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[1996] 2 C.F. 49

A-535-93

Veluppillai Pushpanathan (Pushpanathan Veluppillai) (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Strayer et Linden, J.C.A.—Toronto, 15 novembre; Ottawa, 19 décembre 1995.

Citoyenneté et Immigration Statut au Canada Réfugiés au sens de la Convention Appel du rejet d’une demande de contrôle judiciaire relative à une décision de la CISR selon laquelle l’appelant, reconnu coupable de complot en vue de faire le trafic d’un stupéfiant après son arrivée au Canada, ne pouvait revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention en vertu de l’art. 1Fc) de la Convention de l’ONU relative au statut des réfugiés, car il était coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes de l’ONUL’art. 1Fc) s’applique aux actes commis par le revendicateur du statut de réfugié après son arrivée au CanadaIl peut s’appliquer à une personne déjà reconnue coupable de tels actesIl peut s’appliquer à une personne à l’égard d’actes non commis pour le compte d’un ÉtatLe fait de comploter en vue de faire le trafic de stupéfiants est contraire aux buts et aux principes de l’ONU.

Interprétation des lois L’art. 1F de la Convention de l’ONU relative au statut des réfugiés est reprise textuellement dans la Loi sur l’immigrationIl convient d’examiner d’autres dispositions de la ConventionLes travaux préparatoires ne sont pas utiles, car ils n’indiquent pas clairement de quel texte il est questionIl est risqué de présumer que le sens qu’attribuent à un texte une ou deux délégations reflète l’intention collectiveVu la nature des conventions multilatérales, on peut présumer que toute disposition a un but et un sens distinctsEn cas d’ambiguïté non résolue, l’interprétation la plus conforme à la justice et à la raison doit prévaloir.

Il s’agissait d’un appel du refus d’une demande de contrôle judiciaire relative à une décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avait décrété que l’appelant n’avait pas le droit de solliciter le statut de réfugié au sens de la Convention en vertu de la section Fc) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. L’appelant, citoyen du Sri Lanka, avait sollicité le statut de réfugié au sens de la Convention à son arrivée au Canada en 1985. En 1987, il était au nombre de huit personnes arrêtées sous des chefs de complot en vue de faire le trafic d’un stupéfiant. Le groupe détenait une quantité d’héroïne ayant une valeur marchande d’une dizaine de millions de dollars. L’appelant avait été reconnu coupable et condamné à huit années d’emprisonnement. La section F de l’article premier dispose que la Convention ne s’applique pas aux personnes dont on a des raisons sérieuses de penser : a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité; b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés; c) qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Le juge de première instance a déterminé que la Commission avait conclu de manière raisonnable que l’appelant tombait sous le coup de section Fc) de l’article premier, et il a certifié ce qui suit comme question grave de portée générale à examiner par la Cour : la section du statut de réfugié commet-elle une erreur de droit en interprétant la section Fc) de l’article premier de manière à exclure du statut de réfugié un individu coupable d’une grave infraction visée par la Loi sur les stupéfiants qui a été commise au Canada?

Les questions en litige étaient celles de savoir si la section Fc) de l’article premier s’applique : (1) aux actes que commet un revendicateur du statut de réfugié au sein du pays d’accueil après son arrivée dans ce dernier; (2) à une personne déjà reconnue coupable de tels actes; (3) à une personne à l’égard d’actes non commis pour le compte d’un État ou d’un gouvernement; et (4) si l’acte consistant à comploter en vue de faire le trafic de stupéfiants est contraire aux buts et aux principes des Nations Unies.

Arrêt : l’appel doit être rejeté; la réponse à la question énoncée était « non ».

Étant donné que la section F de l’article premier de la Convention a été reprise textuellement dans la Loi sur l’immigration, il convenait, en interprétant cette disposition, d’examiner d’autres dispositions de la Convention, même si elles ne figuraient pas dans la Loi. Il est possible de prendre en considération aussi d’autres moyens d’interpréter un traité, c’est-à-dire des déclarations d’intention, mais, en l’espèce, les travaux préparatoires n’indiquaient pas clairement quel était le texte exact dont il était question. De plus, il est risqué de présumer que le sens qu’attribuent à un texte une ou deux délégations dans le cadre d’une négociation internationale multilatérale reflète nécessairement l’intention collective. Il est plus sûr de se concentrer surtout sur le texte définitif. La rédaction, par les Nations Unies, de conventions multilatérales est souvent dénuée de la discipline et de la cohésion imposées aux rédacteurs des lois canadiennes internes. Il n’est pas surprenant de trouver des dispositions qui se chevauchent, sans indications internes quant à celle d’entre elles qui doit primer. Il faut présumer que chaque disposition est conçue pour avoir un objet et un sens particuliers, à moins qu’il soit impossible d’en attribuer un. Lorsqu’il existe une ambiguïté non résolue, l’interprétation la plus conforme à la justice et à la raison doit prévaloir.

(1) La section Fc) de l’article premier peut s’appliquer aux actes commis par un revendicateur du statut de réfugié avant son arrivée au Canada. Les sections Fb) et c) de l’article premier visent des personnes qui n’ont pas le statut de réfugié. Si l’alinéa b) se limite aux actes commis en dehors du pays d’accueil, l’alinéa c) n’est pas expressément limité de la même façon. Rien ne justifie qu’on lise des mots aussi restrictifs à l’alinéa c) quand les rédacteurs n’en ont pas inclus. Les rédacteurs accordaient tant d’importance aux agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies qu’ils ont pensé que ces agissements justifiaient qu’une personne soit exclue du statut de réfugié, indépendamment de l’endroit où du moment où ils avaient été commis. S’ils avaient envisagé de limiter la portée temporelle et géographique de l’alinéa c) à celle de l’alinéa b), les rédacteurs auraient utilisé les mêmes mots qu’à l’alinéa b).

(2) La section Fc) de l’article premier peut s’appliquer à une personne déjà reconnue coupable des actes mentionnés. Cet alinéa ne contient pas le mot « commis » et l’on peut déduire sans trop se tromper qu’étant donné que ce mot apparaît à l’alinéa a) et à l’alinéa b), mais pas à l’alinéa c), il n’était pas envisagé qu’il fasse partie de l’interprétation de l’alinéa c). Par ailleurs, l’alinéa c) contient le mot « coupables », qui est mieux choisi pour décrire les personnes condamnées que celles qui, croit-on seulement, ont « commis » un crime, mais n’ont pas encore été condamnées pour ce dernier.

(3) La section Fc) de l’article premier peut s’appliquer par ailleurs à des individus, et même en rapport avec des actes qui n’ont pas été commis au nom d’un État ou pour le compte de ce dernier. La section F, à première vue, s’applique à des personnes et n’est nuancée d’aucune manière par des mots comme « en situation d’autorité » ou « agissant pour le compte d’un État ». La notion que le droit international ne crée aucun droit ou aucune obligation pour des individus a été abandonnée, au moins depuis l’époque du Tribunal de Nuremberg. Dans la présente décennie, la participation de l’ONU à des conflits internes au sein d’États membres contredit aussi la suggestion voulant qu’elle se préoccupe uniquement des actes de gouvernements. La Convention impose aux États des obligations, mais elle est conçue pour conférer des avantages aux individus — des avantages qui, dans certains cas, peuvent être refusés à cause de la conduite passée de l’individu visé. Ce n’est peut-être que dans de rares cas qu’un acte d’un individu peut être qualifié de contraire aux buts et aux principes des Nations Unies, vu l’accent que met cette organisation sur la conduite des États, mais il s’agit là d’une question qu’il convient d’examiner en rapport avec l’acte particulier dont il est question.

(4) Le fait de comploter en vue de faire le trafic de stupéfiants était un acte contraire aux buts et aux principes des Nations Unies. La Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988 s’inscrit dans le cadre des buts de l’ONU qui sont exposés au paragraphe 3 de l’article premier de la Charte des Nations Unies, soit « réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire ». À l’évidence, l’ONU considère que le commerce de la drogue crée un problème international à caractère économique, social et probablement humanitaire et, à cette fin, elle exige que ses membres prennent les mesures internes qui s’imposent pour lutter contre ces activités au sein de leurs frontières. Cela ne veut pas dire que lorsque les crimes de cette nature sont poursuivis par un État, ils n’ont que des répercussions internes. Lorsque l’appelant a enfreint une loi canadienne qui satisfait à l’obligation imposée au Canada en vertu de la Convention de 1988, il a agi d’une manière contraire aux buts et aux principes des Nations Unies. La Commission était tout à fait justifiée de croire que l’appelant, au vu des faits entourant son arrestation, avait joué un rôle de premier plan dans une activité de trafic fort importante.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Charte des Nations Unies, [1945] R.T. Can. no 7, art. 1, 2.

Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, 20 décembre 1988, [1990] R.T. Can. no 42, art. 3.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fa), b), c), 33.

Convention unique sur les Stupéfiants de 1961, 30 mars 1961, [1964] R.T. Can. no 30, art. 36.

Déclaration universelle des droits de l’homme, Rés. AG 217 A (III), Doc. off. AG NU, 10 décembre 1948, art. 14.

Loi sur les stupéfiants, L.R.C. (1985), ch. N-1.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) « réfugié au sens de la Convention » (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1).

Protocole portant amendement de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, 25 mars 1972, [1976] R.T. Can. no 48.

Statut du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Rés. AG 428 (V), Doc. off. AG NU, 14 décembre 1950, art. 2, annexe, art. 7.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (1993), 107 D.L.R. (4th) 424; 21 Imm. L.R. (2d) 221; 159 N.R. 210 (C.A.).

DÉCISION EXAMINÉE :

États-Unis d’Amérique c. Cotroni; États-Unis d’Amérique c. El Zein, [1989] 1 R.C.S. 1469; (1989), 23 Q.A.C. 182; 96 N.R. 321; 48 C.C.C. (3d) 193.

DÉCISIONS CITÉES :

Thamotharampillai c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 99 (1994), 77 F.T.R. 114 (1re inst.); Sati c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 26 Imm. L.R. (2d) 160 (C.F. 1re inst.); Kabirian c. Canada (Procureur Général) (1995), 93 F.T.R. 222 (C.F. 1re inst.); Atef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 3 C.F. 86 (1995), 89 F.T.R. 13; 27 Imm. L.R. (2d) 82; (C.F. 1re inst.); Yasin c. Canada (Secrétaire d’État), [1995] A.C.F. no 976 (1re inst.) (QL); National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; (1990), 74 D.L.R. (4th) 449; 45 Admin. L.R. 161; 114 N.R. 81; R. c. Vasil, [1981] 1 R.C.S. 469; (1981), 121 D.L.R. (3d) 41; 58 C.C.C. (2d) 97; 20 C.R. (3d) 193; 35 N.R. 451; Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551; (1994), 119 D.L.R. (4th) 253; [1994] 10 W.W.R. 513; 97 Man. R. (2d) 81; 173 N.R. 83; 6 R.F.L. (4th) 290; 79 W.A.C. 81; Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; (1993), 103 D.L.R. (4th) 1; 153 N.R. 321; Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 R.C.S. 620; (1995), 187 N.R. 321; Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (1993), 163 N.R. 197 (C.A.).

DOCTRINE

Nations Unies. Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Genève, septembre 1979.

Rikhof, J. « The Treatment of the Exclusion Clauses in Canadian Refugee Law » (1994), 24 Imm. L.R. (2d) 31.

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto : Butterworths, 1994.

APPEL du rejet d’une demande de contrôle judiciaire relative à une décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a décrété que l’appelant, reconnu coupable de complot en vue de faire le trafic d’un stupéfiant après son arrivée au Canada, n’avait pas le droit de solliciter le statut de réfugié en vertu de l’article 1Fc) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, en tant que personne dont il y avait de sérieuses raisons de penser qu’elle était coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies (Pushpanathan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] F.C.J. no 870 (1re inst.) (QL)). Appel rejeté.

AVOCATS :

Lorne Waldman pour l’appelant.

Bonnie J. Boucher et Joseph Rikhof pour l’intimé.

PROCUREURS :

Lorne Waldman, Toronto, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Strayer, J.C.A. :

Redressement demandé

Il s’agit d’un appel d’une décision par laquelle le juge McKeown [[1993] F.C.J. no 870 (1re inst.) (QL)] a rejeté une demande de contrôle judiciaire concernant une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (section du statut de réfugié) datée du 25 janvier 1993. Tout en confirmant la décision de la Commission, le juge McKeown a fait en sorte qu’il soit possible d’interjeter appel de sa décision en énonçant ce qui suit à titre de question grave de portée générale à soumettre à la présente Cour :

[traduction] La section du statut de réfugié commet-elle une erreur de droit en interprétant l’alinéa c) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de manière à exclure du statut de réfugié un individu coupable d’une grave infraction visée par la Loi sur les stupéfiants qui a été commise au Canada?

Les faits

L’appelant, qui est citoyen du Sri Lanka, a quitté ce pays en mai 1983 et a vécu près de deux ans en Inde. Il a ensuite entrepris de se rendre au Canada en passant par la France et l’Italie; il est arrivé au pays le 21 mars 1985, après quoi il a sollicité le statut de réfugié au sens de la Convention. En décembre 1987, l’appelant était au nombre de huit personnes arrêtées à Toronto sous des chefs de complot en vue de faire le trafic d’un stupéfiant en vertu de la Loi sur les stupéfiants [L.R.C. (1985), ch. N-1]. D’après la Commission, dont les conclusions de fait ne sont pas contestées en l’espèce, au moment de l’arrestation de l’appelant, le groupe dont ce dernier faisait partie détenait une quantité d’héroïne d’une valeur marchande d’une dizaine de millions de dollars. Cinq des huit individus en question, dont l’appelant, ont par la suite été reconnus coupables d’avoir comploté en vue de faire le trafic d’un stupéfiant. L’appelant a écopé d’une peine de huit années d’emprisonnement et se trouve aujourd’hui en liberté conditionnelle.

La Commission a étudié la revendication du statut de réfugié de l’appelant vers la fin de 1992. Dans sa décision, qui est datée du 25 janvier 1993, la Commission n’a pas analysé la question de savoir si l’appelant craignait avec raison d’être persécuté s’il était renvoyé au Sri Lanka. Elle a plutôt décrété qu’il ne pouvait revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention parce qu’il était exclu de la protection de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] en vertu de la section Fc) de l’article premier de cette dernière. L’article premier définit de manière générale le mot « réfugié ». La section F de cet article indique ce qui suit :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

La Loi sur l’immigration[1] adopte en fait le texte qui précède dans le cadre de la Loi. Le paragraphe 2(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1] de cette dernière indique ce qui suit au sujet de l’expression « réfugié au sens de la Convention » :

2. (1) …

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l’application de la Convention par les sections E ou F de l’article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l’annexe de la présente Loi.

L’annexe en question contient simplement les sections E et F de l’article premier de la Convention; la section F a été citée plus tôt.

La Commission a statué qu’étant donné qu’il avait été déclaré coupable de complot en vue de faire le trafic d’un stupéfiant, l’appelant tombait sous le coup de la section Fc) de l’article premier en tant que personne s’étant rendue coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Elle a rejeté les arguments selon lesquels la section Fc) de l’article premier ne pouvait s’appliquer aux crimes commis au Canada ou uniquement à une personne ayant commis des actes en tant que représentant de l’État. La Commission a également conclu que le demandeur tombait sous le coup de la section Fa) de l’article premier. Les parties ont convenu par la suite, devant la Section de première instance, que ledit alinéa n’avait pas été débattu devant la Commission et que celle-ci n’aurait pas dû l’invoquer. L’alinéa en question n’est pas en litige en l’espèce.

L’appelant a demandé que l’affaire soit soumise à un contrôle judiciaire devant la Section de première instance. Le juge McKeown a statué que la Commission avait conclu de manière raisonnable que l’appelant tombait sous le coup de la section Fc) de l’article premier. Il a décrété que des éléments de preuve soumis à la Commission permettaient raisonnablement de conclure que la suppression du trafic de drogues illicites fait partie des buts et principes des Nations Unies. Le juge n’a pas non plus conclu que la section Fc) de l’article premier devait se limiter dans son application aux personnes occupant un poste gouvernemental ou analogue. Selon moi, le juge sous-entend que la gravité de l’infraction en question avait un rapport avec la question de savoir si l’on pouvait dire qu’il y avait de « sérieuses raisons de penser que » l’appelant était coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

Dans son appel auprès de la présente Cour, l’appelant allègue que les conclusions de la Section de première instance comportent diverses erreurs, essentiellement de présumées erreurs de droit dans l’interprétation de la Convention et de la Loi sur l’immigration relativement aux circonstances de l’espèce.

Les points en litige

Les quatre questions qui suivent résument les divers points que les parties ont soulevés dans leur argumentation écrite et orale :

1) La section Fc) de l’article premier de la Convention s’applique-t-elle aux actes que commet un revendicateur du statut de réfugié au sein du pays d’accueil après son arrivée dans ce dernier?

2) La section Fc) de l’article premier peut-elle s’appliquer à une personne déjà reconnue coupable de tels actes?

3) La section Fc) de l’article premier s’applique-t-elle à une personne à l’égard d’actes non commis pour le compte d’un État ou d’un gouvernement?

4) L’acte consistant à comploter en vue de faire le trafic de stupéfiants est-il contraire aux buts et aux principes des Nations Unies?

Il convient aussi de signaler ce qui n’est pas en litige. Ainsi qu’il est indiqué ci-dessus, il n’a jamais été conclu que l’appelant a des motifs raisonnables de craindre d’être persécuté au sens de la Convention s’il est renvoyé au Sri Lanka. La présente procédure ne traite pas de la question d’un retour forcé, qu’il faudrait prendre en considération, si tel était le cas, dans d’autres procédures. S’il existe des arguments fondés sur la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] qui doivent être invoqués dans une telle éventualité, comme l’avocat le laisse entendre, il ne sont pas à examiner pour le moment. La présente procédure ne comporte pas non plus une peine supplémentaire pour s’être rendu « coupable » d’un agissement contraire aux buts et aux principes de l’O.N.U., une peine qui s’ajouterait à celle déjà infligée à l’appelant à la suite de sa condamnation en vertu de la Loi sur les stupéfiants. S’il s’agissait ici d’une procédure comportant, en fait, une condamnation et une peine, on pourrait alors faire valoir d’autres critères au sujet de la précision—ou de l’imprécision—avec laquelle est défini le « crime » d’avoir commis des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Toutefois, le fait de conclure qu’un revendicateur du statut de réfugié tombe sous le coup de la section Fc) de l’article premier ne se solde pas par une condamnation et une peine, mais par l’exclusion de cet individu d’une admissibilité spéciale, prévue par traité, à la protection d’un pays avec lequel il n’a pas d’attaches antérieures.

Il faut signaler aussi qu’indépendamment de l’application de la section Fc) de l’article premier à une infraction relative à la drogue en l’espèce, la Section de première instance est arrivée à plusieurs reprises à une conclusion similaire[2]. Il semble qu’il s’agisse ici de la première occasion qui soit donnée à la Cour de se pencher sur cette question précise.

Conclusion

Principes d’interprétation

Avant d’analyser les questions précises qui ont été soulevées, il peut être utile de faire quelques observations sur la manière convenable d’interpréter une loi qui vise manifestement à appliquer un traité international. L’avocat de l’appelant a consacré une grande part de son mémoire à renseigner la Cour sur le sujet. Mais il n’a jamais été contesté, je crois, que si les tribunaux canadiens sont tenus de se conformer à une loi interne lorsque celle-ci est clairement incompatible avec un traité signé par le Canada, en l’absence de conflit évident, un tribunal devrait essayer de donner au droit national un sens qui est conforme aux obligations internationales du Canada. Cela peut amener le tribunal en question à utiliser des aides explicatives au sujet du sens à donner au traité qui est appliqué, même si ces aides ne permettent peut-être pas d’interpréter simplement une loi nationale. Lorsqu’une loi intègre un traité, ce sont les règles d’interprétation des traités qui devraient s’appliquer[3]. (Cela étant dit, il est possible de faire remarquer que la différence de techniques d’interprétation entre les traités et les lois s’est quelque peu atténuée au Canada ces dernières années, à cause d’un recours croissant aux travaux préparatoires, même pour l’interprétation de lois[4].)

Si la Cour devrait donc utiliser les règles d’interprétation des traités, plus souples pourrait-on soutenir, pour déterminer le sens qu’a la Loi sur l’immigration lorsqu’elle vise à appliquer un traité, dans les circonstances actuelles on serait de toute façon mené à l’interprétation du sens de la section F de l’article premier de la Convention vu que cette disposition a été adoptée textuellement dans la loi. En interprétant cette section, il convient aussi, s’il le faut, d’examiner d’autres dispositions de la Convention qui, bien que ne figurant pas dans la Loi sur l’immigration, peuvent aider à interpréter la section F de l’article premier[5].

Il est également admis qu’en interprétant une loi d’application d’un traité, il est possible de prendre en considération le traité lui-même et les moyens de l’interpréter, et ce, même si la loi d’application ne suscite pas à première vue d’ambiguïté[6]. Cependant, aucune des règles d’interprétation des lois ou des traités n’autorise une cour à faire entièrement abstraction du libellé exprès qui est finalement adopté dans le traité ou la loi, en faveur de vagues déclarations d’intention tirées de sources extrinsèques qui ne font pas ressortir d’ambiguïté dans le texte du traité ou de la loi d’adoption. Ces commentaires s’appliquent particulièrement à la longue invocation, par les avocats des deux parties en l’espèce, des travaux préparatoires de la Convention. L’avocat de l’appelant lui-même[7] a reconnu qu’habituellement, les travaux préparatoires sont loin d’être déterminants, et encore plus, a-t-il laissé entendre, lorsqu’il est question d’interpréter un traité portant sur les droits de l’homme. Dans l’affaire qui nous occupe ici, j’ai lu les travaux préparatoires en question et je les trouve tout à fait inutiles. Il est difficile de bien comprendre les discussions que le comité a eues sur les premières ébauches de la section F de l’article premier car les extraits fournis n’indiquent pas clairement quel était le texte exact dont le comité discutait. De plus, les discussions semblent en grande partie liées à la teneur de ce qui est devenu la section Fb) de l’article premier, sans faire référence de manière précise à la section Fc) de l’article premier. En outre, il est risqué de présumer que le sens qu’attribuent à un texte une ou deux délégations dans le cadre d’une négociation internationale multilatérale reflète nécessairement l’intention du groupe tout entier, si tant est qu’il existait effectivement une intention commune. Je crois qu’il serait erroné de conclure que l’on pensait que l’alinéa c) était de peu de conséquence : cette disposition englobe certains des éléments précis de la section 2 de l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme [Rés. AG 217 A (III), Doc. off. AG NU, 10 décembre 1948], que les délégués tentaient de mettre en œuvre[8].

Dans de telles circonstances, il est bien plus sûr de se concentrer davantage sur le texte définitif approuvé, ce qui est visiblement le cas en l’espèce.

Il faut aussi garder à l’esprit, lorsque l’on cherche à inférer le sens à donner à une disposition d’un traité en faisant référence à d’autres dispositions du même traité, que la rédaction de conventions multilatérales par les Nations Unies est souvent dénuée de la discipline et de la cohésion qui sont imposées aux rédacteurs des lois canadiennes internes. Ainsi, par exemple, il n’est pas surprenant de trouver dans ces conventions des dispositions qui se chevauchent, sans conseils internes pour indiquer laquelle, s’il y en a, doit primer. Il faut toutefois présumer que chaque disposition est conçue pour avoir un objet et un sens particuliers, à moins qu’il soit impossible d’en attribuer un.

Enfin, je ferais remarquer que l’avocat de l’appelant, se fondant en particulier sur divers analystes professionnels, a plaidé en faveur d’une interprétation étroite des exclusions du statut de réfugié visées à la section F de l’article premier car la Convention est un instrument de défense des « droits de l’homme ». Je souscris avec égards aux propos qu’a formulés le juge d’appel Robertson, dans l’arrêt Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), au sujet d’arguments similaires :

Quelque convaincants que puissent être les commentaires, je suis tenu de considérer l’application de la disposition d’exclusion en tenant compte, tout d’abord, de la jurisprudence de cette Cour, puis de l’intention manifeste des signataires de la Convention. Lorsque, par contre, il existe une ambiguïté ou une question non résolue, l’interprétation la plus conforme à la justice et à la raison doit prévaloir[9].

J’ajouterais à cela l’observation qui suit. S’il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’un revendicateur du statut de réfugié devrait profiter d’une loi qui le favorise manifestement, j’ai de la difficulté à comprendre, dans les circonstances de l’espèce, pourquoi toute ambiguïté doit être tranchée en sa faveur. Le trafic de la drogue, qui touche directement certains des membres les plus faibles de notre société et, indirectement, ceux qui, victimes de la criminalité, sont contraints de supporter le coût de la toxicomanie d’autres personnes, suppose que l’on fasse délibérément abstraction du bien-être et de la sécurité d’un très grand nombre de Canadiens—en fait, de leurs droits de la personne. Je comprends mal pourquoi il faudrait présumer qu’à première vue la Convention étend le droit extraordinaire d’accueil à un étranger reconnu coupable d’avoir commis cette infraction au sein de nos frontières.

Les points en litige

(1) La section Fc) de l’article premier s’applique-t-elle aux actes que commet dans le pays d’accueil un réfugié putatif après son arrivée?

Au dire de l’appelant, la section Fc) de l’article premier ne s’applique qu’aux actes commis à l’extérieur du pays d’accueil, alors que l’appelant a été reconnu coupable d’actes perpétrés au Canada. L’appelant n’avance que deux arguments importants à l’appui de cette prétention. Premièrement, comme la section Fb) de l’article premier se limite aux crimes commis à l’extérieur du pays d’accueil, il ne pouvait avoir été envisagé de pouvoir employer la section Fc) de l’article premier pour refuser le statut de réfugié à des individus ayant commis certains types de crime au Canada. Le second argument s’appuie sur le texte de l’article 33 de la même Convention :

1. Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté seraient menacées en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays.

Il est allégué que le paragraphe 2 de l’article 33 vise les personnes reconnues coupables de crimes commis soit à l’extérieur soit à l’intérieur du pays d’accueil. Cette disposition les protège contre le fait d’être renvoyées dans un pays ou elles seraient persécutées, sauf s’il peut être démontré qu’elles constituent un danger pour le pays d’accueil. Par conséquent, est-il dit, il ne devrait pas être possible d’exclure en vertu de la section Fc) de l’article premier des réfugiés putatifs pour des crimes qu’ils ont commis dans le pays d’accueil, même lorsqu’ils ne constituent pas un danger pour ce pays.

Il est peut-être regrettable que les rédacteurs n’aient pas indiqué de quelque façon laquelle de ces dispositions—les sections Fb) et c) de l’article premier, et le paragraphe 2 de l’article 33—s’il y en a une, est assujettie aux autres, mais cela n’a pas été fait. Cependant, lorsqu’on lit simplement les trois dispositions et que l’on cherche à donner à chacune un sens et un objet distincts, il est clair qu’elles visent des catégories de personnes différentes, même s’il est peut-être vrai qu’au moins deux d’entre elles peuvent s’appliquer à la même personne à des moments différents ou pour des raisons différentes. Il est donc manifeste que les sections Fb) et c) de l’article premier visent des personnes qui n’ont pas obtenu le statut de réfugié. L’article 33 s’applique explicitement aux personnes à qui l’on a déjà reconnu le statut de réfugié. À ce stade-là, le fait qu’une personne ait fait l’objet d’une condamnation, peu importe l’endroit où le crime grave a été commis, n’est pas considéré comme une justification suffisante pour l’envoyer dans un pays où il serait persécuté, à moins que l’on ait fait la preuve qu’il constitue un danger pour la communauté du pays d’accueil. La section Fb) de l’article premier met l’accent sur les crimes « graves de droit commun » commis en dehors du pays d’accueil avant que l’individu en question soit admis comme réfugié. La section Fc) de l’article premier, par contre, ne se limite pas aux personnes qui ont « commis un grave crime de droit commun »; il fait référence aux personnes qui « se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ». C’est donc dire que si certains actes peuvent tomber en même temps sous le coup de ces deux alinéas, les individus qu’ils visent sont manifestement différents. Si l’alinéa b) se limite aux actes commis en dehors du pays d’accueil, l’alinéa c) n’est pas expressément limité de la même façon. Rien ne justifie selon moi qu’on lise des mots aussi restrictifs à l’alinéa c) quand les rédacteurs n’en ont pas inclus. Je me dois de présumer que les rédacteurs accordaient tant d’importance aux agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies qu’ils ont pensé que ces agissements justifiaient qu’une personne soit exclue du statut de réfugié, indépendamment de l’endroit ou du moment où ils avaient été commis. Il convient certainement de présumer que si les rédacteurs avaient envisagé de limiter la portée temporelle et géographique de l’alinéa c) à celle de l’alinéa b), ils auraient utilisé les mêmes mots qu’à l’alinéa b).

Je me dois donc de conclure que la section Fc) de l’article premier peut s’appliquer aux actes qu’un demandeur du statut de réfugié a commis après son arrivée au Canada s’ils tombent par ailleurs sous le coup de cette disposition.

(2) La section Fc) de l’article premier s’applique-t-elle aux personnes déjà reconnues coupables des actes mentionnés?

Dans la mesure où je considère qu’il est possible de comprendre l’argument de l’appelant sur ce point, il semblerait que la section F de l’article premier ait été conçue pour viser les crimes commis à l’extérieur du pays d’accueil mais non encore poursuivis, et indiquer clairement que le pays d’accueil pourrait avoir à la fois le droit et l’obligation d’extrader les auteurs de ces crimes pour subir un procès ailleurs. Comme l’indique l’exposé des faits et du droit de l’appelant :

[traduction] La section 1F porte sur la commission de crimes que d’autres États sont en droit de s’attendre à voir punis là où ils ont été commis mais non encore poursuivis[10].

Cet argument, si j’ai bien compris, repose sur deux prétentions. Premièrement, étant donné que le mot « commis » apparaît à la fois à l’alinéa a) et à l’alinéa b) de la section F de l’article premier, il est sous-entendu aussi à l’alinéa c). Deuxièmement, comme le paragraphe 2 de l’article 33, précitée, permet d’exclure un réfugié déjà condamné pour avoir commis un crime grave (sans faire référence à l’endroit où le crime a eu lieu ou la condamnation prononcée), cela englobe les dispositions de la Convention qui se rapportent aux personnes condamnées et, de ce fait, il ne faudrait pas considérer que la section Fc) de l’article premier s’applique aux personnes déjà condamnées.

Je ne m’étendrai pas sur le paradoxe que créerait cette situation, savoir qu’en vertu de la section F de l’article premier, les personnes ayant simplement commis un crime grave pourraient être exclues du statut de réfugié, mais pas celles qui ont aussi été condamnées. Je me contenterai de faire observer que l’interprétation de l’appelant est tout à fait incompatible avec le simple libellé de la section Fc) de l’article premier. Cette disposition ne contient pas le mot « commis » et l’on peut sûrement déduire sans trop se tromper qu’étant donné que ce mot apparaît à l’alinéa a) et à l’alinéa b), mais pas à l’alinéa c), il n’était pas envisagé qu’il fasse partie de l’interprétation de l’alinéa c). Par ailleurs, l’alinéa c) contient le mot « coupables » qui, s’il est malheureusement imprécis, est mieux choisi pour décrire les personnes condamnées que celles qui, croit-on seulement, ont « commis » un crime mais n’ont pas encore été condamnées pour ce dernier.

Je conclus donc que la section Fc) de l’article premier peut s’appliquer à une personne déjà reconnue coupable de l’acte en question.

(3) La section Fc) de l’article premier peut-elle s’appliquer à une personne qui n’a pas agi pour le compte d’un État ou d’un gouvernement?

L’appelant soutient de façon générale que les préoccupations des Nations Unies ont trait aux activités des États et à leurs rapports réciproques, et que, de ce fait, un agissement contraire aux buts et aux principes des Nations Unies doit mettre en cause une personne agissant par l’entremise d’un État ou pour le compte de ce dernier. En plus de s’appuyer sur les écrits plutôt tendancieux de divers analystes, l’appelant cite le passage suivant, extrait du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés qu’a publié le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés[11]. Le texte est en partie le suivant :

163. Les buts et principes des Nations Unies sont énoncés dans le préambule et dans les articles premier et 2 de la Charte des Nations Unies. Ces dispositions énumèrent les principes fondamentaux qui doivent régir la conduite des Membres de l’Organisation dans leurs relations entre eux et dans leurs relations avec la communauté internationale dans son ensemble. Cela implique que, pour s’être rendu coupable d’agissements contraires à ces principes, une personne doit avoir participé à l’exercice du pouvoir dans un État Membre et avoir contribué à la violation des principes en question par cet État. Cependant, les précédents font défaut en ce qui concerne l’application de cette clause qui, en raison de son caractère très général, ne doit être appliquée qu’avec circonspection. [Soulignement ajouté.]

Si j’admets que le Guide vaut la peine d’être pris soigneusement en considération[12] pour aider à interpréter la Convention, le paragraphe 163, tel que cité, est loin d’être catégorique sur la question. On y trouve des mots comme « cela implique que » une personne doit avoir participé à l’exercice du pouvoir dans un État membre pour que la section Fc) de l’article premier s’applique à lui, et l’on prévient que cette disposition « ne doit être appliquée qu’avec circonspection ». Rien de cela n’est très convaincant. Par ailleurs, le Guide lui-même, au paragraphe 162, signale que l’alinéa c) recouvre en partie l’alinéa a) et que, dans certaines circonstances, les deux dispositions pourraient viser le même acte. Il est maintenant établi que l’alinéa a) ne se limite pas dans son application aux personnes qui exercent le pouvoir dans un État membre[13].

Si l’on revient, comme il se devrait, au texte exact de la section F, celui-ci vise manifestement des individus. Cette section fait partie de l’article premier de la Convention qui, à l’instar du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration qui intègre la section F de la Convention, vise à définir quelles personnes peuvent être habilitées en droit international à être reconnues comme réfugiés. De la même façon que la définition générale confère potentiellement le statut de réfugié à une catégorie de personnes, les exceptions comme celles qui figurent à la section F de l’article premier de la Convention appliquée par le paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration refusent ce statut à certaines personnes qui, par ailleurs, pourraient se ranger dans la définition générale. Selon la section F, les dispositions de la Convention « ne seront pas applicables aux personnes » (soulignement ajouté) dont on aura des raisons sérieuses de penser qu’elles « se sont rendues coupables d’agissements » contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Cette disposition, à première vue, s’applique clairement à des personnes et n’est nuancée d’aucune manière par des mots comme « en situation d’autorité » ou « agissant pour le compte d’un État ».

Si, dans le passé, l’argument voulant que le droit international ne crée aucun droit ou aucune obligation pour des individus a peut-être eu plus de poids, il s’agit-là d’une notion qui a certes été abandonnée, au moins depuis l’époque du Tribunal de Nuremberg. Dans la présente décennie, la participation de l’ONU à des conflits internes au sein d’États membres contredit aussi la suggestion voulant qu’elle se préoccupe uniquement des actes de gouvernements. La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés impose aux États des obligations, mais elle est conçue pour conférer des avantages aux individus—des avantages qui, dans certains cas, peuvent être refusés à cause de la conduite passée de l’individu en question. Ce n’est peut-être que dans de rares cas qu’un acte d’un individu peut être qualifié de contraire aux buts et aux principes des Nations Unies, vu l’accent que met cette organisation sur la conduite des États, mais il s’agit là d’une question qu’il convient d’examiner en rapport avec l’acte particulier dont il est question.

Je suis donc persuadé que la section Fc) de l’article premier peut s’appliquer par ailleurs à des individus, et même en rapport avec des actes qui n’ont pas été commis au nom d’un État ou pour le compte de ce dernier.

(4) Le fait de comploter en vue de faire le trafic stupéfiants est-il un acte « contraire aux buts et aux principes des Nations Unies »?

L’appelant soutient essentiellement qu’il n’existe aucun instrument de l’ONU en vigueur qui interdise expressément l’activité dont l’appelant a été reconnu coupable. Il ne peut donc être coupable d’un acte contraire aux buts et aux principes des Nations Unies. Il est dit que la Commission du droit international, qui s’oriente sans aucun doute vers l’adoption d’un projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, où il est proposé de faire de l’infraction du trafic illicite de stupéfiants un crime international, n’a pas terminé son travail ni fait adopter ses recommandations par l’ONU De plus, il est dit que les conventions et les initiatives actuelles de l’ONU, tout en encourageant et en facilitant activement la lutte, par les États, contre le trafic illicite de stupéfiants, n’établissent pas de normes qui lient des individus pour des actes commis au sein d’un État Membre.

Il convient d’abord d’examiner ce que peut signifier les mots « buts et principes des Nations Unies », à la section Fc) de l’article premier. Selon le paragraphe 162 du Guide, bien que ces mots englobent les questions visées à la section Fa de l’article premier, il s’agit d’une clause résiduelle allant au-delà de ces questions. C’est-à-dire qu’elle ne se limite pas à exclure des individus comme les criminels de guerre ou ceux qui sont coupables de crimes contre l’humanité dans le sens ordinaire du terme. Comme semble l’indiquer le paragraphe 163 du Guide, précité, il est possible de trouver une explication possible de ces mots aux deux premiers articles de la Charte des Nations Unies [[1945] R.T. Can. no 7], lesquels visent à énoncer respectivement les buts et principes de l’ONU en accord avec lesquels cette organisation et ses membres doivent agir. Si je ne pense pas que le texte de ces dispositions devrait être considéré comme énonçant de manière exhaustive les buts et principes des Nations Unies—et, manifestement, la section Fc) de l’article premier ne fait aucunement référence à ces dispositions particulières—elles contiennent un énoncé fort important de certains de ses buts et principes, sinon de la plupart d’entre eux. Il serait toutefois regrettable que l’on ne puisse considérer que les buts et principes des Nations Unies évoluent sans l’apport d’une modification à la Charte.

L’énoncé le plus pertinent que renferment les articles premier et 2 de la Charte se trouve peut-être au paragraphe 3 de l’article premier, qui indique, parmi les buts de l’ONU, celui de :

Article 1

3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire …

Il y a, dans la documentation produite, amplement de preuves de l’importance que l’ONU accorde à la lutte contre ce qu’elle considère comme un très grave problème de trafic de drogue. L’organisme auquel elle a succédé, la Société des Nations, s’était penché sur le problème. Le Conseil économique et social de l’ONU a constitué en 1946 la Commission des stupéfiants, dont les membres se réunissent régulièrement depuis afin d’élaborer dans ce domaine des lignes de conduite en matière de prévention et de contrôle[14]. En 1961, l’ONU a adopté la Convention unique sur les Stupéfiants de 1961 [30 mars 1961, [1964] R.T. Can. no 30], modifiée plus tard en 1972 Protocole portant amendement de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, 25 mars 1972, [1976] R.T. Can. no 48], dont le Canada était signataire. Cette Convention était de nature essentiellement administrative et réglementaire, même si l’article 36 exhortait les signataires à adopter des mesures pénales en vue d’interdire, notamment, le trafic de drogues illicites, dont l’héroïne[15]. Par la suite, la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988 a été adoptée[16]. En 1990, le Canada a ratifié cette Convention, qui est entrée en vigueur cette année-là. La Convention a plus précisément pour objet d’exiger des signataires qu’ils prennent des mesures législatives pour lutter contre le commerce de la drogue. La disposition qui s’avère peut-être la plus pertinente pour les besoins de l’espèce est le paragraphe 1 de l’article 3, dont le texte est le suivant :

Article 3

infractions et sanctions

1. Chaque Partie adopte les mesures nécessaires pour conférer le caractère d’infractions pénales conformément à son droit interne, lorsque l’acte a été commis intentionnellement :

a) i) À la production, à la fabrication, à l’extraction, à la préparation, à l’offre, à la mise en vente, à la distribution, à la vente, à la livraison à quelque condition que ce soit, au courtage, à l’expédition en transit, au transport, à l’importation ou à l’exportation de tout stupéfiant ou de toute substance psychotrope en violation des dispositions de la Convention de 1961, de la Convention de 1961 telle que modifiée ou de la Convention de 1971;

On notera, bien sûr, que cette disposition ne vise pas à créer un crime international. Elle exhorte plutôt le Canada et les autres pays signataires à adopter des mesures internes, comme la Loi sur les stupéfiants en vertu de laquelle l’appelant en l’espèce a été condamné.

Je suis persuadé que la Convention de 1988 s’inscrit dans le cadre des buts de l’ONU qui sont exposés au paragraphe 3 de l’article premier de la Charte, soit de « Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire ». À l’évidence, l’ONU considère que le commerce de la drogue crée un problème international à caractère économique, social et probablement humanitaire et, à cette fin, elle exige que ses membres prennent les mesures internes qui s’imposent pour lutter contre ces activités au sein de leurs frontières. Cela ne veut pas dire que lorsque les crimes de cette nature sont poursuivis par un État, ils n’ont que des répercussions internes. Comme l’a fait remarquer le juge La Forest, de la Cour Suprême du Canada :

Les trafiquants de drogue organisent leurs affaires en fonction du marché international des stupéfiants. Les moyens de communication modernes font en sorte que la territorialité du méfait ne constitue plus le facteur déterminant de la compétence en droit criminel sur le crime international.[17]

Lorsque l’appelant a enfreint une loi canadienne qui satisfait à l’obligation imposée au Canada en vertu de la Convention de 1988, il a donc agi d’une manière contraire aux buts et aux principes des Nations Unies.

L’appelant a fait valoir que si la section Fc) de l’article premier s’applique aux trafiquants de drogue, il ne devrait s’agir que des « chevilles ouvrières » ou des barons de la drogue lorsqu’il s’agit de grandes quantités de drogue. Cette prétention ne s’appuie sur rien. S’il peut y avoir de petits infracteurs qui ne tomberaient pas sous le coup de l’alinéa c), je ne crois pas que c’est ce que l’on puisse dire de l’appelant. Comme la Commission l’a conclu, ce dernier était du nombre de huit individus arrêtés sous des chefs de trafic. Au moment où l’appelant a été arrêté, ce groupe détenait une quantité d’héroïne dont la valeur marchande était d’environ dix millions de dollars. Cinq personnes ont été inculpées et condamnées; la peine la plus sévère qui a été imposée était de dix ans, et la moins sévère de quatre ans. L’appelant s’est vu infliger une peine de huit années d’emprisonnement. Selon moi, la Commission était tout à fait justifiée de croire que l’appelant avait joué un rôle de premier plan dans une activité de trafic fort importante.

Je conclus de ce fait que l’acte dont l’appelant a été reconnu coupable était contraire aux buts et aux principes des Nations Unies et que l’appelant était donc sujet à exclusion de la Convention en vertu de la section Fc) de l’article premier. Je crois qu’il serait malavisé et inutile de se lancer dans une définition plus générale de la portée de cette disposition, même si la Cour a été invitée à le faire.

Décision

À mon avis, il faudrait donc dire « non » à la question énoncée par le juge de première instance et, par conséquent, l’appel devrait être rejeté.

Le juge Stone, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Linden, J.C.A. : J’y souscris.



[1] L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2] Voir, par exemple, Thamotharampillai c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 99(1re inst.); Sati c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 26 Imm. L.R. (2d) 160 (C.F. 1re inst.); Kabirian c. Canada (Solliciteur général) (1995), 93 F.T.R. 222 (C.F. 1re inst.); Atef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 3 C.F. 86(1re inst.); Yasin c. Canada (Secrétaire d’État), [1995] A.C.F. no 976 (1re inst.) (QL).

[3] Voir, par exemple, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., 1994, aux p. 330 à 333 et 396 à 399; National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, aux p. 1371 et 1372.

[4] Voir, par exemple, R. c. Vasil, [1981] 1 R.C.S. 469; Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., 1994, aux p. 444 à 446; mais aussi Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551, à la p. 577.

[5] Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux p. 751 et 752.

[6] National Corn Growers, précité, note 3.

[7] Exposé des faits et du droit, alinéa 27c).

[8] L’article 14 de la Déclaration universelle prévoit ce qui suit :

1. Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays.

2. Ce droit ne peut être invoqué dans le cas de poursuites réellement fondées sur un crime de droit commun ou sur des agissements contraires aux principes et aux buts des Nations Unies.

Voir aussi l’alinéa 2a) de la Résolution 428 (V), datée du 14 décembre 1950, de l’Assemblée générale, Statut du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés; ainsi que l’alinéa 7d) du chapitre II de l’annexe. Voir aussi l’évolution de la section F de l’article premier (exclusion) par rapport à la Déclaration universelle, telle que prescrite par le Conseil économique et social de l’ONU, décrite dans l’ouvrage de Rikhof intitulé « The Treatment of Exclusion Clauses in Canadian Refugee Law », (1994) 24 Imm. L.R. (2d) 31, aux p. 57 à 63.

[9] [1994] 1 C.F. 298(C.A.), à la p. 307.

[10] Exposé des faits et du droit, à la p. 15.

[11] Genève, 1979.

[12] Voir Canada (Procureur général) c. Ward, précité, note 4, aux p. 713 et 714; Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 R.S.C. 593, juge La Forest, à la p. 620.

[13] Voir, par exemple, Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), à la p. 444.

[14] Voir, par exemple, le communiqué de presse de la Commission des stupéfiants de l’ONU, daté du 24 avril 1991; The United Nations and Drug Abuse Control (ONU, New York, 1989).

[15] Voir la Convention unique sur les Stupéfiants de 1961, modifiée par le protocole de 1972 (ONU, New York, 1977).

[16] Doc. ONU, E/Conf. 82/15, 20 décembre 1988 [[1990] R.T. Can. no 42].

[17] États-Unis d’Amérique c. Cotroni; États-Unis d’Amérique c. El Zein, [1989] 1 R.C.S. 1469, à la p. 1493.

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