse. Il n’est pas nécessaire de décider si une telle action pourrait être intentée devant une autre cour, mais je ferai remarquer que, si, à un moment donné, l’intimée a été la propriétaire des marques canadiennes et de l’achalandage attachée à la marque Nivea et à sa présentation distinctive, cette situation a cessé en 1992 quand les marques et l’achalandage ont été vendus à BDF et que l’intimée est devenue un usager inscrit des marques de BDF et a obtenu une licence à cet égard. C’est uniquement en cette qualité qu’elle se présente devant nous.

À titre de licenciée à l’égard des marques déposées Nivea, l’intimée possède des droits qui sont régis par l’article 50 de la Loi sur les marques de commerce.

LICENCES

50. (1) Pour l’application de la présente loi, si une licence d’emploi d’une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques et la qualité des marchandises et services, l’emploi, la publicité ou l’exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial — ou partie de ceux-ci — ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s’il s’agissait de ceux du propriétaire.

(2) Pour l’application de la présente loi, dans la mesure où un avis public a été donné quant à l’identité du propriétaire et au fait que l’emploi d’une marque de commerce fait l’objet d’une licence, cet emploi est réputé, sauf preuve contraire, avoir fait l’objet d’une licence du propriétaire, et le contrôle des caractéristiques et de la qualité des marchandises et services est réputé, sauf preuve contraire, être celui du propriétaire.

(3) Sous réserve de tout accord encore valide entre lui et le propriétaire d’une marque de commerce, le licencié peut requérir le propriétaire d’intenter des procédures pour usurpation de la marque et, si celui-ci refuse ou néglige de le faire dans les deux mois suivant cette réquisition, il peut intenter ces procédures en son propre nom comme s’il était propriétaire, faisant du propriétaire un défendeur.

Le paragraphe 50(3) revêt un intérêt particulier dans le contexte du présent appel car il précise bien que les seuls droits que l’intimée peut exercer en qualité de licenciée à l’égard des marques déposées Nivea sont ceux du propriétaire de ces marques. Bien entendu, il s’ensuit que les appelantes pourraient faire valoir contre l’intimée tout moyen de défense qu’elles pourraient faire valoir contre BDF dans une action en contrefaçon de marque de commerce. Autrement dit, les droits relatifs aux marques déposées appartenant à BDF que l’intimée peut faire valoir en qualité de licenciée ne vont pas au-delà des droits que BDF pourrait faire valoir.

L’objet d’une marque de commerce est de distinguer les produits sur lesquels elle est apposée et d’en préciser la source. Voilà qui ressort à l’évidence de la définition donnée à l’article 2 de la Loi :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« marque de commerce » Selon le cas :

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres;

Les produits qui sont mis dans le circuit commercial par le propriétaire d’une marque déposée ne sont pas des produits contrefaits simplement parce qu’ils sont arrivés sur un marché géographique donné sur lequel le propriétaire de la marque ne veut pas qu’ils soient distribués. L’exposé classique de l’état du droit sur ce point se trouve dans l’arrêt du Conseil privé Imperial Tobacco Co. of India v. Bonnan[5] :

[traduction] Rien n’empêche un commerçant d’acheter des produits à un fabricant et de les vendre en lui faisant concurrence, même dans un pays dans lequel le fabricant ou son représentant était auparavant le seul importateur. Il y a peu de chances que son entreprise soit prospère, sauf exception. Il s’agit précisément d’une telle exception. La British American Tobacco Company, Ltd., aurait pu, quand elle a vendu ce lot important aux autorités de la cantine de l’armée britannique, exiger qu’elles s’engagent à ne pas le revendre en Inde ni à toute personne juridiquement habilitée à le revendre en Inde. Il semble qu’elle ne l’a pas fait; et c’est alors que s’est posée la question de l’écoulement de cet important stock excédentaire après la guerre.

Les intimées, n’ayant pas souscrit d’engagement, vendent des produits fabriqués par la British American Company comme tels — savoir des cigarettes Wills’ Gold Flake fabriquées par cette société. Il n’y a pas de mensonge ni de tentative pour tromper. La société appelante dit que toutes les cigarettes Wills’ Gold Flake authentiques vendues en Inde doivent être ses propres produits. Il est possible de répondre que cela a été le cas à une autre époque, et ce uniquement parce que la société appelante était protégée par un engagement souscrit par les fabricants; mais non parce qu’elle avait un droit à un monopole qu’elle pouvait exercer à l’encontre des tiers.

La présente affaire ressemble également en bien des points à l’affaire Revlon Inc. and Others v. Cripps & Lee Ltd. and Others[6], tranchée par la Cour d’appel d’Angleterre, dans laquelle les produits importés différaient à certains égards, comme en l’espèce, de ceux distribués sur le marché intérieur du Royaume-Uni et provenaient d’un autre membre du groupe dont faisait partie le propriétaire de la marque déposée. Le lord juge Templeman s’est exprimé ainsi :

[traduction] Une société qui fabrique des produits dans plusieurs pays ne peut pas se plaindre de l’usurpation de la marque déposée en Grande-Bretagne à l’égard de produits fabriqués à l’étranger par cette même société. Dans l’affaire Champagne Heidsieck v. Buxton (1930) 47 R.P.C. 28, les demanderesses possédaient une marque déposée et vendaient leurs produits en Angleterre sous l’appellation Champagne Dry Monopole. Elles produisaient un Champagne Dry Monopole distingué par l’ajout du mot « Brut » et destiné au marché continental. Le juge Clauson a décidé que les demanderesses ne pouvaient pas avoir gain de cause dans une action pour usurpation de marque déposée contre les défenderesses qui achetaient le champagne destiné au continent et l’importaient en Angleterre. Le juge a accepté, à la page 36, ligne 37, le principe que :

« Pour fonder une allégation d’usurpation, l’utilisation d’une marque par le défendeur doit être une utilisation de cette marque sur des produits qui ne sont pas des produits authentiques, c’est-à-dire sur lesquels la marque du demandeur est apposée à bon droit, car toute personne peut utiliser la marque du demandeur sur les produits de ce dernier, cela ne pouvant pas causer la tromperie qui est le critère de l’usurpation ».

Puis, il a ajouté ceci, aux pages 115 et 116 :

[traduction] À mon sens, quand une société mère choisit de fabriquer et de vendre, en totalité ou en partie, par l’intermédiaire d’un groupe de filiales dans diverses régions du monde, des produits qui portent la même marque déposée et acquièrent une réputation internationale, ni la société mère ni une filiale ne peut se plaindre au Royaume-Uni si ces produits sont utilisés, vendus ou revendus sous cette marque. Celui qui achète un produit Revlon à une société Revlon aux États-Unis ou au Royaume-Uni ou dans une autre région du monde, qu’une société Revlon y ait un établissement ou non, a le droit à tout le moins de supposer qu’il ne sera pas poursuivi par une société Revlon au Royaume-Uni, au Delaware, au Venezuela, à New York ou à quelque endroit que ce soit, simplement en raison du lieu de fabrication du produit qu’il a acheté sous l’appellation REVLON. L’acheteur n’a peut-être aucune idée du lieu de fabrication du produit Revlon ou du nom de la société qui l’a fabriqué ou distribué et il sait seulement qu’il achète un produit Revlon provenant d’une société Revlon. La propriété de la marque déposée permet au propriétaire du groupe Revlon en général ou de Revlon Inc. en particulier de protéger au Royaume-Uni la réputation et l’achalandage du groupe Revlon en garantissant qu’aucun produit ne sera vendu sous l’appellation REVLON sauf s’il a été fabriqué et étiqueté par une société Revlon. La propriété de la marque déposée ne va pas au-delà et ne permet pas à une société suisse, américaine ou bermudienne filiale de Revlon de garantir que les produits Revlon de sa société mère américaine ou une autre société Revlon ne sont pas vendus sur le territoire du Royaume-Uni.

À mon avis, le droit canadien n’est pas différent. En tant que licenciée canadienne et importatrice de produits portant les marques déposées de BDF, Smith & Nephew ne peut pas se plaindre de la vente au Canada d’autres produits qui sont aussi fabriqués par BDF ou en vertu d’une licence octroyée par BDF et qui portent les mêmes marques. Il ne peut pas y avoir de tromperie quant à la source des produits, qui sont exactement ce qu’ils sont censés être, une crème et un savon pour le visage Nivea dont la qualité et les caractéristiques sont contrôlées par BDF. Si l’intimée craint que la qualité et les caractéristiques des produits importés par les appelantes soient différentes de celles des produits qu’elle importe et obtient de BDF ou qu’ils soient offerts sur le marché canadien à des prix plus bas et lui fassent une concurrence directe, c’est certainement auprès de BDF qu’elle doit se plaindre. Aucun élément de preuve n’établit que les appelantes ont obtenu les produits illégalement et elles n’ont pas l’obligation soit par contrat ou aux termes des dispositions de la Loi sur les marques de commerce de ne pas faire concurrence à l’intimée sur le marché canadien.

Avant de passer à un autre aspect de l’affaire, je tiens à souligner l’importance du fait que l’intimée ne peut faire valoir ses droits qu’à titre de licenciée et non de propriétaire des marques déposées en question. Les décisions comme Remington Rand Ltd. v. Transworld Metal Co. Ltd. et al.[7] et H.J. Heinz Co. of Canada Ltd. c. Edan Foods Sales Inc.[8], si elles sont peut-être discutables, reposaient sur le fait que les filiales canadiennes des multinationales en cause étaient les propriétaires inscrits au Canada des diverses marques déposées. Cela fait intervenir des facteurs différents et pose des problèmes différents. La question de savoir si une filiale canadienne d’une multinationale peut être assez indépendante de sa société mère pour faire valoir des droits sur une marque déposée au Canada dont elle est propriétaire contre des personnes qui importent des produits portant la même marque et provenant de la société mère outre-mer est difficile et n’a pas à être tranchée dans le cas qui nous occupe. La situation qui nous intéresse est beaucoup plus simple et il est indéniable, à mon sens, que l’intimée ne peut, en qualité de licenciée, faire valoir de droits contre des produits qui, directement ou indirectement, proviennent de la société qui lui a octroyé sa licence.

Voilà qui m’amène, si je saisis bien ce que soutiennent les avocats, à l’affirmation de l’intimée que, mis à part son droit d’intenter une action en contrefaçon en qualité de licenciée conformément au paragraphe 50(3), elle peut faire valoir des droits à une action en imitation frauduleuse fondée sur l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce qui est ainsi conçu :

7. Nul ne peut :

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services d’un concurrent;

b) appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

c) faire passer d’autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde :

(i) soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition,

(ii) soit leur origine géographique,

(iii) soit leur mode de fabrication, de production ou d’exécution;

e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode d’affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada.

Les seuls alinéas pertinents pour nos besoins sont les alinéas 7b) et 7e).

Toutefois, l’alinéa 7e) ne peut être invoqué parce qu’il a été jugé inconstitutionnel par la Cour suprême du Canada et que la présente Cour a confirmé récemment, dans l’arrêt Bousquet c. Barmish Inc.[9], qu’il n’y a pas de raison de lui reconnaître une quelconque validité résiduelle :

S’exprimant au nom de la majorité dans l’arrêt MacDonald c. Vapor Canada Ltd., (1976), 22 C.P.R. (2d) 1, 66 D.L.R. (3d) 1, [1977] 2 R.C.S. 134, le juge en chef Laskin a dit ceci [à la p. 34] :

En l’espèce, j’en viens à la conclusion suivante. Ni l’art. 7 dans son ensemble, ni l’alinéa e) considéré seul ou en relation avec l’art. 53 [l’art. 53 prévoit un droit d’action contre tout acte accompli contrairement à la Loi sur les marques de commerce], n’est une loi fédérale valide relative à la réglementation des échanges et du commerce ou une autre rubrique de compétence fédérale. Il y a empiètement sur la compétence législative provinciale dans la situation comme elle se présente. Toutefois l’art. 7 comprend des dispositions visant les fins de la loi fédérale dans la mesure où l’on peut les considérer comme un complément des systèmes de réglementation établis par le Parlement dans l’exercice de sa compétence à l’égard des brevets, du droit d’auteur, des marques de commerce et des noms commerciaux. Si les alinéas de l’art. 7 se limitaient à cela, ils seraient valides et, si l’al. e) qui est le seul dont la constitutionnalité soit contestée en l’espèce, pouvait être ainsi restreint, je serais certainement prêt, à maintenir dans cette mesure sa validité. Je suis toutefois d’avis … que l’al. e) n’a plus d’objet à l’égard des brevets, du droit d’auteur, des marques de commerce et des noms commerciaux après que ces rubriques du pouvoir législatif ont été appliquées aux alinéas précédents.

(C’est moi qui souligne.) Dans l’arrêt Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd. (1987), 14 C.P.R. (3d) 314, 38 D.L.R. (4th) 544, [1987] 3 C.F. 544(C.A.F.), le juge MacGuigan, au nom de la Cour d’appel, a analysé cet arrêt, confirmant la constitutionnalité de l’alinéa 7b) en l’appliquant à un cas de violation d’une marque de commerce. Il a dit [à la p. 323] :

Je crois qu’une lecture attentive de l’ensemble de l’analyse faite par le juge en chef appuiera le caractère constitutionnel de l’article 7 (à l’exception de l’alinéa 7e)) lorsqu’il sert à apporter un « complément » au système de réglementation établi par la Loi.

(C’est encore moi qui souligne.)

À notre avis, il est évident que, dans l’affaire McCabe c. Yamamoto & Co. (America) Inc. (1989), 23 C.P.R. (3d) 498 à la p. 507, [1989] 3 C.F. 290 23 C.I.P.R. 64 (C.F. 1re inst.), le juge de première instance a mal compris ces décisions lorsqu’il a dit, après avoir cité le passage précédent de l’arrêt MacDonald c. Vapor Canada Ltd. :

On pourrait soutenir que cette conclusion n’interdit pas l’argument selon lequel l’alinéa 7e) peut être néanmoins valide à l’égard des matières qui ne peuvent être prévues aux autres alinéas de l’article 7, dans la mesure où il ne s’applique qu’aux brevets, aux marques de commerce et au droit d’auteur.

Je remarque que le juge de la Section de première instance, dont l’erreur dans la décision McCabe [McCabe c. Yamamoto & Co. (America) Inc., [1989] 3 C.F. 290(1re inst.)] est relevée et commentée au dernier paragraphe du passage précité, est le même que celui qui a jugé l’affaire Mattel, précitée, et que sa décision dans celle-ci semble reposer en grande partie sur sa propre décision antérieure et sur son propre avis sur la validité et l’applicabilité de l’alinéa 7e). Je le répète, l’affaire Mattel comme l’affaire McCabe a été tranchée erronément pour ce motif.

Il reste l’alinéa 7b). Sa validité a été confirmée par la présente Cour mais seulement par rapport à la protection qu’il peut accorder à une marque de commerce non déposée. Dans l’arrêt Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd.[10], le juge MacGuigan, J.C.A., au nom de la Cour, s’est exprimé dans ces termes :

Le point litigieux est le droit du Parlement de créer un recours civil relativement à une marque de commerce qui n’est pas déposée en vertu de la Loi.

L’alinéa 7b) reflète dans la Loi l’action en passing off issue de la common law, le passing off consistant à laisser croire que les biens ou les services d’une personne sont en réalité ceux d’une autre, ou que quelqu’un d’autre les offre ou y est associé. Il s’agit de fait de « parasiter » au moyen d’une déclaration tendant à induire en erreur.

Halsbury, dans son ouvrage intitulé Laws of England (4e éd.), vol. 48, à la page 99, dit que [traduction] « L’action en passing off peut avoir été reconnue en common law depuis aussi longtemps que le règne d’Elizabeth I. » Toutefois, ce n’est qu’en equity qu’était protégé en l’absence de fraude le droit exclusif à l’usage d’un nom commercial ou d’une marque de commerce, et en Angleterre les tribunaux de common law ont continué à exiger l’intention frauduleuse jusqu’à la fusion des tribunaux de common law et d’equity. Halsbury dit ce qui suit à la page 108 :

[traduction] 155. La nature du renom. L’action en passing off est aujourd’hui reconnue comme un recours contre la violation du droit de propriété, cette propriété résidant davantage dans le commerce ou le renom susceptible d’être atteint par la fausse déclaration plutôt que dans la marque, le nom ou l’habillage utilisés abusivement. Le « renom » a été défini comme l’avantage propre au bon nom, à la réputation et aux contacts d’une entreprise, la force d’attraction qui attire la clientèle et cet actif incorporel qui distingue une entreprise bien établie d’une autre à ses débuts.

En common law, le droit sur une marque de commerce est donc issu de l’usage d’une marque par une entreprise pour désigner ses produits au public. L’entreprise n’avait pas à déposer sa marque pour protéger son droit de l’utiliser et prévenir l’usage abusif que pourrait en faire une autre entreprise. L’action en passing off était le recours disponible pour faire respecter les droits sur les marques de commerce. Sans l’action en passing off, les droits que reconnaît la common law sur les marques de commerce auraient peu de valeur.

Comme l’a démontré l’historique du juge en chef Laskin dans l’arrêt MacDonald, précité, la Loi canadienne a traditionnellement visé la protection de marques non déposées aussi bien que celle des marques déposées, ce en quoi elle se compare à la Loi sur le droit d’auteur … , dont le champ d’application dépasse le droit d’auteur enregistré. Dans les deux lois, le rôle de l’enregistrement est d’offrir des avantages en sus de ceux que fournit la common law.

En traçant un aperçu de l’économie de la Loi dans l’arrêt Royal Doulton Tableware Limited c. Cassidy’s Ltée, [1986] 1 C.F. 357 à la page 374; (1984), 1 C.P.R. (3d) 214 (1re inst.), à la page 228, le juge Strayer a dit que « la Loi sur les marques de commerce, aux articles 1 à 11, définit et prescrit plusieurs règles relatives aux marques de commerce et à leur adoption, sans mentionner les règles relatives à l’enregistrement. Par la suite, la Loi porte uniquement sur les marques de commerce enregistrées. » Il ajoute plus loin : « le Parlement, par les articles 1 à 11 de la Loi sur les marques de commerce , a prescrit les règles relatives à ce qui constitue une marque de commerce et son adoption, que cette marque soit enregistrée ou non. »

Le Parlement, à l’alinéa 7b), entend protéger le renom associé aux marques de commerce. De la sorte, comme l’a dit le juge Laskin, cet alinéa est un « complément » du système de protection de toutes les marques de commerce établi par la loi. Ainsi, le recours civil qu’il prévoit, de concert avec l’article 53, se trouve à « véritablement faire partie intégrante du système global de surveillance » : voir Procureur général du Canada c. Québec Ready Mix Inc. , précité, aux pages 79 C.F.; 226 N.R.; 172 C.P.R. Il a, en somme, un lien rationnel et fonctionnel avec le système visant les marques de commerce envisagé par le Parlement, en vertu duquel même les marques non enregistrées seraient protégées contre la fraude.

Dans l’arrêt Dumont Vins & Spiritueux Inc. c. Celliers du Monde Inc.[11], le juge Décary, J.C.A., au nom de la présente Cour, après avoir cité un long extrait de l’arrêt Asbjorn, a conclu :

Il me paraît ressortir de ces motifs que l’alinéa 7b) est valide dans la mesure où l’action en passing off est reliée à une marque de commerce, enregistrée ou non, mais qu’il ne le serait pas dans un cas, comme en l’espèce, où l’action en passing off, du fait qu’il y a chose jugée relativement à l’absence de marque de commerce non enregistrée, n’est reliée à aucune marque de commerce.

De plus, il se dégage de l’alinéa 7b) qu’il est de peu de secours pour l’intimée étant donné les circonstances de l’espèce. Il est certain que les appelantes, en utilisant les marques déposées Nivea, appellent l’attention sur les produits qu’elles vendent de manière à causer peut-être de la confusion entre ces produits et ceux de l’intimée. Mais c’est parce que, dans les deux cas, les produits en question ne sont pas ceux des appelantes ou de l’intimée respectivement, mais bien ceux de BDF. Cette dernière est la seule à posséder la marque déposée et l’achalandage attaché à cette marque, et l’action en imitation frauduleuse fondée sur la Loi, comme son équivalent de common law, ne peut être intentée que par elle à titre de propriétaire de cet achalandage.

En conséquence, même si l’alinéa 7b) avait la portée que lui attribue l’intimée et créait une protection pour autre chose que les marques non déposées, l’intimée ne pourrait pas avoir gain de cause dans une telle action en l’espèce.

En effet, l’action en imitation frauduleuse, fondée sur la loi ou la common law, n’a pas connu de succès marqué lorsqu’il s’agissait de lutter contre la commercialisation parallèle. Dans l’arrêt Consumers Distributing Company Ltd. c. Seiko Time Canada Ltd. et autres[12], le juge Estey, parlant au nom de la Cour suprême, a dit ceci :

Il est difficile, au premier abord, de voir en quoi la conduite de l’appelante peut constituer du passing off. L’appelante vend précisément la même montre que l’intimée et la source en est exactement la même. La montre est protégée par une garantie non pas au nom de l’intimée, mais au nom du fabricant, Hattori. La qualité du produit doit être pour quelque chose dans la réussite de l’intimée et, partant, dans l’accroissement de son chiffre d’affaires et de son achalandage dans l’industrie. Dans chaque cas, les montres vendues étaient toujours et sans exception celles de Hattori. L’intimée essaie, en attribuant à la montre des caractéristiques propres à la méthode de vente employée par elle, d’établir que la théorie classique du passing off s’applique. Suivant l’argument de l’intimée, elle peut faire ce rapprochement à cause de son contrat avec Hattori, le fournisseur des montres Seiko, qui l’autorise à limiter la garantie du fabricant aux montres vendues par des concessionnaires agréés par l’intimée. Il va sans dire que l’appelante et les entités (comme Woolco et K-Mart) qui, d’après la preuve, exploitent le même genre d’entreprise, ne peuvent pas commercialiser les montres de cette façon, puisqu’elles ne sont pas des concessionnaires agréés. La faille dans l’argument de l’intimée est que, poussé à son aboutissement logique, il accorde à tout vendeur qui se trouve dans la situation de l’intimée le même type de monopole à l’égard de la vente au Canada d’un produit quelconque qu’aurait ce vendeur si le produit en question faisait l’objet d’un brevet d’invention délivré en vertu de la Loi sur les brevets du Canada. De plus, cet argument bute inévitablement contre un second obstacle, savoir qu’il entraîne la conclusion que la common law en matière de biens meubles reconnaîtrait ainsi un droit d’imposer des restrictions à la vente de biens meubles, même légitimement acquis, chaque fois qu’une autre personne, dans une situation analogue à celle du vendeur, vend des articles identiques. Ce principe est étranger à notre droit. Il s’ensuit que ce droit de limiter la revente pourrait être exercé non seulement par l’intimée et par tous les autres bénéficiaires de cette protection offerte par le fabricant, mais aussi par le fabricant Hattori qui, vraisemblablement à des conditions qui lui convenaient, a placé ces montres dans le réseau de distribution qui les a finalement acheminées jusqu’à l’appelante. Chose ironique, si la loi permettait cela, le fabricant, avec les profits de la vente de ces montres en poche, pourrait alors empêcher l’appelante de les revendre. Une troisième conséquence serait un conflit inévitable entre d’une part ce résultat et d’autre part les principes de common law relatifs aux restrictions à la liberté du commerce et à la libre concurrence.

De la même façon, dans l’arrêt Revlon v. Cripps, précité, le lord juge Templeman a dit ce qui suit, à la page 112 :

[traduction] De toute façon, à mon sens, il ne peut pas y avoir de passing off quand des produits qu’une société Revlon a fabriqués, auxquels elle a donné une appellation, qu’elle a étiquetés et mis dans le circuit commercial sont vendus par les défenderesses sans modification de contenu, d’appellation ou d’étiquette. Les produits vendus par les défenderesses sont ce qu’elles déclarent qu’ils sont.

Dans le même arrêt, les observations qui suivent du lord juge Buckley, à la page 101, apportent aussi un éclairage utile à l’égard de l’argument de l’intimée que les caractéristiques, la qualité et la composition des produits importés et vendus par les appelantes, quoique provenant de BDF, sont différentes de celles des produits que l’intimée importe et vend :

[traduction] Les produits américains en question n’ont pas été commercialisés ici jusqu’à présent. Comme le disent les appelantes, ils sont de qualité et de catégorie différentes des produits du Royaume-Uni. Ils se composent d’ingrédients différents. Ils servent, du moins dans une certaine mesure, à un usage différent, étant des préparations médicamenteuses destinées à combattre les pellicules, tandis que les produits britanniques sont des compositions non médicamenteuses destinées à assouplir les cheveux. Les appelantes disent que les produits américains ne sont manifestement pas les produits qui ont acquis la réputation attachée à la marque dans ce pays. Par conséquent, selon elles, l’utilisation de la marque sur les produits américains en question constitue une déclaration trompeuse.

De même, les observations suivantes, à la page 103 :

[traduction] Les produits américains en question sont des produits de ce groupe multinational fabriqués aux États-Unis. Il me semble qu’ils soient englobés dans la réputation pertinente. Ce sont, comme les produits britanniques, des préparations destinées à assouplir les cheveux. Ils font aussi partie du groupe de produits servant au lavage et au conditionnement de divers types de cheveu auquel appartiennent les produits britanniques et les produits américains identiques. Il n’a pas été jugé incorrect d’en faire le commerce aux États-Unis pendant deux ans sous la marque REVLON FLEX. À mon sens, la vente des produits américains en question dans ce pays sous cette marque n’implique rien de plus qu’une déclaration que ces produits sont des produits du groupe Revlon, ce qu’ils sont en réalité. Je souscris donc à la conclusion du juge de première instance que l’utilisation de la marque au Royaume-Uni sur les produits américains en question n’implique aucune déclaration trompeuse sur leur source commerciale.

Dans l’arrêt Consumers Distributing Co. Ltd. c. Seiko, précité, aux pages 612 et 613, le juge Estey a fait mention explicitement de la question des conséquences possibles d’une marque déposée sur le résultat mais s’est abstenu de la trancher :

Avant de quitter le sujet de la vente d’articles fabriqués identifiés par une marque de commerce déposée, je tiens à faire remarquer qu’en l’espèce l’intimée n’a soulevé aucun point portant sur les droits qu’elle peut avoir du fait qu’une marque de commerce a été inscrite au nom de Hattori en vertu de la Loi sur les marques de commerce du Canada, … En fait, il aurait fallu alors que Hattori soit une demanderesse. Peut-être que si l’intimée était nommée usager inscrit de la marque de commerce déposée en vertu de la Loi sur les marques de commerce du Canada, elle aurait à ce moment-là la qualité requise. Voir Fox on Copyright (2e éd. 1967), aux pp. 440 et 441. Ici, ni l’une ni l’autre condition n’a été remplie. Il ne s’agit donc pas ici de la même situation que celle qui s’est présentée à la Cour de l’Échiquier dans l’affaire Remington Rand Ltd. v. Transworld Metal Co., [1960] R.C. de l’É. 463.

Je n’interprète pas ces observations comme élargissant l’action en imitation frauduleuse fondée sur la loi. Au contraire, je crois que le juge Estey attirait simplement l’attention sur le fait que l’affaire dont il était saisie ne portait pas sur les droits précis que l’enregistrement d’une marque de commerce conformément à la loi confère au propriétaire ou à l’usager inscrit. Pour les motifs que j’ai déjà donnés, l’intimée ne peut pas faire valoir ces droits à l’encontre des produits provenant du propriétaire inscrit des marques.

En conséquence, je conclus qu’en droit, l’intimée ne pourrait pas avoir gain de cause dans son action contre les appelantes pour importation et vente de produits qui provenaient du propriétaire des marques déposées et portaient une marque indiquant clairement cette provenance. Il s’ensuit que l’intimée, dans sa demande d’injonction interlocutoire, n’a pas établi l’existence d’une question sérieuse à trancher et que cette demande aurait donc dû être rejetée.

Avant de terminer, je tiens à dire quelques mots sur la question des dépens. J’ai mentionné précédemment le fait que les appelantes n’ont pas hésité à avancer un certain nombre d’arguments qui étaient dénués de tout fondement en droit et indéfendables au vu du dossier factuel. Voici quelques-uns des exemples les plus patents :

1) Elles ont soutenu que BDF n’avait peut-être pas reçu le préavis de deux mois exigé par le paragraphe 50(3). De toute évidence, la Loi exige ce préavis pour protéger les intérêts du propriétaire inscrit et non ceux du présumé usurpateur, et ce dernier ne peut pas légitimement plaider son insuffisance;

2) Elles ont soutenu que l’intimée avait simplement allégué et non pas prouvé qu’elle était titulaire de licences octroyées par BDF. L’affidavit déposé à l’appui de la demande initiale d’injonction indique clairement que l’intimée est [traduction] « le distributeur exclusif au Canada et titulaire de licences à l’égard de la gamme de produits Nivea et des marques déposées connexes »[13]. Ce n’est pas une simple allégation; c’est une preuve;

3) Elles ont soutenu qu’il n’avait pas été prouvé que la crème pour le visage importée et vendue par les appelantes contenait du formaldéhyde, qui représente l’une des différences entre les produits américains et mexicains dont l’intimée s’est plainte. Non seulement les étiquettes sur le produit importé du Mexique indiquent qu’il contient une petite quantité de formaldéhyde, mais encore certains des documents produits par les appelantes elles-mêmes indiquent la même chose[14];

4) Elles ont soutenu que l’injonction interlocutoire allait au-delà de ce qui avait été demandé. Or, le libellé de l’injonction elle-même reprend sans y changer une virgule le texte de la demande.

La futilité et le manque de discernement dans la présentation des arguments entraînent un gaspillage du temps et des ressources de la Cour et un ralentissement inutile d’un système judiciaire déjà surchargé. Une réaction s’impose. Je suis donc d’avis d’ordonner que les dépens des appelantes soient taxés seulement en conformité avec la colonne II de la partie II du tarif B [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 (mod. par DORS/95-282, art. 5)].

Je ferais droit à l’appel avec dépens, j’annulerais l’ordonnance de la Section de première instance et je rejetterais la demande d’injonction interlocutoire avec dépens.

Le juge Desjardins, J.C.A. : J’y souscris.

Le juge Linden, J.C.A. : J’y souscris.



[1] Les dispositions relatives à l’usager inscrit de l’ancien art. 50 de la Loi sur les marques de commerce (L.R.C. (1985), ch. T-13, et ses modifications) ont été abrogées et remplacées par la Loi d’actualisation du droit de la propriété intellectuelle (L.C. 1993, ch. 15, art. 69).

[2] American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] 1 All E.R. 504 (H.L.).

[3] Comme il arrive beaucoup trop souvent dans les litiges de ce genre, même en appel, aucun argument si faible soit-il en droit ou si indéfendable soit-il au vu des faits n’a été laissé de côté. J’y reviendrai à la fin des présents motifs.

[4] Mattel Canada Inc. c. GTS Acquisitions Ltd., [1990] 1 C.F. 462(1re inst.).

[5] [1924] A.C. 755 (P.C.), aux p. 762 et 763, lord Phillimore.

[6] [1980] F.S.R. 85 (C.A.), à la p. 113.

[7] [1960] R.C. de l’É. 463.

[8] (1991), 35 C.P.R. (3d) 213 (C.F. 1re inst.).

[9] (1993), 46 C.P.R. (3d) 510 (C.A.F.), aux p. 512 et 513, le juge Mahoney, J.C.A.

[10] [1987] 3 C.F. 544(C.A.), aux p. 560 et 561.

[11] [1992] 2 C.F. 634(C.A.), à la p. 651.

[12] [1984] 1 R.C.S. 583, aux p. 599 et 600.

[13] Dossier d’appel, vol. I, à la p. 15.

[14] Voir la pièce H de l’affidavit de Jack Wilkinson, D.A., vol. II, à la p. 257.

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