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[1996] 2 C.F. 624

T-1494-93

Claude Robinson (demandeur)

c.

Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, Jack Linklater, Wendell Headrick, Jim Hayman, Serge Paquette et M. Untel un et M. Untel deux (défendeurs)

Répertorié : Robinson c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, protonotaire Hargrave —Edmonton, 21 février; Vancouver, 1er avril 1996.

Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Requête en radiation de la déclaration pour absence de compétence à l’égard des défendeurs particuliers Détenu mis à l’écart de la population carcérale générale et placé dans une unité d’isolement  Le détenu en question poursuit les défendeurs en dommages-intérêts pour les actes illicites qu’ils auraient commis Les défendeurs contestent la compétence de la Cour en vertu du critère posé dans l’arrêt ITO Examen de la jurisprudence L’attribution de compétence découle de l’art. 17(5)b) de la Loi sur la Cour fédérale Les causes d’action sont surtout fondées sur la responsabilité délictuelle, et non sur des règles de droit fédérales ou des lois du Canada  La Charte des droits et le Règlement sur les pénitenciers ne sont pas des règles de droit fédérales qui constituent le fondement d’une attribution de compétence Il n’y a pas de cadre législatif qui satisfasse au critère, étant donné que le lien qui existe avec des règles de droit fédérales est trop ténu.

Pénitenciers Détenu placé en isolement en attendant son transfert dans une unité à sécurité maximale parce que l’on croyait à tort qu’il planifiait une évasion Le détenu a réintégré la population carcérale générale  Il réclame des dommages-intérêts généraux et spéciaux ainsi que des dommages-intérêts punitifs pour divers délits Les défendeurs particuliers contestent la compétence de la Cour fédérale en vertu de la Règle 401 Le Règlement sur les pénitenciers n’est pas une règle de droit fédérale qui constitue le fondement de la compétence de la Cour Les art. 13, 14 et 40 du Règlement constituent des directives générales destinées au personnel carcéral Il n’existe pas de cadre législatif détaillé qui confère des droits aux détenus.

Il s’agit d’une requête visant à obtenir l’autorisation de produire un acte de comparution conditionnelle en vertu de la Règle 401 et à faire radier la déclaration en vertu de l’alinéa 419(1)a) des Règles au motif que la Cour n’a pas compétence à l’égard des défendeurs particuliers. Dans sa déclaration, le demandeur, qui faisait partie de la population carcérale générale de l’établissement d’Edmonton, allègue qu’il a été placé à tort à l’écart dans une unité d’isolement en attendant son transfert dans un secteur à sécurité maximale au pénitencier de la Saskatchewan. Le transfert n’a jamais eu lieu et le demandeur a réintégré la population carcérale générale de l’établissement d’Edmonton. Le détenu demande à la Cour de déclarer que ses droits ont été violés et de lui accorder des dommages-intérêts généraux et punitifs ainsi que des dommages-intérêts spéciaux. Les défendeurs particuliers contestent la compétence de la Cour en invoquant le critère à trois volets de l’arrêt ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre. La question en litige était celle de savoir si l’on a satisfait à ce critère de manière à permettre à la Cour de connaître de l’action du demandeur.

Jugement : la requête doit être accueillie.

Le critère à trois volets qui fonde la compétence de la Cour fédérale exige d’abord une attribution de compétence, en deuxième lieu, un ensemble de règles de droit fédérales constituant le fondement de l’attribution et, en troisième lieu, une loi du Canada sur laquelle repose l’affaire. Le premier volet du critère est respecté, étant donné que les défendeurs particuliers sont visés par l’alinéa 17(5)b) de la Loi sur la Cour fédérale, en tant que préposés ou fonctionnaires de Sa Majesté, c’est-à-dire en tant qu’employés du Service correctionnel. Toutefois, l’action intentée contre ces personnes doit être fondée sur des règles de droit fédérales applicables. En l’espèce, les causes d’action invoquées sont fondées pour la plupart non pas sur le droit fédéral ou sur des lois du Canada, mais plutôt sur les règles de responsabilité délictuelle qu’appliqueraient les tribunaux provinciaux. Ces causes d’action reconnues en common law ne respectent pas le critère à trois volets auquel il faut satisfaire pour que le demandeur relève de la compétence de la Cour fédérale. Une instance ne peut être fondée sur la Charte seulement; la compétence doit provenir d’une autre source. Le demandeur ne peut obtenir gain de cause contre les défendeurs particuliers, que ce soit en se fondant sur la Charte ou sur les règles de common law concernant la responsabilité délictuelle.

Le simple fait qu’un délit a été commis dans un établissement carcéral ne suffit pas pour le lier aux règles constitutives de l’établissement de façon à trouver dans celles-ci le cadre législatif nécessaire au soutien de l’attribution légale de compétence de la Cour fédérale. Le demandeur, qui jouit d’une liberté résiduelle dans le milieu carcéral, se fonde sur plusieurs dispositions du Règlement sur le service des pénitenciers, plus particulièrement sur les articles 13, 14 et 40. Ces dispositions énoncent les obligations des personnes qui travaillent pour le Service des pénitenciers et portent sur la garde et le traitement des détenus. Le paragraphe 40(1) concerne le maintien de l’ordre et de la discipline dans l’institution; il s’agit d’une obligation envers la société et peut-être envers d’autres détenus qui souhaitent vivre dans un milieu stable. Cependant, ces dispositions ne reconnaissent aucun droit au demandeur ni ne constituent un cadre législatif détaillé qu’il peut invoquer avec succès. Le Règlement invoqué par le demandeur constitue des directives générales qui sont destinées au personnel carcéral et qui ne visent pas à conférer des droits au demandeur. La jurisprudence ne prévoit aucune souplesse quant au degré de précision nécessaire pour conclure à l’existence d’un cadre législatif détaillé, qui doit comprendre un droit ou une obligation et certaines dispositions précises permettant d’étoffer ce droit ou cette obligation. Ces dispositions précises n’existent pas en l’espèce. Le demandeur n’est pas en mesure de se fonder sur le cadre législatif nécessaire pour pouvoir invoquer la jurisprudence, parce que le lien existant en l’espèce avec les règles de droit fédérales est trop ténu. La Cour ne peut accueillir son action parce qu’elle n’a pas compétence à l’égard de celle-ci.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 24.

Loi sur l’aéronautique, S.R.C. 1970, ch. A-3.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 17(5)b) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3).

Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, ch. P-2, art. 10(1), 12, 15(1) (mod. par S.C. 1976-77, ch. 53, art. 28), (2).

Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14.

Loi sur les pénitenciers, L.R.C (1985), ch. P-5.

Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, ch. P-6, art. 24(1) (mod. par S.C. 1976-77, ch. 53, art. 41).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

Règlement de l’Air, DORS/61-10.

Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., ch. 1251, art. 2 « chef d’institution », « membre », 3, 5(1), 13, 14, 16, 40(1),(2).

Règlement sur l’immatriculation et les permis de pêche dans l’Atlantique, C.R.C., ch. 808.Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 401, 419(1)a).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Pacific Western Airlines Ltd. c. R., [1979] 2 C.F. 476 (1979), 105 D.L.R. (3d) 44; 13 C.P.C. 299 (1re inst.); conf. par [1980] 1 C.F. 86 (1979), 105 D.L.R. (3d) 60; 14 C.P.C. 165 (C.A.); Kigowa c. Canada, [1990] 1 C.F. 804 (1990), 67 D.L.R. (4th) 305; 10 Imm. L.R. (2d) 161; 105 N.R. 278 (C.A.); Oag c. La Reine, [1986] 1 C.F. 472 (1985), 23 C.C.C. (3d) 20; 22 C.R.R. 171 (1re inst.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Oag c. Canada, [1987] 2 C.F. 511 (1987), 33 C.C.C. (3d) 430; 73 N.R. 149 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Cairns c. Société du crédit agricole, [1992] 2 C.F. 115 (1991), 7 Admin. L.R. (2d) 203; 49 F.T.R. 308 (1re inst.); Banerd c. Canada et al. (1994), 88 F.T.R. 14 (C.F. 1re inst.); Francoeur et al. et R. et al. (1987), 15 C.E.R. 349; 18 F.T.R. 47 (C.F. 1re inst.); Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Holt c. Canada, [1989] 1 C.F. 522 (1988), 23 F.T.R. 109 (1re inst.); Hendricks c. Fairweather et Canada (1991), 45 F.T.R. 171 (C.F. 1re inst); Nichols c. R., [1980] 1 C.F. 646 (1979), 106 D.L.R. (3d) 189 (1re inst.); Varnam c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1988] 2 C.F. 454 (1988), 50 D.L.R. (4th) 44; 17 F.T.R. 240; 84 N.R. 163 (C.A.); Maguire c. Canada, [1990] 1 C.F. 742 (1989), 66 D.L.R. (4th) 121; 31 F.T.R. 115 (1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Nabisco Brands Ltd.-Nabisco Brands Ltée c. Procter & Gamble Co. et al. (1985), 5 C.P.R. (3d) 417; 62 N.R. 364 (C.A.F.); Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054; (1976), 9 N.R. 471; McNamara Construction (Western) Ltée. et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; (1977), 75 D.L.R. (3d) 273; 13 N.R. 181; Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863; (1986), 29 D.L.R. (4th) 161; 26 C.C.C. (3d) 481; 52 C.R. (3d) 1; 21 C.R.R. 76; 67 N.R. 241; 16 O.A.C. 81; R. c. Moore; Oag c. La Reine et autres, [1983] 1 R.C.S. 658; (1983), 52 A.R. 347; 41 O.R. (2d) 271; 147 D.L.R. (3d) 528; [1984] 1 W.W.R. 191; 29 Alta. L.R. (2d) 1; 33 C.R. (3d) 97; 52 N.R. 258; La Reine c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613; (1985), 52 O.R. (2d) 585; 24 D.L.R. (4th) 9; 16 Admin. L.R. 184; 23 C.C.C. (3d) 97; 49 C.R. (3d) 1; 63 N.R. 321; 14 O.A.C. 33; Truscott v. Director of Mountain Institution et al. (1983), 147 D.L.R. (3d) 741; 4 C.C.C. (3d) 199; 33 C.R. (3d) 121 (C.A.C.-B.).

DOCTRINE

Strayer, B. L. The Canadian Constitution and the Courts : The Function and Scope of Judicial Review, 3rd ed. Toronto : Butterworths, 1988.

REQUÊTE présentée pour le compte des défendeurs particuliers en vue d’obtenir l’autorisation de produire un acte de comparution conditionnelle et la radiation de la déclaration au motif que la Cour n’a pas compétence à leur égard. Requête accueillie.

AVOCATS :

Charles B. Davison pour le demandeur.

Kirk Lambrecht pour les défendeurs.

PROCUREURS :

Charles B. Davison, Edmonton, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le protonotaire Hargrave : Les présents motifs découlent d’une requête par laquelle les défendeurs particuliers demandent à la Cour de les autoriser à produire un acte de comparution conditionnelle et de radier la déclaration, au motif qu’elle n’a pas compétence à leur égard.

CONTEXTE

Dans la déclaration déposée le 18 juin 1993, il est allégué que, le 21 juin 1991, les défendeurs ont transféré à tort le demandeur, qui faisait partie de la population carcérale générale de l’établissement d’Edmonton, dans une unité d’isolement, croyant erronément qu’il planifiait une évasion. Le demandeur prie à la Cour de déclarer que ses droits ont été violés et de lui accorder des dommages-intérêts généraux et punitifs ainsi que des dommages-intérêts spéciaux.

En guise de réponse, les défendeurs conviennent que le demandeur a été placé à l’écart dans une unité d’isolement pour des motifs raisonnables jusqu’à ce qu’il soit transféré dans une section à sécurité maximale au pénitencier de la Saskatchewan. Le transfert au pénitencier de la Saskatchewan n’a pas eu lieu et, lors de la révision le 15 juillet 1991, il n’a pas été approuvé par l’administration pénitentiaire. Le demandeur a été retourné à la population carcérale générale de l’établissement d’Edmonton le 17 juillet 1991.

Dans la présente requête, les défendeurs ont invoqué la Règle 401 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663], qui prévoit la possibilité de déposer un acte de comparution conditionnelle afin, notamment, de contester la compétence et ils ont soutenu qu’aux termes de l’alinéa 419(1)a) des Règles, la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable en l’espèce, en raison de l’absence de compétence de la Cour à l’endroit des individus désignés.

L’avocat des défendeurs fait valoir que la question sous-jacente au différend qui oppose les parties quant à la présence ou à l’absence des défendeurs particuliers est de savoir s’il y aura plusieurs interrogatoires préalables, ou seulement l’interrogatoire préalable de Sa Majesté. Selon l’avocat, il y aurait lieu d’éviter des interrogatoires préalables superflus dans la présente action et même dans d’autres actions qui donnent lieu à une avalanche d’interrogatoires préalables à l’encontre d’individus. Si louable que soit cet objectif, il ne constitue pas un motif suffisant en soi pour empêcher un demandeur de poursuivre en justice des défendeurs qui sont visés par la compétence de la Cour.

La compétence de la Cour fédérale dans la présente affaire est délimitée par le critère à trois volets établi dans l’arrêt ITOInternational Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752. J’énoncerai le critère de façon détaillée en temps voulu. Pour l’instant, il suffit de dire qu’il exige d’abord une attribution de compétence, en deuxième lieu, un ensemble de règles de droit fédérales constituant le fondement de l’attribution et, en troisième lieu, une loi du Canada sur laquelle repose l’affaire.

Il est indéniable que les défendeurs particuliers sont visés par l’alinéa 17(5)b) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3)], de sorte que le premier volet du critère est respecté. Cependant, le demandeur n’a pas prouvé l’existence d’un ensemble de règles de droit fédérales constituant le fondement de l’attribution légale de compétence, le deuxième volet, dont je reparlerai. Par conséquent, je n’ai pas examiné le troisième volet du critère.

EXAMEN

Procédure

Étant donné que le sous-procureur général du Canada a déposé une défense au nom de tous les défendeurs, la requête visant à obtenir l’autorisation de déposer un acte de comparution conditionnelle en vertu de la Règle 401 est théorique. Cependant, comme la requête en radiation est fondée sur le motif énoncé à l’alinéa 419(1)a) des Règles, c’est-à-dire le fait que la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable, les défendeurs particuliers peuvent présenter une requête en radiation en tout temps pendant les procédures : voir, par exemple, l’arrêt Nabisco Brands Ltd.-Nabisco Brands Ltée c. Procter & Gamble Co. et al. (1985), 5 C.P.R. (3d) 417 (C.A.F.), à la page 418.

Dans l’arrêt Cairns c. Société du crédit agricole, [1992] 2 C.F. 115(1re inst.), le juge Denault a souligné que, bien que la Règle 401 vise à traiter des questions qui mettent en cause la compétence de la Cour et que l’alinéa 419(1)a) des Règles soit destinée à traiter de la question de savoir s’il existe une cause raisonnable d’action, l’omission d’indiquer la Règle exacte ne fait pas échouer le fond de la requête (aux pages 128 et 129).

Dans l’arrêt Banerd c. Canada et al. (1994), 88 F.T.R. 14 (C.F. 1re inst.), le juge Richard a souligné qu’en pratique, lorsqu’une partie conteste la compétence dans le but de faire radier un acte de procédure, il est préférable de procéder en application de la Règle 401 plutôt que de l’alinéa 419(1)a) des Règles, mais il a fait l’analyse exigée par cette dernière Règle, c’est-à-dire qu’il a présumé que les faits allégués dans la déclaration étaient exacts et répété que, pour radier un acte de procédure, il doit être évident que l’action ne peut réussir. Ce raisonnement est semblable à celui que le juge Collier a suivi dans l’arrêt Francoeur et al. et R. et al. (1987), 15 C.E.R. 349 (C.F. 1re inst.), où il a examiné, dans le contexte de l’alinéa 419(1)a) des Règles, une action intentée par un particulier et deux sociétés contre Sa Majesté. Le juge Collier a conclu que les demandes d’indemnité n’étaient pas fondées sur des règles de droit fédérales, mais plutôt sur les règles concernant la responsabilité délictuelle et contractuelle, allant ainsi à l’encontre des arrêts Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054; McNamara Construction (Western) Ltée et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654 et Pacific Western Airlines Ltd. c. R., [1979] 2 C.F. 476(1re inst.). Aux fins de la requête, il a présumé que les faits allégués dans les actes de procédure étaient exacts et s’est demandé s’il était évident que l’action ne pouvait réussir.

Origine de la compétence

Dans la présente affaire, s’il y a compétence, elle doit être fondée d’abord et avant tout sur l’alinéa 17(5)b) de la Loi sur la Cour fédérale :

17.

(5) La Section de première instance a compétence concurrente …

b) contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de la Couronne pour des faits—actes ou omissions—survenus dans le cadre de ses fonctions.

Même si les défendeurs particuliers sont visés par cette disposition comme préposés ou fonctionnaires de Sa Majesté et admettent qu’ils sont des employés du Service correctionnel, ce fait à lui seul ne suffit pas, car l’action intentée contre ces personnes doit être fondée sur des règles de droit fédérales applicables : voir, par exemple, l’arrêt Pacific Western Air-lines Ltd. c. R., [1979] 2 C.F. 476(1re inst.), confirmé par [1980] 1 C.F. 86(C.A.).

Dans ce dernier arrêt, la principale demande d’indemnité était fondée sur la responsabilité délictuelle découlant de la négligence et de l’inexécution d’obligations d’origine législative. La rupture de contrat était également alléguée comme argument subsidiaire. Le juge Collier n’a pas eu beaucoup de mal à rejeter les actions au motif qu’elles étaient fondées sur les règles générales de la négligence et de la rupture de contrat et non sur une règle de droit fédérale ou sur une loi du Canada existante.

Comme le juge Collier l’a souligné dans l’arrêt Pacific Western Airlines à la page 484, la disposition qui équivalait alors à l’alinéa 17(5)b) des Règles « se borne à autoriser à ester contre un fonctionnaire de la Couronne. Pour ce qui est de la compétence, il faut chercher ailleurs le droit fédéral applicable ». Confirmant la décision du juge Collier, la Cour d’appel a commenté en ces termes les efforts déployés par les demandeurs pour fonder leur action sur certaines dispositions de la Loi sur l’aéronautique [S.R.C. 1970, ch. A-3] et du Règlement de l’Air [DORS/61-10], aux pages 88 et 89 :

Ces dispositions font, de toute évidence, partie de la législation fédérale applicable, mais elles ne sont d’aucun secours pour les appelantes car les causes d’action que révèle la déclaration, dans la mesure où elles se fondent sur ces dispositions, ne constituent pas des causes raisonnables d’action. À mon avis, la Division de première instance a conclu à bon droit que dans la mesure où ces textes créent des obligations, la Loi sur l’aéronautique et le Règlement de l’Air, invoqués par les appelantes ne créent que des obligations publiques dont la violation n’ouvre aucune voie de recours directe aux particuliers qui pourraient en souffrir.

La Cour d’appel a souligné que les causes d’action des appelantes ne pouvaient être fondées ni sur l’inexécution d’une obligation d’origine législative ni sur les règles relatives à la faute et aux obligations contractuelles, car celles-ci relèvent indéniablement du droit provincial ([1980] 1 C.F. 86 aux pages 88 et 89).

Dans la déclaration déposée en l’espèce, les causes d’action invoquées sont fondées, pour la plupart, non pas sur le droit fédéral ou sur les lois du Canada, mais plutôt sur les règles de la responsabilité délictuelle qu’appliqueraient les tribunaux provinciaux. Au paragraphe 4, le demandeur soutient que son transfert de la population générale de l’établissement d’Edmonton dans une unité d’isolement découle d’une coalition ou d’une collusion; au paragraphe 5, le demandeur reproche aux défendeurs leur conduite malveillante et fautive fondée sur un abus de pouvoir, laquelle allégation est semblable à celle de l’abus de procédure; au paragraphe 6, le délit invoqué est celui de la diffamation; au paragraphe 7, le demandeur soutient que les défendeurs ont fait preuve de négligence dans l’exécution de leurs fonctions; selon le paragraphe 9, la faute commise serait celle de la détention arbitraire et, au paragraphe 14, le demandeur allègue que ses droits et libertés reconnus par la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] ont été violés.

À l’exception du dernier, tous ces motifs renvoient à des causes d’action reconnues en common law, mais non fondées sur une règle de droit fédérale ou une loi du Canada, au sens où l’entend la Cour suprême du Canada dans l’arrêt ITOInternational Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre (supra), et ne peuvent donc être invoqués contre les défendeurs particuliers en l’espèce. Ces causes d’action reconnues en common law ne respectent pas le critère à trois volets qui doit être établi pour que le demandeur soit visé par la compétence de la Cour fédérale et que la Cour suprême a énoncé comme suit dans l’arrêt ITOInternational Terminal Operators Ltd. (précité), à la page 766 :

1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence.

3. La loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

La Charte des droits comme ensemble de règles de droit fédérales constituant le fondement de l’attribution de compétence

Le renvoi, au paragraphe 14 de la déclaration, à la Charte canadienne des droits et libertés et la question de savoir si la Charte, notamment l’article 24, autorise la Cour fédérale à accorder une réparation fondée sur la Constitution ou si la Cour doit pouvoir invoquer une source de compétence externe méritent davantage d’être étudiés.

Dans son ouvrage intitulé The Canadian Constitution and the Courts : The Function and Scope of Judicial Review, 3e éd. Butterworths, 1988, le juge Strayer (tel était alors son titre) a examiné cette question à la page 70 et suivantes dans le contexte du paragraphe 24(1) :

[traduction]

24.(1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente Charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

Le juge Strayer s’est ensuite demandé si les mots « tribunal compétent » de cette disposition autorisent implicitement un tribunal à accorder une réparation d’origine constitutionnelle qui ne relèverait habituellement pas de ses pouvoirs. Il répond à cette question en soulignant que, dans l’arrêt Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, à la page 222, Mme le juge Wilson, dans des motifs auxquels ont souscrit le juge en chef Dickson et le juge Lamer (alors juge puîné), a mentionné que les mots « tribunal compétent » du paragraphe 24(1) de la Charte « présuppose[nt] … l’existence d’une compétence indépendante de la Charte elle-même ».

Le juge Strayer a ajouté que, dans l’arrêt Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, la Cour suprême [traduction] « semble avoir adopté le critère habituel à l’égard de la compétence. Pour être compétent, un tribunal doit être investi par ses règles habilitantes (habituellement une loi) du pouvoir de se prononcer en ce qui a trait à la personne poursuivie devant lui, à l’objet du litige et à la réparation demandée » et a conclu que [traduction] « Si la Charte avait eu pour objet de conférer à tous les tribunaux le pouvoir général de se prononcer sur toute question la concernant, elle aurait certainement été formulée autrement » (à la page 71).

L’avocat des défendeurs a soutenu que l’arrêt Holt c. Canada, [1989] 1 C.F. 522(1re inst.), permet de déduire que la Charte ne peut constituer le fondement de la compétence de la Cour fédérale à l’endroit de particuliers. Dans cet arrêt, le juge McNair a soulevé la question en ces termes à la page 528 :

Le troisième critère de l’arrêt ITO exige que la loi invoquée dans l’affaire doive être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867

En l’espèce, on insiste sur le fait que la Charte est bien une loi fédérale, relevant de la compétence législative fédérale en vertu de l’article 91 de la Loi qui confère le pouvoir d’assurer la paix, l’ordre et le bon gouvernement, et en vertu des paragraphes 91(27) et 91(28) relativement au droit criminel et à l’établissement, au maintien et à l’administration des pénitenciers.

L’avocat souligne avec raison qu’en rejetant la requête cherchant à faire constituer certaines personnes parties défenderesses, le juge McNair n’est pas revenu sur cette question, mais a conclu comme suit, aux pages 531 et 532 :

Dans les circonstances, j’estime que les causes d’action alléguées contre les défendeurs particuliers ne sont pas attribuables à une source de droit fédéral mais proviennent plutôt, s’il en est, du droit provincial en matière de responsabilité délictuelle.

Par ailleurs, dans l’arrêt Kigowa c. Canada, [1990] 1 C.F. 804(C.A.), aux pages 810 et 811, le juge Mahoney, qui a rédigé les principaux motifs pour la Cour d’appel fédérale, a reconnu qu’une procédure ne peut être fondée sur la Charte seulement et que la compétence doit provenir d’une autre source.

À mon avis, il est indéniable que le demandeur ne peut réussir contre les défendeurs particuliers, que ce soit en se fondant sur la Charte ou sur les règles de la common law concernant la responsabilité délictuelle. Le demandeur doit trouver ailleurs le fondement de la compétence qu’il invoque.

Le Règlement sur le service des pénitenciers comme ensemble de règles de droit fédérales constituant le fondement de l’attribution de compétence

Le simple fait qu’un délit a été commis dans un pénitencier ne suffit pas pour le lier aux règles constitutives de l’établissement de façon à trouver dans celles-ci le cadre législatif nécessaire au soutien de l’attribution légale de compétence de la Cour fédérale.

L’avocat du demandeur a invoqué, comme fondement de la compétence, le Règlement sur le service des pénitenciers [C.R.C., ch. 1251] pris en application de la Loi sur les pénitenciers, L.R.C. (1985), ch. P-5, et plusieurs décisions, notamment l’arrêt Oag c. Canada, [1987] 2 C.F. 511(C.A.). L’avocat des défendeurs admet effectivement que l’arrêt Oag est la décision qu’il doit réussir à écarter pour avoir gain de cause sur cet aspect de sa requête.

Le demandeur, M. Oag, était devenu admissible à obtenir une libération sous surveillance obligatoire conformément à une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles. La Commission a suspendu la libération sous surveillance obligatoire du demandeur à deux reprises, le demandeur ayant été arrêté, détenu et libéré à ces deux occasions. Dans l’arrêt R. c. Moore; Oag c. La Reine et autres, [1983] 1 R.C.S. 658, la Cour suprême du Canada avait jugé illégale cette pratique appelée « blocage ». Le juge de première instance [[1986] 1 C.F. 472 avait radié la déclaration de M. Oag au motif que l’action n’était pas fondée sur les règles de droit fédérales et que M. Oag ne pouvait donc poursuivre des particuliers membres de la Commission des libérations conditionnelles.

Dans l’arrêt Oag, la Cour d’appel a appliqué le critère à trois volets énoncé dans l’arrêt ITOInternational Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre (précité) et fait mention du cadre législatif détaillé, qui comprenait des dispositions impératives donnant à M. Oag le droit à une liberté partielle qui ne pouvait être entravée, sauf suivant les dispositions législatives. Ce cadre législatif, qui se trouvait dans la Loi sur les pénitenciers [S.R.C. 1970, ch. P-6] et dans la Loi sur la libération conditionnelle de détenus [S.R.C. 1970, ch. P-2], satisfaisait au deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt International Terminal Operators, soit l’existence d’un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence.

Un des problèmes inhérents à l’examen de la compétence fondé sur l’existence d’un cadre législatif comme source de règles de droit fédérales est celui de concilier l’arrêt Oag avec la décision subséquente qui a été rendue dans l’affaire Hendricks c. Fairweather et Canada (1991), 45 F.T.R. 171 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, M. Fairweather, président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, a fait savoir au demandeur, qui était membre de la Commission, qu’il contesterait le renouvellement du mandat de celui-ci. M. Fairweather a alors déposé un acte de comparution conditionnelle comme défendeur et contesté la compétence de la Cour. Le demandeur a soutenu, notamment, que la contestation par M. Fairweather du renouvellement de son mandat avait eu lieu dans le cadre de l’exercice de fonctions en vertu d’une loi fédérale, ce qui constituait le fondement de la compétence de la Cour fédérale. Rejetant cet argument, le juge Denault a adopté, à la page 175 de ses motifs, les commentaires que le juge McNair avait formulés dans l’arrêt Holt (précité) aux pages 531 et 532 :

À mon avis, les actes délictuels reprochés aux défendeurs particuliers ne découlent pas d’un ensemble de règles de droit fédéral applicable actuellement qui constitue un « cadre législatif détaillé » suffisant pour imputer la responsabilité à ces défendeurs. Le fait que le défendeur Outerbridge était le fonctionnaire exécutif en chef de la Commission nationale des libérations conditionnelles qui en surveille le travail est un lien trop fragile pour permettre de conclure à la compétence de la Cour à son égard, en sa qualité individuelle. Dans les circonstances, j’estime que les causes d’action alléguées contre les défendeurs particuliers ne sont pas attribuables à une source de droit fédéral mais proviennent plutôt, s’il en est, du droit provincial en matière de responsabilité délictuelle. [Soulignements ajouté par le juge Denault.]

Dans l’arrêt Hendricks, l’avocat du demandeur avait cité l’arrêt Oag, mais le juge Denault estimait que la loi habilitante de la Commission nationale des libérations conditionnelles constituait un lien trop fragile pour être considéré comme un fondement de la compétence à l’encontre d’un membre de la Commission.

Il convient à ce moment-ci de citer l’arrêt Nichols c. R., [1980] 1 C.F. 646(1re inst.), décision que le juge Mahoney a rendue avant l’arrêt Oag. L’avocat du demandeur allègue que, depuis l’arrêt Nichols, les règles relatives à la faute d’exécution et aux pouvoirs publics ont évolué. Même si cette décision peut être utile au demandeur dans le cadre de poursuites intentées contre Sa Majesté, elle n’a pas pour effet d’élargir la compétence légale dont la Cour fédérale est investie. Dans l’arrêt Nichols, le demandeur a soutenu que des soins dentaires lui ont été fournis avec négligence pendant qu’il était détenu dans un pénitencier fédéral. Alléguant qu’il était visé par la compétence de la Cour, il a invoqué l’existence d’une obligation d’origine législative à son endroit aux termes des deux articles suivants du Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., ch. 1251 :

3. Il incombe à chaque membre de donner effet, au mieux de son habileté, aux lois relatives à l’administration des pénitenciers au Canada et de faire tout en son pouvoir pour réaliser les fins et les objets du Service, savoir la garde, la maîtrise, la formation disciplinaire et la réadaptation des personnes condamnées ou envoyées au pénitencier.

16. Tout détenu doit bénéficier, conformément aux directives, des soins médicaux et dentaires essentiels dont il a besoin.

Le juge Mahoney a souligné que l’obligation prévue à l’article 3 était due entièrement à Sa Majesté et que celle qui découlait de l’article 16 était une obligation que seule Sa Majesté pouvait remplir, de sorte qu’aucune de ces dispositions ne créait en faveur d’un détenu un droit d’action à l’encontre d’un membre du Service des pénitenciers. Il a ajouté que, même s’il reconnaissait que les règles de common law avaient évolué de façon à permettre aux détenus d’intenter des poursuites contre leurs gardiens, cette évolution « n’a pas créé ni élargi une cause d’action, mais qu’elle a plutôt conféré aux prisonniers le statut ou la capacité leur permettant d’intenter une action fondée, du moins c’est le cas en l’espèce, sur une cause d’action qui existait déjà. Or, c’est le délit de négligence qui constitue ici la cause d’action et cela ne relève pas du droit fédéral » (à la page 648).

Pour sa part, le demandeur dans l’arrêt Oag se trouvait dans une situation bien différente. D’abord, il était incontestable que M. Oag, même comme prisonnier, possédait certains droits ou une liberté résiduelle dont il ne pouvait être privé illégalement : voir, par exemple, les arrêts La Reine c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613, à la page 637 et Truscott v. Director of Mountain Institution et al. (1983), 147 D.L.R. (3d) 741 (C.A.C.-B.), aux pages 744 et 745. En outre, M. Oag pouvait invoquer des dispositions législatives très précises, voire impératives, qui lui reconnaissaient des droits, en l’occurrence le paragraphe 24(1) [mod. par S.C. 1976-77, ch. 53, art. 41] de la Loi sur les pénitenciers et plusieurs dispositions de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus [art. 15(1) (mod., idem, art. 28)] :

[Loi sur les pénitenciers]

24. (1) Sous réserve de l’article 24.2, chaque prisonnier bénéficie de quinze jours de réduction de peine pour chaque mois, et d’un nombre de jours calculés au prorata pour chaque partie de mois, passés à s’adonner assidûment, comme le prévoient les règles établies à cet effet par le commissaire, au programme du pénitencier où il est emprisonné.

[Loi sur la libération conditionnelle et détenus]

10. (1) La Commission peut

b) imposer toutes modalités qu’elle juge opportunes concernant un détenu qui est assujetti à une surveillance obligatoire;

12. Lorsque

a) la Commission octroie la libération conditionnelle à un détenu, ou que

b) un détenu est libéré de prison mais demeure assujetti à une surveillance obligatoire,

la Commission doit délivrer un certificat de libération conditionnelle ou un certificat de surveillance obligatoire, sous le sceau de la Commission et dans les formes prescrites par elle, et la Commission doit faire remettre le certificat au détenu et une copie de ce certificat doit être remise le cas échéant, au surveillant de liberté conditionnelle du détenu.

15. (1) Par dérogation à toute autre loi, le détenu remis en liberté avant l’expiration de sa sentence prévue par la loi, uniquement par suite d’une réduction de peine supérieure à soixante jours, y compris une réduction méritée, doit être assujetti à une surveillance obligatoire dès sa mise en liberté, et pendant tout le temps que dure cette réduction.

(2) L’alinéa 10(1)e), l’article 11, l’article 13 et les articles 16 à 21 s’appliquent à un détenu qui est assujetti à la surveillance obligatoire comme s’il était un détenu à liberté conditionnelle en libération conditionnelle et comme si les modalités de sa surveillance obligatoire étaient des modalités de sa libération conditionnelle.

Dans l’arrêt Oag, la Loi sur la libération conditionnelle de détenus accordait au détenu une réduction de peine discrétionnaire lorsqu’il s’était conformé à la lettre aux programmes du pénitencier et prévoyait que, si la Commission des libérations conditionnelles accordait une libération conditionnelle, différentes dispositions impératives s’appliquaient, notamment en ce qui a trait à la surveillance obligatoire, de sorte que « aussi longtemps que l’appelant satisfaisait aux conditions de sa surveillance obligatoire, il avait le droit de jouir d’une certaine liberté » (à la page 520). S’exprimant au nom de la Cour d’appel, le juge Stone a dit que la Loi sur les pénitenciers et la Loi sur la libération conditionnelle de détenus constituaient un cadre législatif détaillé de droit fédéral en vertu duquel M. Oag a acquis non seulement le droit d’être libre, mais également celui de le rester sans entrave. La Cour d’appel a donc conclu que les arguments de M. Oag étaient fondés sur les lois du Canada ou le droit fédéral et satisfaisaient à la deuxième exigence du critère énoncé dans l’arrêt International Terminal Operators.

Dans l’arrêt Varnam c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1988] 2 C.F. 454(C.A.), le juge Hugessen a résumé l’arrêt Oag en ces termes aux pages 458 et 459 :

… Oag soutenait que les fonctionnaires de la Couronne défendeurs avaient agi illégalement et contrairement à une loi fédérale (la Loi sur les libérations conditionnelles de détenus …) de façon à le priver d’une liberté à laquelle il avait droit uniquement par l’application d’une autre loi fédérale (la Loi sur les pénitenciers…). Ainsi, non seulement le préjudice subi par Oag consistait-il uniquement en la privation d’un droit qui trouvait sa seule source dans une loi fédérale, mais cette privation elle-même découlait entièrement de l’abus qu’auraient fait les fonctionnaires fédéraux des pouvoirs que leur conférait une autre loi fédérale.

La décision rendue dans l’affaire Oag reposait principalement sur le fait qu’il avait été privé à tort d’un droit d’origine législative qui lui appartenait.

L’affaire Oag a été commentée dans l’arrêt Maguire c. Canada, [1990] 1 C.F. 742(1re inst.), où un pêcheur a soutenu qu’il avait été privé à tort de son permis de pêche commerciale du saumon par les agissements de deux agents des pêches. Les agents ont contesté la compétence de la Cour à leur endroit par voie d’exception déclinatoire. Le juge McNair a conclu à l’existence, dans la Loi sur les pêches [L.R.C. (1985), ch. F-14], d’un cadre législatif détaillé régissant les conditions d’obtention de permis de pêche commerciale du saumon. À l’époque, sur la côte est, le règlement applicable était le Règlement sur l’immatriculation et les permis pour la pêche dans l’Atlantique, C.R.C., ch. 808. Le régime réglementaire énoncé était détaillé et, de l’avis du juge McNair, « suffit amplement pour établir l’attribution de la compétence par l’alinéa 17(5)b) de la Loi sur la Cour fédérale » (à la page 756).

La dernière décision qu’il convient de citer et dans laquelle l’arrêt Oag a été mentionné est celle de Kigowa c. Canada, précité, qui a été rendue par la Cour d’appel fédérale. Dans cette affaire, le demandeur jouissait d’un droit de rester en liberté au Canada qui était régi par la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2], une « loi du Canada ». Ce droit aurait été enfreint par un agent d’immigration. La Cour d’appel a entendu une requête présentée par l’agent d’immigration, qui avait tenté sans succès en première instance de faire rejeter l’action pour cause d’absence de compétence. Commentant brièvement l’argument lié à la Charte, la Cour d’appel a souligné que la Charte canadienne des droits et libertés ne pouvait être considérée comme une loi du Canada et que la Cour devait se tourner du côté de la Loi sur l’immigration. Le juge Mahoney, à l’avis duquel les autres juges ont souscrit, a souligné que, pendant qu’il se trouvait au Canada, M. Kigowa possédait le droit, sous réserve des restrictions prévues dans la Loi sur l’immigration, de rester en liberté au Canada en attendant son enquête ou son renvoi, selon le cas (à la page 816). Le juge Heald, qui a rédigé de brefs motifs concourants, a mentionné que le droit de M. Kigowa « d’être au Canada et son droit d’y être libre émanait entièrement des dispositions de la Loi sur l’immigration de 1976 » (à la page 808) et que, si les délits reprochés par le demandeur « ont été commis, c’est parce qu’il y a eu atteinte au droit du demandeur de rester libre qui lui est conféré par les dispositions de la Loi sur l’immigration de 1976 » (à la page 808). Encore là, dans cette affaire, les droits invoqués par le demandeur découlaient du cadre législatif détaillé.

Dans la présente affaire, le demandeur, qui jouit d’une liberté résiduelle dans le milieu carcéral, se fonde sur plusieurs dispositions du Règlement sur le service des pénitenciers. Voici ces dispositions et d’autres dispositions pertinentes :

Interprétation

2. Dans le présent règlement,

« chef d’institution » désigne le fonctionnaire nommé aux termes de la Loi ou du présent règlement pour administrer l’institution et comprend, en cas d’absence ou d’incapacité d’agir de ce dernier, son adjoint légitime;

« membre » désigne un fonctionnaire ou employé du Service;

Devoir des membres

3. Il incombe à chaque membre de donner effet, au mieux de son habileté, aux lois relatives à l’administration des pénitenciers au Canada et de faire tout en son pouvoir pour réaliser les fins et les objets du Service, savoir la garde, la maîtrise, la formation disciplinaire et la réadaptation des personnes condamnées ou envoyées au pénitencier.

5. (1) Le chef d’institution est responsable de la direction de son personnel, de l’organisation, de la sûreté et de la sécurité de son institution, y compris la formation disciplinaire des détenus qui y sont incarcérés.

Garde des détenus

13. Le détenu doit, conformément aux directives, être incarcéré dans l’institution qui semble la plus appropriée, compte tenu

a) du degré et de la nature de la surveillance jugée nécessaire ou désirable pour la protection de la société; et

b) du programme de traitement disciplinaire jugé le plus approprié au détenu.

Classification

14. Le dossier d’un détenu doit être soigneusement examiné avant qu’une décision ne soit prise relativement à la classification, première ou nouvelle, ou au transfert du détenu.

Interdiction de se joindre aux autres

40. (1) Si le chef de l’institution est convaincu que,

a) pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l’institution, ou

b) dans le meilleur intérêt du détenu,

il est nécessaire ou opportun d’interdire au détenu de se joindre aux autres, il peut le lui interdire, mais le cas d’un détenu ainsi placé à l’écart doit être étudié, au moins une fois par mois, par le Comité de classement qui recommandera au chef de l’institution la levée ou le maintien de cette interdiction.

(2) Un détenu placé à l’écart n’est pas considéré comme frappé d’une peine à moins qu’il n’y ait été condamné, et il ne doit, pour autant, perdre aucun de ses privilèges et agréments, sauf ceux

a) dont il ne peut jouir qu’en se joignant aux autres détenus; ou

b) qui ne peuvent pas raisonnablement être accordés, compte tenu des limitations du lieu où le détenu est ainsi placé à l’écart et de l’obligation d’administrer ce lieu de façon efficace.

Le fait que M. Oag a été privé d’un droit alors qu’il se trouvait à l’extérieur d’un établissement tandis que M. Robinson était à l’intérieur d’un établissement n’aide pas ce dernier, car le critère applicable est celui de l’existence d’un cadre législatif fédéral détaillé.

Dans le cas qui nous occupe, le Règlement sur le service des pénitenciers, que M. Robinson invoque, énonce les obligations des personnes qui travaillent pour le Service des pénitenciers, notamment les obligations des agents des établissements. La partie II, qui renferme les articles 13 et 14 du Règlement, concerne la garde et le traitement des détenus.

L’article 13 du Règlement sur le service des pénitenciers prévoit que les dirigeants des établissements doivent incarcérer chaque détenu dans l’institution qui semble la plus appropriée, compte tenu « du degré et de la nature de la surveillance jugée nécessaire ou désirable pour la protection de la société », ce qui indique nettement l’existence d’une obligation envers la société, et « du programme de traitement disciplinaire jugé le plus approprié au détenu », ce qui pourrait être considéré comme une obligation envers les détenus. Toutefois, la présente affaire porte, non pas sur le traitement disciplinaire, mais uniquement sur la surveillance jugée nécessaire pour la protection de la société. L’article 13 n’est d’aucune utilité au demandeur.

Selon l’article 14 du Règlement, le dossier du détenu doit « être soigneusement examiné avant qu’une décision ne soit prise relativement à la classification, première ou nouvelle, ou au transfert du détenu ». L’article oblige les personnes responsables à revoir le dossier d’un détenu dans une situation semblable à celle que le demandeur a vécue, mais il n’accorde pas de droits à celui-ci et ne fait pas partie non plus d’un cadre législatif détaillé qui pourrait constituer le fondement de l’attribution de la compétence dont la Cour fédérale est investie en vertu de l’alinéa 17(5)b) de la Loi sur la Cour fédérale.

Le demandeur soutient en l’espèce qu’il a été placé à l’écart et que son cas a été examiné en vue d’un transfert parce que les défendeurs ont cru à tort qu’il songeait à s’évader de l’établissement d’Edmonton. Cet argument nous amène à examiner l’article 40 du Règlement, que le demandeur invoque également comme fondement de l’attribution légale de compétence de la Cour. Dans ce contexte, le paragraphe 40(1) permet au chef de l’institution de placer un détenu à l’écart, lorsqu’il est convaincu que cette mesure est nécessaire « a) pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l’institution ». La partie applicable du paragraphe 40(1) concerne le maintien de l’ordre et de la discipline dans une institution; il s’agit d’une obligation envers la société et peut-être envers d’autres détenus qui souhaitent vivre dans un milieu stable. Cependant, cette disposition ne reconnaît aucun droit à M. Robinson ni ne constitue un cadre législatif détaillé que le demandeur peut invoquer avec succès. La présente affaire ne porte pas sur l’alinéa 40(1)b), qui semble viser la protection du détenu.

Pour éviter tout malentendu, le paragraphe 40(2) du Règlement énonce les grandes lignes de l’interdiction de se joindre aux autres. Même si cette disposition constitue à mon avis une directive à l’endroit du chef de l’institution, il se peut qu’elle accorde au détenu placé à l’écart certains droits restreints; cependant, elle est loin de constituer un cadre législatif détaillé qui accorde des droits au demandeur.

Un examen du Règlement que le demandeur invoque indique que les dispositions en question constituent des directives générales adressées au personnel des établissements carcéraux et n’accordent pas de droits au demandeur. Cette conclusion ressort encore plus nettement lorsque les droits et les dispositions législatives et réglementaires invoqués en l’espèce sont comparés à ceux que le demandeur a fait valoir dans l’arrêt Oag. Ce sont deux cadres législatifs bien différents.

Contrairement à ce que soutient le demandeur, je ne crois pas que la jurisprudence permette une certaine souplesse quant au degré de précision nécessaire pour conclure à l’existence d’un cadre législatif détaillé et qu’elle exige simplement un fondement de base de l’attribution légale de compétence de la Cour fédérale. Certes, le contenu du « cadre législatif détaillé » variera probablement d’un cas à l’autre, mais il comprend un droit ou une obligation et certaines dispositions précises permettant d’étoffer ce droit ou cette obligation. Ces dispositions précises n’existent pas en l’espèce. Comme j’en suis arrivé à la conclusion qu’il n’existe aucun ensemble de règles de droit fédérales pouvant être considéré comme un cadre législatif détaillé en l’espèce, il n’est pas nécessaire que j’examine le troisième volet du critère énoncé dans l’arrêt ITOInternational Terminal Operators, selon lequel la loi invoquée dans l’affaire doit être une loi du Canada. Je dois maintenant déterminer s’il est évident que l’action ne peut réussir en raison de l’absence de compétence, soit le critère appliqué dans l’arrêt Francoeur et al. et R. et al. (précité).

Je n’ignore pas que refuser à une personne le droit d’ester en justice est une décision grave, mais la Cour fédérale est un tribunal constitué par une loi et ne doit pas élargir sa compétence au-delà des pouvoirs que le législateur désirait manifestement lui conférer : même l’avantage ou l’aspect pratique, inhérent à la possibilité de poursuivre des particuliers et Sa Majesté ensemble, dans la même procédure, n’est pas une raison pour élargir la compétence accordée. Compte tenu de cette règle et du principe clair énoncé dans la jurisprudence, notamment les décisions de la Cour d’appel fédérale, il est évident que le demandeur n’est pas en mesure de présenter le cadre législatif nécessaire pour pouvoir invoquer l’arrêt Oag, parce que le lien existant en l’espèce avec les règles de droit fédérales est trop fragile.

Le résultat sera sans doute décevant pour le demandeur. Cependant, il pourra toujours poursuivre Sa Majesté, qui est responsable des actes et de la négligence de ses employés. Le fait que le demandeur ne pourra interroger au préalable qu’une seule personne représentant Sa Majesté n’est pas un résultat inapproprié.

La question des dépens n’a pas été débattue après la présentation des arguments. Si les avocats ne peuvent s’entendre à ce sujet, ils pourront présenter des observations.

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