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[1996] 3 C.F. 373

T-639-92

Canadien Pacifique Limitée et Unitel Communications Inc. (requérantes)

c.

Bande indienne de Matsqui et Conseil de la bande indienne de Matsqui (intimés)

Répertorié : Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui (1re inst.)

Section de première instance, juge Teitelbaum— Vancouver, 9 janvier; Ottawa, 25 juillet 1996.

Peuples autochtones Taxation Demandes de contrôle judiciaire contestant la validité des avis d’évaluation émis en vertu de règlements de taxation et d’évaluationLes chemins de fer des requérantes traversent des réserves indiennesLes bandes indiennes sont autorisées à prendre des règlements pour l’imposition de taxes à des fins locales «sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux-ci » en vertu de l’art. 83 de la Loi sur les IndiensLe législateur avait l’intention d’accorder aux requérantes un droit de passage et non une servitudeLes bandes indiennes n’ont aucun pouvoir de taxation sur les terres étant donné que le titre de propriété a été dévolu aux requérantesLes règlements établissent des distinctions entre les particuliersL’art. 87 de la Loi ne dispense pas les membres de la bande de l’assujettissement à leurs propres règlements.

Peuples autochtones Terres Les intimés ont envoyé des avis d’évaluation concernant les terres sur lesquelles les requérantes exploitent des chemins de ferLa question est de savoir si les terres sont « situées dans la réserve » au sens de l’art. 83(1)a) de la Loi sur les IndiensLes terres ont été cédées aux requérantes par le gouvernement fédéral en vertu de lettres patentesLe droit de passage des compagnies de chemin de fer n’est pas une servitudeLes terres ont été cédées aux requérantes précisément pour qu’elles exploitent un chemin de ferUn droit extinguible leur a été accordé sur les terres.

Chemins de fer Les chemins de fer des requérantes traversent des réserves indiennesLes terres ont été cédées aux requérantes aux fins de construire un chemin de fer nationalLe législateur avait l’intention de céder aux requérantes des terres constituant une emprise pour le passage du chemin de ferDans le langage ferroviaire, le droit de passage n’est pas une servitudeLes lettres patentes et arrêtés en conseil attestent que les terres ont été cédées aux requérantes précisément pour qu’elles exploitent un chemin de ferLes Indiens ont cédé les terres aux fins du chemin de ferLes terres ne sont plus du ressort du gouvernement fédéral étant donné que les titres de propriété ont été dévolus aux requérantes.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, entendue en même temps que d’autres demandes semblables, contestant la validité de certains avis d’évaluation émis par des bandes indiennes aux termes de règlements de taxation et d’évaluation. Les requérantes sont des compagnies de chemin de fer dont les voies ferrées parcourent des réserves indiennes. Les terres en question ont été cédées aux requérantes par le gouvernement fédéral aux termes de lettres patentes et le transfert en a été autorisé par les différents mécanismes prévus par la loi, aux fins de construire un chemin de fer national pour permettre à la Colombie-Britannique a d’adhérer à la Confédération. En vertu de l’article 83 de la Loi sur les Indiens, le conseil d’une bande indienne peut, avec l’approbation du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, prendre des règlements pour l’imposition de taxes à des fins locales « sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux-ci ». En 1992, 1993 et 1995, un certain nombre d’avis d’évaluation foncière ont été expédiés aux requérantes concernant les terres sur lesquelles elles exploitent leur entreprise respective. Les requérantes ont contesté la validité de ces avis aux motifs que les intimés ont outrepassé la compétence qui leur est conférée à l’article 83 de la Loi sur les Indiens , qu’ils ont commis une erreur de droit en prenant des décisions, des décrets, des résolutions et des règlements, ou en essayant de toute autre manière de taxer les requérantes, et que les règlements sont invalides et outrepassent les pouvoirs des intimés parce qu’ils créent des distinctions entre les différents types de biens immeubles et les différents types de droits de propriété ou autre concernant ces biens immeubles. Les questions à trancher étaient les suivantes : 1) les terres sont-elles situées « dans la réserve » au sens de l’alinéa 83(1)a) de la Loi sur les Indiens? et 2) si les règlements sont applicables à toutes les parcelles de terre en question, sont-ils invalides parce qu’ils établissent, sans pouvoir légal, une distinction entre les biens immeubles et les personnes?

Jugement : la demande doit être accueillie.

1) Cette affaire ne concerne pas les droits ancestraux, les obligations de la Couronne ou l’abus d’un pouvoir conféré par la loi; il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant les règlements de taxation adoptés par les bandes en vue de déterminer si les terres visées sont situées dans la réserve comme l’exige la Loi sur les Indiens, c’est-à-dire de déterminer si le titre de propriété des terres appartient à Sa Majesté, de sorte que les conseils de bande indienne auraient le pouvoir légal d’imposer des taxes sur les terres. L’expression « droit de passage » telle qu’elle est utilisée dans le lexique des chemins de fer ne désigne pas une servitude. Le législateur n’a jamais eu l’intention d’accorder une servitude. Son intention était de céder aux requérantes des terres constituant une emprise pour le passage du chemin de fer. Un thème commun lie les lettres patentes, les arrêtés en conseil et les lois applicables, c’est-à-dire que les terres ont été cédées aux requérantes précisément pour les besoins du chemin de fer. Le droit sur les terres qui a été cédé aux compagnies de chemin de fer était un droit extinguible. Par conséquent, le titre était dévolu aux requérantes et les terres n’étaient pas assujetties au pouvoir de taxation des bandes indiennes. Si l’événement qui éteint le droit porte sur la totalité de ce droit, alors un droit extinguible est créé. Dans le cas contraire, un droit conditionnel est créé. En l’espèce, l’événement résolutoire, c’est-à-dire le cas où les terres cesseront d’être utilisées pour les besoins du chemin de fer, vise l’intégralité du droit conféré. Des expressions comme « pour les besoins d’un chemin de fer » utilisées dans les lettres patentes et dans les lois applicables s’apparentent davantage aux mots magiques qui contribuent à créer un droit extinguible qu’à ceux qui donnent naissance à un droit conditionnel. Les résolutions des bandes démontrent que les Indiens avaient l’intention de céder les terres pour les besoins du chemin de fer. Comme les titres des terres ont été dévolus aux requérantes, les terres n’étaient plus du ressort du gouvernement fédéral.

2) Deux questions se rattachent à la discussion générale portant sur la discrimination. La première question consiste à déterminer si les conseils de bande indienne sont des entités créées par la loi semblables aux municipalités. La Cour peut maintenir la validité des règlements de la bande indienne en y supprimant les éléments contestés. Les règlements peuvent s’appliquer sous une forme tronquée et ils auraient reçu l’assentiment du conseil de bande s’ils avaient été présentés au conseil sous cette forme. Les conseils de bande ne sont pas des entités autonomes créées par les lois étant donné que le ministre doit toujours approuver leurs règlements. L’argument des requérantes selon lequel une interprétation stricte de l’article 83 aurait pour effet d’autoriser simplement l’établissement d’un impôt uniforme est non seulement peu pratique, mais il va également à l’encontre de la jurisprudence. La Loi sur les Indiens envisage une accession graduelle à l’autonomie gouvernementale. Les modifications apportées en 1988 à la Loi indiquent que les bandes indiennes n’ont plus à démontrer leur maturité, du moins pour ce qui a trait à leur pouvoir de taxation. Cela ne signifie pas que les Indiens sont parvenus à l’autonomie gouvernementale. Les règlements qui établissent des distinctions entre différents types de biens immeubles sont valides. Toutefois, le législateur n’a jamais eu l’intention d’accorder aux bandes indiennes le pouvoir d’exonérer certains individus des impôts et d’y assujettir d’autres personnes. La partie des règlements dans laquelle des distinctions sont établies entre les personnes en est donc retranchée. La deuxième question consistait à déterminer si l’article 87 de la Loi sur les Indiens dispense les membres des bandes de leurs propres règlements. L’argument des intimés appuyant cette proposition est contraire aux buts et objectifs mêmes de l’autonomie gouvernementale énoncés dans une décision récente de la Cour suprême du Canada. L’article 87 s’applique aux autorités extérieures et non à la bande indienne elle-même conformément à l’article 83. L’autonomie en matière de taxation fait partie intégrante de l’autonomie gouvernementale des autochtones et elle ne peut que la renforcer.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Acte concernant le chemin de fer Canadien du Pacifique, S.C. 1881, ch. 1, art. préambule, 1, 5, cédule, art. 7, 10, 12, 22.

Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, L.R.C. (1985), appendice II, no 10.

L’Acte des chemins de fer, S.R.C. 1859, ch. 66.

Land Title Act, R.S.B.C. 1979, ch. 219, art. 23, 25.

Loi ayant pour objet de constituer en corporation la Canadian National Railway Company et concernant les chemins de fer nationaux du Canada, S.C. 1919, ch. 13.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5].

Loi des chemins de fer, S.R.C. 1927, ch. 170, art. 162, 189.

Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, art. 48.

Loi des sauvages, S.R.C. 1906, ch. 81, art. 49.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4).

Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1952, ch. 234, art. 2 « terrains ».

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2 « réserve » (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 1), 35, 37 (mod., idem, art. 2), 83 (mod., idem, art. 10), 87.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3; (1995), 122 D.L.R. (4th) 129; 26 Admin. L.R. (2d) 1; [1995] 2 C.N.L.R. 92; 177 N.R. 325; Gitanmaax Indian Band v. British Columbia Hydro and Power Authority (1991), 84 D.L.R. (4th) 562; [1992] 4 C.N.L.R. 28 (C.S.C.-B.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Attorney General of Canada v. Canadian Pacific Limited and Marathon Realty Company Limited, [1986] 1 C.N.L.R. 1 (C.S.C.-B.); conf. par sub nom. Canada (Attorney General) v. Canadian Pacific Ltd., [1986] B.C.J. no 407 (C.A.) (QL); Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654; (1988), 91 N.B.R. (2d) 43; 53 D.L.R. (4th) 487; 232 A.P.R. 43; [1989] 1 C.N.L.R. 47; 89 N.R. 325; 1 R.P.R. (2d) 105; Otineka Development Corp. c. Canada, [1994] 2 C.N.L.R. 83; [1994] 1 C.T.C. 2424; (1994), 94 DTC 1234 (C.C.I.); Stacey and Montour and The Queen, Re, (1981), 63 C.C.C. (2d) 61; [1982] 3 C.N.L.R. 158 (C.A. Qué.).

DÉCISIONS NON SUIVIES :

Rempel Bros. Concrete Ltd. v. Mission (Dist.) (1989), 40 B.C.L.R. (2d) 393; 47 M.P.L.R. 71 (C.S.); Canada Cement Company Limited and the Town of Port Colborne, Re, [1949] O.R. 75 (H.C.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; (1984), 13 D.L.R. (4th) 321; [1984] 6 W.W.R. 481; 59 B.C.L.R. 301; [1985] 1 C.N.L.R. 120; 20 E.T.R. 6; 55 N.R. 161; 36 R.P.R. 1; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; (1990), 70 D.L.R. (4th) 385; [1990] 4 W.W.R. 410; 46 B.C.L.R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 263; [1990] 3 C.N.L.R. 160; 111 N.R. 241; Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344; (1995), 130 D.L.R. (4th) 193; Farah v. Glen Lake Mining Co. (1908), 17 O.L.R. 1 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3 (1985), 17 D.L.R. (4th) 591; [1985] 3 C.N.L.R. 15; 32 L.C.R. 65; 58 N.R. 241 (C.A.); Point v. Dibblee Construction Co. Ltd., et al., [1934] O.R. 142; Ottawa, City of, v. Town of Eastview, [1941] R.C.S. 448; [1941] 4 D.L.R. 65; Taxation of University of Manitoba Lands, Re, [1940] 1 D.L.R. 579 (C.A. Man.).

DOCTRINE

Dorman, Robert and D. E. Stoltz. A Statutory History of Railways in Canada 1836-1986. Kingston, Ont. : Canadian Institute of Guided Ground Transport, Queen’s University, 1987.

Fridman, G. H. L. The Law of Contract in Canada, 2nd ed. Toronto : Carswell, 1986.

Maslove, A. M. and C. Dittburner. « The Financing of Aboriginal Self-Government » in Hylton, J. H. (ed.), Aboriginal Self-Governement in Canada : Current Trends and Issues. Saskatoon : Purich Publishing, 1994.

Megarry, Sir Robert and M. P. Thompson, eds. Megarry’s Manual of the Law of Real Property, 7th ed. London : Sweet & Maxwell, 1993.

DEMANDE de contrôle judiciaire contestant la validité de certains avis d’évaluation émis par les bandes indiennes en vertu de règlements de taxation et d’évaluation. Demande accueillie.

AVOCATS :

Norman D. Mullins, c.r. et Scott Macfarlane pour les requérantes Canadien Pacifique Ltée, Unitel Communications et Esquimalt & Nanaimo Railway Co.

Patrick G. Foy et Shelley-Mae Mitchell, pour la requérante Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.

Arthur Pape pour l’intimée Bande indienne de Matsqui.

Leslie J. Pinder, Clarine Ostrove et E. Ann Gilmour pour les intimées Bande indienne de Boothroyd et Bande indienne de Kamloops.

Gary S. Snarch et Fiona Anderson pour l’intimée Bande indienne de l’île Seabird.

Harry A. Slade, Robert C. Freedman et Michael C. Akey pour l’intimée Bande indienne de Nanaimo.

PROCUREURS :

Services juridiques du Canadien Pacifique, Vancouver, pour les requérantes Canadien Pacifique Ltée, Unitel Communications Inc. et Esquimalt & Nanaimo Railway Company.

Ladner Downs, Vancouver, pour la requérante Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.

Pape & Salter, Vancouver, pour l’intimée Bande indienne de Matsqui.

Mandell, Pinder, Vancouver, pour les intimées Bande indienne de Boothroyd et Bande indienne de Kamloops.

Snarch & Allen, Vancouver, pour l’intimée Bande indienne de l’île Seabird.

Ratcliff & Company, North Vancouver, pour l’intimée Bande indienne de Nanaimo.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance modifiés rendus par

Le juge Teitelbaum : La demande de contrôle judiciaire précitée a été entendue en même temps que les demandes suivantes :

T-2790-93  Canadien Pacifique Limitée c. La bande indienne de l’île Seabird et le conseil de la bande indienne de l’île Seabird;

T-2780-93  Canadien Pacifique Limitée c. La bande indienne de Boothroyd et le conseil de la bande indienne de Boothroyd;

T-2986-93  Esquimalt and Nanaimo Railway Company c. La bande indienne de Nanaimo et le conseil de la bande indienne de Nanaimo;

T-269-95    La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. La bande indienne de Matsqui et le conseil de la bande indienne de Matsqui;

T-1638-93  La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. La bande indienne de Kamloops et le conseil de la bande indienne de Kamloops

Ces demandes portent sur le même sujet, malgré quelques différences quant aux faits.

Toutes ces affaires font l’objet d’une seule série de motifs. Les motifs énoncés dans la présente cause, étant donné qu’ils s’appliquent à toutes les demandes précitées, seront déposés dans chacun des dossiers susmentionnés et s’appliqueront à chacun d’eux.

Il s’agit de demandes de contrôle judiciaire aux termes desquelles les requérantes, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), Canadien Pacifique Limitée (CP), Esquimalt and Nanaimo Railway (E&N) et Unitel Communications Inc. (Unitel) contestent, en vertu de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4], la validité de certains avis de cotisation émis aux termes de règlements de taxation et d’évaluation des biens immeubles (les règlements) adoptés par les bandes indiennes intimées : Matsqui, Boothroyd, Seabird, Nanaimo et Kamloops.

Unitel participe à ce contrôle judiciaire parce que des câbles de fibres optiques sont enfouis le long de la voie ferrée du CP qui parcourt la réserve de la bande indienne de Matsqui. La participation d’E&N à ce contrôle judiciaire se limite à son utilisation des terres en question dans la réserve de la bande indienne de Nanaimo. Le CN participe à ce contrôle judiciaire parce que ses voies ferrées traversent la réserve de la bande indienne de Kamloops et la réserve de la bande indienne de Matsqui. Enfin, les demandes du CP ont trait aux bandes indiennes de Matsqui, de Boothroyd et de Seabird. Dans la présente décision, je ferai référence aux compagnies de chemin de fer et aux bandes indiennes en les désignant généralement sous le nom de requérantes et d’intimées, respectivement.

Les demandes de contrôle judiciaire font valoir les moyens suivants[1] :

1) les intimés ont agi sans compétence ou ont outrepassé la compétence qui leur est conférée à l’article 83 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, modifié en 1988 par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 10 (la Loi sur les Indiens), en prenant des décisions, des décrets, des résolutions et des règlements, ou en essayant de toute autre manière de taxer les requérantes, relativement aux terres et aux biens immeubles qui appartiennent, selon les requérantes, à CN, CP, Unitel ou E&N;

2) les intimés ont commis une erreur de droit, en vertu de la Loi sur les Indiens, en prenant des décisions, des décrets, des résolutions et des règlements, ou en essayant de toute autre manière de taxer les requérantes, relativement aux terres et aux biens immeubles qui appartiennent, selon les requérantes, à CN, CP, Unitel ou E&N;

3) les intimés ont pris les décisions, décrets, résolutions et règlements ou ont essayé de toute autre manière de taxer les requérantes, relativement aux terres et aux biens immeubles qui appartiennent, selon les requérantes, à CN, CP, Unitel ou E&N en se fondant sur une conclusion de fait erronée, savoir que les terres du CP, du CN, d’Unitel ou d’E&N sont situées dans les réserves des intimés;

4) les règlements sont invalides et outrepassent les pouvoirs des intimés parce que, en l’absence de toute autorité légale :

a) ces règlements créent des distinctions, quant à l’évaluation, à la classification et aux taux de taxation, entre les différents types de biens immeubles, les différents usages de ces biens immeubles et les différents types de droits de propriété ou autre concernant ces biens immeubles;

b) ces règlements créent des distinctions entre les occupants non indiens des terres des réserves et les parties et personnes suivantes qui occupent ou détiennent les terres des réserves, savoir les membres de la bande, la bande, et une personne morale qui appartient à la bande ou qui est contrôlée par elle.

Les requérantes demandent les redressements suivants[2] :

a) des jugements déclarant que les résolutions susmentionnées du conseil de la bande indienne ne s’appliquent pas aux terres ou aux biens immeubles dont CP, Unitel, CN ou E&N sont propriétaires;

b) des jugements déclarant que les règlements d’évaluation et de taxation du conseil de la bande indienne susmentionnés et leurs modifications, ne s’appliquent pas aux terres ou aux biens immeubles dont CP, Unitel, CN ou E&N sont propriétaires;

c) subsidiairement, des jugements déclarant que si les résolutions et les règlements de taxation et d’évaluation ne peuvent être interprétés comme ne s’appliquant pas aux terres ou aux biens immeubles dont CP, Unitel, CN ou E&N sont propriétaires, ces règlements de taxation et d’évaluation sont nuls et n’ont aucun effet juridique;

d) des jugements déclarant que les intimés n’ont aucun pouvoir légal d’émettre les avis d’évaluation et de taxation des biens immeubles pour 1992 ou 1993 ou ces deux années (selon le cas) (les avis) aux requérantes concernant les terres ou les biens immeubles dont CP, Unitel, CN ou E&N sont propriétaires, et que ces règlements de taxation et d’évaluation sont nuls et n’ont aucun effet juridique;

e) des jugements déclarant que les règlements de taxation et d’évaluation sont inopérants et invalides parce qu’ils ont pour objet d’imposer une taxe discriminatoire qui n’est pas autorisée par la loi habilitante;

f) des brefs de quo warranto enjoignant aux intimés de prouver qu’ils ont le pouvoir de prendre les résolutions et les règlements de taxation et d’évaluation contestés pour les appliquer aux terres et aux biens immeubles dont CP, Unitel, CN ou E&N sont propriétaires, et de faire en sorte que ces avis d’évaluation foncière soient émis relativement à ces terres et biens immeubles;

g) des brefs de certiorari en vue d’annuler les avis d’évaluation foncière de 1992 ou 1993 ou de ces deux années;

h) des brefs de certiorari en vue d’annuler les résolutions et les règlements de taxation et d’évaluation foncières;

i) des brefs de prohibition en vue d’empêcher les intimés d’appliquer ou d’essayer d’appliquer les résolutions et les règlements de taxation et d’évaluation foncières ou d’essayer de toute autre manière de taxer les requérantes relativement aux terres et aux biens immeubles dont CP, Unitel, CN ou E&N sont propriétaires; et

j) des injonctions interlocutoires ou permanentes en vue d’empêcher les intimés, leurs évaluateurs, employés ou mandataires d’appliquer ou d’essayer d’appliquer les résolutions et les règlements de taxation et d’évaluation foncières ou d’évaluer ou de taxer de toute autre manière les requérantes relativement aux terres et biens immeubles dont CP, Unitel, CN ou E&N sont propriétaires.

En vertu de l’article 83 de la Loi sur les Indiens, le conseil d’une bande indienne peut, avec l’approbation du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre), prendre des règlements pour l’imposition de taxes à des fins locales « sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux-ci » [non souligné dans l’original]. L’article 83 a été ajouté à la Loi sur les Indiens après de longues consultations et négociations entre les gouvernements fédéral et provinciaux et les représentants des autochtones. Selon le juge en chef Lamer, dans l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, à la page 24, les modifications avaient pour but de faciliter le développement de l’autonomie gouvernementale des autochtones en permettant aux bandes d’exercer sur leurs réserves le pouvoir proprement gouvernemental de taxation.

Un certain nombre d’avis d’évaluation ont été envoyés à CP, Unitel, CN et E&N concernant les terres en question (les terres) sur lesquelles ces sociétés exploitent leurs entreprises respectives. Les demandes portent sur les avis suivants :

1) les avis d’évaluation de 1995 reçus par le CN le 5 janvier 1995, décrivant les biens immeubles de la façon suivante :

a)    District foncier de New Westminster

Ponts du CN (2 ponts)

Réserve principale n  2 des Indiens de Matsqui

Folio principal 313-98000-0121-9

b)    District foncier de New Westminster

Droit de passage du CN—Réserve principale n 2 des Indiens de Matsqui

Réf. 313-98000-0131-0

c)    District foncier de New Westminster

Voies ferrées du CN (2.052 km)

Réserve principale n  2 des Indiens de Matsqui

Réf. 313-98000-101-1

2) les avis d’évaluation de 1993 reçus par le CN le 3 juin 1993, décrivant les biens immeubles de la façon suivante :

a)    Division Kamloops du district foncier de Yale

Voies ferrées de la subdivision d’Okanagan/ Ashcroft/Clearwater à l’intérieur de      Kamloops 1

Folio n  53-24-066-15002.000

b)    Division Kamloops du district foncier de Yale

Droit de passage du chemin de fer, Kamloops Junction Kamloops 1

Bande indienne de Kamloops R no 1

Folio n  53-24-15003-00

c)    Division Kamloops du district foncier de Yale, MI 119-128.18

Câble de fibres optiques dans la subdivision de Clearwater

Folio n  53-24-066-20001.000

3) les avis d’évaluation de 1992 reçus par le CP et Unitel le 17 février 1992, décrivant les biens immeubles de la façon suivante :

a)    Terres du CP

District foncier de New Westminster, droit de passage du CP

Réserve indienne n  1 de Matsqui

Folio principal « Sahh-a-cum » 313-98000-007-7

Subdivision réelle 34

District d’enregistrement réel 05

b)    Biens immeubles du CP

District foncier de New Westminster

Voies ferrées du CP (0.335 km)

Réserve indienne n  1 de Matsqui

Folio principal « Sahh-a-cum » 313-98000-0040-9

c)    Biens immeubles d’Unitel

District foncier de New Westminster

Câble de fibres optiques Unitel (0.353 km)

Réserve indienne n  1 de Matsqui

Folio principal « Sahh-a-cum » 313-98000-005-0

Subdivision réelle 34

District d’enregistrement réel 05

4) les avis d’évaluation de 1993 reçus par le CP le 3 novembre 1993, décrivant les biens immeubles de la façon suivante :

a)    Voies ferrées de la division Yale du district de Yale

Subdivision Thompson, points milliaires 111.64 à 112.01

Réserve indienne n  7 de Boothroyd — Chukcheestso

Folio principal 16-32-732-09202.100

b)    Voies ferrées de la division Yale du district fon cier de Yale

Subdivision Thompson, points milliaires 111.64 à 112.01

Réserve indienne n  7 de Boothroyd — Chukcheestso

Folio principal 16-32-732-09202.101

c)    Droit de passage de la division Yale du district foncier de Yale

Subdivision Thompson, points milliaires 116.43 à 117.96

Réserve indienne n  3 de Boothroyd—Speyum

Folio principal 16-32-732-09202.101

d)    Voies ferrées de la division Yale du district fon cier de Yale

Subdivision Thompson, points milliaires 116.43 à 117.96

Réserve indienne n  3 de Boothroyd—Speyum

Folio principal 16-32-732-09202.100

5) les avis d’évaluation de 1993 reçus par le CP le 3 novembre 1993, décrivant les biens immeubles de la façon suivante :

a)    Superficie dans la division Yale du district foncier de Yale

Subdivision Cascade, points milliaires 51.84 à 57.12

Bande indienne de l’île Seabird

Folios principaux 16-76-310-8000-52100 & 8000-52300

b)    Voies ferrées dans la division Yale du district foncier de Yale

Subdivision Cascade, points milliaires 51.84 à 57.12

Bande indienne de l’île Seabird

6) les avis d’évaluation de 1993 reçus par E&N les 1er et 3 novembre 1993, décrivant les biens immeubles de la façon suivante :

a)    Partie de l’embranchement de Stockett-Wellcox

située dans la réserve indienne n  1 de Nanaimo

(voir également le rôle d’évaluation n  04-250-19460.049)

b)    Partie de l’embranchement Stockett-Wellcox

située dans la réserve indienne n  1 de Nanaimo

(voir également le rôle d’évaluation n  04-250-19460.051)

Les terres en question sont situées à l’intérieur de la Colombie-Britannique et suivent la rive du fleuve Fraser dans la région d’Okanagan près de Kamloops. La voie ferrée du CN suit la rive nord du Fraser là où se trouve la réserve de la bande indienne de Kamloops. La voie ferrée du CP suit la rive sud du fleuve sans toucher à la réserve de la bande indienne de Kamloops. Le Fraser traverse le canyon du Fraser et les deux chemins de fer suivent le parcours du fleuve en s’accrochant à l’escarpement du canyon. La bande indienne de Boothroyd a des terres du côté sud du canyon à proximité de la ligne de chemin de fer du CP. Les voies ferrées du CN sont situées du côté nord du canyon et ne touchent pas les terres de la bande indienne de Boothroyd. Les voies ferrées du CP et du CN se croisent à l’endroit où le fleuve émerge du canyon. Au nord, les voies ferrées du CP traversent la municipalité de Kent et la réserve indienne de l’île Seabird. Au sud, les voies ferrées du CN parcourent la réserve indienne de Matsqui. Les deux chemins de fer se rejoignent à l’ouest de Mission, en Colombie-Britannique, juste à l’intérieur de la réserve de la bande indienne de Matsqui près de Westminster, en banlieue de Vancouver. La bande indienne de Nanaimo vit sur l’île de Vancouver.

Les terres ont été cédées aux requérantes aux fins de construire un chemin de fer national pour permettre à la Colombie-Britannique d’adhérer à la Confédération conformément aux conditions de l’Union de 1871 [Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, L.R.C. (1985), appendice II, no 10]. Les terres ont été cédées aux requérantes au cours du xxe siècle par le gouvernement fédéral aux termes de lettres patentes, et le transfert en a été autorisé par les différents mécanismes prévus par la loi aux dates pertinentes.

Le tableau des lettres patentes reproduit ci-dessous donne un numéro de référence pour les fins de la présente décision, la date à laquelle les lettres patentes ont été délivrées, le montant payé par les requérantes à la Couronne au profit des bandes indiennes, et la superficie des terres visées.

Canadien Pacifique

Lettres patentes

Bande indienne

LP No

Date

Indemnité

Superficie en acres

Matsqui no 1

25 août 1891

120 $

2.47

Boothroyd no 1

25 juillet 1927

53 64 $

26.82

Boothroyd no 2

6 février 1935

181 42 $

90.71

Seabird no 1

13 avril 1928

652 75 $

96.42

Esquimalt & Nanaimo

Lettres patentes

Bande indienne LP No

Date

Indemnité

Superficie

en acres

Nanaimo no 1

11 septembre 1948

3 100 $

2.76

Canadien National

Lettres patentes

Bande indienne

LP No

Date

Indemnité

Superficie

en acres

Matsqui no 1

13 février 1911 

2 428 $

13.91

Matsqui no 2

12 octobre 1911 

68 $

2.09

Matsqui no 3

30 mai 1963

715 $

2.83

Matsqui no 4

23 novembre 1973 

500 $

0,083

Matsqui no 5

8 septembre 1981 

9 701 $

2,29

Kamloops no 1

5 novembre 1935 

1 $

160.83

Kamloops no 2

1er mars 1933

1 142 50 $

10.29

Kamloops no 3

23 juin 1927 

94 25 $

3.93

Kamloops no 4

20 mai 1929 

861 25 $

6.89

Kamloops no 5

10 septembre 1936 

150 $

1.29

Kamloops no 6

6 avril 1948 

1 580 $

3.16

Kamloops no 7

29 mars 1984

4 219 600 $

164.64

QUESTIONS EN LITIGE

La Cour suprême du Canada a tranché les questions procédurales dans l’arrêt Matsqui (précité). La présente Cour doit maintenant traiter du fond de l’affaire. Les questions dont elle est saisie sont les suivantes :

1) La définition du terme « réserve » : Les terres contestées sont-elles situées « dans la réserve » au sens de l’alinéa 83(1)a) de la Loi sur les Indiens?

2) La discrimination : Subsidiairement, si les règlements sont applicables à toutes les parcelles de terre en question, sont-ils invalides parce qu’ils établissent, sans pouvoir légal, une distinction entre les biens immeubles et les personnes?

La deuxième question n’a pas été soulevée par le CP et Unitel à l’encontre des règlements de la bande indienne de Matsqui (T-639-92).

Comme je l’ai déjà dit, les terres en question ont été cédées en plusieurs étapes au cours du XXe siècle. Au fil des ans, les dispositions des lois pertinentes ont changé à plusieurs reprises. Les dispositions de l’article 48 de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98 se trouvent maintenant à l’article 35. Pour simplifier les choses, je désignerai les dispositions législatives en question par l’expression la loi applicable au lieu d’en donner la référence complète.

En outre, certains extraits de quatre des dix-sept lettres patentes dont je suis saisi sont reproduits ci-dessous. J’ai choisi ces quatre documents parce que chacun d’eux traite d’une question particulière soulevée soit par les requérantes, soit par les intimés. Par exemple, les lettres patentes CP Matsqui no 1 ne font pas référence au pouvoir en vertu duquel elles ont été délivrées et ne contiennent aucune clause de retour. L’élément de preuve le plus convaincant du CP repose sur le fait que le titre de propriété des terres lui aurait été accordé intégralement. Les lettres patentes CP Seabird no 1 indiquent qu’elles ont été délivrées conformément à l’Acte concernant le chemin de fer Canadien du Pacifique, S.C. 1881, ch. 1, (l’Acte du CP) et au contrat qui y est annexé, elles utilisent l’expression « droit de passage » et indiquent que les terres cédées doivent être utilisées pour les besoins du chemin de fer seulement. L’élément de preuve le plus convaincant des intimés repose peut-être sur l’argument selon lequel le titre de propriété des requérantes leur confère un droit moindre qu’un droit intégral.

Les autres lettres patentes concernent CN Matsqui no 5 et CN Kamloops no 7. Les lettres patentes CN Matsqui no 5 font référence à la prise en charge par une société publique; elles réservent spécifiquement à la Couronne les droits miniers sur les terres cédées; et comme les lettres patentes CP Seabird no 1, elles indiquent que les terres cédées doivent être utilisées pour les besoins du chemin de fer. Les lettres patentes CN Kamloops no 7 sont importantes parce qu’elles mentionnent qu’elles ont été délivrées conformément à l’article 35 de la Loi sur les Indiens. Elles précisent également que les terres cédées doivent être utilisées pour les besoins du chemin de fer. À moins que la Cour fasse référence à des lettres patentes précises, sa décision s’applique à toutes les lettres patentes contestées en l’espèce.

Lettres patentes CP Matsqui no 1

[traduction] CONSIDÉRANT que les terres, ci-après décrites, font partie des terres mises de côté à l’usage des Indiens de Matsqui. ET CONSIDÉRANT que Nous avons jugé opportun d’autoriser la vente et l’aliénation des terres ci-après mentionnées, afin que le produit puisse être utilisé au profit desdits Indiens de la manière qu’il Nous plaira d’indiquer de temps à autre :

La Compagnie de chemin de fer Canadien du Pacifique a accepté par contrat avec notre surintendant général des Affaires indiennes, dûment autorisé par Nous à agir en cette qualité, d’acheter inconditionnellement pour la somme de cent vingt dollars en monnaie légale du Canada, les terres et tènements ci-après mentionnés et décrits, dont nous nous saisissons au nom de notre Couronne.

SACHEZ TOUS que, en contrepartie de la somme de cent vingt dollars que la Compagnie de chemin de fer Canadien du Pacifique a payé, à Notre usage, à Notre surintendant général des Affaires indiennes avant ou au moment de sceller nos présentes lettres patentes Nous cédons, vendons, aliénons et transférons à la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique, à ses successeurs et ayants cause à perpétuité, tout ce lopin de terre situé à l’intérieur de la réserve indienne de Matsqui dans le district de New Westminster de la province de Colombie-Britannique de Notre Puissance du Canada, représentant une superficie approximative de deux acres et quarante-sept centième.

Ces terres comprennent tous et chacun de ces certains lopins de terre acquis par la Mission Brandi du chemin de fer Canadien du Pacifique dans ladite réserve indienne de Matsqui comme il est inscrit dans les registres du ministère des Affaires indiennes …

POUR, ladite Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique, ses successeurs et ayants cause à perpétuité, avoir et posséder ledit lot de terre, cédé et transféré par les présentes; IL EST TOUTEFOIS ENTENDU QUE NOUS NOUS RÉSERVONS, ainsi qu’à nos héritiers et ayants cause, la libre jouissance de toutes les eaux navigables se trouvant ou pouvant être découvertes à la surface ou sous terre ou pouvant traverser toute portion dudit lot de terre cédé par les présentes comme il est indiqué ci-dessus. [Non souligné dans l’original.]

Lettres patentes CP Seabird no 1

[traduction] CONSIDÉRANT qu’en vertu des dispositions de l’Acte du parlement du Canada adopté dans la quarante-quatrième année du règne de feu Sa Majesté la Reine Victoria, chapitre 1, intitulé « Acte concernant le chemin de fer Canadien du Pacifique », et en vertu des conditions du contrat et de l’entente incorporées audit Acte, et particulièrement en vertu des conditions de l’article 5 dudit Acte et de l’article 7 dudit contrat, la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique (ci-après appelée « la Compagnie ») est en droit d’obtenir le transfert des portions dudit chemin de fer construit par le gouvernement.

CONSIDÉRANT que les terres ci-après décrites sont des terres dont le transfert à la Compagnie a été autorisé conformément aux dispositions desdits Acte et contrat.

CONSIDÉRANT que les terres ci-après décrites font partie des terres mises de côté à l’usage des Indiens [Seabird] et considérant que le Ministère des chemins de fer et canaux au nom et avec l’autorisation du gouvernement de notre Puissance du Canada, conformément aux arrêtés en conseil du 18 janvier 1886 et du 15 mars 1886, a payé à notre surintendant général des Affaires indiennes, dûment autorisé par Nous à agir en cette qualité, la somme de six cent cinquante-deux dollars et soixante-quinze cents en monnaie légale du Canada, représentant la contrepartie convenue pour l’expropriation desdites terres aux fins de la construction, de l’exploitation et de l’entretien dudit chemin de fer.

SACHEZ TOUS que, conformément au préambule et aux dispositions dudit Acte et desdits Acte et contrat Nous, par les présentes, cédons et transférons à la Compagnie, ses successeurs et ayants cause à perpétuité tout ce lopin de terre situé dans l’île Seabird…

Assorti du droit de passage pour la ligne principale de la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique parcourant ladite île…

POUR, la Compagnie, ses successeurs et ayants cause à perpétuité, avoir et posséder ledit lot de terre, de même que ledit chemin de fer, les bâtiments pour gares, le service d’eau et autres dépendances; il est toutefois entendu que Nous Nous réservons, ainsi qu’à nos héritiers et ayants cause, la libre jouissance de toutes les eaux navigables se trouvant actuellement ou pouvant être découvertes à la surface ou sous terre ou pouvant traverser toute portion dudit lot de terre. [Non souligné dans l’original.]

Lettres patentes CN Matsqui no 5

[traduction] CONSIDÉRANT que les terres ci-après décrites nous sont dévolues à Nous, la Couronne du chef du Canada.

CONSIDÉRANT que la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, personne morale constituée en vertu du droit du Canada, ayant son siège social dans la ville de Montréal, province de Québec, ci-après appelée la cessionnaire, étant une société légalement habilitée à exproprier ou à utiliser des terres ou tout droit sur des terres sans le consentement du propriétaire, a demandé que lesdites terres lui soient cédées pour les besoins du chemin de fer.

CONSIDÉRANT qu’en vertu de la Loi sur les Indiens et conformément à l’avis et au consentement de notre Conseil privé du Canada, lesdites terres ou ledit droit sur les terres qui sont ou peuvent avoir été dévolus à la Couronne pour les besoins du Canada sont cédés à la cessionnaire tant que lesdites terres et toute partie d’icelles seront utilisées pour les besoins du chemin de fer pour la somme de NEUF MILLE SEPT CENT UN DOLLARS ET DIX-HUIT CENTS.

SACHEZ TOUS que Nous, par les présentes, cédons et transférons à la cessionnaire, à ses successeurs et ayants cause, TOUS ET CHACUN DES LOTS SUIVANTS :

En Colombie-Britannique, dans le district de New Westminster, dans la section 7 du township 17, E.C.M., dans la réserve indienne principale no 2 de Matsqui, un droit de passage supplémentaire conforme à un plan déposé au bureau d’enregistrement des droits immobiliers de New Westminster sous le numéro 514400, dont une copie a été versée au Registre d’arpentage des terres du Canada à Ottawa, sous le numéro 60710, et un droit de passage d’une superficie approximative de 2.83 acres.

POUR, la cessionnaire, ses successeurs et ayants cause, avoir et posséder lesdites terres tant que ces terres et toute partie d’icelles seront utilisées pour les besoins du chemin de fer; il est toutefois entendu que Nous Nous réservons, ainsi qu’à nos héritiers et ayants cause, la libre jouissance de toutes les eaux navigables se trouvant actuellement ou pouvant être découvertes à la surface ou sous terre ou pouvant traverser toute portion desdites terres; et Nous Nous réservons également la totalité des mines et minéraux, matières précieuses et de base, à l’état solide, liquide ou gazeux, pouvant être découverts à la surface ou dans le sous-sol de ces terres, de même que le plein pouvoir d’en faire l’exploitation et, à cette fin, le droit de pénétrer sur ces terres, de les utiliser et de les occuper dans toute la mesure nécessaire pour l’exploitation et l’extraction efficaces desdits minéraux.

ET la cessionnaire, en acceptant et en enregistrant les présentes, convient avec Nous qu’advenant le cas où la cession desdites terres prend fin, elle s’engage à en reconnaître l’extinction et à nous rétrocéder immédiatement lesdites terres. [Non souligné dans l’original.]

Lettres patentes CN Kamloops no 7

[traduction] CONSIDÉRANT que les terres ci-après décrites nous sont dévolues à Nous, la Couronne du chef du Canada, pour l’usage et le profit de la bande indienne de Kamloops.

CONSIDÉRANT que la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada demande lesdites terres pour les besoins du chemin de fer conformément à l’article 35 de la Loi sur les Indiens et au consentement dûment accordé par notre gouverneur en conseil, lesdites terres ou les droits sur ces terres qui nous sont ou qui peuvent nous être dévolus pour l’usage et le profit desdits Indiens sont cédées à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, ci-après la cessionnaire, pour la somme de quatre millions deux cent dix-neuf mille six cents dollars.

SACHEZ TOUS que Nous, par les présentes, cédons et transférons à la cessionnaire, ses successeurs et ayants cause, TOUS ET CHACUN DES LOTS SUIVANTS :

Toutes les parcelles de la réserve indienne no 1 de Kamloops, dans la division Kamloops du district de Yale, dans la province de la Colombie-Britannique, lesdites parcelles étant désignées comme le droit de passage du chemin de fer, allant en s’élargissant, au plan 68674 déposé au Registre d’arpentage des terres du Canada, à Ottawa, dont une copie a été versée au bureau des titres fonciers de Kamloops sous le plan M 17625…

POUR, la cessionnaire, ses successeurs et ayants cause, avoir et posséder lesdites terres tant que ces terres et toute partie d’icelles seront utilisées pour les besoins du chemin de fer; il est toutefois entendu que Nous Nous réservons, ainsi qu’à nos héritiers et ayants cause, la libre jouissance de toutes les eaux navigables se trouvant actuellement ou pouvant être découvertes à la surface ou sous terre ou pouvant traverser toute portion desdites terres.

ET la cessionnaire, en acceptant et en enregistrant les présentes lettres patentes convient avec Nous qu’advenant le cas où la cession desdites terres prend fin elle s’engage à en reconnaître l’extinction et à nous rétrocéder immédiatement lesdites terres. [Non souligné dans l’original.]

LA POSITION DES REQUÉRANTES

A.        DÉFINITION DU TERME RÉSERVE

Les requérantes prétendent que la question dont est saisie la Cour est une simple question de définition de termes donnée dans la Loi. Par conséquent, elles font valoir que les terres ne sont pas assujetties au pouvoir de taxation des intimés en vertu de l’article 83 de la Loi sur les Indiens parce que ces terres ne sont pas visées par la définition que donne la Loi de l’expression « les immeubles situés dans la réserve ».

Le paragraphe 83(1) de la Loi sur les Indiens dispose comme suit :

83. (1) Sans préjudice des pouvoirs que confère l’article 81, le conseil de la bande peut, sous réserve de l’approbation du ministre, prendre des règlements administratifs dans les domaines suivants :

a) sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’imposition de taxes à des fins locales, sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux-ci, et notamment sur les droits d’occupation, de possession et d’usage; [Non souligné dans l’original.]

La Loi sur les Indiens définit le mot « réserve » [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 1] dans les termes suivants :

2. (1) …

« réserve » Parcelle de terrain dont Sa Majesté est propriétaire et qu’elle a mise de côté à l’usage et au profit d’une bande … [Non souligné dans l’original.]

Les requérantes prétendent que ce sont elles, et non pas Sa Majesté la Reine (ci-après la Couronne), qui sont propriétaires des terres en vertu des lettres patentes, ce qui est confirmé par les attestations de titres incontestables émises par les autorités provinciales. Les requérantes soutiennent que le libellé clair et sans ambiguïté des lettres patentes, plus précisément les références aux « terres », et l’utilisation de l’expression : « Nous, par les présentes, cédons, vendons, aliénons et transférons à ladite [requérante], et à ses ayants cause à perpétuité, tout ce lopin de terre » réfutent la prétention des intimés selon laquelle les lettres patentes accordent aux requérantes un droit sur les terres qui n’a pas tous les attributs d’un droit intégral.

Par ailleurs, les intimés prétendent que les lettres patentes n’accordent qu’une servitude parce qu’elles décrivent le droit sur les terres comme un « droit de passage ». Les requérantes répondent que l’expression « droit de passage » est une expression bien acceptée dans le langage ferroviaire qui désigne la bande de terrain entre deux gares sur laquelle sont posées les voies ferrées.

En outre, les requérantes soutiennent que les mécanismes prévus par la loi et en vertu desquels les lettres patentes ont été délivrées leur confèrent un droit intégral. Les requérantes font valoir que ces lettres patentes ont respecté les trois procédures d’aliénation applicables aux terres des réserves : 1) la cession, 2) l’expropriation autorisée et 3) l’expropriation. Les deux premières procédures ont suivi les dispositions de la Loi sur les Indiens applicable. La troisième procédure a été utilisée en vertu de la loi habilitante visant chaque requérante, par exemple l’Acte du CP.

Voici comment ces procédures sont appliquées.

1)         La cession

La cession suppose que la bande renonce à son droit sur les terres en faveur de la Couronne, renonciation qui doit être ratifiée par les membres de la bande indienne, avec l’approbation du gouverneur en conseil. La clause de cession exige généralement le consentement de la bande, qui doit être donné et certifié de façon formelle. En vertu du mécanisme de cession, la totalité du droit des Indiens sur les terres de la réserve peut s’éteindre aux termes d’une cession absolue conforme à la Loi sur les Indiens, de telle sorte qu’une partie de la réserve puisse être transférée à des tiers, sans être grevée du droit qui appartenait aux Indiens. Le CN a acquis les terres en question des Indiens de Matsqui aux termes d’une cession consentie en faveur de la Couronne en 1911[3]. La loi applicable était alors la Loi des sauvages, S.R.C. 1906, ch. 81, article 49 (maintenant l’article 37 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 2]). L’article 49 dispose comme suit :

49. Sauf les restrictions autrement établies par la présente Partie, nulle cession et nul abandon d’une réserve ou d’une partie de réserve à l’usage d’une bande, ou de tout sauvage individuel, n’est valide ni obligatoire, à moins que la cession ou l’abandon ne soit ratifié par la majorité des hommes de la bande qui ont atteint l’âge de vingt et un ans révolus, à une assemblée ou à un conseil convoqué à cette fin conformément aux usages de la bande, et tenu en présence du surintendant général, ou d’un fonctionnaire régulièrement autorisé par le gouverneur en conseil ou par le surintendant général à y assister.

2)         Expropriation autorisée

Les requérantes soutiennent que la majorité des terres cédées au CN et à E&N ont été obtenues aux termes d’une « expropriation autorisée » du droit des Indiens. Cette expropriation autorisée est l’exercice du pouvoir fédéral d’exproprier les terres des réserves, autorisé par la Loi sur les Indiens. Ce genre d’expropriation exige le consentement du gouverneur en conseil et ne peut être utilisé que pour les cessions de droits rendues nécessaires pour l’exécution des fins poursuivies par une entité qui a ses propres pouvoirs d’expropriation forcée. Les expropriations autorisées ont été faites aux termes de l’article 48 (maintenant l’article 35) de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98. L’article 48 dispose comme suit :

Terres expropriées pour cause d’utilité publique.

48. Nulle partie d’une réserve ne peut être expropriée pour les besoins d’un chemin de fer, d’une route, d’un ouvrage public ou d’un ouvrage destiné à quelque utilité publique sans le consentement du gouverneur en son conseil, mais toute compagnie ou autorité municipale ou locale possédant le pouvoir conféré par une loi, soit fédérale soit provinciale, d’exproprier ou utiliser des terrains ou quelque intérêt dans des terres, sans le consentement du propriétaire peut, avec le consentement du gouverneur en son conseil comme susdit, et subordonnément aux termes et conditions imposés par ce consentement, exercer ce pouvoir conféré par une loi à l’égard de toute réserve ou partie d’une réserve.

2. En ce cas, une indemnité doit être versée aux Indiens de la bande, et l’exercice de ce pouvoir et l’expropriation des terres ou l’acquisition d’un intérêt dans ces terres, ainsi que la fixation et le versement de l’indemnité doivent, à moins de dispositions contraires dans l’arrêté en conseil qui fait preuve du consentement du gouverneur en son conseil, être régis par les prescriptions applicables à des procédures similaires prises par cette compagnie, ou cette autorité municipale ou locale dans des cas ordinaires. [Non souligné dans l’original.]

Le pouvoir d’expropriation des compagnies de chemin de fer est énoncé à l’article 162 de la Loi des chemins de fer, S.R.C. 1927, ch. 170. Cet article énonce les mesures qui doivent être prises avant que l’expropriation prenne effet, c’est-à-dire que la compagnie de chemin de fer doit arpenter le parcours du tracé et lever les plans indiquant les parcelles de terre que traverseront les voies. Le plan, de même qu’un profil vertical des voies ferrées, doivent être approuvés par la Commission des chemins de fer aujourd’hui connue sous le nom d’Office national des transports.

E&N fait valoir qu’elle a obtenu les lettres patentes de Nanaimo no 1 aux termes d’une « expropriation autorisée ». Ces lettres patentes ne font aucune référence à la source du pouvoir en vertu duquel elles ont été délivrées; cependant, l’arrêté en conseil du 3 juin 1948, par lequel E&N était autorisée à exproprier les terres en question, fait référence à l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927.

L’arrêté en conseil est rédigé dans les termes suivants :

[traduction] Par conséquent, le comité, sur la recommandation du ministre suppléant des Mines et des Ressources, accorde le pouvoir de transférer les terres ci-après décrites à la Esquimalt and Nanaimo Railway Company aux termes des dispositions de l’article 48 de la Loi des Indiens, chapitre 98, statuts révisés de 1927. [Non souligné dans l’original.]

Je note que les arrêtés en conseil du CN et plusieurs lettres patentes délivrées au CN font également référence à la disposition pertinente de la Loi des Indiens autorisant l’expropriation.

Les requérantes prétendent que les répercussions d’une expropriation autorisée des droits des autochtones sur les terres ont été examinées par le juge Urie dans l’arrêt Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3(C.A.), à la page 42, dans lequel il cite la décision Point v. Dibblee Construction Co. Ltd., et al., [1934] O.R. 142 (H.C.), à la page 152 :

Les dispositions de l’art. 48 [l’expropriation autorisée] … se rapportent de toute évidence au cas où l’on s’empare de l’immeuble ou on le retire à la réserve, la propriété de celui-ci étant alors transmise par la Couronne à la compagnie, ou à l’autorité municipale ou locale concernée. [C’est moi qui souligne.]

3)         L’Acte du CP et le contrat annexé

Le CP fait valoir que les lettres patentes relatives aux bandes indiennes de Matsqui, de Boothroyd et de Seabird lui ont été délivrées conformément à l’article 5 de l’Acte du CP et à l’article 7 du contrat qui y est annexé.

Les lettres patentes CP Seabird no 1 et CP Boothroyd no 1 font précisément référence à l’article 5 de l’Acte du CP et à l’article 7 du contrat annexé. Les lettres patentes CP Matsqui no 1 ne renvoient ni à l’Acte ni au contrat. Toutefois, on fait valoir que, les terres de la réserve Matsqui se trouvant à l’intérieur de la zone de chemin de fer dont il est question dans l’Acte du CP et les terres étant utilisées pour les besoins du chemin de fer, le transfert aurait été fait aux termes de l’Acte du CP et de son contrat. De même, les lettres patentes Boothroyd no 2 ne mentionnent aucunement ni l’Acte du CP ni son contrat. Cependant, puisque ces terres sont situées en aval de la route visée par les lettres patentes Boothroyd no 1, qu’elles se trouvent également à l’intérieur de la zone de chemin de fer et qu’elles sont utilisées pour les besoins du chemin de fer, il est logique de conclure que le transfert s’est fait aux termes de l’Acte du CP et de son contrat. J’accepte cette conclusion.

Le CP fait valoir que, dès l’approbation du gouverneur en conseil, les articles 5 et 7 ont eu pour effet de transférer les terres directement à la compagnie de chemin de fer court-circuitant ainsi la longue et complexe procédure d’expropriation énoncée dans la Loi des chemins de fer. Le CP soutient que les articles 5 et 7 étaient utilisés quand toutes les parties intéressées avaient accepté le transfert des terres.

L’article 5 est rédigé dans les termes suivants :

5. En attendant l’achèvement des sections de l’Est et du Centre du dit chemin de fer, telles que décrites dans le dit contrat, le gouvernement pourra aussi transférer à la dite compagnie la possession et le droit d’exploitation des différentes portions du chemin de fer Canadien du Pacifique tel que décrit dans le dit acte trente-sept Victoria, chapitre quatorze, qui sont déjà construites et au fur et à mesure qu’elles seront terminées à l’avenir; et lors de l’achèvement des dites sections de l’Est et du Centre, le gouvernement pourra transporter à la compagnie, avec un nombre convenable de bâtiments de stations, et avec le service d’eau (mais sans équipement), les portions du chemin de fer Canadien du Pacifique construites ou dont la construction par le gouvernement est convenue sous l’empire du dit contrat, et qui seront alors terminées; et lors de l’achèvement du reste de la portion du dit chemin de fer que doit construire le gouvernement, cette portion pourra aussi être transportée par le gouvernement à la compagnie; et le chemin de fer Canadien du Pacifique défini tel que susdit deviendra et sera ensuite la propriété absolue de la compagnie; le tout, néanmoins, aux termes et conditions, et sauf les restrictions et réserves stipulées au dit contrat. [Non souligné dans l’original.]

L’article 7 dudit contrat stipule ce qui suit :

7. Le chemin de fer construit aux termes des présentes sera la propriété de la compagnie; et en attendant l’achèvement des sections de l’Est et du Centre, le gouvernement transférera à la compagnie la possession et le droit d’exploiter et de mettre en opération les diverses portions du chemin de fer Canadien du Pacifique déjà construites ou à mesure qu’elles seront achevées. Et à l’achèvement des sections de l’Est et du Centre, le gouvernement cédera à la compagnie, avec un nombre convenable de bâtiments pour gares et le service d’eau (mais sans équipement), les portions du chemin de fer Canadien du Pacifique construites ou qui doivent être construites par le gouvernement et qui seront alors achevées; et à l’achèvement du reste de la partie du chemin de fer qui doit être construite par le gouvernement, cette partie sera aussi cédée à la compagnie, et le chemin de fer Canadien du Pacifique deviendra et sera dès lors la propriété absolue de la compagnie. Et la compagnie devra ensuite et à perpétuité entretenir, exploiter et mettre en opération, d’une manière efficace, le chemin de fer Canadien du Pacifique. [Non souligné dans l’original.]

Les requérantes font valoir que l’article 12 du contrat annexé à l’Acte du CP exige que le gouvernement fédéral éteigne le droit des autochtones sur les terres cédées.

L’article 12 dispose comme suit :

12. Le gouvernement éteindra le titre des Sauvages aux terres par le présent affectées et qui seront à l’avenir concédées comme subvention aux chemins de fer. [Non souligné dans l’original.]

En réponse à la position des bandes indiennes selon laquelle L’Acte des chemins de fer, S.R.C. 1859, ch. 66 (comprenant les lois d’une nature publique générale qui n’ont pas été refondues par S.R.C. 1886) et ses modifications subséquentes limitent la liberté d’action d’une compagnie de chemin de fer relativement aux terres de la Couronne qui lui ont été cédées, les requérantes font valoir que l’arrêt Ottawa, City of, v. Town of Eastview, [1941] R.C.S. 448, appuie la proposition selon laquelle les dispositions d’une loi spéciale traitant du même sujet qu’une loi générale ont préséance sur cette dernière en cas d’incompatibilité. Par conséquent, les requérantes soutiennent que l’Acte du CP a priorité sur la Loi des chemins de fer.

Subsidiairement, les requérantes laissent entendre que si la présente Cour statue que les terres sont assujetties aux restrictions énoncées dans la Loi des chemins de fer, ou sont assorties d’un droit de retour à la Couronne en vertu d’une condition résolutoire (comme dans Taxation of University of Manitoba Lands, Re, [1940] 1 D.L.R. 579 (C.A. Man.)), alors ces restrictions sont nulles et inopposables pour les motifs suivants : 1) elles enfreignent la règle interdisant les dispositions à titre perpétuel; 2) elles enfreignent la règle de common law interdisant l’aliénation; ou 3) elles sont irrecevables. Les requérantes font valoir qu’un droit de retour est en fait un droit futur sur les terres en question, et que, s’il est futur, il ne peut être actuel (voir Taxation of University of Manitoba Lands (précité)). Par conséquent, pour les fins de la présente audience, le titre de propriété des terres leur appartient.

Pour prouver la validité de leur titre, les requérantes ont remis à la Cour les attestations de titres incontestables (ATI) qui leur ont été délivrées au moment de l’enregistrement des lettres patentes en vertu de la Land Title Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1979, ch. 219, articles 23 et 25 (la LTA).

Les intimés soutiennent que la LTA ne s’applique pas en l’espèce parce que les terres indiennes sont du ressort exclusif du gouvernement fédéral. Toutefois, les requérantes font valoir que la LTA traite, dans son essence et sa substance, des droits de propriété et des droits civils et que, puisqu’elles sont propriétaires des terres, il n’y a aucune question constitutionnelle à trancher parce que les terres ne ressortissent plus aux autorités fédérales.

B.        DISCRIMINATION

Les requérantes affirment que les règlements administratifs des bandes sont invalides parce qu’ils sont discriminatoires, c’est-à-dire qu’ils établissent des distinctions entre différentes catégories de personnes et de biens immeubles d’une manière qui n’est pas autorisée par la Loi sur les Indiens.

Les requérantes font valoir que les conseils de bande sont des entités analogues aux municipalités. Ce sont tous deux des entités créées par la loi qui tirent leurs pouvoirs uniquement de leur loi habilitante. Dans le cas d’une municipalité, la loi habilitante est la loi provinciale sur les municipalités. Dans le cas d’un conseil de bande indienne, la loi habilitante est la Loi sur les Indiens. Les lois sur les municipalités autorisent celles-ci à prendre des règlements qui établissent des distinctions entre différentes catégories de personnes et de biens immeubles. Mais ce même pouvoir n’est pas incorporé à la Loi sur les Indiens. Par conséquent, les requérantes en concluent que les règlements des bandes ont été adoptés sans pouvoir légal.

Selon les requérantes, les règlements sont discriminatoires pour les raisons suivantes :

1) certains propriétaires terriens dans la réserve sont exonérés d’impôt;

2) les règlements prévoient des taux d’impôt variables;

3) différents taux d’impôt sont prescrits pour différentes catégories de biens immeubles;

4) les améliorations industrielles font l’objet d’un traitement discriminatoire par rapport au traitement réservé à d’autres biens industriels, et

5) il existe un rôle et des taux d’évaluation discriminatoires et arbitraires à l’égard des biens immeubles, privilèges et droits de passage d’une compagnie de chemin de fer pour les biens immeubles adjacents à une réserve.

Comme exemple de cette « discrimination », il suffira de dire qu’en vertu de l’article 20 des règlements administratifs de la bande indienne de Boothroyd, les terres occupées ou détenues par un membre de la bande indienne de Boothroyd sont exonérées d’impôt. En pratique, cela signifie que seuls les non-Indiens occupant les terres d’une réserve payent des taxes.

LA POSITION DES INTIMÉS

A.        DÉFINITION DU TERME RÉSERVE

Les intimés présentent plusieurs arguments différents, quoique interdépendants, à partir desquels ils demandent à la Cour soit de conclure que les lettres patentes sont invalides, soit de considérer comme une simple servitude le droit cédé aux requérantes sur les terres.

Les intimés s’appuient au départ sur les objectifs de la politique générale de la Loi sur les Indiens qui, selon eux, doivent servir de toile de fond à leurs arguments. Ces objectifs, tels que proposés par les intimés, sont énoncés dans l’arrêt Guerin et autres c. La Reine et autres, [1984] 2 R.C.S. 335.

À la page 392, le juge Estey déclare ceci :

La Loi sur les Indiens … la Constitution, les lois des colonies de l’Amérique du Nord britannique antérieures à la Confédération ainsi que la Proclamation royale de 1763 traduisent toutes une conscience aiguë de l’intérêt qu’a la société à protéger les droits des autochtones sur les terres avec lesquelles ils ont des liens de longue date. Un trait commun à tous ces textes trouve son reflet dans l’art. 37 de la Loi sur les Indiens actuelle …

Ces observations ont été confirmées par le juge en chef Dickson dans l’arrêt R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, à la page 1105 :

Il est donc clair que le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 représente l’aboutissement d’une bataille longue et difficile à la fois dans l’arène politique et devant les tribunaux pour la reconnaissance de droits ancestraux … Nous sommes évidemment conscients que cela découlerait de toute façon de l’arrêt Guerin, précité, mais pour bien comprendre la situation, il est essentiel de se rappeler que l’arrêt Guerin a été rendu après l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982.

En outre, les intimés font valoir que l’arrêt Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344 [ci-après Apsassin,] oblige cette Cour à interpréter les documents en l’espèce d’une façon large et libérale afin de donner effet aux véritables intentions des parties. Dans l’arrêt Apsassin, aux pages 358 et 359, le juge Gonthier a déclaré, en résumé, que les principes du droit des biens en common law n’étaient pas utiles dans le contexte de ce pourvoi. Selon lui, lorsqu’ils s’agit de déterminer les effets juridiques des opérations conclues par les peuples autochtones et la Couronne relativement à des terres faisant partie de réserves, le caractère sui generis du titre autochtone oblige les tribunaux à aller au-delà des restrictions habituelles imposées par la common law afin de donner effet à l’objet véritable de ces opérations.

Les arguments des intimés, bien qu’ils aient été présentés de façon beaucoup plus élaborées, peuvent être regroupés, je crois, sous les rubriques suivantes :

1)         Les lettres patentes

Les intimés font valoir que les lettres patentes n’accordent à première vue aux requérantes rien de plus qu’une servitude parce que les terres en question y sont décrites comme un « droit de passage ». Les intimés notent également que les requérantes ont écrit au ministère des Affaires indiennes pour demander un « droit de passage ».

Subsidiairement, les intimés font valoir que les lettres patentes sont, au mieux, ambiguës parce qu’elles utilisent les mots « terres » (land) et « droit de passage » (right-of-way) de façon interchangeable, de sorte qu’une personne raisonnable qui en ferait la lecture ne saurait déterminer avec précision la nature du droit cédé. Les intimés prétendent donc que la Cour doit conclure que les lettres patentes n’accordent rien de plus qu’une servitude. Ce faisant, selon eux, les objectifs de la Loi sur les Indiens seraient préservés.

Deuxièmement, les intimés font valoir que l’espèce est tout à fait identique à l’arrêt Attorney General of Canada v. Canadian Pacific Limited and Marathon Realty Company Limited, [1986] 1 C.N.L.R. 1 (C.S.C.-B.), confirmé par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (14 mai 1986, CA003686, non publié) [sub nom. Canada (Attorney General) v. Canadian Pacific Ltd., [1986] B.C.J. no 407 (C.A.) (QL)].

Dans l’arrêt Marathon, les terres contestées se composaient d’une bande de terre de la réserve indienne de Penticton que s’était approprié le Canadien Pacifique pour les besoins d’un chemin de fer conformément à l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927. Ayant cessé d’exploiter le chemin de fer sur les terres en question, le CP les avaient cédées à Marathon Realty. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé la décision du tribunal inférieur enjoignant au CP de rétrocéder[4] les terres à la Couronne.

L’arrêt Marathon peut facilement être distingué des requêtes dont je suis saisi. Dans ces dernières, les terres sont encore utilisées pour les besoins du chemin de fer, alors qu’elles ne l’étaient plus dans l’arrêt Marathon.

En outre, les intimés font valoir que l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654 appuie la proposition selon laquelle un « droit de passage » d’une compagnie de chemin de fer désigne une servitude légale.

Dans l’affaire Paul, la voie ferrée du CP traversait la réserve indienne de Woodstock à trois endroits pouvant être appelés passage à niveau est, passage à niveau central et passage à niveau ouest. En 1975, les Indiens qui résidaient sur la réserve ont prétendu que le CP n’avait pas le droit d’utiliser l’emprise et ils l’ont barricadée pour empêcher les trains de passer. En première instance, le tribunal a accordé au CP une injonction permanente pour empêcher toute intrusion future. Par lettres patentes délivrées en 1912, la Couronne avait cédé au CP un droit de tenure franche sur le passage à niveau central et le passage à niveau ouest. Le CP s’appuyait sur le pouvoir conféré par la loi pour attester la concession du passage à niveau est. La seule question en litige était de déterminer la nature du droit du CP sur le passage à niveau est. La Cour suprême du Canada a maintenu l’injonction du tribunal de première instance en concluant que le droit du CP sur le passage à niveau est découlait du droit initialement acquis qui était une servitude légale.

Dans l’arrêt Paul, les faits sont très différents de ceux dont je suis saisi.

2)         Les droits ancestraux

Cet argument se fonde sur l’opinion selon laquelle le droit des bandes sur les réserves découlent de leurs titres ancestraux. C’est-à-dire le droit qui est détenu par la Couronne et qui est « réservé » à l’usage et au profit des bandes. Les intimés font valoir que certains droits des bandes sur les réserves continuent d’être détenus par la Couronne à l’usage et au profit des bandes, soit parce que tous les droits ancestraux des intimés sur les terres ne sont pas éteints, soit parce que la Couronne n’a pas manifesté l’intention nécessaire pour éteindre les droits des intimés sur les terres.

Les intimés font valoir que l’arrêt Sparrow (précité) appuie la proposition selon laquelle l’intention de la Couronne d’éteindre tous les droits des autochtones sur les terres doit être claire et expresse. Ils font valoir, en l’espèce, que le cadre législatif en vertu duquel les lettres patentes ont été délivrées aux requérantes ne démontrent pas une intention claire et expresse d’éteindre les droits des peuples autochtones. Ils prétendent également que les droits des autochtones ont un caractère sui generis; par conséquent, certains de leurs droits sur les terres sont toujours en vigueur. C’est pourquoi les intimés demandent à la Cour soit d’invalider la cession des terres de la Couronne, soit de statuer que ce droit n’est rien de plus qu’une servitude.

3)         Obligations de la Couronne/Abus du pouvoir légal

Les intimés font valoir que si la Cour statue que les requérantes ont reçu le titre intégralement, alors la Couronne a soit outrepassé son pouvoir légal, soit manqué à ses obligations fiduciaires à l’égard des Indiens. À titre de redressement, ils demandent soit d’invalider la cession des terres de la Couronne, soit de conclure qu’il s’agit simplement d’une servitude.

Les intimés prétendent également que la Loi des chemins de fer, S.R.C. 1927, ch. 170, restreint la liberté d’action d’une compagnie de chemin de fer relativement aux terres de la Couronne qui lui ont été cédées. La Loi des chemins de fer énonce, entre autres, les restrictions suivantes :

PRISE DE POSSESSION ET OCCUPATION

DES TERRAINS.

RestrictionsTerres de la Couronne.

189. Nulle compagnie ne peut s’approprier, utiliser ou occuper des terres qui appartiennent à la Couronne, sans le consentement du gouverneur en son conseil.

2. Avec ce consentement, une compagnie de chemin de fer peut, aux conditions prescrites par le gouverneur en son conseil, prendre et s’approprier, pour l’usage de son chemin de fer et de ses ouvrages, toute partie des terres de la Couronne, sur la ligne du chemin de fer, qui n’a pas encore été vendue ou concédée et qui est nécessaire à ce chemin de fer, ainsi que toute partie de la grève publique, ou du lit d’un lac, d’une rivière ou d’un cours d’eau, ou des terrains couverts par les eaux de ce lac, de cette rivière ou de ce cours d’eau, dont elle a besoin pour établir, achever ou exploiter son chemin de fer et ses ouvrages.

3. La compagnie ne peut pas aliéner les terrains ainsi pris, utilisés ou occupés.

4. Chaque fois que ces terrains sont attribués à la Couronne pour un objet spécial ou qu’ils sont subordonnés à une fiducie, le gouverneur en son conseil doit appliquer au même objet, ou à l’exécution de cette fiducie, l’indemnité que la compagnie paie pour ces terrains.

Ces restrictions s’appliquent aux terres de la Couronne cédées aux requérantes pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) La jurisprudence découlant des arrêts Apsassin (précité), Sparrow (précité) et Guerin (précité) exige que la Cour interprète la Loi des chemins de fer et l’Acte du CP harmonieusement.

b) L’article 22 du contrat annexé à l’Acte du CP incorpore les dispositions contenues dans la Loi des chemins de fer. Les intimés prétendent également que les dispositions de l’Acte du CP sont compatibles avec les dispositions législatives de la Loi des chemins de fer de sorte que la loi spéciale n’a pas priorité sur la loi générale.

L’article 22 du contrat annexé à l’Acte du CP est formulé dans les termes suivants :

22. « L’Acte des chemins de fer, 1879, » en tant que ses dispositions sont applicables à l’entreprise mentionnée dans le présent contrat, et en tant qu’elles ne sont pas en contradiction avec lui ou incompatibles avec les dispositions de l’acte constitutif qui devra être accordé à la compagnie, s’appliquera au chemin de fer Canadien du Pacifique.

c) Les intimés soutiennent que l’arrêt Marathon (précité) appuie la proposition selon laquelle les restrictions légales sont des avis publics.

Dans l’arrêt Marathon (précité), le juge Meredith, en première instance, indique ce qui suit à la page 4 :

[traduction] L’interdiction de faire des aliénations est claire. Le transfert à Marathon est donc, comme je l’ai dit, illégal.

Et je pense que, implicitement, comme les terres ne sont plus nécessaires pour l’exploitation du chemin de fer, et donc qu’elles ne sont plus utilisées pour les besoins du chemin de fer, elles doivent être rétrocédées à la Couronne.

Il ressort clairement du libellé de l’article 48 de la Loi des Indiens que les terres doivent être utilisées pour les besoins d’un chemin de fer. L’article 48 ne figurait pas dans les lettres patentes, mais il a été mentionné dans l’arrêté en conseil correspondant. La Cour a émis l’avis qu’il n’était pas nécessaire que le gouverneur en conseil assortisse l’acquisition des biens immeubles de certaines conditions parce que ces conditions étaient déjà énoncées, et ce clairement, dans les dispositions de la Loi des chemins de fer.

Les intimés font valoir que l’arrêt Marathon porte sur les restrictions contenues dans les documents pertinents et que, puisque les faits énoncés dans les documents de l’espèce sont identiques à ceux de l’affaire Marathon, par conséquent, CN, CP et E&N ont reçu un droit limité sur les terres.

Enfin, les intimés font valoir que les ATI ne peuvent élargir les conditions assorties à la cession initiale. Par conséquent, ils contestent la validité constitutionnelle des ATI; selon eux, comme les « Indiens et les terres réservées pour les Indiens » sont du ressort exclusif du Parlement en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], les dispositions de la LTA sont constitutionnellement inopérantes relativement aux droits des bandes dans les réserves.

B.        DISCRIMINATION

Les intimés font valoir que les conseils de bande indienne ne sont pas semblables aux municipalités, parce qu’ils ont été établis avant l’adoption de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, ces conseils de bande ne tirent pas exclusivement leurs pouvoirs de la Loi sur les Indiens.

En outre, les intimés prétendent que l’analogie établie par les requérantes entre les conseils de bande et les municipalités est fausse. Les municipalités sont des entités autonomes créées par la loi. Les conseils de bande ne le sont pas. Les conseils de bande doivent faire approuver par le ministre les règlements administratifs qu’ils adoptent comme l’exige la Loi sur les Indiens, alors que les municipalités ne sont aucunement tenues de faire approuver leurs règlements par le ministre provincial responsable des affaires municipales.

Les intimés affirment que les pouvoirs conférés par les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à la taxation, notamment l’article 83, doivent faire l’objet d’une analyse libérale, utilitaire et fonctionnelle, afin de respecter l’objectif visant à faciliter le développement de l’autonomie gouvernementale des Indiens, comme il ressort de la décision de la Cour suprême du Canada dans Matsqui (précité). En pratique, étant donné que les bandes indiennes sont très nombreuses partout au Canada, l’article 83 prévoit que chaque bande mettra sur pied son propre régime d’imposition, et que la supervision sera assurée par le ministre des Affaires indiennes.

Pour ce qui a trait aux motifs de discrimination allégués par les requérantes, les intimés font valoir ce qui suit :

1) les exonérations dont elles font mention sont autorisées par la loi et sont conformes aux exonérations qui étaient en vigueur avant que les bandes soient investies du pouvoir de taxation;

2) ces taux d’impôt variables sont autorisés par la loi et étaient appliqués aux terres avant que les bandes soient investies du pouvoir de taxation;

3) les dispositions auxquelles il est fait référence sont autorisées par la loi et sont semblables à celles qui s’appliqueraient si les terres étaient assujetties au régime provincial de taxation. De toute façon, une procédure d’appel concernant les questions d’évaluation est prévue aux règlements et ces arguments ne constituent pas une raison d’invalider ces derniers.

Les intimés font aussi valoir que le législateur avait l’intention de donner aux bandes le pouvoir d’appliquer différents taux d’imposition et méthodes d’évaluation à différentes parcelles de terre, selon l’usage qui en est fait.

ANALYSE ET CONCLUSION

Avant de conclure, j’aimerais traiter d’un certain nombre de questions préliminaires.

Droits ancestraux/Extinction/Obligations de la Couronne

Je suis saisi d’une demande de contrôle judiciaire concernant les règlements de taxation adoptés par les bandes en vue de déterminer si les terres visées sont situées dans la réserve comme l’exige la Loi sur les Indiens, c’est-à-dire qu’il s’agit de déterminer si le titre de propriété des terres appartient à Sa Majesté, de sorte que les conseils de bande indienne auraient le pouvoir légal d’imposer des taxes sur les terres contestées. L’espèce ne porte pas sur les droits ancestraux, les obligations de la Couronne ou l’abus d’un pouvoir conféré par la loi.

J’ai indiqué clairement aux intimés qu’il était possible que la Couronne fédérale ait failli à ses obligations à l’égard des bandes indiennes, ou qu’elle ait outrepassé le pouvoir qui lui est conféré par la loi en accordant aux compagnies de chemins de fer un droit sur les terres auquel les requérantes n’avaient pas droit. J’ai fait ces observations sans me prononcer sur cette question parce que la Couronne n’est pas partie à la présente instance. D’après les faits dont je suis saisi, je suis convaincu que les requérantes ont acheté les terres de bonne foi, pour une contrepartie valable, sans intention de fraude ou d’extorsion. En fait, les intimés n’ont jamais prétendu qu’ils avaient été trompés par la Couronne ou par les requérantes. En fait, la preuve dont je suis saisi me convainc que les Indiens étaient au courant de toutes les négociations avec les compagnies de chemin de fer. L’argent reçu par la Couronne a été utilisé au profit des bandes indiennes comme il est indiqué dans les observations d’ouverture des lettres patentes. Par conséquent, je n’ai pas à me prononcer sur ces questions et elles ne m’ont pas empêché de rendre ma décision.

Je note en passant que la jurisprudence appuie ma position selon laquelle je n’ai pas à traiter de la question des droits ancestraux. Le juge Millward a refusé d’associer les questions en litige dans l’affaire Gitanmaax Indian Band v. British Columbia Hydro and Power Authority (1991), 84 D.L.R. (4th) 562 (C.S. C.-B.), à la page 566 [ci-après Robinson] aux droits ancestraux et cela ne l’a pas empêché de statuer que les bandes indiennes devaient se soumettre aux mêmes principes d’interprétation régissant les opérations commerciales que quiconque et qu’en l’espèce les terres ne devaient pas être rétrocédées à la Couronne. De la même manière, dans l’arrêt Paul (précité), la Cour a pu se prononcer sans déclarer la nature exacte du droit des Indiens sur les terres. À la page 679, la Cour déclare ceci :

… peut-on dire que l’intention de la législature du Nouveau-Brunswick d’éteindre le droit de la bande sur le fief sous-jacent que continuait de détenir la Couronne, était « claire et expresse »? Heureusement, nous n’avons pas à répondre à cette difficile question, car il suffit aux fins de ce pourvoi de conclure que CP a sur le passage à niveau est [sic] une servitude ou un droit de passage valides, suffisants pour justifier la délivrance d’une injonction permanente.

En outre, je note que dans l’arrêt Farah v. Glen Lake Mining Co. (1908), 17 O.L.R. 1 (C.A.), concernant également une contestation de lettres patentes délivrées par la Couronne sans que la Couronne soit partie à l’instance, la Cour a indiqué que le redressement approprié serait d’intenter directement une action contre la Couronne.

Preuve extrinsèque

Je suis saisi de trois types de preuve : 1) les lettres patentes et les ATI; 2) les arrêtés en conseil et les lois applicables; et 3) la correspondance officielle et les plans et cartes des terres établis par les compagnies de chemin de fer. Les requérantes soutiennent que tous ces documents, à l’exception des lettres patentes et des ATI, sont des éléments de preuve extrinsèques et, par conséquent, ne peuvent être utilisés dans le règlement de la présente affaire. G. H. L. Fridman, dans son ouvrage The Law of Contract in Canada, 2e éd. (Toronto : Carswell, 1986), écrit ceci à la page 433 :

[traduction] La règle fondamentale dispose que si le libellé du contrat écrit est clair et sans ambiguïté, alors, aucune preuve verbale extrinsèque ayant pour but de modifier ou d’interpréter de quelque façon que ce soit les mots utilisés dans l’écrit ne peut être admise.

Toutefois, les requérantes font valoir que si la Cour en décide autrement, elles ont également en leur possession une preuve documentaire, par exemple une lettre du ministère de la Justice, qui appuie leur position.

Les intimés soutiennent pour leur part que les arrêtés en conseil et les lois correspondantes doivent être examinés parce que ces documents renferment les conditions préalables à la délivrance des lettres patentes. Les lettres, cartes et plans officiels devraient être examinés parce qu’ils contribuent à donner effet à l’intention des parties.

Dans l’arrêt Paul (précité), la Cour indique ceci, à la page 665 :

Pour définir clairement la nature du droit de la compagnie de chemin de fer sur le passage à niveau est, nous devons examiner le texte des lois, toutes les ententes conclues entre les parties initiales, ainsi que les actions et les déclarations subséquentes des parties.

Dans l’arrêt Paul, la Cour a examiné les lettres patentes, les arrêtés en conseil et les lois dont il était fait mention dans ces documents. De même, dans les arrêts Robinson (précité) et Marathon (précité), la Cour a examiné les lettres patentes, l’arrêté en conseil et la loi nommément désignée.

J’autoriserai le dépôt des autres documents en preuve, mais je leur accorderai peu d’importance. J’ajoute que, même si je devais donner à ces éléments de preuve tout le poids qu’ils doivent avoir, je ne crois pas qu’ils favorisent la position des intimés, particulièrement les résolutions[5] des bandes qui indiquent clairement, contrairement aux prétentions de la bande intimée, que les bandes indiennes avaient l’intention de céder les terres.

Droit de passage

Je ne crois pas que l’expression « droit de passage » telle qu’elle est utilisée dans le lexique des chemins de fer, désigne une servitude. Les requérantes font valoir que le législateur énonce clairement son intention. Il aurait été très simple pour le législateur d’utiliser le mot « servitude » si en fait telle avait été son intention. Je note que pas une fois dans les lettres patentes, les arrêtés en conseil, les ATI, non plus que dans la présumée preuve extrinsèque soumise à mon examen, on ne trouve le mot servitude. N’aurait-il pas été beaucoup plus simple pour le législateur d’utiliser le mot servitude si telle était véritablement son intention? Il n’y a donc qu’une conclusion possible, savoir que le législateur n’a jamais eu l’intention d’accorder une servitude. Son intention était de céder aux compagnies requérantes des terres constituant une emprise pour le passage du chemin de fer, et non pas de leur accorder une servitude.

Je n’accepte pas l’argument des intimés selon lequel l’inclusion du mot servitude dans la définition du terme « terrains » figurant dans la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1952, ch. 234, article 2 signifie que le législateur a expressément indiqué ce qui avait toujours été implicite. Bien au contraire, je suis convaincu que cela démontre qu’avant 1952 la définition du mot terrains ne désignait pas une servitude. Quant au sens qu’il convient de donner au mot « servitude » utilisé après 1952 ou, d’ailleurs, à l’expression « droit de passage », ce mot et cette expression doivent être interprétés dans leur contexte.

Les requérantes ont porté à ma connaissance un texte savant sur les chemins de fer, rédigé par Dorman/Stoltz et intitulé A Statutory History of Railways in Canada 1836-1986, à l’appui de la proposition selon laquelle le droit de passage désigne la bande de terre comprise entre deux gares. La définition du droit de passage ou de l’emprise d’un chemin de fer se trouve à la page xiv.

[traduction] Au Canada, le titre acquis par une compagnie de chemin de fer est le droit de tenure franche lui-même et non pas simplement une servitude ou un droit d’occupation limité.

Je suis convaincu qu’un thème commun lie les lettres patentes, les arrêtés en conseil et les lois applicables, c’est-à-dire que les terres ont été cédées aux requérantes précisément pour les besoins du chemin de fer. Par conséquent, je suis convaincu que le droit sur les terres qui a été cédé aux compagnies de chemin de fer était un droit extinguible. Par conséquent, le titre est dévolu aux requérantes et les terres ne sont pas assujetties au pouvoir de taxation des bandes indiennes.

Sir Robert Megarry et M. P. Thompson, dans leur ouvrage Megarry’s Manual of the Law of Real Property, 7e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 1993) définissent, à la page 35, ce qu’est un droit extinguible :

[traduction] Un droit extinguible est un droit intégral qui s’éteint automatiquement dès la réalisation d’un événement précis qui peut ne jamais se produire.

J’ai appris des requérantes que, parce que la construction d’un chemin de fer national était une priorité absolue, des terres ont été cédées aux compagnies de chemin de fer précisément pour concrétiser ce rêve national. Ainsi, l’Acte du CP et la Loi ayant pour objet de constituer en corporation la Canadian National Railway Company et concernant les chemins de fer nationaux du Canada, S.C. 1919, ch. 13 (la Loi du CN) ont été adoptés pour faciliter cet objectif précis en accordant des subventions aux requérantes et en leur cédant des terres. Cet objectif est énoncé dans le préambule de l’Acte du CP qui indique ceci :

CONSIDÉRANT que par les termes et conditions de l’admission de la Colombie-Britannique dans l’Union avec la Puissance du Canada, le gouvernement fédéral s’est chargé de l’obligation de faire construire un chemin de fer reliant le littoral de la Colombie-Britannique au réseau des chemins de fer du Canada;

Et considérant que le parlement du Canada a maintes et maintes fois déclaré sa préférence pour la construction et l’exploitation de ce chemin de fer au moyen d’une compagnie constituée, aidée par des octrois de terres et d’argent, …

Les lettres patentes, les arrêtés en conseil et le mécanisme prévu par la loi, aux termes desquels les terres ont été cédées aux requérantes, indiquent également que ces cessions avaient pour objectif précis que les terres soient utilisées pour l’exploitation d’un service ferroviaire. Par exemple, les lettres patentes délivrées au CP pour Seabird no 1, Nanaimo no 1 et Boothroyd no 1, renferment ce texte identique :

[traduction] … l’expropriation desdites terres aux fins de la construction, de l’exploitation et de l’entretien dudit chemin de fer.

Dans les lettres patentes CN Matsqui no 3, le gouvernement fédéral s’est réservé tous les droits sur les mines et les minéraux. À mon avis, cela signifie non seulement que le titre de propriété des terres a été cédé à la compagnie de chemin de fer, mais aussi que le gouvernement fédéral ne cédait que ce titre, qui était nécessaire pour atteindre le but précis sous-jacent visé par la cession. Dans les lettres patentes Matsqui no 3, la fin publique poursuivie par la cession ressort implicitement de la référence qui est faite à une disposition de la Loi des Indiens applicable. Mais dans les lettres patentes Matsqui nos 4 et 5, l’expression « pour les besoins du chemin de fer » y est expressément utilisée.

Comme je l’ai indiqué, je suis convaincu que les lois applicables indiquent que les requérantes ont obtenu un droit extinguible sur les terres. À l’appui de ma conclusion, je mentionne une autre disposition du contrat annexé à la Loi du CP. Je note également que la Loi du CN renferme des dispositions semblables.

10. De plus, en considération de ce que dessus, le gouvernement concédera à la compagnie les terrains dont elle aura besoin pour la voie du dit chemin de fer, les gares et stations et leurs dépendances, les ateliers, les bassins et abords aux termini sur les eaux navigables, les édifices, cours et autres dépendances nécessaires à la construction et à l’exploitation efficaces du chemin de fer, en tant que ces terrains seront la propriété du gouvernement.

Enfin, à la page 36 de son ouvrage, Megarry énonce les mots magiques qui créent des droits extinguibles ou des droits conditionnels.

[traduction] L’utilisation de termes comme « tant que », « durant », « aussi longtemps que », « jusque » et ainsi de suite convient à la création d’un droit extinguible, alors que les termes qui constituent une clause distincte de défectibilité, comme, « pourvu que », « à la condition que », « mais si » ou « s’il arrive que », ont pour effet d’établir une condition résolutoire.

Je suis convaincu que si l’événement qui éteint le droit porte sur la totalité de ce droit, alors un droit extinguible est créé. Par ailleurs, si cet événement ne porte pas sur l’intégralité du droit, alors un droit conditionnel est créé. En l’espèce, l’événement résolutoire, c’est-à-dire le cas où les terres contestées cesseront d’être utilisées pour les besoins du chemin de fer, vise l’intégralité du droit conféré. Des expressions comme « pour les besoins d’un chemin de fer » utilisées dans les lettres patentes et dans les lois applicables s’apparentent davantage aux mots magiques qui contribuent à créer un droit extinguible qu’à ceux qui donnent naissance à un droit conditionnel.

L’avocat de la bande indienne de Matsqui, intimée, a déposé des documents indiquant que CN avait initialement demandé un « droit de passage » au moyen d’une expropriation autorisée mais que, pour des raisons techniques, le ministère des Affaires indiennes avait délivré les lettres patentes au titre d’une cession. La bande indienne de Matsqui fait valoir que, parce que la demande initiale a été faite au titre d’une expropriation autorisée, c’est-à-dire en vertu de la loi des chemins de fer applicable (et de toutes les restrictions qui y sont énoncées), alors ce qui a réellement été demandé est une servitude et la modification qui s’est opérée dans la procédure de cession n’y change rien.

Je ne peux en arriver à cette conclusion. Les résolutions des bandes démontrent clairement que les Indiens avaient l’intention de céder les terres. Ce que les documents m’apprennent, c’est que les terres en question ont été cédées pour les besoins du chemin de fer. En outre, il ne s’agit pas de savoir, dans cette demande de contrôle judiciaire, si le conseil de la bande indienne de Matsqui a outrepassé son pouvoir légal en cédant les terres en question, comme le prétend la bande indienne de Matsqui. Je suis convaincu que les terres ont été cédées au CN pour les besoins du chemin de fer.

Les questions soulevées par les requérantes, concernant les dispositions à titre perpétuel ou la non-recevabilité, ne s’appliquent pas en l’espèce parce qu’il n’existe pas de droit de retour comme c’était le cas dans l’affaire Marathon (précitée). Dans l’arrêt Marathon, le CP avait cessé d’utiliser les terres pour les besoins du chemin de fer. Telle n’est pas la situation en l’espèce. Toutes les requérantes exploitent actuellement un service ferroviaire sur les terres cédées. J’ajoute que dans l’arrêt Marathon, la Loi des chemins de fer s’appliquait parce que l’article 48 de la Loi des Indiens applicable était mentionné dans l’arrêté en conseil. J’estime que l’esprit général de la Loi des chemins de fer s’applique dans le cas dont je suis saisi parce qu’elle est incorporée par la loi habilitante spéciale ou parce qu’il s’agit de la loi applicable. Toutefois, les restrictions imposées aux cessions des terres de la Couronne ne font que renforcer ma conclusion selon laquelle les requérantes ont reçu un droit extinguible. Ces restrictions n’ont pas pour effet de créer une servitude.

Enfin, les intimés ont raison de dire que la LTA est ultra vires si les terres contestées sont toujours dans la réserve. Toutefois, comme les titres des terres ont été dévolus aux requérantes, les terres ne sont plus du ressort du gouvernement fédéral. Par conséquent, il n’y a pas de question constitutionnelle. En passant, je note que dans les arrêts Marathon et Robinson, les parties requérantes ont également utilisé les ATI pour empêcher que leurs titres soient contestés.

B.        DISCRIMINATION

Deux questions se rattachent à la discussion générale visant à déterminer si les règlements des conseils de bande indienne sont autorisés par la Loi sur les Indiens. La première question consiste à déterminer si les conseils de bande indienne sont semblables aux municipalités de sorte que ces conseils seraient des entités créées par la loi et n’auraient de pouvoirs que ceux qui leur sont spécifiquement conférés par la loi habilitante. La deuxième consiste à savoir si l’article 87 de la Loi sur les Indiens dispense les membres des bandes indiennes de leurs propres règlements.

1.         Les conseils de bande indienne sont-ils des entités créées par la loi semblables aux municipalités?

La jurisprudence citée par les requérantes à l’appui de l’argument selon lequel les conseils de bande indienne sont des entités créées par la loi semblables aux municipalités, peut être distinguée d’après les faits. L’arrêt Otineka Development Corp. c. Canada, [1994] 2 C.N.L.R. 83 (C.C.I.), traitait de questions d’impôt particulières à la situation très spéciale de la bande indienne visée. Dans cette affaire, la bande indienne était considérée comme le modèle d’autonomie gouvernementale à suivre. L’arrêt Stacey and Montour and The Queen, Re (1981), 63 C.C.C. (2d) 61 (C.A. Qué.) déclare simplement que la compétence judiciaire ne découle pas de la compétence administrative que possède un conseil de bande indienne.

Je n’accepte pas non plus l’argument des requérantes selon lequel je ne peux maintenir la validité de la législation d’une bande indienne en supprimant les éléments contestés. Contrairement à l’arrêt Rempel Bros. Concrete Ltd. v. Mission (Dist.) (1989), 40 B.C.L.R. (2d) 393 (C.S.), je suis d’avis en l’espèce que les règlements peuvent s’appliquer sous une forme tronquée. Et contrairement à Canada Cement Company Limited and the Town of Port Colborne, Re, [1949] O.R. 75 (H.C.), je suis d’avis en l’espèce que les règlements auraient reçu l’assentiment du conseil de bande s’ils avaient été présentés au conseil sous cette forme tronquée, ou du moins, aucun élément ne m’a été présenté pour prouver le contraire.

Deuxièmement, je ne suis pas convaincu que l’analogie établie par les requérantes soit exacte. Les conseils de bande indienne ne sont pas des entités autonomes créées par les lois. Le ministre doit toujours approuver les règlements de ces bandes.

Troisièmement, l’interprétation stricte de l’article 83, suggérée par les requérantes, aurait pour effet d’autoriser simplement l’établissement d’un impôt uniforme. Cet argument est non seulement peu pratique (il n’appartient pas au gouvernement fédéral de faire en sorte que la Loi sur les Indiens réponde aux besoins uniques en matière de taxation que peut avoir chacun des centaines de conseils de bandes indiennes du Canada), mais il va également à l’encontre de la jurisprudence.

Dans l’arrêt Matsqui (précité), le juge en chef Lamer, appuyé sur ce point par les juges Cory, Sopinka, L’Heureux-Dubé et Gonthier, déclare ceci, à la page 24 :

… il importe que nous ne perdions pas de vue l’objectif que visait le législateur fédéral lorsqu’il a investi les Indiens de leurs nouveaux pouvoirs de taxation. Le régime qui est entré en vigueur en 1988 est destiné à faciliter le développement de l’autonomie gouvernementale des autochtones en permettant aux bandes d’exercer sur leurs réserves le pouvoir proprement gouvernemental de taxation. Bien que notre Cour ne soit pas directement saisie de la question de l’autonomie gouvernementale des autochtones, les fonctions et l’objet sous-jacents du régime de taxation établi pour les Indiens nous sont d’un secours considérable en ce qui concerne l’application des principes de droit administratif aux dispositions législatives en cause. Je recours donc dans les présents motifs, chaque fois que cela est indiqué, à une démarche fonctionnelle qui tient compte de l’objet visé.

Et de nouveau, la Cour indique ceci, aux pages 33 et 34 :

En l’espèce, la preuve révèle que le régime de taxation vise à mieux servir les intérêts des peuples autochtones et à favoriser la réalisation de leur autonomie gouvernementale. Malgré sa ressemblance avec le type de régime de taxation qui existe dans les municipalités canadiennes, le régime en cause est plus ambitieux du point de vue de ses objectifs. Il a pour objet de permettre aux bandes indiennes d’acquérir de l’expérience en matière gouvernementale et de développer les capacités nécessaires à leur autonomie gouvernementale.

La Loi sur les Indiens envisage une accession graduelle à l’autonomie gouvernementale. La version antérieure à 1988 de l’article 83 de la Loi sur les Indiens autorisait les bandes qui « ont atteint un haut degré d’avancement » à lever des fonds au moyen de l’évaluation et de la taxation des terres des réserves, avec l’approbation du gouverneur en conseil. Je suis convaincu que les modifications qui ont été apportées en 1988 à la Loi sur les Indiens marquent l’étape suivante de ce processus de maturation. Les modifications indiquent que les bandes indiennes n’ont plus à démontrer leur maturité, du moins pour ce qui a trait à leur pouvoir de taxation. Cela ne signifie pas que les Indiens sont parvenus à l’autonomie gouvernementale. Le ministre doit toujours approuver les règlements. Mais les liens ont manifestement été relâchés. Pour que les bandes indiennes soient autorisées à passer à l’étape suivante de leur développement, il faut nécessairement qu’elles aient le pouvoir d’établir des politiques de taxation à taux variable.

Je suis convaincu que les règlements qui établissent des distinctions entre différents types de biens immeubles, même si ces distinctions ne sont pas expressément prévues dans les pouvoirs conférés à la bande, sont valides.

Toutefois, je suis également d’avis que le législateur n’a jamais eu l’intention d’accorder aux bandes indiennes le pouvoir d’exonérer certains individus des impôts et d’y assujettir d’autres personnes. Cela peut mener à toutes sortes d’abus. Si le législateur avait eu l’intention d’accorder de tels pouvoirs, il pouvait très bien le faire. Je ne me prononce pas sur cette question. Tout ce que je dis, c’est que le législateur aurait indiqué clairement que telle était son intention. Par conséquent, je soustrais des règlements la partie dans laquelle des distinctions sont établies entre les personnes.

2.   L’article 87 dispense-t-il les membres des bandes de leurs propres règlements?

Les intimés font valoir que l’article 87 de la Loi sur les Indiens exonère d’impôts les membres des bandes indiennes :

87. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

a) le droit d’un Indien ou d’une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve.

(2) Nul Indien ou bande n’est assujetti à une taxation concernant la propriété, l’occupation, la possession ou l’usage d’un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l’un de ces biens. [Non souligné dans l’original.]

L’argument des intimés est contraire aux buts et objectifs mêmes de l’autonomie gouvernementale qui sont extraits de la décision Matsqui.

Un article d’Allan M. Maslove et de Carolyn Dittburner, de l’École d’administration publique de l’Université Carleton, paru dans Aboriginal Self-Government in Canada : Current Trends and Issues, publié par John H. Hayton, Purich 1994, Saskatoon, et intitulé The Financing of Aboriginal Self-Governement, fait l’historique de l’autonomie en matière de taxation et conclut qu’il s’agit d’un élément-clé du développement de systèmes efficaces favorisant l’autonomie gouvernementale des autochtones. À la page 152, Maslove et Dittburner écrivent ceci :

[traduction] L’établissement de mécanismes d’autofinancement donnerait aux gouvernements autochtones une plus grande légitimité dans la société non autochtone en démontrant qu’ils tiennent à leur autonomie gouvernementale et qu’ils veulent se prendre en charge…

Un certain degré d’autofinancement améliorerait également la légitimité du gouvernement dans sa propre collectivité. Alors que le Boston Tea party a démontré qu’il ne pouvait y avoir de taxation sans représentation, l’autonomie gouvernementale des autochtones s’appuie sur la position contraire, c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir de représentation efficace sans taxation.

À mon avis, l’article 87 s’applique aux autorités extérieures et non à la bande indienne elle-même conformément à l’article 83. Je souscris entièrement aux propos tenus dans l’article précité. L’autonomie en matière de taxation fait partie intégrante de l’autonomie gouvernementale des autochtones et elle ne peut que la renforcer.

La demande est accueillie et les avis d’évaluation susmentionnés établis par la bande indienne concernant les biens immeubles des requérantes sont annulés étant donné qu’ils outrepassent le pouvoir de taxation conféré aux bandes indiennes intimées.

Subsidiairement, si j’ai tort d’accueillir les présentes demandes, j’annule les aspects contestés des avis d’évaluation susmentionnés des bandes indiennes taxant les biens immeubles des requérantes, qui établissent des distinctions entre les personnes.



[1] Ces motifs sont énoncés dans les dossiers de demande des requérantes.

[2] Ces redressements sont énoncés dans les dossiers de demande des requérantes.

[3] Pièce E, dossier de la demande de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et de la bande indienne de Matsqui.

[4] Selon les requérantes, pour que la Cour suprême de la Colombie-Britannique puisse enjoindre au CP de rétrocéder les terres contestées à la Couronne, il fallait que le titre de propriété de ces terres appartienne au CP. Les bandes indiennes ont répliqué que la présente Cour ne devrait pas attribuer au mot « terre » un sens plus large que celui d’une servitude. Les intimés soutiennent que la Cour a ordonné au CP de rétrocéder à la Couronne le droit possessoire dont il disposait. Je ne peux accepter l’interprétation des intimés. Si la Cour dans l’arrêt Marathon avait l’intention que le CP restitue la servitude à la Couronne (en supposant que cela soit possible), elle l’aurait indiqué; elle a plutôt utilisé le mot terre.

[5] Les documents produits sous la pièce K dans le dossier de demande de la bande indienne de Matsqui concernant le Canadien National.

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