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[1996] 2 C.F. 168

T-1212-94

Clifford Robert Olson (demandeur)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

Répertorié : Olson c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge suppléant Heald—Prince-Albert (Saskatchewan), 11 janvier; Ottawa, 9 février 1996.

Droit constitutionnel Charte des droits Libertés fondamentales Action en jugement déclaratoire portant que les responsables du Service correctionnel ont violé la liberté d’expression et la liberté d’association garanties au demandeur par les art. 2b) et d) de la CharteLe demandeur, auteur d’une série de meurtres, a été condamné à une peine d’emprisonnement à vieSon accès aux médias a été limité dans le but de réduire sa notoriétéCes limites sont imposées aux droits du demandeur « par une règle de droit », ainsi que l’exige l’art. premier de la CharteL’objectif législatif poursuivi est suffisamment réel et urgent pour justifier cette restriction des droits et libertés du demandeurLes mesures prises pour atteindre l’objectif sont proportionnelles à celui-ciLes exigences du critère de l’arrêt Oakes sont satisfaites.

Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l’égalité Le demandeur purge une peine d’emprisonnement à vie pour meurtresIl est tenu de limiter ses contacts avec les médias afin de réduire sa notoriétéDistinction établie entre le demandeur et d’autres personnesNon fondée sur des caractéristiques personnelles non pertinentes au sens de l’art. 15(1) de la CharteDroit à l’égalité non enfreint.

Pénitenciers Le demandeur, auteur d’une série de meurtres, est détenu dans une unité spéciale de détention d’un pénitencier fédéralLes programmes offerts dans les pénitenciers sont destinés à aider à la réadaptation du détenu et à sa réinsertion sociale à titre de citoyen respectueux des loisLe demandeur ne peut s’intégrer à l’établissement en raison de sa notoriété et de sa visibilitéEn restreignant le droit d’accès aux médias, on abaisse les risques au sein du pénitencierIl s’agit d’une limite raisonnable, prescrite par une règle de droit, aux libertés garanties par la Charte.

Il s’agit d’une action en jugement déclaratoire dans laquelle le demandeur soutient que la défenderesse l’a privé des droits que lui garantissent les alinéas 2b) et 2d) et le paragraphe 15(1) de la Charte. En 1982, le demandeur a été déclaré coupable de onze meurtres au premier degré et condamné à une peine d’emprisonnement à vie. Dix ans plus tard, il a été transféré du pénitencier de Kingston à l’unité spéciale de détention du pénitencier de la Saskatchewan. Quelque temps après son transfèrement, le directeur adjoint du pénitencier l’a avisé que, dans le but de réduire sa notoriété, son accès aux médias était limité pour qu’il puisse, en temps utile, être transféré dans des installations d’un coefficient de sécurité moindre. Les autorités l’ont donc empêché de correspondre avec un ami journaliste et de lui envoyer des extraits des deux livres qu’il avait écrits. La défenderesse a reconnu qu’elle avait limité la liberté d’expression et la liberté d’association du demandeur garanties par les alinéas 2b) et 2d) de la Charte, mais elle a nié avoir porté atteinte au droit à l’égalité du demandeur, garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte. Deux questions ont été soulevées : 1) la défenderesse a-t-elle porté atteinte aux droits du demandeur garantis par les alinéas 2b) et 2d) et par le paragraphe 15(1) de la Charte? 2) le cas échéant, cette atteinte pouvait-elle justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique, et donc être permise en vertu de l’article premier de la Charte?

Jugement : l’action doit être rejetée.

1) La Cour suprême du Canada a adopté l’analyse suivante en trois étapes applicable en matière de droit à l’égalité sous le régime du paragraphe 15(1) : (i) déterminer si la loi établit une distinction entre le demandeur et d’autres personnes; (ii) se demander si le texte législatif impose à un groupe de personnes auquel appartient le demandeur un fardeau non imposé à d’autres; (iii) déterminer si la distinction est fondée sur une caractéristique personnelle non pertinente mentionnée au paragraphe 15(1) ou sur une caractéristique analogue. Les faits en cause satisfont aux exigences du premier et du deuxième volets de l’analyse, puisque les limites imposées par la défenderesse à l’accès du demandeur aux médias établissent effectivement une distinction entre ce dernier et d’autres personnes. En outre, le groupe du demandeur, qui peut être décrit comme celui des détenus des pénitenciers fédéraux, fait l’objet de restrictions qui donnent lieu à des désavantages. Le troisième volet de l’analyse n’a toutefois pas été satisfait puisque la distinction n’était pas fondée sur une caractéristique personnelle non pertinente énumérée au paragraphe 15(1) ou sur une caractéristique analogue. La prétention du demandeur selon laquelle on aurait porté atteinte à son droit à l’égalité prévu au paragraphe 15(1) de la Charte ne peut être retenue.

2) Aux termes des articles 3 et 4 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, les critères prépondérants du Service correctionnel sont la protection de la société et l’octroi de programmes destinés à aider à la réadaptation du détenu et à sa réinsertion sociale à titre de citoyen respectueux des lois. Il est nécessaire pour le processus de réadaptation du demandeur de réduire sa notoriété ainsi que le risque qu’il court au sein de la population carcérale, ces deux objectifs étant prescrits par la Loi. Les mesures prises par la défenderesse à l’égard du demandeur reposent sur un texte de loi et les droits que la Charte garantit au demandeur sont restreints « par une règle de droit », au sens où cette expression est employée à l’article premier de la Charte.

Le premier élément du critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt La Reine c. Oakes a trait à la question de savoir si l’objectif législatif poursuivi par les mesures de restriction des droits et libertés du demandeur est suffisamment réel et urgent pour justifier cette restriction. Selon les dépositions des deux témoins appelés par la défenderesse, le demandeur manifestait le désir insatiable que les médias parlent de lui de façon négative pour ses crimes passés, le risque d’évasion du demandeur était encore « extrêmement élevé » et ce dernier demeurait très dangereux. L’un de ces témoins a résumé un rapport préparé par le comité d’évaluation et d’examen des programmes en disant que la notoriété et la visibilité du demandeur font qu’on ne peut l’intégrer à aucun segment de la population d’un établissement. Au vu de ces témoignages, les mesures restreignant les droits et libertés du demandeur, prises en l’espèce, étaient justifiées par des intérêts réels et urgents. La restriction de l’accès du demandeur aux médias réduit les risques qu’il court au sein du pénitencier et fait aussi partie du processus de réadaptation, pour ce qui est du trouble de la personnalité narcissique dont il souffre. Les mesures recommandées avaient un lien rationnel avec l’objectif poursuivi. La seule restriction imposée au demandeur visait ses contacts avec les gens des médias. Il pouvait communiquer avec toute autre personne, y compris les membres de sa famille, les avocats et ses amis qui n’appartiennent pas aux médias. Par conséquent, les mesures retenues portaient aussi peu atteinte que possible aux droits et libertés du demandeur. Les mesures prises par le Service correctionnel du Canada satisfaisaient à première vue au critère de la proportionnalité, puisqu’elles ont effectivement réduit la couverture médiatique visant le demandeur. Les restrictions imposées à ces droits constituaient des limites raisonnables prescrites par une règle de droit, et étaient donc permises en vertu de l’article premier de la Charte.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2b),d), 15(1), 24(1).

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 3, 4, 71(1).

Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, art. 94(1), 102(1).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 65 N.R. 87; 14 O.A.C. 335; Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513; (1995), 124 D.L.R. (4th) 609; 95 CLLC 210-025; 29 C.R.R. (2d) 79; 182 N.R. 161; 12 R.F.L. (4th) 201.

DÉCISIONS CITÉES :

Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679; (1992), 93 D.L.R. (4th) 1; 92 CLLC 14,036; 10 C.R.R. (2d) 1; 139 N.R. 1; Jackson c. Pénitencier de Joyceville, [1990] 3 C.F. 55 (1990), 55 C.C.C. (3d) 50; 75 C.R. (3d) 174; 1 C.R.R. (2d) 327; 32 F.T.R. 96 (1re inst.); R. c. Therens et autres, [1985] 1 R.C.S. 613; (1985), 18 D.L.R. (4th) 655; [1985] 4 W.W.R. 286; 38 Alta. L.R. (2d) 99; 40 Sask. R. 122; 18 C.C.C. (3d) 481; 13 C.P.R. 193; 45 C.R. (3d) 57; 32 M.V.R. 153; 59 N.R. 122; R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640; (1988), 40 C.C.C. (3d) 411; 63 C.R. (3d) 1; 32 C.P.R. 257; 4 M.V.R. (2d) 185; 84 N.R. 347.

ACTION en jugement déclaratoire fondée sur la violation des droits du demandeur garantis par les alinéas 2b) et 2d) et le paragraphe 15(1) de la Charte. Action rejetée.

AVOCATS :

Garth V. Bendig pour le demandeur.

Bruce W. Gibson pour la défenderesse.

PROCUREURS :

Eggum, Abrametz & Eggum, Prince-Albert (Saskatchewan), pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Heald :

I.          INTRODUCTION

Le demandeur est un détenu de l’Unité spéciale de détention du pénitencier de la Saskatchewan, à Prince-Albert. Il soutient que la défenderesse l’a privé des droits que lui garantissent les alinéas 2b) et 2d) et le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés[1] (la Charte). Il sollicite donc le prononcé d’un jugement déclaratoire sous le régime du paragraphe 24(1) de la Charte[2].

II.         LES FAITS

Le demandeur a été déclaré coupable de onze meurtres au premier degré, le 14 janvier 1982, et a été condamné, pour chacun d’eux, à une peine d’emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant vingt-cinq ans, à purger de façon concurrente. Il a été transféré du pénitencier de Kingston à l’Unité spéciale de détention du pénitencier de la Saskatchewan le 6 décembre 1992.

Dans une note datée du 10 septembre 1993, le directeur adjoint du pénitencier a avisé le demandeur que, dans le but de réduire sa notoriété, son accès aux médias était limité pour qu’il puisse, en temps utile, être transféré dans des installations d’un cœfficient de sécurité moindre. Le demandeur a également reçu copie d’une note datée du 30 août 1993 l’informant que le sous-commissaire avait donné l’instruction de restreindre son accès aux médias. À compter du jour même, le nom de Peter Worthington, qui appartenait au monde des médias, était retiré de la liste des visiteurs du demandeur et il n’était permis à aucune autre personnalité des médias de communiquer avec ce dernier. Les autorités étaient autorisées à intercepter le courrier non confidentiel et à saisir toutes les lettres adressées à des personnalités des médias, et à prendre à leur égard les dispositions requises.

Le demandeur a également eu copie d’une lettre datée du 14 septembre 1993, écrite par l’honorable Douglas Lewis, ministre de la Sécurité publique, dans laquelle M. Lewis annonçait qu’il venait de rétablir l’interdiction visant les interviews du demandeur par les médias, pour empêcher qu’il soit causé encore plus de souffrance aux familles de victimes de crimes violents. Copie de la lettre avait également été envoyée au sous-commissaire du Service correctionnel du Canada et au directeur du pénitencier de la Saskatchewan.

Le directeur a fait savoir au demandeur, dans une note datée du 26 janvier 1994, que la décision de réduire l’accès du demandeur aux médias avait été prise en consultation avec le sous-commissaire et avait été approuvée par le solliciteur général. Il écrivait aussi que même si ses rapports avec M. Worthington n’étaient que de pure amitié, il était impossible de faire abstraction du statut professionnel de celui-ci dans les médias et ajoutait qu’il n’était donc pas disposé à revenir sur sa décision de limiter l’accès du demandeur aux médias. Dans sa déclaration, le demandeur a relaté qu’il avait envoyé à M. Worthington des extraits de ses deux livres, Profile of a Serial KillerThe Clifford Olson Case et Inside the Mind of a Serial KillerA Profile. Par la suite, les autorités ont refusé que d’autres écrits du demandeur soient envoyés à M. Worthington.

Dans sa déclaration, le demandeur a affirmé que les fonctionnaires de la défenderesse avaient, par leurs actions décrites ci-dessus, enfreint les droits que la Charte lui garantit aux alinéas 2b) et 2d) et au paragraphe 15(1). Il a donc prié la Cour de rendre un jugement déclaratoire portant qu’il a le droit de correspondre avec Peter Worthington et de lui envoyer des extraits de ses livres. Il demande que lui soit reconnu le même droit à l’égard de toute autre personnalité des médias et de tout éditeur canadien ou américain.

La défenderesse n’a pas nié que l’accès du demandeur aux médias avait été restreint. Elle a expliqué qu’un plan correctionnel avait été élaboré pour le demandeur, conformément aux règlements d’application [Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620] de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi), le 11 mars 1993, dont l’objectif à long terme était la réduction de la notoriété publique du demandeur, notoriété qui [traduction] « se répercute directement sur le degré de risque qu’il présente pour la société ». L’exigence que le demandeur limite ses contacts avec les médias et ses autres contacts avec des personnes connues faisait partie intégrante de ce plan.

La défenderesse a reconnu qu’il y avait eu atteinte à la liberté d’expression et à la liberté d’association garanties par les alinéas 2b) et 2d) de la Charte. Elle fait toutefois valoir que les faits en cause démontraient que cette atteinte était justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique et, par conséquent, qu’elle était permise en vertu de l’article premier de la Charte[3].

III.        QUESTIONS EN LITIGE

1. La défenderesse a-t-elle porté atteinte aux droits du demandeur garantis par les alinéas 2b) et 2d) et par le paragraphe 15(1) de la Charte?

2. Le cas échéant, la justification de l’atteinte peut-elle se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique et par conséquent, cette atteinte est-elle permise en vertu de l’article premier de la Charte?

(i) Les limites imposées aux droits du demandeur le sont-elles par « une règle de droit », ainsi que l’exige l’article premier?

(ii) Le cas échéant, les mesures prises en application de la règle de droit satisfont-elles aux exigences du critère de l’arrêt Oakes [La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103]?

IV.       ANALYSE

Comme il en a été fait mention, la présente action est intentée sous le régime du paragraphe 24(1) de la Charte. Le demandeur n’a pas contesté la validité constitutionnelle de quelque disposition législative que ce soit. Il a prétendu plutôt que les mesures prises par la défenderesse en application de certaines dispositions législatives ont porté atteinte à des droits que lui garantit la Charte. Je conviens avec lui que, dans de telles circonstances, c’est l’action fondée sur le paragraphe 24(1) qui constitue la voie de recours appropriée[4].

QUESTION 1. La défenderesse a-t-elle porté atteinte aux droits du demandeur garantis par les alinéas 2b) et 2d) et par le paragraphe 15(1) de la Charte?

Au paragraphe 7 de ses observations écrites, la défenderesse a reconnu qu’elle avait limité la liberté d’expression et la liberté d’association du demandeur garanties aux alinéas 2b) et 2d) de la Charte. Elle a nié toutefois avoir porté atteinte au droit à l’égalité du demandeur, garanti au paragraphe 15(1) de la Charte.

Dans l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada, Egan c. Canada[5], le juge La Forest a repris l’analyse en trois étapes déjà élaborée par le juge Gonthier à l’égard des facteurs dont il faut tenir compte en matière de droit à l’égalité (paragraphe 15(1)) :

Premièrement, il faut déterminer si la loi établit une distinction entre le demandeur et d’autres personnes. Deuxièmement, il faut se demander si la distinction donne lieu à un désavantage et examiner si le texte législatif attaqué impose à un groupe de personnes auquel appartient le demandeur des fardeaux, obligations ou désavantages non imposés à d’autres, ou le prive d’un bénéfice qu’il accorde à d’autres (Andrews, précité) …

Troisièmement, il faut déterminer si la distinction est fondée sur une caractéristique personnelle non pertinente mentionnée au par. 15(1) ou sur une caractéristique analogue.

L’application de ce critère tripartite aux faits en cause m’amène à conclure, relativement au premier volet de l’analyse, que les limites imposées par la défenderesse à l’accès du demandeur aux médias établissent effectivement une distinction entre ce dernier et d’autres personnes. Pour ce qui est du deuxième volet, je suis également d’avis que la condition a été remplie. Le groupe du demandeur peut être décrit comme celui des détenus des pénitenciers fédéraux. La preuve établit clairement que ce groupe fait l’objet de restrictions. Il semble évident que ces restrictions donnent lieu à des désavantages.

Le troisième volet de l’analyse présente cependant un problème pour le demandeur. Il requiert que la distinction soit fondée sur une caractéristique personnelle non pertinente énumérée au paragraphe 15(1) ou sur une caractéristique analogue. La jurisprudence a établi que les différences de traitement des détenus ne dépendent pas de caractéristiques personnelles mais découlent plutôt d’une « conduite passée, qui était répréhensible et antisociale »[6]. Comme le troisième volet du critère de l’arrêt Egan n’a pas été rempli, je ne puis recevoir la prétention du demandeur selon laquelle la défenderesse aurait porté atteinte au droit à l’égalité que lui garantit le paragraphe 15(1) de la Charte.

QUESTION 2. La défenderesse ayant reconnu qu’il y avait eu contravention aux alinéas 2b) et 2d) de la Charte, peut-il être démontré que l’atteinte est justifiable dans le cadre d’une société libre et démocratique et, par suite, qu’elle est permise en vertu de l’article premier de la Charte?

(i)         Les limites imposées aux droits du demandeur le sont-elles par « une règle de droit », ainsi que l’exige l’article premier?

Aux termes de l’article premier de la Charte, les droits qui y sont énoncés ne peuvent être restreints que par une règle de droit. La défenderesse soutient qu’une limite a « force de loi » si elle est énoncée expressément ou implicitement dans une loi ou un règlement, et elle invoque, à l’appui de cet argument, les arrêts R. c. Therens et autres[7] et R. c. Thomsen[8]. Je conviens que ces arrêts étayent cette opinion.

La défenderesse fait valoir que le critère prépondérant du processus correctionnel du Service correctionnel du Canada est la protection du public, ainsi que l’énonce l’article 4 de la Loi sur le système correctionnel et sur la mise en liberté sous condition[9], ajoutant que l’application, dans les pénitenciers, de programmes destinés à aider à la réadaptation du détenu et à sa réinsertion sociale à titre de citoyen respectueux des lois est un moyen d’atteindre cet objectif[10].

À l’appui de son argument voulant que la restriction des droits du demandeur garantis par la Charte soit imposée par une règle de droit, la défenderesse soutient que le paragraphe 102(1) du Règlement d’application de la Loi oblige le Service correctionnel du Canada à élaborer un plan correctionnel pour chaque détenu afin d’assurer à chacun les meilleurs programmes aux moments opportuns dans le but de les préparer à la réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois[11].

Selon la défenderesse, le plan correctionnel, daté du 11 mars 1993, qui a été conçu pour le demandeur et dont il a reçu copie, comporte comme objectif la réduction de la notoriété publique de l’intéressé, car celle-ci [traduction] « se répercute directement sur le degré de risque qu’il présente pour la société ». La défenderesse soutient essentiellement qu’il est nécessaire pour le processus de réadaptation de réduire cette notoriété ainsi que le risque couru par le demandeur au sein de la population carcérale. Comme il en a été fait mention plus haut, ces deux objectifs sont prescrits par la Loi.

La défenderesse soutient en outre qu’un détenu a le droit, dans la mesure du possible, d’entretenir des relations avec l’extérieur, mais que ce droit est assujetti aux limites raisonnables dictées par la sécurité des personnes et du pénitencier[12]. Ces limites sont décrites dans le Règlement[13]13.

Je conclus, en conséquence, que les mesures prises par la défenderesse à l’égard du demandeur reposent sur un texte de loi et, donc, que les droits que la Charte garantit au demandeur sont restreints « par une règle de droit », au sens où cette expression est employée à l’article premier de la Charte.

(ii)        Les mesures prises en vertu de la règle de droit satisfont-elles aux exigences du critère de l’arrêt Oakes?

Pour déterminer si des restrictions imposées à des droits garantis par la Charte constituent des limites raisonnables dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, il faut appliquer le critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt La Reine c. Oakes[14]. Examinons maintenant l’application des différents éléments de ce critère aux faits de la présente espèce.

(1)       L’objectif législatif poursuivi par les mesures de restriction des droits et libertés prévus à la Charte est-il suffisamment réel et urgent pour justifier cette restriction?

Pour établir qu’elle avait respecté les exigences énoncées dans le critère de l’arrêt Oakes, la défenderesse s’est appuyée sur le témoignage du sous-directeur par intérim du pénitencier de la Saskatchewan, Thomas Victor Taylor, ainsi que sur celui du Dr Thomas Dalby, un psychologue clinicien et judiciaire.

Le témoignage du sous-directeur par intérim Taylor

Avant de devenir sous-directeur par intérim du pénitencier de la Saskatchewan, M. Taylor en avait dirigé l’Unité spéciale de détention (l’USD) du 1er avril 1989 au 1er mai 1995, et il était chargé de voir au fonctionnement global de l’Unité, notamment la sécurité, les programmes, la gestion des cas, l’administration et les services techniques. Il a déclaré que le critère prépondérant du Service correctionnel était la protection de la société et que celle-ci passait par [traduction] « l’encadrement sûr et sécuritaire des délinquants et par des programmes et activités conçues pour en faire, à leur libération, des citoyens respectueux des lois »[15]. Il a ajouté que le demandeur a été transféré à l’USD pour évaluation, le 6 décembre 1992, parce que les cadres estimaient que le risque qu’il s’évade était extrêmement élevé. Le demandeur avait été transféré du pénitencier de Kingston au pénitencier de la Saskatchewan parce qu’il avait publiquement exprimé son intention de s’évader.

Le 19 mars 1993, M. Taylor a formulé l’observation suivante au sujet du demandeur : [traduction] « Le détenu manifeste le désir insatiable de voir son nom mentionné dans les médias … Si Olson s’échappait, le risque qu’il se livre à des actes de violence serait extrêmement élevé »[16]. À cette époque, le comité d’évaluation et d’examen des programmes de qui relevait le dossier du demandeur avait fait les recommandations suivantes :

[traduction] 1. OLSON devrait s’efforcer de façon soutenue de réduire sa notoriété en limitant ses contacts avec les médias ainsi que ses contacts avec des personnes connues.

2.   Un plan permettant à OLSON de s’intégrer à un segment de la population carcérale devrait être mis en œuvre.

3.   OLSON devra s’efforcer de ne pas commettre d’infraction dans cet environnement[17].

Le 16 septembre 1993, M. Taylor a évalué une deuxième fois le demandeur. Il a expliqué que le comité d’évaluation se réunissait à tous les quatre mois, environ, pendant la durée du séjour du détenu dans l’USD. Selon le témoin, le demandeur, à la date susmentionnée, se comportait de façon satisfaisante dans l’USD, mais il [traduction] « manifest[ait] toujours le désir insatiable que les médias parlent de lui de façon négative pour ses crimes passés »[18].

Après avoir exprimé l’opinion que le risque d’évasion du demandeur était encore extrêmement élevé et que ce dernier demeurait toujours très dangereux, M. Taylor a recommandé de le maintenir à l’USD, ce qui lui permettrait de réduire [traduction] « sa notoriété publique de façon à ce qu’il puisse plus tard être intégré dans un établissement à sécurité maximale »[19].

Au procès, M. Taylor a témoigné qu’on avait tenté d’intégrer le demandeur à un groupe de détenus, mais que cela avait été un échec parce que l’intéressé avait continué à [traduction] « faire étalage de ses besoins particuliers ce qui exaspérait les autres détenus du secteur d’isolement »[20]. Ces besoins particuliers se rapportaient aux procédures judiciaires qu’intentait le demandeur et qui [traduction] « étaient toujours mentionnées dans les nouvelles »[21]. Le témoin a ajouté : [traduction] « Lorsque le détenu est continuellement mentionné dans les nouvelles, ses crimes sont relatés encore une fois, et cela les remet au premier plan dans l’esprit des autres détenus »[22].

Dans un rapport subséquent daté du 27 avril 1995, le comité d’évaluation et d’examen des programmes a recommandé que le demandeur demeure à l’USD :

[traduction] Le risque d’évasion posé par OLSON est encore considéré comme extrêmement élevé, et s’il venait à s’échapper, il constituerait un très grand danger pour la société. Il n’est pas possible, non plus, de l’intégrer à la population carcérale générale ou à la population placée en isolement protecteur, dans quelque établissement que ce soit. OLSON continue de faire en sorte de demeurer très visible en saisissant toutes les occasions possibles de faire parler de lui dans les médias[23].

À l’audience, M. Taylor a résumé ainsi ce rapport : [traduction] « Sa notoriété et sa visibilité font qu’on ne peut l’intégrer à aucun segment de la population d’un établissement »[24].

Le comité a plus tard conclu, dans un rapport daté du 15 août 1995, qu’Olson [traduction] « ne peut fonctionner de façon satisfaisante au sein de la population carcérale générale d’un établissement à sécurité maximale »[25].

M. Taylor a également témoigné sur le premier plan correctionnel élaboré par l’USD à l’égard du demandeur, en date du 11 mars 1993. Ce plan visait à amener le demandeur à se réinsérer dans la société comme citoyen respectueux des lois. On y retrouve les données d’ordre psychiatrique suivantes :

[traduction] Avant qu’un traitement puisse lui être appliqué, il faudra qu’OLSON se débarasse de l’idée que tout ce qui sert ses fins est valable et qu’il exprime des remords pour les pertes de vie qu’il a causées et pour la douleur des familles des victimes … OLSON devra travailler, à long terme, à réduire sa notoriété, laquelle se répercute directement sur le degré de risque qu’il présente pour la société. Pour y parvenir, il devrait chercher à limiter ses contacts avec les médias et ses contacts avec d’autres personnes connues[26].

Était joint à ce plan un rapport préparé par le Dr Murray Brown, qui était le psychologue de l’établissement à ce moment-là. Après trois entrevues avec le détenu, le Dr Brown a souscrit aux données psychiatriques consignées au plan correctionnel. On peut lire ce qui suit dans son rapport :

[traduction] Au cours de nos rencontres, le détenu s’est prévalu de l’occasion de mettre en lumière ses relations avec des personnalités comme Marvin (sic) Belli et avec des organismes comme le FBI afin de montrer son importance et sa notoriété, comme il l’a fait en parlant du livre qu’il est en train d’écrire et qu’il veut intituler Inside the mind of a Serial Killer.

D’après le personnel affecté à la sécurité, le détenu ne cesse de parler des médias et des organismes de prévention du crime. Apparemment, il fait des gestes qui le mettent en évidence. Selon cette source, il est capable de manipuler les événements de façon à être le centre d’attention du personnel de sécurité[27].

Par la suite, cinq rapports récapitulatifs ont été préparés sur M. Olson entre le 12 mars 1993 et le 8 août 1995[28]. Celui du 12 mars 1993 signale que la participation du détenu dans quelque programme que ce soit a été limitée parce que [traduction] « en correspondant sans arrêt avec les personnalités des médias, il fait en sorte que ses crimes passés fassent toujours les manchettes, ce qui interdit tout contact avec les autres délinquants »[29]. Au procès, M. Taylor a déclaré, dans son témoignage, que [traduction] « son statut de détenu en super-protection fait qu’il ne peut s’associer sans danger avec les autres délinquants; il ne peut donc participer à des programmes de groupe ou à des programmes nécessitant une interaction avec les autres participants, comme les programmes du groupe A, les programmes pour délinquants sexuels, les programmes de développement des aptitudes cognitives »[30].

M. Taylor a également témoigné au sujet des préoccupations relatives à la sécurité du public, lesquelles avaient été abordées de la façon suivante dans le rapport récapitulatif du 12 mars 1993 : [traduction] « L’importante notoriété publique d’Olson accentue les problèmes de sécurité publique qu’il pose. Vu les problèmes psychiatriques décrits … il constitue une très grave menace pour la sécurité publique »[31]. Aucun des rapports récapitulatifs rédigés entre 1993 et 1995 ne signale de changement ou de progrès[32]. M. Taylor a témoigné que l’adaptation au milieu carcéral qu’Olson doit réaliser est encore importante[33], et qu’à la fin de la période susmentionnée, l’équipe de gestion qui s’occupait du demandeur a recommandé qu’il soit maintenu à l’USD et qu’il [traduction] « fasse plus d’efforts pour réaliser son plan correctionnel »[34].

Par l’entremise de M. Taylor, la défenderesse a soumis d’autres éléments de preuve documentaire appuyant l’opinion de l’établissement selon laquelle il serait possible de transférer le détenu dans des installations au coefficient de sécurité moins élevé, si la notoriété publique de celui-ci diminuait. Des éléments de preuve indiquant qu’à l’heure actuelle le fait d’attaquer Olson serait générateur de prestige pour les autres détenus à cause de sa célébrité ont renforcé cette opinion[35].

Interrogé sur les répercussions que les relations qu’il entretient avec les médias ont sur son plan correctionnel, M. Taylor a répondu ce qui suit :

[traduction] Cela rend tout traitement très difficile, voire impossible, parce que M. Olson concentre toute son énergie à accroître sa notoriété au lieu de s’attacher aux problèmes qui l’ont amené en prison; il est pratiquement impossible, par conséquent, de mettre en œuvre quelque plan de traitement que ce soit[36].

Prié de résumer sa position sur les motifs justifiant que les contacts du demandeur avec les médias continuent à être restreints, M. Taylor a donné la réponse suivante :

[traduction] Notre mandat au sein de l’USD est de diminuer le degré de risque de façon à ce qu’il puisse être transféré et intégré à un établissement à sécurité maximale. À partir de là, il convient de procéder à sa réadaptation, à l’aide de programmes et d’activités, pour qu’il puisse retourner dans la société comme citoyen respectueux des lois. Tant que M. Olson s’attache à accroître sa notoriété, nous ne pouvons lui appliquer les programmes et lui fournir les occasions indispensables à son traitement et, par conséquent, diminuer le risque qu’il représente pour la sécurité publique[37].

Le témoignage du Dr Thomas Dalby

Les compétences professionnelles du Dr Dalby sont impressionnantes[38]. Pendant quelques années, il a été professeur adjoint au département de psychiatrie de l’Université de Calgary. De 1982 à 1992, il a travaillé comme psychologue clinicien et judiciaire à l’Hôpital général de Calgary. Il est actuellement directeur du département de psychologie de ce même hôpital en plus d’enseigner au département de psychiatrie de l’Université de Calgary comme professeur agrégé.

L’opinion du Dr Dalby, datée du 7 décembre 1995, est, en substance, la suivante :

[traduction] En réponse à votre demande, j’ai examiné tous les dossiers psychologiques du Service correctionnel du Canada concernant M. Olson. J’ai analysé plus particulièrement le rapport psychologique final, y compris la Liste de contrôle des psychopaties—Révisée (1-12-1992), le rapport du département de psychologie sur l’évaluation du comportement sexuel (2-12-1992), le rapport psychiatrique du Centre régional de traitement du Service correctionnel du Canada préparé par le Dr R.N. Oliver, l’évaluation psychologique du Dr Murray Brown (3-10-1993), la note du Dr Fred Bellemare (3 décembre 1992) et le rapport du Dr S.J. Hucker (31 mars 1993). Ces documents sont réunis à l’annexe 1 ci-jointe. Je suis prêt à commenter les questions en cause dans le procès mentionné en rubrique. Je suis également disposé à étoffer, à l’instruction, les brèves observations contenues dans la présente lettre. J’ai joint à l’annexe 2 un exemplaire de mon curriculum vitae, pour établir les titres de compétence m’habilitant à présenter un témoignage d’opinion.

1.   Le diagnostic établit que, suivant les critères diagnostiques courants, M. Olson souffre des troubles mentaux suivants :

a) trouble de la personnalité antisociale,

b) trouble de la personnalité narcissique,

c) pédophilie homosexuelle et hétérosexuelle et sadisme sexuel,

d) alcoolisme (antécédents).

2.   Exception faite de la pathologie mentionnée à l’alinéa b)—trouble de la personnalité narcissique, les autres maladies mentales se retrouvent souvent chez les détenus de pénitenciers fédéraux. Le trouble de la personnalité narcissique n’est présent, selon les estimations, que chez 1 % de la population générale et n’est habituellement pas accompagné de comportements criminels. On lit, dans la version actuelle du Diagnostic and Statistical Manuel de l’American Psychiatric Association (4e éd.—1994), que [traduction] « la caractéristique essentielle de ce trouble est un mode de fonctionnement général de type grandiose, un besoin d’admiration et un manque d’empathie … ». Les personnes qui en sont atteintes ont tendance à surestimer leurs capacités et à exagérer leurs accomplissements et sont souvent absorbées par des fantaisies de succès illimité, de pouvoir, d’éclat, etc. Elles se croient supérieures, spéciales et uniques et s’attendent à ce que les autres reconnaissent ces attributs. Elles recherchent constamment l’attention et l’admiration.

3.   Dans le cas de M. Olson, il faut se demander, pour le traitement, dans quelle mesure le fait qu’il a assassiné et agressé sexuellement des enfants et des adolescents continue à lui procurer de la satisfaction et à alimenter de plus en plus son sens exagéré de sa propre valeur et le sentiment que des choses lui sont dues.

4.   Pour le traitement du trouble de la personnalité narcissique, il faut chercher à corriger les fantaisies ou comportements de type grandiose (c.-à-d. diminuer la satisfaction de l’ego). Les expériences tendant à renforcer ou à amplifier ces aberrations devraient être évitées.

5.   En milieu carcéral, le traitement devrait viser à faire prendre pleinement conscience au détenu des conséquences négatives et de la nature de ses actes et à éviter toute activité renforçant les conséquences positives ou la satisfaction découlant de la conduite criminelle[39].

Au procès, le Dr Dalby a témoigné qu’en ce qui concernait la présente espèce, la pathologie la plus grave dont souffrait le demandeur était le trouble de la personnalité narcissique. Il a ajouté que le traitement de cette affection repose sur trois principes fondamentaux :

(1)       Corriger l’image grandiose que les sujets ont d’eux-mêmes;

(2)       Encourager leur capacité d’interaction de façon à ce qu’ils puissent entretenir des relations à long terme;

(3)       Encourager de véritables accomplissements de façon à leur faire acquérir une estime d’eux-mêmes convenable, parce que jusqu’à présent, en réalité, leurs réalisations sont inexistantes[40].

Lorsque le plan correctionnel (Pièce D-4) élaboré pour le demandeur a été montré au Dr Dalby pour qu’il formule ses commentaires, il a déclaré :

[traduction] Essentiellement, la chose logique qui, selon moi, est conforme avec le traitement de la pathologie est le fait que le plan de traitement recommande qu’il cesse, qu’il s’éloigne du miroir. Dans le présent cas, les médias sont le miroir. Il y voit son nom, ils lui renvoient son image ainsi que les perceptions grandioses qu’il a de son importance et de son caractère unique, peu importe. L’idée qui est poursuivie ici est d’écarter cette possibilité pour qu’il puisse se former une image réaliste de lui-même et, l’autre aspect, qui, je pense, a déjà été évoqué aujourd’hui est que cette mesure lui donnerait la possibilité, pour sa sécurité, d’interagir avec d’autres personnes, ce qui permettrait d’atteindre l’objectif no 2, développer des relations interpersonnelles à long terme[41].

Au vu des témoignages du sous-directeur Taylor et du Dr Dalby, je conclus sans hésitation que les mesures restreignant les droits et libertés du demandeur, prises en l’espèce, étaient clairement justifiées par des intérêts réels et urgents. Et M. Taylor et le Dr Dalby ont donné, selon moi, des témoignages impressionnants et très crédibles. J’ajouterais que le demandeur n’a présenté aucune preuve contredisant la déposition de ces témoins. En outre, le contre-interrogatoire n’a pas permis d’attaquer leur crédibilité.

(2)            Les mesures prises pour atteindre l’objectif sont-elles proportionnelles à celui-ci, c.-à-d. :

(i)         Ces mesures ont-elles un lien rationnel avec l’objectif?

Cette question appelle incontestablement une réponse affirmative. Les témoignages résumés ci-dessus établissent qu’en restreignant le droit d’accès aux médias du demandeur, on abaissera les risques qu’il courra au sein du pénitencier. Cela permettra aux autorités de le transférer dans des installations où la sécurité est réduite, un élément nécessaire pour l’application de son plan de réadaptation. De plus, la restriction de son accès aux médias lui enlèvera les auditoires célèbres qu’il recherche pour satisfaire son ego. Comme la preuve le démontre, cet élément fait aussi partie du processus de réadaptation, pour ce qui est du trouble de la personnalité narcissique dont il souffre. J’estime, par conséquent, que la preuve résumée plus haut établit que les mesures recommandées ont un lien rationnel avec l’objectif poursuivi.

(ii)        Les mesures retenues portent-elles aussi peu atteinte que possible aux droits et libertés du demandeur?

Cette question également reçoit une réponse affirmative. La seule restriction imposée au demandeur vise ses contacts avec les gens des médias. Il peut encore communiquer avec toute autre personne, y compris des membres de sa famille, des avocats et des amis qui n’appartiennent pas aux médias. La preuve non contredite résumée plus haut, établissant que la diminution de la notoriété publique du demandeur aidera indubitablement à sa réadaptation ainsi qu’à réduire les risques qu’il courra au sein du pénitencier, m’amène sans difficulté à conclure que les mesures retenues portent aussi peu atteinte que possible aux droits et libertés du demandeur. La coupure qui lui a été imposée avec le monde extérieur est minimale. En fait, le demandeur n’a été coupé que des gens qui pourraient, en entrant en contact avec lui, accroître sa notoriété publique et mettre ainsi en péril la réalisation des objectifs poursuivis.

Ces observations ne constituent d’aucune façon une critique des personnalités des médias qui ont été en contact avec le demandeur. Je suis convaincu que ces contacts ont toujours eu lieu à des fins objectives et professionnelles.

(iii)       Les effets des mesures prises sont-ils proportionnels aux objectifs poursuivis?

Je partage l’opinion de la défenderesse selon laquelle les mesures prises par le Service correctionnel du Canada satisfont à première vue au critère de la proportionnalité, puisqu’elles réduisent effectivement la couverture médiatique visant le demandeur. En pratique, elles peuvent occasionner des inconvénients au demandeur en rendant plus difficile la publication des deux livres qu’il a écrits. Toutefois, il n’a pas été empêché de communiquer avec des personnes n’appartenant pas aux médias. Il n’a pas été plaidé qu’on lui interdit d’entrer en contact avec des auteurs et des éditeurs. Après avoir évalué ces inconvénients par rapport aux objectifs légitimes poursuivis par le plan visant la réadaptation du demandeur et la réduction des risques qu’il court, j’estime que la politique de l’établissement et les effets des mesures qu’il a prises en application de celle-ci sont nettement proportionnels aux objectifs exposés ci-dessus.

Je conclus donc que même si la défenderesse a porté atteinte aux droits du demandeur garantis aux alinéas 2b) et 2d) de la Charte, les restrictions imposées à ces droits constituent des limites raisonnables prescrites par une règle de droit, et sont donc permises en vertu de l’article premier de la Charte.

CONCLUSION

Pour les motifs exposés ci-dessus, l’action est rejetée avec dépens.



[1] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

[2] Les dispositions pertinentes de la Charte sont ainsi conçues :

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

d) liberté d’association.

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

[3] L’article premier de la Charte prévoit ce qui suit :

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[4] Voir Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, à la p. 717.

[5] [1995] 2 R.C.S. 513, à la p. 531.

[6] Jackson c. Joyceville Penitentiary, [1990] 3 C.F. 55(1re inst.), à la p. 112.

[7] [1985] 1 R.C.S. 613.

[8] [1988] 1 R.C.S. 640.

[9] L’art. 4 de la Loi prévoit ce qui suit :

4. Le Service est guidé, dans l’exécution de ce mandat, par les principes qui suivent :

a) la protection de la société est le critère prépondérant lors de l’application du processus correctionnel;

[10] L’art. 3 de la Loi est ainsi conçu :

3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, … en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

[11] 102. (1) Le directeur du pénitencier doit veiller à ce qu’un plan correctionnel soit élaboré avec le détenu le plus tôt possible après son admission au pénitencier et qu’un suivi de ce plan soit fait avec le détenu afin de lui assurer les meilleurs programmes aux moments opportuns pendant l’exécution de sa peine dans le but de le préparer à sa réinsertion sociale à titre de citoyen respectueux des lois.

[12] Voici le texte de l’art. 71(1) de la Loi :

71. (1) Dans les limites raisonnables fixées par règlement pour assurer la sécurité de quiconque ou du pénitencier, le Service reconnaît à chaque détenu le droit, afin de favoriser ses rapports avec la collectivité, d’entretenir, dans la mesure du possible, des relations, notamment par des visites ou de la correspondance, avec sa famille, ses amis, ou d’autres personnes de l’extérieur du pénitencier.

[13] Le texte de la disposition pertinente du Règlement est le suivant :

94. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le directeur du pénitencier ou l’agent désigné par lui peut autoriser par écrit que des communications entre le détenu et un membre du public soient interceptées de quelque manière que ce soit par un agent ou avec un moyen technique, notamment que des lettres soient ouvertes et lues et que des conversations faites par téléphone ou pendant les visites soient écoutées, lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire :

a) d’une part, que la communication contient ou contiendra des éléments de preuve relatifs :

(i) soit à un acte qui compromettrait la sécurité du pénitencier ou de quiconque …

b) d’autre part, que l’interception des communications est la solution la moins restrictive dans les circonstances.

[14] [1986] 1 R.C.S. 103.

[15] Transcription de l’audience, à la p. 64.

[16] Pièce D-3, à la p. 001.

[17] Pièce D-3, à la p. 002.

[18] Pièce D-3, à la p. 003.

[19] Pièce D-3, à la p. 003.

[20] Transcription de l’audience, à la p. 78.

[21] Transcription de l’audience, à la p. 79.

[22] Transcription de l’audience, à la p. 79.

[23] Pièce D-3, à la p. 005.

[24] Transcription de l’audience, à la p. 81.

[25] Pièce D-3, à la p. 006.

[26] Pièce D-4, à la p. 007.

[27] Pièce D-4, à la p. 008.

[28] Pièce D-5.

[29] Pièce D-5, à la p. 15.

[30] Transcription de l’audience, à la p. 94.

[31] Pièce D-5, à la p. 16.

[32] Transcription de l’audience, aux p. 97 et 98.

[33] Transcription de l’audience, à la p. 97.

[34] Transcription de l’audience, à la p. 98.

[35] Pièce D-7.

[36] Transcription de l’audience, aux p. 107 et 108.

[37] Transcription de l’audience, aux p. 113 et 114.

[38] Pièce D-10, annexe 2.

[39] Pièce D-10.

[40] Transcription de l’audience, aux p. 164 à 166.

[41] Transcription de l’audience, aux p. 167 et 168.

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