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[1996] 3 C.F. 215

T-567-96

Ernst Zündel (requérant)

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

et

Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (intervenant)

Répertorié : Zündel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge suppléant Heald—Ottawa, 10 et 11 juin et 1er août 1996.

Citoyenneté et ImmigrationStatut au CanadaCitoyensRejet d’une demande de citoyennetéDans le rapport qu’il a établi en vertu de l’art. 19(2)a) de la Loi sur la citoyenneté, le ministre s’est dit d’avis que le requérant constituait une menace envers la sécurité du CanadaInterdiction faite au comité de surveillance de mener une enquête et d’en faire rapport au gouverneur en conseilCrainte raisonnable de partialité en raison du fait que, dans un rapport antérieur sur le Heritage Front, le comité de surveillance avait fait de nombreux commentaires permettant de conclure qu’il était effectivement d’avis que le requérant constituait une menace envers la sécurité du Canada.

Renseignement de sécuritéInterdiction faite au comité de surveillance de mener une enquête et d’en faire rapport au gouverneur en conseil en vertu de l’art. 19(2)a) de la Loi sur la citoyennetéCrainte raisonnable de partialité en raison du fait que, dans un rapport antérieur sur le Heritage Front, le comité de surveillance avait fait de nombreux commentaires permettant de conclure qu’il était effectivement d’avis que le requérant constituait une menace envers la sécurité du Canada.

Après que Zündel eut demandé la citoyenneté canadienne en 1993, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a adressé au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (le comité de surveillance) un rapport suivant lequel, compte tenu de renseignements obtenus du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS), il existait des motifs raisonnables de croire que Zündel se livrerait à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada. Le requérant a été avisé que le comité de surveillance avait été chargé de faire enquête sur les motifs sur lesquels était fondé le rapport et d’en faire rapport au gouverneur en conseil. Si le rapport était confirmé, le gouverneur en conseil pourrait ensuite faire une déclaration en ce sens, rejetant ainsi en fait la demande de citoyenneté du requérant.

Il s’agit essentiellement d’une demande présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale en vue d’interdire au comité de surveillance de mener une enquête et d’en rendre compte, en raison de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. L’allégation est fondée sur les nombreux commentaires que le comité de surveillance a faits au sujet de Zündel dans un rapport précédent sur l’affaire du Heritage Front qui portait sur la conduite du SCRS envers la SRC, un syndicat de Postes Canada, le Parti réformiste du Canada et de groupes en faveur de la suprématie de la race blanche.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La Cour ordonne la suppression du dossier de demande supplémentaire des huit affidavits qui s’y trouvent. En premier lieu, aucune explication satisfaisante n’a été donnée pour justifier leur dépôt tardif. En second lieu, les affidavits abordent une question qui n’est pas pertinente à celle qui est soumise à la Cour.

Les articles de journaux sont admissibles à titre d’annexes à l’affidavit déposé au nom du requérant, mais uniquement pour démontrer le fait que l’affaire Heritage Front a fait l’objet d’une attention considérable de la part de la presse écrite et parlée, et non pour établir la véracité de leur contenu.

La présente instance ne porte d’aucune façon sur la question de savoir s’il existe des motifs raisonnables de croire que le requérant se livrerait à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada. On demande seulement à la Cour de décider si, eu égard aux circonstances de la présente affaire, on devrait interdire au comité de surveillance de poursuivre la procédure prévue à l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté.

Le comité de surveillance était tenu d’agir équitablement envers le requérant. Le critère applicable est celui auquel sont assujettis les organismes administratifs qui exercent des fonctions juridictionnelles, en l’occurrence celui de savoir « si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez un décideur ». En l’espèce, bien qu’il ne décide pas en dernière analyse s’il existe des motifs raisonnables de croire que Zündel se livrerait à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada, le comité de surveillance a joué un rôle capital dans cette décision. En conséquence, les fonctions dont le comité de surveillance est investi en vertu de l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté se rapprochent davantage de fonctions juridictionnelles que de fonctions d’élaboration de politiques ou de fonctions législatives. Le sort de la demande de citoyenneté canadienne du requérant et des privilèges et obligations qui en découlent est en jeu.

L’application de ce critère amène la Cour à conclure que les opinions émises par le comité de surveillance dans le rapport sur le Heritage Front suscitent une crainte raisonnable de partialité de la part du comité de surveillance à l’endroit de Zündel. Il est sans intérêt de savoir si les opinions en question sont bien fondées ou non. Ce qui importe dans la présente demande, c’est le fait que le comité de surveillance a tiré ces conclusions. Dans le rapport sur le Heritage Front, Zündel est qualifié de membre de « l’extrême droite qui nie l’existence de l’Holocauste » et d’« éditeur de propagande haineuse ». Il est indéniable que le comité de surveillance considère Zündel comme une personne qui fait partie de groupes racistes d’extrême droite et d’organisations mues par la haine à l’égard desquels le comité de surveillance a prévenu clairement le Canada du grand risque qu’ils représentaient. Le comité de surveillance a en outre jugé, dans bien des cas, que le requérant manquait de crédibilité.

Compte tenu de ce qui précède, une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur conclurait à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité de la part du comité de surveillance à l’endroit de Zündel. D’ailleurs, certaines des déclarations du comité de surveillance démontrent qu’il avait tranché à l’avance les questions dont il est saisi dans la procédure attaquée.

L’avocat du comité de surveillance soutenait que, si la demande était accueillie, le [traduction] « comité de surveillance perdra le pouvoir de remplir la mission dont il est investi aux termes de la loi et le SCRS ne sera assujetti à aucun contrôle. La raison d’être de la création du comité serait à toutes fins pratiques réduite à néant ». Cet argument in terrorem n’est pas convaincant. La décision en cause concerne les faits très particuliers et inhabituels qui ont été soulevés par le présent litige. Elle n’enlève pas au comité de surveillance le pouvoir d’exercer sa juridiction dans d’autres situations factuelles. La décision a toutefois pour effet de bloquer le mécanisme envisagé par la Loi sur la citoyenneté et par la Loi sur le SCRS relativement à la demande de citoyenneté de Zündel. Il se peut que, dans ces conditions, le seul recours efficace réside dans une mesure législative.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2b),d), 24(1),(2).

Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33.

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 19(1),(2)a),b),(3),(4),(5),(6) (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, item 22), 20(1),(2), (3),(4),(5).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 181. (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 2c), 34(1), 38a),b),c)(i),(ii),(iii), 39(2),(3), 42, 43, 44, 48, 49, 50, 51.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 1611 (édictée par DORS/92-43, art. 19), 1618 (édictée, idem), 1619 (édictée, idem).

Securities Act, R.S.A. 1970, ch. 333, art. 136.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 447 (1994), 17 Admin. L.R. (2d) 2; 164 N.R. 361 (C.A.); Société pour la protection des parcs et des sites naturels du Canada c. Parc national Banff (directeur) et autres (1994), 77 F.T.R. 218 (C.F. 1re inst.); Éthier c. Canada (Commissaire de la GRC), [1993] 2 C.F. 659 (1993), 151 N.R. 374 (C.A.); Lecoupe c. Forces armées canadiennes (1994), 81 F.T.R. 91 (C.F. 1re inst.); Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; (1976), 68 D.L.R. (3d) 716; 9 N.R. 115; MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856 (1985), 22 D.L.R. (4th) 119; 16 Admin. L.R. 109; 6 C.H.R.R. D/3064; 85 CLLC 17,023; 18 C.R.R. 165; 62 N.R. 117 (C.A.); Arthur c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 94 (1992), 98 D.L.R. (4th) 254; 18 Imm. L.R. (2d) 22; 147 N.R. 288 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170; (1990), 75 D.L.R. (4th) 385; [1991] 2 W.W.R. 145; 2 M.P.L.R. (2d) 217; 69 Man. R. (2d) 134; 46 Admin. L.R. 161; 116 N.R. 46; Save Richmond Farmland Society c. Richmond (Canton), [1993] 3 R.C.S. 1213; (1990), 75 D.L.R. (4th) 425; [1991] 2 W.W.R. 178; 52 B.C.L.R. (2d) 145; 46 Admin. L.R. 264; 2 M.P.L.R. (2d) 288; 116 N.R. 68; Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; (1992), 95 Nfld & P.E.I.R. 271; 4 Admin. L.R. (2d) 121; 134 N.R. 241; Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301; (1989), 57 D.L.R. (4th) 458; [1989] 3 W.W.R. 456; 93 N.R. 1.

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Bennett v. British Columbia (Securities Commission) (1992), 94 D.L.R. (4th) 339; [1992] 5 W.W.R. 481; 69 B.C.L.R. (2d) 171; 18 B.C.A.C. 191; 31 W.A.C. 191; Zündel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 359 (1re inst.).

DEMANDE d’ordonnance interdisant au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité de faire enquête sur un rapport établi contre le requérant par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en vertu de l’alinéa 19(2)a) de la Loi sur la citoyenneté et d’en rendre compte au gouverneur en conseil. Demande accueillie.

AVOCATS :

Douglas H. Christie pour le requérant.

Donald J. Rennie pour le ministre intimé.

Gordon K. Cameron pour l’intervenant, le comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité.

PROCUREURS :

Douglas H. Christie, Victoria, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour le ministre intimé.

Blake, Cassels & Graydon, Ottawa, pour l’intervenant, le comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge suppléant Heald : La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale[1] en vue d’obtenir :

[traduction]

a) une ordonnance interdisant au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité d’enquêter sur un rapport établi à l’encontre du requérant par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en vertu de l’alinéa 19(2)a) de la Loi sur la citoyenneté[2] et d’en rendre compte au gouverneur en conseil;

b) une ordonnance qui annulerait, en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, la procédure du comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité au motif qu’elle porte atteinte aux droits à la liberté d’expression et à la liberté d’association garantis au requérant par les alinéas 2b) et 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés[3] ou, subsidiairement, qui écarterait, par application du paragraphe 24(2) de la Charte, les éléments de preuve en question au motif qu’ils contreviennent aux alinéas 2b) et 2d).

Outre la demande de contrôle judiciaire, la Cour est saisie d’une requête qui a été présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration intimé (le ministre) et qui a été déposée le 23 mai 1996, en vue d’obtenir une ordonnance retranchant huit (8) affidavits et deux (2) documents du dossier de demande supplémentaire du requérant qui a été déposé le 9 mai 1996. À l’audience, j’ai informé les avocats que je reporterais à plus tard le prononcé de ma décision sur cette requête et que j’inclurais cette décision dans les présents motifs.

I.          GENÈSE DE L’INSTANCE

Les événements à l’origine de la procédure susmentionnée du comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (le comité de surveillance [ou CSARS]) seront relatés plus loin dans les présents motifs. Je crois qu’il est instructif, dans un premier temps, d’exposer le cadre législatif dans lequel s’inscrit la procédure attaquée.

i.          Le cadre législatif

L’article 19 de la Loi sur la citoyenneté expose les grandes lignes de la procédure à suivre lorsque le ministre est d’avis qu’il existe des motifs raisonnables de croire que la personne qui a présenté une demande de citoyenneté se livrera à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada. Au terme de cette procédure, le gouverneur en conseil peut, en vertu de l’article 20 de la Loi sur la citoyenneté, déclarer qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le requérant se livrera à de telles activités. Voici le libellé des articles 19 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, item 22] et 20 de la Loi sur la citoyenneté :

19. (1) Au présent article et à l’article 20, « comité de surveillance » et « menaces envers la sécurité du Canada » s’entendent au sens de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.

(2) Le ministre peut, en lui adressant un rapport à cet effet, saisir le comité de surveillance des cas où il est d’avis que l’intéressé devrait se voir refuser l’attribution de citoyenneté prévue à l’article 5 ou au paragraphe 11(1), ou la délivrance du certificat de répudiation prévu à l’article 9, ou encore la prestation du serment de citoyenneté, parce qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il se livrera à des activités qui :

a) soit constituent des menaces envers la sécurité du Canada;

b) soit font partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction punissable par voie de mise en accusation aux termes d’une loi fédérale.

(3) Dans les dix jours suivant la date du rapport, le ministre fait envoyer à l’intéressé un avis l’informant de l’existence du rapport et du fait qu’au terme d’une enquête sur la question, le gouverneur en conseil pourrait faire à son sujet la déclaration prévue à l’article 20.

(4) Le comité de surveillance examine les motifs sur lesquels est fondé le rapport dont il est saisi en suivant — compte tenu des adaptations de circonstance — la procédure prévue aux paragraphes 39(2) et (3) et aux articles 43, 44 et 48 à 51 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité pour les enquêtes portant sur les plaintes présentées au titre de l’article 42 de cette loi, étant entendu que la mention de l’administrateur général équivaut à celle du ministre.

(5) Afin de permettre à l’intéressé d’être informé le mieux possible des circonstances qui ont donné lieu à l’établissement du rapport, le comité de surveillance lui adresse, dans les meilleurs délais suivant la réception de celui-ci, un résumé des informations dont il dispose à ce sujet.

(6) Au terme de son enquête, le comité de surveillance fait rapport de celle-ci au gouverneur en conseil; en même temps ou plus tard, il communique à l’intéressé les conclusions du rapport.

20. (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le gouverneur en conseil peut empêcher l’attribution de la citoyenneté demandée au titre de l’article 5 ou du paragraphe 11(1), la délivrance du certificat de répudiation visé à l’article 9 ou la prestation du serment de citoyenneté en déclarant, après avoir étudié le rapport du comité de surveillance visé au paragraphe 19(6), qu’il existe des motifs raisonnables de croire que la personne visée dans ce rapport se livrera à des activités mentionnées aux alinéas 19(2)a) ou b).

(2) Une telle déclaration vaut rejet de la demande en cause et de tout appel éventuellement interjeté en vertu du paragraphe 14(5).

(3) La déclaration visée au paragraphe (1) cesse d’avoir effet deux ans après la date où elle a été faite.

(4) L’existence d’une première déclaration n’empêche pas le gouverneur en conseil d’en faire une autre, après examen de toute nouvelle demande faite par la personne visée.

(5) Malgré les autres dispositions de la présente loi ou toute autre loi fédérale, la déclaration visée au paragraphe (1) fait péremptoirement foi de son contenu en ce qui a trait à la demande de citoyenneté ou à la délivrance d’un certificat de répudiation.

Pour résumer la procédure précitée, le ministre peut, s’il est d’avis qu’il existe des motifs raisonnables de croire que la personne qui demande la citoyenneté (le requérant) se livrera à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada, adresser un rapport à cet effet au comité de surveillance en vertu du paragraphe 19(2) de la Loi sur la citoyenneté. Dans les dix (10) jours suivant la date de ce rapport, le ministre doit informer le requérant de l’existence du rapport. Le ministre est également tenu d’informer le requérant qu’au terme de l’enquête menée par le comité de surveillance sur la question, le gouverneur en conseil pourrait faire à son sujet la déclaration prévue à l’article 20 de la Loi sur la citoyenneté.

Le comité de surveillance doit ensuite, aux termes du paragraphe 19(4) de la Loi sur la citoyenneté, mener une enquête en conformité avec plusieurs dispositions énumérées de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité[4] (la Loi sur le SCRS). Le comité de surveillance adresse dans les meilleurs délais au requérant un résumé dans lequel sont exposées les circonstances ayant donné lieu à l’établissement du rapport du ministre. À la suite de son enquête, le comité de surveillance rend compte de celle-ci au gouverneur en conseil et communique au requérant les conclusions du rapport, conformément au paragraphe 19(6) de la Loi sur la citoyenneté.

Après avoir examiné le rapport du comité de surveillance, le gouverneur en conseil peut, en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi sur la citoyenneté, déclarer qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le requérant se livrera à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada. Cette déclaration a pour effet d’empêcher l’attribution de la citoyenneté canadienne au requérant. Je tiens à faire remarquer qu’aux termes des paragraphes 20(2) et 20(5) précités, la déclaration du gouverneur en conseil tranche de façon définitive la demande de citoyenneté. Le requérant doit alors attendre l’expiration d’un délai de deux ans, à la suite de quoi la déclaration cesse d’avoir effet et le requérant peut soumettre une nouvelle demande de citoyenneté. En conséquence, l’avocat du comité de surveillance a reconnu à l’audience que la présente demande de contrôle judiciaire, dans laquelle Zündel sollicite un bref de prohibition, est la seule voie de recours qui est ouverte à Zündel pour attaquer la procédure prévue à l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté[5].

J’exposerai maintenant le cadre législatif dans lequel le comité de surveillance doit mener la procédure prévue à l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté. Le comité de surveillance est créé par le paragraphe 34(1) de la Loi sur le SCRS, dont voici le libellé :

34. (1) Est constitué le comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, composé du président et de deux à quatre autres membres, tous nommés par le gouverneur en conseil parmi les membres du Conseil privé de la Reine pour le Canada qui ne font partie ni du Sénat ni de la Chambre des communes. Cette nomination est précédée de consultations entre le premier ministre du Canada, le chef de l’opposition à la Chambre des communes et le chef de chacun des partis qui y disposent d’au moins douze députés.

Le comité de surveillance a été créé à titre d’organisme chargé d’agir à la fois comme organisme de surveillance et comme organisme d’enquête. Ses fonctions sont exposées en détail à l’article 38 de la Loi sur le SCRS. Les alinéas 38a) et 38b) énoncent les fonctions qu’il exerce à titre d’organisme de surveillance, et l’alinéa 38c) précise les fonctions qui lui sont dévolues à titre d’organisme d’enquête. Voici le libellé de l’article 38 :

38. Le comité de surveillance a les fonctions suivantes :

a) surveiller la façon dont le Service exerce ses fonctions et, à cet égard :

(i) examiner les rapports du directeur et les certificats de l’inspecteur général qui lui sont transmis en conformité avec le paragraphe 33(3),

(ii) examiner les instructions que donne le ministre en vertu du paragraphe 6(2),

(iii) examiner les ententes conclues par le Service en vertu des paragraphes 13(2) et (3) et 17(1), et surveiller les informations ou renseignements qui sont transmis en vertu de celles-ci,

(iv) examiner les rapports et commentaires qui lui sont transmis en conformité avec le paragraphe 20(4),

(v) surveiller les demandes qui sont présentées au Service en vertu de l’alinéa 16(3)a),

(vi) examiner les règlements,

(vii) réunir et analyser des statistiques sur les activités opérationnelles du Service;

b) effectuer ou faire effectuer des recherches en vertu de l’article 40;

c) faire enquête sur :

(i) les plaintes qu’il reçoit en vertu des articles 41 et 42;

(ii) les rapports qui lui sont transmis en vertu de l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté ou des articles 39 et 81 de la Loi sur l’immigration,

(iii) les affaires qui lui sont transmises en vertu de l’article 45 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le paragraphe 19(4) de la Loi sur la citoyenneté exige que l’enquête menée en vertu de cet article se déroule comme s’il s’agissait d’une enquête portant sur une plainte présentée en vertu de l’article 42 de la Loi sur le SCRS. Comme le sous-alinéa 38c)(i) régit les enquêtes ouvertes en vertu de l’article 42, il s’ensuit que l’enquête prévue au paragraphe 19(4) de la Loi sur la citoyenneté tombe également sous le coup de cette disposition.

Le paragraphe 19(4) de la Loi sur la citoyenneté prévoit dans les termes les plus nets que les dispositions précises de la Loi sur le SCRS qui s’appliquent à la présente enquête sont les paragraphes 39(2) et 39(3) et les articles 43, 44 et 48 à 51. Comme ces articles de la Loi sur le SCRS énoncent le cadre dans lequel se déroule l’enquête du comité de surveillance, je les reproduis ci-dessous :

39.

(2) Par dérogation à toute autre loi fédérale ou toute immunité reconnue par le droit de la preuve, mais sous réserve du paragraphe (3), le comité de surveillance :

a) est autorisé à avoir accès aux informations qui se rattachent à l’exercice de ses fonctions et qui relèvent du Service ou de l’inspecteur général et à recevoir de l’inspecteur général, du directeur et des employés les informations, rapports et explications dont il juge avoir besoin dans cet exercice;

b) au cours des enquêtes visées à l’alinéa 38c), est autorisé à avoir accès aux informations qui se rapportent à ces enquêtes et qui relèvent de l’administrateur général concerné.

(3) À l’exception des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada visés par le paragraphe 39(1) de la Loi sur la preuve au Canada, aucune des informations visées au paragraphe (2) ne peut, pour quelque motif que ce soit, être refusée au comité.

43. Un membre du comité de surveillance peut, à l’égard des plaintes dont celui-ci est saisi, exercer les pouvoirs et fonctions que la présente partie confère au comité.

44. Le comité de surveillance peut recevoir les plaintes visées aux articles 41 et 42 par l’intermédiaire d’un représentant du plaignant. Dans les autres articles de la présente loi, les dispositions qui concernent le plaignant concernent également son représentant.

48. (1) Les enquêtes sur les plaintes présentées en vertu de la présente partie sont tenues en secret.

(2) Au cours d’une enquête relative à une plainte présentée en vertu de la présente partie, le plaignant, le directeur et l’administrateur général concerné doivent avoir la possibilité de présenter des observations et des éléments de preuve au comité de surveillance ainsi que d’être entendu en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat; toutefois, nul n’a le droit absolu d’être présent lorsqu’une autre personne présente des observations au comité, ni d’en recevoir communication ou de faire des commentaires à leur sujet.

49. Au cours d’une enquête relative à une plainte présentée en vertu de la présente partie, le comité de surveillance demande, si cela est opportun, à la Commission canadienne des droits de la personne de lui donner son avis ou ses commentaires sur la plainte.

50. Le comité de surveillance a, dans ses enquêtes sur les plaintes présentées en vertu de la présente partie, le pouvoir :

a) d’assigner et de contraindre des témoins à comparaître devant lui, à déposer verbalement ou par écrit sous serment et à produire les pièces qu’il juge indispensables pour instruire et examiner à fond les plaintes, de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives;

b) de faire prêter serment;

c) de recevoir des éléments de preuve ou des informations par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux.

51. Sauf les cas où une personne est poursuivie pour une infraction visée à l’article 133 du Code criminel (fausses déclarations dans des procédures extrajudiciaires) se rapportant à une déclaration faite en vertu de la présente loi, les dépositions faites au cours de procédures prévues par la présente partie ou le fait de l’existence de ces procédures ne sont pas admissibles contre le déposant devant les tribunaux ni dans aucune autre procédure.

Aux termes du paragraphe 48(2) précité, au cours de l’enquête, Zündel, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et le ministre doivent avoir la possibilité de présenter des observations et des éléments de preuve au comité de surveillance en personne ou par l’intermédiaire d’un représentant. Suivant l’avocat du comité de surveillance, pour recevoir ces observations, le comité de surveillance tient habituellement une audience[6]. En l’espèce, Zündel demande à la Cour d’interdire au comité de surveillance de tenir l’audience en question et d’établir le rapport que le comité en question adresse au gouverneur en conseil au terme de cette audience (la procédure attaquée).

ii.         La demande de citoyenneté de Zündel

Zündel est né le 24 avril 1939 à Calmbach, en Allemagne. Il est entré au Canada à titre de résident permanent le 2 septembre 1958. Le 24 octobre 1993, Zündel a demandé la citoyenneté canadienne[7]. Par lettre datée du 5 août 1995, il a été informé par le ministre que celui-ci avait adressé un rapport au comité de surveillance (le rapport du ministre) en vertu du paragraphe 19(2) de la Loi sur la citoyenneté parce qu’il était d’avis qu’il existait des motifs raisonnables de croire que Zündel se livrerait à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada[8]. Le ministre a en outre informé Zündel qu’il avait pris cette décision compte tenu des informations et des avis fournis par le SCRS. Zündel a été avisé que le registraire de la citoyenneté canadienne suspendrait le traitement de la demande de citoyenneté canadienne de Zündel tant que le comité de surveillance n’aurait pas terminé l’examen exigé par l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté.

Par lettre datée du 31 août 1995, le directeur administratif du comité de surveillance, Maurice Archdeacon (le directeur administratif) a informé Zündel que le comité de surveillance avait reçu le rapport du ministre relatif à sa demande de citoyenneté. Il a également informé Zündel que, conformément au paragraphe 19(5) de la Loi sur la citoyenneté, le comité de surveillance enverrait à Zündel un résumé des informations dont le comité disposait, afin de lui permettre d’être informé le mieux possible des circonstances ayant donné lieu à l’établissement du rapport du ministre[9].

En conséquence, le comité de surveillance a envoyé à Zündel une lettre datée du 30 octobre 1995 dans laquelle il l’informait de la tenue d’une enquête. Le comité de surveillance a joint à cette lettre le résumé des informations relatives aux circonstances ayant donné lieu à l’établissement du rapport du ministre[10]. Zündel a également été avisé que les activités précises auxquelles le comité de surveillance croyait qu’il se livrerait étaient celles qui étaient énumérées à l’alinéa 2c) de la Loi sur le SCRS, qui dispose :

2.

« menaces envers la sécurité du Canada » Constituent des menaces envers la sécurité du Canada les activités suivantes :

c) les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique au Canada ou dans un État étranger;

La présente définition ne vise toutefois pas les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord qui n’ont aucun lien avec les activités mentionnées aux alinéas a) à d).

La lettre informait également Zündel que le comité de surveillance lui communiquerait d’autres informations au fur et à mesure que l’enquête se déroulerait.

Le 22 novembre 1995, l’avocat du comité de surveillance et d’autres personnes ont rencontré Zündel et l’avocat qui le représentait à ce moment-là, John May, pour leur expliquer le processus d’enquête et pour répondre à leurs questions[11]. Par lettre datée du 11 décembre 1995, le directeur administratif a écrit à May pour lui confirmer que le comité de surveillance était prêt à passer à l’étape de l’enquête consacrée à l’audience et il a fixé la tenue de celle-ci au mois de janvier 1996, parce que Zündel n’était pas disponible en décembre 1995[12].

L’avocat de Zündel a par la suite obtenu l’ajournement de l’audience au 19 février 1996[13]. À la suite de cet ajournement, par lettre datée du 25 février 1996, le directeur administratif a informé Zündel, par l’intermédiaire de son avocat, que la date de la tenue de l’audience avait été reportée au 19 mars 1996[14]. Puis, par lettre datée du 26 février 1996, Douglas Christie, l’avocat actuel de Zündel, a demandé que l’audience soit de nouveau ajournée, afin de pouvoir présenter une demande de contrôle judiciaire en raison d’une crainte raisonnable de partialité de la part du comité de surveillance[15]. L’allégation de partialité formulée par Zündel repose sur un rapport du comité de surveillance intitulé The Heritage Front Affair (le rapport sur le Heritage Front). Par lettre datée du 28 février 1996, le directeur administratif a refusé d’accorder cet ajournement[16].

Par la suite, le 21 mars 1996, Zündel a présenté une requête devant Mme le juge McGillis [[1996] A.C.F. no 359 (1re inst.)] en vue d’obtenir le prononcé d’une ordonnance portant suspension de la procédure dans le cadre de laquelle devait se dérouler l’audience du comité de surveillance prévue pour le 25 mars 1996, et en vue d’obtenir l’audition accélérée de la demande de contrôle judiciaire par laquelle Zündel demandait la délivrance d’un bref de prohibition, ainsi qu’une réparation fondée sur la Charte. Aux termes de l’ordonnance qu’elle a prononcée le 21 mars 1996, Mme le juge McGillis a fait droit à la requête présentée par Zündel en vue d’obtenir l’audition accélérée de l’affaire. En conséquence, j’ai entendu la présente demande de contrôle judiciaire les 10 et 11 juin 1996 suivant la procédure accélérée.

iii.        Le rapport sur le Heritage Front

À compter du mois d’août 1994, des allégations suivant lesquelles le comité de surveillance et l’une de ses sources s’étaient à tort associées aux activités de certains individus et de certains organismes nationaux, dont la SRC, un syndicat de Postes Canada, le Parti réformiste du Canada et des groupes en faveur de la « suprématie de la race blanche » ou qu’ils avaient à tort enquêté sur leurs activités ont commencé à circuler dans la presse écrite et parlée et au Parlement[17]. En conséquence, le même mois, le comité de surveillance a, en vertu de l’alinéa 38b) précité, entrepris l’examen de la conduite du SCRS relativement aux événements qui sont maintenant communément désignés sous le nom d’« affaire Heritage Front ». Le comité de surveillance a publié son rapport sur le Heritage Front en décembre 1994 et l’a transmis au solliciteur général du Canada.

Le résumé des informations qui a été communiqué à Zündel conformément au paragraphe 19(5) de la Loi sur la citoyenneté comprenait une table des matières qui énumérait 52 documents et 11 bandes magnétoscopiques et sonores sur lesquels le SCRS s’était fondé pour justifier ses allégations contre Zündel. Le rapport sur le Heritage Front figurait sur cette liste de documents. L’allégation de Zündel suivant laquelle il existe une crainte raisonnable de partialité au sein du comité de surveillance en ce qui concerne la procédure attaquée est fondée sur le rapport sur le Heritage Front.

II.         QUESTIONS EN LITIGE

A.        Qualité du comité de surveillance

1.         Devrait-on reconnaître la qualité d’intervenant au comité de surveillance?

B.        L’avis de requête déposé le 23 mai 1996 par le ministre

1.         La Cour devrait-elle prononcer une ordonnance supprimant les huit (8) affidavits et les deux (2) documents du dossier de demande supplémentaire de Zündel?

C.        La demande de contrôle judiciaire déposée le 7 mars 1996 par Zündel

1.         L’affidavit de Barbara Kulaszka qui a été déposé pour le compte de Zündel est-il inadmissible en partie?

2.         La Cour devrait-elle prononcer une ordonnance interdisant au comité de surveillance d’enquêter sur le rapport du ministre et d’en rendre compte au gouverneur en conseil?

3.         La Cour devrait-elle prononcer une ordonnance annulant la procédure du comité de surveillance au motif qu’elle porte atteinte aux droits de Zündel protégés par les alinéas 2b) et 2d) de la Charte ou, subsidiairement, écarter les éléments de preuve portant atteinte à ces droits?

III.        ANALYSE

A.        Qualité du comité de surveillance

1.         Devrait-on accorder la qualité d’intervenant au comité de surveillance?

Dans l’avis de requête introductif d’instance par lequel la présente demande de contrôle judiciaire a été introduite, le comité de surveillance était désigné comme intimé. À l’audition de la présente affaire, l’avocat du comité de surveillance a attiré l’attention de la Cour sur l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général)[18], dans lequel la Cour d’appel fédérale a statué que l’office fédéral qui fait l’objet d’une demande de contrôle judicaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale ne peut pas être désigné comme intimé. Le juge Décary, J.C.A., a statué que l’office fédéral qui a été désigné par erreur comme intimé n’a pas la qualité d’intimé et n’est autorisé à participer à l’instance que s’il obtient l’autorisation, en vertu de la Règle 1611 des Règles de la Cour fédérale[19]19, d’y participer en qualité d’intervenant[20].

À l’audition de la présente affaire, l’avocat du comité de surveillance a proposé que l’intitulé de la cause soit modifié de façon à ce que le comité de surveillance y soit désigné à titre d’intervenant plutôt qu’à titre d’intimé. Le comité de surveillance a donc demandé l’autorisation d’intervenir dans la présente instance dans laquelle il avait été désigné par erreur comme intimé. Le comité de surveillance ne s’est cependant pas conformé à la Règle 1611, qui oblige la partie qui demande l’autorisation d’intervenir à déposer un avis de demande d’autorisation d’intervenir et à en signifier copie à toutes les parties. Or, il m’est loisible, en vertu de la Règle 1619 [édictée, idem] des Règles de la Cour fédérale, de permettre à une partie de déroger en tout ou en partie à la Règle 1611[21]. En conséquence, je suis d’avis qu’il convient en l’espèce de reconnaître, en vertu du paragraphe 1611(3) des Règles, la qualité d’intervenant au comité de surveillance, et je dispense l’intervenant des exigences de la Règle 1611. Par conséquent, l’intitulé de la cause est modifié de façon à biffer le nom du comité de surveillance à titre d’intimé et à l’y ajouter à titre d’intervenant.

B.        L’avis de requête déposé le 23 mai 1996 par le ministre

1.         La Cour devrait-elle prononcer une ordonnance supprimant les huit (8) affidavits et les deux (2) documents du dossier de demande supplémentaire de Zündel?

Voici l’horaire que le juge McGillis a fixé dans l’ordonnance du 21 mars 1996 par laquelle elle a accueilli la requête présentée par Zündel en vue d’obtenir l’audition accélérée de la présente affaire :

1. Les intimés doivent signifier et déposer leurs affidavits au plus tard le 11 avril 1996;

2. Les parties doivent avoir terminé leurs contre-interrogatoires sur les affidavits, s’il en est, au plus tard le 26 avril 1996;

3. Les dossiers de demande des intimés doivent être signifiés et déposés au plus tard le 3 mai 1996;

4. Le requérant doit signifier et déposer un dossier de demande supplémentaire, s’il en est, au plus tard le 10 mai 1996.

Le 9 mai 1996, Zündel a déposé un dossier de demande supplémentaire contenant huit (8) affidavits, deux (2) documents et un mémoire supplémentaire exposant les points à débattre. Le 23 mai 1996, le ministre a déposé un avis de requête concluant au prononcé d’une ordonnance supprimant les affidavits et les documents du dossier de demande supplémentaire. Le ministre ne s’est pas opposé au dépôt du mémoire supplémentaire exposant les points à débattre. Les affidavits et les documents en litige sont les suivants :

A.        Affidavit souscrit par Wolfgang Droege en avril 1996;

B.        Affidavit souscrit par Donna Elliott le 22 mars 1996;

C.        Affidavit souscrit par Wayne Elliott le 22 mars 1996;

D.        Affidavit souscrit par Eric Fischer le 24 mars 1996;

E.        Affidavit souscrit par Max French le 24 mars 1996;

F.         Affidavit souscrit par Gerry Lincoln le 24 mars 1996;

G.        Affidavit souscrit par Tyrone Mason le 9 mai 1996;

H.        Affidavit souscrit par Ernst Zündel le 9 mai 1996;

I.          Transcription du témoignage donné le 13 juin 1995 par Elisse Hategan devant le sous-comité de la Chambre des communes sur la sécurité nationale;

J.         Déclaration par laquelle Sa Majesté rejette les accusations portées contre Zündel.

En ce qui concerne les huit (8) affidavits contenus dans le dossier de demande supplémentaire, comme ils ont été déposés après la date limite fixée par la Cour pour la fin des contre-interrogatoires, ils ne respectent pas l’horaire prévu. Quant aux documents restants, à savoir les documents I et J précités, je suis convaincu que, comme ils ont été déposés avec le dossier de demande supplémentaire avant la date limite du 10 mai 1996 fixée par le juge McGillis, ils respectent l’horaire en question.

À l’appui de l’opposition du ministre au dépôt des affidavits, l’avocat du ministre invoque la décision rendue par le juge MacKay de notre Cour dans l’affaire Société pour la protection des parcs et des sites naturels du Canada c. Parc national Banff (directeur) et autres[22]. Le juge MacKay était saisi d’une requête présentée par l’auteur d’une demande de contrôle judiciaire en vue d’obtenir l’autorisation de déposer un affidavit après l’expiration du délai fixé. Le juge énonce dans les termes suivants les critères applicables lorsqu’il s’agit de rendre une telle décision :

[À] mon avis les critères employés dans cette affaire sont applicables à la présente espèce, où la Cour est saisie d’une demande de production de documents une fois expiré le délai qu’elle a fixé par ordonnance. Selon ces critères, la Cour doit examiner les raisons du retard de même que la valeur intrinsèque des affidavits, c’est-à-dire leur pertinence, leur recevabilité et leur utilité éventuelle pour la Cour[23].

Par conséquent, la Cour doit examiner les raisons du retard et la valeur intrinsèque des affidavits. Pour ce qui est de la raison du retard, au moins cinq des affidavits (les documents B, C, D, E et F) et peut-être un autre (le document A) ont été souscrits bien avant le 26 avril 1996, la date limite fixée par le juge McGillis pour la tenue des contre-interrogatoires sur les affidavits. Cependant, Zündel n’a produit les affidavits en question que le 9 mai 1996. Zündel n’a pas expliqué ce retard. Les deux autres affidavits (les documents G et H) ont été souscrits le 9 mai 1996 et ont été déposés le même jour. Mais, là encore, Zündel n’a pas expliqué la raison de ce retard.

En ce qui concerne l’appréciation de la valeur intrinsèque des affidavits, laquelle appréciation implique l’examen de leur pertinence, le ministre affirme que les éléments de preuve que l’on cherchait à présenter ne sont pas pertinents à la question de la partialité qui est soumise à la Cour dans la présente demande.

Les affidavits de Droege, D. Elliott, W. Elliott, Fischer, French, Lincoln et Mason (les documents A à G) renferment des extraits du rapport sur le Heritage Front, lesquels extraits sont suivis des déclarations des déposants au sujet de l’exactitude ou de l’inexactitude de ces extraits. Il semble évident que ces éléments de preuve visent à contester le bien-fondé des conclusions et des affirmations que fait le comité de surveillance dans le rapport sur le Heritage Front. Par conséquent, je suis d’accord avec le ministre pour dire que ces éléments de preuve ne sont pas pertinents aux questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire. La question à trancher en l’espèce n’est pas celle de savoir si le rapport sur le Heritage Front renferme des conclusions bien fondées qui reposent sur les faits. Dans la présente demande, la question à laquelle nous devons répondre est plutôt celle de savoir si les affirmations que le comité de surveillance a déjà faites suscitent une crainte raisonnable de partialité relativement à la procédure attaquée. Il n’est pas nécessaire d’aborder la question de savoir si les affirmations en question ne sont pas fondées.

Le document H est un affidavit souscrit par Zündel. Bien qu’une grande partie des informations qu’il contient puissent être pertinentes à la procédure attaquée qui se déroule devant le comité de surveillance, les informations en question ne sont pas pertinentes à la demande dont notre Cour est présentement saisie. Dans la présente demande, la Cour ne tirera aucune conclusion au sujet des questions de fond qui sont soumises au comité de surveillance. La question qui se pose dans la présente demande est celle de savoir si le comité de surveillance a respecté son devoir d’agir équitablement dans la procédure attaquée qui se déroule devant lui. Par conséquent, tout élément de preuve que l’on tente de produire et qui porte sur le fond des points litigieux soumis au comité de surveillance n’est pas pertinent à la présente demande.

De surcroît, les paragraphes 7, 10 et 14 du document H sont entachés d’un autre vice, en ce sens qu’ils enfreignent la règle d’exclusion de la preuve par ouï-dire et qu’ils ne satisfont pas aux critères de la nécessité et de la fiabilité qui doivent être respectés pour qu’on puisse faire exception à cette règle[24].

Pour les motifs que je viens d’exposer, je suis d’avis que les huit (8) affidavits en question, à savoir les documents A à H susmentionnés, ne satisfont pas aux critères posés dans le jugement Parcs du Canada, précité, qui permettraient leur admissibilité tardive. En premier lieu, aucune explication satisfaisante n’a été donnée pour expliquer le dépôt tardif. En second lieu, ces affidavits abordent une question qui n’est pas pertinente à la question litigieuse soumise à la Cour dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, j’ordonnerai que les huit (8) affidavits qui se trouvent aux onglets A à H soient supprimés du dossier de demande supplémentaire[25].

En ce qui concerne les documents I et J susmentionnés, comme ils ne contreviennent pas à l’horaire établi par le juge McGillis, je permettrai qu’ils soient produits avec le dossier de demande supplémentaire de Zündel[26]. Le ministre ne s’est pas opposé au mémoire supplémentaire exposant les points à débattre, qui sera par conséquent admis (onglet K du dossier de demande supplémentaire).

C.        Demande de contrôle judiciaire déposée le 7 mars 1996 par Zündel

1.         L’affidavit de Barbara Kulaszka qui a été déposé pour le compte de Zündel est-il inadmissible en partie?

Une question préalable qu’il faut aborder est l’admissibilité de l’affidavit qui a été souscrit le 4 mars 1996 par Barbara Kulaszka (l’affidavit de Kulaszka) et qui a été déposé pour le compte de Zündel. Le ministre conteste l’admissibilité de nombreux articles de journaux qui ont été annexés à l’affidavit de Kulaszka, ainsi que le paragraphe 18 de l’affidavit en question, au motif que ces parties de l’affidavit contreviennent à la règle d’exclusion de la preuve par ouï-dire.

L’affidavit de Kulaszka comprend, à ses annexes B, C et G, une trentaine d’articles de journaux portant sur l’affaire du Heritage Front. Je suis d’accord avec l’avocat du ministre pour dire que ces articles ne peuvent être admis pour établir la véracité de leur contenu. Cependant, je suis également d’accord avec l’avocat de Zündel pour dire qu’ils sont admissibles dans la mesure où ils permettent d’illustrer l’attention que la presse écrite et parlée a accordée à l’affaire du Heritage Front. Je permettrai donc que ces annexes à l’affidavit de Kulaszka soient admises en preuve uniquement pour démontrer le fait que l’affaire du Heritage Front a fait l’objet d’une attention considérable de la part de la presse écrite et parlée. Elles ne peuvent toutefois servir à établir la véracité des « faits » qu’elles renferment.

Le ministre affirme également que le paragraphe 18 de l’affidavit de Kulaszka constitue du ouï-dire non admissible[27]. J’ai examiné ce paragraphe en tenant compte de la jurisprudence portant sur la règle d’exclusion du ouï-dire qui a été élaborée dans les décisions Éthier[28] et Lecoupe[29]. J’estime que ce paragraphe n’est pas admissible, étant donné qu’il constitue du ouï-dire et qu’il ne tombe pas sous le coup de l’exception à la règle d’exclusion du ouï-dire qui a été établie dans les décisions susmentionnées.

En conséquence, je conclus que l’affidavit de Kulaszka est admissible dans sa totalité, à l’exception du paragraphe 18. En ce qui concerne les articles de journaux contenus aux annexes B, C et G de l’affidavit de Kulaszka, ils ne sont admissibles que dans la mesure où ils établissent l’attention que la presse écrite et parlée a accordée à l’affaire du Heritage Front; ils ne peuvent servir à établir la véracité de leur contenu.

2.         La Cour devrait-elle prononcer une ordonnance interdisant au comité de surveillance d’enquêter sur le rapport du ministre et d’en rendre compte au gouverneur en conseil?

Je tiens à bien préciser dès le départ ce que l’on demande à la Cour de décider. Par la présente demande, le requérant conclut au prononcé d’une ordonnance interdisant, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, la procédure d’un office fédéral, en l’occurrence le comité de surveillance. Dans le cas qui nous occupe, le requérant affirme qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part de l’office fédéral, le comité de surveillance, lequel manque ainsi à son devoir d’agir équitablement envers Zündel et que, pour ce motif, la procédure du comité de surveillance devrait être interdite. Pour trancher la question de l’interdiction, la Cour n’a pas compétence pour tirer une conclusion au sujet des questions qui sont soumises au comité de surveillance dans la procédure attaquée. Par conséquent, la Cour ne tire aucune conclusion, dans les présents motifs, au sujet de la question centrale qui est posée dans le cadre de la procédure du comité de surveillance, c’est-à-dire la question de savoir s’il existe des motifs raisonnables de croire que Zündel se livrera à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada.

La question qui est soumise à la Cour dans la présente instance est une question étroite qui se borne aux faits de la présente affaire. On demande seulement à la Cour de décider si, eu égard aux circonstances de la présente affaire, on devrait interdire au comité de surveillance de poursuivre la procédure prévue à l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté.

i.          Le critère de partialité applicable

La première question à trancher est celle de savoir quel est le critère de partialité applicable en l’espèce. Il est de jurisprudence constante que les organismes administratifs sont tenus d’agir équitablement envers les personnes sur les droits desquelles ils sont appelés à se prononcer. Cependant, les tribunaux ont également reconnu que l’obligation d’agir avec équité varie selon la nature et la fonction de l’organisme en question[30]. Ainsi, dans l’arrêt Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Public Utilities)[31], la Cour suprême du Canada a reconnu que l’impartialité exigée d’un corps administratif comme élément de l’obligation d’équité varie aussi selon la nature et la fonction de l’organisme. À une extrémité du spectre se trouvent les organismes qui remplissent des fonctions essentiellement juridictionnelles, tandis qu’à l’autre extrémité se situent ceux qui exercent une fonction d’élaboration de politiques. Le juge Cory a énoncé de la façon suivante les différents critères de partialité qui s’appliquent aux extrémités opposées du spectre :

De toute évidence, il existe une grande diversité de commissions administratives. Celles qui remplissent des fonctions essentiellement juridictionnelles devront respecter la norme applicable aux cours de justice. C’est-à-dire que la conduite des membres de la commission ne doit susciter aucune crainte raisonnable de partialité relativement à leur décision. À l’autre extrémité se trouvent les commissions dont les membres sont élus par le public. C’est le cas notamment de celles qui s’occupent de questions d’urbanisme et d’aménagement, dont les membres sont des conseillers municipaux. Pour ces commissions, la norme est nettement moins sévère. La partie qui conteste l’habilité des membres ne peut en obtenir la récusation que si elle établit que l’affaire a été préjugée au point de rendre vain tout argument contraire. Les commissions administratives qui s’occupent de questions de principe sont dans une large mesure assimilables à celles composées de conseillers municipaux en ce sens que l’application stricte du critère de la crainte raisonnable de partialité risquerait de miner le rôle que leur a précisément confié le législateur.

En outre, le membre d’une commission qui remplit une fonction d’élaboration des politiques ne devrait pas être exposé à une accusation de partialité du seul fait d’avoir exprimé avant l’audience des opinions bien arrêtées. Cela ne veut pas dire, évidemment, que la conduite des membres d’une commission n’est assujettie à aucune restriction. Il s’agit plutôt de la simple confirmation du principe suivant lequel les tribunaux doivent faire preuve de souplesse face à ce problème, de manière que la norme appliquée varie selon le rôle de la fonction de la commission en cause[32].

Ainsi, l’organisme administratif qui exerce des fonctions juridictionnelles devrait se comporter de façon à ce que sa décision ne suscite aucune crainte raisonnable de partialité. Le critère est celui de savoir « si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez un décideur »[33]. Pour simplifier les choses, je dirai qu’il s’agit du critère de "l’observateur renseigné »[34].

Dans le cas des organismes exerçant une fonction d’élaboration de politiques, le critère de partialité est la norme plus souple que le juge Sopinka a adoptée dans l’arrêt Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville)[35] et qui a été appelée le critère de l’« esprit ouvert ». Pour démontrer qu’il y a eu partialité selon ce critère, il faut établir que l’affaire a été préjugée, de sorte qu’il ne servirait à rien de présenter des opinions contredisant le point de vue adopté[36].

Par conséquent, la Cour doit déterminer à quelle extrémité du spectre se situent les fonctions du comité de surveillance en ce qui a trait à la procédure qu’il doit suivre aux termes de l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté. Comme on pouvait s’y attendre, l’avocat du ministre et celui de Zündel font valoir des points de vue diamétralement opposés sur cette question. L’avocat du ministre soutient que la question que le comité de surveillance doit trancher dans la procédure attaquée est une question de politique, et que les fonctions de cet organisme s’apparentent davantage à des fonctions d’élaboration de politiques[37]. Pour sa part, l’avocat de Zündel affirme que le rôle du comité de surveillance en l’espèce est un rôle juridictionnel et que le comité est donc assujetti à la norme d’impartialité plus élevée découlant du critère de l’observateur bien renseigné[38].

Pour déterminer à quelle extrémité du spectre se situe le rôle du comité de surveillance, il est instructif d’examiner la nature de la procédure en question. Pour paraphraser le directeur administratif, la mission dont le comité de surveillance est investi aux termes de l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté consiste à mener une enquête pour déterminer s’il existe des motifs raisonnables de croire que Zündel se livrera à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada[39]. Aux termes de la Loi sur le SCRS, l’enquête doit être menée à huis clos. Cependant, Zündel, le SCRS et le ministre ont l’occasion de présenter des arguments et des éléments de preuve et de se faire entendre personnellement ou par l’entremise de leurs avocats au cours de l’audience[40].

Au terme de son enquête, le comité de surveillance fait rapport de celle-ci au gouverneur en conseil et doit communiquer à Zündel les conclusions du rapport. C’est le gouverneur en conseil qui, après avoir examiné le rapport du comité de surveillance, détermine s’il y a lieu ou non de déclarer qu’il existe des motifs raisonnables de croire que Zündel se livrera à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada. Si cette déclaration est formulée, elle déterminera le sort de la demande de citoyenneté de Zündel.

Il est admis de part et d’autre que c’est le gouverneur en conseil, et non le comité de surveillance, qui décide en fin de compte la question de savoir s’il existe ou non des motifs raisonnables de croire que Zündel se livrera à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada. Toutefois, le rôle du comité de surveillance ne doit pas être sous-estimé. C’est lui qui préside l’audience au cours de laquelle il évalue les témoins et apprécie leur témoignage. C’est aussi devant lui que les intéressés présentent leurs observations. Enfin, c’est le comité de surveillance qui fait la synthèse de toutes ces informations dans le rapport qu’il établit. Étant donné que le paragraphe 19(6) de la Loi sur la citoyenneté oblige le comité de surveillance à communiquer à Zündel les « conclusions du rapport », il est évident que ce rapport comprend nécessairement les conclusions tirées par le comité dans la procédure attaquée. De plus, c’est le seul rapport dont le gouverneur en conseil doit légalement tenir compte avant de déterminer s’il fera ou non la déclaration prévue au paragraphe 20(1) de la Loi sur la citoyenneté. Étant donné que la loi ne renferme aucune disposition permettant à Zündel de faire valoir son point de vue directement au gouverneur en conseil, l’audience tenue devant le comité de surveillance est la seule occasion qui lui est donnée de contester les allégations dont il fait l’objet.

Bref, bien que le comité de surveillance ne décide pas en dernière analyse s’il existe des motifs raisonnables de croire que Zündel se livrera à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada, il joue un rôle capital dans cette décision.

L’avocat du ministre reconnaît que le comité de surveillance exerce une [traduction] « fonction juridictionnelle à l’égard d’une question importante, à savoir le droit d’une personne de rester au Canada afin d’en devenir citoyen »[41]. Toutefois, il ajoute que, étant donné que cette décision est prise dans [traduction] "le contexte plus général de la question de savoir si la conduite de l’individu constitue une menace envers la sécurité du Canada », il s’agit indéniablement d’une question de politique. Par conséquent, selon le ministre, la fonction du comité de surveillance s’apparente davantage à des fonctions d’élaboration des politiques[42].

Dans les arrêts Vieux St-Boniface, précité, et Save Richmond Farmland Society c. Richmond (Canton)[43], qui ont été entendus ensemble, la Cour suprême du Canada a appliqué le critère de l’esprit ouvert pour trancher la question de la partialité. Dans ces deux affaires, il s’agissait de savoir si un conseiller municipal (échevin) était inhabile à exercer sa charge pour cause de partialité. La Cour a statué que les fonctions exercées par les conseillers municipaux appartenaient à la catégorie de l’élaboration des politiques, de sorte que le critère de l’esprit ouvert, plus souple, s’appliquait.

Dans l’affaire Vieux St-Boniface, un conseiller municipal agissant comme président d’un comité était accusé de partialité. La fonction du comité consistait à entendre les observations des intéressés au sujet des demandes de modification de zonage et à formuler une recommandation concernant les demandes en question. Dans l’affaire Save Richmond Farmland, la question qui se posait consistait elle aussi à savoir si un échevin municipal était inhabile, pour cause de partialité, à participer à une décision concernant un règlement de zonage. Ce sont ces fonctions que la Cour a qualifiées à bon droit, à mon avis, de fonctions faisant partie de l’élaboration des politiques.

Dans l’affaire Nfld. Telephone, précitée, qui a été entendue subséquemment, la Cour suprême du Canada a dit que les fonctions d’une commission de services publics s’apparentaient davantage à des fonctions d’élaboration des politiques ou à des fonctions législatives[44].

À mon avis, les fonctions dont le comité de surveillance est investi en vertu de l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté se rapprochent davantage des fonctions juridictionnelles. Il ne s’agit pas d’une situation où un organisme élu prend des décisions législatives qui lient le grand public, comme c’était le cas dans les arrêts Vieux St-Boniface et Save Richmond Farmland. Il ne s’agit pas non plus d’un cas où un organisme désigné exerce un rôle de surveillance à l’égard d’une entreprise de services publics, comme dans l’affaire Nfld. Telephone. La question dont le comité de surveillance est saisi en l’espèce est plutôt celle de savoir si, dans le cas d’un individu déterminé qui a demandé la citoyenneté, en l’occurrence, Ernst Zündel, il existe des motifs raisonnables de croire qu’il se livrera à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité au Canada. Si la procédure du comité de surveillance se solde par une déclaration en ce sens du gouverneur en conseil, Zündel ne pourra obtenir la citoyenneté avant que la déclaration en question ne devienne caduque. Le sort de la demande de citoyenneté canadienne de Zündel et des privilèges et obligations qui en découlent est en jeu.

En conséquence, je suis d’avis que la fonction qu’exerce le comité de surveillance dans le cadre de la procédure prévue à l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté est assujettie à la norme d’impartialité exigée par le critère de l’observateur bien renseigné.

ii.  Application du critère de l’observateur bien renseigné à la question de la partialité

Zündel soutient que les opinions défendues par le comité de surveillance dans le rapport sur le Heritage Front suscitent une crainte raisonnable de partialité du comité à son endroit. Le rapport en question comporte au moins vingt (20) allusions différentes[45] à Zündel, que je commenterai plus longuement ci-après. Bien que le ministre invoque le rapport en question au soutien des allégations formulées contre Zündel, il importe peu, à mon sens, que le rapport sur le Heritage Front soit présenté ou non en preuve au cours de l’audience du comité de surveillance. En effet, il est indéniable que le comité de surveillance est l’auteur du rapport et que c’est lui qui fait les déclarations qui y sont formulées.

Ainsi que je l’ai déjà fait remarquer, Zündel a tenté, au soutien de la présente demande, de présenter des éléments de preuve visant à mettre en doute le bien-fondé des conclusions qui sont énoncées dans le rapport sur le Heritage Front. J’ai déjà conclu que ces éléments de preuve ne sont pas admissibles, parce qu’ils ne sont pas pertinents à la question dont la Cour est saisie en l’espèce. Il ne s’agit pas ici de déterminer si les conclusions que le comité de surveillance a formulées dans le rapport sur le Heritage Front sont bien fondées. Ce qui importe aux fins de la présente demande, c’est le fait que c’est le comité de surveillance qui a tiré ces conclusions. La question à trancher en l’espèce est celle de savoir si les déclarations que le comité de surveillance a formulées dans le rapport suscitent une crainte raisonnable de partialité contre Zündel à l’égard de la procédure qui se déroule présentement devant le comité de surveillance sous le régime de l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté.

J’en arrive maintenant aux allégations visant Zündel qui se trouvent dans le résumé des informations, précité, que le comité de surveillance lui a remis. Aux termes du paragraphe 19(5) de la Loi sur la citoyenneté, le résumé des informations est remis à la personne qui demande la citoyenneté pour lui permettre d’être informée le mieux possible des circonstances qui ont donné lieu à l’établissement du rapport du ministre. Le résumé qui a été remis à Zündel est un document de deux pages et demie. Plutôt que de le reproduire en entier, j’ai décidé d’en citer les extraits suivants, qui renferment les différentes allégations formulées contre Zündel :

[traduction] 1. Le Service canadien du renseignement de sécurité a fait valoir qu’il existe des motifs raisonnables de croire que M. Ernst Christof Friedrich Zündel se livrera à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada du fait que :

a) M. Zündel joue un rôle de chef de file au sein du mouvement en faveur de la suprématie blanche au Canada. Il est considéré comme le patriarche du mouvement néonazi en faveur de la suprématie blanche et est souvent consulté pour donner des conseils et fournir une aide idéologique à d’autres tenants de la suprématie blanche.

b) M. Zündel défend des causes d’extrême droite et est un distributeur clé de propagande néonazie révisionniste à l’échelle mondiale.

c) M. Zündel entretient des liens avec des tenants de la suprématie blanche un peu partout dans le monde et achemine de l’argent par l’entremise de ces personnes pour promouvoir sa cause.

d) M. Zündel a appuyé le recours à la violence contre des personnes ou des biens pour atteindre son objectif politique.

e) M. Zündel a été associé et a donné son appui à des groupes et à des individus qui ont commis et sont susceptibles de commettre des actes de violence grave pour atteindre des objectifs politiques communs.

Selon le Service, les activités de M. Zündel ont été évaluées dans le contexte de l’environnement hostile des tenants de la suprématie blanche dans lequel il cherche à promouvoir son idéologie révisionniste. Dans ce contexte, M. Zündel exploite une entreprise d’édition, la « Samisdat Publishing Organization », qui est l’un des plus grands producteurs mondiaux de documents niant l’existence de l’Holocauste, y compris des publications en allemand qui alimentent les foyers de haine en Europe centrale. M. Zündel est connu à l’échelle internationale pour avoir publié des écrits révisionnistes dénonçant l’Holocauste comme un canular […] M. Zündel diffuse également de la propagande antisémite sur radio ondes courtes en Amérique du Nord et en Europe ainsi qu’une émission des tenants du révisionnisme néonazi par la télévision satellite.

Le Service estime que M. Zündel continue à utiliser le Canada comme « base d’activités sûre » pour promouvoir le mouvement en faveur de la suprématie blanche en Allemagne et ailleurs. Il entretient des liens dans plusieurs de ces pays et achemine de l’argent par leur entremise pour appuyer les activités des tenants de la suprématie blanche et aider ceux qui en font la promotion.

En raison de la participation de M. Zündel au mouvement néonazi et au mouvement en faveur de la suprématie blanche au Canada et de l’appui qu’il donne à ce mouvement pour atteindre un objectif politique, au Canada et ailleurs, le Service a informé le ministre de l’existence de motifs raisonnables de croire que M. Zündel est en mesure d’inciter ses disciples à commettre des actes de violence grave et qu’il continuera par conséquent à se livrer à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada au sens de l’alinéa 2c) de la Loi sur le SCRS[46].

Il semble donc évident que les circonstances susmentionnées ont incité le ministre à conclure dans son rapport qu’il avait des motifs raisonnables de croire que Zündel se livrerait à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada. Il s’ensuit que Zündel tentera de réfuter les allégations contenues dans ce rapport pour convaincre le comité de surveillance qu’il n’existe en réalité aucun motif raisonnable de croire qu’il se livrera à des activités de cette nature.

Comme je l’ai déjà mentionné, le rapport sur le Heritage Front mentionne le nom de Zündel à plusieurs reprises. À mon avis, les allégations les plus graves qui ont été formulées au sujet de Zündel se trouvent dans les extraits suivants :

[traduction] Les groupes et les individus que cette organisation défend proviennent généralement de l’extrême droite et comprennent des personnes qui nient l’existence de l’Holocauste, comme Ernst Zündel, Jim Keegstra et Malcolm Ross …

Tout comme dans un « jeu de hasard qui change de lieu chaque jour », les gens allaient de l’éditeur de littérature haineuse Ernst Zündel à l’enseignant de niveau secondaire Paul Fromm et à Don Andrews et revenaient à eux.

Qui plus est, au cours du même mois, Wolfgang Droege et Ernst Zündel, l’éditeur prolifique de littérature haineuse qui nie l’existence de l’Holocauste, se sont présentés ensemble en public à une réunion du Heritage Front …

Selon l’enquêteur de la région de Toronto, l’éditeur Ernst Zündel, qui nie l’existence de l’Holocauste, a demandé à l’occasion que l’on recueille des renseignements et il semble qu’une fois que Droege avait approuvé la demande, la source y donnait suite …

Au cours de ce même mois, Wolfgang Droege et Ernst Zündel, l’éditeur prolifique de littérature haineuse qui nie l’existence de l’Holocauste, se sont rencontrés en public au cours d’une réunion du Heritage Front …

Comme nous l’avons mentionné dans notre rapport, les membres de groupes racistes, par exemple, passent d’une organisation à une autre pour toutes sortes de raisons et les groupes se forment et se reforment sous des noms différents. La personne qui est aujourd’hui membre du Heritage Front sera demain membre du Nationalist Party of Canada ou disciple d’Ernst Zündel ou, plus vraisemblablement, compte tenu des récentes décisions judiciaires rendues en Amérique du Nord, un raciste agressif qui soutient n’appartenir à aucun groupe particulier afin d’éviter toute poursuite …

Enfin, nous aimerions consigner au dossier notre conviction inébranlable selon laquelle le gouvernement du Canada devrait, par tous les moyens dont il dispose, continuer à s’assurer qu’il sait ce qui se passe au sein des groupes néonazis et des groupes racistes d’extrême droite. Les Canadiens ne devraient en aucun cas répéter les erreurs du passé en sous-estimant la menace que représentent les organisations mues par la haine[47]. [Passages non soulignés dans l’original.]

Dans les extraits qui précèdent, le comité de surveillance qualifie Zündel d’éditeur de propagande haineuse et de membre de l’extrême droite qui nie l’existence de l’Holocauste. Il l’a également classé dans la catégorie des membres du Heritage Front, du Nationalist Party of Canada et des racistes agressifs. Le comité de surveillance décrit essentiellement Zündel comme un raciste d’extrême droite. Le comité de surveillance a ensuite consigné au dossier sa conviction inébranlable selon laquelle le gouvernement devrait s’assurer en tout temps qu’il sait ce qui se passe au sein des groupes racistes d’extrême droite, car le Canada ne devrait en aucun temps sous-estimer la menace que représentent les organisations mues par la haine.

À mon avis, il est indéniable que le comité de surveillance considère Zündel comme une personne qui fait partie des groupes racistes d’extrême droite et des organisations mues par la haine ou qui s’y apparente. Dans le cas de ces organisations, le comité de surveillance a prévenu clairement le Canada du grand risque qu’elles représentaient.

Outre les extraits précités du rapport sur le Heritage Front, le comité de surveillance a relaté à plusieurs endroits du rapport des activités et des déclarations qui auraient été faites par Zündel, en se contentant d’indiquer dans une note infrapaginale que Zündel niait lesdites activités et déclarations[48]. Il semble que le comité de surveillance ait accepté dans ces cas les renseignements obtenus de certaines personnes de préférence à ceux qui avaient été fournis par Zündel. Le comité de surveillance a donc eu l’occasion d’évaluer la crédibilité de Zündel et a jugé, dans bien des cas, que celui-ci manquait de crédibilité.

Reste encore à savoir si les déclarations et conclusions susmentionnées du comité de surveillance suscitent une crainte raisonnable de partialité selon le critère de l’observateur bien renseigné. Le résumé des informations renferme un certain nombre d’allégations qui permettraient raisonnablement de croire que Zündel se livrera à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada. Une comparaison entre ces allégations et les déclarations que le comité de surveillance a formulées dans le rapport sur le Heritage Front permet d’établir les parallèles suivants :

1. Dans le résumé des informations, le ministre allègue que Zündel [traduction] « défend des causes d’extrême droite ».

Selon le rapport sur le Heritage Front, Zündel fait partie de « l’extrême droite ».

2. Dans le résumé des informations, le ministre allègue que Zündel exploite une entreprise d’édition qui constitue l’un des plus grands producteurs au monde de publications niant l’existence de l’Holocauste et qui alimentent les foyers de haine en Europe centrale.

Dans le rapport sur le Heritage Front, Zündel est décrit à maintes reprises comme un éditeur de « littérature haineuse » qui « nie l’existence de l’Holocauste ».

3. Dans le résumé des informations, le ministre allègue que Zündel diffuse de la propagande antisémite.

Dans le rapport sur le Heritage Front, Zündel est classé dans la catégorie des « racistes agressifs ».

4. Dans le résumé des informations, le ministre allègue qu’en raison de la [traduction] « participation de Zündel au mouvement néonazi et au mouvement de la suprématie blanche au Canada pour atteindre un objectif politique … il existe des motifs raisonnables de croire que M. Zündel est en mesure d’inciter ses disciples à commettre des actes de violence grave ». [Mots non soulignés dans l’original.]

Dans le rapport sur le Heritage Front, le comité de surveillance fait état de sa conviction inébranlable selon laquelle le Canada devrait continuer à se tenir constamment au courant de ce qui se passe au sein des groupes néonazis et des groupes racistes d’extrême droite et rappelle que les Canadiens ne devraient en aucun cas sous-estimer la menace que représentent les organisations mues par la haine. Étant donné que le comité de surveillance avait précédemment décrit Zündel, dans ce même rapport, comme un membre de l’extrême droite, un raciste et un éditeur de propagande haineuse, il est permis de conclure que le comité est également d’avis que les déclarations et activités de Zündel créent un risque semblable à celui qui est mentionné ci-dessus.

À mon avis, les déclarations susmentionnées que le comité de surveillance a formulées dans le rapport sur le Heritage Front suffisent amplement à inciter une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, à conclure à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité de la part du comité de surveillance à l’endroit de Zündel. Par conséquent, je suis d’avis que le critère de l’observateur bien renseigné a été respecté.

Cette conclusion suffit sans doute à trancher le litige en l’espèce. Cependant, compte tenu des circonstances inhabituelles de la présente affaire, il m’apparaît nécessaire d’ajouter quelques commentaires. À mon avis, certaines des déclarations susmentionnées du comité de surveillance vont au-delà du critère de l’observateur bien renseigné. En réalité, elles démontrent que le comité de surveillance avait tranché à l’avance les questions dont il est saisi dans la procédure attaquée. En conséquence, pour réfuter les allégations formulées contre lui, Zündel aurait à convaincre le comité de surveillance que les opinions que le comité de surveillance a précédemment formulées ne sont pas fondées. L’importance du rapport sur le Heritage Front ressort de l’extrait suivant de l’avant-propos du rapport en question :

[traduction] Ce qui distingue le présent rapport de tous les autres rapports que nous avons fait parvenir au solliciteur général, c’est le fait que la majeure partie, sinon la totalité, en sera rendue publique. En effet, les allégations formulées contre le SCRS sont tellement graves que le « système » du renseignement de sécurité que le Parlement a créé en 1984 risquait de perdre la confiance du public. Les lecteurs de « l’affaire Heritage Front » pourront juger par eux-mêmes de l’efficacité du processus de responsabilisation mis en place par la Loi sur le SCRS et le rôle du comité de surveillance dans cette structure[49].

Le directeur administratif a tenté d’apaiser les craintes de partialité de Zündel en lui expliquant que le comité de surveillance n’était nullement lié par les positions qu’il avait précédemment adoptées[50]. Cependant, à mon avis, compte tenu du contexte dans lequel le rapport sur le Heritage Front a été rédigé, il existe une crainte raisonnable de partialité du fait que Zündel doit convaincre le même comité qui a formulé les déclarations et les conclusions dans le rapport en question qu’en réalité, celles-ci ne sont pas fondées.

L’avocat du comité de surveillance soutient que celui-ci ne peut pas être accusé de partialité, parce que ses membres ne peuvent pas tous faire montre de partialité[51]. À l’appui de cet argument, le comité de surveillance invoque l’arrêt que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rendu dans l’affaire Bennett v. British Columbia (Securities Commission)[52]. Dans la présente affaire, le fondement de la crainte raisonnable de partialité que Zündel dit ressentir réside dans le rapport sur le Heritage Front, qui a été rédigé par tous les membres du comité de surveillance[53]. De plus, le membre du comité de surveillance qui devait présider la procédure contestée, Jacques Courtois, c.r.[54], siégeait comme membre du comité de surveillance lorsque le rapport sur le Heritage Front a été rédigé[55]. Cependant, compte tenu du fait que le rapport en question est l’œuvre de tous les membres du comité de surveillance ainsi que du contexte dans lequel il a été écrit, lequel contexte est commenté plus haut, cet argument du comité de surveillance ne m’apparaît pas convaincant, à la lumière des faits non contestés établis en l’espèce.

Enfin, avant de trancher la question en litige dans la présente demande, je dois examiner les arguments que le comité de surveillance a invoqués à l’égard de l’arrêt Brosseau c. Alberta Securities Commission[56]. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a statué qu’aucune crainte raisonnable de partialité n’était née du fait que le président de l’Alberta Securities Commission avait joué à la fois le rôle d’enquêteur et d’arbitre, parce que le chevauchement des fonctions était autorisé par la loi. Mme le juge L’Heureux-Dubé a conclu que la structure de la Securities Act[57], qui autorisait les commissaires à exercer tant des fonctions d’enquête que des fonctions juridictionnelles (appelées aussi fonctions décisionnelles), ne faisait pas naître en soi une crainte raisonnable de partialité[58].

L’arrêt Brosseau ne modifie en rien mon opinion quant à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité en l’espèce, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, ce n’est pas en soi le régime législatif créé par la Loi sur la citoyenneté et la Loi sur le SCRS qui donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. Ce sont plutôt certaines déclarations et conclusions antérieures du comité de surveillance qui, dans certains cas, créent plus qu’une crainte raisonnable de partialité et qui démontrent que les questions soumises au comité de surveillance dans le cadre de la procédure contestée étaient tranchées à l’avance.

En second lieu, la nature et le rôle de l’organisme administratif diffèrent sensiblement en l’espèce de ceux dont il était question dans l’arrêt Brosseau. Dans cette dernière affaire, l’organisme était la commission des valeurs mobilières de l’Alberta, dont les fonctions ont été décrites en ces termes par Mme le juge L’Heureux-Dubé :

De par leur nature, les commissions de valeurs mobilières remplissent plusieurs fonctions différentes. Elles surveillent le dépôt de prospectus, réglementent les opérations relatives aux valeurs mobilières, inscrivent les personnes et les sociétés qui font des opérations relatives aux valeurs mobilières, mènent des enquêtes et appliquent les dispositions de la Loi. De par leur nature, elles sont amenées à avoir des contacts répétés avec les mêmes parties tant dans leur rôle administratif que dans leur rôle décisionnel[59].

En résumé, la commission des valeurs mobilières réglemente le commerce des valeurs mobilières en Alberta. Dans la présente affaire, le comité de surveillance, lorsqu’il agit conformément à l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté, joue un rôle de premier plan dans la détermination de l’existence des motifs raisonnables de croire qu’une personne qui demande la citoyenneté se livrera à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada. Cette décision est susceptible d’avoir des conséquences graves sur cette personne. Par conséquent, compte tenu de la différence majeure qui existe entre la nature et le rôle du comité de surveillance et ceux d’une commission des valeurs mobilières, j’estime qu’on peut établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Brosseau.

La fonction que le comité de surveillance est appelé à exercer dans la procédure attaquée s’apparente davantage à celle du Tribunal canadien des droits de la personne, fonction que la Cour d’appel fédérale a examinée dans l’affaire MacBain c. Lederman[60], dans lequel elle a statué que la structure juridictionnelle prévue par la Loi canadienne sur les droits de la personne[61] (la LCDP) était entachée de façon inhérente de partialité. La loi obligeait la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) à faire enquête sur les plaintes présentées en vertu de la LCDP. Lorsque la Commission jugeait la plainte fondée, elle désignait les membres du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) chargés d’examiner la question. La Commission présentait ensuite la plainte dans le cadre de la procédure qui était engagée subséquemment devant le Tribunal. Ainsi, la partie poursuivante (la Commission) désignait le juge (le Tribunal) dans sa propre cause. La Cour d’appel fédérale a conclu que ce mécanisme législatif suscitait une crainte raisonnable de partialité.

À mon avis, l’arrêt MacBain est utile, car la procédure engagée du comité de surveillance s’apparente davantage, de par sa nature, à celle qui est prévue par la LCDP qu’à celle que l’on trouve dans la Securities Act.

L’avocat du comité de surveillance soutient que, si la Cour conclut à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité en l’espèce, le [traduction] "comité de surveillance perdra le pouvoir de remplir la mission dont il est investi aux termes de la loi et le SCRS ne sera assujetti à aucun contrôle. La raison d’être de la création du comité serait à toutes fins pratiques réduite à néant »[62]. Il s’agit là, essentiellement, d’un argument in terrorem qui ne m’apparaît pas convaincant. La décision en cause concerne les faits très particuliers et inhabituels qui ont été soulevés dans le présent litige. Je ne crois pas qu’elle enlèvera au comité de surveillance le pouvoir d’exercer sa juridiction dans d’autres situations factuelles. Dans ces conditions, la Cour ne devrait pas donner son aval à une procédure qui va à l’encontre de l’obligation d’agir équitablement, comme l’indique la preuve non contredite présentée au sujet de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité.

En dernier lieu, j’ajouterais qu’il ne m’a pas été facile d’en arriver à cette conclusion. Je n’ignore pas qu’une partie de la société canadienne réprouve vivement les opinions et les activités reprochées au requérant en l’espèce. Cependant, il n’en demeure pas moins que celui-ci est un résident permanent du Canada depuis 1958. En 1993, il a demandé la citoyenneté canadienne et il avait parfaitement le droit de le faire. En présentant cette demande, Zündel est devenu assujetti aux dispositions de la Loi sur la citoyenneté. Lorsque la procédure prévue à l’article 19 a été invoquée contre lui et que l’enquête du comité de surveillance s’est ouverte, Zündel a acquis, comme personne faisant l’objet de cette enquête, le droit à l’équité procédurale pour les motifs exposés ci-dessus.

Comme je l’ai déjà mentionné, la présente décision ne concerne pas la question soulevée dans la procédure qui se déroule devant le comité de surveillance, soit l’existence de motifs raisonnables de croire que Zündel se livrera à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada. Elle porte plutôt sur la question de savoir si, eu égard aux constances de la présente affaire, on a démontré l’existence d’une crainte raisonnable de partialité de la part du comité de surveillance, laquelle partialité empêcherait le comité de poursuivre la procédure engagée contre Zündel en application de l’article 19.

En conséquence, pour les motifs exposés ci-dessus et vu les faits susmentionnés, j’en suis arrivé à la conclusion qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part du comité de surveillance à l’endroit de Zündel. Il s’ensuit, à mon avis, que Zündel a droit à une ordonnance interdisant au comité de surveillance de poursuivre la procédure prévue à l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté à l’égard de sa demande de citoyenneté. Je reconnais volontiers que cette décision a pour effet de bloquer le mécanisme envisagé par la Loi sur la citoyenneté et par la Loi sur le SCRS relativement à la demande de citoyenneté de Zündel. Il se peut que, dans ces circonstances, le seul recours efficace réside dans une mesure législative.

3.         La Cour devrait-elle prononcer une ordonnance annulant la procédure du comité de surveillance au motif qu’elle porte atteinte aux droits de Zündel qui sont protégés par les alinéas 2b) et 2d) de la Charte ou, subsidiairement, écarter les éléments de preuve portant atteinte à ces droits?

Zündel n’a pas prouvé que ses droits à la liberté d’expression et à la liberté d’association qui sont protégés par les alinéas 2b) et d) de la Charte avaient été violés. Par conséquent, la Cour ne rendra pas d’ordonnance annulant la procédure du comité de surveillance ni n’exclura d’éléments de preuve pour ce motif.

IV.       DISPOSITIF

A.        Qualité du comité de surveillance

Une dispense a été accordée à l’égard du respect de la Règle 1611 et le comité de surveillance est autorisé à intervenir en l’espèce. L’intitulé de la cause sera modifié en conséquence.

B.        L’avis de requête déposé le 23 mai 1996 par le ministre

Pour les motifs qui précèdent, je fais droit à la requête présentée par le ministre en vue d’obtenir une ordonnance supprimant les documents suivants du dossier de la demande supplémentaire de Zündel :

Onglet A. Affidavit souscrit par Wolfgang Droege en avril 1996;

Onglet B. Affidavit souscrit par Donna Elliott le 22 mars 1996;

Onglet C. Affidavit souscrit par Wayne Elliott le 22 mars 1996;

Onglet D. Affidavit souscrit par Eric Fischer le 24 mars 1996;

Onglet E. Affidavit souscrit par Max French le 24 mars 1996;

Onglet F. Affidavit souscrit par Gerry Lincoln le 24 mars 1996;

Onglet G. Affidavit souscrit par Tyrone Mason le 9 mai 1996;

Onglet H. Affidavit souscrit par Ernst Zündel le 9 mai 1996.

Les autres documents qui se trouvent aux onglets I, J et K pourront être versés au dossier de demande supplémentaire.

Aucune partie n’ayant présenté d’arguments au sujet des dépens de la présente requête, aucune ordonnance n’est rendue à ce sujet.

C.        La demande de contrôle judiciaire déposée le 7 mars 1996 par Zündel

L’affidavit de Kulaszka est admissible, sauf le paragraphe 18. Les pièces B, C et G de l’affidavit en question sont admissibles uniquement comme preuve de l’attention que la presse écrite et parlée a accordée à l’affaire Heritage Front et non comme preuve de la véracité de leur contenu.

Pour les motifs précités, je prononce une ordonnance interdisant au comité de surveillance de poursuivre la procédure prévue à l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté relativement à la demande de citoyenneté de Zündel datée du 24 octobre 1993.

Étant donné que l’existence de raisons spéciales n’a pas été établie en ce qui concerne les dépens, aucune ordonnance n’est rendue à ce sujet, conformément à la Règle 1618 des Règles de la Cour fédérale.

Avant de se prononcer au sujet de la présente demande, la Cour a reçu une lettre en date du 21 juin 1996 dans laquelle l’avocat de Zündel demandait l’autorisation de verser d’autres pièces au dossier relativement à l’affaire dont je suis saisi. L’avocat désirait que ces pièces soient déposées au soutien des observations qu’il a formulées au cours de l’audience relative à la partialité systémique. Cependant, comme que j’en suis arrivé à la conclusion, pour les motifs exposés ci-dessus, qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part du comité de surveillance à l’endroit de Zündel, il ne m’apparaît pas nécessaire d’examiner expressément la question de la partialité systémique. Par conséquent, la demande présentée par l’avocat de Zündel en vue d’obtenir l’autorisation de verser d’autres pièces au dossier est rejetée.



[1] L.R.C. (1985), ch. F-7, édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5.

[2] L.R.C. (1985), ch. C-29.

[3] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (ci-après appelée la Charte).

[4] L.R.C. (1985), ch. C-23.

[5] Procès-verbal de l’audience du 11 juin 1996, aux p. 9 à 12.

[6] Dossier de la demande du CSARS, mémoire exposant les points à débattre, par. 11.

[7] Dossier de la demande du requérant, affidavit de Kulaszka, ann. A.

[8] Dossier de la demande du requérant, affidavit de Kulaszka, ann. K.

[9] Dossier de la demande du CSARS, affidavit de MacKenzie, ann. B.

[10] Dossier de la demande du requérant, affidavit de Kulaszka, ann. M.

[11] Dossier de la demande du CSARS, affidavit de MacKenzie, par. 15.

[12] Dossier de la demande du CSARS, affidavit de MacKenzie, ann. D.

[13] Dossier de la demande du CSARS, affidavit de MacKenzie, ann. E.

[14] Dossier de la demande du CSARS, affidavit de MacKenzie, ann. F.

[15] Dossier de la demande du CSARS, affidavit de MacKenzie, ann. H.

[16] Dossier de la demande du CSARS, affidavit de MacKenzie, ann. I.

[17] Dossier de la demande du ministre, mémoire exposant les points à débattre, par. 7.

[18] [1994] 2 C.F. 447(C.A.) (ci-après appelé Canada (Commission des droits de la personne)).

[19] La Règle 1611 des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., 1978, ch. 663, édictée par DORS/92-43, art. 19, dispose :

Règle 1611. (1) Quiconque, y compris l’office fédéral dont la décision fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire, désire intervenir à l’audition d’une demande de contrôle judiciaire dépose un avis de demande d’autorisation d’intervenir et en signifie copie aux parties.

(2) L’avis :

(3) La Cour peut accorder l’autorisation d’intervenir à l’audition d’une demande de contrôle judiciaire aux conditions qu’elle considère appropriées et peut donner des directives quant à la procédure à suivre lors de l’intervention, quant à sa portée, quant à la présentation et à la signification des documents et quant à toute autre question pertinente à l’intervention.

[20] Canada (Commission des droits de la personne), précité, note 18, à la p. 461.

[21] Voir l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne), le juge d’appel Décary, à la p. 461.

[22] (1994), 77 F.T.R. 218 (C.F. 1re inst.) (ci-après appelée Parcs du Canada).

[23] Idem, à la p. 222.

[24] Voir l’arrêt Éthier c. Canada (Commissaire de la GRC), [1993] 2 C.F. 659(C.A.) (ci-après appelé Éthier) et le jugement Lecoupe c. Forces armées canadiennes, (1994), 81 F.T.R. 91 (C.F. 1re inst.) (ci-après appelé Lecoupe).

[25] Dossier de demande supplémentaire du requérant, onglets A à H.

[26] Dossier de demande supplémentaire du requérant, onglets I et J.

[27] Le par. 18 de l’affidavit de Kulaszka est ainsi libellé :

[traduction]

18. Le député Derek Lee, qui est également président du sous-comité de la Chambre des communes sur la sécurité nationale, m’a informé que le rapport du sous-comité sur l’affaire Heritage Front et sur le comité de surveillance intimé sera prêt, sur le plan procédural, à être publié à la fin de mars 1996 si la composition du sous-comité demeure à peu près la même lors de la nouvelle session parlementaire.

[28] Précité, note 24.

[29] Précité, note 24.

[30] Voir l’arrêt Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, à la p. 636 (ci-après Nfld. Telephone).

[31] Idem.

[32] Idem, aux p. 638 et 639.

[33] Idem, à la p. 636.

[34] Le critère a également été formulé en ces termes :

À quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique?

Voir Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394, par le juge de Grandpré; MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856(C.A.), aux p. 867 et 868; et Arthur c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 94(C.A.), à la p. 101.

[35] [1990] 3 R.C.S. 1170 (ci-après appelé arrêt Vieux St-Boniface).

[36] Idem, à la p. 1197.

[37] Procès-verbal de l’audience du 11 juin 1996, aux p. 45 et 46.

[38] Procès-verbal de l’audience du 11 juin 1996, aux p. 90 à 96.

[39] Dossier de la demande du CSARS, affidavit de MacKenzie, ann. C.

[40] Dossier de la demande du CSARS, affidavit de MacKenzie, par. 9.

[41] Procès-verbal de l’audience du 11 juin 1996, à la p. 46.

[42] Procès-verbal de l’audience du 11 juin 1996, aux p. 45 et 46.

[43] [1990] 3 R.C.S. 1213 (ci-après appelé Save Richmond Farmland).

[44] Nfld. Telephone, précité, note 30, aux p. 641 et 642.

[45] Voir le dossier de la demande du requérant (rapport sur le Heritage Front) aux p. 48, 59, 70, 71, 78, 79, 81, 82, 87, 90, 101, 102, 103, 104, 106, 116, 118, 122, 151, 208, 212 et 239.

[46] Dossier de la demande du SCRS, affidavit de MacKenzie, ann. C.

[47] Dossier de la demande du requérant (rapport sur le Heritage Front), aux p. 48, 59, 71, 72, 81, 82, 239 et 241.

[48] Voir le dossier de la demande du requérant (rapport sur le Heritage Front), aux p. 82, 102, 116, 118 et 122.

[49] Dossier de la demande du requérant (rapport sur le Heritage Front), à la p. 43.

[50] Dossier de la demande du CSARS, affidavit de MacKenzie, ann. I.

[51] Voir le dossier de la demande du CSARS, mémoire, par. 22, et le procès-verbal de l’audience du 11 juin 1996, à la p. 27.

[52] (1992), 94 D.L.R. (4th) 339 (C.A. C.-B.).

[53] Voir le dossier de la demande du requérant (rapport sur le Heritage Front), à la p. 43.

[54] Me Courtois est décédé après l’audition de la présente demande.

[55] Dossier de la demande supplémentaire du requérant, mémoire supplémentaire, para. 14.

[56] [1989] 1 R.C.S. 301 (ci-après appelé Brosseau).

[57] R.S.A. 1970, ch. 333, art. 136.

[58] Brosseau, précité, note 56, à la p. 315.

[59] Idem, à la p. 313.

[60] MacBain, précité, note 34.

[61] S.C. 1976-77, ch. 33.

[62] Dossier de la demande du CSARS, par. 19 du mémoire.

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