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[1996] 3 C.F. 171

A-799-95

Le Procureur général du Canada (requérant)

c.

Michael Locke (intimé)

Répertorié : Canada c. Locke (C.A.)

Cour d’appel, juges Marceau, MacGuigan et Robertson, J.C.A.—Vancouver, 14 mai; Ottawa, 3 juin 1996.

Assurance-chômage Demande en vue de faire annuler la décision du juge-arbitre concluant que la perte d’un emploi à temps partiel ne portait pas atteinte au droit aux prestations qu’il touchait déjàLe requérant touchait des prestations d’assurance-chômage par suite de la perte de son emploi à plein tempsIl a par la suite occupé un emploi à temps partiel mais a été renvoyé à cause de sa propre inconduiteExclusion du bénéfice des prestationsL’art. 28 de la Loi sur l’assurance-chômage exclut le prestataire qui perd son emploi à cause de sa propre inconduiteL’art. 59.1 du Règlement, lu de concert avec l’art. 30.1(2) de la Loi, portant sur la perte inexcusable d’un emploi depuis le début de la période de référence, entraîne l’inadmissibilité prévue à l’art. 28.

Il s’agit d’une demande en vue de faire annuler la décision du juge-arbitre concluant que la perte d’un emploi à temps partiel par le prestataire n’a pas porté atteinte à son droit aux prestations permanentes qu’il touchait déjà. L’intimé a été renvoyé de son emploi à plein temps comme chasseur et a commencé à toucher des prestations d’assurance-chômage. Par la suite, il s’est trouvé un emploi à temps partiel dans un restaurant, qu’il a déclaré, mais il a été renvoyé le 23 avril 1993 à cause de sa propre inconduite (il a manqué un quart de travail sans en informer son superviseur). Il a donc été exclu du bénéfice des prestations conformément aux articles 28 et 30.1 de la Loi sur l’assurance-chômage et au paragraphe 59.1(1) du Règlement sur l’assurance-chômage. Le paragraphe 28(1) de la Loi rend un prestataire inadmissible au service des prestations s’il a perdu son emploi à cause de sa propre inconduite. D’après le paragraphe 28(3), « emploi » désigne le dernier emploi que le prestataire a exercé avant de formuler sa demande de prestations, sauf prescription contraire des règlements. Le paragraphe 30.1(2), qui a été ajouté à la Loi en 1993, dispose que dans les cas où l’événement à l’origine de l’exclusion survient au cours de sa période de prestations, l’exclusion du prestataire ne comprend pas les semaines de la période de prestations qui précèdent celles où survient l’événement. Selon le paragraphe 59.1(1) du Règlement, également ajouté en 1993, le terme « emploi » s’entend du dernier emploi que le prestataire a perdu en raison de sa propre inconduite.

Il s’agissait de déterminer si la perte de l’emploi envisagée à l’article 28 devait se produire avant l’approbation d’une demande de prestations et l’établissement d’une période de référence.

Arrêt : la demande doit être accueillie.

La perte inexcusable d’un emploi par un prestataire depuis le début de sa période de référence entraîne l’application de l’art. 28, c’est-à-dire son exclusion, qu’il s’agisse d’un emploi à temps partiel occupé simultanément avec un autre, ou que le prestataire ait perdu son emploi après l’établissement d’une période de prestations se fondant sur la perte d’un autre emploi régulier.

Avant 1993, la perte d’emploi pénalisée par une déclaration d’exclusion fondée sur l’article 28 devait se produire avant la présentation d’une demande de prestations et l’établissement d’une période de référence. Le paragraphe 30.1(2) a rendu obsolète la proposition selon laquelle une analyse utilitaire de l’ensemble de la législation mène à la conclusion que, pour que l’article 28 trouve application, il doit y avoir un lien entre la perte non justifiée de l’emploi du prestataire et le paiement des prestations. Cette disposition appuie entièrement la prétention selon laquelle, aux termes de l’article 59.1, la sanction pénale de l’article 28 est applicable après, aussi bien qu’avant, l’établissement de la période de prestations et que l’emploi perdu sans justification ait eu ou non un effet sur le paiement des prestations. Il n’est plus possible de prétendre que les prestations payables à un prestataire au cours d’une période de prestations continues établie en sa faveur ne peuvent être touchées par la perte d’un emploi à temps partiel, aussi insignifiant soit-il. L’exclusion frappe sans condition. La modification législative a eu le malheureux effet de favoriser un système dans lequel l’inactivité totale est la meilleure solution que le prestataire puisse adopter pendant qu’il touche des prestations. Cela ne fait qu’encourager les chômeurs à ne pas accepter d’emploi à temps partiel.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1, art. 27, 28(1),(3), 30(1) (mod. par L.C. 1993, ch. 13, art. 20), 30.1 (édicté, idem, art. 21), 44y).

Règlement sur l’assurance-chômage, C.R.C., ch. 1576, art. 59(1) (mod. par DORS/90-761, art. 17), (2) (mod., idem), (3) (édicté par DORS/93-178, art. 3), 59.1 (édicté, idem, art. 4).

JURISPRUDENCE

DÉCISION EXAMINÉE :

Skinner (1992), CUB 21951; Canada (Procureur général) c. Droege, [1996] A.C.F. nº 513 (C.A.) (QL).

DÉCISIONS CITÉES :

Canada c. Cymerman, [1996] 2 C.F. 593(C.A.); Canada (Procureur général) c. Jenkins (1995), 123 D.L.R. (4th) 639; 182 N.R. 388 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée à [1995] 4 R.C.S. v.

DEMANDE d’annulation d’une décision du juge-arbitre concluant que la perte de l’emploi à temps partiel du prestataire en raison de sa propre inconduite ne portait pas atteinte au droit aux prestations permanentes d’assurance-chômage qu’il touchait déjà. Demande accueillie.

AVOCAT :

Leigh A. Taylor, pour le requérant.

Personne n’a comparu pour l’intimé.

PROCUREUR :

Le sous-procureur général du Canada, pour le requérant.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Marceau, J.C.A. : Il fallait bien entendu s’attendre à ce que l’article 28 de la Loi sur l’assurance-chômage [L.R.C. (1985), ch. U-1] donne naissance à une interminable série de controverses. L’article 28 est la disposition qui exclut un prestataire du bénéfice des prestations s’il perd son emploi en raison de sa propre inconduite ou s’il quitte volontairement son emploi sans justification. Les notions de « justification » et d’« inconduite » sont assez malléables dans la réalité et personne n’est disposé à accepter de gaieté de cœur l’imposition d’une pénalité qui porte atteinte à ses moyens de subsistance. La présente affaire vient grossir les rangs des nombreuses causes récentes d’assurance-chômage dans lesquelles la Cour et les juges-arbitres se sont trouvés aux prises avec des problèmes d’interprétation et d’application de l’article 28 et des dispositions législatives connexes.

Les faits de la cause sont simples. L’intimé avait un emploi à plein temps comme chasseur à l’hôtel Harbour Towers à Victoria. Il a été renvoyé le 5 novembre 1992, à cause d’une pénurie de travail. Il a présenté une première demande de prestations, une période de référence a été établie en sa faveur et il a commencé à recevoir des prestations. Pendant la semaine du 22 novembre 1992, l’intimé a commencé à travailler de façon intermittente et occasionnelle au restaurant Captain’s Palace, à Victoria. Dans ses rapports hebdomadaires à la Commission, l’intimé a dûment signalé cet emploi à temps partiel, mais son droit aux prestations est demeuré inchangé et il a continué de toucher ses prestations jusqu’en juin 1993. Le 26 janvier 1994, il a reçu une lettre de la Commission l’informant qu’il était inadmissible au service des prestations depuis le 23 avril 1993, et qu’il avait donc reçu un trop-payé de plus de 4 000 $, qu’il devrait rembourser. Il a été exclu le 23 avril 1993 parce qu’il a perdu son emploi à temps partiel au restaurant Captain’s Palace en raison de sa propre inconduite, c’est-à-dire pour avoir manqué un quart de travail sans en informer son superviseur. Son exclusion découle de l’application des articles 28 et 30.1 [édicté par L.C. 1993, ch. 13, art. 21] de la Loi et du paragraphe 59.1(1) du Règlement sur l’assurance-chômage [C.R.C., ch. 1576 (édicté par DORS/93-178, art. 4)].

La décision de la Commission a été confirmée par le conseil arbitral, mais le juge-arbitre n’a pas été du même avis. Ce dernier n’a pas contesté la conclusion du conseil arbitral selon laquelle il y avait eu inconduite; il a cependant jugé qu’il n’avait pas à se prononcer sur cette question étant donné qu’à son avis [traduction] « la perte d’un emploi à temps partiel ne peut avoir porté atteinte au droit au bénéfice des prestations permanentes déjà touchées » par le prestataire. Dans sa demande déposée devant la Cour, le procureur général prétend que la décision du juge-arbitre se fonde sur une proposition qui va à l’encontre de la loi actuellement en vigueur.

La question à laquelle devait répondre le juge-arbitre n’est pas nouvelle. En fait, on comprend facilement que, dans tous les cas où un prestataire occupe simultanément ou successivement deux ou plusieurs emplois, la question de savoir lequel de ces divers emplois peut entraîner l’application de l’article 28 est susceptible de poser un problème. Cette question, qui a depuis longtemps fait l’objet d’une analyse dans la jurisprudence des juges-arbitres, semble retenir de nouveau l’attention depuis quelque temps. Cela est dû, sans aucun doute, au nombre croissant d’emplois occupés simultanément ou successivement, attribuable à l’augmentation sur le marché du travail de ce qu’on appelle les emplois non standard, comme les emplois à temps partiel et temporaires, et au cumul d’emplois. Cela est dû également à l’introduction en 1993 de nouvelles dispositions de la Loi et du Règlement ayant pour objet d’élargir la portée des dispositions d’exclusion et, simultanément, de renforcer les pénalités pour une perte d’emploi injustifiée.

Jusqu’en 1993, les dispositions législatives régissant le règlement de ces questions spéciales étaient énoncées aux paragraphes 28(3) et 30(1) [mod. par L.C. 1993, ch. 13, art. 20] de la Loi, lues de concert avec le paragraphe 28(1) de la Loi, et complétées par les paragraphes 59(1) [mod. par DORS/90-761, art. 17] et (2) [mod., idem] du Règlement. Ces dispositions sont toujours en vigueur et sont formulées dans les termes suivants :

Loi

28. (1) Un prestataire est exclu du bénéfice des prestations versées en vertu de la présente partie s’il perd son emploi en raison de sa propre inconduite ou s’il quitte volontairement son emploi sans justification.

(3) Au présent article, « emploi » désigne le dernier emploi que le prestataire a exercé avant de formuler sa demande de prestations, sauf prescription contraire des règlements.

30. (1) Lorsqu’un prestataire est exclu du bénéfice des prestations en vertu de l’article 27, il l’est pour un nombre de semaines qui suivent le délai de carence et pour lesquelles il aurait sans cela droit à des prestations; ces semaines sont déterminées par la Commission.

Règlement

59. (1) L’emploi qu’un prestataire cesse d’exercer plus de 13 semaines avant la date de sa demande de prestations n’est pas un emploi pour l’application de l’article 28 de la Loi.

(2) Pour l’application de l’article 28 de la Loi, lorsque la durée du dernier emploi qu’un prestataire a exercé avant de présenter sa demande de prestations est de moins de cinq jours, le mot « emploi » s’entend également de l’avant-dernier emploi qu’il a exercé.

Ces dispositions ne permettaient pas de résoudre deux questions qui ont un certain lien avec les questions précitées. La première question est de savoir si l’emploi dont il faut tenir compte est celui à partir duquel la demande de prestations a été formulée ou tout autre emploi que le prestataire peut occuper simultanément. Jusqu’à récemment, l’opinion majoritaire semblait indiquer que le libellé du paragraphe 30(1), jumelé à une analyse utilitaire des dispositions relatives à l’exclusion, menait à la conclusion qu’un lien causal devait exister entre l’emploi perdu de façon inexcusable et susceptible d’entraîner l’exclusion et la demande de prestations à l’encontre de laquelle elle devait être opposée. Le courant majoritaire jugeait que, pour autant que le mauvais comportement des travailleurs sur le marché du travail soit une préoccupation légitime du régime d’assurance-chômage, il ne pouvait avoir d’effet que sur le paiement des prestations. Mais la décision majoritaire de la présente Cour dans Canada c. Cymerman, [1996] 2 C.F. 593(C.A.) ne semble pas approuver une telle conclusion.

La deuxième question qui n’a pas été complètement résolue par les dispositions législatives en vigueur avant 1993 est précisément celle dont la Cour est saisie. La perte de l’emploi envisagée par le législateur à l’article 28 doit-elle se produire avant l’approbation d’une demande de prestations formulée par le prestataire et l’établissement d’une période de prestations en sa faveur? La jurisprudence des décisions CUB renferme certaines opinions selon lesquelles, puisqu’un prestataire doit produire des déclarations établissant qu’il est toujours admissible aux prestations même après l’établissement de la période des prestations, l’expression « avant de formuler sa demande de prestations » au paragraphe 28(3) de la Loi pourrait renvoyer à n’importe laquelle des déclarations désignées sous le nom de « demandes continues ». Mais, selon la majorité des auteurs, une analyse appropriée de la loi dans son ensemble ne semble par appuyer ces opinions qui semblent s’être développées sans tenir compte de la différence fondamentale entre la demande initiale, dont l’objet est d’établir le droit au bénéfice des prestations pendant un certain temps, et les présumées demandes continues, dont l’objet est de démontrer à la Commission que le droit aux prestations existe toujours, notamment parce qu’en dépit de ses efforts pour se trouver un emploi le prestataire est toujours en chômage. Un passage des motifs du juge-arbitre tiré du CUB 21951 [Skinner, aux pages 6 et 7] et cité dans la décision dont la Cour est saisie mérite d’être reproduit de nouveau parce qu’il exprime la position qui était à l’époque, du moins je le crois, la position acceptée par la plupart des juges-arbitres et, à mon avis, celle qui était le plus conforme à l’esprit de la loi dans son ensemble.

… à mon avis, la perte d’emploi prévue au paragraphe 28(1) de la Loi s’applique à une situation où l’on essaie de déterminer un montant de prestations, contrairement à la présente situation, où un acte nouveau s’est produit après l’accord de prestations à l’intéressé. Le paragraphe est clair sur ce point :

28.(3) Au présent article, « emploi » désigne le dernier emploi que le prestataire a exercé avant de formuler sa demande de prestations, sauf prescription contraire des règlements. [Notre soulignement]

Le texte de ce paragraphe indique que l’expression « a perdu son emploi » s’applique à la perte d’emploi qui donne lieu à une demande de prestations. La période de temps dont il est question dans la Loi est l’emploi que le prestataire exerçait immédiatement avant de présenter sa demande de prestations. Une fois que l’on accorde des prestations au prestataire, comme dans le cas qui nous concerne, il est considéré comme ayant déjà perdu son emploi. Par conséquent, il ne peut pas perdre son emploi une deuxième fois pour inconduite ou pour tout autre motif (Voir Goulet c. C.E.I.C., [1984] 1 C.F. 653(CAF)).

Avant 1993, donc, il était à toutes fins pratiques définitivement accepté que la perte d’emploi qui était pénalisée par une déclaration d’exclusion fondée sur l’article 28 de la Loi devait se produire avant la formulation d’une demande de prestations et l’établissement d’une période de prestations[1].

Si telle était la situation avant 1993, d’après l’avocate du procureur général, elle n’est plus la même aujourd’hui. En 1993, de nouvelles dispositions ont été ajoutées au Règlement concernant le sens à attribuer aux mots « dernier emploi » utilisés aux paragraphes 28(1) et (3) de la Loi. Les paragraphes 59(3) [édicté par DORS/93-178, art. 3] et 59.1(1) [édicté, idem, art. 4], (2) [édicté, idem] et (3) [édicté, idem] du Règlement ont été incorporés :

59. (1) …

(3) Les paragraphes (1) et (2) s’appliquent à l’égard d’un prestataire qui perd ou quitte son emploi avant le 4 avril 1993.

59.1 (1) Sous réserve du paragraphe (2), pour l’application de l’article 28 de la Loi, « emploi » s’entend du dernier emploi que le prestataire a perdu en raison de sa propre inconduite ou qu’il a quitté volontairement sans justification depuis le début de la période de référence.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas lorsque le prestataire a, depuis qu’il a perdu ou quitté l’emploi visé au paragraphe (1), exercé un emploi assurable :

a) soit pendant le nombre de semaines exigé à l’alinéa 6(2)a) de la Loi;

b) soit pendant 20 semaines, lorsque le prestataire est une personne qui devient ou redevient membre de la population active au sens du paragraphe 6(4) de la Loi.

(3) Les paragraphes (1) et (2) s’appliquent à l’égard d’un prestataire qui perd ou quitte son emploi le 4 avril 1993 ou après cette date.

Selon l’avocate, ces dispositions rendent inapplicables l’ancienne jurisprudence et signifient que, dorénavant, lorsqu’un prestataire perd son emploi en raison d’une inconduite ou qu’il quitte volontairement son emploi sans justification après le début de sa période de référence, il sera réputé inadmissible au bénéfice des prestations en vertu de toute demande, abstraction faite du fait qu’il ait ou non perdu de façon inexcusable l’emploi sur lequel sa demande se fondait et qu’une période de prestations ait ou non été établie. D’après l’avocate, il en est ainsi parce que la seule restriction établie par le texte est le point de départ, c’est-à-dire le début de la période de référence. L’avocate admet qu’une telle interprétation de la nouvelle disposition peut avoir pour effet de consacrer une définition du mot emploi différente de celle qui avait d’abord été envisagée au paragraphe 28(3) de la Loi. Il se peut, de façon plus précise et évidente, que le mot « dernier » utilisé par le législateur au paragraphe 28(3) de la Loi n’ait plus aucun sens. Mais la présente Cour, note-t-elle, a statué dans Canada (Procureur général) c. Droege (n o de greffe A-576-95, en date du 17 avril 1996) [[1996] A.C.F. no 513 (QL)] que le nouveau Règlement n’était pas ultra vires étant donné qu’il n’outrepassait pas le pouvoir de prendre des règlements qui est conféré à la Commission aux termes de l’alinéa 44y) de la Loi.

Je ne pense pas que les nouvelles dispositions réglementaires puissent seules étayer la prétention de l’appelant dans son ensemble. À mon avis, l’objet premier de ces nouvelles dispositions réglementaires était de traiter du même genre de préoccupation qui était sous-jacent dans les paragraphes 59(1) et (2) du Règlement, c’est-à-dire s’assurer que le prestataire ne puisse échapper à la sanction prévue à l’article 28 en se trouvant un nouvel emploi temporaire avant de présenter sa demande. En fait, il est tout à fait logique d’exiger que, pour être pardonnable, une perte d’emploi inexcusable soit suivie, non seulement par un emploi de plus de cinq jours comme auparavant, mais par un emploi d’une durée suffisante pour donner lui-même droit aux prestations. Toutefois, je ne vois pas comment on peut prétendre que le libellé des dispositions, en lui-même, appuie l’opinion selon laquelle le législateur avait également l’intention de modifier la Loi telle qu’elle était alors comprise et d’étendre l’application possible de l’article 28 au-delà de l’établissement de la période de prestations.

Le fait est, toutefois, que les nouvelles dispositions réglementaires n’ont pas été adoptées dans l’abstrait ni de façon isolée. En 1993, le Parlement a modifié la Loi elle-même et, parmi les nouvelles dispositions adoptées, il y avait le paragraphe 30.1(2) qui doit être lu de concert avec le paragraphe 30.1(1) :

30.1 (1) Lorsqu’un prestataire est exclu du bénéfice des prestations en vertu de l’article 28, il l’est pour toutes les semaines de sa période de prestations qui suivent le délai de carence et pour lesquelles il aurait sans cela droit à des prestations.

(2) Dans les cas où l’événement à l’origine de l’exclusion visée au paragraphe (1) survient au cours de sa période de prestations, l’exclusion du prestataire ne comprend pas les semaines de la période de prestations qui précèdent celles où survient l’événement.

Il se peut que les rédacteurs des modifications de 1993 aient incorporé le paragraphe 30.1(2) en pensant à certains cas spéciaux, par exemple à une « demande de renouvellement » après une suspension de la période de prestations déjà établie, mais les termes utilisés n’impliquent même pas une restriction. Une simple lecture suffit pour constater que la disposition rend obsolète la proposition, qui doit maintenant être rejetée, selon laquelle une analyse utilitaire de l’ensemble de la loi mène à la conclusion que, pour que l’article 28 trouve application, il doit y avoir un lien entre la perte non justifiée de l’emploi du prestataire et le paiement des prestations. Comme on l’a vu ci-dessus, le paragraphe 59.1(1) du Règlement a tiré entièrement profit de ce fait dans les cas où la perte d’emploi survient avant l’établissement de la période de prestations. Mais il est encore plus clairement et plus directement établi que la disposition appuie entièrement la prétention du procureur général selon laquelle, aux termes de l’article 59.1, la sanction pénale de l’article 28 est applicable après, aussi bien qu’avant, l’établissement de la période de prestations et que l’emploi perdu sans justification ait eu ou non un effet sur le paiement des prestations. Il n’est manifestement plus possible de prétendre que « les prestations continues déjà obtenues », pour reprendre l’expression du juge-arbitre, c’est-à-dire les prestations payables à un prestataire au cours d’une période de prestations continues établie en sa faveur, ne peuvent être touchées par la perte d’un emploi à temps partiel, aussi insignifiant soit-il. Je dois admettre que j’ai été déconcerté par cette disposition à laquelle l’avocate n’a même pas fait référence. Je doute qu’on en ait saisi toute l’importance. À un moment où la pénalité imposée par l’article 28 a été rendue le plus sévère possible, il me semble tout à fait malheureux de rendre cette sanction applicable à tous les emplois occasionnels et peu importants qu’un chômeur touchant des prestations essaie de se trouver. On prétend que le refus d’accepter un emploi pourrait déjà exclure le prestataire en vertu de l’article 27 de la loi, mais cette prétention n’est pas fondée. L’article 27 exige une condition de base, savoir que l’emploi refusé était « convenable ». L’exclusion en l’espèce frappe sans condition. Son effet, il me semble, est de favoriser un système dans lequel l’inactivité totale est la meilleure solution que le prestataire puisse adopter pendant qu’il touche des prestations. À moins qu’un emploi réputé « convenable » aux termes de la Loi lui soit proposé, le prestataire le mieux avisé est celui qui n’accepte aucun emploi pendant qu’il touche des prestations. Cela ne fait qu’encourager les chômeurs à ne pas accepter d’emploi à temps partiel.

Pourtant, tout aussi draconiennes et mal rédigées que soient ces dispositions, leur application est bien entendu inévitable. Il ne fait aucun doute que le nouveau paragraphe 59.1(1) du Règlement, interprété de concert avec le paragraphe 30.1(2) de la Loi, nous oblige à accepter que la perte inexcusable d’un emploi par un prestataire, depuis le début de sa période de référence, entraîne l’application de l’article 28, c’est-à-dire son exclusion, qu’il s’agisse d’un emploi à temps partiel occupé simultanément avec un autre, ou que le prestataire ait perdu son emploi après l’établissement d’une période de prestations se fondant sur la perte d’un autre emploi régulier.

Je pense que la Cour n’a pas d’autre choix que d’accueillir la demande en l’espèce, d’annuler la décision contestée et de renvoyer l’affaire au juge-arbitre pour une nouvelle décision au motif que la décision de la Commission, confirmée par le conseil arbitral, est conforme à la loi actuellement en vigueur.

Le juge MacGuigan, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Robertson, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] À ma connaissance, la dernière décision à cet égard a été rendue dans Canada (Procureur général) c. Jenkins (1995), 123 D.L.R. (4th) 639 (C.A.F.) (autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée) [[1995] 4 R.C.S. v].

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