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[1996] 2 C.F. 113

T-1571-95

Brink’s Canada Limitée (requérante)

c.

Commission canadienne des droits de la personne, Arthur Stringer, Clarke Jerman (intimés)

et

Tribunal canadien des droits de la personne, Keith C. Norton, Ronald W. McInnes, S. Jane Armstrong et Murthy Ghandikota (intervenants)

T-1844-95

Brink’s Canada Limitée (requérante)

c.

Commission canadienne des droits de la personne, Arthur Stringer, Clarke Jerman (intimés)

et

Tribunal canadien des droits de la personne, Anne Mactavish (intervenants)

Répertorié : Brink’s Canada Ltée c. Canada (Commission des droits de la personne) (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay— Toronto, 27 novembre 1995; Ottawa, 10 janvier 1996.

Droits de la personne Demande d’annulation de la constitution d’un tribunal composé de trois personnes pour remplacer un tribunal d’une seule personne constitué en vue d’examiner des plaintes de discrimination en raison de l’âge; demande de jugement déclaratoire portant que la décision de ne pas constituer de tribunal d’appel est invalideLe tribunal composé d’une seule personne s’est déjà prononcé sur des questions préliminaires de procédureLe principe du functus officio n’est pas applicableLe président du Comité du tribunal possède le pouvoir de procéder à la constitution de nouveaux tribunaux dans les cas où cela aide à la réalisation des objectifs de la Loi, malgré l’absence d’un pouvoir conféré expressément à cet effetL’exercice de ce pouvoir est lié à l’obligation d’agir en conformité avec le principe d’équitéLe fait que la requérante n’a pas été avisée à l’époque de la constitution du premier tribunal que le mandat de ce dernier pouvait se limiter aux questions préliminaires de procédure engendre de l’injustice, vu notamment que la Commission connaît bien la procédure du tribunal mais que ce n’est pas le cas de la requéranteLe remplacement du tribunal composé d’une seule personne abrogeait le droit d’appel prévu par la LoiL’art. 56 de la LCDP prévoit que le président doit constituer un tribunal d’appel lorsqu’il est interjeté appel, conformément à l’art. 55, d’une « décision ou ordonnance » — Cet article ne comprend pas une décision ou ordonnance de nature préliminaire en matière de procédure qui est susceptible de modificationIl comprend seulement les décisions ou ordonnances qui sont définitives et non susceptibles de modification à la suite d’un réexamenLeur caractère définitif ne peut être déterminé que lorsque la décision ou ordonnance est rendue pour statuer sur une enquêteComme les décisions rendues en l’espèce ne statuent pas définitivement sur l’enquête dont est saisi le tribunal, la requérante ne peut pas interjeter appel.

Droit administratif Contrôle judiciaire Constitution d’un tribunal canadien des droits de la personne composé de trois membres pour entendre des plaintes de discrimination relativement à l’emploi après qu’un tribunal composé d’une seule personne eut été constitué, eut entendu les témoignages et les plaidoiries sur des questions préliminaires de procédureLes tribunaux administratifs sont maîtres de leur propre procédureIls peuvent tenir compte des questions d’efficacitéLe principe du functus officio ne doit pas être appliqué de façon stricteLe pouvoir de constituer de nouveaux tribunaux ne peut pas être exercé si cela contrevient au principe de l’équité ou cause un préjudice à l’une des partiesIl résulte une injustice du fait que la requérante n’a pas été avisée que le mandat initial du tribunal était limité aux questions préliminairesLe remplacement du tribunal composé d’une seule personne abrogeait le droit d’appel prévu par la LoiLe législateur fédéral a voulu qu’il soit possible d’interjeter appel à un tribunal d’appel de la décision rendue par un tribunal composé de moins de trois personnesLes tribunaux administratifs, comme les cours de justice, devraient publier leurs règles de procédure pour que les parties concernées puissent en prendre connaissance facilement.

La première demande visait à obtenir une ordonnance annulant la constitution d’un tribunal composé de trois personnes pour examiner les plaintes portées contre la requérante. La deuxième demande visait à obtenir une ordonnance de mandamus enjoignant à la présidente du Comité du tribunal des droits de la personne (la présidente) de constituer un tribunal d’appel.

Les intimés, Art Stringer et Clarke Jerman, ont déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne des plaintes dans lesquelles ils alléguaient que la requérante avait commis un acte discriminatoire contre eux en raison de leur âge. Le président a transmis un avis dans lequel il constituait Ronald W. McInnes « tribunal des droits de la personne pour examiner les plaintes » et « pour déterminer si les actions incriminées constituaient un acte discriminatoire ». Dans une « première décision préliminaire », M. McInnes s’est prononcé sur l’ordonnance relative à la présentation de la preuve et des plaidoiries concernant les questions préliminaires soulevées par la requérante, le principe applicable au contre-interrogatoire des témoins assignés à déposer relativement aux questions préliminaires et les mesures concernant le témoignage de M. Stringer, qui risquait de ne pas pouvoir témoigner à l’audience pour cause de maladie. À la suite de cette décision, le président a constitué un tribunal composé de trois personnes, dont M. McInnes à titre de président, « pour examiner les plaintes » et « pour déterminer si les actions incriminées constituaient un acte discriminatoire ». L’avis de nomination mentionnait que cette constitution de tribunal remplaçait la constitution antérieure d’un tribunal des droits de la personne.

L’article 56 de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit que le président doit constituer un tribunal d’appel lorsqu’il est interjeté appel, conformément à l’article 55, d’une « décision ou ordonnance » rendue par un tribunal composé de moins de trois membres. La requérante a déposé un avis d’appel pour interjeter appel de la « première décision préliminaire ». La présidente a refusé de constituer un tribunal d’appel pour le motif que la requérante cherchait à interjeter appel d’une décision provisoire ou préliminaire sur le plan de la procédure et que les appels prévus aux articles 55 and 56 concernent les décisions ou ordonnances définitives.

Il s’agissait de savoir si le président avait compétence pour constituer un tribunal composé de trois membres, qui remplacerait un tribunal composé d’un seul membre; si le président avait le pouvoir discrétionnaire de refuser de constituer un tribunal d’appel; si les articles 55 et 56 exigent que la décision ou l’ordonnance dont il est interjeté appel soit définitive; et si la première décision préliminaire était une décision définitive ou une décision préliminaire.

Jugement : la première demande doit être accueillie; la deuxième doit être rejetée.

Il peut y avoir des circonstances où le remplacement tardif d’un tribunal constitué à l’origine est approprié, et alors le principe du functus officio ne convient pas à l’examen du pouvoir du président de constituer un tribunal. Les circonstances en l’espèce n’exigeaient pas une telle action parce qu’il n’y avait aucun doute, au moment de la deuxième constitution de tribunal, sur la capacité de M. McInnes de poursuivre l’enquête. Bien que le président possède le pouvoir de procéder à la constitution de nouveaux tribunaux dans les cas où cela aide à la réalisation des objectifs de la Loi, malgré l’absence d’un pouvoir conféré expressément à cet effet, ce pouvoir ne permet pas de procéder à la constitution de tels tribunaux dans les cas où cela contrevient au principe de l’équité ou cause un préjudice à l’une des parties qui se trouvent devant le tribunal. Ce pouvoir découle du pouvoir inhérent d’un tribunal administratif de déterminer la procédure appropriée pour réaliser les objectifs que lui fixe la loi, mais l’exercice de ce pouvoir est lié à l’obligation d’agir en conformité avec le principe d’équité. En l’espèce, la requérante a raison de prétendre qu’une injustice découle du fait qu’elle n’a pas été avisée à l’époque de la nomination initiale de M. McInnes que le mandat de ce dernier pouvait se limiter aux questions préliminaires de procédure, et qu’il pouvait ensuite être remplacé par un tribunal composé de trois personnes pour examiner les plaintes quant au fond. Le caractère injuste du processus est souligné par le fait que la Commission, qui est l’une des parties devant le tribunal, connaissait bien la procédure du tribunal de constituer un tribunal d’un seul membre pour tenir la conférence préalable à l’audience, et lorsque la complexité des questions ou la disponibilité des membres du comité l’exige, d’ajouter des membres au tribunal initial ou de les remplacer pour l’audience principale quant au fond, tandis que ce n’était pas le cas de la requérante. Ce caractère injuste est également souligné par certains droits d’appel que la requérante s’attendait de posséder relativement aux décisions ou aux ordonnances d’un tribunal composé d’un seul membre. La dernière constitution de tribunal empêchait effectivement d’interjeter appel de la décision du tribunal en vertu des articles 55 et 56 de la Loi, sans que la requérante ait été informée préalablement ou puisse faire des observations sur la question. L’inclusion, dans l’avis initial de constitution d’un tribunal composé d’une seule personne, des limites apportées à son pouvoir d’examiner les questions dont il était saisi et de la possibilité ou de la probabilité que la personne soit ensuite remplacée par un tribunal, peut-être de trois personnes, pour examiner les principales questions préliminaires ou les principales questions de fond de l’enquête, ou bien la communication au début de l’enquête d’un résumé publié du processus adopté par le Comité du tribunal préviendrait toute allégation d’injustice.

La présidente n’était nullement obligée de constituer un tribunal d’appel à ce stade-ci de l’affaire. La décision de ne pas constituer un tel tribunal relevait de son pouvoir implicite. La requérante n’avait pas le droit d’interjeter appel de ces décisions à ce stade-ci parce qu’elles ne constituent pas des « décisions ou ordonnances » au sens des mots utilisés aux articles 55 et 56. Dans le contexte des articles 53, 54 et 57, l’expression « la décision ou l’ordonnance » mentionnée à l’article 55 ne comprend pas une décision ou ordonnance de nature préliminaire en matière de procédure qui est susceptible de modification. Cet article est censé comprendre seulement les décisions ou ordonnances qui sont définitives, non susceptibles de modification à la suite d’un réexamen du tribunal, et qui statuent de façon définitive sur une question dont le tribunal a été saisi. Lorsqu’un tribunal semble avoir statué définitivement sur une question en ce sens que le tribunal a rendu une décision ou une directive en vue du règlement de cette question, tant que les travaux du tribunal ne sont pas terminés, ce sont seulement les décisions exceptionnelles qui peuvent être considérées comme étant définitives. Toutes les décisions de nature préliminaire peuvent s’avérer définitives si elles ne sont pas modifiées subséquemment, mais leur caractère définitif ne peut être déterminé que lorsque la décision ou ordonnance du tribunal est rendue pour statuer sur une enquête. Permettre les appels à l’encontre de décisions ou ordonnances traitant de questions préliminaires, comme pour les présentes décisions rendues, pourrait donner lieu à de nombreux appels et pourrait contrecarrer les objectifs de la Loi en retardant l’examen d’une plainte. La « première décision préliminaire » comprenait seulement des décisions préliminaires, traitant principalement de questions de preuve à produire et de procédure à suivre. En l’espèce, ces décisions ne statuent pas définitivement sur l’enquête dont est saisi le tribunal. Elles pourront faire l’objet d’un appel en vertu de l’article 55, mais seulement après que le tribunal aura statué de façon définitive sur l’enquête.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code des droits de la personne (1981), S.O. 1981, ch. 53, art. 41.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 48.1 (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 65), 49(1) (mod., idem, art. 66), (1.1) (édicté, idem), (2),(5) (mod., idem), (5.1) (édicté, idem), (6) (mod., idem), 52, 53, 54(1), 55, 56(1) (mod., idem, s. 67), (2),(3),(4),(5), 57.

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 28.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), 51.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Industrial Gas Users Assn. c. Canada (Office national de l’énergie) (1990), 43 Admin. L.R. 102; 33 F.T.R. 217 (C.F. 1re inst.); National Indian Brotherhood c. Juneau (No 2), [1971] C.F. 73 (C.A.); Roosma v. Ford Motor Co. of Canada Ltd. (1988), 66 O.R. (2d) 18; 53 D.L.R. (4th) 90; 34 Admin. L.R. 87; 10 C.H.R.R. D/5761; 89 CLLC 17,013; 29 O.A.C. 84 (C. div.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653; (1990), 69 D.L.R. (4th) 489; [1990] 3 W.W.R. 289; 83 Sask. R. 81; 43 Admin. L.R. 157; 30 C.C.E.L. 237; 90 CLLC 14,010; 106 N.R. 17; Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848; (1989), 101 A.R. 321; 62 D.L.R. (4th) 577; [1989] 6 W.W.R. 521; 70 Alta. L.R. (2d) 193; 40 Admin. L.R. 128; 36 C.L.R. 1; 99 N.R. 277; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; (1987), 40 D.L.R. (4th) 577; 8 C.H.R.R. D/4326; 87 CLLC 17,025; 75 N.R. 303; Canada (Procureur général) c. Grover et autre (1994), 80 F.T.R. 256 (C.F. 1re inst.).

DEMANDES visant à obtenir une ordonnance annulant la constitution d’un tribunal composé de trois personnes remplaçant un tribunal d’une seule personne (qui avait déjà recueilli les témoignages et entendu les plaidoiries relativement à des questions préliminaires de procédure) pour examiner des plaintes de discrimination en matière d’emploi en raison de l’âge et une ordonnance de mandamus enjoignant de constituer un tribunal d’appel pour juger de certaines décisions rendues par un tribunal composé d’une seule personne. La première demande a été accueillie; la deuxième rejetée.

AVOCATS :

George J. Vassos pour la requérante.

Rosemary G. Morgan pour l’intimée la Commission canadienne des droits de la personne.

Bruce C. Caughill pour l’intervenant le Tribunal canadien des droits de la personne.

PROCUREURS :

Harris & Partners, Toronto, pour la requérante.

Rosemary Morgan, Ottawa, pour l’intimée la Commission canadienne des droits de la personne.

Stikeman Elliott, Ottawa, pour l’intervenant le Tribunal canadien des droits de la personne.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge MacKay : Lors de l’audition à Toronto, le 27 novembre 1995, des présentes demandes de contrôle judiciaire présentées toutes deux conformément à l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5], j’ai différé ma décision et demandé des observations écrites, que j’ai reçues et examinées depuis. Je dépose maintenant les présents motifs, suivant l’article 51 de la Loi sur la Cour fédérale, relativement aux ordonnances que je dépose aussi maintenant.

Au moyen de son avis de requête introductive d’instance déposé le 26 juillet 1995, la requérante, la compagnie Brink’s Canada Limitée (Brink’s), cherche à obtenir un jugement déclarant invalide la décision par laquelle M. Keith Norton, alors président du Comité du tribunal canadien des droits de la personne (le Comité du tribunal) a, le 19 juin 1995, constitué un tribunal composé de trois personnes pour examiner les plaintes portées par deux particuliers contre la requérante, et elle cherche également à obtenir une ordonnance annulant cette décision. En outre, elle demande des ordonnances d’interdiction en vue d’empêcher le tribunal composé de trois personnes de commencer les audiences comme prévu et d’empêcher tout tribunal de commencer l’audition de questions préliminaires ou de l’affaire quant au fond, tant qu’un tribunal d’appel n’aura pas été constitué conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, et ses modifications, (la Loi), et que ses audiences ne seront pas terminées. Cette demande, que les avocats appelaient « la demande d’interdiction », est celle qui est traitée dans le dossier portant le numéro du greffe T-1571-95.

Au moyen de la deuxième demande, déposée le 31 août 1995, la requérante cherche à obtenir une ordonnance qui déclare invalide et annule la décision par laquelle Mme Anne Mactavish, qui a succédé à M. Norton à titre de président du Comité du tribunal, a résolu le 31 juillet 1995 ne pas constituer de tribunal d’appel comme on le lui demandait en ce qui concernait l’avis d’appel de la requérante. Cette dernière cherche de plus à obtenir une ordonnance de mandamus enjoignant à la présidente de constituer un tribunal d’appel pour entendre et trancher les questions soulevées par l’avis d’appel de la requérante, ainsi qu’une ordonnance interdisant à un tribunal des droits de la personne de procéder à l’examen des plaintes tant qu’un tribunal d’appel n’aura pas statué sur l’appel interjeté par la requérante. Cette demande, que les avocats appelaient à l’audience « la demande de mandamus », est celle qui est traitée dans le dossier portant le numéro du greffe T-1844-95.

Par ordonnance rendue sur consentement le 16 octobre 1995, le nom du tribunal canadien des droits de la personne a été ajouté à titre d’intervenant dans le cas de chacune des demandes et a été radié de la liste des intimés dans le dossier portant le numéro du greffe T-1571-95. Les ordonnances rendues maintenant prévoient que les membres du tribunal, dont le nom figurait encore parmi ceux des parties dans l’intitulé de la cause au moment de l’audience, n’auront plus la qualité d’intimés mais celle d’intervenants comme le tribunal, et que les intitulés seront modifiés en conséquence.

Les faits

Le 15 mai 1989 et le 20 avril 1990 respectivement, les intimés Art Stringer et Clarke Jerman ont déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) des plaintes dans lesquelles ils alléguaient que la requérante, leur ancien employeur, avait commis un acte discriminatoire contre eux relativement à leur emploi en raison de leur âge.

La Commission a demandé au président du Comité du tribunal, le 19 décembre 1994, de constituer un tribunal pour examiner ces plaintes conformément à l’article 49 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 66] de la Loi. Le 24 janvier 1995, M. Norton a transmis conformément à la Loi un avis intitulé « Constitution d’un tribunal des droits de la personne » dans lequel il constituait Ronald W. McInnes [traduction] « tribunal des droits de la personne pour examiner les plaintes » de MM. Stringer et Jerman contre la compagnie Brink’s Canada Limitée [traduction] « et pour déterminer si les actions incriminées constituaient un acte discriminatoire fondé sur l’âge en matière d’emploi selon l’article 7 » de la Loi.

La requérante a été informée par une lettre en date du 2 février 1995 de la tenue d’une conférence préalable à l’audience. Par la suite, une rencontre préalable à l’audience a eu lieu le 29 mars 1995 en présence de M. McInnes, en vue de régler des questions préliminaires. Lors de cette rencontre, la requérante a soulevé les questions préliminaires suivantes : la compétence constitutionnelle du tribunal, l’existence d’un retard et d’un prétendu abus de procédure, ainsi que la jonction des plaintes en vue d’une audience. On a retenu la semaine du 14 août 1995 pour trancher ces questions préliminaires si la requérante décidait, après nouvel examen, que celles-ci devaient être jugées par le tribunal. À la suite de cette rencontre, soit le 24 avril 1995, M. McInnes a tenu une conférence téléphonique avec les avocats des parties et ceux de la Commission, et y compris les intimés nommément désignés Stringer et Jerman, pour trancher les questions qui n’avaient pas été réglées lors de la rencontre préalable à l’audience.

Au cours de la conférence téléphonique et dans les observations faites ultérieurement par écrit, la Commission a proposé des mesures en vue de la conservation de la déposition de M. Stringer, qui souffrait d’un cancer et risquait de ne pas pouvoir témoigner à l’audience sur le fond de l’affaire. La Commission a demandé que M. Stringer soit autorisé à faire sa déposition avant l’audience sur le fond ou qu’il soit autorisé à fournir son témoignage dans un affidavit détaillé sur lequel il serait contre-interrogé par Brink’s. Cette dernière s’est opposée à cette demande, en partie, d’abord parce qu’il n’y avait aucune preuve médicale de l’état de santé de M. Stringer et ensuite parce que les frais afférents à la démarche suggérée pourraient être élevés et risquaient fort de ne pouvoir être recouvrés quelle que soit l’issue ultime de l’affaire quant au fond.

Dans une « première décision préliminaire », en date du 15 juin 1995, M. McInnes s’est prononcé, entre autres, sur l’ordonnance relative à la présentation de la preuve et des plaidoiries concernant les questions préliminaires soulevées par Brink’s, le principe applicable au contre-interrogatoire des témoins assignés à déposer relativement aux questions préliminaires et les mesures concernant le témoignage de M. Stringer. Sur ce dernier point, il ressort de la décision que M. McInnes était disposé à exercer son pouvoir discrétionnaire, dont il s’estimait investi en tant que tribunal constitué, afin que le témoignage de M. Stringer puisse être recueilli avant la tenue de l’audience sur le fond, à la condition que la Commission s’engage à souscrire à la décision du tribunal qui trancherait la question des frais et dépens et à se conformer à toute ordonnance relative aux frais engagés par Brink’s pour le contre- interrogatoire de M. Stringer si ce contre-interrogatoire devait s’avérer inutile en raison d’une décision rendue ultérieurement sur une question préliminaire et évitant alors la tenue d’une audience sur le fond. Des mesures ont été prévues pour recueillir la déposition de M. Stringer, pendant deux jours qui devaient être fixés le plus tôt possible, et si l’on ne s’entendait pas sur des dates avant le 30 juin 1995, elles seraient fixées péremptoirement par le tribunal. Si la santé de M. Stringer devait se détériorer de façon importante avant qu’il ne soit interrogé, il faudrait communiquer avec M. McInnes par conférence téléphonique. Comme les mesures ne s’étaient pas concrétisées complètement au moment où cette décision a été rendue, il semble évident que M. McInnes s’est considéré comme un tribunal tenu de prendre des mesures permettant de recueillir la déposition de M. Stringer, tout en supposant que la Commission consentirait à indemniser la requérante pour les frais engagés si ces mesures devaient être prises.

À la suite de cette décision, M. Norton, en tant que président du Comité du tribunal, a, le 19 juin 1995, constitué un tribunal composé de trois personnes, dont M. McInnes à titre de président, [traduction] « pour examiner les plaintes » de MM. Jerman et Stringer et [traduction] « pour déterminer si les actions incriminées constituaient un acte discriminatoire fondé sur l’âge en matière d’emploi selon l’article 7 » de la Loi. L’avis de nomination en date du 19 juin 1995 mentionnait que cette constitution de tribunal remplaçait celle d’un tribunal des droits de la personne en date du 24 janvier 1995. Sauf en ce qui concernait cette déclaration et les membres du tribunal nouvellement nommés, l’avis initial et le nouvel avis se ressemblaient sensiblement et comprenaient notamment un paragraphe identique se rapportant à la demande faite par la Commission et selon lequel, conformément à cette demande, [traduction] « je constitue par la présente un tribunal des droits de la personne composé d’un seul membre pour examiner lesdites plaintes », c’est à-dire les plaintes de MM. Stringer et Jerman. C’est la constitution d’un comité composé de trois membres, faite après la constitution antérieure de M. McInnes en tribunal composé d’un seul membre, que la requérante conteste par sa première demande de contrôle judiciaire (numéro du greffe T-1571-95), déposée le 26 juillet 1995.

Au moyen d’un avis d’audience en date du 21 juin 1995, le registraire du tribunal a donné avis de la tenue d’une audience devant un tribunal composé de trois membres, pour examiner les plaintes, à compter du 14 août et pendant une durée prévue de cinq jours, dates qui avaient été fixées antérieurement lors de la conférence préalable à l’audience ayant eu lieu en mars pour l’examen des questions préliminaires soulevées par Brink’s.

Par lettre en date du 29 juin 1995, la requérante a informé le tribunal qu’elle s’opposait à la constitution du comité composé de trois personnes. Selon la requérante, M. McInnes avait été saisi de toutes les questions relatives aux plaintes depuis le moment de sa constitution en tribunal, il avait recueilli certains éléments de preuve et reçu des observations et il avait rendu certaines décisions et gardé le pouvoir de traiter certaines questions. De plus, la Loi ne prévoit pas expressément que le président peut constituer un deuxième tribunal. Le registraire du tribunal a, par lettre en date du 6 juillet 1995, avisé la requérante que la présidente en exercice, Mme Anne Mactavish, avait reconsidéré la situation et que l’audience aurait lieu devant le comité composé de trois personnes et constitué le 19 juin 1995.

Le 12 juillet 1995, la requérante a déposé un avis d’appel auprès du tribunal pour interjeter appel de la première décision préliminaire rendue par M. McInnes le 15 juin 1995; elle y alléguait que des erreurs avaient été commises relativement à un certain nombre de questions tranchées. Le registraire du tribunal a informé la requérante de ce qui suit, dans une lettre en date du 31 juillet 1995 :

[traduction]… votre avis d’appel … a été transmis à Mme Anne Mactavish, la présidente du tribunal des droits de la personne. Elle a décidé ce qui suit : l’avis prétend interjeter appel de la décision rendue par le président le tribunal, Ronald McInnes, le 15 juin 1995, au moyen du mécanisme du tribunal d’appel prévu aux articles 55 et 56 de la Loi. La décision, toutefois, est une décision provisoire ou préliminaire sur le plan de la procédure et concerne la conduite d’une instance devant le tribunal. Ce dernier conclut que le mécanisme du tribunal d’appel s’applique seulement aux décisions ou ordonnances définitives du tribunal et que, par conséquent, il n’est pas le tribunal compétent pour entendre cet appel.

Votre demande en vue de la constitution d’un tribunal d’appel pour réviser la décision rendue par le tribunal des droits de la personne le 15 juin 1995 a donc été rejetée.

C’est cette décision que la requérante conteste au moyen de sa deuxième demande de contrôle judiciaire (numéro du greffe T-1844-95).

Je remarque que, par ordonnance du 11 août 1995, la Cour a prononcé l’arrêt des procédures en ce qui concerne les exceptions préliminaires que la requérante était censée commencer à présenter devant le tribunal le 14 août, tant qu’il n’aura pas été statué de façon définitive sur la demande de contrôle judiciaire dans le dossier portant le numéro du greffe T-1571-95.

Les dispositions législatives

La Loi prévoit la constitution du Comité du tribunal des droits de la personne, la nomination de son président et le fonctionnement d’un tribunal. Parmi les dispositions pertinentes aux fins de la présente affaire, mentionnons principalement [art. 48.1 (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 65), 49(1) (mod., idem, art. 66), (1.1) (édicté, idem), (5) (mod., idem), (5.1) (édicté, idem), (6) (mod., idem), 56(1) (mod., idem, art. 67)] :

48. 1 Est constitué le Comité du tribunal des droits de la personne composé du président et des membres nommés par le gouverneur en conseil.

49. (1) La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer un tribunal des droits de la personne, appelé dans la présente partie le « tribunal », chargé d’examiner la plainte, si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à celle-ci, que l’examen est justifié.

(1.1) Sur réception d’une demande présentée en application du paragraphe 44(3), le président du Comité du tribunal des droits de la personne constitue un tribunal chargé d’examiner la plainte visée par cette demande.

(2) Le tribunal se compose d’au plus trois membres.

(5) Le président du Comité du tribunal des droits de la personne choisit au sein de ce Comité, sous réserve du paragraphe (5.1), les membres du tribunal.

(5.1) Le président du Comité du tribunal des droits de la personne peut se constituer tribunal ou se désigner membre du tribunal.

(6) Le président du Comité du tribunal des droits de la personne nomme, sous réserve du paragraphe (7), le président du tribunal dans le cas où celui-ci se compose de plus d’un membre.

52. Les audiences du tribunal sont publiques, mais le tribunal peut, dans l’intérêt public, ordonner le huis clos pour tout ou partie de leur durée.

53. (1) À l’issue de son enquête, le tribunal rejette la plainte qu’il juge non fondée.

(2) À l’issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

a) de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

(i) d’adopter un programme, plan ou arrangement visé au paragraphe 16(1),

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en œuvre un programme prévus à l’article 17;

b) d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont, de l’avis du tribunal, l’acte l’a privée;

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte;

d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il juge indiquée, des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte.

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars, s’il en vient à la conclusion, selon le cas :

a) que l’acte a été délibéré ou inconsidéré;

b) que la victime en a souffert un préjudice moral.

(4) Le tribunal qui, à l’issue de son enquête, juge fondée une plainte portant sur une déficience et estime que les locaux ou les installations de l’auteur de l’acte discriminatoire doivent être adaptés aux besoins des personnes atteintes de cette déficience :

a) soit rend une ordonnance d’adaptation en vertu du présent article qui, à son avis, n’entraîne aucune contrainte financière ou commerciale excessive et est indiquée;

b) soit, s’il ne peut rendre une telle ordonnance, fait les recommandations qu’il estime indiquées;

le tribunal ne peut toutefois rendre d’autres ordonnances que celle qui est prévue au présent paragraphe.

54. (1) Le tribunal qui juge fondée une plainte tombant sous le coup de l’article 13 ne peut rendre que l’ordonnance prévue à l’alinéa 53(2)a).

(2) L’ordonnance prévue au paragraphe 53(2) ne peut exiger :

a) le retrait d’un employé d’un poste qu’il a accepté de bonne foi;

b) l’expulsion de l’occupant de bonne foi de locaux, moyens d’hébergement ou logements.

55. La Commission ou les parties peuvent interjeter appel de la décision ou de l’ordonnance rendue par un tribunal de moins de trois membres en signifiant l’avis prescrit par décret du gouverneur en conseil aux personnes qui ont reçu l’avis prévu au paragraphe 50(1), dans les trente jours du prononcé de la décision ou de l’ordonnance.

56. (1) En cas d’appel, le président du Comité du tribunal des droits de la personne constitue un tribunal d’appel composé de trois membres de ce Comité, à l’exclusion de ceux qui ont rendu la décision ou l’ordonnance visée par l’appel.

(2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, les tribunaux d’appel sont constitués comme les tribunaux prévus à l’article 49 et sont investis des mêmes pouvoirs; leurs membres ont droit à la rémunération et aux indemnités prévues au paragraphe 49(4).

(3) Le tribunal d’appel peut entendre les appels fondés sur des questions de droit ou de fait ou des questions mixtes de droit et de fait.

(4) Le tribunal d’appel entend l’appel en se basant sur le dossier du tribunal dont la décision ou l’ordonnance fait l’objet de l’appel et sur les observations des parties intéressées; mais il peut, s’il l’estime indispensable à la bonne administration de la justice, recevoir de nouveaux éléments de preuve ou entendre des témoignages.

(5) Le tribunal d’appel qui statue sur les appels prévus à l’article 55 peut soit les rejeter, soit y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances à celles faisant l’objet des appels.

57. Aux fins de leur exécution, les ordonnances rendues en vertu des paragraphes 53(2) ou (3) ou 56(5) peuvent, selon la procédure habituelle ou dès que la Commission en dépose au greffe de la Cour fédérale une copie certifiée conforme, être assimilées aux ordonnances rendues par celle-ci.

La constitution d’un deuxième tribunal

(la demande d’interdiction) (T-1571-95)

La première question soulevée par la requérante est de savoir si le président du Comité du tribunal a compétence pour constituer un tribunal composé de trois membres, qui remplacerait un tribunal composé d’un seul membre qui a déjà été constitué, lorsque cette personne a déjà recueilli des éléments de preuve et entendu des plaidoiries relativement à certaines questions préliminaires de procédure et a décidé de se prononcer sur certaines questions, et lorsque cette personne continue d’être habilitée à siéger en tant que tribunal en vertu de la Loi.

L’avocat de la requérante soutient que l’article 49 de la Loi permet au président de procéder à la constitution d’un seul tribunal et qu’après avoir accompli ce geste, le président est functus officio à l’égard de son pouvoir de procéder à la constitution de tribunaux en vertu de l’article 49. Ni cet article ni aucune autre disposition de la Loi, prétend-on, ne confèrent au président le pouvoir de constituer un deuxième tribunal. C’est la Commission, conformément à l’article 49, qui détermine quelle plainte doit être transmise au tribunal, et, lorsque la Commission ne présente qu’une demande en vue de la constitution d’un tribunal, le président du Comité du tribunal doit constituer un tribunal pour examiner l’affaire, mais cela fait, il n’a pas le pouvoir de constituer un deuxième tribunal. La requérante fait valoir qu’en l’espèce le président a reçu de la Commission une demande, relativement aux deux plaintes, de constituer un tribunal, et le président a alors constitué un tribunal composé d’un seul membre pour examiner les deux plaintes. Comme aucune demande n’était pendante devant le président, ce dernier était functus officio et il ne pouvait donc pas constituer le tribunal composé de trois membres comme il a prétendu le faire.

La requérante allègue que les pouvoirs du président sont limités par la Loi et qu’il ne possède aucun pouvoir inhérent. Elle allègue également que, puisque le législateur fédéral n’a pas prévu expressément le pouvoir pour le président de constituer un deuxième tribunal, il entendait bien que le président n’ait pas ce pouvoir.

En dernier lieu, la requérante soutient qu’elle-même et la Commission subiraient un préjudice grave si le comité composé de trois membres était autorisé à continuer de siéger, et que, même si le président a le pouvoir de constituer un tribunal composé de trois membres, il ne devrait pas être autorisé à le faire dans les circonstances présentes. Si la procédure du tribunal, ainsi qu’elle est décrite dans l’affidavit de son registraire, a été suivie, M. McInnes était peut-être au courant des termes limités de son mandat initial pour examiner les questions préliminaires de procédure, mais la requérante Brink’s n’a pas été avisée que le mandat du président était limité ou qu’il pourrait être remplacé par la constitution d’un tribunal composé de trois personnes. D’après le mandat initial, les parties, ou du moins la requérante, s’attendaient à ce que, selon l’avis de constitution, M. McInnes soit le tribunal chargé d’examiner les plaintes. C’est ce que mentionnait l’avis de constitution du tribunal. À partir de cette constitution de tribunal et des dispositions législatives relatives à un appel interjeté à un tribunal d’appel en vertu des articles 55 et 56, on avance que les parties s’attendaient à avoir le droit d’interjeter appel à un tribunal d’appel. Elles perdent ce droit d’appel que leur accordent les articles 55 et 56, en raison de la constitution du deuxième tribunal, car aucun appel n’est prévu à l’encontre de la décision rendue par un tribunal composé de trois membres.

Quant à la Commission intimée et au tribunal intervenant, ils font valoir que le pouvoir du Comité du tribunal d’être maître de sa propre procédure donne au président le pouvoir de procéder à une deuxième constitution de tribunal. Ils disent que le président, qui agissait pour le Comité du tribunal qui est maître de sa propre procédure, a le pouvoir en vertu de la Loi de décider de la composition d’un tribunal, d’au plus trois membres choisis au sein du Comité, une fois que la Commission en a fait la demande. Parce qu’il s’agit strictement d’une question de procédure, tranchée avant qu’un tribunal examine quant au fond l’affaire visée par l’enquête, on maintient que le président a compétence pour constituer un deuxième tribunal en vertu de son pouvoir inhérent à l’égard de la procédure du tribunal.

Le tribunal et la Commission soutiennent que l’interprétation que la requérante donne de l’article 49 est exagérément technique et n’est pas conforme à l’interprétation libérale que notre Cour devrait donner à la Loi.

La Cour suprême du Canada a reconnu le pouvoir des organismes administratifs d’être maîtres de leur propre procédure, sous réserve des conditions prévues par les lois qui s’appliquent à eux : Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, à la page 685. En élaborant cette procédure, l’organisme administratif peut bien tenir compte des questions d’efficacité, élément qui en l’espèce est considéré comme important.

Dans l’arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, la Cour suprême a jugé [à la page 862] qu’il ne faudrait pas appliquer le principe du functus officio de façon stricte lorsque « la loi habilitante porte à croire qu’une décision peut être rouverte afin de permettre au tribunal d’exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante ».

La Cour suprême a jugé qu’il faut donner à la législation en matière de droits de la personne une interprétation équitable, large et libérale qui aidera à réaliser ses objectifs; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84. Mon collègue, le juge Cullen, s’est fondé sur ce principe dans la décision Canada (Procureur général) c. Grover et autre (1994), 80 F.T.R. 256 (C.F. 1re inst.), lorsqu’il a conclu qu’un tribunal constitué en vertu de la Loi n’était pas functus officio à l’égard d’une ordonnance rendue et que le tribunal pourrait reprendre l’audience sur la question et rendre une nouvelle ordonnance malgré le fait que la Loi ne le permettait pas expressément. Par cette décision, la Cour a également jugé qu’il fallait accorder une certaine souplesse au tribunal pour lui permettre d’élaborer sa propre procédure en essayant de remplir son mandat.

La procédure suivie par le président pour constituer un tribunal, à la demande de la Commission, est décrite ainsi dans l’affidavit du registraire du tribunal.

[traduction] 8. Sous réserve du nombre maximum de trois membres pour la composition du Comité selon la Loi, le nombre de membres devant composer le tribunal est laissé à la seule discrétion du président. Historiquement, c’est la complexité des questions dans un cas donné qui détermine la taille du tribunal.

9. Avant l’audience principale quant au fond, le tribunal constitué est susceptible de changer. Lorsque, après sa nomination à un tribunal par le président mais avant l’audience principale quant au fond, un membre du Comité ne peut plus continuer d’exercer ses fonctions, le président reconstituera le tribunal pour remplacer cette personne. Une telle reconstitution peut survenir après qu’un membre qui n’est plus disponible a entendu des observations et rendu des décisions concernant des questions préliminaires de procédure.

10. Depuis la constitution du tribunal, il y avait eu des délais prolongés pour la tenue des audiences prévues parce qu’il avait fallu trancher des questions préliminaires au début des audiences. Bien des fois, ces questions préliminaires soulevaient des points qui exigeaient l’ajournement de l’audience principale quant au fond et entraînaient des délais concomitants dans la réorganisation de l’audience.

11. Afin de réduire ces délais, on a adopté récemment dans les instances dont est saisi le tribunal une procédure standard qui consiste à tenir une conférence préalable à l’audience dans chaque affaire, conférence où l’on fixe des dates pour la tenue de l’audience.

12. Lors de la conférence préalable, on traite des questions de procédure qui doivent être réglées avant la tenue de l’audience quant au fond. Les questions de fond ne sont pas abordées à cette étape de l’instance.

13. Souvent le président constitue au début un tribunal d’un seul membre (le « tribunal initial ») pour tenir la conférence préalable à l’audience. Après la conférence préalable, et lorsque la complexité des questions ou la disponibilité des membres du Comité l’exige, le président ajoutera des membres au tribunal initial ou les remplacera au besoin pour l’audience principale quant au fond (la « procédure »).

14. Lors de la constitution d’un tribunal initial, les membres du Comité sont avisés que leur mandat à cette étape de l’instance consiste à tenir la conférence préalable à l’audience et à fixer le plus rapidement possible des dates pour la tenue de l’audience. Ils sont également avisés que, pour fixer les dates de l’audience, ils n’ont pas à tenir compte de leur propre disponibilité puisque, s’ils ne sont pas disponibles, le président constituera un autre tribunal pour entendre l’affaire quant au fond. Ce qui importe principalement pour le tribunal à ce moment-là, c’est de fixer des dates pour l’audition de l’affaire en temps opportun.

15. Se trouve jointe au présent affidavit, sous la cote « A », une copie d’un document intitulé « Procédures recommandées au président du tribunal lors de la conférence préalable à l’audience » (les « Procédures »). Les Procédures sont fournies aux membres du Comité du tribunal initial par le registraire du tribunal et énoncent, entre autres, le mandat et les considérations relatives à l’organisation des audiences du tribunal initial, comme il est mentionné ci-dessus.

16. La procédure a été adoptée par le tribunal et le président pour des raisons de rapidité et d’efficacité étant donné les ressources limitées du tribunal.

17. La procédure permet de constituer rapidement un tribunal et de passer à l’étape de la conférence préalable à l’audience de façon rapide et sans aucun préjudice pour les parties à l’instance.

18. En l’absence de la procédure, les difficultés associées à l’établissement d’une date acceptable pour la conférence préalable à l’audience lorsqu’un tribunal est composé de plus d’une personne peuvent souvent retarder cette étape de l’instance et donc retarder l’audience principale quant au fond au détriment de toutes les parties.

19. Compte tenu de la nature procédurale des questions examinées à la conférence préalable à l’audience, la procédure comporte la nomination d’un juriste du Comité pour composer le tribunal initial et rendre les décisions essentiellement juridiques associées à ces questions de procédure. Le tribunal estime qu’il n’est pas nécessaire de faire participer un plus grand nombre de membres du Comité, dont certains n’ont pas de formation juridique, à ce stade de l’instance.

20. En outre, la procédure est particulièrement efficace compte tenu du règlement possible de l’instance après la conférence préalable à l’audience mais avant l’audience principale quant au fond. En requérant la participation d’un membre seulement du Comité, la procédure évite les dépenses inutiles associées à la constitution d’un tribunal complet dès le début uniquement pour installer l’instance avant l’audition de l’affaire quant au fond. La procédure favorise l’économie des ressources, ce qui est important vu que le gouvernement consacre moins de fonds au fonctionnement du tribunal.

21. La procédure a été appliquée dans la grande majorité des affaires dont le tribunal a été saisi après le 1er juillet 1992 et contribue grandement au règlement de ces instances en temps opportun.

Les avocats représentant le tribunal et ceux représentant la Commission insistent sur le pouvoir du tribunal, et celui du président au nom du tribunal, d’être maître de sa propre procédure. Ils insistent également sur l’efficacité du processus si on procède à la nomination d’un seul membre du comité pour agir à titre de tribunal pour l’examen des questions préliminaires de procédure. Pour ces deux raisons et parce qu’il ne faudrait pas, allègue-t-on, appliquer le principe du functus officio pour contrecarrer les objectifs de la loi, ils font valoir qu’il relève du pouvoir conféré implicitement au président par la Loi de constituer un tribunal composé d’une seule personne pour examiner des questions préliminaires et de constituer par la suite un tribunal composé de trois personnes pour examiner quant au fond la ou les plaintes renvoyées par la Commission. Dans les plaidoiries, on a soutenu au nom du tribunal que le processus permet au président de constituer un tribunal composé de trois personnes pour remplacer un tribunal composé d’une personne lorsque les questions semblent complexes après que des questions préliminaires ont été soulevées, mais on n’a fait référence à aucune norme de complexité et on ne semble pas s’être préoccupé de la consultation des parties au sujet de la complexité des questions ou au sujet du remplacement du tribunal composé d’une seule personne par un comité composé de trois personnes.

Je suis d’accord pour dire qu’il peut y avoir des circonstances où le remplacement tardif d’un tribunal constitué à l’origine est approprié, et alors le principe du functus officio ne convient pas à l’examen du pouvoir du président de constituer un tribunal. Par exemple, la personne constituée en tribunal composé d’une personne peut être dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions avant que l’enquête ne soit terminée, et il semblerait tout à fait conforme à l’objectif de la Loi exposé dans ses dispositions relatives à un tribunal que le président procède à une nomination de remplacement. À moins qu’il n’y ait consentement des parties, le nouveau tribunal ne pourrait tout simplement pas continuer l’audience mais devrait la commencer de nouveau et, dans ces circonstances, une, deux ou trois personnes pourraient être nommées pour remplacer la personne constituée à l’origine en tribunal, tout comme le président aurait pu faire au moment de la nomination initiale.

À mon avis, le pouvoir de constituer un tribunal est conféré exclusivement au président du Comité du tribunal—il s’agit d’un pouvoir qui doit être exercé à la demande de la Commission et d’un pouvoir administratif qui n’est pas soumis au principe du functus officio—si les circonstances permettent ou exigent que le pouvoir soit exercé plus d’une fois dans le cas de certaines plaintes, pour répondre aux objectifs de la Loi. Les circonstances en l’espèce n’exigeaient pas une telle action parce qu’il n’y avait aucun doute, au moment de la deuxième constitution de tribunal, sur la capacité de M. McInnes de poursuivre l’enquête pour laquelle il avait été nommé à l’origine.

Bien que j’estime que le président possède le pouvoir de procéder à la constitution de nouveaux tribunaux dans les cas où cela aide à la réalisation des objectifs de la Loi, malgré l’absence d’un pouvoir conféré expressément à cet effet, ce pouvoir ne me semble pas permettre de procéder à la constitution de tels tribunaux dans les cas où cela contrevient au principe de l’équité ou cause un préjudice à l’une des parties qui se trouvent devant le tribunal. Ce pouvoir découle du pouvoir inhérent d’un tribunal administratif ou de celui de ses agents d’administration de déterminer la procédure appropriée pour réaliser les objectifs que lui fixe la loi, mais l’exercice de ce pouvoir, comme tout acte administratif, est lié à l’obligation d’agir en conformité avec le principe d’équité.

Je suis convaincu que, dans les circonstances de l’espèce, la requérante a raison de prétendre qu’elle subira un traitement injuste, et un préjudice réel, si le tribunal composé de trois personnes est autorisé à ce stade-ci à entendre les questions préliminaires ou les question de fond relatives à l’enquête. L’injustice découle du fait que la requérante, la compagnie Brink’s, n’a pas été avisée à l’époque de la nomination initiale de M. McInnes que le mandat de ce dernier pouvait se limiter aux questions préliminaires de procédure, et qu’il pouvait ensuite être remplacé par un tribunal composé de trois personnes pour examiner les plaintes quant au fond en conformité avec ce qui est maintenant considéré comme une procédure élaborée par le tribunal. Le caractère injuste du processus est souligné par le fait que la Commission, qui est l’une des parties devant le tribunal ainsi que le prévoit la loi, connaît bien la procédure du tribunal et celle du président, tandis que ce n’est pas le cas de la requérante lorsqu’elle répond aux plaintes portées auprès de la Commission. Ce caractère injuste est également souligné par les possibles droits d’appel que la requérante s’attendrait ordinairement de posséder en lisant les dispositions de la Loi relativement à un appel à un tribunal d’appel et en prenant connaissance de la constitution d’un tribunal composé d’un seul membre pour examiner les plaintes. En l’espèce, la dernière constitution de tribunal empêche effectivement la requérante, ainsi que la Commission, d’interjeter appel de la décision du tribunal en vertu des articles 55 et 56 de la Loi, sans que la requérante ait été informée préalablement ou puisse faire des observations sur la question.

Le tribunal d’appel prévu par la Loi constitue, à mon avis, un élément important dans le cadre de l’examen des plaintes conformément à la Loi, si elles semblent sérieuses et ne sont pas déjà réglées. Le législateur fédéral a prévu expressément un appel « fondés sur des questions de droit ou de fait ou des questions mixtes de droit et de fait » (paragraphe 56(3)), lorsque le tribunal qui a rendu la décision ou l’ordonnance était composé de moins de trois membres (article 55). Un tribunal d’appel n’est pas limité à l’examen du dossier du tribunal dont la décision ou l’ordonnance fait l’objet de l’appel et aux observations des parties, et il peut recevoir de nouveaux éléments de preuve ou entendre des témoignages s’il l’estime indispensable à la bonne administration de la justice (paragraphe 56(4)). Un tribunal d’appel peut soit rejeter un appel, soit y faire droit et substituer sa décision à celle faisant l’objet de l’appel (paragraphe 56(5)). L’instance d’appel qui a le pouvoir d’examiner de nouveaux éléments de preuve, d’entendre de nouveaux témoignages et de substituer ses décisions à celles faisant l’objet d’un appel jouit en effet d’un vaste pouvoir.

À part le processus judiciaire régulier, le tribunal d’appel comme celui qui est constitué en l’espèce est une instance d’appel spécialisée dans l’audition de plaintes de discrimination portées en vertu de la Loi. J’estime que, en prévoyant une telle instance, le législateur fédéral voulait que les parties aux plaintes qui ne sont pas réglées aient la possibilité de présenter leurs positions respectives, et notamment celle d’interjeter appel des décisions d’un tribunal si celui-ci est composé de moins de trois personnes. Si ce processus d’appel n’est pas encouragé, ou n’est pas disponible, il ne peut être interjeté appel de la décision du tribunal. Sa décision est susceptible de contrôle judiciaire, mais pas d’un appel au sens ordinaire du terme.

Je ne nie pas que le président a, en vertu du paragraphe 56(1), le pouvoir discrétionnaire de constituer en premier lieu un tribunal composé de trois personnes, empêchant ainsi tout appel subséquent possible si les trois personnes participent à la décision ou ordonnance définitive du tribunal. Ni la Cour ni la requérante ne suggèrent qu’il s’agit là du seul processus par lequel un tribunal composé de trois personnes puisse être constitué. Je reconnais que le Comité du tribunal doit être libre d’élaborer sa propre procédure, comme il le juge bon compte tenu de ses objectifs et de ses ressources. Par conséquent, les allégations concernant en l’espèce l’efficacité et la rapidité du règlement des questions préliminaires de procédure par un tribunal composé d’une seule personne peuvent être importantes pour le Comité du tribunal. Notre Cour ne cherche pas à contrecarrer ces arrangements. À mon avis, les préoccupations que je perçois ici relativement à l’équité du processus et au préjudice que la constitution d’un deuxième tribunal peut entraîner pour la requérante auraient pu être évitées si on avait indiqué dans l’avis initial de constitution d’un tribunal composé d’une seule personne les limites apportées à son pouvoir d’examiner les questions dont le tribunal est saisi et la possibilité ou la probabilité que la personne soit ensuite remplacée par un tribunal, peut-être de trois personnes, pour examiner les principales questions préliminaires ou les principales questions de fond de l’enquête. Un avis de ce genre ou bien un résumé publié du processus adopté par le Comité du tribunal, qui serait fourni au début de toute enquête, éliminerait toute allégation d’injustice ou de préjudice découlant de l’exercice du pouvoir du président de constituer un nouveau tribunal, pourvu que l’avis publié ou la description publiée mentionne la possibilité que l’on ajoute des membres à un tribunal initial ou qu’on le remplace, même par un tribunal composé de trois personnes, qui éliminerait en général la possibilité d’interjeter appel à un tribunal d’appel en vertu de la Loi.

Dans des observations présentées par écrit à la suite de l’audience, l’avocat représentant le tribunal suggère que le processus adopté par le président pour constituer un autre tribunal afin d’entendre les questions de fond prenant naissance au cours d’une enquête est analogue au processus d’une cour de justice où des questions interlocutoires de procédure peuvent être tranchées par un ou plusieurs juges autres que celui qui, en fin de compte, entend et tranche l’affaire quant au fond. Le fait de restreindre au tribunal constitué à l’origine le pouvoir de juger toutes les questions, soutient-on, impose des exigences plus strictes sur le plan de la procédure à un tribunal administratif qu’à une cour de justice. Je ne suis pas convaincu que cette analogie puisse servir la position du tribunal. Le Comité du tribunal, son président et un tribunal constitué détiennent leur pouvoir de la Loi, et non de la comparaison avec d’autres organismes. Alors que le Comité du tribunal et le président en son nom devraient avoir un pouvoir discrétionnaire important d’élaborer la procédure qui sert les objectifs fixés par la Loi, cette procédure devrait déjà être connue des parties qui peuvent être concernées par elles, tout comme la procédure judiciaire est connue grâce aux règles et aux décisions publiées qui les appliquent. En l’espèce, la procédure suivie par le président dans la constitution de tribunaux n’était pas connue, que ce soit grâce à des descriptions publiées ou par suite d’un avis transmis à toutes les parties à l’instance devant un tribunal au début de ses travaux.

L’avocat a également fait valoir dans ses observations écrites que, si une ordonnance d’interdiction comme celle que demande la requérante devait être accordée, notre Cour devrait [traduction] « fournir des instructions claires quant à la manière dont le tribunal et les parties à la présente plainte doivent procéder afin d’éviter un autre retard. Précisément, nous demanderions à la Cour de confirmer, si l’interdiction doit être accordée, que le tribunal ainsi qu’il a été constitué à l’origine en l’espèce est validement constitué et libre d’entendre la plainte et toutes les questions afférentes ». Ce genre d’avis outrepasserait, selon moi, le pouvoir judiciaire et ne serait qu’une remarque incidente dans toute contestation éventuelle du processus du tribunal.

Néanmoins, je ferai observer ce qui suit. On ne conteste pas que la nomination initiale de M. McInnes était valide. Une ordonnance annulant la décision du 19 juin 1995 qui constituait un nouveau tribunal composé de trois personnes et qui remplaçait la constitution du tribunal initial laisserait en vigueur la constitution originale du tribunal. Si M. McInnes peut encore siéger en tant que tribunal, cela semblerait permettre l’audition la plus rapide de l’affaire devant le tribunal. S’il ne peut pas le faire à ce stade-ci, inévitablement le président du Comité du tribunal a le pouvoir en vertu du paragraphe 49(1.1) de constituer un tribunal conformément à la loi. Dans ce dernier cas, le processus élaboré à l’égard du tribunal peut bien être suivi, en supposant que le tribunal remplaçant M. McInnes commence l’enquête depuis le début et pourvu que soit donné un avis approprié du processus envisagé par le président pour constituer un tribunal.

Je conclus, en ce qui concerne la demande portant le numéro du greffe T-1571-95, que la décision rendue par M. Norton en tant que président du Comité du tribunal le 19 juin 1995 devrait être annulée dans les circonstances de l’espèce afin d’éviter une injustice envers la requérante Brink’s et d’éviter une atteinte au droit que lui garantit la loi d’interjeter appel d’une décision ou d’une ordonnance rendue par un tribunal composé de moins de trois personnes, conformément aux articles 55 et 56 de la Loi. Si le tribunal composé d’une personne, soit M. McInnes, et constitué initialement pour examiner les plaintes, veut et peut encore siéger en tant que tribunal, aucune autre personne ne devrait être nommée pour succéder à ce tribunal ou pour le remplacer en tant que tribunal chargé d’examiner les plaintes de MM. Stringer et Jerman, tant qu’il peut siéger en cette qualité. C’est ce que prévoit l’ordonnance rendue.

Le refus de constituer un tribunal d’appel

(la demande de mandamus (T-1844-95))

Au moyen de sa deuxième requête introductive d’instance, déposée le 31 août 1995 (numéro du greffe T-1844-95), la requérante cherche à obtenir une ordonnance déclarant que la décision de la présidente de ne pas constituer de tribunal d’appel est invalide. De plus, elle demande le redressement corrélatif suivant : une ordonnance annulant cette décision, une ordonnance de mandamus enjoignant à la présidente de constituer un tribunal d’appel, une ordonnance renvoyant l’affaire à la présidente avec des instructions et une ordonnance d’interdiction empêchant tout tribunal des droits de la personne de procéder à l’audition des objections préliminaires de la requérante ou des plaintes quant au fond tant qu’un tribunal d’appel n’aura pas été constitué conformément aux articles 55 et 56 de la Loi et n’aura pas examiné l’appel de la requérante.

La requérante soutient que la présidente n’a pas le pouvoir discrétionnaire de refuser de constituer un tribunal d’appel; au contraire, elle est tenue par l’article 56 de constituer un tribunal d’appel sur réception d’un appel interjeté conformément à l’article 55. En outre, selon la requérante, c’est un tribunal d’appel, et non pas la présidente, qui doit déterminer la compétence du tribunal d’appel à entendre l’appel.

On fait valoir également au nom de la requérante que la première décision préliminaire de M. McInnes, en date du 15 juin 1995, est une décision définitive et non pas seulement préliminaire ou interlocutoire. Subsidiairement, il est aussi allégué que le libellé des articles 55 et 56 n’exige pas que la décision ou l’ordonnance faisant l’objet d’un appel soit définitive.

Quant au tribunal et à la Commission, ils avancent qu’une « décision ou ordonnance » qui fait l’objet d’un appel en vertu de la Loi est une décision ou une ordonnance définitive qui statue sur la question dont le tribunal est saisi. Sinon, la possibilité d’interjeter un nombre illimité d’appels sur des questions préliminaires, telles que les questions jugées par M. McInnes, contrecarrerait inévitablement l’objectif qui vise le traitement rapide des plaintes et pourrait exiger trop des ressources financières et du personnel à temps partiel du Comité du tribunal.

À mon avis, la requérante n’a pas le droit à ce stade-ci d’interjeter appel de la première décision de M. McInnes en vertu des articles 55 et 56 de la Loi, et la présidente possède effectivement le pouvoir de refuser, à ce stade-ci, de constituer un tribunal d’appel dans les circonstances.

La présente demande, selon moi, soulève deux points en ce qui concerne le processus d’appel engagé en vertu de l’article 55 de la Loi. Le premier porte sur la nature de la décision ou de l’ordonnance qui peut faire l’objet d’un appel, et les avocats en ont traité dans leurs plaidoiries relatives aux appels se rapportant aux décisions préliminaires ou définitives. Le deuxième point concerne le moment où les appels doivent être examinés, question qui n’est pas toujours abordée de façon distincte dans certaines des décisions jurisprudentielles évoquées.

L’article 56 de la Loi prévoit que le président doit constituer un tribunal d’appel lorsqu’il est interjeté appel, conformément à l’article 55, d’une « décision ou l’ordonnance » rendue par un tribunal composé de moins de trois membres. Selon le paragraphe 56(3), « le tribunal d’appel peut entendre les appels fondés sur des questions de droit ou de fait ou des questions mixtes de droit et de fait ».

La Loi ne définit pas les mots « décision ou ordonnance ». Ces mots sont utilisés aux articles 55 et 56, et le mot « ordonnance » est utilisé aux articles 53, 54 et 57 où il me semble clair que, dans le contexte des derniers articles, le mot est utilisé en rapport avec une ordonnance qui statue de façon définitive sur une plainte dont le tribunal a été saisi ou d’un appel dont un tribunal d’appel a été saisi. Dans ces articles, il est question de conclusions ou ordonnances rendues « à l’issue de son enquête » par un tribunal. Comme mon collègue Mme le juge Reed a conclu dans l’affaire Industrial Gas Users Assn. c. Canada (Office national de l’énergie) (1990), 43 Admin. L.R. 102, aux pages 111 à 115, le contexte d’une loi, qui comprend des dispositions relatives à un appel, peut justifier que l’on interprète les mots « décision » ou « ordonnance » comme désignant une ordonnance définitive statuant sur une question dont est saisi le tribunal.

À mon avis, l’expression « la décision ou […] l’ordonnance » mentionnée à l’article 55 ne comprend pas une décision ou ordonnance de nature préliminaire en matière de procédure qui est susceptible de modification. Cet article est censé comprendre seulement les décisions ou ordonnances qui sont définitives, non susceptibles de modification à la suite d’un réexamen du tribunal, et qui statuent de façon définitive sur une question dont le tribunal a été saisi.

Dans l’arrêt National Indian Brotherhood c. Juneau (No 2), [1971] C.F. 73 (C.A.), le juge en chef Jackett a dit ce qui suit [aux pages 77 à 79] pour interpréter le sens de l’expression « décision ou ordonnance » à l’article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10], ainsi qu’il était rédigé à l’époque :

La question la plus importante à trancher relativement à l’art. 28(1) est probablement celle de la signification des termes « décision ou ordonnance ». Ces termes s’appliquent clairement à la décision ou ordonnance émanant d’un tribunal en réponse à une requête lui demandant d’exercer ses pouvoirs après avoir adopté la procédure qu’il décide d’adopter pour conclure sur ce qu’il doit faire en réponse à la demande. Je suis enclin à croire, cependant, qu’il est douteux que ces termes—i.e., décision ou ordonnance—s’appliquent aux innombrables décisions ou ordonnances que le tribunal doit rendre au cours des procédures qui aboutissent au prononcé du jugement. J’ai à l’esprit des décisions telles que

a) des décisions relatives aux dates d’audition,

b) des décisions sur des requêtes en ajournement,

c) des décisions concernant l’ordre d’audition des parties,

d) des décisions ayant trait à l’admissibilité de la preuve,

e) des décisions sur des objections à des questions posées aux témoins, et

f) des décisions sur l’autorisation de présenter une argumentation écrite ou orale.

Chacune de ces décisions peut fort bien faire partie du tableau lors d’un pourvoi à l’encontre de la décision ultime du tribunal au motif qu’il n’y a pas eu une audition loyale. Cependant, si une partie intéressée a le droit de s’adresser à cette Cour en vertu de l’art. 28 chaque fois qu’une décision de ce genre est rendue, il semble qu’on ait mis entre les mains de parties … un moyen dilatoire et frustratoire …

Je ne prétends pas avoir formulé d’opinion quant au sens des termes « décision ou ordonnance » dans le contexte de l’art. 28(1), mais il me semble que l’on veut dire qu’il s’agit d’une décision ou ordonnance ultime prise ou rendue par le tribunal en vertu de sa constitution et non pas la myriade d’ordonnances ou de décisions accessoires qui doivent être rendues avant de trancher définitivement l’affaire.

Dans l’affaire Roosma v. Ford Motor Co. of Canada Ltd. (1988), 66 O.R. (2d) 18 (C. div.), la Cour a traité la question de la possibilité d’interjeter appel de décisions préliminaires rendues par une commission d’enquête constituée en vertu du Code des droits de la personne (1981) de l’Ontario [S.O. 1981, ch. 53]. Cette affaire porte sur l’article 41 de ce Code, qui prévoit un appel à l’encontre d’une « décision ou ordonnance » rendue par une commission d’enquête. Dans cette affaire-là, la Cour a jugé que la « décision ou ordonnance » susceptible d’appel comprenait seulement les décisions ou ordonnances définitives rendues par une commission. Dans le contexte, le caractère définitif du processus de décision de la commission était implicite avant qu’il n’y ait appel. En vertu de la loi de l’Ontario qui était alors applicable, le fait d’interjeter appel à la Cour divisionnaire, comme il était prévu par le Code des droits de la personne, entraînait un arrêt automatique des procédures devant la commission, en attendant qu’il soit statué sur l’appel. Permettre d’interjeter appel de décisions ou ordonnances provisoires ou interlocutoires contrecarrerait l’objectif du Code visant le règlement rapide des plaintes.

Lorsqu’un tribunal semble avoir statué définitivement sur une question en ce sens que le tribunal a rendu une décision ou une directive en vue du règlement de cette question, tant que les travaux du tribunal ne sont pas terminés, ce sont seulement les décisions exceptionnelles qui peut être considérées comme étant définitives. Ainsi la décision de libérer une partie d’une enquête peut être définitive, mais une décision portant sur la procédure à suivre, qui est de la nature de toutes celles faisant l’objet d’un appel en l’espèce, peut être susceptible de révision et de modification par un tribunal avant que ses travaux ne soient terminés. Toutes les décisions de nature préliminaire peuvent s’avérer définitives si elles ne sont pas modifiées subséquemment, mais leur caractère définitif ne peut être déterminé que lorsque la décision ou ordonnance du tribunal est rendue pour statuer sur une enquête à l’issue de ses travaux. Jusqu’à ce moment-là, il me semble que les décisions ou ordonnances d’un tribunal ne sont pas susceptibles en général d’un appel en vertu de l’article 55 de la Loi.

Permettre les appels à l’encontre de décisions ou ordonnances traitant de questions préliminaires, comme pour les présentes décisions rendues, pourrait donner lieu à de nombreux appels devant un ou plusieurs tribunaux d’appel et pourrait contrecarrer les objectifs de la Loi, ce qui retarderait l’examen d’une plainte. À mon avis, la première décision préliminaire rendue par M. McInnes le 15 juin 1995 comprenait seulement des décisions préliminaires, traitant principalement de questions de preuve à produire et de procédure à suivre à l’audition de questions préliminaires soulevées par Brink’s ou traitant de la possibilité de recevoir la déposition de l’intimé Stringer avant l’audition de l’affaire quant au fond.

Ces décisions peuvent être définitives, comme le soutient la requérante, mais seulement si elles ne sont pas infirmées ou modifiées. La question de savoir si une décision est définitive dépend de l’effet qu’elle a; elle est définitive si elle statue définitivement sur une demande ou une question (voir Roosma, précité). En l’espèce, elles ne statuent pas définitivement sur l’enquête dont est saisi le tribunal. Elles traitent de questions préliminaires de procédure. Si elles ne sont pas modifiées, elles peuvent toutes en fin de compte faire l’objet d’un appel pour des motifs généraux ayant trait à l’équité de l’audition à laquelle a procédé le tribunal, mais seulement après que le tribunal a statué de façon définitive sur l’enquête.

À mon avis, les requérantes n’ont pas le droit d’interjeter appel de ces décisions à ce stade-ci parce qu’elles ne constituent pas des « décisions ou ordonnances » au sens des mots utilisés aux articles 55 et 56. À ce stade-ci, elles ne peuvent pas être considérées comme vraiment définitives. Lorsque le tribunal aura terminé ses travaux, elles pourront faire l’objet d’un appel en vertu de l’article 55. Les appels interjetés à l’encontre des décisions avant ce moment-là tendraient à faire échouer l’objectif visant le règlement rapide des plaintes.

Selon moi, la présidente n’est nullement obligée de constituer un tribunal d’appel à ce stade-ci de l’affaire. La décision de ne pas constituer un tel tribunal relève de son pouvoir implicite en vertu du paragraphe 56(2) de la Loi, et il n’y a pas lieu de rendre une ordonnance de mandamus, comme on le demande.

À l’issue de l’enquête effectuée par le tribunal, un appel interjeté par la requérante relativement aux questions soulevées par la décision rendue par M. McInnes le 15 juin 1995, si ces questions sont encore importantes pour la requérante, peut obliger la présidente du Comité à constituer un tribunal d’appel conformément au paragraphe 56(1).

Pour ces motifs, une ordonnance vient rejeter la demande portant le numéro du greffe T-1844-95.

Conclusion

Voici un résumé de mes conclusions. Dans le dossier portant le numéro du greffe T-1571-95, la demande est accueillie et l’ordonnance délivrée annule la décision rendue le 19 juin 1995 pour constituer un nouveau tribunal composé de trois personnes afin d’examiner les plaintes des intimés Stringer et Jerman et elle prévoit également que, tant que M. McInnes voudra et pourra agir à titre de tribunal conformément à l’avis de nomination en date du 24 janvier 1995, aucun autre tribunal ne sera constitué pour le remplacer afin d’examiner ces plaintes. La demande est rejetée à tous les autres égards, tout comme l’est la demande portant le numéro du greffe T-1844-95.

Les ordonnances rendues maintenant, une relativement à chaque demande et à chaque dossier, prévoient également que les présidents et les membres du Comité du tribunal canadien des droits de la personne auront la qualité d’intervenants, tout comme le tribunal, et non plus celle d’intimés qu’ils avaient à l’origine dans les deux procédures, et que les intitulés respectifs des causes se liront ainsi qu’ils sont énoncés au début des présents motifs et dans les ordonnances déposées maintenant.

Une copie des présents motifs doit être déposée relativement à chacun des dossiers du greffe concernant ces demandes.

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