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[1996] 1 C.F. 355

A-316-95

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (appelante)

c.

Office national des transports et National Gypsum (Canada) Limited (intimés)

Répertorié : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office national des transports) (C.A.)

Cour d’appel, juge en chef Isaac, juges Marceau et Robertson, J.C.A.—Ottawa, 12 septembre et 2 octobre 1995.

Transports Appel d’une décision de l’Office national des transports selon laquelle l’art. 120(6) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux ne permet pas d’empêcher une partie à un contrat confidentiel de solliciter l’arbitrage en vertu de l’art. 48Le contrat ne disait rien au sujet de la possibilité que les parties ne s’entendent pas sur des changements de prixLes dispositions d’arbitrage s’appliquent en l’absence d’un contrat confidentiel, et lorsqu’un contrat confidentiel ne dit rien ou reste vague au sujet d’une condition de son exécution.

Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Les dispositions en matière d’arbitrage de la Loi de 1987 sur les transports nationaux permettent aux parties à un contrat privé de solliciter l’arbitrage au sujet des prix et des conditions de transportLe Parlement jouit d’un pouvoir législatif exclusif sur les chemins de fer reliant une province à une autre, ou s’étendant au-delà des limites d’une provinceLes dispositions législatives portant sur un sujet qui relève de la compétence du gouvernement fédéral peuvent avoir une incidence sur des questions relevant de la compétence des provinces, et cela comprend les droits civils et de propriétéLes dispositions d’arbitrage font partie intégrante du dispositif législatif qui réglemente les prix du transportLes questions de prix et de conditions de transport qui découlent de l’exécution d’un contrat privé ne les excluent pas de la compétence législative du gouvernement fédéral.

Il s’agit d’un appel d’une décision de l’Office national des transports selon laquelle le paragraphe 120(6) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux n’empêchait pas National Gypsum de solliciter l’arbitrage. Le paragraphe 48(1) permet à un expéditeur insatisfait des prix fixés pour le transport de marchandises ou des conditions imposées à cet égard d’avoir recours à l’arbitrage. Selon le paragraphe 120(6), aucune partie à un contrat confidentiel n’a le droit de soumettre une affaire à l’arbitrage en vertu de l’article 48 sans l’assentiment de toutes les parties audit contrat. Le CN et National Gypsum (Canada) Ltd. avaient conclu une entente confidentielle de transport, qui devait demeurer en vigueur pendant cinq périodes consécutives d’un an. Le contrat prévoyait que des changements de prix pouvaient être négociés 90 jours avant les dates anniversaires, et il permettait aux parties d’accepter de modifier les prix. National Gypsum a avisé le CN qu’elle désirait réviser les prix. Lorsque les négociations ont échoué, National Gypsum a fait part au CN de son intention de soumettre l’affaire à l’arbitrage en application de l’article 48. Le CN s’y est objecté, soutenant que la question des prix de transport était régie par le contrat confidentiel et que, par conséquent, aux termes du paragraphe 120(6), cette question ne pouvait être soumise à l’arbitrage sans son assentiment. L’Office soutenait qu’une partie à un contrat confidentiel peut soumettre à l’arbitrage une question non régie par le contrat. Les prix n’étaient pas régis par le contrat en question puisqu’ils devaient être négociés.

Les points en litige consistaient à savoir si le paragraphe 120(6) s’appliquait, et si les dispositions en matière d’arbitrage (articles 48 à 57) sont inconstitutionnelles parce qu’elles se rapportent à des droits civils et de propriété et relèvent donc de la compétence des provinces

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Le paragraphe 120(6) ne s’appliquait pas. Il n’était pas prévu dans le contrat que les parties ne puissent s’entendre sur les changements de prix. Il est possible de recourir aux dispositions d’arbitrage non seulement en l’absence de contrat confidentiel entre les parties, mais aussi lorsque le contrat confidentiel ne dit rien ou reste vague au sujet d’une condition de son exécution.

La contestation constitutionnelle n’était pas fondée. Le Parlement canadien jouit d’un pouvoir législatif exclusif sur les chemins de fer reliant une province à une autre, ou s’étendant au-delà des limites d’une province. En l’absence de spéciosité, des dispositions législatives qui portent sur un sujet relevant de la compétence du gouvernement fédéral peuvent avoir une incidence sur des questions relevant de la compétence des provinces, y compris les droits civils et de propriété. Les dispositions d’arbitrage établissent un moyen de fixer des prix dans des cas spéciaux et, en tant que telles, font partie intégrante de tout le dispositif législatif qui réglemente les prix du transport. Ces dispositions visent expressément les différends portant sur les prix du transport de marchandises ou les conditions imposées à leur égard, des questions qui font partie intégrante de l’exploitation des chemins de fer. Le règlement rapide, simple et hors cour de ces différends constitue un moyen d’atteindre l’objet et le but de la Loi, qui vise à rendre l’industrie ferroviaire plus efficace et concurrentielle et le système de transport plus économique. Le fait que les questions de prix et de conditions de transport surviennent dans le cadre de l’exécution d’un contrat privé ne peut avoir pour effet d’annuler leur importance par rapport à un objectif fédéral légitime et valable, et de les exclure de la compétence législative du gouvernement fédéral.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(29), 92(10), 92(13).

Loi de 1987 sur les transports nationaux, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28, art. 3 (mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 33), 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 120(6).

JURISPRUDENCE

DÉCISION EXAMINÉE :

Canadian Pacific Railway Company v. Notre Dame de Bonsecours (Corporation of), [1899] A.C. 367 (P.C.).

DÉCISIONS CITÉES :

Clark c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1988] 2 R.C.S. 680; (1988), 54 D.L.R. (4th) 679; 47 C.C.L.T. 1; 32 C.P.C. (2d) 97; 89 N.R. 81; Grand Trunk Railway Company of Canada v. Attorney-General of Canada, [1907] A.C. 65 (P.C.); Tropwood A.G. et autres c. Sivaco Wire & Nail Co. et autres, [1979] 2 R.C.S. 157; (1979), 99 D.L.R. (3d) 235; 10 C.P.C. 9; 26 N.R. 313.

APPEL de la décision de l’Office national des transports selon laquelle le paragraphe 120(6) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux n’interdisait pas à une partie à un contrat confidentiel ne prévoyant pas la possibilité qu’il n’y ait pas d’entente sur les prix de soumettre l’affaire à l’arbitrage. Appel rejeté.

AVOCATS :

Brian A. Crane, c.r., et Ronald D. Lunau pour l’appelante.

Richard G. M. Makuch pour l’intimé, l’Office national des transports.

Daniel M. Campbell, c.r. pour l’intimée, National Gypsum (Canada) Limited.

Lewis E. Levy, c.r. et Josephine A. L. Palumbo pour l’intervenant, le Procureur général du Canada.

PROCUREURS :

Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour l’appelante.

Direction des services juridiques, Office national des transports, Hull (Québec), pour l’intimé, l’Office national des transports.

Cox, Downie, Halifax, pour l’intimée, National Gypsum (Canada) Limited.

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intervenant, le Procureur général du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Marceau, J.C.A. : Quand, en 1987, pour servir de nouvelles visées et de nouvelles politiques relatives au système des transports en général et à l’industrie ferroviaire en particulier, le Parlement a promulgué la Loi de 1987 sur les transports nationaux [L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28] (ci-après appelée la LTN 1987), il a inclus, sous la rubrique « Médiation et arbitrage », des dispositions en vertu desquelles des arbitres nommés par l’Office national des transports aideraient les expéditeurs et les transporteurs à régler leurs différends relatifs aux prix fixés et aux conditions imposées à leur égard pour le transport de marchandises. Aux termes du paragraphe 48(1) de la LTN 1987 :

48. (1) L’expéditeur insatisfait des prix appliqués ou proposés par un transporteur pour le transport de marchandises ou des conditions imposées à cet égard peut, lorsqu’ils ne sont pas en mesure de régler eux-mêmes la question, avoir recours, par demande écrite, à l’arbitrage de l’Office.

Le paragraphe 120(6) de la Loi comportait toutefois une exception de base au recours au système d’arbitrage :

120. ...

(6) Malgré toute autre disposition de la présente loi, la demande, par une partie à un contrat confidentiel, de l’enquête prévue par l’article 59 ou de l’arbitrage prévu par l’article 48 est subordonnée à l’assentiment de toutes les parties au contrat.

Le présent appel, qui découle d’une décision datée du 9 mars 1995 de l’Office intimé, porte en premier lieu sur l’application de cette exclusion du nouveau système d’arbitrage et, en second lieu—et subsidiairement—sur la validité constitutionnelle de toutes les dispositions en matière d’arbitrage.

Les faits qui ont donné lieu à l’appel sont les suivants.

Le 30 mai 1994, l’intimée, National Gypsum (Canada) Ltd. (ci-après appelée National Gypsum), et l’appelante, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (ci-après appelée le CN), ont conclu une entente confidentielle de transport portant le numéro 01271 (ci-après appelée le contrat), en vertu de laquelle le CN convenait de transporter du gypse depuis la carrière qu’exploitait National Gypsum à East Milford (Nouvelle-Écosse) jusqu’à son installation d’expédition située à Wright’s Cove, Dartmouth (Nouvelle-Écosse). Il convient de noter spécifiquement certains des éléments de ce contrat.

Le paragraphe 1 expose la durée de l’entente :

[traduction] Date d’entrée en vigueur et durée

A.   Le présent contrat entrera en vigueur le 1er janvier 1994 et sera valable pendant cinq (5) périodes contractuelles consécutives d’une durée d’un (1) an se terminant le 31 décembre 1998.

B.   La période contractuelle sera renouvelée pour une période supplémentaire à moins que l’une des deux parties remette à l’autre un préavis écrit de résiliation du contrat et ce, au moins soixante (60) jours avant l’expiration d’une période contractuelle.

Le paragraphe 2B précise que l’annexe 1 portera sur la question des tarifs :

[traduction] Le CN, agissant uniquement comme transporteur à forfait, convient de transporter la marchandise en question entre le point d’origine et le point de destination, aux prix spécifiés à l’annexe 1.

L’annexe 1 précise les tarifs en vigueur jusqu’au 31 décembre 1994 et ajoute ensuite ceci :

[traduction] 1. Le 1er janvier de chaque année, à compter de 1995, les prix seront rajustés de la manière suivante :

Environ 90 jours avant les dates d’anniversaire annuelles, les deux sociétés commenceront à négocier les changements de prix. Ces négociations tiendront compte de leur marché respectif. En outre, les discussions prendront en compte toute amélioration de la productivité réalisée grâce à leur collaboration mutuelle pendant la durée du présent contrat, ainsi que des avantages nets que cette collaboration auront procurés aux deux parties.

2.   Les parties peuvent convenir mutuellement, à quelque moment que ce soit, de modifier l’annexe 1 pour ajouter, modifier ou supprimer des points d’origine, des points de destination, et cela comprend les prix et les conditions applicables (« annexe 1 révisée »).

Une annexe 1 révisée sera en vigueur sans être signée au nom des parties. Nonobstant les dispositions qui précèdent, l’une ou l’autre partie peut demander la signature de cette annexe, et chaque partie s’engage par la présente à se conformer à cette demande.

Vers le mois d’octobre 1994, National Gypsum a indiqué au CN qu’elle désirait entreprendre un examen des tarifs qui seraient en vigueur à compter du 1er janvier 1995. Les négociations ont commencé, mais se sont avérées infructueuses. Le 19 décembre 1994, le CN a fait savoir à National Gypsum qu’étant donné que les parties n’étaient pas parvenues à s’entendre sur de nouveaux prix pour 1995, ceux qui étaient en vigueur continueraient de s’appliquer. National Gypsum a répondu en faisant part de son intention de soumettre l’affaire à l’arbitrage en application de l’article 48 de la LTN 1987. Le 14 février 1995, National Gypsum déposait officiellement sa demande auprès de l’Office. Le CN s’y est aussitôt objecté. Ce dernier a soutenu que la question des prix de transport que National Gypsum devaient payer était régie par le contrat confidentiel conclu entre les parties et que, par voie de conséquence, aux termes du paragraphe 120(6) de la LTN 1987, cette question ne pouvait être soumise à l’arbitrage sans son accord. Dans une lettre datée du 9 mars 1995, l’Office a rejeté l’objection du CN. Voici ce qu’il a écrit :

[traduction] L’Office a passé en revue les arguments de National Gypsum et du CN, tels qu’exposés dans leurs lettres respectives datées du 14 et du 27 février 1995 ainsi que du 23 février et du 6 mars 1995. L’Office a décidé que le paragraphe 120(6) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux n’empêche pas en soi une partie à un contrat confidentiel de lui soumettre une demande d’arbitrage.

Une partie à un contrat confidentiel peut soumettre à l’Office, pour fins d’arbitrage, une question non régie par un contrat confidentiel. L’Office fait remarquer que le contrat confidentiel qu’ont conclu National Gypsum et le CN ne régit pas la question des prix, puisque les parties doivent négocier ces derniers pour l’année 1995 et les années subséquentes. De ce fait, la question soumise à l’arbitrage n’est pas régie par le contrat confidentiel entre les parties. La requête du CN concernant le rejet de la demande d’arbitrage de National Gypsum est refusée.

Le CN a demandé et obtenu l’autorisation d’interjeter appel de cette décision.

La position que National Gypsum a défendue devant l’Office, et de nouveau devant la présente Cour dans sa demande d’autorisation, était, en fait, que les prix demandés par le CN pour le transport des marchandises de National Gypsum, à partir de janvier 1995, n’étaient pas une question que régissait un contrat confidentiel, étant donné que le contrat en litige cessait d’exister après l’année 1994 en l’absence d’une entente sur les prix. Ces derniers sont évidemment un élément essentiel d’un contrat de transport, et une simple entente de négociation des prix est sans valeur juridique puisqu’elle ne peut avoir aucune force exécutoire. Sans cet élément essentiel, le contrat en soi est donc inapplicable et, de ce fait, doit être tenu pour inexistant d’un point de vue juridique. Le paragraphe 120(6) ne s’applique donc pas.

Le CN a toujours appuyé sa position sur deux prétentions. La première est que l’Office n’est pas compétent pour trancher la question de savoir si la question des prix en vigueur après 1995 était réglée par le contrat. Il s’agit, fait-il valoir, d’une question d’interprétation que seuls les tribunaux provinciaux peuvent régler. Dès que l’Office était en mesure de vérifier si le contrat traitait de la question des prix, il était tenu de se conformer à la disposition d’exclusion—le paragraphe 120(6)—et de rejeter la demande d’arbitrage de National Gypsum. La seconde prétention du CN est que le contrat règle bel et bien la question des prix en vigueur après 1995. L’argument est le suivant. Le contrat est d’une durée de cinq ans, et se compose de cinq périodes d’un an. La seule façon de le résilier est de signifier un préavis, en vertu du paragraphe 1B; sans la signification d’un tel préavis avant la fin d’une période, le contrat et toutes ses modalités, y compris les prix spécifiés à l’annexe 1, se poursuit automatiquement et reste en vigueur pendant une autre période. La clause de « négociation » visée à l’annexe 1 envisage uniquement des discussions destinées à réviser les positions des deux parties à la suite de changements éventuels dans les conditions du marché; cette clause ne requiert pas que les parties arrivent à une entente sur les changements de prix, faute de quoi le contrat prend fin. La question des prix est donc bien visée par les modalités du contrat, et l’exclusion prévue au paragraphe 120(6) s’applique directement.

Ni l’une ni l’autre des positions qu’avancent les parties ne m’apparaissent acceptables. National Gypsum n’explique pas pourquoi les parties auraient prévu deux façons de résilier leur entente : le préavis de 60 jours ou le simple refus d’accepter de nouveaux prix. National Gypsum n’explique pas non plus ce qui arrive aux conditions de transport si le contrat prend automatiquement fin. Le CN, pour sa part, ne nous dit pas de quelle façon l’Office peut décider si les taux en vigueur après 1995 sont régis par le contrat au sens du paragraphe 120(6) sans interpréter de quelque manière ses dispositions. Évidemment, cette interprétation comprendra la prise en considération d’une question de droit soumise à un examen fondé sur la norme de la rectitude; mais il semble nécessaire de procéder à cette prise en considération pour exercer le mandat que confère le Parlement à l’Office en cas de renvoi. Quant à l’interprétation du contrat que suggère le CN, elle est amoindrie par le libellé de la clause de base de l’annexe 1, où il est dit que, chaque année, les prix seront rajustés, et non qu’ils peuvent l’être, ce qui exclut la possibilité que les prix antérieurs soient automatiquement reportés à l’année suivante.

Il est un point qui me préoccupe encore plus que ces lacunes évidentes dans les positions retenues par les parties quant au sens à donner à leur entente, et il s’agit de l’idée que deux entités ayant une telle expérience et un tel sens des affaires acceptent de se mettre dans une position aussi délicate, soit celle d’être à la merci de l’autre au chapitre des prix, sans autre solution, advenant un désaccord, que d’accepter la résiliation prématurée du contrat et de toutes ses conditions. Il semble évident qu’il doit exister une tierce position, et je crois qu’il est facile d’en trouver une. En fait, chaque partie appuie sa position sur l’observation initiale que le contrat ne prévoit pas la possibilité que les parties n’arrivent pas à s’entendre sur des changements de prix. Il est vrai que le contrat est tout à fait muet sur la question, mais le contexte législatif dans lequel il a été conclu—les dispositions législatives qui devaient régir son exécution et que les deux parties avaient certainement à l’esprit quand elles ont signé le contrat (et il convient de noter ici qu’elles ont pris soin d’indiquer clairement que leur contrat était soumis aux dispositions de la partie III de la LTN 1987)—pourrait fort bien fournir un moyen de résoudre le différend, à condition que la simple existence du contrat n’empêche pas de recourir aux dispositions d’arbitrage de la LTN 1987. C’est l’opinion que défendent maintenant, judicieusement, les intimés, et, comme nous l’avons vu, la décision de l’Office qui a été portée en appel est à cet effet. Avec raison, à mon sens.

L’Office est d’abord arrivé à la conclusion que les prix de transport pour les années 1995 et suivantes n’étaient pas régis par le contrat confidentiel conclu entre les parties, lesquelles, vraisemblablement, avaient jugé préférable de pouvoir les négocier sans prévoir de mécanisme spécial pour arriver à une entente. Cela étant le cas, la question qui se posait consistait à savoir si la disposition d’exclusion du paragraphe 120(6) était applicable. L’Office a jugé que non. Il n’est possible de recourir aux dispositions d’arbitrage qu’en l’absence de contrat confidentiel entre les parties, mais aussi lorsque le contrat confidentiel que ces dernières ont conclu ne dit rien ou reste vague au sujet d’une condition imposée à son exécution. L’interprétation que l’Office a faite du paragraphe 120(6) de la Loi, sa loi habilitante, n’était pas seulement raisonnable; il s’agit, selon moi, de celle qui convenait. Elle est conforme au texte, qui traite d’une question en litige, ainsi qu’à l’objet, à l’économie et à l’esprit de la loi dans son ensemble, qui vise à favoriser des relations équitables mais harmonieuses et paisibles entre les expéditeurs et les transporteurs dans l’industrie des transports[1].

Je rejette donc la prétention de l’appelante selon laquelle le paragraphe 120(6) de la Loi empêchait l’Office de soumettre à l’arbitrage la question des prix que National Gypsum devait payer. Compte tenu de cette conclusion, il convient d’analyser le motif de contestation subsidiaire du CN contre la décision de l’Office, c’est-à-dire la présumée inconstitutionnalité des articles 48 à 57 de la LTN 1987.

Le CN fait valoir que les dispositions exposées aux articles 48 à 57 de la LTN 1987 constituent un texte législatif qui se rapporte aux droits et aux recours contractuels privés. Elles ont donc rapport aux droits civils et de propriété, qui relèvent de la compétence législative exclusive des provinces, en vertu du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]]. Aux termes des paragraphes 91(29) et 92(10) de cette Loi, le Parlement canadien jouit d’un pouvoir législatif exclusif sur les chemins de fer reliant une province à une autre, ou s’étendant au-delà des limites d’une province, mais, ainsi que l’a déclaré le Conseil privé dans l’affaire Canadian Pacific Railway Company v. Notre Dame de Bonsecours (Corporation of), [1899] A.C. 367, à la page 372 du recueil :

[traduction] S’il confère au Parlement du Dominion le contrôle législatif des chemins de fer en tant que tels, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ne prescrit pas que les chemins de fer cesseront de faire partie des provinces où ils sont situés, ou que, à tous autres égards, ils ne relèveront plus de la compétence des assemblées législatives provinciales.

L’avocat du CN fait référence à l’analyse faite par la Cour Suprême dans l’arrêt Clark c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1988] 2 R.C.S. 680, à propos de l’étendue de la compétence du gouvernement fédéral sur les chemins de fer; dans cet arrêt, il a été réitéré que le principe de la « partie intégrante » s’appliquait de la même façon que pour n’importe quel autre sujet fédéral. L’avocat fait valoir que la détermination des droits contractuels privés des parties à un contrat de transport ne constitue pas une « partie intégrante » de la réglementation des chemins de fer. Les dispositions d’arbitrage de la LTN 1987 ont simplement pour effet d’établir un mécanisme qui prévoit un recours juridique spécial pour régler des différends contractuels privés. De par leur nature et leur caractère véritables, ces dispositions ne sont pas des dispositions législatives qui se rapportent aux chemins de fer, mais, plutôt, aux droits contractuels et aux recours civils.

Mon opinion diffère complètement de celle de l’avocat du CN. Le pouvoir législatif dont jouit le gouvernement fédéral pour traiter des aspects contractuels des services de transport relevant du pouvoir réglementaire fédéral, comme les chemins de fer interprovinciaux, est indiscutable (Grand Trunk Railway Company of Canada v. Attorney-General of Canada, [1907] A.C. 65 (P.C.); Tropwood A.G. et autres c. Sivaco Wire & Nail Co. et autres, [1979] 2 R.C.S. 157). Il est vrai que les dispositions contestées visent les relations contractuelles de nature commerciale qu’entretiennent des expéditeurs et des transporteurs, qu’elles introduisent un recours en cas de litige opposant des parties privées sans mettre en cause de questions d’intérêt public, et qu’elles créent un mécanisme qui ne confère qu’au début un rôle direct à l’Office, la décision de l’arbitre étant définitive et exécutoire. Mais il est bien établi en droit, en l’absence de spéciosité, que des dispositions législatives qui portent sur un sujet relevant de la compétence du gouvernement fédéral peuvent avoir une incidence sur des questions relevant de la compétence des provinces, y compris les droits civils et de propriété. Les dispositions d’arbitrage de la LTN 1987 établissent un moyen de fixer des prix dans des cas spéciaux et, en tant que telles, font partie intégrante de tout le dispositif législatif choisi par le Parlement pour réglementer les prix du transport dans le nouveau contexte économique et commercial qui prévaut à l’heure actuelle au Canada. Ces dispositions visent expressément les différends portant sur les prix du transport de marchandises ou les conditions imposées à leur égard, des questions qui font partie intégrante de l’exploitation des chemins de fer. Le règlement rapide, simple et hors cour de ces différends, grâce à une intervention indirecte de l’Office, constitue sans aucun doute un moyen—un moyen important—d’atteindre l’objet et le but de la nouvelle Loi de 1987 sur les transports nationaux qui, ainsi qu’il est dit de manière plus détaillée à l’article 3 [mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 33] de cette dernière, vise, en fait, à rendre l’industrie ferroviaire, en particulier, plus efficace et plus concurrentielle, et le système de transport, en général, plus économique. Le fait que les questions de prix et de conditions de transport surviennent au cours ou dans le cadre de l’exécution d’un contrat privé ne peut avoir pour effet d’annuler leur importance par rapport à un objectif fédéral légitime et valable et, partant, de les exclure de la compétence législative du gouvernement fédéral.

À mon avis, la contestation de nature constitutionnelle soulevée par l’appelante à l’encontre des dispositions d’arbitrage de la LTN 1987 est dénuée de tout fondement.

Je suis donc d’avis que l’appel n’est pas justifié et devrait être rejeté.

Le juge en chef Isaac : Je suis d’accord.

Le juge Robertson, J.C.A. : J’y souscris.



[1] La version française du texte peut donner lieu à une interprétation plus large que le texte anglais, puisqu’elle ne fait pas expressément mention d’une « question » (matter) non régie par un contrat. Le texte en question est le suivant :

120. ...

(6) Malgré toute autre disposition de la présente loi, la demande, par une partie à un contrat confidentiel, de l’enquête prévue par l’article 59 ou de l’arbitrage prévu par l’article 48 est subordonnée à l’assentiment de toutes les parties au contrat.

Il est évident qu’une interprétation aussi large serait inacceptable en regard de la disposition anglaise, et les parties ne l’ont pas suggérée.

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