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[1997] 3 C.F. 187

T-738-96

Holt Cargo Systems Inc. (demanderesse)

c.

Messieurs T. Van Doosselare et F. De Roy en qualité de syndics à la faillite de ABC Containerline N.V., les propriétaires, affréteurs et toutes autres personnes ayant un droit sur le navire Brussel, et le navire Brussel (défendeurs)

et

Société Nationale de Crédit à l’Industrie S.A. (intervenante)

Répertorié : Holt Cargo Systems Inc. c. ABC Containerline N.V. (Syndic) (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay— Halifax, 19 septembre 1996; Ottawa, 9 avril 1997.

Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Requête sollicitant une ordonnance de versement du produit net de la vente d’un navire aux syndics à la failliteNavire saisi, vendu à l’appui d’une action en Cour fédérale pour services de déchargement et services connexes fournis aux É.-U.La demanderesse a droit à un privilège maritime fondé sur une réclamation reconnue aux É.-U.La Cour supérieure du Québec siégeant en matière de faillite a approuvé la vente, mais ordonné que le produit net soit versé aux syndics pour distributionAppel suspendant l’effet de ce jugementL’art. 17(6) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que la Section de première instance n’a pas compétence dans les cas où une loi fédérale donne compétence à un tribunal provincial sans prévoir expressément la compétence de la Cour fédéraleL’art. 183 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité attribue la compétence en matière de faillite aux cours supérieures des provincesL’art. 17(6) de la Loi sur la Cour fédérale n’est pas pertinentSon adoption fait partie d’une révision de l’art. 17 substituant une compétence concurrente de première instance à ce qui était auparavant une compétence exclusive de première instance en ce qui concerne les réclamations contre la Couronne.L’art. 17(6) se rapporte implicitement aux instances dirigées contre la CouronneNéanmoins, il ne fait qu’empêcher la Cour de juger des questions de failliteLes décisions de la Cour en matière de saisie, de jugement par défaut et de vente ou de revendication du produit de la vente par un créancier garanti ne sont pas des procédures de faillite.

Faillite Requête sollicitant une ordonnance de versement du produit net de la vente d’un navire aux syndics à la failliteNavire saisi, vendu à l’appui d’une action en Cour fédérale pour services de déchargement et services connexes fournis aux É.-U.Propriétaires déclarés faillis en BelgiqueLa demanderesse a droit à un privilège maritime fondé sur une réclamation reconnue aux É.-U.Un privilège maritime créé en vertu du droit applicable d’un pays étranger est une réclamation garantie en droit canadienLes droits des créanciers garantis dans ces circonstances ne sont pas touchés par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

Droit maritime Créanciers et débiteurs Requête sollicitant une ordonnance de versement du produit net de la vente d’un navire aux syndics à la failliteNavire saisi à l’appui d’une action en Cour fédérale pour services de déchargement et services connexes fournis aux É.-U.Propriétaires déclarés faillis en BelgiqueLa demanderesse a droit à un privilège maritime fondé sur une réclamation reconnue aux É.-U.La question de savoir si la réclamation est garantie relève du droit maritime canadienUn privilège maritime depuis longtemps reconnu en droit maritime comme une réclamation garantie se rattachant in rem à un navire est une réclamation garantieUn privilège maritime constitué avant la faillite du propriétaire d’un navire peut être exécutéLa réclamation qui prend appui sur celui-ci peut se réaliser sur le produit de la vente du navire sans restriction imposée par la Loi sur la faillite et l’insolvabilitéLa demanderesse est un créancier garanti qui a le droit d’être payée sur le produit de la vente par priorité sur tout versement aux syndics.

Il s’agit d’une requête demandant une ordonnance portant que le produit net de la vente du navire Brussel soit versé aux syndics à la faillite des sociétés qui en étaient les propriétaires et l’exploitaient plutôt qu’aux créanciers qui avaient déposé des réclamations conformément à la procédure de la Cour fédérale du Canada.

Le Brussel a été saisi le 30 mars 1996 à la demande de la demanderesse à l’appui de son action devant la présente Cour pour services de déchargement et services connexes fournis au Brussel aux États-Unis. Par la suite, de nombreuses réclamations ont été déposées contre les propriétaires ou exploitants du service maritime ou contre le navire. Les sociétés qui étaient propriétaires du Brussel et l’exploitaient ont été déclarées faillies par un tribunal belge qui a désigné les syndics à la faillite. La désignation des syndics et le jugement de faillite rendu par le tribunal belge ont été reconnus et déclarés exécutoires par la Cour supérieure du Québec en mai 1996. La demanderesse a obtenu un jugement par défaut in rem contre le Brussel et une déclaration suivant laquelle elle doit recouvrer, sur le produit de la vente de celui-ci, le montant réclamé, ainsi qu’une décision portant qu’elle a droit à un privilège maritime en garantie des sommes dues, mais la fixation du rang de ce privilège a été suspendue en attendant que soit tranchée la question des droits de tous les réclamants. Cette décision découlait de la reconnaissance du statut de la réclamation de la demanderesse sous le régime du droit américain où les services comme ceux qui ont été rendus en l’espèce sont reconnus comme donnant lieu, s’ils ne sont pas payés, à un privilège maritime exerçable contre le navire. Une ordonnance d’évaluation et de vente du Brussel a également été rendue. Subséquemment, un jugement d’un tribunal belge a demandé aux tribunaux canadiens de remettre le Brussel aux syndics afin qu’ils puissent le vendre et en répartir le produit entre les créanciers, et de suspendre toutes les mesures de saisie-arrêt dirigées contre le Brussel. Le lendemain, la Cour supérieure du Québec (siégeant en matière de faillite) a rendu un jugement ex parte ordonnant que toutes les mesures de saisie-arrêt soient suspendues et que le navire soit remis aux syndics. La dernière ordonnance était sous réserve d’intervention des parties intéressées. La requête des syndics en suspension de l’action de la demanderesse en attendant le règlement définitif de l’affaire par la Cour supérieure du Québec a été rejetée. Après avoir entendu les demandes de la demanderesse et d’autres créanciers, la Cour supérieure du Québec (siégeant en matière de faillite) a approuvé la vente du Brussel conformément au jugement de la Cour fédérale, mais a ordonné que le produit de la vente soit versé aux syndics en vue de sa répartition entre les créanciers. L’exécution de ce jugement a été suspendue par l’appel qui en a été interjeté. La vente du navire a été complétée le 1er août 1996.

Les syndics ont fait valoir que le tribunal de la faillite avait compétence exclusive à l’égard des biens de la faillie dès lors qu’il était saisi de l’affaire. Cette opinion était fondée sur l’attribution par le Parlement de la compétence en matière de faillite aux cours supérieures des provinces sous le régime de l’article 183 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et du paragraphe 17(6) de la Loi sur la Cour fédérale qui prévoit que la Section de première instance n’a pas compétence dans les cas où une loi fédérale donne compétence à un tribunal constitué ou maintenu sous le régime d’une loi provinciale sans prévoir expressément la compétence de la Cour fédérale.

Jugement : la requête doit être rejetée.

Le paragraphe 17(6) de la Loi sur la Cour fédérale n’est pas pertinent. Il a été édicté dans le cadre d’une révision de l’article 17, substituant une compétence concurrente de première instance à ce qui était jusqu’alors la compétence exclusive de première instance en ce qui concerne les réclamations contre la Couronne du chef du Canada. Du fait de cette modification, la présente Cour partage une compétence concurrente avec les tribunaux provinciaux. Dans ce contexte, le paragraphe 17(6) se rapporte implicitement aux instances dirigées contre la Couronne, ce qui n’est pas le cas dans la présente action.

Même si le paragraphe 17(6) a des implications plus larges, il ne ferait qu’empêcher la présente Cour, dans les circonstances de l’espèce, de juger des questions de faillite. Les décisions de la présente Cour en matière de saisie d’un navire, de jugement par défaut et de vente du navire ou de revendication du produit de la vente par un créancier garanti ne sont pas des procédures de faillite. la présente Cour cherche simplement à statuer sur les redressements sollicités en vertu du droit maritime dont l’application relève depuis longtemps de la Cour fédérale conformément à l’article 22 de la Loi sur la Cour fédérale. La présente Cour ne s’est pas trouvée dépourvue de compétence pour examiner toutes les réclamations déposées contre Brussel parce que les préoccupations des syndics ont été portées plus tard à l’attention du tribunal de la faillite, quoique l’examen de certaines de ces réclamations permette d’affirmer que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et les ordonnances judiciaires rendues sous le régime de cette Loi peuvent avoir une certaine importance.

La Loi sur la faillite et l’insolvabilité n’établit pas de processus qui interdit de quelque façon que ce soit à un créancier garanti de réaliser la garantie constituée par le débiteur avant sa faillite. Un privilège maritime créé sous le régime du droit applicable d’un pays étranger est une réclamation garantie en droit canadien. Les créanciers garantis sont exclus de la portée générale de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. L’article 136 prévoit la distribution des montants réalisés provenant de la vente des biens d’un failli d’après l’ordre de priorité en ce qui concerne les réclamations des créanciers privilégiés et des créanciers non garantis. Les droits des créanciers garantis dans les circonstances applicables en l’espèce ne sont pas touchés par la Loi. La question de savoir si une réclamation particulière est garantie dans le contexte des réclamations en l’espèce relève du droit maritime canadien. Un privilège maritime depuis longtemps reconnu en droit maritime comme une réclamation garantie se rattachant in rem à un navire est une réclamation garantie. Un privilège maritime, constitué avant la faillite du propriétaire d’un navire, peut être exécuté et la réclamation qui prend appui sur celui-ci peut se réaliser sur le produit de la vente du navire sans restriction imposée soit par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, soit par les tribunaux agissant sous le régime de cette loi. Ainsi, la demanderesse a le droit, tout comme les autres créanciers garantis exerçant des recours contre le Brussel, d’être payée sur le produit de la vente par priorité sur tout versement aux syndics.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, art. 553(12).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 17(6) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3), 22 (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 69).

Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2), art. 2 « créancier garanti », 136, 183 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 27, art. 10; L.C. 1990, ch. 17, art. 3; 1993, ch. 28, art. 78), 244 (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 89).

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 337(5), 432, 500, 1733.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Todd Shipyards Corp. c. Altema Compania Maritima S.A., [1974] R.C.S. 1248; (1972), 32 D.L.R. (3d) 571; Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1995] 3 R.C.S. 453; (1995), 128 D.L.R. (4th) 1; [1995] 10 W.W.R. 161; 35 C.B.R. (3d) 1; 24 C.L.R. (2d) 131.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Magnolia Ocean Shipping Corp. c. Soledad Maria (Le), T-744-81, juge Marceau, ordonnance en date du 30-4-81, C.F. 1re inst., non publiée.

DÉCISION EXAMINÉE :

Ultramar Can. Inc. c. Pierson SS Ltd. (1982), 43 C.B.R. (N.S.) 9 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Amchem Products Inc. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board), [1993] 1 R.C.S. 897; (1993), 102 D.L.R. (4th) 96; [1993] 3 W.W.R. 441; 23 B.C.A.C. 1; 77 B.C.L.R. (2d) 62; 14 C.P.C. (3d) 1; 150 N.R. 321; 39 W.A.C. 1; Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077; (1990), 76 D.L.R. (4th) 256; [1991] 2 W.W.R. 217; 52 B.C.L.R. (2d) 160; 46 C.P.C. (2d) 1; 122 N.R. 81; 15 R.P.R. (2d) 1.

DOCTRINE

Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 3rd ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1992.

REQUÊTE demandant une ordonnance portant que le produit net de la vente du navire Brussel soit versé aux syndics à la faillite des sociétés propriétaires du navire plutôt qu’aux créanciers qui avaient déposé des réclamations conformément à la procédure de la Cour fédérale du Canada. Requête rejetée.

AVOCATS :

Thomas E. Hart et James E. Gould pour la demanderesse.

David G. Colford pour les défendeurs.

Edouard Baudry pour l’intervenante.

John D. Murphy, c.r., et Richard F. Southcott pour certains auteurs de caveats.

PROCUREURS :

McInnes Cooper & Robertson, Halifax, pour la demanderesse.

Brisset Bishop, Montréal, pour les défendeurs.

Lavery, de Billy, Montréal, pour l’intervenante.

Stewart McKelvey Stirling Scales, Halifax, pour certains auteurs de caveats.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et des ordonnances rendus par

Le juge MacKay :

Introduction

Les présents motifs tranchent un certain nombre de requêtes présentées au nom de la demanderesse et des syndics de faillite (les syndics), constitués parties défenderesses après l’introduction de l’action. Désignés par la Cour commerciale d’Anvers, en Belgique, ces derniers sont chargés des biens et des obligations des sociétés propriétaires et exploitantes du navire Brussel et d’autres navires. Le N/M Brussel était immatriculé en Belgique lorsqu’il a été saisi le 30 mars 1996 en vertu d’un mandat décerné par la présente Cour, puis vendu au port d’Halifax par ordonnance de la Cour. Après la saisie du navire, les sociétés propriétaires et exploitantes du Brussel ont été déclarées faillies et les syndics ont été désignés par la Cour à Anvers.

Les présents motifs étant longs, la table des matières ci-après est insérée pour la commodité du lecteur.

Introduction

(page 195)

Les faits : la saisie du navire « Brussel »

et la faillite ultérieure de sa propriétaire et exploitante

(page 198)

Jugement par défaut et ordonnance d’évaluation et de vente

(page 202)

Requêtes des syndics sollicitant un nouvel examen et la suspension des procédures, les appels déposés et les procédures entreprises devant les tribunaux de la faillite

(page 207)

Vente du navire Brussel

(page 221)

Requête présentée par les syndics demandant que le produit de la vente leur soit versé

(page 227)

Conclusion et directives

(page 234)

Les circonstances sont plutôt complexes. Elles soulèvent tant des questions de courtoisie judiciaire et internationale que la question de la priorité des procédures applicables pour satisfaire les réclamations non réglées de créanciers selon le droit maritime canadien dont l’application relève de la présente Cour en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications, et de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3, et ses modifications [mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2] (la Loi), dont l’application relève des tribunaux désignés sous le régime de cette Loi, c’est-à-dire les cours supérieures des provinces et des territoires siégeant en matière de faillite. Après la saisie du Brussel et la faillite des sociétés belges propriétaires et exploitantes du navire, les syndics désignés par le tribunal belge ont participé à toutes les étapes importantes des procédures engagées devant la présente Cour, d’abord par comparutions conditionnelles avec la permission de la Cour, puis en qualité de parties défenderesses. Ils se sont également adressés à la Cour supérieure du Québec (siégeant en matière de faillite et d’insolvabilité) pour le district de Montréal, l’ayant saisie d’une demande, si je comprends bien, puisque l’agent canadien des sociétés exploitantes faillies était établi à Montréal.

Après la vente du navire vers la fin juillet 1996, à laquelle se sont opposés les syndics, une requête présentée en leur nom et conforme aux modalités d’une ordonnance qui avait été rendue par la Cour supérieure du Québec (siégeant en matière de faillite) a été entendue en septembre 1996. Elle demandait une ordonnance portant que le produit net de la vente du navire Brussel soit versé aux syndics plutôt qu’aux créanciers, dont la demanderesse, qui, conformément à la procédure de la présente Cour, avaient déposé des réclamations à l’égard du navire ou de ses propriétaires. Si cette ordonnance était accordée telle qu’elle a été sollicitée par les syndics, tous les réclamants devant la présente Cour, y compris les créanciers garantis, se seraient retrouvés sans recours, sauf celui leur permettant de soumettre de nouveau leurs réclamations à l’examen des syndics en Belgique conformément au droit belge.

Les présents motifs font l’historique de l’instance jusqu’à ce jour et portent sur le fondement d’une ordonnance maintenant délivrée pour assurer que les réclamations des créanciers garantis, éventuellement reconnues par la présente Cour, soient payées sur le produit de la vente conformément à la procédure de la présente Cour, avant que tout paiement ne soit fait aux syndics ou en leur nom. L’ordonnance comporte des directives visant à déterminer quelles réclamations, le cas échéant, outre celle de la demanderesse, sont garanties; elle permet aux créanciers non garantis de faire valoir leurs prétentions puisque la question de leur statut par rapport au produit de la vente n’a pas été expressément débattue, bien que mon opinion préliminaire soit que leurs réclamations peuvent tomber sous le coup de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

La procédure a été ponctuée de plusieurs étapes au cours desquelles les ordonnances de la présente Cour ont tranché des questions importantes pour les parties. Des avis d’appel ont été déposés à l’égard de certaines de ces ordonnances. Après le rappel de cet historique, les présents motifs résument brièvement le fondement des décisions rendues pendant le déroulement de l’instance, notamment :

1) un jugement par défaut prononcé en faveur de la demanderesse et une déclaration de reconnaissance d’un privilège maritime détenu par elle, ainsi qu’une ordonnance complémentaire visant l’évaluation et la vente du navire, tous deux rendus à la mi-mai 1996;

2) le rejet de la demande des syndics visant la suspension des procédures en attendant que les tribunaux de la faillite statuent sur les réclamations à la mi-juin 1996 et les procédures ultérieures devant le tribunal de la faillite;

3) la vente du Brussel, y compris une ordonnance rejetant la seule soumission présentée en réponse à l’annonce de cette vente publiée par le prévôt sur ordre de la Cour et prescrivant qu’une vente aux enchères soit tenue à bref délai, puis prescrivant par la suite la vente du Brussel, le tout en juillet 1996, la date de conclusion de la vente étant fixée au 1er août 1996;

4) enfin, une ordonnance tranchant la requête par laquelle les syndics demandaient d’être payés sur le produit de la vente et prescrivant que les réclamations garanties, particulièrement celles des titulaires de privilèges maritimes et de la créancière hypothécaire, soient payées avant tout versement aux syndics, ou en leur nom.

Les faits : la saisie du navire Brussel et la faillite ultérieure de sa propriétaire et exploitante

Le Brussel a été saisi le 30 mars 1996 alors qu’il s’apprêtait à entrer dans le port d’Halifax. Fondée sur un mandat décerné par la présente Cour, la saisie a été pratiquée à la demande de la demanderesse, Holt Cargo Systems Inc., société constituée dans l’État du New Jersey, aux États-Unis, à l’appui de l’action qu’elle avait introduite devant la présente Cour le même jour par le dépôt d’une déclaration. Dans cette déclaration, la demanderesse réclame la somme de 414 563 $US, plus des intérêts avant jugement et après jugement, ainsi qu’un jugement déclarant qu’elle est titulaire d’un privilège maritime grevant le navire pour non-paiement de services de déchargement et de services connexes fournis au Brussel aux États-Unis, où, dit-on, la réclamation est reconnue en droit comme donnant lieu à un privilège maritime. La demanderesse a introduit son action contre la défenderesse, ABC Containerline N.V., une société beige, laquelle, croyait-on à l’époque, était propriétaire du navire Brussel, et contre les propriétaires, affréteurs et toutes autres personnes ayant un droit sur le navire Brussel, et le navire Brussel, en qualité de défendeurs.

Après la saisie du navire, de nombreuses réclamations ont été déposées à la présente Cour par les propriétaires ou les expéditeurs de la cargaison et des conteneurs, les fournisseurs, les assureurs et autres personnes qui faisaient valoir des prétentions contre les propriétaires ou exploitants du service maritime ou contre le navire. Conformément à la procédure de la présente Cour, ces réclamations comprennent des déclarations dans quelque 27 actions distinctes, et des avis de réclamation déposés dans la présente action par plus de 20 autres réclamants en réponse à l’ordonnance de vente du navire prononcée par la présente Cour.

Il s’est avéré qu’au moment de sa saisie, le navire appartenait à Antwerp Bulk Carriers N.V. Avec d’autres sociétés belges liées, les propriétaires et ABC Containerline N.V. s’adonnaient au transport international des marchandises par eau à l’aide de navires appartenant à l’un d’eux ou affrétés par l’un d’eux. Essentiellement, ils exploitaient un service de fret et de porte-conteneurs entre divers ports d’Europe, d’Israël, des États-Unis, du Canada, d’Asie du Sud-Est, d’Australie et de la Nouvelle-Zélande.

Le 5 avril 1996, les deux sociétés belges, ABC Containerline N.V. et Antwerp Bulk Carriers N.V., ont été déclarées faillies par la Cour commerciale d’Anvers, en Belgique, qui a alors désigné MM. T. Van Doosselare et Frans G.A. De Roy syndics conjoints (les syndics) à la faillite de chacune des sociétés débitrices. Il convient de le répéter, les syndics étaient représentés par un avocat aux diverses audiences devant la présente Cour et, à la mi-juin 1996, à leur demande, ils ont été constitués parties défenderesses à la présente instance.

Dans une demande distincte déposée à la mi-juin 1996, la Société Nationale de Crédit à l’Industrie S.A., une institution bancaire appartenant à l’État belge, titulaire d’hypothèques maritimes importantes de premier et de second rang grevant le navire Brussel au titre desquelles elle avait déposé une réclamation en qualité de créancière garantie dans la procédure de faillite en Belgique, a été autorisée à intervenir en l’espèce. Il a alors été ordonné que l’intitulé de la cause soit modifié pour inclure les syndics comme défendeurs et la banque belge comme intervenante.

Après sa saisie, le Brussel a été ancré dans le port d’Halifax. En avril, essentiellement par voie de conférences téléphoniques avec les avocats se trouvant à Halifax et à Montréal, à la demande de certains propriétaires de cargaisons, la Cour a approuvé les arrangements qu’ils avaient faits pour décharger les conteneurs de leur cargaison. À la fin, lorsque le navire a été conduit au quai sur ordonnance de la Cour, il a été ordonné que tous les conteneurs à bord du Brussel, soit environ 1 100, en soient déchargés.

Je tiens à féliciter publiquement les avocats d’amirauté pour l’organisation expéditive des arrangements visant à protéger autant que possible dans les circonstances les intérêts des propriétaires de cargaison. Des arrangements ont été conclus par téléphone et par télécopieur en vue de protéger les intérêts de ceux qui désiraient assurer rapidement le réacheminement de leur cargaison, tout en minimisant les dépenses entraînées par les marchandises abandonnées et en protégeant les intérêts des propriétaires des conteneurs. Les avocats d’amirauté, représentant les ayants droit de la cargaison et des conteneurs, ont fait preuve de la plus haute diligence dans la conclusion des arrangements relatifs au déchargement du navire. À mon avis, ces arrangements ont servi au bout du compte les intérêts des syndics et des autres créanciers des sociétés faillies.

Après le déchargement et sur ordonnance de la Cour en date du 3 mai 1996, le Brussel a été amené à quai à l’initiative des syndics pour y être entretenu aux frais des syndics et sous la surveillance du capitaine assisté d’un équipage minimal. Il y est resté jusque après la conclusion de la vente le 1er août 1996.

Dans l’exercice de leurs responsabilités sous le régime du droit belge, les syndics ont cherché à prendre possession de l’ensemble des biens des sociétés faillies, où qu’ils soient situés, afin de les liquider ou de procéder à leur ordonnancement en vue de la liquidation et de la distribution ordonnées du produit aux créanciers des débitrices, le tout conformément au droit belge en matière de faillite. À cette fin, les syndics se sont rendus dans les pays où les sociétés débitrices possédaient des éléments d’actif et où des réclamations étaient enregistrées contre elles. Ils ont présenté des demandes là où des poursuites judiciaires avaient été introduites contre les débitrices ou dans les endroits où ces dernières avaient exercé leurs activités, cherchant à obtenir que toutes les réclamations soient présentées dans le cadre de la procédure de faillite en Belgique, à faire lever toute saisie d’éléments d’actif ailleurs et à empêcher d’autres saisies des éléments d’actif afin que ceux-ci puissent être récupérés et liquidés conformément au droit belge. Les éléments d’actif principaux des sociétés débitrices étaient six navires de charge, y compris le Brussel, dont au moins cinq étaient saisis dans des ports un peu partout dans le monde, soit dans les ports d’Haïfa, de Singapour, d’Auckland, et, initialement à Freeport, aux Bahamas, en plus du port d’Halifax.

À la demande des syndics, leur désignation et le jugement de faillite rendu par le tribunal belge ont été reconnus et déclarés exécutoires par la Cour supérieure du Québec pour le district de Montréal par jugement en date du 9 mai 1996. Ce jugement portait que la requête des syndics avait été signifiée à la débitrice, Antwerp Bulkcarriers N.V., qui, disait-on, avait un bureau au Québec chez son agente Deepsea Marine Services (Canada) Inc., à Montréal, et ordonnait que les syndics signifient copie du jugement et la traduction anglaise du jugement de faillite prononcé en Belgique aux créanciers ou à leurs avocats, s’ils étaient connus, y compris aux parties dont les noms figuraient sur une liste en annexe. Il n’est pas clair si la demanderesse dans la présente instance devant la Cour fédérale a été préalablement avisée de l’instance devant la Cour supérieure du Québec, bien qu’il serait surprenant que Holt Cargo Systems Inc. n’ait pas figuré sur la liste des créanciers ayant reçu avis du jugement, puisque les syndics avaient connaissance de la présente action et de la saisie du Brussel. Le jugement de la Cour supérieure du Québec déclare simplement que le jugement belge du 5 avril 1996 et la désignation des syndics « sont reconnus et déclarés exécutoires au Québec » et que les syndics :

[traduction] … sont investis des biens d’ANTWERP BULKCARRIERS, N.V. à compter de la date du jugement qui sera rendu en l’espèce, en vue d’obtenir la possession des biens de ANTWERP BULKCARRIERS, N.V. et de les réaliser, sous réserve cependant des droits éventuels des créanciers dont les réclamations sont garanties sous le régime de la loi canadienne, conformément à la loi …

Jugement par défaut et ordonnance d’évaluation et de vente

Par requête déposée le 7 mai 1996, qui devait être présentée à Halifax le 14 mai 1996, la demanderesse a sollicité un jugement par défaut contre le navire Brussel en vertu de la Règle 432 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663], puisque aucune défense ni aucune comparution n’avaient été inscrites au nom des défendeurs plus de trente jours après le dépôt de la déclaration et sa signification au navire lors de sa saisie le 30 mai. Dans une deuxième requête, qui devait être présentée le même jour, elle sollicitait également une ordonnance prescrivant l’évaluation et la vente du navire. Par requête déposée le 13 mai 1996, l’avocat représentant les syndics a sollicité, avec la permission de la Cour, une ordonnance en vue d’ajourner, pour une période de quatre semaines ou pour tout autre délai fixé par la Cour, les requêtes présentées par la demanderesse en vue d’obtenir un jugement par défaut ainsi que l’évaluation et la vente du Brussel, et ce, dans le but de permettre aux syndics d’évaluer toutes les réclamations des créanciers et l’ensemble des éléments d’actif des sociétés débitrices.

Lorsque ces requêtes ont été entendues à Halifax le 14 mai 1996, l’avocat des syndics a participé à l’audience par conférence téléphonique, laquelle le reliait à la salle d’audience à Halifax où se trouvaient les avocats de la demanderesse et ceux représentant d’autres réclamants. A été entendue en premier lieu la requête présentée au nom des syndics et sollicitant l’ajournement de la requête de la demanderesse. L’avocat des syndics a fait remarquer que le jugement de la Cour supérieure du Québec rendu le 9 mai 1996 reconnaissait le jugement de faillite rendu par le tribunal belge et la désignation des syndics par celui-ci. Il a également mentionné la United States Bankruptcy Court de New York auprès de laquelle les syndics avaient sollicité et demandaient en même temps une ordonnance d’interdiction prescrivant aux créanciers américains des sociétés débitrices de cesser de chercher à réaliser leurs réclamations aux États-Unis ou ailleurs. On a signalé que la demanderesse en cause était une société américaine dont la réclamation portait sur des services rendus aux États-Unis et non au Canada. De plus, l’avocat des syndics a fait remarquer que, en raison de la faillite du 5 avril, la recherche et la vérification des réclamations formées un peu partout dans le monde contre les débitrices étaient beaucoup plus difficiles et lentes que ce que l’on peut prévoir dans le cours normal d’une entreprise en exploitation.

J’ai rejeté la requête présentée au nom des syndics visant à l’ajournement des requêtes de la demanderesse pour un délai déterminé. Aucune comparution n’avait été inscrite et aucune défense à l’action de la demanderesse n’avait été déposée au nom de l’un quelconque des défendeurs initialement désignés lorsque le navire a été saisi le 30 mars, quelque six semaines plus tôt, ou par les syndics subséquemment désignés par le tribunal belge. Bien que je reconnaisse la difficulté de la tâche qui incombe aux syndics de s’acquitter de leurs importantes responsabilités pour le bénéfice des créanciers reconnus sous le régime du droit belge, à mon avis, ces responsabilités doivent tenir compte des recours engagés par les créanciers ici et dans d’autres pays où les sociétés débitrices avaient exercé leurs activités. Les syndics ont dû être informés des circonstances de la saisie du Brussel presque immédiatement après leur désignation le 5 avril, pourtant aucune démarche formelle n’avait été entreprise pour déposer une défense ou pour inscrire une comparution dans la présente action dans le délai de plus de cinq semaines qui s’était écoulé depuis leur désignation. La demanderesse et les autres personnes qui ont déposé des réclamations et des caveats auprès de la présente Cour ont le droit de faire évaluer ces réclamations conformément aux règles et à la procédure de la présente Cour. Ajourner la requête de la demanderesse ne ferait que remettre à plus tard l’évaluation des intérêts des réclamants qui avaient saisi la présente Cour; de plus, rien n’assurait que les syndics ou quelqu’un d’autre déposeraient éventuellement une défense contre les réclamations de la demanderesse ou d’autres personnes. Je comprends la position des syndics : ils cherchent à minimiser les coûts d’une instance judiciaire en ce sens qu’ils peuvent ne pas désirer défendre une action qui est bien fondée. Dans les circonstances de l’espèce, ils étaient alors incapables de vérifier la réclamation formée par la demanderesse, puisque l’agent des anciennes sociétés exploitantes aux États-Unis avait effectivement mis fin à ses opérations et on ne pouvait avoir accès à ses documents après la déclaration de faillite des sociétés débitrices. Bien que la position des syndics fût difficile, à mon avis, cela ne faisait, selon moi, que souligner davantage l’incertitude qui régnait alors à l’égard de la question de savoir s’ils s’opposeraient à la réclamation de la demanderesse ou à toute autre réclamation formée devant la Cour.

À mon avis, les mêmes facteurs justifiaient une ordonnance accueillant la requête en jugement par défaut présentée par la demanderesse au moment de l’audience. Il a ainsi été ordonné, le 14 mai 1996, que la demanderesse obtienne jugement in rem contre le navire Brussel et recouvre, sur le produit de la vente de celui-ci ou sur toute garantie d’exécution constituée pour la levée de la saisie du navire, la somme de 572 128 06 $CAN., soit l’équivalent des 414 586 $US réclamés dans la déclaration. Il a été ordonné que cette somme soit versée, à moins que, le 14 juin 1996, au plus tard, ne soit présentée au nom des syndics ou du navire défendeur une requête sollicitant la désignation d’un arbitre par la Cour conformément à la Règle 500, afin que celui-ci détermine le véritable montant de la réclamation de la demanderesse, auquel cas le montant ainsi fixé serait substitué à celui du jugement. L’objet de cette mesure était de permettre aux syndics de contester le montant de la réclamation de la demanderesse, si cela était jugé nécessaire.

Les seuls intérêts réclamés par la demanderesse à l’audience étaient les intérêts après jugement et, par ordonnance, ils ont été accordés au taux de 7 % l’an sur le montant du jugement, lequel serait prélevé sur le produit de la vente du navire défendeur.

Ce jugement portait également que la demanderesse avait droit à un privilège maritime en garantie des sommes dont le navire défendeur était redevable, mais la fixation du rang de ce privilège a été suspendue en attendant que soit tranchée la question des droits de tous les réclamants.

La décision portant que la demanderesse est titulaire d’un privilège maritime découle de la reconnaissance du statut de la réclamation de la demanderesse sous le régime du droit américain où les services comme ceux qui ont été rendus en l’espèce au Brussel sont, dit-on, reconnus sans opposition à l’audience comme donnant lieu, s’ils ne sont pas payés, à un privilège maritime exerçable contre le navire. Si la réclamation devait viser des services semblables rendus au Canada en faveur du navire, elle ne serait pas recevable en tant que réclamation susceptible d’être garantie par un privilège maritime. Néanmoins, il semble clair que la reconnaissance par la présente Cour d’une telle réclamation comme privilège maritime est dictée par le jugement que le juge Ritchie a prononcé au nom de la Cour suprême du Canada dans Todd Shipyards Corp. c. Altema Compania Maritima S.A., [1974] R.C.S. 1248 (le navire Ioannis Daskalelis). Lorsqu’un droit de la nature d’un privilège maritime existe sous le régime d’une loi étrangère qui est la loi applicable au contrat donnant lieu au privilège, la présente Cour est tenue de le reconnaître et de lui donner le rang qui lui est reconnu en droit maritime canadien.

Finalement, le jugement du 14 mai 1996 prévoyait que la demanderesse signifie copie de la déclaration et du jugement par défaut lui-même à l’avocat des syndics au Canada. La Cour était préoccupée par le fait que la déclaration n’avait été signifiée qu’au navire Brussel. Cette signification avait été effectuée le 30 mars quand le shérif avait remis la déclaration et le mandat de saisie à un membre de l’équipage du navire en eau profonde à l’extérieur du port d’Halifax; ces documents ont été ensuite remis au capitaine du navire. On n’a pas contesté le fait que la saisie a eu lieu, et cette saisie de même que l’introduction de l’action de la demanderesse étaient connues des propriétaires et exploitants du navire, ainsi que des syndics de faillite après leur désignation. Cependant, la Cour tenait à ce que la déclaration et le jugement par défaut soient formellement signifiés à l’avocat des syndics au Canada. Pour mémoire, je fais remarquer que l’avocat des syndics avait participé aux conférences qui ont abouti aux ordonnances de déchargement des conteneurs du navire. En outre, l’avocat des syndics avait reçu signification des avis de requête de la demanderesse par laquelle elle sollicitait un jugement par défaut et une ordonnance d’évaluation et de vente du navire. Ce dernier a répondu à ces avis et a participé à l’audience, demandant d’abord l’ajournement des requêtes de la demanderesse, et, ensuite, leur rejet.

À l’audience du 14 mai, la requête en ordonnance d’évaluation et de vente du navire présentée par la demanderesse a aussi été entendue, et, essentiellement pour des raisons semblables à celles mentionnées ci-dessus, la Cour a indiqué qu’elle ferait droit à la requête, les modalités devant être déterminées après consultation entre l’avocat de la demanderesse et celui des syndics. La demanderesse avait également persuadé la Cour que, compte tenu des incertitudes persistantes relatives à la résolution des réclamations formées contre les sociétés débitrices, il importait que le navire Brussel fût évalué et qu’un inventaire fût établi sans délai. Ces démarches pouvaient être entreprises et la vente du navire annoncée, sous réserve de l’approbation de la Cour, sans qu’une décision finale ne soit alors prise concernant la vente du navire.

L’une des inquiétudes soulevées au nom des syndics était qu’ils n’avaient pas eu l’occasion de déterminer si la vente du navire était susceptible de rapporter un prix plus élevé s’il était vendu comme partie d’une flotte nombreuse de navires des sociétés débitrices plutôt que comme bâtiment unique vendu par la présente Cour, à Halifax. Cette inquiétude a persisté jusqu’à la vente du navire à la fin juillet; cependant, cette possibilité n’était que pure spéculation devant la Cour.

Après consultation entre les avocats conformément aux directives reçues, une autre audience téléphonique a été tenue le 17 mai 1996, réunissant l’avocat de la demanderesse à Halifax, l’avocat des syndics à Montréal et la Cour assurant la présidence à Ottawa. Une ordonnance a alors été rendue à Halifax autorisant la délivrance au shérif, en sa qualité de prévôt de la présente Cour, d’une commission d’évaluation et de vente du navire défendeur le Brussel. Il a été ordonné que le navire soit vendu à Halifax, les soumissions devant être présentées au plus tard le 2 juillet 1996, accompagnées d’un dépôt de 5 % du prix soumissionné. L’ouverture des plis devait avoir lieu le 3 juillet 1996. La vente du navire a été expressément subordonnée à une ordonnance de confirmation que la Cour devait examiner le 9 juillet, jour réservé à l’audition des requêtes à Halifax, étant entendu que la vente ne devait pas nécessairement être adjugée au soumissionnaire le plus offrant ou à tout autre soumissionnaire. Le prévôt a été autorisé à retenir les services d’une entreprise désignée de courtiers maritimes de Londres (Angleterre), pour promouvoir et annoncer la vente du navire, contre paiement d’honoraires expressément convenus. L’ordonnance précisait que la vente devait être annoncée de la manière jugée indiquée par le prévôt et sur avis du courtier conseil, dans des publications au Canada, à New York, à Londres, en Australie et en Asie.

La Cour reconnaît que des consultations ont bien eu lieu entre l’avocat de la demanderesse et celui des syndics, dont la participation était sans préjudice de l’opposition des syndics à la vente. L’intervention des deux avocats a été utile en ce qui a trait aux modalités de la vente, de la commission d’évaluation et de vente et aux modalités de l’annonce, le tout étant destiné à susciter l’intérêt du milieu maritime mondial afin d’obtenir le prix le plus élevé s’il était ordonné que le navire fût vendu.

Requêtes des syndics sollicitant un nouvel examen et la suspension des procédures; les appels déposés et les procédures entreprises devant les tribunaux de la faillite

Le 27 mai 1996, la défenderesse ABC Containerline N.V., les propriétaires du M.V. Brussel et les syndics en leur qualité de syndics à la faillite des sociétés débitrices belges ont déposé des requêtes en nouvel examen du jugement du 14 mai 1996, de l’ordonnance du 17 mai et de la commission d’évaluation et de vente du navire. Ces requêtes, déposées en vertu du paragraphe 337(5) des Règles et la Règle 1733, étaient fondées, disait-on, sur de nouveaux faits survenus postérieurement aux audiences qui avaient mené au jugement et à l’ordonnance. En particulier, on a fait valoir que la prétention selon laquelle la demanderesse était titulaire d’un privilège maritime assujettissait la requête aux dispositions de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité régissant les créanciers garantis. On a vivement soutenu que l’omission par la demanderesse de donner un préavis de dix jours de son intention de mettre à exécution sa garantie portant sur le navire, comme l’exige l’article 244 [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 89] de cette Loi, constituait un obstacle absolu à la mise à exécution du privilège maritime de la demanderesse au Canada. Cette prétention n’a pas été plaidée dans les procédures ultérieures, mais dans leurs requêtes, les syndics insistaient pour dire que, sur cette base, le jugement prononcé le 14 mai par la présente Cour était entaché de vice, de même que, par inférence, l’ordonnance du 17 mai autorisant l’évaluation et la vente. Au surplus, depuis l’ordonnance rendue par la Cour le 14 mai, la United States Bankruptcy Court, Southern District of New York, a rendu, le 16 mai, une ordonnance d’interdiction temporaire enjoignant à la demanderesse et à d’autres créanciers aux États-Unis de n’aliéner aucun bien des sociétés débitrices belges ni leurs biens aux États-Unis, et de ne pas engager de poursuites contre eux. On a soutenu également avec force que cette décision était commandée par les besoins de la courtoisie internationale, visant ainsi à permettre une administration expéditive et économique des avoirs des sociétés faillies et à signaler aux tribunaux des autres pays l’adhésion de la United States Bankruptcy Court au principe de la courtoisie internationale et sa reconnaissance des procédures belges.

Le 27 mai 1996, les syndics, décrits comme [traduction] « reconnus par la Cour supérieure de la province de Québec, par jugement rendu … à Montréal le 9 mai 1996 », et les défendeurs initialement désignés dans l’action de la demanderesse ont déposé un avis d’appel du jugement par défaut prononcé par la présente Cour, sans préjudice des requêtes en nouvel examen déposées le même jour. Le 7 juin, les syndics ont déposé un avis de requête demandant, entre autres, d’être constitués parties à l’action et que l’intitulé de la cause soit modifié, requête qui a, par la suite, été accueillie à cet égard, tout comme l’a été la requête du 11 juin présentée par la Société Nationale de Crédit à l’Industrie S.A., la banque d’État belge, qui, à titre de créancière hypothécaire aux termes d’hypothèques maritimes concernant le Brussel , demandait d’être constituée « intervenante ». Le 13 juin, les syndics et d’autres défendeurs ont déposé un avis d’appel du jugement par défaut prononcé par la présente Cour le 14 mai 1996.

En examinant les procédures engagées devant la présente Cour, il importe également de mentionner les recours engagés par les syndics devant les tribunaux de la faillite, qu’ils avaient également saisis pendant que les procédures étaient en branle ici. Ces autres procédures appuient les arguments successifs des syndics selon lesquels, dans l’intérêt de la courtoisie internationale, les procédures devant la présente Cour devaient être suspendues temporairement ou de façon permanente. Cette requête a été examinée à quatre reprises : en mai 1996, préalablement au jugement par défaut et à l’ordonnance de vente du navire, en juin, lorsque les procédures en suspension ou en nouvel examen du jugement et de l’ordonnance de la présente Cour ont été introduites et instruites, en juillet, lorsque la vente du navire était à l’étude et, finalement, en septembre, à l’audition de la requête des syndics demandant que le produit net de la vente du navire leur soit versé.

Au moment de la saisie du Brussel à Halifax, ou peu de temps après, d’autres navires appartenant aux sociétés alors faillies et exploités par elles, ont également été saisis en d’autres endroits, comme il a été mentionné précédemment, à Haïfa, à Freeport, à Singapour et à Auckland notamment. D’autres actions ont également été introduites contre les sociétés débitrices ou leurs agents dans d’autres ressorts. Au Canada, les sociétés faillies avaient fait affaire avec une agente qui a été qualifiée d’agente spécialisée à temps plein, Deepsea Marine Services Inc., société dont l’établissement principal et le siège social sont fixés à Montréal, même si, apparemment, elle exerçait aussi ses activités soit directement, soit indirectement par des agents à Toronto et à Halifax. Aux États-Unis, un représentant maritime avait exercé ses activités à New York, à Philadelphie, à Charleston et à la Nouvelle-Orléans. D’autres agents travaillaient en Europe, et dans divers autres pays, notamment en Israël, à Singapour, en Nouvelle-Zélande et en Australie.

Selon les syndics, de nombreux réclamants dans l’affaire du Brussel et dans d’autres actions intentées ailleurs étaient des sociétés américaines dont les réclamations avaient trait à des services rendus ou des contrats visant des activités effectuées aux États-Unis, et de nombreux créanciers américains avaient intenté ou menacé d’intenter des poursuites devant les tribunaux américains. Pour contrecarrer ces actions, les syndics ont fait appel à la United States Bankruptcy Court for the Southern District of New York et, comme je l’ai mentionné précédemment dans les présents motifs, le 16 mai, cette Cour, reconnaissant la qualité des syndics sous le régime du droit belge, a rendu une ordonnance d’interdiction temporaire. Cette ordonnance interdisait l’aliénation des intérêts des sociétés faillies aux États-Unis et l’exercice des recours contre les débitrices ou leurs biens aux États-Unis. Elle prévoyait, de plus, que tous les biens des sociétés débitrices aux États-Unis ou qui viendraient à s’y trouver devaient faire l’objet d’ordonnancement aux États-Unis par les syndics et devaient être consignés à la cour ou remis aux syndics. Ces directives avaient été données en attendant l’audition, alors prévue pour le 2 juillet 1996, de la demande des syndics présentée sous le régime du droit américain de la faillite et sollicitant des mesures accessoires afin de permettre l’administration expéditive et économique des biens des sociétés débitrices situés à l’étranger dans le cadre de procédures menées à l’étranger.

Si je comprends bien ces procédures, l’ordonnance temporaire a été prononcée à la demande des syndics, en attendant l’audition de leur demande selon laquelle les réclamations des créanciers américains ou les réclamations formées contre les biens des débitrices aux États-Unis devaient être jugées sous le régime du droit belge. L’ordonnance du 16 mai n’a pas été décisive quant aux réclamations des syndics et des créanciers aux États-Unis. Un aspect mérite d’être retenu, mais peut-être n’est-il pas surprenant. La United States Bankruptcy Court a refusé d’accorder une ordonnance interdisant aux créanciers américains d’exercer leurs recours contre les sociétés faillies ou contre leurs avoirs à l’extérieur des États-Unis, le genre de redressement sollicité par les syndics. Il n’est pas certain que cette Cour ait eu compétence pour rendre une telle ordonnance. Dans les motifs qu’il a prononcés oralement, son honneur le juge Arthur J. Gonzalez, a opposé une fin de non-recevoir à cet aspect de la demande des syndics, faisant remarquer qu’aucune jurisprudence n’avait été invoquée pour fonder un tel recours dans une demande à l’appui d’une procédure en matière de faillite entreprise à l’étranger. Qui plus est, les circonstances de l’espèce exigeaient que la Cour [traduction] « respecte les jugements et la loi de tous les pays étrangers dont les lois sont en cause dans les présentes procédures et prononce un redressement en conséquence ».

Les requêtes présentées par les syndics en vue d’un nouvel examen du jugement du 14 mai et de l’ordonnance d’évaluation et de vente du 17 mai devaient être entendues à Ottawa le 12 juin 1996. Puis, le 7 juin, les syndics ont déposé leur requête en vue d’être constitués parties et de permettre le dépôt d’une comparution conditionnelle afin de demander la suspension des procédures et une ordonnance annulant les décisions du 14 et du 17 mai, ou, subsidiairement, une ordonnance suspendant l’action de la demanderesse pendant six mois ou plus de façon à leur permettre d’avancer de façon appréciable dans l’évaluation des avoirs et des réclamations en cause dans les procédures de faillite en Belgique.

Le 10 juin 1996, les syndics ont obtenu jugement devant la Cour commerciale du district d’Anvers, en Belgique; ce jugement demandait l’aide des tribunaux canadiens, sollicitant plus précisément qu’ils prononcent les ordonnances suivantes :

[traduction]

i)    que le N/M « Brussel », mouillant à Halifax, soit remis, sans autre retard, en la possession des syndics désignés par le jugement belge du 5 avril 1996 afin qu’ils puissent le vendre, sur place ou ailleurs, et en répartir le produit entre les créanciers des sociétés faillies en conformité avec la loi belge;

ii)   que, conformément à la loi belge, toutes les mesures de saisie-arrêt dirigées contre le « Brussel » soient suspendues et que l’exécution des créances meubles légitimes ne peut être obtenue ou dirigée que contre les syndics;

iii)   que tout tribunal canadien dans le ressort duquel les biens de la faillite, par exemple le « Brussel », se trouvent reconnaissent que les syndics ont la responsabilité et le pouvoir de prendre possession des éléments d’actif où qu’ils soient, de les réaliser et de les confirmer;

iv)  que, conformément à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (Canada), tout tribunal canadien fournisse aide et assistance pour assurer l’observation et l’exécution de ce jugement de la Cour d’Anvers.

Le 11 juin 1996, les syndics, sans notifier la demanderesse ou les autres créanciers des sociétés faillies, ont demandé, par voie ex parte, à la Cour supérieure de la province de Québec (siégeant en matière de faillite et d’insolvabilité) pour le district de Montréal, une ordonnance donnant effet à l’ordonnance rendue la veille par la Cour commerciale d’Anvers, laquelle demandait l’aide des tribunaux canadiens. Cette demande rappelait en détail l’historique de l’affaire, y compris la saisie du navire Brussel lequel, prétendait-on, se détériorait et se dévalorisait au détriment de la masse des créanciers ayants droit en vertu du droit applicable devant les tribunaux de la Belgique, qui, disait-on, constituait le lieu propice pour la détermination des droits des créanciers. La requête sollicitait aussi des ordonnances ou des directives en la forme demandée par l’ordonnance de la Cour d’Anvers. Elle demandait, de plus, qu’une ordonnance soit rendue enjoignant à toutes les parties à qui l’ordonnance serait signifiée, y compris celles qui avaient fait valoir des droits contre le navire, de ne pas introduire ou continuer des poursuites contre les sociétés débitrices à l’égard de tout élément d’actif au Canada, y compris le navire Brussel mouillant à Halifax.

Le jour de cette demande, soit le 11 juin 1996, la Cour supérieure du Québec (siégeant en matière de faillite et d’insolvabilité), a rendu jugement ex parte, selon les modalités proposées, y compris que la Cour :

[traduction] DÉCLARE que la présente Cour porte aide et assistance à la Cour commerciale de la Belgique pour le district judiciaire d’Anvers en réponse à la requête contenue dans un jugement du président de cette Cour en date du 10 juin 1996;

RECONNAÎT les demandeurs en qualité de syndics de faillite ayant la responsabilité et le pouvoir de prendre possession des éléments d’actif se trouvant au Canada, de les réaliser et de les confirmer;

ORDONNE que toutes les mesures de saisie-arrêt dirigées contre le N/M « Brussel » soient suspendues et DÉCLARE que l’exécution des créances meubles légitimes ne peut être obtenue, entreprise ou dirigée contre les syndics de faillite qu’en Belgique;

ENJOINT à toute personne à qui le présent jugement est signifié de ne pas introduire ou continuer des poursuites, actions ou procédures judiciaires, y compris des procédures d’exécution de toute sorte, contre la débitrice à l’égard des biens de la débitrice situés au Canada, y compris le navire N/M Brussel mouillant à Halifax;

ORDONNE que le N/M « Brussel » mouillant dans le port d’Halifax, au Canada, soit remis en la possession des demandeurs, en leur qualité de syndics de faillite, afin qu’ils puissent le vendre, sur place ou en tout autre endroit qu’ils estiment plus convenable, et en répartir le produit entre les créanciers dans le respect de tous leurs droits et en conformité avec la loi belge;

DÉCLARE que l’ordonnance prescrivant la remise du N/M « Brussel » aux demandeurs ès qualité sera exécutoire le 18 juin 1996 à 17 heures, heure normale de l’Est, sous réserve du droit de toute partie intéressée, après avoir donné un préavis minimal de quarante-huit heures à l’avocat des demandeurs, de se présenter devant le juge soussigné le 18 juin 1996, à 9 heures 15, en la salle 16.12 du Palais de justice du district de Montréal, pour examiner le présent jugement;

ORDONNE que le présent jugement soit signifié sans délai à toutes les parties qui ont fait valoir une réclamation à l’égard du N/M « Brussel ».

Lors de l’audition des requêtes en nouvel examen le 12 juin 1996, à Ottawa, le jugement rendu le 11 juin par la Cour supérieure du Québec (siégeant en matière de faillite) a été porté à l’attention de la présente Cour par l’avocat de la demanderesse. Son bureau d’Halifax avait reçu, tout comme le greffe de la présente Cour, une télécopie du jugement tard la veille. Le 12 juin donc, la présente Cour était saisie de deux autres requêtes en plus des requêtes en nouvel examen. L’une d’elles, déposée le 7 juin au nom des syndics, a déjà été mentionnée; elle demandait l’autorisation d’intervenir, qu’ils soient constitués parties et la suspension des procédures pour six mois ou plus, alors que l’autre requête, présentée le 11 juin 1996 par la créancière hypothécaire, demandait qu’elle soit constituée partie intervenante dans l’action de la demanderesse.

À l’audience du 12 juin 1996, deux questions seulement ont été tranchées et confirmées par ordonnances délivrées le lendemain. La demande des syndics d’être constitués parties défenderesses dans l’action a été accueillie sans opposition de la demanderesse. La demande, présentée au nom de la créancière hypothécaire, sollicitant qu’elle soit constituée partie intervenante a été entendue sur bref préavis. Elle a été accueillie, malgré l’opposition de la demanderesse et les observations écrites présentées par l’avocat de l’un ou de plusieurs des réclamants contre le navire et sollicitant l’ajournement de la requête de la créancière hypothécaire. À mon avis, cette décision était justifiée parce que, même si la réclamation de la créancière hypothécaire dirigée contre le navire allait être entendue si elle était formulée de la manière habituelle et conformément à la procédure de la Cour, à cette étape de l’instance, l’intérêt de la créancière hypothécaire ne se limitait pas seulement à une réclamation à l’égard des éléments d’actif. Elle soutenait également que le Brussel fût remis aux syndics et qu’il fût ordonné à tous les réclamants de faire valoir leurs réclamations devant la Cour commerciale d’Anvers sous le régime du droit belge. À mon avis, la créancière hypothécaire avait le droit d’être entendue, car ses intérêts étaient différents de ceux des syndics. Qui plus est, à mon avis, la réclamation d’aucun autre créancier ne serait lésée de quelque façon que ce soit par la constitution de la créancière hypothécaire, en l’occurrence la banque d’État belge, en qualité d’intervenante.

La Cour a alors ajourné le débat sur les requêtes en nouvel examen et sur la requête en suspension des procédures. L’avocat de la demanderesse n’était pas prêt à s’occuper de la demande de suspension et l’avis selon lequel celle-ci serait instruite à l’audience du 12 juin n’avait pas encore été donné. Dans les circonstances, les demandes de suspension et de nouvel examen ont été ajournées au 14 juin 1996, et des dispositions ont été prises afin que soit donné à toutes les parties intéressées l’avis de la tenue d’une audience à Montréal ce jour-là, les avocats devant être présents ou devant comparaître par conférence téléphonique en se servant des installations de la Cour à Halifax.

Lorsque la Cour s’est réunie à Montréal le 14 juin, les syndics ont présenté un « Avis de requête modifié en permission de déposer une comparution conditionnelle et en suspension de l’action ». Cette requête était datée du 13 juin et a été déposée le jour de l’audience, soit le 14 juin. Elle modifiait celle qui avait été initialement déposée le 7 juin. La modification concernant la demande de suspension avait été formée par les syndics tout comme leur requête sollicitant que l’action soit suspendue [traduction] « en attendant le règlement définitif de l’affaire par la Cour supérieure du Québec (siégeant en matière de faillite et d’insolvabilité) pour le district de Montréal ». À tous autres égards, les requêtes dont l’audition avait été initialement prévue ont été ajournées sine die à la demande des syndics. La modification et le recours qui étaient maintenant sollicités étaient fondés sur le jugement que la Cour supérieure du Québec (siégeant en matière de faillite et d’insolvabilité) avait rendu le 11 juin 1996. On soutenait que :

[traduction] … l’exercice de la compétence par un autre tribunal autorisé par la loi fédérale à exercer la compétence exclusive en matière de faillite soit reconnu et que le jugement rendu par la Cour supérieure (siégeant en matière de faillite et d’insolvabilité) ainsi que tous les jugements qu’elle rendra produisent tous leurs effets de façon à améliorer l’application de la loi du Canada.

Essentiellement, l’avocat des syndics faisait valoir que, puisque la Cour du Québec avait entrepris, dans le cadre de sa compétence sous le régime de la loi canadienne, d’aider les syndics à s’acquitter de leurs responsabilités sous le régime du droit belge, la présente Cour devait suspendre ses procédures en attendant le règlement des affaires dont était saisie la Cour du Québec (siégeant en matière de faillite). L’ordonnance rendue par cette Cour le 11 juin 1996 accordait aux réclamants le droit d’intervenir devant elle, sur préavis de 48 heures, le 18 juin 1996, date à laquelle l’ordonnance prescrivant la remise du N/M Brussel aux syndics deviendrait exécutoire à 17 heures, sous réserve de toute autre ordonnance de cette Cour. L’argument des syndics était fondé sur le fait qu’il importait de réserver à une seule juridiction la responsabilité de l’ordonnancement des éléments d’actif d’une partie faillie et de toutes les réclamations contre elle, particulièrement dans le cas d’une « faillite internationale » comme celle en l’espèce. Cette même importance était reconnue, faisait-on valoir, par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, laquelle accordait la compétence exclusive en matière de faillite au Canada aux tribunaux de faillite. Implicitement, dès lors que la Cour du Québec (siégeant en matière de faillite) était saisie, les questions en litige devant la présente Cour devaient devenir accessoires aux procédures de faillite. On a souligné au nom de l’intervenante, la créancière hypothécaire, qui appuyait sans réserve la position des syndics, le principe de la courtoisie internationale et la reconnaissance de l’application du principe de forum conveniens dans les circonstances.

Les syndics ont vivement soutenu que les tribunaux canadiens, y compris la Cour fédérale, devraient reconnaître que la Belgique a des liens plus étroits avec les questions relatives à la faillite et que l’avantage juridique d’une partie ne devrait pas constituer un facteur pour déterminer le ressort approprié. (Voir Amchem Products Inc. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board), [1993] 1 R.C.S. 897.) En l’espèce, la réclamation de la demanderesse relative à un privilège maritime en droit américain portait sur des services rendus qui, s’ils l’avaient été au Canada, n’auraient pas le même statut. Par analogie avec la décision rendue dans l’affaire Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, les syndics ont soutenu avec force que le jugement d’une cour supérieure au Canada devrait être reconnu et appuyé par d’autres cours supérieures au Canada et que la présente Cour devrait ainsi reconnaître et accepter le jugement du tribunal de la faillite du Québec. Ils ont ajouté qu’une suspension des procédures fondée sur une demande visant à faire reconnaître la compétence de tribunaux étrangers était une procédure que la présente Cour avait déjà reconnue dans la décision du juge Marceau, alors juge de la Section de première instance, dans l’affaire Magnolia Ocean Shipping Corp. c. Soledad Maria (Le), T-744-81, ordonnance en date du 30-4-81, C.F. 1re inst., inédit.

J’accepte le principe de reconnaître la courtoisie internationale et celui de la courtoisie judiciaire qui veut que soit respectée la décision de tout tribunal régulièrement saisi des affaires qui lui sont soumises. La difficulté se trouve pour moi dans l’application des principes en l’espèce : la Cour est instamment priée de respecter la compétence invoquée par d’autres et d’abandonner l’examen des demandes de redressement dans des procédures longtemps établies en droit maritime. Je fais une distinction avec la décision rendue dans l’affaire Soledad Maria : cette décision a été rendue tôt après la saisie du navire, sans opposition des créanciers autres que la demanderesse. Dans cette affaire, la société demanderesse étrangère avait saisi un navire espagnol au Canada; elle prétendait que le propriétaire enregistré avait omis d’exécuter un accord portant sur la vente du navire, aussi n’y avait-il pas revendication de privilège maritime. La saisie a été pratiquée après qu’un tribunal espagnol eut déclaré failli le propriétaire enregistré du navire et après que la demanderesse eut été avisée par le syndic désigné par un tribunal espagnol que toute réclamation contre le propriétaire devait être introduite devant les tribunaux espagnols. Ces circonstances sont très différentes de celles en l’espèce. Le juge Marceau a décidé que, dans les circonstances de l’affaire Soledad Maria, la Cour devait exercer sa compétence inhérente et refuser de juger l’affaire, et il a radié la déclaration, annulé le mandat de saisie et accordé mainlevée de la saisie, selon des conditions ayant pour effet de suspendre le rejet et d’annuler le mandat de saisie en attendant que soit tranché tout appel que la demanderesse pouvait former dans un délai de six jours.

Dans la présente espèce, lorsque la demande de suspension des procédures a été entendue le 14 juin, la présente Cour avait déjà inscrit un jugement par défaut vu l’absence de dépôt d’une défense ou même d’inscription de toute comparution par les défendeurs ou par les syndics après la saisie du 30 mars et avant le jugement du 14 mai. Déjà, une ordonnance d’évaluation et de vente avait été accordée et l’évaluation était en cours, tout comme l’étaient l’annonce de la vente prévue au début juillet et la promotion de la vente par un courtier maritime. Même si on a prétendu que la demanderesse était à la recherche d’un tribunal favorable lorsque la saisie a été pratiquée, je ne suis pas persuadé qu’elle a fait plus que chercher à recouvrer sa créance contre le navire là où il se trouvait. Elle avait introduit une action devant la présente Cour, comme elle avait le droit de le faire, lorsque le navire Brussel était sur le point d’entrer dans le port d’Halifax. Le lieu de la saisie peut avoir été une coïncidence fortuite pour elle : sa réclamation serait reconnue comme un privilège maritime constitué sous le régime du droit des États-Unis où elle avait pris naissance, mais, à mon avis, l’introduction de son action au Canada ne peut d’aucune façon être qualifiée de recherche d’un tribunal favorable simplement parce que le navire que grevait le privilège se trouvait ici.

On n’a pas convaincu la Cour du bien-fondé de la mesure proposée par les syndics, c’est-à-dire de suspendre ses propres procédures qui avaient alors été mises en branle et de permettre que l’issue de l’affaire soit effectivement laissée aux procédures de faillite de la Cour commerciale d’Anvers qui avaient été reconnues par la Cour supérieure du Québec. On ne m’a pas persuadé du fait que les affaires dont la présente Cour a été saisie relevaient de la faillite. De plus, personne n’a dit que la faillite relèverait d’un tribunal canadien ou serait administrée par un tribunal au Canada.

Par la même occasion, la demanderesse a convaincu la Cour que, pour ce qui concerne la demande de suspension des procédures, aucune preuve n’avait établi qu’un préjudice irréparable serait causé aux syndics si la suspension n’était pas accordée, car aucune mesure ne serait prise à l’égard du navire avant le 9 juillet 1996, date à laquelle toute offre d’achat du navire serait soumise à l’approbation de la Cour. Les intérêts de toutes les parties continuaient d’être protégés et, d’une façon générale, n’avaient pas encore été évalués par la présente Cour. Au surplus, a-t-on fait valoir, dans les circonstances de la présente espèce, la prépondérance des inconvénients favorisait le refus de la suspension puisque la majorité des réclamants, au Canada et aux États-Unis, semblaient être établis sur la côte est de l’Amérique du Nord, d’où ils jouissaient d’un accès relativement facile à la Cour, au Canada.

À mon avis, compte tenu de la procédure de la présente Cour et des circonstances de l’espèce, on n’a avancé aucune raison qui aurait justifié la suspension à la mi-juin des procédures qui étaient alors en cours. Ainsi, le 14 juin, il y a eu rejet de la demande de suspension des procédures en attendant que la Cour supérieure du Québec (siégeant en matière de faillite et d’insolvabilité) statue définitivement sur les questions en litige. Les requêtes présentées par les syndics sollicitant une suspension des procédures pour six mois ou plus et un nouvel examen du jugement de la présente Cour rendu le 14 mai et de son ordonnance du 17 mai ont été ajournées sine die, la Cour indiquant qu’elle était disposée à entendre l’argumentation sur ces requêtes par téléphone ou, si possible, par comparution personnelle des avocats, s’ils le désiraient, moyennant un préavis de deux jours donné par les syndics à toutes les parties intéressées.

Le jugement prononcé le 11 juin par la Cour supérieure du Québec (siégeant en matière de faillite et d’insolvabilité) pour le district de Montréal, initialement rendu exécutoire le 18 juin, sous réserve d’intervention des parties intéressées, a été finalement prorogé jusqu’au 28 juin 1996 pour permettre l’audition des observations des parties intéressées. Cette Cour a entendu des demandes en modification du jugement originaire présentées au nom de la demanderesse dans la présente action et au nom d’un autre créancier dans les présentes procédures.

Après audition des parties, le juge Guthrie, siégeant en qualité de juge en matière de faillite et d’insolvabilité, a conclu comme suit :

[traduction] La détention continue du « Brussel » dans le port d’Halifax ne sert d’aucune façon tant les intérêts des créanciers ordinaires que ceux des créanciers garantis de la faillie. L’engagement indéterminé de frais de détention dans le port d’Halifax ainsi que le coût du voyage du « Brussel » à Anvers militent en faveur de sa vente sans autre retard. De l’avis de la Cour, les conditions de la vente énoncées dans l’ordonnance du 17 mai rendue par la Cour fédérale paraissent fort raisonnables et rien ne prouve qu’une vente à Anvers rapporterait un prix net plus élevé. Par conséquent, la présente Cour ne suspendra pas la vente.

Il a alors rendu un jugement modifiant l’ordonnance rendue le 11 juin et comportant, entre autres, une déclaration selon laquelle la Cour supérieure du Québec (siégeant en matière de faillite et d’insolvabilité) fournissait aide et assistance à la Cour commerciale d’Anvers en réponse à la demande formulée par celle-ci dans son jugement du 10 juin 1996 et reconnaissait que les syndics [traduction] « avaient la responsabilité et le pouvoir de prendre possession des biens de la faillie situés au Canada, de les réaliser et de les confirmer, sous réserve toutefois des droits des créanciers titulaires de créances garanties sous le régime des lois du Canada, conformément à la loi ». En ce qui concerne la proposition de la présente Cour de vendre le Brussel, le jugement de la Cour supérieure du Québec en date du 28 juin a alors déclaré ce qui suit :

[traduction] PERMET que le navire « Brussel » soit vendu conformément au jugement rendu par la Cour fédérale du Canada, Section de première instance, le 17 mai 1996, à condition que cette vente soit conclue et que le prix d’achat soit intégralement versé à la fin de la journée ouvrable à Halifax, au Canada, le 12 juillet 1996;

ORDONNE que, si la vente est conclue comme susdit, le produit net de la vente (après paiement de toutes les dépenses d’annonce de la vente, d’évaluation, d’assurance et autres coûts, débours, commissions et autres dépenses nécessaires de la vente) soit versé à bref délai aux syndics en vue de sa répartition entre les créanciers de la faillie dans le respect de tous leurs droits et en conformité avec le droit belge;

ORDONNE que, si la vente n’est pas conclue comme susdit, le navire « Brussel » soit remis à la possession des syndics afin qu’ils le vendent, sur place ou en tout autre endroit qu’ils estiment plus convenable, et en répartissent le produit net entre les créanciers de la faillie dans le respect de tous leurs droits et en conformité avec le droit belge;

SOLLICITE l’aide et l’assistance de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse ayant compétence en matière de faillite, dans la mesure où cette aide et cette assistance pourront être nécessaires sous le régime des lois de la Nouvelle-Écosse afin de donner effet au présent jugement;

ORDONNE que le présent jugement soit signifié à bref délai au juge en chef de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, au prévôt de la Cour fédérale du Canada, à Halifax, au shérif de la municipalité régionale d’Halifax et à toutes les parties qui ont fait valoir une réclamation au Canada à l’égard du navire « Brussel ».

Le 8 juillet 1996, Container Applications International Inc., l’une des créancières qui avaient déposé une déclaration distincte auprès de la présente Cour relativement à une créance contre le Brussel, laquelle, disait-on, était fondée sur un privilège maritime pour services rendus aux États-Unis, et qui avait demandé à la Cour supérieure du Québec de modifier le jugement du 11 juin 1996, a déposé un avis d’appel du jugement du juge Guthrie en date du 28 juin. Cet appel visait particulièrement les paragraphes précités concernant la vente du Brussel par la présente Cour. L’inscription de l’appel a été déposée auprès du tribunal du Québec, dont l’effet, sous le régime du Code de procédure civile [L.R.Q., ch. C-25] du Québec, était de suspendre l’exécution du jugement frappé d’appel, vu l’absence de mesures d’exécution législatives ou judiciaires et le rejet de la demande présentée par les syndics sollicitant une ordonnance d’exécution.

Vente du navire Brussel

Les modalités de l’ordonnance de la présente Cour et la commission d’évaluation et de vente en date du 17 mai 1996 ont déjà été résumées. Elles prévoyaient l’insertion, dans les grands journaux intéressant le milieu de la marine marchande, de l’annonce de la vente du navire par appel d’offres, les soumissions devant être présentées sous pli cacheté, sous réserve de l’approbation ultérieure de la Cour. Les soumissions devaient être reçues le 2 juillet et, ne devaient être retenues que les soumissions reçues avant l’ouverture des plis le 3 juillet.

Lorsque la Cour s’est réunie à Halifax le 9 juillet, elle a été informée qu’une seule soumission avait été reçue pour l’achat du navire. Elle a offert un prix de 3 000 000 $US. Au début de l’instance tenue devant la présente Cour, les syndics, par voie d’affidavit, avaient estimé la valeur marchande du Brussel à 5 000 000 $US. L’évaluation effectuée pour la Cour en vue de la vente projetée, après la visite et l’inventaire, fixait la valeur du navire dans un marché et une vente raisonnables, et non nécessairement une vente forcée, à 7 000 000 $US. Il y avait donc une différence considérable entre le montant de la soumission et la valeur estimative du navire. Sans inspecter le navire, le courtier-conseil retenu par le prévôt a déclaré par affidavit que le Brussel avait une valeur de 7 000 000 $US dans une vente négociée entre un acheteur volontaire et un vendeur volontaire. Cependant, il croyait que le prix était susceptible d’être plus bas si le navire faisait l’objet d’une vente forcée par la Cour sans oublier la conjoncture négative du marché moribond du transport maritime, le tout conjugué à une certaine confusion suscitée par des revues commerciales européennes qui affirmaient que le Brussel et d’autres navires des sociétés faillies allaient être vendus ensemble par des courtiers exerçant leur activité en Belgique.

L’avocat des syndics s’est opposé à ce que la vente soit effectuée par la Cour, au moins en partie parce qu’aucune soumission n’avait été reçue conformément à l’ordonnance du 17 mai; il a exhorté la Cour à considérer la possibilité de remettre le navire aux syndics, comme le disait l’ordonnance du juge Guthrie, de la Cour supérieure du Québec, en date du 28 juin 1996, si le navire n’était pas vendu. Initialement, la créancière hypothécaire a appuyé la position des syndics; elle s’opposait de toute façon à la vente du navire au prix proposé par le seul soumissionnaire. Quelques avocats présents à l’audience ont exprimé l’inquiétude que l’unique soumission pût être la meilleure indication des conditions du marché pour le navire, lequel, bien qu’étant pleinement opérationnel jusqu’à sa saisie plus de trois mois auparavant, laissait maintenant planer des doutes sur son état et devait faire l’objet d’inspections et d’évaluations conformément à sa police d’assurance. Personne, à l’exception de l’avocat représentant l’unique soumissionnaire, n’a demandé que la vente soit conclue sur la base de l’unique soumission reçue.

L’opinion du courtier-conseil maritime a été communiquée à la Cour; selon lui, même si le marché mondial des navires semblait être en déclin, sur la foi de certaines indications reçues verbalement après le 3 juillet, il était possible qu’une vente aux enchères du navire sans acompte puisse rapporter un prix supérieur à 3 000 000 $US.

À la fin, la Cour n’était pas persuadée que l’unique soumission reçue représentait le meilleur prix qui serait offert pour l’achat du Brussel. Compte tenu de la responsabilité de la Cour d’obtenir le meilleur prix pour le bénéfice de tous les créanciers réclamants et des autres personnes ayant un droit sur le navire, la Cour a rejeté l’unique soumission reçue et a refusé de confirmer la vente.

La Cour a ensuite ordonné que le prévôt vende le Brussel aux enchères au greffe à 11 heures, le 24 juillet 1996, sous réserve d’approbation par la Cour, à un prix devant être exprimé en monaie américaine. L’ordonnance précisait que les offres devaient se faire par unité de 100 000 $US et que le soumissionnaire le plus offrant serait tenu, sur acceptation de sa soumission, de déposer immédiatement dix pour cent du prix, puis de verser le solde le 1er août 1996 au plus tard. Sur versement du solde, le prévôt devait remettre un acte de vente transférant le titre du navire, non grevé, « tel qu’il était, là où il était ». La Cour désire exprimer sa reconnaissance aux avocats présents pour l’aide qu’ils lui ont fournie sur les modalités à inclure dans l’ordonnance régissant la vente aux enchères ainsi qu’aux courtiers maritimes qui l’ont aidée en diffusant l’information concernant les conditions de la vente aux enchères. Il n’y a pas eu d’autres annonces dans les journaux ou les revues.

Dans sa décision, la Cour a agi dans l’exercice de sa compétence inhérente de façon à permettre la vente du navire dans des conditions qui sembleraient rapporter le produit le plus élevé pour le bénéfice de tous les créanciers/réclamants et des autres personnes ayant un droit sur le navire. De plus, cette mesure respectait les conditions de l’ordonnance du 17 mai qui prévoyait en partie ce qui suit au sujet de la vente projetée, les soumissions devant être présentées le 2 juillet :

[traduction]

13. Si la vente au soumissionnaire le plus offrant ou à tout autre soumissionnaire n’est pas confirmée par la Cour ou si le dépôt de l’acheteur est confisqué en raison de son omission de verser à l’échéance le solde du prix d’achat, la demanderesse pourra demander que le prévôt communique le montant de la soumission la plus élevée aux autres soumissionnaires en vue d’obtenir une soumission plus élevée, ou, subsidiairement, demander à la Cour d’adjuger la vente du navire au deuxième soumissionnaire le plus offrant si tel était son désir, sinon, un nouvel appel d’offres pourra être lancé selon les mêmes modalités et conditions que celles que prévoit la présente ordonnance ou selon les modalités et conditions que la Cour jugera indiquées.

Le 9 juillet, la Cour était saisie de deux requêtes. La première, présentée par la demanderesse, demandait que la vente du navire soit confirmée; cette requête n’a pas été acceptée. Subsidiairement, elle demandait que des directives soient données en vue d’obtenir une soumission plus élevée pour le navire. Cette alternative a effectivement été acceptée et la Cour a ordonné la tenue d’une vente aux enchères le 24 juillet, comme il a été mentionné précédemment. La deuxième requête, présentée par les syndics, demandait la mise à exécution des modalités énoncées dans le jugement prononcé le 28 juin par la Cour supérieure du Québec. Cette requête sollicitait une ordonnance prescrivant que, si le navire devait être vendu conformément à l’ordonnance du 17 mai et que la vente était conclue au plus tard le 12 juillet, le produit net soit versé aux syndics. Si la vente n’était pas conclue dans ces conditions, elle demandait la levée de la saisie du navire, la mainlevée des caveats déposés par les créanciers et la remise du navire en la possession des syndics. Cette deuxième requête a été ajournée au 24 juillet 1996.

Le 12 juillet 1996, mon collègue le juge Gibson a été saisi d’une demande urgente par laquelle l’avocat des syndics le priait d’entendre une demande de suspension de l’ordonnance rendue le 9 juillet et prescrivant la vente aux enchères du Brussel. Cette demande a été entendue par conférence téléphonique le 15 juillet, en présence de l’avocat des syndics et des avocats de huit autres parties intéressées. La demande sollicitait la suspension de la vente qui avait été ordonnée en attendant que soient tranchés les appels interjetés contre les trois ordonnances antérieures, dont le jugement par défaut du 14 mai, l’ordonnance d’évaluation et de vente du 17 mai et l’ordonnance du 14 juin rejetant la demande antérieure sollicitant la suspension des procédures devant la présente Cour. L’avocat des syndics a concédé qu’aucun préjudice irréparable ne surviendrait entre la date de cette audience et le 24 juillet, lorsque la présente Cour se réunirait de nouveau à Halifax; il a donc été ordonné à l’avocat de présenter le 24 juillet une requête en suspension des procédures en attendant que les appels soient tranchés devant la présente Cour, s’il était toujours nécessaire que la requête fût entendue.

Les syndics ont déposé un avis d’appel de l’ordonnance fixant les conditions de vente du Brussel le 24 juillet; par la suite, ils l’ont abandonné par avis déposé le 22 juillet 1996.

Lors de l’audience de l’après-midi du 24 juillet, c’est avec plaisir que je confirmais la vente du Brussel au soumissionnaire le plus offrant parmi cinq soumissionnaires dont quatre étaient représentés à la Cour ce matin-là, et le cinquième participait par conférence téléphonique à la vente aux enchères conduite dans les locaux de la Cour par le prévôt. L’ordonnance de vente du navire rendue le 24 juillet prévoyait, conformément aux conditions de la vente qui avaient été fixées antérieurement, la vente au prix accepté de 4 600 000 $US, dont dix pour cent (en monnaie canadienne équivalente) avait été consigné à la Cour, et le solde versé au plus tard à midi le 1er août 1996. Sur paiement intégral, le prévôt devait remettre un acte de vente, et la responsabilité de l’assurance du navire devait passer à l’acheteur. Jusqu’au 24 juillet, l’assurance avait été la responsabilité des syndics, et leur avocat a indiqué leur volonté de continuer à l’assumer jusqu’à la conclusion de la vente. Néanmoins, la demanderesse et d’autres créanciers ont pris des dispositions pour que le prévôt obtienne une assurance couvrant les risques de port sur le navire jusqu’au 1er août, le prévôt étant, en cas de sinistre, l’indemnitaire, pour le bénéfice des créanciers.

Pour mémoire, je fais remarquer que les syndics ne se sont pas opposés à la vente lors de l’audience du 24 juillet et ils n’ont pas à ce moment-là conclu à la suspension des procédures comme il avait été indiqué qu’ils pourraient le faire, si une telle procédure était dans leur intérêt, au cours de la conférence téléphonique avec le juge Gibson le 15 juillet. J’ajoute également pour mémoire que l’avocat de la demanderesse a indiqué que l’avocat de la créancière hypothécaire ne s’opposait pas à la vente du navire au prix soumissionné et accepté le 24 juillet.

Le 1er août, la vente du navire a été conclue et le prévôt a délivré un acte de vente à la nouvelle propriétaire, Ocean Profile Maritime Limited, désignée par écrit par l’avocat du soumissionnaire retenu. Dans un délai d’un jour ou deux, un équipage avait été conduit à Halifax par avion et le navire Brussel quittait le port d’Halifax pour assumer un nouveau rôle.

Le 24 juillet, la requête présentée par les syndics demandant que leur soit versé le produit de la vente a été ajournée et des dispositions ont été prises pour que cette requête soit entendue, de même que toute autre procédure relative à l’action, à la mi-septembre, à Halifax.

Une question soulevée lors de l’audience du 24 juillet mérite d’être mentionnée brièvement, à tout le moins pour le bénéfice des parties intéressées alors présentes. Les avocats des créanciers s’intéressaient à toute possibilité d’investir les fonds qui seraient consignés à la Cour dans des placements garantis qui pourraient produire un rendement plus élevé que l’intérêt modeste que, suivant leur expérience, on pourrait s’attendre de recevoir sur des fonds judiciairement consignés. On s’est renseigné auprès des auxiliaires supérieurs de la Cour concernant la gestion des fonds relevant de la responsabilité de la Cour, et la présente Cour a été informée qu’il n’existe aucune autorisation légale pour investir de tels fonds; la Cour est tenue de les gérer dans le cadre de la Loi sur la gestion des finances publics, L.R.C. (1985), ch. F-11, et de ses règlements d’application.

Lors d’une audience tenue à Halifax le 11 septembre 1996, les dépens de la vente ont été taxés entre parties, conformément à l’ordonnance de vente du 17 mai 1996. Des dépens, d’un montant global de 42 365 57 $CAN, ont ensuite été versés à l’avocat de la demanderesse en fiducie au profit de ceux à qui des dépens et des frais adjugés étaient dus.

Requête présentée par les syndics demandant que le produit de la vente leur soit versé

La Cour s’est réunie à Halifax, le 19 septembre 1996, pour examiner la requête des syndics demandant que le produit net leur soit versé. À cette occasion, la Cour a également examiné les requêtes qui avaient alors été présentées concernant les mesures à prendre au sujet de la destruction de certaines marchandises abandonnées au quai et des frais de leur entreposage jusqu’à ce que leur enlèvement et leur destruction aient été ordonnés ainsi que des frais d’entreposage des conteneurs, questions sur lesquelles des ordonnances distinctes ont statué.

En ce qui concerne l’aliénation du produit de la vente du Brussel, les avocats étaient ouverts à l’idée que la requête des syndics soit examinée, mais non à cette étape-là, avec toute autre proposition relative au versement du produit à d’autres réclamants, en attendant que soient précisées et classées d’autres réclamations, qui, prévoyait-on, allaient prendre un certain temps.

L’argumentation à l’appui de la requête des syndics était principalement fondée sur le raisonnement énoncé dans le jugement rendu le 28 juin 1996 par le juge Guthrie, de la Cour supérieure du Québec (siégeant en matière de faillite et d’insolvabilité), en particulier en ce qui concerne la disposition voulant que le produit net de la vente du navire soit versé aux syndics. On se rappellera que l’une des dispositions de l’ordonnance que la Cour avait alors rendue prévoyait ce qui suit :

[traduction] ORDONNE que, si la vente est conclue comme susdit, le produit net de la vente (après paiement de toutes les dépenses d’annonce de la vente, d’évaluation, d’assurance et autres coûts, débours, commissions et autres dépenses nécessaires de la vente) soit versé à bref délai aux syndics en vue de sa répartition entre les créanciers de la faillie dans le respect de tous leurs droits et en conformité avec le droit belge.

L’avocat des syndics a fait valoir que le tribunal de la faillite avait compétence exclusive à l’égard des biens de la faillie dès lors qu’il était saisi de l’affaire. Implicitement, cela signifiait que les procédures dont la présente Cour était saisie à partir de ce moment-là, c’est-à-dire essentiellement à compter du 11 juin 1996, avaient trait à des questions qui étaient devenues des questions de faillite. Dès lors, la présente Cour était incompétente. Cette opinion était fondée sur l’attribution par le Parlement de la compétence en matière de faillite aux cours supérieures des provinces sous le régime de l’article 183 [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 27, art. 10; L.C. 1990, ch. 17, art. 3; 1993, ch. 28, art. 78] de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et du paragraphe 17(6) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3] de la Loi sur la Cour fédérale. Cette dernière disposition prévoit ce qui suit :

17.

(6) La Section de première instance n’a pas compétence dans les cas où une loi fédérale donne compétence à un tribunal constitué ou maintenu sous le régime d’une loi provinciale sans prévoir expressément la compétence de la Cour fédérale.

En l’espèce, l’avocat a soutenu que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ne conférait expressément à la présente Cour aucune compétence en matière de faillite. J’accepte l’argument qui veut que la présente Cour soit incompétente en matière de faillite.

Je ne suis pas persuadé que le paragraphe 17(6) de la Loi sur la Cour fédérale est pertinent en l’espèce. Il a été modifié par l’article 3 des L.C. 1990, ch. 8, dans le cadre d’une révision de l’article 17 de la Loi, substituant une compétence concurrente de première instance à ce qui était jusqu’alors la compétence exclusive de première instance de la présente Cour en ce qui concerne les réclamations contre la Couronne du chef du Canada. Du fait de cette modification, la présente Cour partage une compétence concurrente avec les tribunaux provinciaux. Dans ce contexte, le paragraphe 17(6) se rapporte implicitement aux instances dirigées contre la Couronne, ce qui n’est pas le cas dans la présente action.

Néanmoins, si le paragraphe 17(6) a des implications plus larges, comme les syndics le prétendent, il ne ferait qu’empêcher la présente Cour, dans les circonstances de l’espèce, de juger des questions de faillite. Je ne considère pas que les décisions de la présente Cour en matière de saisie d’un navire, de jugement par défaut et de vente du navire ou que le fait qu’elle tranche la revendication du produit de la vente du navire par un créancier garanti sont des procédures de faillite. En toute déférence pour le rôle que confère aux tribunaux de faillite la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la présente Cour cherche simplement à statuer sur les redressements que sollicitent les divers requérants, lesquels existent depuis longtemps en droit maritime et dont l’application relève de la Cour fédérale conformément à l’article 22 [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 69] de la Loi sur la Cour fédérale. Je ne suis pas d’accord pour dire que parce que les préoccupations des syndics ont été portées plus tard à l’attention du tribunal de la faillite, la présente Cour s’est trouvée dépourvue de compétence pour examiner toutes les réclamations déposées contre le navire Brussel. Je reconnais toutefois que l’examen de certaines de ces réclamations permet d’affirmer que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et les ordonnances judiciaires rendues sous le régime de cette Loi peuvent avoir une certaine importance.

On a fait valoir au nom des syndics que, dans la mesure où la présente Cour peut avoir compétence sur le produit de la vente, elle devrait s’en remettre à la décision du tribunal de faillite. On a également ajouté que le principe de la reconnaissance judiciaire du jugement d’un autre tribunal, comme l’a énoncé le juge La Forest, de la Cour suprême du Canada, dans Morguard Investments Ltd c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, particulièrement aux pages 1096 et 1098, en ce qui concerne les rapports entre les tribunaux des provinces, devrait s’appliquer aussi aux relations entre les cours supérieures exerçant leur compétence sous le régime de différentes lois fédérales. Ainsi, on a exhorté la présente Cour, qui prend appui sur la Loi sur la Cour fédérale, à reconnaître et à accepter la décision de la Cour supérieure du Québec (siégeant en matière de faillite et d’insolvabilité).

La demanderesse prétend qu’il n’y a pas eu, en l’espèce, faillite au Canada, et, donc, que l’intervention du tribunal de faillite n’est pas justifiée. La Cour supérieure du Québec, en tant que cour supérieure, pourrait reconnaître un jugement ou une ordonnance rendus à l’étranger, en l’espèce, le jugement rendu par la Cour commerciale d’Anvers, mais il n’y a pas eu cession au Canada au séquestre officiel, laquelle donnerait naissance à une faillite dans notre pays. À défaut de cela, on a fait valoir qu’on demandait en réalité à la présente Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de déférer à l’application du droit belge par un tribunal belge, sans égard aux droits de la demanderesse et d’autres créanciers, particulièrement les créanciers garantis reconnus comme tels par la procédure de la présente Cour. On a fait valoir que ces créanciers n’avaient pas à démontrer qu’ils seraient traités de façon moins avantageuse sous le régime du droit belge, comme le soutenaient les syndics en s’appuyant sur les motifs du juge Guthrie. Au contraire, il devrait incomber aux syndics de démontrer que les créanciers ne seraient pas défavorisés sous le régime du droit belge. On s’est demandé si les créanciers titulaires d’un privilège maritime constitué sous le régime du droit américain, privilège reconnu par la présente Cour, ne bénéficieraient pas d’une reconnaissance semblable de leur privilège sous le régime du droit belge. Pour les fins des présents motifs, je dois écarter cette question pour la simple raison que la Cour n’a été saisie d’aucun élément de preuve comparant le statut de la réclamation de la demanderesse en droit belge et en droit canadien.

La demanderesse soutient qu’elle est titulaire d’un privilège maritime créé sous le régime du droit américain et que ce privilège a été reconnu par le jugement par défaut rendu par la présente Cour le 14 mai; ce jugement était fondé sur l’arrêt Ioannis Daskalelis (c’est-à-dire Todd Shipyards Corp. c. Altema Compania Maritima S.A., précité). Dans cette affaire, le juge Ritchie a déclaré, au nom de la Cour suprême du Canada, qu’une réclamation prenant naissance aux États-Unis qui donne lieu à un privilège maritime grevant un navire est exécutoire dans notre pays à titre de privilège maritime, même dans des circonstances où une réclamation semblable prenant naissance au Canada ne donnerait pas lieu à un privilège maritime. De plus, il a indiqué que, en vertu du privilège maritime, une telle réclamation est exécutoire en droit maritime canadien, par priorité sur la réclamation d’un créancier hypothécaire. En l’espèce, le rang inférieur des réclamations garanties peut en dernière analyse être le véritable élément de différence entre le droit maritime canadien et le droit belge en matière de faillite, mais, je le répète, la Cour n’a été saisie d’aucune preuve claire en ce sens.

Dans les arguments avancés au nom des deux parties, on a présumé qu’en l’espèce le produit de la vente du navire serait entièrement affecté au paiement des réclamations des créanciers garantis, y compris la créancière hypothécaire. Il pourrait en être ainsi, car il y a un certain nombre de réclamations relatives à des privilèges maritimes, et la réclamation déposée par l’intervenante, en qualité de créancière hypothécaire, vise en elle-même environ 70 000 000 $CAN. Que cela s’avère en fin de compte être le cas dépendra de la reconnaissance des réclamations présentées, du statut qu’il leur sera accordé et du montant des réclamations des créanciers garantis. À mon avis, il s’agit là de questions qui doivent être tranchées par la présente Cour.

En dernière analyse, l’argument avancé au nom des syndics est que le produit intégral de la vente (moins les frais de vente) devrait leur être versé, conformément au jugement rendu le 28 juin par la Cour supérieure du Québec, essentiellement parce qu’il s’agit d’une question de faillite ou parce que la Cour, par courtoisie judiciaire, devrait déférer à une autre cour supérieure et à la Cour d’Anvers. Au nom de la demanderesse, on a prétendu qu’il ne s’agissait pas d’une question de faillite et que la justification de la suspension des procédures entreprises devant la présente Cour n’avait pas été faite.

À mon avis, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité n’établit pas de processus qui interdit de quelque façon que ce soit à un créancier garanti de réaliser la garantie constituée par le débiteur avant sa faillite. Dans l’affaire Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1995] 3 R.C.S. 453, à la page 472, le juge Gonthier, après avoir mentionné le pouvoir que la loi confère aux tribunaux d’établir l’ordre de priorité applicable au partage des biens du failli conformément au plan prévu par la loi, a ajouté : « Enfin, l’ensemble du plan de répartition est appliqué[s]ous réserve des droits des créanciers garantis” (art. 136), ce qui, comme l’a fait remarquer le professeur Hogg, [traduction] “permet aux créanciers garantis de réaliser leur garantie comme s’il n’y avait pas de faillite” (Hogg, [Constitutional Law of Canada (3e édition, 1992), vol. 1], à la p. 25-9). »

La reconnaissance de ce principe est clairement énoncée dans le jugement que le juge Guthrie a rendu le 28 juin. Le statut des syndics et leur [traduction] « responsabilité et [leur] pouvoir de prendre possession des biens de la faillie situés au Canada, de les réaliser et de les confirmer » y sont expressément reconnus [traduction] « sous réserve toutefois des droits des créanciers titulaires de créances garanties sous le régime des lois du Canada, conformément à la loi ». On a fait valoir au nom des syndics qu’une réclamation comme celle de la demanderesse, transformée en réclamation garantie en vertu d’un privilège maritime créé sous le régime du droit maritime d’un pays étranger, mais qui, s’il avait pris naissance au Canada, ne serait pas ainsi reconnu, ne devrait pas être assimilée à des [traduction] « créances garanties sous le régime des lois du Canada, conformément à la loi ». À mon avis, un privilège maritime créé sous le régime du droit applicable d’un pays étranger est une réclamation garantie en droit canadien, eu égard à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ioannis Daskalelis, précitée. Je note que l’exclusion des créanciers garantis de la portée générale de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité au Canada a été implicitement reconnue dans le jugement du 9 mai 1996 lorsque la Cour supérieure, sans préciser qu’elle siégeait en matière de faillite, a d’abord reconnu les syndics. Cette exclusion est expressément reprise dans les mots introductifs de l’article 136 de la Loi, qui prévoit la distribution des montants réalisés provenant des biens d’un failli d’après l’ordre de priorité de paiement établi dans cet article en ce qui concerne les réclamations des créanciers privilégiés et des créanciers non garantis. Les droits des créanciers garantis dans les circonstances applicables en l’espèce ne sont pas touchés par la Loi.

L’article 2 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité définit comme suit le terme « créancier garanti » :

2.

« créancier garanti » Personne détenant une hypothèque, un nantissement, une charge, un gage ou un privilège sur ou contre les biens du débiteur ou sur une partie de ses biens, à titre de garantie d’une dette échue ou à échoir, ou personne dont la réclamation est fondée sur un effet de commerce ou garantie par ce dernier, lequel effet de commerce est détenu comme garantie subsidiaire et dont le débiteur n’est responsable qu’indirectement ou secondairement.

La question de savoir si une réclamation particulière est garantie dans le contexte des réclamations en l’espèce relève, à mon avis, du droit maritime canadien. Si la réclamation n’est pas garantie et relève de l’article 136 de la Loi, elle serait assujettie à toute distribution des biens par les syndics conformément à l’ordre de priorité prévu par cet article, du moins dans le cas d’une faillite survenant au Canada. À mon sens, il ne fait pas de doute qu’un privilège maritime depuis longtemps reconnu en droit maritime comme une réclamation garantie se rattachant in rem à un navire est une réclamation garantie. J’estime qu’un privilège maritime, constitué avant la faillite du propriétaire d’un navire, peut être exécuté et la réclamation qui prend appui sur celui-ci peut se réaliser sur le produit de la vente du navire sans restriction imposée soit par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, soit, avec égards pour les opinions contraires, par les tribunaux agissant sous le régime de cette Loi.

Ainsi, à mon avis, la demanderesse a le droit, tout comme les autres créanciers garantis exerçant des recours contre le navire Brussel, d’être payée sur le produit de la vente actuellement consigné auprès de la Cour, par priorité sur tout versement aux syndics. De façon préliminaire, j’estime que les créanciers titulaires de réclamations non garanties doivent demander réparation aux syndics devant une autre juridiction, mais je reconnais que cette question n’a pas été débattue devant moi.

Cette façon de faire s’accorderait entièrement avec celle qu’a approuvée le juge Mahoney dans l’affaire Ultramar Can. Inc. c. Pierson SS Ltd. (1982), 43 C.B.R. (N.S.) 9 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, le juge Mahoney était saisi d’une demande présentée par un syndic de faillite sollicitant l’annulation des déclarations et des mandats de saisie et ordonnant la mainlevée de la saisie de navires appartenant à la demanderesse faillie. La Cour a refusé d’annuler les déclarations et le juge Mahoney a déclaré qu’un syndic de faillite n’a pas droit à la mainlevée de la saisie d’un navire en se fondant sur un moyen qui ne protège pas ceux qui revendiquent des privilèges maritimes apparemment valides. Il a suspendu les actions et ordonné la mainlevée de la saisie des navires, à la condition que le syndic de faillite constitue un cautionnement ou une garantie suffisante dont le montant devait satisfaire toutes les réclamations garanties et les dépens; il a en outre fourni l’occasion aux réclamants d’être entendus en ce qui concerne la revendication de tout privilège maritime.

Conclusion et directives

En l’espèce, je propose d’examiner l’argument de tout réclamant revendiquant un privilège maritime qui devrait être reconnu par la présente Cour et l’ordre de priorité, le cas échéant, applicable aux privilèges maritimes et aux autres créanciers garantis.

L’ordonnance de vente du navire en date du 17 mai prescrivait à tous ceux qui avaient des réclamations contre le navire de déposer un avis de leurs réclamations au plus tard le 2 juillet 1996, sinon ils s’exposeraient à l’exclusion de leurs réclamations. De nombreuses réclamations ont ainsi été signifiées. En tout, au début, 26 réclamants, en plus de la demanderesse, ont déposé des déclarations introduisant des actions distinctes; en outre, plus de 20 autres réclamants, y compris l’intervenante, ont déposé avis de leurs réclamations dans le délai fixé par l’ordonnance. Un certain nombre de ces réclamants revendiquaient des privilèges maritimes.

Si des créanciers non garantis désirent être entendus au sujet de ma déclaration préliminaire selon laquelle leurs réclamations, déposées auprès de la présente Cour, devraient être soumises aux tribunaux de faillite, je suis disposé à entendre et à examiner les arguments qui seront présentés sur cette question. Les créanciers non garantis sont invités à présenter des observations écrites sur leurs droits avant le 13 mai 1997, jour réservé à l’audition des requêtes, à Halifax, comme sous-indiqué, ou par comparution personnelle à cette date.

Évidemment, les syndics en leur qualité de défendeurs et l’intervenante en l’espèce peuvent être entendus à l’égard de toute réclamation de privilège maritime formée par un créancier et en réponse à toute réclamation formée par un créancier non garanti selon laquelle la présente Cour devrait statuer sur sa réclamation. Je note que la Cour n’a pas encore été saisie de la requête des syndics, déposée le 12 juin 1996, conformément au jugement par défaut rendu le 14 mai 1996, et sollicitant la désignation d’un arbitre chargé d’examiner le montant de la réclamation de la demanderesse, et que les syndics peuvent toujours désirer poursuivre l’affaire. Par ailleurs, les syndics ou l’intervenante peuvent désirer contester ou faire examiner le montant ou la validité de toute autre réclamation.

Pour mémoire, peut-être devrais-je signaler que, si les syndics étaient disposés à fournir une garantie suffisante pour satisfaire les réclamations des créanciers garantis, la Cour considérerait la possibilité d’ordonner la consignation du produit de la vente à un tribunal de faillite au Canada au nom des syndics. Tout comme il était loisible aux syndics de constituer une garantie pour la mainlevée de la saisie du Brussel à une étape antérieure, il leur est toujours loisible de constituer une garantie pour satisfaire les réclamations des créanciers garantis au titre du droit maritime. Si une telle garantie n’est pas produite, la présente Cour ordonnera que les réclamations des créanciers garantis soient payées directement sur le produit de la vente avant que tout montant ne soit versé aux syndics ou en leur nom.

La Cour ordonne que le versement aux syndics ou en leur nom est assujetti aux droits des créanciers garantis, y compris les réclamants titulaires de privilèges maritimes reconnus en droit maritime canadien, et de la créancière hypothécaire, ces réclamations devant être payées par la Cour sur le produit de la vente du navire Brussel.

De plus, la Cour ordonne que les avocats intéressés soient prêts à l’informer au moyen d’observations écrites ou par comparution personnelle le 13 mai 1997, jour réservé à l’audition des requêtes, à Halifax, d’un processus de résolution de toutes les questions pendantes avant que tout paiement ne soit fait sur le produit de la vente du navire à un créancier garanti, à tout autre réclamant ou aux syndics. Si les avocats qui ne seront pas à Halifax ce jour-là désirent participer à l’audience par conférence téléphonique, la Cour prendra les dispositions nécessaires à cette fin.

La Cour ordonne que les observations relatives aux dépens de la requête entendue le 19 septembre 1996 soient présentées par écrit ou oralement lors de la séance du 13 mai 1997.

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