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[1997] 3 C.F. 103

A-613-94

Ministre du Revenu national (appelant) (défendeur)

c.

Ford Motor Company of Canada, Limited (intimée) (demanderesse)

Répertorié : Ford Motor Co. of Canada, Ltd. c. M.R.N. (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Linden et McDonald, J.C.A.—Toronto, 5 mars; Ottawa, 25 avril 1997.

Douanes et accise Loi sur la taxe d’accise Fabrication marginaleL’intimée n’était pas fabricant ou producteur de véhicules importés au sens de la Loi sur la taxe d’accise La préparation et le conditionnement des véhicules faits chez les concessionnaires ne constituent pas de la fabrication au sens de la Loi et n’étaient pas effectués par les concessionnaires pour le compte de l’intiméeLes opérations effectuées par les concessionnaires ne préparaient pas les véhicules pour la vente, étant donné que l’intimée les avait alors déjà vendu aux concessionnairesLe traitement fiscal accordé aux autres importateurs par le ministre n’est pas pertinent quand à l’assujettissement de l’intimée à la taxe.

Ford du Canada importait chez ses concessionnaires Ford du Canada des voitures et des camions légers de sa société mère américaine. Aux termes du contrat de vente que Ford du Canada concluait avec chacun de ses concessionnaires, la préparation et le conditionnement restaient à faire lors de la livraison des véhicules aux concessionnaires. Ce travail devait être fait par chaque concessionnaire après la livraison mais avant la revente. Parmi les opérations à effectuer, il y avait la vérification du moteur, de la carrosserie et du châssis, l’essai sur route, l’inspection visuelle et l’installation des articles expédiés en vrac comme les phares antibrouillard, les antennes, les microphones de radio BP, les allume-cigares, les essuie-pieds, les cache-roues et les enjoliveurs, les supports de plaques d’immatriculation, les porte-bagages et les pare-chocs marchepieds.

Ford du Canada payait sur ces véhicules importés une taxe de vente calculée en fonction de la valeur à l’acquitté. En raison du taux de change en vigueur à l’époque, le montant de la taxe imposée sur le prix de vente aurait été beaucoup moins élevé que s’il avait été calculé d’après la valeur à l’acquitté. Ford du Canada a demandé au ministère du Revenu d’être considérée comme étant visée par la définition élargie du « fabricant ou producteur » contenue à l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur la taxe d’accise de manière à payer la taxe en fonction du prix de vente au Canada des véhicules importés plutôt qu’en fonction de la valeur à l’acquitté de ceux-ci. Le litige portait sur des demandes de remboursement de près de 32 000 000 $ se rapportant à la taxe de vente payée par l’intimée sur la valeur à l’acquitté de 366 000 véhicules qu’elle avait importés des États-Unis et qu’elle avait vendus à ses concessionnaires au Canada entre janvier 1981 et février 1984.

Le juge de première instance a donné gain de cause à Ford du Canada et a déclaré qu’elle était le fabricant de tous les véhicules de tourisme en question. Il a conclu que certains inspections, ajustements, modifications et essais effectués dans le cadre de la préparation et du conditionnement constituaient manifestement une étape importante de la préparation des véhicules pour la vente. Il a également jugé que les opérations en question avaient été effectuées pour le compte de Ford du Canada et que les concessionnaires ne constituaient pas des magasins de détail, de sorte que Ford du Canada n’était pas assujettie pour ce motif à l’exclusion contenue dans la définition modifiée. Il a ajouté que la preuve ne permettait pas de conclure que la demande n’avait pas été dûment prise en considération. Finalement, le juge de première instance a conclu que le coût du transport des véhicules importés jusqu’à l’établissement des concessionnaires constituait un coût engagé pour livrer les marchandises et non un coût inhérent à la fabrication des marchandises. Le ministre a interjeté appel de la partie du jugement dans laquelle le juge de première instance avait conclu que l’intimée était un fabricant ou un producteur. Ford du Canada soutenait, dans son appel incident, que, si elle n’obtenait pas gain de cause, le ministre avait agi de façon injuste en rejetant la demande par laquelle elle lui demandait, en vertu du paragraphe 26.1(1), d’être considérée comme un fabricant.

Arrêt : l’appel du ministre devrait être accueilli et l’appel incident de Ford du Canada devrait être rejeté.

Pour pouvoir répondre à la définition élargie du « fabricant ou producteur », Ford du Canada devait démontrer (1) que la préparation et le conditionnement effectués par les concessionnaires Ford étaient visés par l’expression « qui prépare des marchandises pour la vente » et qu’on pouvait par conséquent considérer pour cette raison que les concessionnaires faisaient de la fabrication; (2) que les concessionnaires effectuaient la préparation et le conditionnement au nom de Ford du Canada; (3) que les opérations effectuées par les concessionnaires préparaient les marchandises pour la vente; (4) qu’elle n’était pas exclue de la définition élargie en raison du fait que les opérations étaient effectuées « dans un magasin de détail afin de les y vendre exclusivement et directement aux consommateurs ».

(1) Les opérations effectuées par les concessionnaires Ford ne constituaient pas de la fabrication ou de la production au sens de l’alinéa 2(1)f). Les opérations effectuées par les concessionnaires Ford étaient presque entièrement esthétiques et étaient mineures. On ne peut étirer le sens courant du mot « fabriquer » au point de le dénaturer. Finalement, si l’on applique le principe ejusdem generis, on ne peut considérer que les activités des concessionnaires canadiens tombent sous le coup de l’alinéa 2(1)f). Bien que ces conclusions suffisaient pour trancher l’affaire, d’autres questions ont été examinées.

(2) Les opérations n’étaient pas effectuées pour le compte de Ford du Canada. La nature juridique du rapport qui existait entre Ford du Canada et ses concessionnaires était de toute évidence de la nature d’une vente plutôt que d’un mandat. Le contrat de vente et de service stipulait expressément qu’il n’existait pas de mandat entre Ford du Canada et les concessionnaires. En outre, la dévolution du titre de propriété du véhicule de Ford du Canada aux concessionnaires se produisait au moment où le véhicule était livré aux concessionnaires. Tout travail effectué par le concessionnaire après cette date était donc exécuté sur un véhicule qui appartenait au concessionnaire lui-même et non plus à Ford du Canada. La clause relative au « service avant livraison » qui était prévue dans le contrat de vente et de service établissait de toute évidence un lien entre, d’une part, l’exécution des travaux de préparation et de conditionnement et, d’autre part, la préparation d’un véhicule pour livraison par le concessionnaire. Elle ne précisait pas que les travaux effectués par le concessionnaire devaient être faits pour le compte de Ford du Canada. Bien que Ford du Canada ait incontestablement conservé un intérêt en ce qui concerne la satisfaction des acheteurs au détail, il n’en demeure pas moins qu’il n’existait aucun « mandat » entre Ford du Canada et les concessionnaires pour l’exécution des opérations.

(3) Les opérations n’étaient pas effectuées en vue de la vente. Vu l’ensemble des faits de la présente affaire, les concessionnaires devenaient les propriétaires des véhicules importés dès qu’ils arrivaient chez les concessionnaires et, par conséquent, ces derniers ne pouvaient avoir effectué les opérations de préparation et de conditionnement pour la vente, au sens où ce terme est employé dans l’alinéa en question. Le juge de première instance a commis une erreur en interprétant le mot « vente » que l’on trouve à l’alinéa 2(1)f), comme s’entendant d’une vente au détail. De toute évidence, la disposition fiscale (l’alinéa 27(1)a)) vise essentiellement la vente par la fabricant ou le producteur.

(4) L’exception relative aux magasins de détail n’a pas été examinée.

Compte tenu de ces conclusions, il n’était pas nécessaire de se demander si Ford du Canada continuait, en tant que fabricant, à avoir droit à cette exclusion, ou si le montant du remboursement demandé par Ford du Canada devait être diminué de la taxe de vente applicable aux frais de transport engagés pour expédier les véhicules des États-Unis aux concessionnaires Ford canadiens.

Le ministre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon irrégulière en rejetant la demande de Ford du Canada. L’acte accompli conformément à un vaste pouvoir légal doit l’être de façon raisonnable (Cie de fiducie régionale c. Canada (surintendant des assurances), [1987] 2 C.F. 271(C.A.)). La demande de Ford du Canada a été dûment et convenablement prise en considération pour le compte du ministre. Le sous-ministre pouvait raisonnablement conclure qu’il devait rejeter la demande pour le motif que, s’il y faisait droit, il en résulterait une réduction des recettes perçues par l’État fédéral. Il n’y a aucune raison de réformer cette décision. Finalement, le traitement accordé à d’autres importateurs par le ministre (Chrysler Canada et American Motors Canada) sous le régime de la Loi n’est pas pertinent lorsqu’il s’agit d’évaluer la façon dont le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire en l’espèce. Il incombe au contribuable de prouver qu’il satisfait lui-même aux conditions prévues par la Loi.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1.

Loi modifiant la Loi sur la taxe d’accise et la Loi sur l’accise et prévoyant un impôt sur les revenus pétroliers, S.C. 1980-81-82-83, ch. 68.

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 81.19 (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 38).

Loi sur la taxe d’accise, S.R.C. 1970, ch. E-13, art. 2(1)f) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 68, art. 1; 1985, ch. 3, art. 1) « fabricant ou producteur », (4) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 68, art. 1), 26(6) (mod., idem, art. 8), 26.1(1) (édicté idem, art. 9), 27(1)(a).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Hawkes et al. c. La Reine (1996), 97 DTC 5060 (C.A.F.); Tee-Comm Electronics Inc. c. Ministre du Revenu national, [1995] T.C.C.E. no 24 (QL); Smed Manufacturing Inc. c. Ministre du Revenu national, [1994] T.C.C.E. no 84 (QL); Roberts v. Hopwood, [1925] A.C. 578 (H.L.); Cie de fiducie régionale c. Canada (surintendant des assurances), [1987] 2 C.F. 271 (1987), 34 D.L.R. (4th) 432; 72 N.R. 194 (C.A.); Ford Motors Co. du Canada c. M.R.N., [1991] F.C.J. no 410 (1re inst.) (QL); Harvey C. Smith Drugs Ltd. c. Canada, [1995] 1 C.T.C. 143; (1994), 95 DTC 5026; 178 N.R. 34 (C.A.F.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Fiat Auto Canada Ltd c La Reine, [1983] CTC 432 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

The Queen v. York Marble, Tile and Terrazzo Limited, [1968] R.C.S. 140; (1967), 65 D.L.R. (2d) 449; [1968] C.T.C. 44; 68 DTC 5001; Sunbeam Corp. (Canada) Ltd. c. Canada, [1994] 1 C.T.C. 294; (1993), 71 F.T.R. 199 (C.F. 1re inst.).

DOCTRINE

Canada. Ministère des Finances. Documents budgétaires. Avis de motion de voies et moyens et renseignements complémentaires sur le budget, 28 octobre 1980.

APPEL d’un jugement par lequel la Section de première instance a conclu ((1994), 85 F.T.R. 116 (1re inst.)) que la préparation et le conditionnement effectués par les concessionnaires de Ford du Canada sur des véhicules importés permettaient de considérer Ford du Canada comme un fabriquant ou un producteur au sens de l’alinéa 2(1)f) de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’appel est accueilli.

AVOCATS :

Michael F. Ciavaglia, Edward Livingstone pour l’appelant (défendeur).

Joe W. Mik, Lisa S. Corne pour l’intimée (demanderesse).

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada, pour l’appelant (défendeur).

Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour l’intimée (demanderesse).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Les juges Linden et McDonald, J.C.A. : La question en litige dans le présent appel est celle de savoir si la société Ford du Canada Limitée (Ford du Canada) aurait dû être considérée comme répondant à la définition élargie du « fabricant ou producteur » contenue à l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur la taxe d’accise[1] (la Loi) pour le calcul de la taxe payable sur ses véhicules importés. L’alinéa 2(1)f) disposait :

2. (1) Dans la présente loi

« fabricant ou producteur » comprend

f) toute personne, ou une autre personne agissant pour le compte de celle-ci, qui prépare des marchandises pour la vente, notamment en les assemblant, fusionnant, mélangeant, coupant sur mesure, diluant, embouteillant, emballant ou remballant, à l’exclusion d’une personne qui prépare ainsi des marchandises dans un magasin de détail afin de les y vendre exclusivement et directement aux consommateurs.

Le paragraphe 2(4) [mod., idem] de la Loi précisait en outre que :

2.

(4) Pour l’application de la présente loi, les marchandises importées par une personne visée à l’alinéa f) de la définition de « fabricant ou producteur » au paragraphe (1) qui sont préparées au Canada, notamment en les assemblant, fusionnant, mélangeant, coupant sur mesure, diluant, embouteillant, emballant ou remballant, afin d’être vendues par cette personne ou pour son compte, sont réputées être produites ou fabriquées au Canada et ne pas être des marchandises importées.

À compter du 1er janvier 1981, la définition du « fabricant ou producteur » contenue dans la Loi a été élargie pour englober ce qu’on appelle généralement les « fabricants marginaux »[2]. La modification visait à corriger ce que le gouvernement estimait être l’iniquité découlant des points d’imposition différents applicables aux importateurs et aux fabricants canadiens[3]. Avant cette modification, les importateurs payaient une taxe calculée en fonction de la valeur à l’acquitté des marchandises, et ils n’étaient assujettis à aucune taxe pour le travail effectué sur les marchandises une fois qu’elles étaient importées au Canada. En revanche, les fabricants canadiens, qui effectuaient souvent tout le travail eux-mêmes, payaient une taxe calculée en fonction du prix de vente des biens manufacturés et ne pouvaient se soustraire à la taxe imposée sur la valeur qui était ajoutée aux marchandises par suite des travaux de finition effectués en vue de la vente. Les conséquences discriminatoires de cette iniquité étaient doubles, selon les documents budgétaires déposés pour présenter la modification[4] :

D’abord, les fabricants qui effectuent eux-mêmes ces opérations sont désavantagés par rapport à ceux qui vendent leur production en vrac, non assemblée ou non emballée. Ensuite, les producteurs canadiens sont désavantagés par rapport aux importateurs, ces activités marginales étant plus fréquentes dans le cas des articles importés.

Au moment de l’entrée en vigueur de la modification, Ford du Canada importait chez ses concessionnaires Ford du Canada des voitures et des camions légers (les véhicules) de sa société mère américaine. Aux termes du contrat de vente que Ford du Canada concluait avec chacun de ses concessionnaires, « la préparation et le conditionnement » restaient à faire lors de la livraison des véhicules aux concessionnaires[5]. Ce travail devait être fait par chaque concessionnaire après la livraison mais avant la revente. Le prix de base du véhicule comprenait le coût de « la préparation et du conditionnement » pour lesquels les concessionnaires étaient remboursés par Ford du Canada à un taux uniformisé. La nature des opérations à effectuer était précisée point par point dans un aide-mémoire type appelé [traduction] « fiche de contrôle avant livraison ». Parmi les opérations à effectuer, mentionnons la vérification du capot, de la carrosserie et du châssis, l’essai sur route, l’inspection visuelle et l’installation des articles expédiés en vrac comme les phares antibrouillard, les antennes, les microphones de radio BP, les allume-cigares, les essuie-pieds, les cache-roues et les enjoliveurs, les supports de plaques d’immatriculation, les porte-bagages et les pare-chocs marchepieds[6]. Ford du Canada payait sur ces véhicules importés une taxe de vente calculée en fonction de la valeur à l’acquitté. En raison du taux de change élevé de la devise américaine par rapport à la devise canadienne à l’époque, le montant de la taxe imposée sur le prix de vente des marchandises importées au Canada aurait été beaucoup moins élevé que le montant de la taxe calculée d’après la valeur à l’acquitté.

Dans les observations préalables qu’elle a présentées au ministère du Revenu, Ford du Canada a adopté le point de vue selon lequel elle aurait dû être considérée comme tombant sous le coup de l’alinéa 2(1)f), dans sa version modifiée, de sorte qu’elle aurait dû pouvoir bénéficier du prix de vente moins élevé pour le calcul de la taxe de vente[7]. Par la suite, dans une lettre datée du 7 avril 1981, Revenu Canada a répondu à cette demande en déclarant que Ford du Canada était exclue de la définition du « fabricant ou producteur » parce que les concessionnaires qui effectuaient le travail exploitaient des magasins de détail[8]. À la suite de cette lettre, Ford du Canada a, par lettre datée du 22 septembre 1981, demandé au sous-ministre, Revenu Canada, Douanes et Accise, en vertu du paragraphe 26.1(1) [édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 68, art. 9] de la Loi, d’être considérée comme étant le fabricant ou le producteur de ses véhicules importés au motif que ceux-ci appartenaient à la même catégorie que ceux qu’elle fabriquait au Canada[9]. Revenu Canada a rejeté cette demande[10]. En conséquence, Ford du Canada a payé la taxe de vente sur ses véhicules importés conformément à la position adoptée par Revenu Canada, mais a par la suite demandé d’être remboursée de la taxe de vente qu’elle affirmait avoir payée en trop sur les 366 000 véhicules qu’elle avait importés entre le 1er janvier 1981, date d’entrée en vigueur de la modification, et le 29 février 1984, date à laquelle l’alinéa 2(1)f) a de nouveau été modifié[11].

Décision du juge de première instance

Le juge de première instance [(1994), 85 F.T.R. 116, à la page 142] a donné gain de cause à Ford du Canada et a déclaré que « Ford du Canada est le fabricant de tous les véhicules de tourisme et camions légers qu’elle a importés des États-Unis entre le 1er janvier 1981 et le 29 février 1984, qui ont été vendus par elle à ses concessionnaires et à l’égard desquels la préparation et le conditionnement ont été effectués par ces concessionnaires avant la livraison des véhicules aux consommateurs ».

Le juge de première instance a conclu que [à la page 136], bien que les opérations effectuées à l’occasion de « la préparation et du conditionnement » ne fussent « pas élaborées, s’agissant notamment de l’installation d’enjoliveurs, d’allume-cigares, d’antennes radio et, dans certains cas plus rares, de porte-bagages, de pare-chocs marchepieds et d’« équipement de performance » … les autres inspections, ajustements, modifications et essais effectués dans le cadre de la préparation et du conditionnement constituaient manifestement une étape importante de la préparation des véhicules pour la vente ».

Il a également jugé que les opérations en question avaient été effectués pour le compte de Ford du Canada qui, selon lui, établissait de manière très détaillée le travail à faire et qui contrôlait indirectement son exécution par le biais des réclamations formulées sur le fondement de la garantie après la livraison. Il a ajouté que le coût de la préparation et du conditionnement était inclus dans le prix facturé aux concessionnaires, qui étaient par la suite remboursés pour les travaux effectués.

Le juge de première instance a conclu en outre que les concessionnaires Ford ne constituaient pas des magasins de détail, de sorte que Ford du Canada n’était pas assujettie pour ce motif à l’exclusion contenue dans la définition modifiée. Il a constaté que la salle d’exposition des voitures neuves n’occupait qu’une petite partie de la superficie des locaux des concessionnaires par rapport à celle qu’occupaient le service de vente des voitures d’occasion et le service des pièces et de l’entretien, et qu’elle ne constituait pas la principale source de revenu des concessionnaires. Pour en arriver à cette conclusion, le juge de première instance a également mentionné le fait que le public n’avait pas accès au service des pièces ou au service de l’entretien des concessionnaires.

Le juge de première instance a jugé mal fondé le moyen de Ford du Canada selon lequel la demande qu’elle avait présentée en vertu du paragraphe 26.1(1) de la Loi n’avait pas été dûment prise en considération. Ce paragraphe permet au fabricant qui est muni d’une licence et qui est visé à l’alinéa 2(1)f) de la Loi d’obtenir que toutes les autres marchandises qu’il vend soient considérées comme appartenant à la même catégorie que les marchandises qu’il prépare pour la vente. Le juge de première instance a conclu qu’il n’existait pas de critères sur lesquels le ministre pouvait se guider pour prendre une telle décision. Il a ajouté que la preuve ne permettait pas de conclure que la demande n’avait pas été dûment prise en considération. Le juge de première instance a estimé qu’il était loisible au ministre [à la page 140] « de rejeter la demande pour le motif que, s’il y faisait droit, il en résulterait une réduction des recettes perçues par l’État fédéral ».

Finalement, et contrairement aux prétentions de l’appelant, le juge de première instance a conclu que le coût du transport des véhicules importés jusqu’à l’établissement des concessionnaires constituait un coût engagé pour livrer les marchandises et non un coût inhérent à la fabrication des marchandises. Les frais en question avaient constamment été considérés comme des « frais de transport en aval » et étaient inscrits comme un prix distinct sur la facture de chaque véhicule. En conséquence, le juge de première instance a conclu que le paragraphe 26(6) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 68, art. 8] de la Loi devait s’appliquer au coût du transport, qui pouvait être exclu du calcul du montant de la taxe de vente exigible en vertu de la Loi.

Questions en litige en appel

Pour répondre à la définition élargie du « fabricant ou producteur », Ford du Canada doit obtenir gain de cause sur quatre points. Elle doit d’abord prouver que la préparation et le conditionnement effectués par les concessionnaires Ford sont visés par l’expression « qui prépare des marchandises pour la vente » et qu’on peut par conséquent considérer pour cette raison qu’ils font de la fabrication. Deuxièmement, elle doit démontrer que les concessionnaires effectuaient la préparation et le conditionnement au nom de Ford du Canada[12]. Troisièmement, Ford du Canada doit établir que les opérations effectuées par les concessionnaires préparent les marchandises pour la vente. Quatrièmement, et finalement, elle doit prouver que Ford du Canada n’est pas exclue de la définition élargie en raison du fait que les opérations en question sont effectuées « dans un magasin de détail afin de les y vendre exclusivement et directement aux consommateurs ».

Le ministre adopte le point de vue selon lequel, si elle obtient gain de cause sur chacun de ces éléments, Ford du Canada n’aurait pas dû pouvoir déduire le coût du transport des véhicules jusqu’aux établissements des concessionnaires de la somme sur laquelle la taxe exigible est calculée, et que le remboursement devrait être diminué de la taxe de vente applicable à ses frais de transport.

Si elle n’obtient pas gain de cause sur l’un de ces quatre éléments, Ford du Canada soutient toutefois dans son appel incident que le ministre a agi de façon injuste en rejetant la demande par laquelle elle lui demandait, en vertu du paragraphe 26.1(1), d’être considérée comme le fabricant de tous les véhicules appartenant à la même catégorie que ceux qu’elle prépare pour la vente au sens de l’alinéa 2(1)f).

Analyse

Pour les motifs qui suivent, nous concluons que le présent appel devrait être accueilli. Nous examinerons à tour de rôle chacun des quatre éléments de l’alinéa 2(1)f).

(1) Ford du Canada fabrique-t-elle ses véhicules importés?

(i) Les opérations effectuées par les concessionnaires Ford constituent-elles de la fabrication ou de la production au sens de l’alinéa 2(1)f)?

L’appelant adopte le point de vue selon lequel les opérations effectuées par les concessionnaires Ford ne constituent pas de la fabrication ou de la production au sens de l’alinéa 2(1)f). À l’appui de sa thèse, l’appelant exhorte la Cour à interpréter le terme « fabriquer » selon son sens courant. Suivant l’appelant, les opérations effectuées par les concessionnaires canadiens doivent avoir pour effet de donner aux véhicules de nouvelles formes, qualités ou propriétés pour que les véhicules puissent à bon droit être considérés comme ayant été fabriqués au Canada. L’appelant affirme en outre que les véhicules sont des produits finis lorsqu’ils quittent les États-Unis et qu’ils ne font donc pas l’objet d’autres opérations de fabrication ou de production au Canada. Les activités entreprises par les concessionnaires au Canada n’équivalent qu’à des installations et à des ajustements mineurs et elles ne sont pas suffisantes pour permettre à la contribuable de prétendre qu’elle faisait de la fabrication.

En réponse, Ford du Canada affirme que le libellé de l’alinéa 2(1)f) devrait être interprété largement. En d’autres termes, à l’alinéa 2(1)f), le législateur voulait donner un sens élargi au terme « fabriquer ». À l’appui de cet argument, l’intimé appelle l’attention de la Cour sur plusieurs notes de service de Revenu Canada, ainsi que sur des décisions intéressant la Chrysler Canada et American Motors. Ces documents appuient la proposition que Revenu Canada considérait comme de la fabrication les activités exercées par les concessionnaires après la livraison des véhicules importés.

Il est de jurisprudence constante que notre Cour n’est pas liée par les notes de service de Revenu Canada. Qui plus est, Revenu Canada n’est pas irrecevable à procéder d’une certaine manière ni tenu de procéder d’une certaine façon en raison du traitement qu’elle a accordé à des contribuables se trouvant dans une situation semblable[13]. Ainsi, bien que les notes de service et les décisions soient instructives, elles n’ont pas d’effet déterminant sur la question.

L’intimée voudrait que l’on considère que ses activités sont visées par l’expression « qui prépare des marchandises pour la vente ». À notre avis, les opérations effectuées par les concessionnaires Ford ne constituent pas de la fabrication ou de la production au sens de l’alinéa 2(1)f), étant donné que ces opérations sont presque entièrement esthétiques et qu’elles sont mineures. Il n’est pas possible que le législateur ait voulu que des activités aussi mineures que celles qu’effectuent les concessionnaires dans le cas qui nous occupe soient considérées comme de la fabrication, même en donnant à ce terme son interprétation la plus large.

Dans l’arrêt Harvey C. Smith Drugs Ltd. c. Canada[14], notre Cour a eu l’occasion d’examiner ce qui constitue de la fabrication, dans le contexte toutefois de la Loi de l’impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1]. Dans cette affaire, un pharmacien demandait à être considéré comme un fabricant au motif qu’il fabriquait ou transformait des marchandises. Le pharmacien procédait notamment au triage de pilules, au remballage de pilules dans des bouteilles plus petites munies de couvercles de sécurité et à l’impression d’étiquettes. Le juge d’appel Desjardins, qui s’exprimait au nom de la Cour, a statué que ces activités ne constituaient pas de la fabrication ou de la transformation. À son avis, pour qu’on puisse considérer qu’un objet est « fabriqué » par une personne, il faut qu’il acquière de nouvelles formes, qualités ou propriétés par suite de l’activité de cette personne. Cette façon de voir est conforme à celle que la Cour suprême du Canada a retenue dans l’arrêt The Queen v. York Marble, Tile and Terrazzo Limited[15].

Le libellé de la disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu qui était en cause dans l’affaire Harvey C. Smith était incontestablement plus étroit que celui de la disposition de la Loi qui est à l’examen en l’espèce. Ceci étant dit, nous constatons que l’alinéa 2(1)f) figure sous la rubrique « fabricant ou producteur ». Sur le simple plan de l’interprétation des lois, la rubrique doit nous donner des indices sur le champ d’application de l’alinéa. On ne peut étirer le sens courant du mot « fabriquer » au point de le dénaturer.

Les deux parties nous ont cité le jugement Fiat Auto Canada Ltd c La Reine[16]. Dans cette affaire, la Cour a jugé que l’installation de radios dans des automobiles ne constituait pas de la fabrication au sens de l’alinéa 2(1)f). Pour en arriver à cette conclusion, le juge de première instance a appliqué le principe ejusdem generis et a interprété l’expression « qui prépare des marchandises pour la vente » en tenant compte de la liste d’activités qui suivait. Il a conclu que, dans cette affaire, l’installation de radios ne faisait pas partie des types d’activités visées par la disposition.

En l’espèce, les concessionnaires Ford ont entrepris diverses activités qu’on ne peut, à notre avis, considérer comme entrant dans le champ d’application de l’alinéa 2(1)f). Malgré son libellé un peu plus large, nous ne sommes pas d’accord pour dire que l’alinéa 2(1)f) englobe des activités comme celles qui ont été effectuées en l’espèce. Si l’on applique le principe ejusdem generis, on ne peut considérer que les activités des concessionnaires canadiens tombent sous le coup de l’alinéa 2(1)f).

(ii)        Les opérations ont-elles été effectuées pour le compte de Ford du Canada?

L’appelant soutient que la préparation et le conditionnement effectués par les concessionnaires Ford n’auraient pas pu être faits pour le compte de Ford du Canada parce qu’aucune relation de mandat n’existait entre Ford du Canada et les concessionnaires. Les opérations intervenues entre Ford du Canada et les concessionnaires étaient plutôt des ventes conclues conformément à des ententes qui prévoyaient expressément que les concessionnaires n’agissaient pas pour le compte de Ford du Canada. L’appelant invoque également le fait que la vente des véhicules importés aux concessionnaires survenait au moment où les véhicules étaient livrés aux concessionnaires. En conséquence, toute préparation et tout conditionnement étaient effectués après la conclusion de la vente et ne pouvaient avoir été effectués pour le compte de Ford du Canada.

L’intimée soutient que les travaux précisés par Ford du Canada, dont l’exécution était imposée par contrat en tant que condition de la vente et dont le coût était remboursé par Ford du Canada, sont des travaux qui étaient effectués pour le compte de Ford du Canada. L’intimé soutient en outre qu’il était dans l’intérêt fondamental de Ford du Canada de s’assurer que la préparation et le conditionnement soient effectués conformément à des normes uniformes et précises et elle ajoute que Ford du Canada était en mesure de s’assurer que les concessionnaires se conforment à ces normes par le biais des réclamations formulées sur le fondement de la garantie après livraison. Pour démontrer que la position actuelle du ministre est contradictoire, l’intimée invoque par ailleurs une décision en date du 6 décembre 1977 par laquelle Revenu Canada a décidé que la préparation et le conditionnement effectués par les concessionnaires sur les véhicules canadiens de Ford du Canada étaient effectués pour le compte de Ford du Canada.

Bien qu’il ne soit pas nécessaire que nous abordions cette question, nous souscrivons aux arguments invoqués par l’appelant sur cette question. Bien qu’il fût indubitablement dans l’intérêt de Ford du Canada de s’assurer que ses voitures, qui étaient par la suite revendues aux consommateurs, soient bien finies, cet intérêt ne l’emporte pas sur la nature juridique du rapport qui existait entre Ford du Canada et ses concessionnaires et qui était de toute évidence de la nature d’une vente plutôt que d’un mandat.

Plusieurs facteurs démontrent que les opérations effectuées par les concessionnaires Ford n’étaient pas exécutées pour le compte de Ford du Canada en tant que fabricant, mais plutôt en vue de la vente des véhicules en question par les concessionnaires Ford à des consommateurs. En premier lieu, le contrat de vente et de service stipule expressément qu’il n’existe pas de mandat entre Ford du Canada et les concessionnaires[17] :

[traduction] 14. Le présent contrat ne crée d’aucune façon un rapport de mandant et de mandataire entre la société et le concessionnaire, et le concessionnaire ne doit en aucun cas être considéré comme le mandataire de la société. Le concessionnaire ne doit pas agir ou tenter d’agir ou se présenter, directement ou implicitement, comme le mandataire de la société ou prendre à sa charge ou créer de quelque façon que ce soit des obligations pour le compte ou au nom de la société.

Bien qu’une telle déclaration d’intention dans une disposition comme celle-ci ne lie pas la Cour, elle constitue un élément de preuve tendant à démontrer le rapport que les parties au contrat avaient l’intention de créer. En l’espèce, elle indique à la Cour une volonté ferme de s’assurer que les concessionnaires Ford ne croient pas à tort qu’ils avaient le droit d’agir au nom de Ford du Canada. Vu cette disposition non ambiguë, la thèse de l’intimé suivant laquelle la préparation et le conditionnement étaient néanmoins effectués pour le compte de Ford du Canada est mal fondée.

En deuxième lieu, la dévolution du titre de propriété du véhicule de Ford du Canada aux concessionnaires se produisait au moment où le véhicule était effectivement livré aux concessionnaires. Toutefois, comme il était impossible de déterminer avec précision le moment où un véhicule arrivait chez le concessionnaire, Ford du Canada inscrivait les ventes, sur le plan comptable, en tenant compte d’une [traduction] « période de transit estimée », c’est-à-dire en essayant de déterminer la date approximative à laquelle le véhicule était effectivement livré. Cette façon de procéder est précisée dans une lettre en date du 16 mars 1979 dans laquelle sont énoncées les [traduction] « conditions révisées de vente des véhicules »[18] :

[traduction] 1. Légalement, la vente ou le début de la période de consignation des véhicules a lieu au moment où les véhicules vous sont effectivement livrés ou envoyés au lieu d’expédition désigné.

2. Comme il n’existe pas de méthode pratique qui nous permette de déterminer avec précision le moment où chaque véhicule est livré, étant donné que les livraisons sont continues, la vente ou le début de la période de consignation seront inscrites, sur le plan comptable, en tenant compte de la période de transit estimée. Ce procédé est déjà utilisé dans vos livres pour établir vos dates d’exigibilité.

En conséquence, malgré le fait qu’il était possible qu’une vente soit inscrite, sur le plan comptable, comme ayant eu lieu après la livraison d’un véhicule au concessionnaire, comme la lettre le prévoit, le concessionnaire devenait le propriétaire légal du véhicule au moment où celui-ci arrivait effectivement chez lui. Ce fait est important parce que tout travail effectué par le concessionnaire après cette date était exécuté sur un véhicule qui appartenait au concessionnaire lui-même et non plus à Ford du Canada. Il est contraire au sens évident de l’expression de prétendre que la préparation et le conditionnement étaient effectués « pour le compte de » Ford du Canada, alors que celle-ci n’était plus la propriétaire légale du véhicule. Cette conclusion s’accorde avec la thèse de Revenu Canada selon laquelle [traduction] « les marchandises sont produites pour le compte d’une autre personne lorsque cette personne possède ou contrôle les marchandises qui sont emballées, embouteillées, assemblées, etc. »[19]. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

Troisièmement, le contrat de vente et de service des concessionnaires de Ford du Canada Limitée (le contrat de vente et de service) précisait ce qui suit, sous la rubrique [traduction] « obligations en matière de service »[20] :

[traduction] 4.a) Service avant livraison. Le concessionnaire exécute ou se charge de faire exécuter avant la livraison l’inspection, le conditionnement et la réparation prescrits pour chaque VÉHICULE dans les livrets applicables d’inspection et de conditionnement avant livraison fournis par la société au concessionnaire. Le concessionnaire tient ou se charge de faire tenir des registres suffisants pour tous les travaux d’inspection, de conditionnement et de réparation avant livraison effectués par le concessionnaire ou pour son compte.

Cette clause établissait de toute évidence un lien entre, d’une part, l’exécution des travaux de préparation et de conditionnement et, d’autre part, la préparation d’un véhicule pour livraison par le concessionnaire. Elle ne précisait pas que les travaux effectués par le concessionnaire devaient être faits pour le compte de Ford du Canada. Il ne pouvait en être ainsi, parce que la vente conclue entre Ford du Canada et le concessionnaire avait déjà eu lieu au moment où le concessionnaire commençait ses travaux de préparation et de conditionnement sur le véhicule, travaux qu’il effectuait pour lui-même et non pour Ford du Canada.

Dans sa plaidoirie, l’avocat de l’intimée cite la décision du 6 décembre 1977 par laquelle Revenu Canada a jugé que Ford du Canada n’avait pas le droit de déduire de sa taxe de vente les remboursements accordés à ses concessionnaires pour les travaux de préparation et de conditionnement effectués par ceux-ci sur des véhicules fabriqués au Canada[21]. L’intimée soutient que la position actuelle du ministre contredit cette décision de 1977, lorsqu’on compare sa position actuelle avec celle qu’il défend au sujet des opérations effectuées par les concessionnaires Ford sur des véhicules fabriqués au pays. Nous estimons toutefois qu’on ne peut comparer la décision de 1977 avec la position actuelle du ministre comme le fait l’intimée. Dans sa décision de 1977, le ministre s’est prononcé sur les opérations effectuées par les concessionnaires sur des véhicules fabriqués au Canada. Or, la position actuelle du ministre concerne Ford du Canada en tant qu’importateur, et non à titre de fabricant canadien, et elle vise à répondre à un objectif législatif déterminé qui cherche à concilier les caractéristiques différentes des importateurs et des fabricants canadiens. Le contexte différent dans lequel chacune de ces positions s’inscrit rend toute comparaison boiteuse.

Pour ces motifs, nous concluons que, bien que Ford du Canada ait incontestablement conservé un intérêt en ce qui concerne la vente de véhicules Ford par des concessionnaires à des acheteurs au détail, il n’en demeure pas moins qu’il n’existait aucun « mandat » entre Ford du Canada et les concessionnaires pour l’exécution des opérations. Les opérations étaient effectuées par chaque concessionnaire dans le but d’augmenter le nombre et la qualité de ses propres ventes au détail. La participation de Ford du Canada relativement à la préparation et au conditionnement était fonction de l’intérêt qu’elle avait à garantir la satisfaction des acheteurs au détail. Elle ne s’est toutefois pas traduite par l’exécution des opérations par les concessionnaires Ford pour le compte de Ford du Canada.

(iii)       Les opérations étaient-elles effectuées en vue de la vente?

Bien qu’il ne soit pas nécessaire que nous le fassions, nous allons maintenant examiner la troisième question, celle de savoir si les opérations étaient effectuées en vue de la vente.

L’appelant soutient que les opérations effectuées par les concessionnaires ne satisfont pas non plus aux exigences de l’alinéa 2(1)f), plus particulièrement aux mots « pour la vente », en raison du fait qu’elles ont été effectuées sur des marchandises qui avaient déjà été vendues. Elle affirme qu’à l’alinéa 2(1)f), le législateur ne voulait viser que les opérations qui sont effectuées sur des marchandises qui sont destinées à être vendues plus tard. Le mot « vente » que l’on trouve à l’alinéa 2(1)f) s’entend d’une vente faite par un fabricant. À cet égard, l’appelant fait valoir que le juge de première instance a commis une erreur en interprétant le terme « vente » que l’on trouve à l’alinéa 2(1)f) comme désignant la vente de véhicules par des concessionnaires à des acheteurs au détail. L’appelant invoque deux décisions du Tribunal canadien du commerce international, les décisions Tee-Comm Electronics Inc. c. Ministre du Revenu national[22] et Smed Manufacturing Inc. c. Ministre du Revenu national[23]. Dans ces deux décisions, le Tribunal a conclu que la combinaison ou le remballage de pièces effectués dans le but de livrer des commandes déjà passées ne pouvaient constituer de la préparation de marchandises pour la vente, étant donné que, dans ces affaires, les marchandises avaient déjà été vendues[24]. L’appelante affirme que, vu l’ensemble des faits de la présente affaire, les concessionnaires devenaient les propriétaires des véhicules importés dès qu’ils arrivaient chez les concessionnaires et que, par conséquent, ces derniers ne pouvaient avoir effectué les opérations de préparation et de conditionnement pour la vente, au sens où ce terme est employé dans l’alinéa en question.

L’appelant nous a persuadés et nous sommes d’accord avec lui pour dire que le juge de première instance semble avoir interprété le mot « vente » que l’on trouve à l’alinéa 2(1)f), comme s’entendant d’une vente au détail. Or, une telle interprétation ne se justifie pas dans le cadre d’un régime qui vise à calculer la taxe payable dans le cas d’une vente effectuée par un fabricant ou un fabricant marginal, mais non dans le cas d’une vente faite par un détaillant. En bref, la partie V de la Loi impose une taxe de vente ou une taxe à la consommation aux producteurs, fabricants, importateurs et grossistes munis d’une licence. L’article 27 de cette partie fixe le taux utilisé pour calculer la taxe. Il établit également le moment où la taxe est imposée selon que les marchandises en litige ont été produites ou fabriquées ou importées ou vendues par un grossiste muni d’une licence.

Aux termes de l’alinéa 27(1)a), une taxe de vente de neuf pour cent est imposée sur le prix de vente de toutes les marchandises produites ou manufacturées au Canada qui était payable par le producteur ou le fabricant « à l’époque où les marchandises sont livrées à l’acheteur ou à l’époque où la propriété des marchandises est transmise, en choisissant celle de ces dates qui est antérieure à l’autre. » De toute évidence, la disposition fiscale vise essentiellement la vente par le fabricant ou le producteur. En l’espèce, la vente du véhicule par Ford du Canada se produisait au moment où le véhicule arrivait chez le concessionnaire. Tous les travaux effectués après ce moment-là ne pouvaient absolument pas l’être en vue d’une vente par le fabricant, même si, dans certains cas, la « période de transit estimée » dont on se servait pour établir sur le plan comptable le moment de la dévolution du titre de propriété n’était pas encore expirée. Le simple fait que Ford du Canada prétend que les concessionnaires se livrent à de la fabrication marginale pour son compte ne signifie pas que la nature de la vente dont on tient compte pour calculer la taxe exigible a changé. La vente dont il faut tenir compte est la vente faite par le fabricant, et non la vente au détail.

Les témoignages donnés au procès par les divers concessionnaires sont utiles pour expliquer comment « la préparation et le conditionnement » étaient effectués en vue de la vente au détail d’un véhicule. Ainsi, un concessionnaire a déclaré[25] :

[traduction] L’inspection avant livraison a lieu après la vente … Le processus est enclenché lorsqu’un de nos concessionnaires vend un véhicule neuf à un acheteur au détail ou à un acheteur qui possède un parc automobile. À ce moment-là, une commande est donnée et est transmise au service d’inspection avant livraison.

Un autre concessionnaire a déclaré que [traduction] « le meilleur moment pour procéder à l’inspection avant livraison est celui où l’on vient tout juste de recevoir le véhicule » et que cela s’explique par le fait que[26] :

[traduction] Dans notre domaine, les décisions sont souvent prises de manière impulsive. Un acheteur se présente chez nous et examine un véhicule. S’il n’a pas encore fait l’objet d’une inspection avant livraison, le véhicule n’a pas d’enjoliveurs, il y a des étiquettes sur les glaces, parfois les portes doivent, comme nous en avons déjà parlé, être ajustées. Donc, dès que la voiture arrive, le soir même ou le jour même, le commis qui s’occupe de faire l’inscription de la voiture rédige un ordre d’inspection avant livraison.

Suivant ce témoin, « la préparation et le conditionnement » servent de toute évidence à favoriser la vente au détail. Nous ne voyons d’ailleurs pas à quelle autre fin ils pourraient servir dès lors qu’il est établi que le véhicule a déjà été vendu au concessionnaire par Ford du Canada. À cet égard, les décisions Tee-Comm et Smed Manufacturing, que l’appelant a citées, vont dans le même sens. Dans l’une et l’autre de ces décisions, il a été jugé que la préparation de marchandises déjà vendues ne remplissait pas les conditions requises pour être considérée comme de la fabrication ou de la production pour la vente au sens de l’alinéa 2(1)f).

(iv) Les concessionnaires préparaient-ils des marchandises dans un magasin de détail afin de les vendre exclusivement et directement à des consommateurs?

Ainsi qu’il a déjà été précisé, pour pouvoir être qualifiée de « fabricant ou de producteur » de ses véhicules importés, Ford du Canada doit obtenir gain de cause sur chacun des quatre éléments de la définition modifiée. Comme elle n’a pas réussi à nous convaincre que les opérations effectuées par les concessionnaires constituaient de la fabrication faite pour le compte de Ford du Canada en vue de la vente, il n’est pas nécessaire que nous nous demandions si, dans l’hypothèse où elle aurait réussi à nous convaincre, Ford du Canada serait néanmoins exclue de la définition du « fabricant ou producteur » en raison de l’exception relative aux « magasins de détail ».

(2) Ford du Canada avait-elle le droit de déduire ses frais de transport pour calculer la taxe payable?

Le paragraphe 26(6) de la Loi dispose[27] :

26.

(6) Pour déterminer la taxe de consommation ou de vente exigible en vertu de la présente Partie,

c) dans le calcul du prix de vente de marchandises fabriquées ou produites au Canada, on peut exclure

(ii) dans les circonstances que le gouverneur en conseil peut prescrire par règlement, une somme représentant

(B) le coût du transport des marchandises supporté par le fabricant ou le producteur en livrant celles-ci à l’acheteur à partir de ses locaux commerciaux, lorsque le prix de vente de ces marchandises comprend leur livraison à l’acheteur,

calculé de la façon que le gouverneur en conseil peut prescrire par règlement.

Compte tenu de notre conclusion en ce qui concerne le fait que Ford du Canada ne répond pas à la définition du « fabricant ou producteur » contenue à l’alinéa 2(1)f), il n’est pas nécessaire de se demander si Ford du Canada continuait, en tant que fabricant, à avoir droit à cette exclusion, ou si le montant du remboursement demandé par Ford du Canada devait être diminué de la taxe de vente applicable aux frais de transport engagés pour expédier les véhicules des États-Unis aux concessionnaires Ford canadiens.

(3) La demande présentée par Ford du Canada en vertu du paragraphe 26.1(1)

Nous passons maintenant à l’examen de la question soulevée dans l’appel incident, c’est-à-dire à la question de savoir si le ministre a régulièrement exercé son pouvoir discrétionnaire en rejetant la demande de Ford du Canada.

Le paragraphe 26.1(1) de la Loi est ainsi libellé :

26.1 (1) Toute personne visée à l’alinéa f) de la définition de « fabricant ou producteur » au paragraphe 2(1) qui est un fabricant muni d’une licence peut demander par écrit au Ministre d’être considérée, pour l’application de la présente loi, comme étant le fabricant ou le producteur de toutes les autres marchandises (appelées au présent article « marchandises semblables ») qu’il vend et qui appartiennent à la même catégorie que les marchandises qu’il prépare pour la vente comme il est exposé à cet alinéa.

(3) Le Ministre saisi d’une demande doit l’approuver ou la rejeter et il doit envoyer au requérant un avis écrit de sa décision; s’il y a approbation, l’avis doit mentionner la date à compter de laquelle l’approbation a effet.

Précisons, d’entrée de jeu, que Ford du Canada avait le droit de présenter la demande visée au paragraphe 26.1(1), étant donné qu’elle est un fabricant muni d’une licence et une personne visée par l’alinéa 2(1)f), en raison de ses usines d’assemblage canadiennes. La réponse à cette question dépend plutôt de la question de savoir si le ministre a satisfait à la norme applicable à l’exercice régulier de son pouvoir discrétionnaire en rejetant la demande présentée par Ford du Canada en vertu du paragraphe 26.1(1). Les parties ne contestent pas sérieusement le contenu de la norme que l’on doit appliquer pour examiner la décision du ministre, sauf pour ce qui est de la pertinence du traitement accordé à d’autres contribuables par le ministre. C’est probablement dans l’arrêt Roberts v. Hopwood, de la Chambre des lords, que la norme applicable est le plus clairement exprimée[28] :

[traduction] Celui qui est investi d’un pouvoir discrétionnaire doit exercer ce pouvoir pour des motifs valables. Un pouvoir discrétionnaire ne permet pas à celui qui en est investi de faire ce qu’il veut simplement parce que le cœur lui en dit—il doit faire, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, non pas ce qu’il veut, mais ce qu’il est tenu de faire. En d’autres termes, il doit, en recourant à la raison, établir et suivre ce que la raison lui dicte. Il doit agir de façon raisonnable.

Notre Cour a adopté cette norme d’exercice du pouvoir discrétionnaire dans l’arrêt Cie de fiducie régionale c. Canada (surintendant des assurances)[29]. Dans cette affaire, le juge d’appel Stone a statué que « le principe selon lequel l’action exercée conformément à un vaste pouvoir légal doit l’être de façon raisonnable a été bien établi par les tribunaux supérieurs »[30]. Les parties ne s’entendent cependant pas sur le rôle que joue le paragraphe 26.1(1) dans le contexte des objectifs généraux de la loi et, partant, sur la question de savoir si la norme applicable a été respectée en l’espèce.

L’appelante dans l’appel incident (l’intimée) soutient qu’en fondant sa décision sur le motif de la production de recettes, le ministre a restreint l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’une façon que l’objet des dispositions législatives modifiées ne justifiait pas. Il n’est pas mentionné dans le libellé du paragraphe 26.1(1) que le pouvoir discrétionnaire ne doit être exercé que lorsqu’il donnerait lieu à l’imposition d’une taxe plus élevée. L’appelante dans l’appel incident affirme qu’en invoquant la production de recettes comme motif justifiant sa décision, le ministre a établi une distinction injuste entre Ford du Canada et d’autres fabricants d’automobiles. En revanche, le ministre affirme que le paragraphe 26.1(1) vise à répondre aux difficultés administratives auxquelles font face les fabricants canadiens qui produisent des marchandises au Canada et qui importent par ailleurs des marchandises de même nature. En l’espèce, si l’on avait considéré Ford du Canada comme étant le fabricant de ses marchandises importées, la taxe de vente imposée à Ford du Canada aurait été calculée en fonction du prix de vente canadien temporairement plus bas, une conséquence non voulue par les dispositions législatives modifiées. L’appelante dans l’appel incident soutient en conséquence que le ministre avait le pouvoir discrétionnaire d’éviter cette conséquence non voulue par le truchement du paragraphe 26.1(1). Sur cette question, le juge de première instance a conclu [à la page 140] :

Une fois saisi de la demande de Ford du Canada, le ministre pouvait décider s’il convenait d’approuver ou de rejeter celle-ci. Le législateur n’a pas établi de critères en fonction desquels le ministre devait prendre une telle décision. La preuve révèle que, à sa réception, la demande de Ford du Canada a été dûment et convenablement prise en considération pour le compte du ministre. Agissant au nom de ce dernier, le sous-ministre a conclu qu’il devait rejeter la demande pour le motif que, s’il y faisait droit, il en résulterait une réduction des recettes perçues par l’État fédéral. J’estime qu’il pouvait raisonnablement prendre pareille décision. Je ne vois aucune raison de réformer cette décision.

Nous souscrivons aux motifs du juge de première instance et ne désirons ajouter que quelques observations. Dans sa réponse à la demande de Ford du Canada, Revenu Canada a expliqué dans les termes suivants l’objet du paragraphe 26.1(1)[31] :

[traduction] Le paragraphe 26.1(1) de la Loi sur la taxe d’accise a été adopté pour régler les problèmes administratifs qui survenaient lorsqu’un fabricant complétait les produits qu’il fabriquait au Canada par des produits importés. Certains de ces produits complémentaires sont vendus directement en tant que produits importés alors que d’autres sont « fabriqués marginalement ». La disposition législative en question reconnaît les difficultés que ces fabricants éprouveraient à conserver des stocks distincts et des livres comptables adéquats pour vérification comptable. En conséquence, les fabricants marginaux peuvent obtenir la permission de calculer la taxe sur l’ensemble de leurs marchandises en fonction du prix de vente canadien. Ainsi que vous le précisez dans votre lettre, la délivrance de la licence visée au paragraphe 26.1(1) devrait être optionnelle et être fonction de l’objet de la loi et de la nature des opérations du fabricant.

Revenu Canada a par ailleurs motivé dans les termes suivants son rejet de la demande de Ford du Canada[32] :

[traduction] Ainsi que nous en avons discuté avec vous et vos collègues, l’article 26 définit l’assiette utilisée pour calculer la taxe de vente et l’article 27 précise qui est tenu de payer la taxe. Suivant notre interprétation, le paragraphe 26.1(1) ne vise pas à réduire le montant de la taxe exigible selon le type de licence qui est délivré. Après en avoir longuement discuté avec des fonctionnaires et après avoir obtenu un avis juridique sur la question, j’en suis venu à la conclusion que le législateur ne voulait pas que Ford du Canada Limitée se prévale comme elle l’a fait des dispositions du paragraphe 26.1(1) en ce qui concerne ses véhicules importés.

Ford du Canada affirme que, compte tenu de l’objet des modifications relatives à la « fabrication marginale », le ministre a exercé de façon injuste son pouvoir discrétionnaire en rejetant sa demande au motif que le paragraphe 26.1(1) « ne vise pas à réduire le montant de la taxe exigible selon le type de licence qui est délivré. » L’appelante dans l’appel incident soutient essentiellement que la réduction de la taxe payable ne constitue pas un motif légitime permettant de rejeter sa demande compte tenu du fait que l’objet de la définition modifiée était de corriger les iniquités de traitement dont les fabricants et les producteurs de marchandises semblables faisaient l’objet.

Nous sommes d’avis que l’appelante dans l’appel incident interprète mal le sens de la réponse du ministre. Avant de parler du recours au paragraphe 26.1(1) comme moyen de réduire la taxe payable, le ministre discute dans sa lettre de l’objet pour lequel le paragraphe 26.1(1) a été édicté, à savoir comme mécanisme servant à régler les problèmes administratifs de comptabilisation de la taxe auxquels seraient confrontés les fabricants qui vendent directement des produits importés alors que d’autres produits sont fabriqués marginalement. Le ministre a raisonnablement le droit d’adopter le point de vue selon lequel le paragraphe 26.1(1) n’a pas été édicté pour accorder à Ford du Canada une seconde chance d’obtenir une position fiscale plus avantageuse en tant que fabricant de biens importés. C’est pourtant précisément le but dans lequel l’appelante dans l’appel incident a tenté de s’en prévaloir, en insistant sur les objets généraux pour lesquels l’alinéa 2(1)f) a été édicté plutôt que sur les objets que le paragraphe 26.1(1) était censé viser pour donner effet aux modifications législatives. C’est pour cette raison que le ministre a parfaitement le droit de refuser de permettre que le paragraphe 26.1(1) soit utilisé pour « réduire le montant de la taxe exigible selon le type de licence qui est délivré ».

Finalement, nous désirons formuler quelques observations au sujet de la question de savoir si le traitement accordé à d’autres importateurs par le ministre sous le régime de la Loi est pertinent lorsqu’il s’agit d’évaluer la façon dont le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire en l’espèce. L’appelante dans l’appel incident affirme que le traitement différent que le ministre a, pour l’application de l’alinéa 2(1)f), accordé à des importateurs se trouvant dans une situation semblable à la sienne, comme Chrysler du Canada et American Motors du Canada, démontre bien que le ministre a exercé de façon irrégulière son pouvoir discrétionnaire. Elle soutient qu’en vertu de l’article 26.1, elle avait le droit de demander un traitement semblable. Elle ajoute que le refus du ministre de traiter Ford du Canada d’une manière semblable à celle de ses compétiteurs sur le plan fiscal est contraire à l’objet pour lequel l’article 26.1 a été édicté. Le ministre répond que les jugements Ford Motors Co. du Canada c. M.R.N.[33] et Sunbeam Corp. (Canada) Ltd. c. Canada[34] appuient la proposition que le traitement accordé à d’autres contribuables n’est pas pertinent en ce qui concerne l’établissement de la taxe à payer par Ford du Canada.

Revenu Canada a conclu que Chrysler et American Motors étaient visés par l’alinéa 2(1)f) en tant que fabricants marginaux de leurs véhicules importés. Toutefois, suivant le juge de première instance [aux pages 125 et 126], « ce qui distinguait la situation de Chrysler Canada de celle de Ford du Canada était le fait que la première s’était adaptée aux nouvelles règles relatives à la « fabrication marginale », suivant l’interprétation faite par les fonctionnaires du défendeur, en effectuant la préparation et le conditionnement des véhicules de tourisme qu’elle importait des États-Unis dans ses propres locaux et à l’aide de ses propres employés. Ainsi, on ne pouvait prétendre que la préparation et le conditionnement étaient effectués pour le compte de Chrysler Canada dans un magasin de détail ». Pour répondre à cette conclusion, nous faisons d’abord remarquer qu’il est difficile de considérer que Chrysler Canada se trouvait dans une situation semblable à celle de Ford du Canada à la lumière de cette conclusion, compte tenu surtout du fondement sur lequel nous avons tranché la présente affaire. En second lieu—et cet aspect est encore plus important—, nous concluons que, quelles que soient les similitudes et les différences qui existent entre Ford du Canada et ses concurrents importateurs, le traitement accordé à d’autres contribuables par le ministre n’est pas déterminant en ce qui concerne la taxe que doit payer Ford du Canada. Les motifs qui justifient cette conclusion sont amplement développés dans la décision que le juge en chef adjoint a rendue dans la présente instance au sujet de la demande interlocutoire dont il était saisi [aux pages 9 et 10 (QL)] :

Les activités d’autres constructeurs d’automobiles et la manière dont le défendeur les traite n’ont aucun rapport avec l’action de la demanderesse. Aussi semblables que puissent être les activités de deux entreprises, si l’une d’entre elles peut formuler le litige de façon qu’on doive prendre en considération les affaires de l’autre, c’est le chaos qui s’ensuivrait. Dans chaque cas d’espèce, il incombe au demandeur de prouver qu’il satisfait aux conditions prévues par la loi. En l’espèce, si la demanderesse peut prouver que son entreprise tombe dans le champ d’application de la définition figurant à l’alinéa 2(1)f), elle aura droit au traitement prévu à l’article 26.1 pour les « marchandises semblables ». Ce droit ne tient pas à ce que d’autres constructeurs d’automobiles en ont joui, mais à ce que la demanderesse satisfait aux conditions prévues par la loi.

Nous sommes tout à fait d’accord pour dire qu’en principe, il incombe au contribuable de prouver qu’il satisfait lui-même aux conditions prévues par la loi. En outre, la dernière moitié du passage précité fait écho à ce que nous avons déjà évoqué, en l’occurrence le fait que Ford du Canada cherche, par le présent appel incident, à obtenir indirectement ce qu’elle n’a pas réussi à obtenir directement en vertu de l’alinéa 2(1)f). Le traitement fiscal que le ministre a accordé à ses concurrents ne saurait l’aider dans cette tentative.

Par ces motifs, nous concluons que l’appel du ministre devrait être accueilli, que l’appel incident devrait être rejeté avec dépens et que la décision du juge de première instance devrait être annulée. L’action introduite par l’intimée devant la Section de première instance devrait être rejetée avec dépens.

Le juge Stone, J.C.A. : Je suis du même avis.



[1] S.R.C. 1970, ch. E-13 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 68, art.1).

[2] Loi modifiant la Loi sur la taxe d’accise et la Loi sur l’accise et prévoyant un impôt sur les revenus pétroliers, S.C. 1980-81-82-83, ch. 68.

[3] Documents budgétaires, Avis de motion de voies et moyens et renseignements complémentaires sur le budget, 28 octobre 1980, ministère des Finances, aux p. 106 et 107. Dossier d’appel, vol. V, aux p. 641 et 642.

[4] Ibid.

[5] Ford du Canada Limitée, clauses types du contrat de vente et de service des concessionnaires, dossier d’appel, vol. III, à la p. 338.

[6] Dossier d’appel, vol. IV-V, aux p. 546 à 585.

[7] Dossier d’appel, vol. V, aux p. 665 et 666.

[8] Id., aux p. 723 et 724.

[9] Id., aux p. 755 à 757.

[10] Id., aux p. 764 à 765.

[11] Les modifications législatives apportées en 1984 [S.C. 1985, ch. 3, art. 1] ont eu pour effet de supprimer le mot « notamment » de l’art. 2(1)f) et d’ajouter par la même occasion les alinéas g) et h), intégrant ainsi expressément les importateurs et les vendeurs en gros de véhicules à la définition de « fabricant ou producteur ».

[12] À l’art. 2(1)f), le législateur emploie les mots « pour le compte de » au lieu de l’expression « au nom de ». Ces deux expressions sont équivalentes et les avocats n’ont pas tenté de démontrer qu’il fallait établir une distinction entre elles.

[13] Hawkes et al. c. La Reine (1996), 97 DTC 5060 (C.A.F.).

[14] [1995] 1 C.T.C. 143 (C.A.F.).

[15] [1968] R.C.S. 140.

[16] [1983] CTC 432 (C.F. 1re inst.).

[17] Précité, note 5, vol. III, à la p. 346.

[18] Id., aux p. 406 et 407.

[19] Id., vol. V, à la p. 693.

[20] Id., vol. III, à la p. 338.

[21] Id., vol. V, à la p. 619.

[22] [1995] T.C.C.E. no 24 (QL).

[23] [1994] T.C.C.E. no 84 (QL).

[24] Dans ces deux cas, il s’agissait d’appels interjetés en vertu de l’art. 81.19 à l’encontre de la Loi [L.R.C. (1985), ch. E-15 (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 38)] de cotisations établies par le ministre.

[25] Transcription du procès, vol. II, aux p. 52 et 53.

[26] Idem, aux p. 98 et 99.

[27] Précité, note 2.

[28] [1925] A.C. 578 (H.L.), à la p. 613 (lord Wrenbury).

[29] [1987] 2 C.F. 271 (C.A.), à la p. 283.

[30] Ibid.

[31] Dossier d’appel, vol. V, aux p. 764 et 765.

[32] Ibid.

[33] [1991] F.C.J. no 410 (1re inst) (QL), le juge en chef adjoint Jerome.

[34] [1994] 1 C.T.C. 294 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay.

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