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[1996] 3 C.F. 436

T-3007-89

John F. Timmins (demandeur)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

Répertorié : Timmins c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge Wetston— Fredericton, 15 avril; Ottawa, 31 mai 1996.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Appel d’une décision de la Cour de l’impôt qui rejetait l’appel du demandeur contestant les nouvelles cotisations établies en matière d’impôt sur le revenu, excluant les déductions et le crédit d’impôt pour un emploi à l’étrangerLe contribuable a travaillé en Afrique pour le compte de la province du Nouveau-BrunswickSes services étaient offerts aux termes d’un contrat conclu entre la province et l’ACDI dans le cadre duquel la province avait accepté de fournir des services afin d’établir et de gérer plusieurs fermes laitières au MalawiL’art. 8(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu autorisait la déduction lorsqu’un résident du Canada avait exercé les fonctions de son emploi dans un pays autre que le Canada dans le cadre d’un contrat en vertu duquel l’employeur désigné exploitait une entreprise dans ce ou ces paysL’art. 122.3(1) a remplacé la déduction prévue à l’art. 8(10) par un crédit d’impôtRaison pour laquelle la déduction fiscale concernant un emploi à l’étranger a été adoptéeL’expression — « exploitait une entreprise » désigne toutes les activités que l’employeur exerce en vue de réaliser des profitsLe critère de l’objet prépondérant a préséance sur le critère de l’expectative raisonnable de profit dans l’application des art. 8(10) et 122.3(1)Les profits étaient accessoires aux autres objectifs à l’origine de la conclusion du contrat, c’est-à-dire des raisons d’ordre humanitaire, l’augmentation des possibilités d’emploi et la stimulation de l’économie provincialeLa preuve n’établit pas qu’il y avait objectivement une expectative raisonnable de profitQuel que soit le critère retenu, l’employeur n’exploitait pas une entreprise dans le cadre du contratLe contribuable n’est pas admissible à la déduction ou au crédit d’impôt pour un emploi à l’étranger.

Il s’agit d’un appel concernant une décision de la Cour de l’impôt qui rejetait l’appel du contribuable contestant les nouvelles cotisations établies pour les années d’imposition 1982, 1983 et 1984. De novembre 1982 à novembre 1984, le demandeur a travaillé au Malawi, en Afrique, pour le compte de la province du Nouveau-Brunswick. Il exerçait ses fonctions dans le cadre d’un contrat conclu entre la province et l’ACDI, rattachée au ministère des Affaires extérieures. En vertu du contrat, la province avait accepté de fournir des services afin d’établir et de gérer plusieurs fermes laitières au Malawi, en contrepartie d’honoraires et du remboursement de certains frais. Le demandeur a déduit de son revenu pour les années 1982 et 1983 certaines sommes à titre de déductions pour un emploi à l’étranger, conformément au paragraphe 8(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Ce paragraphe autorisait cette déduction lorsqu’un résident du Canada avait exercé les fonctions de son emploi dans un pays autre que le Canada dans le cadre d’un contrat en vertu duquel l’employeur désigné exploitait une entreprise dans ce ou ces pays. Pour 1984, le demandeur a réclamé un crédit d’impôt conformément au paragraphe 122.3(1) qui a remplacé le paragraphe 8(10). Le ministre a refusé les déductions et le crédit réclamés relativement à un emploi à l’étranger au motif que l’employeur n’exploitait pas une entreprise au Malawi en vue de réaliser des profits ou avec une expectative raisonnable de profit. La question consistait à savoir si l’employeur du demandeur exploitait une entreprise au Malawi au sens des paragraphes 8(10) et 122.3(1).

Jugement : l’appel doit être rejeté.

L’expression « exploitait une entreprise » utilisée aux paragraphes 8(10) et 122.3(1) désigne les activités qu’un employeur exerce en vue de réaliser des profits. Comme il y avait un certain doute sur le sens à donner au mot « entreprise » utilisé aux paragraphes 8(10) et 122.3(1), il a été nécessaire de recourir à l’objet de la disposition. La déduction ou le crédit d’impôt pour un emploi à l’étranger a été établi pour alléger le fardeau que les règles fiscales fédérales imposaient aux employeurs canadiens, et qui avaient pour effet de les dissuader d’engager des résidents canadiens pour exécuter certains contrats à l’étranger. Les paragraphes 8(10) et 122.3(1) avaient donc pour objet d’accroître la compétitivité des employeurs canadiens qui soumissionnent les contrats à l’étranger. L’article 122.3 exclut expressément tous les contrats de l’ACDI. Le législateur a décidé d’exclure les contrats de l’ACDI parce que les organismes qui soumissionnaient pour obtenir des marchés publics n’entraient pas en concurrence avec des sociétés étrangères sur les marchés internationaux, mais se faisaient concurrence à l’intérieur du Canada. La déduction ou le crédit d’impôt pour l’emploi à l’étranger a été conçu pour fournir un avantage à un employeur désireux de soumissionner des contrats internationaux, et non à des personnes qui sont embauchées en vertu de ces contrats. Les notions de diminution des coûts et de compétitivité accrue, qui sous-tendent l’adoption de ces dispositions, laissent supposer que les employeurs qui exécutent des contrats dans des pays étrangers doivent exercer une activité commerciale dans le but d’en tirer un profit.

Le critère de l’objet prépondérant devrait avoir préséance sur le critère de l’expectative raisonnable de profit dans l’application des paragraphes 8(10) et 122.3(1) pour plusieurs raisons. L’expression soumise à l’interprétation est « exploiter une entreprise », mais elle n’a pas nécessairement le même sens que le mot « entreprise » utilisé dans la Loi. Les causes de déductibilité des dépenses dans lesquelles le terme « entreprise » a été interprété seul ont fréquemment appliqué le critère de l’expectative raisonnable de profit. Le critère de l’objet prépondérant a été appliqué dans des causes de taxe professionnelle et d’évaluation fiscale pour déterminer si certaines entités exploitaient une entreprise. Les causes traitant de déductibilité des pertes et des dépenses d’entreprise ont mis l’accent sur un certain nombre de questions différentes, notamment la qualification appropriée d’une source de revenu (revenu tiré d’un bien par opposition à revenu tiré d’une entreprise), ou d’un type de dépenses (dépenses personnelles par opposition à dépenses d’entreprise). Les dispositions contestées en l’espèce exigent que la Cour détermine la nature des activités de l’employeur du contribuable. Il n’est pas nécessaire que la Cour examine la source du revenu ni la déductibilité des dépenses; elle doit plutôt évaluer les types d’activités ou d’opérations dans lesquelles est engagé un organisme particulier. Ces distinctions appuient l’opinion selon laquelle le critère de l’expectative raisonnable de profit n’est pas celui qu’il faut appliquer au regard des paragraphes 8(10) et 122.3(1).

Si l’objet prépondérant d’une activité est la réalisation de profits, l’activité peut alors être considérée comme une entreprise. Si, par contre, l’objet prépondérant est différent et que la réalisation de profits s’y greffe accessoirement, il ne s’agit plus alors d’une entreprise. La province a conclu le contrat avec l’ACDI pour des raisons d’ordre humanitaire, accroître le nombre d’emplois pour les résidents du Nouveau-Brunswick, et stimuler l’économie. La province n’a pas conclu le contrat dans le but premier de faire de l’argent. La réalisation d’un bénéfice, aussi mince soit-il, ne ferait que s’ajouter aux principaux avantages obtenus. La totalité du contrat a été financée par des fonds publics. Le contexte fiscal très serré a obligé les gouvernements à chercher de nouvelles sources de revenus afin de minimiser le fardeau financier sur le Trésor public et de rendre compte de l’utilisation des fonds publics. Cela ne suffit pas pour que l’on puisse affirmer que le souci de rentabilité était prépondérant dans les circonstances. Si des profits ont été réalisés, ceux-ci étaient simplement accessoires à d’autres objets beaucoup plus importants.

Le témoin expert du demandeur a conclu qu’il y avait un léger bénéfice net sur la durée de dix ans du contrat, en calculant les frais généraux à 15 %. Certains aspects de sa répartition des coûts étaient inacceptables. Il est nécessaire de déterminer la totalité des coûts des services, ce qui inclut les coûts directs et indirects. Il a été impossible de déterminer les coûts des produits et des services qui peuvent avoir été engagés par d’autres ministères. Même si le Ministère a recouvré une bonne part des coûts des services qu’il a offerts dans le cadre du contrat, la preuve n’établit pas que le Ministère avait objectivement une expectative raisonnable de profit. Que l’on se fonde sur un critère ou sur l’autre, le Ministère n’exploitait pas une entreprise en vertu d’un contrat pendant les années d’imposition en question. Le demandeur ne pouvait réclamer, au titre d’un emploi à l’étranger, ni les déductions fiscales ni le crédit d’impôt.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Assessment Act (The), R.S.O. 1970, ch. 32, art. 7(1)b).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 1), art. 8(10) (édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 2; abrogé par S.C. 1984, ch. 1, art. 3), (11) « employeur désigné » (édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 2), 9(1), 122.3(1) (édicté par S.C. 1984, ch. 1, art. 66; ch. 45, art. 39), (2) « employeur désigné » (édicté par S.C. 1984, ch. 1, art. 66), 149(1)g ), j) (mod. par S.C. 1986, ch. 6, art. 15), l) (mod. par S.C. 1976-77, ch. 4, art. 59), (5), 149.1(3)a) (édicté par S.C. 1976-77, ch. 4, art. 60), 248(1) « entreprise » ou « affaire » (mod. par S.C. 1979, ch. 5, art. 66), « frais personnels ou de subsistance ».

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 9(1), 18(1)a).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Alberta Institute on Mental Retardation c. Canada, [1987] 3 C.F. 286 [1987] 2 C.T.C. 70; (1987), 87 DTC 5306; 76 N.R. 366 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Rolls v. Miller (1883), 53 L.J. Ch. 99; Shaw et al. v. McNay et al., [1939] O.R. 369 (H.C.); Samson, Maurice v. Minister of National Revenue, [1943] R.C.É. 17; [1943] 2 D.L.R. 349; Commissaire régional à l’évaluation et autre c. Caisse populaire de Hearst Ltée, [1983] 1 R.C.S. 57; Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73; (1995), 96 DTC 6001; 191 N.R. 182 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canadian Marconi Co c La Reine, [1984] CTC 319; (1984), 84 DTC 6267 (C.A.F.); inf. par Canadian Marconi c. R., [1986] 2 R.C.S. 522; (1986), 33 D.L.R. (4th) 481; [1986] 2 C.T.C. 465; 86 DTC 6526; 70 N.R. 174; Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3; (1994), 95 DTC 5017; 171 N.R. 161; 63 Q.A.C. 161; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312; [1994] 2 C.T.C. 25; (1994), 94 DTC 6314; 168 N.R. 16; Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N.; Banque Toronto-Dominion c. M.R.N. [1996] 1 R.C.S. 963; Elm Ridge Country Club Inc. c. M.R.N., [1995] 2 C.T.C. 2810; (1995), 95 DTC 715 (C.C.I.).

DÉCISIONS CITÉES :

Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103; [1995] 2 C.T.C. 369; (1995), 95 DTC 5551; Smith v. Anderson (1880), 15 Ch. D. 247 (C.A.); Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480; (1977), 77 D.L.R. (3d) 112; [1977] CTC 310; 77 DTC 5213; 15 N.R. 476; Windsor-Essex County Real Estate Board and City of Windsor et al., Re (1974), 6 O.R. (2d) 21 (C.A.); Lorentz (V) c MRN, [1985] 1 CTC 2144; (1985), 85 DTC 131 (C.C.I.).

DOCTRINE

Driedger. E. A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.

Hogg, Peter W. et J. E. Magee. Principles of Canadian Income Tax Law. Scarborough, Ont. : Carswell, 1995.

Krishna, Vern. The Fundamentals of Canadian Income Tax, 5th ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1995.

Ministère des Finances. « Renseignements supplémentaires » dans Documents budgétaires. Ottawa : Ministère des Finances, le 11 décembre 1970.

Revenu Canada Impôt. Bulletin d’interprétation IT-497R, le 30 août 1985.

APPEL concernant le refus de la Cour de l’impôt d’accueillir l’appel du demandeur contestant les nouvelles cotisations en matière d’impôt sur le revenu, refusant les déductions fiscales et le crédit d’impôt pour un emploi à l’étranger. Appel rejeté.

AVOCATS :

David D. Eidt et R. Bruce Eddy, pour le demandeur.

André LeBlanc, pour la défenderesse.

PROCUREURS :

Eddy, Young, Hoyt & Downs, Fredericton, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada, pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Wetston : Il s’agit d’un appel intenté sous forme de procès de novo concernant une décision de la Cour canadienne de l’impôt, en date du 21 août 1989, qui rejetait l’appel du demandeur contestant les nouvelles cotisations établies pour les années d’imposition 1982, 1983 et 1984.

Entre le 15 novembre 1982 et le 30 novembre 1984, le demandeur a travaillé au Malawi, en Afrique, pour le compte de la province du Nouveau-Brunswick (la province), au ministère de l’Agriculture et de l’Aménagement rural (le Ministère). Le demandeur exerçait ses fonctions dans le cadre d’un contrat (le contrat) conclu entre la province, en tant qu’organisme d’exécution, et l’Agence canadienne de développement international (l’ACDI), rattachée au ministère des Affaires extérieures du gouvernement du Canada. En vertu du contrat, conclu le 23 septembre 1980, le Ministère avait accepté de fournir des services afin d’établir et de gérer plusieurs fermes laitières au Malawi, en contrepartie d’honoraires et du remboursement de certains frais. En tant qu’organisme d’exécution, la province devait fournir les biens et services nécessaires pour l’exécution du contrat au Malawi. Le demandeur était au nombre des personnes affectées par la province aux fins de cette prestation; il a donc travaillé au Malawi pendant les années d’imposition en question.

Pour les années d’imposition 1982 et 1983, le demandeur a demandé que soient soustraites de son revenu les sommes de 1 986 $ et 14 943 $, respectivement, à titre de déductions pour un emploi à l’étranger, conformément au paragraphe 8(10) [édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 2] de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, modifié par S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 1, et autres dispositions subséquentes. Les dispositions pertinentes sont rédigées en partie dans les termes suivants :

8.

(10) Lorsqu’un particulier est un résident du Canada dans une année d’imposition et que pendant une période de plus de six mois consécutifs ayant commencé au cours de l’année ou au cours d’une année antérieure (appelée dans le présent paragraphe la « période admissible »),

a) il a été employé par une personne qui est un employeur désigné, et

b) il a exercé la totalité ou la presque totalité des fonctions de son emploi dans un ou plusieurs pays autres que le Canada

(i) dans le cadre d’un contrat en vertu duquel l’employeur désigné exploite une entreprise dans ce ou ces pays…

Pour l’année d’imposition 1984, le demandeur a réclamé un crédit d’impôt de 4 403 94 $, pour un emploi à l’étranger, conformément au paragraphe 122.3(1) [édicté par S.C. 1984, ch. 1, art. 66; ch. 45, art. 39] de la Loi, qui a remplacé le paragraphe 8(10) [abrogé par S.C. 1984, ch. 1, art. 3] en 1984. Dans des avis de nouvelle cotisation, datés du 9 décembre 1986, le ministre du Revenu national (le ministre) a refusé les déductions réclamées par le demandeur relativement à un emploi à l’étranger pour les années 1982 et 1983, et le crédit d’impôt pour 1984. Dans des avis d’opposition en date du 23 janvier 1987, le demandeur contestait les nouvelles cotisations établies pour les années 1982 à 1984. Le ministre a confirmé la totalité des nouvelles cotisations au moyen d’un avis de ratification en date du 20 novembre 1987, au motif que le demandeur ne travaillait pas pour un employeur qui exploitait une entreprise à l’extérieur du Canada au sens du paragraphe 8(10) de la Loi en 1982 et 1983, ou au sens du paragraphe 122.3(1) de la Loi en 1984.

Le demandeur prétend que le ministre a commis une erreur en établissant une nouvelle cotisation pour l’impôt et les intérêts qu’il devait payer pour les années d’imposition 1982, 1983 et 1984, étant donné que son employeur exploitait une entreprise liées à des activités agricoles au Malawi, au cours de la période en question. Plus particulièrement, le demandeur fait valoir que le Ministère exploitait une entreprise consistant à fournir [traduction] « les services professionnels, techniques et connexes nécessaires à la supervision et à l’administration du personnel professionnel, administratif et technique canadien » qui avait pour mandat, aux termes du contrat, de mettre sur pied deux fermes laitières au Malawi. Le demandeur prétend de plus que l’expression « exploite une entreprise » utilisée au paragraphe 8(10) ou « exploitait … une entreprise » utilisée au paragraphe 122.3(1) de la Loi ne comporte aucune ambiguïté; à son avis, il est clair que les activités du Ministère au Malawi constituaient une « activité de quelque genre que ce soit » au sens du terme « entreprise » défini au paragraphe 248(1) [mod. par S.C. 1979, ch. 5, art. 66] de la Loi. De l’avis du demandeur, le sens ordinaire du mot « entreprise » exige que ce terme soit interprété largement, et il importe peu que l’opération en question ait pour but de réaliser des profits. Le demandeur fait valoir que rien dans le libellé ou le contexte des dispositions en question ne semble indiquer l’intention du législateur de restreindre l’application de la déduction ou du crédit d’impôt à des employés travaillant pour des entreprises destinées à faire des bénéfices. Subsidiairement, le demandeur soutient que le Ministère avait une expectative raisonnable de profit quand il a conclu le contrat.

En établissant une nouvelle cotisation pour les années d’imposition 1982, 1983 et 1984, le ministre s’est appuyé, notamment, sur l’hypothèse selon laquelle, au cours de cette période, le Ministère n’a pas exploité d’entreprise au Malawi en vue de faire des profits ou avec une expectative raisonnable de profit. La défenderesse réaffirme cette opinion et prétend que le demandeur n’a pas le droit de réclamer les déductions ou le crédit d’impôt en question parce que, pendant les années d’imposition 1982 à 1984, son employeur n’a pas exploité d’entreprise au Malawi au sens des paragraphes 8(10), 122.3(1) et 248(1) de la Loi.

La seule question en litige consiste à déterminer si l’employeur du demandeur a exploité une entreprise au Malawi au sens des paragraphes 8(10) et 122.3(1) de la Loi, entre le 15 novembre 1982 et le 30 novembre 1984. La défenderesse ne conteste pas que le Ministère était l’employeur du demandeur au cours de la période en question. Aucun argument n’a été soulevé quant à savoir si le Ministère était un « employeur désigné » au sens des définitions données au paragraphe 8(11) [édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 2] et à l’alinéa 122.3(2)a) [édicté par S.C. 1984, ch. 1, art. 66] de la Loi. Si le Ministère n’exploitait pas une entreprise en vertu du contrat, au cours de la période pertinente, le demandeur n’aura pas le droit de réclamer les déductions d’impôt pour un emploi à l’étranger, pour les années 1982 et 1983, ni le crédit d’impôt au même effet pour l’année 1984. Le droit du demandeur à la déduction ou au crédit d’impôt ne dépend pas de sa propre situation et de ses activités, mais bien de celles de son employeur.

Interprétation de la loi

L’interprétation des lois fiscales fondée sur l’objet visé, ou méthode téléologique, a été énoncée pour la première fois dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536. Depuis, cette méthode a été examinée par la Cour suprême du Canada à de nombreuses reprises. Par exemple, dans l’arrêt Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3, le juge Gonthier, s’exprimant au nom de la majorité, indiquait à la page 17 que l’interprétation des lois fiscales devrait être soumise aux règles ordinaires d’interprétation. À cet égard, le juge Gonthier s’appuie sur les observations suivantes formulées par E. A. Driedger, dans son ouvrage Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983), à la page 87 :

[traduction] … il faut interpréter les textes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

La méthode téléologique d’interprétation des lois fiscales est tout à fait compatible avec la règle du sens ordinaire à laquelle faisait référence le juge Major dans l’arrêt Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, aux pages 112 à 114.

Selon le juge Gonthier dans l’arrêt Bon-Secours, précité, la tendance récente à s’éloigner de l’interprétation stricte des lois fiscales a été favorisée par l’acceptation du fait que l’objectif de la loi fiscale n’est plus limité à la levée de fonds pour faire face aux dépenses du gouvernement; au contraire, de nos jours, la loi se présente comme instrument d’intervention économique et sociale. Comme le soulignait le juge Gonthier, à la page 18 :

En soumettant la loi fiscale à une interprétation téléologique, on constate que rien n’empêche qu’une politique générale de levée de fonds soit assujettie à une politique secondaire d’exemption des œuvres sociales. Il s’agit là de deux buts légitimes qui expriment également l’intention du législateur et, à ce titre, on voit difficilement pourquoi l’un devrait primer l’autre.

Le juge Gonthier déclarait également qu’à la lumière de la méthode téléologique, il n’est plus possible, en matière fiscale, de réduire les principes d’interprétation à des présomptions en faveur ou au détriment du contribuable.

Dans l’arrêt Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312, le juge Iacobucci affirme ce qui suit, aux pages 326 et 327 :

Même si les tribunaux doivent examiner un article de la Loi de l’impôt sur le revenu à la lumière des autres dispositions de la Loi et de son objet, et qu’ils doivent analyser une opération donnée en fonction de la réalité économique et commerciale, ces techniques ne sauraient altérer le résultat lorsque les termes de la Loi sont clairs et nets et que l’effet juridique et pratique de l’opération est incontesté : Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du Revenu), [1988] 2 R.C.S. 175, à la p. 194; voir également Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695.

Les professeurs Hogg et Magee, dans leur nouvel ouvrage intitulé Principles of Canadian Income Tax Law (Scarborough, Ontario : Carswell, 1995), faisaient, à la page 454 les commentaires suivants au sujet de l’interprétation téléologique :

[traduction] [L’arrêt Antosko] ne fait que reconnaître que « l’objet » ne peut jouer qu’un rôle limité dans l’interprétation d’une loi aussi précise et détaillée que la Loi de l’impôt sur le revenu. Lorsqu’une disposition est rédigée dans des termes précis qui n’engendrent aucun doute ni aucune ambiguïté quant à son application aux faits, elle doit être appliquée nonobstant son objet. Ce n’est que lorsque le libellé de la loi engendre un certain doute ou une certaine ambiguïté, quant à son application aux faits, qu’il est utile de recourir à l’objet de la disposition.

Ainsi donc, en cas d’ambiguïté, il est encore plus important de recourir au sens ordinaire d’une disposition pour interpréter le libellé en question.

Les observations des professeurs Hogg et Magee ont été citées par le juge Cory dans la décision récente Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N.; Banque Toronto-Dominion c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963. À la page 975, le juge Cory fait référence aux principes qu’il convient d’examiner dans l’interprétation des lois fiscales, tels ceux qui ont été énoncés dans l’arrêt Friesen c. Canada, précité. Il indique à la page 976 que « lorsqu’il n’y a aucun doute quant au sens d’une mesure législative ni aucune ambiguïté quant à son application aux faits, elle doit être appliquée indépendamment de son objet ». Le juge Cory fait ensuite observer que ni le sens de la mesure législative ni son application aux faits ne sont clairs. Par conséquent, il a entrepris d’examiner l’objet de la mesure législative car il convient toujours d’examiner l’esprit de la Loi, l’objet de la Loi et l’intention du législateur pour déterminer le sens manifeste et ordinaire de la loi en question.

En l’espèce, le demandeur soulève divers arguments à l’appui de sa position concernant l’interprétation des dispositions en question. Il cite d’abord la définition suivante du terme « entreprise » donnée au paragraphe 248(1) de la Loi :

248. (1) …

« entreprise » ou « affaire » comprend une profession, un métier, un commerce, une industrie ou une activité de quelque genre que ce soit et, sauf pour l’application de l’alinéa 18(2)c), comprend un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, mais ne comprend pas une charge ni un emploi; [Non souligné dans l’original.]

Le demandeur prétend que le Ministère exploitait une « activité de quelque genre que ce soit ». Toutefois, la disposition précitée ne définit pas le mot « entreprise »; elle énumère plutôt un certain nombre d’exemples de ce qui est compris dans ce terme : voir Canadian Marconi Co c La Reine, [1984] CTC 319 (C.A.F.), infirmé pour d’autres motifs par [1986] 2 R.C.S. 522.

De plus, le demandeur affirme que le sens ordinaire du mot « entreprise » ne comporte pas nécessairement une notion de profit. Il prétend que ce terme peut être interprété de deux façons : selon un sens strict, qui suppose un objectif de profit, ou selon un sens large, qui est exempt de cette notion. De l’avis du demandeur, si le contexte législatif dans lequel le mot « entreprise » est utilisé ne suggère pas cet objectif de profit, alors c’est le sens ordinaire du terme qui devrait être retenu. Selon le sens large, le terme « entreprise » fait référence à une activité qui occupe le temps, l’attention et le travail d’une personne, abstraction faite des objectifs de profit. Le demandeur s’appuie sur les décisions suivantes : Rolls v. Miller (1883), 53 L.J. Ch. 99; Shaw et al. v. McNay et al., [1939] O.R. 369 (H.C.); et Samson, Maurice v. Minister of National Revenue, [1943] R.C.É. 17. Aucune de ces décisions ne traitait de l’interprétation d’une loi relative à l’impôt sur le revenu ou de toute autre forme de loi fiscale. Comme il a été indiqué ci-dessus, toutefois, l’expression « exploitait une entreprise » doit être examinée dans le contexte du régime d’imposition du revenu, en tenant compte de l’esprit de la Loi.

Le demandeur affirme également que le sens du mot « entreprise » utilisé dans les dispositions en question n’engendre aucune ambiguïté. À son avis, rien dans le libellé ou dans le contexte des paragraphes 8(10) et 122.3(1) de la Loi ne suggère que le législateur avait l’intention de restreindre la déduction fiscale ou le crédit d’impôt pour un emploi à l’étranger aux employés d’entreprises ayant pour but de faire des profits. Selon lui, une interprétation large du mot « entreprise » ne porte pas atteinte à cette position.

Le demandeur signale un certain nombre de dispositions de la Loi qui font expressément référence à des entreprises exploitées « dans le but ou avec l’espoir raisonnable de tirer un profit ». Plus particulièrement, selon lui, la définition de l’expression « frais personnels ou de subsistance » donnée à l’article 248(1) laisse entendre que la Loi, dans son ensemble, suppose que le terme « entreprise » inclut des activités qui ne sont pas motivées par la réalisation d’un profit. Si aucune entreprise ne peut exister sans avoir pour but ou comme espoir raisonnable la possibilité de tirer un profit, il n’y aurait aucune raison de restreindre explicitement le terme « entreprise » dans la définition de l’expression « frais personnels ou de subsistance ». Par conséquent, d’après l’argument du demandeur, selon l’esprit de la Loi, le mot « entreprise » est utilisé au sens large, à moins qu’une restriction expresse ne lui soit imposée. Les paragraphes 8(10) et 122.3(1) de la Loi ne contiennent aucune restriction expresse; par conséquent, le demandeur affirme que la défenderesse essaie d’imposer une restriction implicite à l’expression « exploitait une entreprise ».

Après avoir examiné l’esprit de la Loi, toutefois, je suis incapable d’accepter cet argument. L’alinéa 149.1(3)a) [édicté par S.C. 1976-77, ch. 4, art. 60] de la Loi dispose que le ministre peut annuler l’enregistrement d’une fondation publique lorsque la fondation « exerce une activité commerciale qui n’est pas une activité commerciale complémentaire de cet organisme de charité ». Concernant cette disposition, le juge Heald, J.C.A., dans l’arrêt Alberta Institute on Mental Retardation c. Canada, [1987] 3 C.F. 286(C.A.), s’est penché sur la définition du terme « entreprise » donnée au paragraphe 248(1). Étant donné que l’aspect commercial des activités de l’institut était simplement accessoire à la réalisation de ses fins charitables, le juge Heald, J.C.A., a conclu que l’appelant agissait uniquement dans un but charitable.

De même, d’après l’alinéa 149(1)j) [mod. par S.C. 1986, ch. 6, art. 15] de la Loi, une corporation sans but lucratif aux fins de la recherche scientifique et du développement expérimental est une corporation constituée exclusivement pour poursuivre des recherches scientifiques et du développement expérimental, ou promouvoir la recherche scientifique et le développement expérimental et qui, notamment, « n’a exploité aucune entreprise ». En outre, avant 1977, l’alinéa 149(1)g) disposait qu’aucun impôt n’était payable en vertu de la Partie I de la Loi sur le revenu imposable d’une corporation sans but lucratif, qui était définie comme une corporation constituée exclusivement à des fins charitables et qui, notamment « n’a exploité aucune entreprise ». Selon ces dispositions, un organisme de charité ou sans but lucratif est un organisme qui n’exploite aucune entreprise. Cela voudrait donc dire que le mot « entreprise » implique des activités ou des opérations destinées à réaliser des profits ou des gains.

Le demandeur fait aussi valoir que le sens le plus restreint que peut avoir l’expression « exploitait une entreprise », et qui est le sens dans lequel elle est utilisée pour la déduction fiscale ou le crédit d’impôt pour un emploi à l’étranger, est le suivant : « exploiter une entreprise qui s’apparente à une activité commerciale ». Selon le demandeur, le critère de l’activité commerciale est fréquemment appliqué par les tribunaux pour déterminer si un organisme gouvernemental a droit à l’immunité absolue relativement aux activités qu’il exerce dans un pays étranger. Le demandeur affirme que les gouvernements, comme le gouvernement de la province du Nouveau-Brunswick, sont fréquemment engagés dans des activités commerciales. Le demandeur prétend donc que la loi et la politique reconnaissent parfaitement que les gouvernements, y compris le gouvernement du Nouveau-Brunswick, exploitent des entreprises, y compris des entreprises de nature commerciale ou à but lucratif, tout en assurant la prestation de leurs services ordinaires.

Le demandeur affirme que le critère de l’activité commerciale a été adopté par le ministre dans le Bulletin d’interprétation IT-497, en date du 17 août 1983, et IT-497R, en date du 30 août 1985. Les deux versions du Bulletin IT indiquent ce qui suit :

Déterminer si un employeur désigné exploite ou non une entreprise dans un ou plusieurs pays autres que le Canada est toujours une question de fait. Lors de la prise d’une décision à cet égard, il faut surtout tenir compte de la nature de l’entreprise qui est exploitée dans un pays étranger. En dernière analyse, lorsque la nature des activés de l’employeur désigné s’apparente à des activités commerciales, cet employeur sera considéré, aux fins … [du paragraphe 8(10) ou 122.3(1)], comme « exploitant une entreprise » dans un pays étranger où il exerce ces activités.

Selon le demandeur, l’interprétation du Ministère ne fait aucune référence à des profits ou à une expectative raisonnable de profit. Toutefois, je ne peux accepter cet argument. Le Bulletin indique tout simplement que la déduction ou le crédit d’impôt pour un emploi à l’étranger ne s’applique pas si les activités de type commercial d’un employeur ne sont pas exercées dans un pays étranger.

Pour appuyer davantage sa position, le demandeur fait valoir que la décision de la Cour canadienne de l’impôt dans Elm Ridge Country Club Inc. c. M.R.N., [1995] 2 C.T.C. 2810, dans la mesure où le terme « entreprise » doit être interprété comme [traduction] « une entreprise exploitée en vue de faire des profits », est erronée. Le demandeur note que, dans cette décision, la Cour de l’impôt s’appuie essentiellement sur trois sources pour interpréter le terme « entreprise »; ce sont : (i) les causes d’évaluation des impôts fonciers, comme l’arrêt Commissaire régional à l’évaluation et autre c. Caisse populaire de Hearst Ltée, [1983] 1 R.C.S. 57; (ii) l’arrêt Smith v. Anderson (1880), 15 Ch. D. 247 (C.A.); et (iii) les causes sur la déductibilité des dépenses telles que l’arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480.

Dans la décision Elm Ridge, précitée, il était question du paragraphe 149(5) de la Loi, qui traite des organismes de charité, et des revenus d’intérêts des organismes sans but lucratif. La décision se fondait en partie sur le fait que le club de golf du demandeur était un organisme sans but lucratif au sens de l’alinéa 149(1)l) [mod. par S.C. 1976-77, ch. 4, art. 59] de la Loi. Comme le fait observer le juge Archambault, cet alinéa pose comme principe général qu’un organisme sans but lucratif n’est pas tenu de payer des impôts sur son revenu. Pour être admissible à cette exemption, l’organisme en question doit satisfaire à certaines conditions, notamment être exploité exclusivement pour une fin autre que la réalisation d’un profit. Bien qu’un organisme sans but lucratif doive être exploité exclusivement à des fins non lucratives, il peut quand même, selon le juge Archambault, générer certains revenus. Je ne crois pas que la décision Elm Ridge soit utile en l’espèce, étant donné qu’elle traite d’une disposition qui exclut expressément les activités exercées en vue de réaliser des profits.

Après avoir examiné plusieurs des arguments du demandeur, je conclus que le sens qu’il convient de donner au mot « entreprise » utilisé aux paragraphes 8(10) et 122.3(1) de la Loi engendre manifestement un certain doute. Je dois donc recourir à l’objet de la disposition. Selon les « Renseignements supplémentaires » dans Documents budgétaires du ministère des Finances, de 1979, l’adoption d’une déduction fiscale pour un emploi à l’étranger était proposée dans les termes suivants :

Pour maintenir la compétitivité des entreprises canadiennes sur les marchés internationaux, il est proposé que les employés de sociétés canadiennes imposables qui travaillent dans des pays étrangers prescrits pendant plus de six mois soient partiellement exonérés de l’impôt canadien. Cette mesure s’appliquera aux personnes employées à des travaux de construction, d’installation, d’agriculture ou de génie, d’exploration et de mise en valeur des ressources ou autre activité prescrite, dans la plupart des pays en voie de développement et dans certains autres pays. L’exonération s’élèvera à la moitié de la rémunération de l’employé à l’étranger, sans pouvoir dépasser $ 50 000 par an.

Il est difficile, en pratique, de déterminer exactement quand une personne qui déménage à l’étranger devient non-résidente. Les employés de sociétés canadiennes qui travaillent à l’étranger pendant un certain temps à des projets particuliers peuvent être des résidents aux fins de l’impôt canadien et, dans ce cas, subir l’impôt canadien sur leur revenu de toute provenance. Cette situation risque de nuire à la compétition des entreprises canadiennes qui soumissionnent pour des contrats à l’étranger. La plupart des concurrents étrangers du Canada bénéficient d’allégements fiscaux à l’égard des résidents employés hors des frontières nationales. Cette exonération partielle permettra aux employeurs canadiens de diminuer leurs coûts, tout en maintenant la valeur de la rémunération des employés après impôt.

Il est donc clair que la déduction ou le crédit d’impôt pour un emploi à l’étranger a été établi pour alléger le fardeau que les règles fiscales fédérales imposaient aux employeurs canadiens. Selon toute vraisemblance, ces règles avaient auparavant pour effet de dissuader les employeurs canadiens d’engager des résidents canadiens pour exécuter certains contrats à l’étranger. Il est donc manifeste que les paragraphes 8(10) et 122.3(1) de la Loi ont pour objet d’accroître la compétitivité des employeurs canadiens qui soumissionnent les contrats à l’étranger.

En 1984, le paragraphe 122.3(1) de la Loi a été modifié afin d’exclure expressément tous les contrats de l’ACDI. La version modifiée se lit maintenant comme suit : « il a été employé par une personne qui était un employeur désigné, dans un but autre que celui de fournir des services en vertu d’un programme prescrit du gouvernement du Canada d’aide au développement international ». Selon Mme Brito, qui a témoigné au nom de la défenderesse, le législateur a décidé d’exclure les contrats de l’ACDI parce que les personnes ou les organismes qui soumissionnaient pour obtenir des marchés publics n’entraient pas en concurrence avec des sociétés étrangères sur les marchés internationaux; au contraire, elles se faisaient concurrence à l’intérieur du Canada. La disposition relative à la déduction ou au crédit d’impôt pour l’emploi à l’étranger, selon Mme Brito, a été conçue pour fournir un avantage à un employeur désireux de soumissionner les contrats internationaux, et non à des personnes qui sont embauchées en vertu de ces contrats.

Je conclus que l’expression « exploitait une entreprise » utilisée aux paragraphes 8(10) et 122.3(1) de la Loi désigne les activités qu’un employeur exerce en vue de réaliser des profits. Les dispositions en question avaient pour but d’aider les employeurs désignés à soutenir la concurrence sur les marchés internationaux, en diminuant leurs frais généraux et, partant, le montant de leurs soumissions. Étant donné que l’application des dispositions se répercute sur le montant des coûts engagés pour soutenir la concurrence en vue de l’obtention du contrat, la déduction ou le crédit d’impôt avait manifestement pour objet d’améliorer la position financière de certains employeurs. Les notions de diminution des coûts et de compétitivité accrue, qui sous-tendent l’adoption de ces dispositions, laissent supposer que les employeurs qui exécutent des contrats dans des pays étrangers doivent exercer une activité commerciale dans le but d’en tirer un profit. Il faut donc maintenant déterminer comment ces dispositions, selon l’interprétation qui vient d’en être donnée, doivent être appliquées à l’espèce.

Application des dispositions

Le demandeur et la défenderesse ne s’entendent manifestement pas sur le critère qu’il convient d’utiliser pour appliquer les paragraphes 8(10) et 122.3(1) de la Loi aux faits de l’espèce. La défenderesse prétend que le critère de l’objet prépondérant, énoncé dans l’arrêt Hearst, précité, devrait être retenu. À son avis, un ministère n’exerce pas généralement des activités dans un sens commercial; par conséquent, il doit y avoir une intention claire que la réalisation de profits est le motif prédominant pour lequel le ministère a conclu le contrat, avant que l’on puisse conclure que celui-ci exploite une entreprise. La défenderesse prétend également que le critère de l’expectative raisonnable de profit, énoncé dans l’arrêt Moldowan c. La Reine, précité, et plus récemment dans l’arrêt Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73 (C.A.), n’est pas approprié en l’espèce. Ce critère ne devrait s’appliquer, selon la défenderesse, que lorsqu’il n’y a pas de bénéfice réel, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. La défenderesse affirme donc qu’il est inutile, pour l’application du critère de l’objet prépondérant, de savoir si un bénéfice réel a été réalisé.

Au contraire, le demandeur affirme que le critère de l’objet prépondérant ne devrait pas être utilisé pour l’application des paragraphes 8(10) et 122.3(1) de la Loi. Il prétend que ce critère est appliqué dans les cas où le gouvernement, ou les autorités fiscales, cherchent à prendre les contribuables dans le filet fiscal. Selon le demandeur, ce n’est pas le but poursuivi par les paragraphes 8(10) et 122.3(1); il fait observer que ces dispositions sont plutôt une forme d’encouragement. Il prétend que, quel que soit l’effet de cet encouragement sur les employeurs, il s’exerce par le biais des employés.

Dans l’arrêt Hearst, précité, une municipalité ontarienne avait assujetti une caisse populaire à l’impôt commercial en vertu de l’alinéa 7(1)b) de la Loi de l’Ontario, The Assessment Act, R.S.O. 1970, ch. 32. Cet alinéa est rédigé dans les termes suivants :

[traduction]

7.—(1) Indépendamment de toute évaluation d’un bien-fonds en application de la présente loi, quiconque occupe ou utilise un bien-fonds à des fins reliées à une entreprise mentionnée ou décrite au présent article sera tenu au paiement d’un montant appelé « évaluation commerciale » calculé en fonction de la valeur attribuée, aux fins d’impôt, au bien-fonds ainsi occupé ou utilisé, de la manière suivante :

b) Dans le cas des personnes qui exercent un commerce à titre … de banque ou de banquier ou qui exploitent toute autre entreprise financière, le montant de l’impôt équivaudra à 75 pour 100 de la valeur attribuée aux fins d’impôt. [Non souligné dans l’original.]

La question la plus importante soulevée dans l’arrêt Hearst, précité, consistait à savoir si l’intimée exerçait un commerce à titre de « banquier » ou exploitait « toute autre entreprise financière »; toutefois, cette question revenait essentiellement à déterminer si les activités du contribuable, considéré comme une banque, équivalaient à l’exploitation d’une entreprise.

La Cour suprême du Canada a adopté le critère de l’objet prépondérant, décrit par le juge McIntyre, à la page 64, dans les termes suivants :

Le critère de l’objet prépondérant est fondé sur une détermination du but d’une activité. Si l’objet prépondérant est la réalisation de profits, l’activité peut alors être considérée comme une entreprise. Si, par contre, l’objet prépondérant est différent et que la réalisation de profits s’y greffe accessoirement, il ne s’agit plus alors d’une entreprise…

Ce critère a été appliqué en Ontario, dans des affaires où l’assujettissement à l’impôt dépendait de savoir si telle ou telle activité constituait une entreprise. [Non souligné dans l’original.]

Le juge McIntyre poursuit ensuite dans les termes suivants à la page 71 :

Dans cette dernière hypothèse, même si l’organisme a d’autres objets, dont la réalisation de profits … , il ne sera pas considéré comme une entreprise.

Selon le juge McIntyre, donc, ce critère s’applique dans les cas où l’assujettissement à l’impôt dépend de savoir si l’organisme en question est une entreprise.

Dans sa décision, le juge McIntyre a rejeté le critère de l’activité commerciale, énoncé par le juge Evans, J.C.A., dans l’arrêt Windsor-Essex County Real Estate Board and City of Windsor et al., Re (1974), 6 O.R. (2d) 21 (C.A.). Ce critère exige un examen et une appréciation de l’ensemble des facteurs afin de déterminer s’il s’agit en réalité d’une société véritablement commerciale. À la page 70, le juge McIntyre déclare ce qui suit :

Bon nombre d’organismes de bienfaisance qui œuvrent au sein de la collectivité et qui ont recours de temps à autre à des activités qu’on qualifierait de commerciales afin de réunir des fonds pour pouvoir remplir leurs objets, risqueraient, par l’application de pareil critère, d’être considérés comme des entreprises. Attacher une importance primordiale à l’aspect commercial d’une opération litigieuse ne constitue pas, à mon avis, un guide sûr ni utile. J’estime que le critère de l’activité commerciale est trop imprécis pour qu’il puisse être appliqué avec uniformité. Je suis d’accord que, pour décider si une activité peut être qualifiée d’entreprise au sens de l’al. 7(1)b) de The Assessment Act, il faut examiner et apprécier l’ensemble des facteurs pertinents qui s’y rapportent. Cependant, il faut les examiner et les apprécier pour déterminer non pas si, dans un sens général, l’opération est de nature commerciale ou revêt des aspects commerciaux, mais si elle a comme objet prépondérant la réalisation de profits. Si c’est le cas, il s’agit d’une entreprise; dans le cas contraire, ce n’en est pas une.

La caisse populaire en question avait pour objet prépondérant de fournir à ses membres des prêts à taux modéré à des fins de prévoyance et d’activités productives, et non pas de faire des profits. Par conséquent, le juge McIntyre a conclu que l’intimée n’exploitait pas une entreprise pour les fins de la disposition en question.

Le demandeur fait valoir que l’arrêt Hearst, précité, interprétait la loi ontarienne intitulée The Assessment Act, qui dresse une liste « d’entreprises » que les autorités cherchaient à assujettir à l’impôt. À son avis, il n’y avait pas dans cette Loi de définition équivalente à celle du terme « entreprise » qui se trouve au paragraphe 248(1) de la Loi. Toutefois, comme il a déjà été noté, le paragraphe 248(1) ne définit pas le terme « entreprise ». Par conséquent, les dispositions de ces deux lois ont plus de points en commun que ce que laisse entendre le demandeur.

Dans l’arrêt Canadian Marconi, précité, portant sur une question d’impôt sur le revenu, le juge Ryan, J.C.A., a analysé le critère de l’objet prépondérant. À la page 330, il indique ceci : « Je ferais remarquer que, même aux fins de la loi provinciale, Assessment Act (The), le critère consistant à savoir si le contribuable exploite une entreprise ne se ramène pas simplement à la question de savoir si on recherche des profits, mais à la question de savoir s’il s’agit là du but prédominant ». À la lumière de ces observations, la défenderesse fait valoir que le critère de l’objet prépondérant devrait s’appliquer en vertu de la Loi, mais pas aux fins de déterminer la source du revenu. Le demandeur conteste cette interprétation de l’arrêt Canadian Marconi , toutefois, et fait référence à la conclusion du jugement de la Cour, à la page 330, où le juge Ryan déclare ce qui suit : « J’estime toutefois que, aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu, le fait qu’une activité soit exercée aux fins de faire des profits ne saurait permettre de trancher la question de savoir si le revenu en découlant est tiré d’une « entreprise » d’une part ou d’un « bien » d’autre part.— Selon le demandeur, c’est là une indication que le critère de l’objet prépondérant n’a pas été adopté dans le contexte de l’imposition du revenu.

Le juge Ryan a statué sur l’affaire Canadian Marconi en se fondant sur le paragraphe 9(1) de la Loi et en déterminant quelle était la source du profit de la société. Il a conclu qu’il était préférable de considérer le profit comme un revenu tiré d’un bien, plutôt que d’une entreprise. Manifestement, le juge Ryan n’a ni rejeté ni adopté explicitement le critère de l’objet prépondérant dans le contexte de l’impôt sur le revenu; il a plutôt tout simplement indiqué que le critère ne peut être utilisé pour déterminer la source du revenu, qui n’est pas une question litigieuse en l’espèce.

L’arrêt Tonn c. Canada, précité, examine le critère de l’expectative raisonnable de profit en cherchant à déterminer si une dépense d’entreprise est une déduction admissible en vertu de la Loi. Dans cet arrêt, le juge Linden, J.C.A., a conclu qu’au moins cinq critères pouvaient s’appliquer au sujet de la déductibilité des frais : quatre sont d’origine législative, et le cinquième est tiré de la common law. Chacune des dispositions législatives pertinentes fait référence explicitement ou implicitement à la notion de profit.

Après avoir résumé les quatre critères d’origine législative applicables à la déductibilité des dépenses, le juge Linden analyse le critère de la common law, tel qu’il a été énoncé dans l’arrêt Moldowan c. La Reine, précité. Cet arrêt est souvent cité comme l’arrêt de principe attestant la proposition selon laquelle un contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit pour être réputé exploiter une entreprise. De l’avis du juge Linden, le raisonnement du juge Dickson [tel était alors son titre] relativement à l’expectative raisonnable de profit dans l’arrêt Moldowan est devenu le critère de référence permettant habituellement de trancher les litiges qui concernent la déductibilité des frais d’entreprise.

Le juge Linden note que le critère de l’expectative raisonnable de profit, fondé sur la common law et énoncé dans l’arrêt Moldowan, s’apparente au critère de l’intention commerciale dont il est question au paragraphe 9(1) et à l’alinéa 18(1)a) de la Loi [Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1], en ce sens que le contribuable doit avoir formé l’intention subjective de réaliser un bénéfice quand il se livre aux activités en question. Le critère de common law va plus loin que les critères d’origine législative, toutefois, étant donné qu’il exige également que cette intention soit raisonnable sur le plan objectif. Ce critère de l’expectative raisonnable de profit est plus strict que le critère de l’intention commerciale, en raison de sa nature objective. Le juge Linden indique, à la page 93, que l’aspect objectif du critère de l’arrêt Moldowan est la caractéristique qui le distingue le plus des critères généraux énoncés dans la Loi quant à la déductibilité des dépenses.

Selon le juge Linden, J.C.A., l’application du critère de l’expectative raisonnable de profit n’est pas limitée aux pertes d’exploitation agricole, aux frais personnels et aux dépenses d’entreprise, ni même à la détermination de la source du revenu. À la page 96, le juge Linden fait les observations suivantes :

Par conséquent, le critère de l’arrêt Moldowan est un critère utile qu’il est possible d’appliquer pour conclure qu’une activité du contribuable est inappropriée en l’absence d’éléments de preuve plus directs. Ainsi, lorsque les circonstances ne soulèvent nullement la question de savoir si une perte d’entreprise a été engagée dans un but personnel ou dans un but non lié à l’entreprise, le critère devrait être appliqué avec modération et avec une latitude favorisant le contribuable, dont le sens des affaires a peut-être fait défaut.

Bien que cela ne soit pas expressément indiqué, je suis d’avis que le juge Linden avait l’intention de limiter ces observations aux cas de déductibilité des dépenses.

À mon avis, en l’espèce, le critère de l’objet prépondérant devrait avoir préséance sur le critère de l’expectative raisonnable de profit dans l’application des paragraphes 8(10) et 122.3(1) de la Loi pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’expression précise soumise à l’interprétation en l’espèce est « exploiter une entreprise » en vertu d’un contrat. L’expression « exploiter une entreprise », qui a été interprétée dans des causes d’assujettissement à l’impôt comme l’arrêt Hearst, précité, n’a pas nécessairement le même sens que le mot « entreprise » utilisé dans la Loi : voir Smith v. Anderson, précité, à la page 277; Friesen c. Canada, précité, aux pages 134 et 135. Comme on l’a vu ci-dessus, les causes de déductibilité des dépenses dans lesquelles le terme « entreprise » a été interprété seul ont fréquemment appliqué le critère de l’expectative raisonnable de profit.

En outre, le critère de l’objet prépondérant a été appliqué dans des causes de taxe professionnelle et d’évaluation fiscale, non pas aux fins de déterminer la source du revenu, mais pour déterminer si certaines entités exploitaient une entreprise. Comme le fait remarquer Vern Krishna, dans son ouvrage The Fundamentals of Canadian Income Tax, 5e éd. (Scarborough, Ontario : Carswell, 1995), à la page 1, une taxe est [traduction] « une contribution obligatoire imposée à des particuliers, à des entreprises ou sur des biens dans le but de transférer des ressources provenant du secteur privé au secteur public ». De cette perspective, je ne vois aucune différence entre une taxe professionnelle provinciale ou un impôt fondé sur l’évaluation. L’objectif principal qui sous-tend l’impôt sur le revenu est semblable : il s’agit de générer des revenus qui financeront les programmes et les services gouvernementaux.

Comme il a été indiqué précédemment, la principale question à trancher dans les causes d’évaluation fiscale, y compris dans l’arrêt Hearst, précité, consistait à déterminer si une entité particulière exploitait une entreprise. Par contraste, les causes traitant de déductibilité des pertes et des dépenses d’entreprise ont mis l’accent sur un certain nombre de questions différentes, notamment la qualification appropriée d’une source de revenu (revenu tiré d’un bien par opposition à revenu tiré d’une entreprise), ou d’un type de dépense (dépenses personnelles par opposition à dépenses d’entreprise). Les dispositions contestées en l’espèce exigent que la Cour détermine la nature des activités de l’employeur du contribuable. Il n’est pas nécessaire que la Cour examine la source du revenu ni la déductibilité des dépenses; elle doit plutôt évaluer les types d’activités ou d’opérations dans lesquelles est engagé un organisme particulier. En l’espèce, si l’employeur n’exploite pas une entreprise, la disposition ne s’applique pas.

Dans l’arrêt Tonn, précité, la Cour a clairement limité ses observations concernant l’expectative raisonnable de profit aux critères applicables à la déductibilité des dépenses. Le critère de l’expectative raisonnable de profit est également approprié dans des causes, comme l’affaire Moldowan, où une opération qui s’apparente à une entreprise n’a pas réussi à réaliser des profits. En appliquant le critère de l’expectative raisonnable de profit, les tribunaux parviennent à identifier des entreprises qui passeraient autrement inaperçues uniquement parce qu’elles n’ont pas réussi à atteindre l’objectif pour lequel elles ont été créées, c’est-à-dire la réalisation d’un profit. Toutefois, en l’espèce, il n’est nullement question de déductibilité des dépenses ou de source du revenu. En outre, personne ne laisse entendre qu’il y a des circonstances douteuses ou que le contribuable a structuré ses affaires pour créer une illusion de conformité à la Loi, comme le mentionnait le juge Linden, J.C.A. dans l’arrêt Tonn. En fait, ce sont les affaires ou les opérations de l’employeur du contribuable, et non celles du contribuable lui-même, qui doivent être évaluées en l’espèce. À mon avis, ces distinctions appuient l’opinion selon laquelle le critère de l’expectative raisonnable de profit n’est pas celui qu’il faut appliquer au regard des paragraphes 8(10) et 122.3(1) de la Loi.

En conclusion, le critère de l’objet prépondérant, tel qu’il est décrit dans l’arrêt Hearst, précité, est celui qu’il convient d’utiliser pour déterminer si un employeur désigné exploite une entreprise en vertu d’un contrat, dans le contexte des paragraphes 8(10) et 122.3(1) de la Loi. Je dois maintenant déterminer si le Ministère avait, comme objet prédominant, l’intention de faire des profits quand il a conclu le contrat en question.

M. Tim Andrew a témoigné au nom du demandeur. M. Andrew était sous-ministre adjoint au ministère de l’Agriculture et de l’Aménagement rural au Nouveau-Brunswick en 1979 et 1980 et il a occupé par la suite le poste de sous-ministre. Selon M. Andrew, l’ACDI avait initialement consulté le secteur privé pour mettre en œuvre le programme du Malawi; toutefois, elle n’y a trouvé ni l’intérêt ni les compétences nécessaires pour entreprendre un tel programme. Mme Brito, qui a déposé au nom du ministre, a donné une version différente.

Le mandat de l’ACDI est d’offrir de l’aide au développement, dans le cadre de la politique étrangère du Canada. La raison la plus importante de ce mandat est manifestement d’aider les nations défavorisées ou en difficulté. Selon M. Andrew, dans l’exécution de ce contrat, la province cherchait notamment à aider le Malawi à parvenir à l’autosuffisance en matière de produits laitiers de façon que le pays n’ait plus à dépendre de l’Afrique du Sud comme source d’approvisionnement. En outre, la province espérait que ce contrat aurait des effets positifs sur l’économie du Nouveau-Brunswick et qu’il créerait des emplois pour les Canadiens au Malawi. M. Andrew semblait également poursuivre deux autres objectifs : a) il voulait engager le Ministère dans un domaine nouveau et intéressant; et b) il estimait que sa participation à ce programme pouvait favoriser son avancement. M. Andrew a en outre indiqué que l’un des objectifs poursuivis par la province dans l’exécution du contrat était la réalisation d’un bénéfice, de façon à s’assurer que la province ne subisse aucune perte financière. Il semble que M. Andrew avait l’intention que le Ministère fasse des profits, quelle qu’en soit l’importance, afin de disposer d’une sorte de filet de sécurité au cas où certains de ses calculs et de ses hypothèses se révéleraient inexacts. M. Andrew a également déclaré dans sa déposition qu’un consultant privé n’aurait pas accepté les conditions du contrat, parce qu’il aurait demandé plus d’argent que ce que la province a accepté.

Au vu de la preuve, je conclus que la province a conclu ce contrat pour trois raisons principales : des raisons d’ordre humanitaire; des possibilités d’accroître le nombre d’emplois pour les résidents du Nouveau-Brunswick; et la stimulation de l’économie. Pour ce qui a trait à la possibilité de faire des bénéfices, je conclus que la province n’a pas conclu le contrat dans le but premier de faire de l’argent, mais plutôt pour réaliser les trois objectifs principaux notés ci-dessus, sans subir de pertes financières en cours de route. M. Andrew voulait manifestement inclure au contrat une clause qui servirait de filet de sécurité, au cas où les prévisions ou les hypothèses du Ministère seraient inexactes. La réalisation d’un bénéfice, aussi mince soit-il, ne ferait que s’ajouter aux réalisations de la province.

Contrairement à des opérations commerciales à risque types, comme le fait remarquer le demandeur, le contrat en question était un contrat à prix coûtant majoré ne présentant qu’un risque financier minime. En outre, comme le note Mme Brito, qui a également travaillé pour l’ACDI pendant vingt-cinq ans, il ne s’agissait pas d’un contrat concurrentiel; une entreprise du secteur privé aurait investi beaucoup plus de capital de risque que ne l’a fait la province, et aurait donc exigé des conditions plus généreuses. De plus, ce sont les employés à plein temps du Ministère qui ont effectué les travaux prévus au contrat, de sorte qu’il n’a pas été nécessaire d’embaucher du personnel supplémentaire.

Le Ministère n’a pas non plus procédé à une réorganisation importante pour être en mesure de s’acquitter de ses responsabilités contractuelles. Aucune nouvelle entité n’a été créée pour offrir les services auxquels s’était engagé le Ministère; la preuve suggère plutôt que le contrat a simplement été considéré comme une activité supplémentaire s’ajoutant au mandat du Ministère. Aucun élément de preuve n’indique que le Ministère a préparé un plan d’entreprise permettant de faire des projections sur les profits que le contrat permettrait de réaliser. Il n’y a pas eu de modification du mandat du Ministère par l’adoption d’une loi, d’un règlement ou de toute autre mesure. Le ministre ou le Cabinet a simplement donné l’autorisation d’exécuter le contrat.

Indépendamment de la perception que l’on puisse en avoir, la totalité du contrat a été financée par des fonds publics qui ont été transférés d’un palier de gouvernement à un autre. Manifestement, le contexte fiscal très serré, au niveau fédéral comme au niveau provincial, a obligé les gouvernements à chercher de nouvelles sources de revenu. De même, M. Andrew avait l’obligation de vérifier ses coûts afin de minimiser le fardeau financier du programme sur le trésor public et de rendre compte de son utilisation des fonds publics. Toutefois, cela ne suffit pas pour que l’on puisse affirmer que le souci de rentabilité était prépondérant dans les circonstances. Bien que la réalisation d’un bénéfice, comme filet de sécurité, fût l’un des motifs poursuivis, ce n’était certainement pas l’objet prédominant à l’origine de la conclusion du contrat. À mon avis, même si des profits ont été réalisés, ceux-ci étaient simplement accessoires à d’autres objets beaucoup plus importants.

Expectative raisonnable de profit

Le demandeur fait valoir, subsidiairement, que son employeur exploitait une entreprise ayant une expectative raisonnable de profit. Comme il a été indiqué précédemment, le critère de l’expectative raisonnable de profit comporte des éléments subjectifs et objectifs. Selon M. Andrew, le contrat en question pouvait générer des bénéfices parce qu’il couvrait pratiquement tous les coûts du Ministère, et prévoyait également des honoraires annuels de 25 000 $ de même qu’une majoration de 25 % sur les salaires réels des employés. Les honoraires annuels devaient servir à payer les services d’un coordonnateur de programme au Canada et du personnel nécessaire pour superviser et administrer le programme. De l’avis de M. Andrew, les coûts additionnels et les frais généraux administratifs devaient être minimes. Aucun nouvel employé n’a été embauché pour le programme du Malawi; au contraire, les activités supplémentaires ont simplement été ajoutées aux fonctions des employés déjà en place, tels que M. Andrew, M. Lister et Mme Johnson. M. Lister confirme que le programme n’a pas nécessité l’embauchage de nouveaux employés ni la location de bureaux supplémentaires.

Mme Valerie Johnson de la direction des services administratifs du Ministère était responsable du paiement des factures et du rapprochement des comptes, notamment des frais de déplacement et des salaires liés à l’exécution du contrat. Elle s’est acquittée de ces tâches financières en sus de ses autres fonctions. Bien qu’elle ait indiqué dans sa déposition que ces tâches ne comportaient rien de compliqué, le surcroît de travail était quand même substantiel dans l’ensemble.

Mme Brito a indiqué dans sa déposition que le contrat ne poursuivait pas des fins lucratives, et a été décrit comme une entente administrative. Comme il a été indiqué précédemment, elle a déclaré que la majoration des frais généraux et la marge bénéficiaire auraient pu être plus élevées si le contrat avait été conclu avec le secteur privé. C’est le Conseil du Trésor qui détermine la marge bénéficiaire applicable à des contrats conclus par le gouvernement fédéral.

Le demandeur a cité un témoin-expert, M. John Gorill, comptable agréé. Celui-ci a été prié de déterminer le bénéfice net et de fournir une opinion sur l’expectative de profit qu’entretenait le Ministère au moment de la signature du contrat. La défenderesse s’est opposée à la déposition de M. Gorill. J’ai autorisé M. Gorill à déposer au motif qu’il pourrait aider considérablement la Cour à en venir à une conclusion de droit, en se fondant sur les faits de l’espèce. Bien entendu, il arrive souvent que la Cour soit en mesure de déterminer l’utilité de certaines dépositions uniquement après le contre-interrogatoire.

Il va de soi qu’aucun témoin ne peut fournir de preuve concluante sur une question de droit. La déposition de tout expert repose invariablement sur l’importance qui peut lui être accordée, et la Cour n’est pas liée par ce genre de témoignage. L’expectative raisonnable de profit devrait être analysée en se fondant sur des principes comptables solides. Bien entendu, cela ne signifie pas que la preuve de l’expert en comptabilité est toujours nécessaire; elle est plutôt utile dans la mesure où elle révèle de quelle manière les comptables traitent dans la pratique d’un sujet particulier. Néanmoins, c’est à la Cour qu’il incombe de décider si cette méthode est valable.

M. Gorill n’est pas spécialisé dans la comptabilité du prix de revient ou dans la répartition des coûts, notamment des frais généraux; toutefois, il a déclaré qu’il avait acquis une certaine expérience de la répartition des coûts dans l’entreprise où il travaille. Il a également déclaré que c’est la première fois qu’il examine des chiffres tirés des comptes publics. M. Gorill s’est appuyé sur la déclaration d’un témoin et un avis écrit d’autres témoins du demandeur, que je n’ai pas acceptés. Après avoir entendu la déposition de ces autres témoins, M. Gorill a déclaré qu’il ne modifierait pas l’avis qu’il avait donné au sujet des frais généraux.

M. Gorill a décrit le contrat en question comme un marché à prix coûtant majoré présentant un risque minime. Il a déclaré qu’une prévision d’environ 15 % pour les frais généraux était une estimation prudente. En outre, il a admis qu’il y aurait une perte réelle, et non pas un bénéfice net, sur la durée de dix ans du contrat, si les frais généraux s’élevaient à 20 % et non à 15 %. Selon M. Gorill, si les comptes publics, de même que les documents financiers préparés par Mme Johnson, sont exacts, son opinion concernant les frais généraux est dans une fourchette raisonnable. Bien qu’il admette que la majeure partie des activités du gouvernement ne sont pas entreprises dans le but de faire des bénéfices, M. Gorill estime que ses observations concernant les coûts prévus au contrat ont été raisonnablement présentées.

M. Wilson, comptable agréé travaillant pour le gouvernement provincial et ayant de l’expérience au Malawi, a déclaré, au nom du demandeur, que les comptes publics ne montrent pas la répartition des coûts entre les ministères. Plus précisément, M. Wilson a indiqué que certains coûts n’ont pas été affectés au Ministère et qu’ils ne sont pas non plus reflétés dans les comptes publics. Par exemple, il existe une série de coûts fixes accessoires au contrat qui ne figurent pas dans les comptes publics. Par conséquent, M. Wilson a déclaré que les comptes publics donnaient une idée des coûts directs découlant du contrat, mais manifestement pas des coûts indirects. Néanmoins, M. Gorill a estimé que son calcul des frais généraux était raisonnable, et que sa méthode de répartition des coûts indirects était valable. Il a décrit la méthode qu’utilise généralement le siège social de son entreprise comptable pour répartir les frais généraux dans les régions; toutefois, il n’a pas jugé utile de recourir à cette méthode en l’espèce parce que la plupart des employés travaillant à l’exécution du contrat se trouvaient au Malawi.

La défenderesse n’a pas cité de témoin-expert et, en fait, elle n’a présenté aucun argument détaillé sur la question de l’expectative raisonnable de profit. Elle a préféré s’appuyer sur le critère de l’objet prépondérant. Néanmoins, je crois qu’il est utile d’examiner la question de l’expectative raisonnable de profit. Les opérations des ministères sont, pour la plupart, axées sur la prestation de biens et services au public, plutôt que sur la réalisation de bénéfices. Normalement, comme en convient M. Gorill, les services gouvernementaux sont financés à même les recettes fiscales générales. Essentiellement, donc, il n’existe pas de mécanisme du marché pour évaluer la demande à l’égard des services gouvernementaux.

Bien entendu, il faut se demander si les principes et méthodes de la comptabilité commerciale peuvent s’appliquer intégralement à la comptabilité publique. Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question en l’espèce. Toutefois, il faut souligner que la caractéristique unique des services gouvernementaux peut ne pas être entièrement révélée par une analyse de l’expectative raisonnable de profit, ou par un état des bénéfices nets, particulièrement selon la présentation utilisée en l’espèce. Autrement dit, les principes de la comptabilité commerciale ne permettent peut-être pas de faire ressortir toute la différence qui existe entre les secteurs public et privé. En l’espèce, M. Gorill a déterminé les bénéfices au regard de ce qui semble être des principes ordinaires. Je ne dis pas que la plupart des principes généralement acceptés de la comptabilité du prix de revient en matière commerciale ne s’appliquent pas. Toutefois, la détermination du coût de base et les méthodes de répartition des coûts posent plus de problèmes à l’intérieur du gouvernement, à cause de l’infrastructure gouvernementale, qui est souvent interreliée et qui, par conséquent, manque de précision du point de vue de l’établissement des coûts.

Selon le juge Dickson, dans l’arrêt Moldowan, précité, à la page 486, la question de savoir si le contribuable a une expectative raisonnable de profit est une décision objective qui doit s’étayer sur tous les faits. Dans la décision Lorentz (V) c MRN, [1985] 1 CTC 2144 (C.C.I.), à la page 2145, le juge en chef adjoint Christie résume le fardeau de la preuve qui incombe au contribuable de la manière suivante :

[Le contribuable] doit, toutefois, présenter [sic] une preuve qui permettra à la Cour de conclure en toute objectivité que sa conduite a été celle que l’on pourrait normalement attendre d’une personne raisonnablement prudente qui s’engage dans une entreprise commerciale destinée à réaliser des profits …

À cet égard, le juge Dickson, dans l’arrêt Moldowan, a dressé une liste de critères à appliquer; toutefois, il indique que cette liste n’est pas exhaustive et que les facteurs sont différents selon la nature et l’importance de l’entreprise.

M. Gorill a déclaré qu’un faible bénéfice net de 136 289 $ a été réalisé sur la durée de dix ans du contrat. Le montant des bénéfices ne m’intéresse nullement, et je ne me prononcerai pas non plus sur la viabilité commerciale du programme. Si le programme avait été un échec, l’État aurait vraisemblablement ouvert ses coffres pour absorber la perte. Comme je l’ai indiqué précédemment, je suis conscient que les fonds publics provenant des recettes fiscales générales ont été transférés du gouvernement fédéral au gouvernement provincial, en l’espèce, afin d’offrir une aide au développement au Malawi. Toutefois, les bénéfices ont été évalués par le demandeur en fonction des principes ordinaires de la comptabilité commerciale. La preuve comptable produite par M. Gorill est utile, étant donné que tous les gouvernements au Canada doivent rendre compte des fonds publics qu’ils dépensent. Néanmoins, il y a des aspects de la répartition des coûts qui ne me satisfont pas. Il est nécessaire de déterminer la totalité des coûts des services, ce qui inclut les coûts directs et indirects. M. Gorill a essayé de le faire. Je suis toutefois incapable de déterminer les coûts des produits et des services qui peuvent avoir été engagés par d’autres ministères. Par exemple, je pense aux ministères des services centraux, notamment le Conseil de gestion, Approvisionnements et Services et le Bureau du contrôleur. Le demandeur fait également valoir qu’il n’était pas nécessaire de prévoir une déduction pour amortissement étant donné que le programme n’exigeait pas un investissement important de capitaux. À moins qu’ils ne figurent ailleurs, toutefois, ces coûts, s’il sont importants, devraient être pris en compte et répartis en conséquence.

Il ne fait aucun doute que le Ministère a recouvré une bonne part des coûts des services qu’il a offerts dans le cadre du contrat. Toutefois, je ne suis pas convaincu, d’après la preuve dont je suis saisi, que le Ministère avait objectivement une expectative raisonnable de profit.

En conclusion, que l’on se fonde sur un critère ou sur l’autre, le Ministère n’exploitait pas une entreprise en vertu d’un contrat pendant les années d’imposition en question, comme l’exigeaient les paragraphes 8(10) et 122.3(1) de la Loi. Par conséquent, le demandeur ne peut réclamer, au titre d’un emploi à l’étranger, ni les déductions fiscales pour les années d’imposition 1982 et 1983, ni le crédit d’impôt pour 1984.

L’appel doit donc être rejeté. Il n’y a pas adjudication des dépens.

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