Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[1996] 3 C.F. 713

A-539-94

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Continental Bank Leasing Corporation (intimée)

Répertorié : Canada c. Continental Bank Leasing Corp. (C.A.)

Cour d’appel, juge en chef Isaac, juges Linden et McDonald, J.C.A.—Toronto, 12, 13 et 14 mars; Ottawa, 4 juin 1996.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Allocation du coût en capital RécupérationTentative d’éviter la récupération au moyen de la prétendue vente d’une société de personnesAppel d’une décision par laquelle la C.C.I. a conclu qu’une société de personnes avait été validement créée conformément à l’art. 97(2) de la Loi de l’impôt sur le revenuAccord prévoyant le transfert de l’entreprise et de l’actif de la contribuable à une société de personnesL’opération ne constitue pas un trompe-l’œilL’opération n’est pas conforme à l’art. 97(2), étant donné qu’aucune société valide n’a été forméeExamen des autorités sur les sociétés de personnesLes parties n’avaient pas l’intention de tirer un profit de l’entreprise, mais plutôt de vendre les actifsLe partage des bénéfices ne constitue pas une preuve concluante de l’existence d’une société de personnesLes conditions requises pour qu’il y ait une société de personnes ne sont pas rempliesMême si une société de personnes avait été créée, la participation dans celle-ci est illégale selon l’art. 174(2)(i) de la Loi sur les banquesL’accord est illégal et nul selon la loi et la common law et il constitue un excès de pouvoir de la part de la banque.

Il s’agit de l’appel d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a conclu qu’une véritable société de personnes avait été créée par les parties conformément au paragraphe 97(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu et qu’en conséquence, la contribuable avait le droit de disposer de ses biens sans déclencher de récupération. L’intimée (Leasing) a été constituée en personne morale en 1981 à titre de filiale possédée en propriété exclusive de la Banque Continentale du Canada (Continentale). En raison de difficultés financières et de la stagnation économique des années quatre-vingts, la Continentale a été forcée de vendre la Leasing. L’offre d’achat la plus avantageuse était celle de la Central Capital Corporation (Central). Après plusieurs négociations infructueuses, la Central a offert d’acheter la Leasing dans le cadre d’une opération restructurée impliquant la création d’une société de personnes qui se caractérisait notamment par la non-responsabilité des associés à l’égard des dettes de la société. Cette proposition a été consignée par écrit dans un accord principal qui prévoyait de façon générale le transfert de l’entreprise et des éléments d’actif de la Leasing à une société de personnes composée de la Leasing et de deux filiales possédées en propriété exclusive de la Central. Sa Majesté a fixé de nouveau l’impôt de la contribuable en partant du principe qu’aucune société n’avait été créée. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que l’opération n’était pas un trompe-l’œil, mais qu’elle avait eu pour effet de créer une société de personnes valide et encore en existence à laquelle des éléments d’actif avaient été vraisemblablement transférés conformément au paragraphe 97(2) de la Loi. L’appel soulève trois questions : 1) L’opération était-elle un trompe-l’œil? (2) Une société de personnes valide a-t-elle été créée? (3) Le contrat de société était-il illégal selon la Loi sur les banques?

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

1) Le trompe-l’œil est une opération assortie d’un élément de tromperie de manière à créer une illusion destinée à cacher au fisc le contribuable ou la nature réelle de l’opération. Les parties n’avaient pas l’intention de tromper des tiers, y compris le ministre. En l’absence de l’élément essentiel de la tromperie, la présente opération ne peut être considérée comme un trompe-l’œil suivant la jurisprudence canadienne actuelle. Toutefois, du simple fait qu’elle n’est pas un trompe-l’œil, il ne s’ensuit pas nécessairement que l’opération produit les effets juridiques nécessaires pour permettre aux parties de réaliser les épargnes d’impôt qu’elle voulaient obtenir. Dans chaque cas, le tribunal examine la véritable nature commerciale et pratique des opérations du contribuable.

2) La bonne question à se poser est celle de savoir si les parties respectaient les conditions prévues par la loi pour former une société. La société de personnes (ou société en nom collectif) est une relation contractuelle, un accord conclu entre deux ou plusieurs personnes en vue d’exploiter en commun une entreprise dans un but lucratif. L’existence d’une société de personnes dépend dans chaque cas de la volonté effective des parties. Dans cette analyse, la forme doit céder le pas au fond de la relation, qui est l’élément clé. Les événements qui se sont produits en l’espèce ne constituent que de simples éléments accessoires de l’adoption d’une forme de société et ne peuvent être considérés comme des éléments de preuve de fond qui tendraient à démontrer l’existence d’une intention de créer effectivement une société. Il ne s’agissait pas d’une entreprise exploitée en commun dans le but de tirer un profit. Les parties avaient plutôt l’intention de procéder à une vente d’éléments d’actif en recourant à un dispositif qu’elles ont choisi d’appeler une société de personnes même si, en réalité, il n’en s’agissait pas d’une. Suivant le paragraphe 3(3) de la Loi sur les sociétés en nom collectif de l’Ontario, le partage des bénéfices constitue un élément de preuve mais non une preuve concluante de l’existence d’une société de personnes. En l’espèce, la contribuable n’avait même pas légalement le droit de participer aux bénéfices, étant donné qu’elle n’était pas un associé lors de la clôture de l’exercice. Elle n’avait donc pas le droit de participer aux bénéfices qui ont été versés. Aucune activité commerciale n’a été exercée au cours de la période de trois jours des vacances de Noël pendant laquelle la société est censée avoir été exploitée. Qui plus est, la preuve testimoniale démontre à l’évidence le caractère fictif de la volonté des parties de créer une société de personnes. L’approbation par le gouverneur en conseil de la vente des éléments d’actif de la Continentale à la Banque Lloyds a eu pour effet d’obliger la Continentale à ne poursuivre ses activités que dans la mesure nécessaire pour procéder à sa liquidation. Lorsque l’objet d’une opération est de liquider une entreprise, l’opération ne constitue pas une société. En l’espèce, l’opération en cause ne constituait qu’un moyen employé pour vendre les éléments d’actif d’une façon qui n’entraînerait pas certaines conséquences fiscales. C’était son seul objet. Comme aucune société de personnes n’a été créée, les parties ne peuvent pas se prévaloir du paragraphe 97(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

3) Même si l’on devait conclure que l’opération constitue une société de personnes, la participation de la Leasing et de la Continentale dans la société serait également invalide en raison de leur contravention à la Loi sur les banques. L’alinéa 174(2)i) de la Loi sur les banques interdit aux banques de participer de quelque façon que ce soit à une société de personnes en raison de la responsabilité solidaire à laquelle les associés sont tenus les uns envers les autres. En devenant un associé, une banque expose de façon illimitée les affaires de ses clients et de ses déposants à des obligations qui n’ont rien à voir avec les objets ou les activités de la banque. Ce risque constitue un danger public. La Continentale a de toute évidence participé à une société de personnes en permettant à la Leasing, la filiale qu’elle possédait en propriété exclusive, d’en faire partie. Cette conduite violait la Loi sur les banques. On peut rendre un contrat illégal et nul, au même titre que tout autre contrat, soit de façon expresse, au moyen d’une loi, soit par la common law. Tant la loi que la common law ont rendu illégal et nul l’accord qui a été conclu en l’espèce. L’article 34 de la Loi sur les sociétés en nom collectif (dissolution par suite d’un événement qui rend illégal l’exploitation de l’entreprise de la société) a expressément dissous toute société qui a pu être constituée en l’espèce. L’interdiction contenue à l’article 174 de la Loi sur les banques visait à protéger le public. La violation de cette disposition par la banque a porté atteinte à la protection du public visée par l’interdiction et était manifestement illégale au sens de l’article 34 de la Loi sur les sociétés en nom collectif. C’était également un acte criminel. Qui plus est, la participation de la Leasing et de la Continentale dans la société était illégale en common law et elle constitue un excès de pouvoir de la part de la banque. La contribuable a invoqué les paragraphes 18(1) et 20(1) de la Loi sur les banques pour contrebalancer la théorie de l’illégalité et celle de l’excès de pouvoir. Le paragraphe 18(1) doit être examiné en tenant compte de l’alinéa 174(2)i), qui interdit à toute banque de participer de quelque façon que ce soit à une société de personnes. Cette interdiction impérative limite la capacité d’une banque d’agir comme si elle était une personne physique. L’acte consistant à participer à une société de personnes en sachant parfaitement que l’on viole ainsi la Loi sur les banques et dans le seul but d’obtenir le report d’une obligation fiscale n’est pas protégé par le paragraphe 20(1) de la Loi. Il s’agit d’une disposition d’exception qui vise à empêcher l’annulation d’opérations illégales lorsque, ce faisant, on léserait des personnes de bonne foi qui se sont fiées aux pouvoirs de la banque. La Cour doit appliquer la théorie de l’illégalité et de l’excès de pouvoir et considérer les actes de la Continentale comme nuls. La Loi ne renferme aucune disposition qui autorise expressément une banque à participer à une société de personnes, que ce soit au cours de sa liquidation ou à tout autre moment.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Loi constituant en corporation la Banque Continentale du Canada, S.C. 1976-77, ch. 58.

Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 1), art. 97(2) (mod. par S.C. 1980-81-92-83, ch. 140, art. 58; 1985, ch. 45, art. 49).

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 34.

Loi sur les banques, L.R.C. (1985), ch. B-1, art. 18(1), 20(1), 173(1)j), 174(2),(16), 273(6).

Loi sur les sociétés commerciales canadiennes, S.C. 1974-75-76, ch. 33 (mod. par S.C. 1978-79, ch. 9, art. 1), art. 203 (mod., idem, art. 65).

Loi sur les sociétés en nom collectif, L.R.O. 1980, ch. 370, art. 2, 3(3), 10, 11, 12, 13, 24.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; Dominion Taxicab Assn. v. Minister of National Revenue, [1954] R.C.S. 82; [1954] 2 D.L.R. 273; [1954] C.T.C. 34; (1954), 54 DTC 1020; Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1993] 1 C.F. 622 [1993] 1 C.T.C. 36; (1993), 59 F.T.R. 139 (1re inst.); conf. à [1995] 2 C.T.C. 320; (1995), 95 DTC 5575; 185 N.R. 231 (C.A.F.); Davis v. Davis, [1894] 1 Ch. 393; Schultz c. Canada, [1996] 1 F.C. 423; (1995), 95 DTC 5657 (C.A.); Bank of Toronto v. Perkins (1883), 8 R.C.S. 603; Wenlock (Baroness) v. River Dee Company (1885), 10 App. Cas. 354 (H.L.); Fonds de développement économique local c. Canadian Pickles Corp., [1991] 3 R.C.S. 388; (1991), 85 D.L.R. (4th) 88; [1992] 1 W.W.R. 193; 8 C.B.R. (3d) 121; 76 Man. R. (2d) 1; 131 N.R. 81; 10 W.A.C. 1.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canadian Deposit Insurance Corp. v. Canadian Commercial Bank (1986), 75 A.R. 333; [1986] 5 W.W.R. 531; 46 Alta. L.R. (2d) 111; 62 C.B.R. (N.S.) 205 (B.R.).

DÉCISIONS CITÉES :

Friedberg (A.D.) c. Canada, [1992] 1 C.T.C. 1; (1991), 92 DTC 6031; 135 N.R. 61 (C.A.F.); conf. à [1993] 4 R.C.S. 285; [1993] 2 C.T.C. 306; (1993), 93 DTC 5507; 160 N.R. 312; Inland Revenue Commissioners v. Westminster (Duke of), [1936] A.C. 1 (H.L.); Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32; (1987), 36 D.L.R. (4th) 197; [1987] 1 C.T.C. 117; 87 DTC 5059; 25 E.T.R. 13; 71 N.R. 134; Canadian Pacific Ltd. v. Telesat Canada (1982), 36 O.R. (2d) 229; 133 D.L.R. (3d) 321 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée à [1982] 1 R.C.S. vi; Pooley v. Driver (1876), 5 Ch. D. 458; Collins v. Barker, [1893] 1 Ch. 578; Robert Porter & Sons Ltd. v. Armstrong, [1926] R.C.S. 328; [1926] 2 D.L.R. 340; Stekel v. Ellice, [1973] 1 W.L.R. 191 (Ch. D.); Weiner v. Harris, [1910] 1 K.B. 285 (C.A.); Coates & Another v. Williams (1852), 7 Ex. 205; 155 E.R. 918; Janes v. Whitbread and Others (1851), 11 C.B. 406; 138 E.R. 530; Adam v. Newbigging (1888), 13 App. Cas. 308 (H.L.); van Halderen (G.) c. Canada, [1994] 1 C.T.C. 2187; (1993), 94 DTC 1027 (C.C.I.); Northern Crown Bank v. Great West Lumber Co. (1914), 7 Alta. L.R. 183; 17 D.L.R. 593; 6 W.W.R. 528 (C.A.); White et al. v. The Bank of Toronto et al., [1953] O.R. 479; [1953] 3 D.L.R. 118 (C.A.); Williams v. Jones (1826), 5 B. & C. 108; 108 E.R. 40 (K.B.); Hudgell Yeates& Co. v. Watson, [1978] 2 All E.R. 363 (C.A.); Distribulite Ltd. v. Toronto Board of Education Staff Credit Union (1987), 62 O.R. (2d) 225; 45 D.L.R. (4th) 161 (H.C.).

DOCTRINE

Banks, R. C. I’Anson. Lindley & Banks on Partnership, 16th ed. London : Sweet & Maxwell, 1990.

Cheshire, G. C. Cheshire, Fifoot and Furmston’s Law of Contract, 12th ed. London : Butterworths, 1991.

Fraser & Stewart Company Law of Canada, 6th ed. by Sutherland, H. Scarborough, Ont. : Carswell, 1993.

Halsbury’s Laws of England, vol. 35, 4th ed. reissue. London : Butterworths, 1994.

Ogilvie, M. H. Canadian Banking Law. Scarborough, Ont. : Carswell, 1991.

Waddams, S. M. The Law of Contracts, 3rd ed. Toronto : Canada Law Book, 1993.

Ziegel, Jacob S. Studies in Canadian Company Law, vol. 2. Toronto : Butterworths, 1973.

APPEL d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a conclu ([1995] 1 C.T.C. 2135; (1994), 94 DTC 1858) qu’une société de personnes valide avait été créée conformément au paragraphe 97(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui permet au contribuable de vendre des biens sans déclencher de récupération. Appel accueilli.

AVOCATS :

Larry R. Olsson, c.r., S. Patricia Lee et James C. Yaskowich pour l’appelante.

H. Lorne Morphy, c.r., John Unger et Kent E. Thomson pour l’intimée.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.

Tory Tory DesLauriers & Binnington, Toronto, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A. : La principale question en litige dans le présent appel est celle de savoir si la contribuable, la Continental Bank Leasing Corporation (Leasing), a le droit de se prévaloir du paragraphe 97(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu[1], une disposition de transfert libre d’impôt qui, si elle pouvait l’invoquer, permettrait à la Leasing de disposer d’éléments d’actif sans déclencher de récupération. Le litige porte sur la disposition qui aurait été faite en faveur d’« une société qui, immédiatement après cette date, était une société canadienne dont le contribuable était membre ». Voici le texte intégral du paragraphe 97(2) :

97.

(2) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, sauf le paragraphe 85(5.1), lorsque, à une date quelconque après le 12 novembre 1981, un contribuable a disposé d’un de ses biens en immobilisation, d’un avoir minier canadien, d’un avoir minier étranger, d’un bien en immobilisation admissible ou des biens d’un inventaire, en faveur d’une société qui, immédiatement après cette date, était une société canadienne dont le contribuable était membre, et que le contribuable et tous les autres membres de la société ont fait conjointement un choix à cet égard selon le formulaire prescrit et dans le délai mentionné au paragraphe 96(4), les règles suivantes s’appliquent :

a) les alinéas 85(1)a) à f) s’appliquent à la disposition comme si un renvoi à

(i) « pour la corporation » était interprété comme étant un renvoi à « pour la société »,

(ii) « autre que toutes actions du capital-actions de la corporation ou un droit d’en recevoir » était interprété comme étant un renvoi à « autre qu’une participation dans la société »,

(iii) « actionnaire de la corporation » était interprété comme étant un renvoi à « membre de la société »,

(iv) « la corporation » était interprété comme étant un renvoi à « tous les autres membres de la société », et

(v) « à la corporation », était interprété comme étant un renvoi à « la société »;

b) dans le calcul, à une date quelconque après la date de la disposition, du prix de base rajusté, pour le contribuable, de sa participation dans la société, immédiatement après la disposition,

(i) il doit être ajouté, à la fraction, si fraction il y a, du produit que le contribuable a tiré de la disposition des biens qui est en sus de la juste valeur marchande, à la date de la disposition, de la contrepartie (autre qu’une participation dans la société) reçue par le contribuable pour les biens, et

(ii) il doit être déduit de la fraction, si fraction il y a, de la juste valeur marchande, à la date de la disposition, de la contrepartie (autre qu’une participation dans la société) reçue par le contribuable pour les biens dont il a ainsi disposé qui est en sus de leur juste valeur marchande à la date de la disposition; et

c) lorsque les biens dont le contribuable a ainsi disposé en faveur de la société sont des biens canadiens imposables du contribuable, la participation dans la société qu’il a reçue en contrepartie est réputée être un bien canadien imposable du contribuable.

A.        LES FAITS

Les faits pertinents de la présente affaire sont les suivants. La Banque Continentale du Canada (Continentale) a été constituée en personne morale en 1977 sous le régime d’une loi fédérale spéciale[2]. L’intimée, la Leasing, a été constituée en personne morale en 1981 à titre de filiale en propriété exclusive de la Continentale, dans le cadre de la fusion de celle-ci et de l’Industrial Acceptance Corporation, une importante compagnie de crédit-bail et de financement. Le décret autorisant cette fusion ne permettait à la Continentale de détenir directement que les baux acquis lors de la fusion. Par conséquent, elle ne pouvait, aux termes de l’alinéa 173(1)j) de la Loi sur les banques [L.R.C. (1985), ch. B-1], détenir de nouveaux baux que par l’entremise d’une filiale. La Leasing a été constituée à cette fin en personne morale à titre de filiale de la Continentale et, à la suite de la fusion, toutes les nouvelles opérations de crédit-bail ont été exécutées par l’intermédiaire de cette filiale.

Au milieu des années quatre-vingt, la Continentale a rencontré des difficultés financières et a été forcée de vendre la Leasing. Ces difficultés étaient largement imputables à la stagnation économique des années quatre-vingt qui avait entraîné une baisse de confiance chez les investisseurs à l’égard des banques de deuxième rang. Lorsque deux banques de deuxième rang ont fait faillite en 1985, la confiance déjà ébranlée des investisseurs a connu un déclin encore plus prononcé[3]. Bon nombre des investissements sur lesquels les banques de deuxième rang comptaient, comme les dépôts à terme, n’ont pas été renouvelés, de sorte que l’accès aux marchés monétaires s’est rapidement effrité. La Continentale s’est retrouvée dans une situation difficile.

Pour répondre à cette crise, la Continentale a finalement décidé de cesser ses activités. En 1986, elle a convenu avec la Banque Lloyds de Londres de vendre à celle-ci la plus grande partie de ses éléments d’actif. Toutefois, la Banque Lloyds ne voulait pas de l’entreprise de crédit-bail. La Continentale s’est donc vue forcée de se départir de la Leasing par un autre moyen. Elle a envoyé une pochette d’information à divers acheteurs éventuellement intéressés à la Leasing. Elle a reçu plusieurs offres. La plus favorable venait d’une compagnie appelée Central Capital Corporation (Central). La Continentale a entamé des négociations avec la Central, qui lui a à son tour fait plusieurs offres successives en vue de se porter acquéreur de la Leasing. Ces négociations ont débouché sur une offre datée et acceptée par la Continentale le 15 octobre 1986. Ce marché n’a cependant pas eu de suite.

Aux termes de l’opération qui a avorté, la Central avait convenu d’acheter l’entreprise de la Leasing par le biais de l’achat d’actions de la Leasing. Pour calculer le prix d’achat, la Central avait tenu compte de certaines considérations d’ordre fiscal, dont la plus importante concernait la dépréciation des éléments d’actif de la Leasing. Au fil des ans, la Leasing avait utilisé la presque totalité de la déduction pour amortissement qu’elle pouvait réclamer à l’égard de ses éléments d’actif. La valeur fiscale de ses éléments d’actif était donc de beaucoup inférieure à leur juste valeur marchande[4]. Toute vente des éléments d’actif à un prix supérieur à leur valeur fiscale devait donc donner lieu à une récupération. Cette obligation en puissance a joué un rôle important dans les négociations que la Central a entamées avec la Continental et constitue la principale raison pour laquelle la Central a d’abord offert d’acheter les actions dans l’offre qu’elle a faite à la Continentale en vue d’acquérir la Leasing et ses éléments d’actif.

L’opération d’octobre s’est toutefois vite effondrée. Elle était assortie de plusieurs conditions et l’une d’entre elles a finalement conduit à l’échec du marché. La Central avait accepté d’acheter la Leasing uniquement si elle était satisfaite de la position de la Leasing lors de la production de sa déclaration de revenus en 1986 et au cours des cinq années d’imposition précédentes. Après avoir procédé à l’examen des déclarations en question, la Central a constaté l’existence d’une éventuelle obligation fiscale importante. La Central a demandé à la Continentale d’accepter de l’indemniser si cette obligation se concrétisait, mais la Continentale a refusé. La solvabilité de sept locataires posait également un problème. Les parties étaient dans une impasse et le marché conclu au sujet des actions est tombé.

Toutefois, vers la mi-décembre, les parties ont repris les négociations sur le fondement d’une nouvelle proposition suggérée par l’avocat fiscaliste de la Centrale à Calgary. Aux termes de cette proposition, la Centrale offrait d’acheter la Leasing dans le cadre d’une opération restructurée impliquant la création d’une société de personnes. Cette société de personnes se caractérisait notamment par la non-responsabilité des associés à l’égard des dettes de la société. Il semblait s’agir d’une solution de rechange acceptable à l’opération défunte de vente des actions, parce qu’elle semblait reprendre les incidences fiscales favorables du premier marché tout en supprimant en même temps l’obligation fiscale éventuelle. Cette solution devait également permettre aux parties de se prévaloir du paragraphe 97(2). L’impasse créée par le contrôle préalable était ainsi surmontée et la situation fiscale devenait favorable.

Cette proposition imaginative et complexe a été consignée dans un accord principal. Cet accord prévoyait de façon générale le transfert de l’entreprise et des éléments d’actif de la Leasing à une société de personnes composée de la Leasing et des deux filiales en propriété exclusive de la Central. Les stipulations de l’accord exposaient en détail les dispositions à prendre et tous les intéressés s’y sont conformés.

En premier lieu, le 24 décembre 1986, la Leasing a prétendu former une société de personnes avec les deux filiales de la Central, à savoir la 693396 Ontario Ltd. et la Central Capital Management Inc. La Leasing a ensuite transféré ses éléments d’actif à la prétendue société de personnes en contrepartie d’une participation de 99 pour cent dans celle-ci. Les deux filiales de la Central ont chacune fait dans la société un apport en numéraire représentant un pour cent de la juste valeur marchande des éléments d’actif apportés par la Leasing[5]. Chacune des filiales a, à son tour, reçu une participation de 0,5 pour cent dans la société.

La contribuable a par la suite considéré le transfert des éléments d’actif comme un transfert libre d’impôt fait à une société au sens du paragraphe 97(2). Un des aspects essentiels de ce genre de transfert libre d’impôt est que les parties doivent attribuer une valeur aux éléments d’actif transférés. Ce choix a pour effet de permettre aux parties de choisir entre certaines des incidences fiscales qui surviennent lors du transfert. La valeur qui a été retenue en l’espèce était la fraction non amortie du coût en capital des éléments d’actif. En choisissant cette valeur, les parties ont transféré l’obligation de payer la récupération à la société en même temps que les éléments d’actif.

Deuxièmement, le 27 décembre 1986, on a fixé la fin de l’exercice de la société[6]. L’idée de la clôture de l’exercice avait surgi lors de la première séance de négociations qui avait eu lieu au sujet de la proposition de création de la société. Lors de ces négociations, des représentants de la contribuable avaient déclaré qu’ils tenaient à ce que la société [traduction] « soit — et soit perçue comme étant — une société crédible au sein de laquelle les intéressés ont été effectivement associés pendant une certaine période de temps »[7]. Les parties ont donc modifié la proposition initiale en portant d’un à cinq jours la durée de la société[8] et en prévoyant la survenance d’un événement pour démontrer que la société de personnes avait effectivement existé. L’événement qui a été retenu était la clôture de l’exercice, qui devait se produire à minuit le 27 décembre. De plus, le 27 décembre, l’entreprise de la Leasing a été liquidée et absorbée par la Continentale et sa participation de 99 pour cent dans la société a été transférée à la Continentale.

En troisième lieu, deux jours plus tard, le 29 décembre 1986, la Continentale a vendu sa participation dans la société au prix de 130 071 985 $ à deux compagnies à dénomination numérique qui appartenaient en propriété exclusive à la Central.

Sa Majesté a fixé de nouveau l’impôt de la contribuable en partant du principe qu’aucune société n’avait été créée. La question a finalement été soumise à un juge de la Cour de l’impôt, qui a donné gain de cause à la contribuable[9]. En résumé, le juge a conclu que l’opération n’était pas un trompe-l’œil, mais plutôt ce qu’elle se voulait, à savoir une société de personnes valide et encore en existence à laquelle des éléments d’actif avaient été valablement transférés conformément au paragraphe 97(2) de la Loi. Il s’agissait par conséquent d’un accord exécutoire et le stratagème a eu pour effet de reporter l’obligation de payer la récupération. Le juge de la Cour de l’impôt a également jugé mal fondés les moyens tirés de l’illégalité et de l’excès de pouvoir que Sa Majesté avait invoqués.

Sa Majesté a interjeté appel du jugement de la Cour de l’impôt devant cette Cour au motif qu’aucune véritable société de personnes n’avait été créée, de sorte que les parties ne pouvaient se prévaloir du paragraphe 97(2). Sa Majesté soutient qu’en conséquence, il devrait y avoir récupération de l’amortissement entre les mains de la Leasing. Sa Majesté affirme en outre que, même si une société de personnes a été créée, elle est nulle pour cause d’illégalité ou d’excès de pouvoir. En réponse aux moyens invoqués par Sa Majesté, la contribuable se fonde essentiellement sur les motifs de la Cour de l’impôt.

B.        ANALYSE

1.         Trompe-l’œil

Pour que la théorie du trompe-l’œil s’applique, il faut que le tribunal conclue que l’opération comportait un élément de tromperie dans sa conception ou dans sa réalisation. Cette condition est un élément essentiel de cette théorie. Elle a été énoncée dans les termes suivants dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine[10] :

Le trompe-l’œil [est] … une opération assortie d’un élément de tromperie de manière à créer une illusion destinée à cacher au percepteur le contribuable ou la nature réelle de l’opération, ou un faux-semblant par lequel le contribuable crée une apparence différente de la réalité qu’elle sert à masquer[11].

La théorie est appliquée très strictement au Canada. Je suis d’accord avec le juge de la Cour de l’impôt pour dire que les parties n’avaient pas l’intention en l’espèce de tromper des tiers, y compris le ministre. Le juge a déclaré [à la page 2152] :

Si les relations juridiques sont obligatoires et ne sont pas un paravent servant à camoufler un autre type de relation juridique, elles ne constituent pas un trompe-l’œil, peu importe à quel point le résultat final peut offenser le ministre ou, d’ailleurs, le tribunal, et peu importe le mobile économique global ultérieur. Lorsqu’il y a trompe-l’œil, il existe nécessairement derrière la façade juridique une autre relation juridique véritable. Si la réalité juridique qui existe à la base de la relation juridique apparente est la même que celle qui apparaît à la surface, il n’y a pas de trompe-l’œil.

En l’absence de l’élément essentiel de la tromperie, la présente opération ne peut être considérée comme un trompe-l’œil suivant la jurisprudence canadienne actuelle[12].

Toutefois, du simple fait qu’elle n’est pas un trompe-l’œil, il ne s’ensuit pas nécessairement que l’opération en cause produit les effets juridiques nécessaires pour permettre aux parties de réaliser les épargnes d’impôt qu’elles veulent obtenir. Ainsi que je l’ai déjà déclaré dans une autre affaire[13], la forme est importante. Le contribuable peut épargner de l’impôt en organisant ses affaires en conséquence. Il est loisible au contribuable de structurer ses affaires de manière à atteindre ses objectifs économiques, y compris ses objectifs fiscaux. La déclaration faite par lord Tomlin dans l’arrêt Inland Revenue Commissioners v. Westminster (Duke of)[14] suivant laquelle les contribuables sont libres d’organiser leurs affaires de manière à réduire l’impôt qu’ils doivent payer constitue toujours un énoncé valable du droit au Canada.

Mais cela ne signifie pas qu’en se contentant de soumettre à la Cour certains documents signés, ainsi que d’autres éléments de preuve tendant à démontrer qu’une forme d’entreprise déterminée a été retenue, les parties se sont conformées à la Loi. Les écrits ne suffisent pas nécessairement en eux-mêmes, peu importe à quel point ils sont astucieux, détaillés et complets. Ainsi que le juge Cartwright l’a déclaré dans l’arrêt Dominion Taxicab Assn. v. Minister of National Revenue[15] :

[traduction] Il est de jurisprudence constante que, pour décider si une opération déterminée fait tomber une personne sous le coup de la Loi de l’impôt sur le revenu, on doit tenir compte du fond plutôt que de la forme de cette opération[16].

La planification fiscale et l’organisation soignée de ses affaires commerciales doivent être plus qu’un jeu intellectuel. On peut concevoir des stratagèmes avec beaucoup d’imagination, mais ils doivent en dernière analyse être réels. Il faut se conformer à la Loi de l’impôt sur le revenu. La structure commerciale qui est utilisée ne doit pas être une fiction. En conséquence, si les parties choisissent d’utiliser une société de personnes dans un but commercial déterminé, elles doivent, en droit, créer une véritable société. Si des biens doivent être détenus en vue de produire un revenu, ils doivent réellement être détenus à cette fin[17]. Si l’on doit procéder à un changement de contrôle dans le cadre de la réorganisation de l’entreprise, il faut qu’il y ait un véritable changement de contrôle. Dans chaque cas, le tribunal examine « la véritable nature commerciale et pratique des opérations du contribuable »[18]. Lorsque le tribunal conclut à l’absence de réalité juridique, l’opération risque de ne pas permettre aux parties d’atteindre l’objectif qu’elles désiraient peut-être ardemment et ce, même si l’opération en question ne constitue pas un trompe-l’œil. La présente affaire en est un exemple.

2.         La Société de personnes

À mon avis, l’opération du 24 décembre 1986 n’est pas conforme au paragraphe 97(2), parce que les parties n’ont pas créé une société de personnes valide. J’estime en toute déférence que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur de droit en s’en remettant exclusivement à des documents et à des formulaires et en ne tenant pas dûment compte de la réalité de la situation[19]. Les faits qu’il avait constatés auraient dû l’amener à conclure qu’aucune société de personnes valide n’avait été formée, même si les parties essayaient de faire paraître le contraire. Pour en arriver à sa conclusion sur cette question, le juge s’est posé la mauvaise question lorsqu’il a déclaré [à la page 2151] :

Si à un moment quelconque de la courte participation de la CBL ou de la BC, un tiers avait demandé à la BC ou à la CBL « Êtes-vous un des associés de la société de personnes Central Capital Leasing? », elles ne pouvaient leur répondre « Non, nous ne le sommes pas. Notre participation dans la société n’est rien d’autre qu’un camouflage visant à dissimuler une vente d’éléments d’actif. Toute cette structure complexe est un simple subterfuge conçu pour duper le fisc ».

La bonne question à se poser n’est pas celle de savoir si les parties pouvaient nier qu’elles étaient des associés, mais plutôt celle de savoir si elles respectaient les conditions prévues par la loi pour former une société. C’est uniquement au tribunal, et non aux parties, qu’il appartient de répondre à cette question.

Voici la définition que l’article 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif[20] de l’Ontario donne de la société de personnes :

2. La société en nom collectif est la relation qui existe entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice.

La société de personnes (ou société en nom collectif) est une relation contractuelle[21]. Il s’agit essentiellement d’un accord conclu entre deux ou plusieurs personnes en vue d’exploiter ensemble une entreprise dans un but lucratif. Personne ne peut devenir un associé à moins de le vouloir ou d’être considéré, par sa conduite, comme le voulant. C’est ce que le juge Duff voulait dire lorsqu’il a déclaré, dans l’arrêt Robert Porter & Sons Ltd. v. Armstrong[22] :

[traduction] La société de personnes tire son existence du contrat, comme en témoigne soit une déclaration expresse, soit une conduite y équivalant[23].

L’existence d’une société de personnes dépend donc dans chaque cas de la volonté effective des parties. Ainsi qu’il est dit dans l’ouvrage Lindley & Banks on Partnership, 16e éd. :

[traduction] … pour déterminer l’existence d’une société de personnes … il faut tenir compte du véritable contrat intervenu entre les parties et de leur intention véritable, telle qu’elle ressort de l’ensemble des faits de l’affaire[24].

L’intention peut, bien sûr, ressortir des modalités expresses de l’accord, s’il en existe un. Elle peut également ressortir de la conduite adoptée par les parties l’une envers l’autre ou envers les tiers ou encore d’autres circonstances entourant la conclusion de l’accord. Ce qui importe le plus, c’est de savoir comment l’entreprise a effectivement été exploitée. Aucun fait ou document n’est en soi concluant. Le tribunal tire sa conclusion de l’ensemble des circonstances pertinentes.

Ainsi que je l’ai déjà déclaré, dans cette analyse, la forme doit céder le pas au fond. Les parties peuvent affirmer catégoriquement qu’elles ne sont pas des associés et être quand même considérées comme des associés par le tribunal, d’après l’appréciation de l’ensemble de la preuve. C’était la question qui était soumise à notre Cour dans l’affaire Schultz c. Canada[25], dans lequel le juge Stone, J.C.A., a déclaré :

Il va sans dire que la dénégation expresse de l’existence d’une société de personnes, comme c’est le cas en l’espèce, ne suffit pas en elle-même à démontrer l’inexistence d’une société de personnes …

En l’espèce, nous ne trouvons aucune déclaration portant que les appelants avaient l’intention de faire des affaires en tant qu’associés. Toutefois, il est possible d’inférer une telle intention de l’ensemble des circonstances et plus particulièrement de la manière dont les parties se sont comportées dans l’organisation de leurs affaires et dans l’exploitation de l’entreprise en cause[26].

L’inverse est également vrai; les parties peuvent affirmer catégoriquement qu’elles sont des associés et le tribunal peut juger qu’elles ne le sont pas[27]. Ce qui compte, c’est le fond de la relation. Bien qu’elle soit assurément importante, la forme ne suffit pas. Il n’est pas non plus concluant que [traduction] « les parties aient employé une expression ou un libellé qui visent à indiquer que l’opération n’est pas ce que, en droit, elle est »[28]. À mon avis, dans le cas qui nous occupe, le libellé et la forme ont été utilisés pour que l’opération n’ait pas l’apparence de « ce que, en droit, elle est ».

L’avocat de la contribuable affirme toutefois qu’il existait une société de personnes et que les éléments de la définition de la société de personnes étaient réunis. Il y a, soutient l’avocat, un accord écrit, et cet accord renfermerait des modalités que l’on trouve habituellement dans un contrat de société de personnes. Il y a une entreprise qui est exploitée dans un but lucratif. Il y a également des éléments de preuve qui tendent à démontrer que les parties se sont présentées aux tiers comme étant des associés, et que des comptes bancaires et des livres et des registres distincts ont été tenus uniquement pour le compte de la « société ».

Pourtant, malgré cette accumulation impressionnante de faits, je suis d’avis que nous ne sommes pas en présence d’une entreprise qui a été exploitée en commun en vue de réaliser un bénéfice. Le mécanisme ne comportait pas le ciment nécessaire pour en assurer la cohésion, à savoir l’intention. Les parties doivent non seulement respecter les exigences de forme prévues par la loi, mais aussi en respecter les exigences de fond par leur conduite, et leur intention d’en respecter les exigences de fond doit être démontrée par les faits. En d’autres termes, les événements qui sont survenus en l’espèce et qui ne constituent que de simples aspects accessoires de l’adoption d’une forme de société ne sauraient être considérés comme des éléments de preuve de fond qui tendraient à démontrer l’existence d’une intention de créer effectivement une société. En conséquence, même si une entreprise a été transférée à l’entité que les parties ont désignée sous le vocable de société de personnes, et même si les parties prétendent qu’elles ont exploité cette entreprise en commun — ce dont je doute, cette entreprise n’a pas été exploitée dans le but de tirer un profit. Les parties avaient plutôt l’intention de procéder à une vente d’éléments d’actif en recourant à un dispositif qu’elles ont choisi d’appeler une société de personnes même si, en réalité, il n’en s’agissait pas d’une.

Le juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’il existait une société malgré le fait que, dans le passage suivant de son jugement, il conclut que les parties n’avaient pas l’intention requise :

Une chose est claire : malgré les pieuses affirmations de plusieurs témoins qui affirment qu’ils avaient l’intention de former une société avec d’autres personnes, la BC et la CBL n’avaient de toute évidence pas l’intention de se lancer dans une entreprise de crédit-bail en société avec la CC … Le but visé par ce plan était précisément le contraire : se retirer de cette entreprise. La société était uniquement un moyen de parvenir à cette fin. C’était une structure conçue pour permettre à la BC et à la CBL de se départir de leurs éléments d’actif de crédit-bail à un coût fiscal équivalent en gros à celui qu’elles auraient engagé en cas de vente des actions de la CBL. La société était une forme de structure juridique qui avait pour but de retenir l’éventuelle récupération inhérente aux éléments d’éléments d’actif de crédit-bail et d’assurer un gain en capital à la BC[29]. [C’est moi qui souligne.]

Le marché a été conçu de manière à ce que les éléments d’éléments d’actif de crédit-bail génèrent certains revenus. Bien que l’on ait fixé la clôture de l’exercice de la prétendue société au 27 décembre 1986, et bien que l’on ait tenu des livres et partagé des bénéfices en conséquence, il ne s’ensuit pas qu’une société de personnes existait nécessairement. Le partage des bénéfices constitue un élément de preuve mais non une preuve concluante de l’existence d’une société de personnes. C’est bien ce que précise dans les termes les plus nets le paragraphe 3(3) de la Loi sur les sociétés en nom collectif, qui dispose notamment :

3.

3. La réception par une personne d’une quote-part des bénéfices d’une entreprise constitue la preuve, en l’absence de preuve contraire, qu’elle est un associé de cette entreprise. Toutefois, la réception d’une telle quote-part ou d’un tel paiement qui dépend des bénéfices d’une entreprise et qui varie suivant ces derniers ne fait pas, en soi, de cette personne un associé de cette entreprise …

Ainsi donc, même s’il y a eu partage des bénéfices « ce dont je ne suis pas convaincu », ce n’est pas le seul ni même le plus important facteur dont il faut tenir compte. Ce n’est qu’un des éléments parmi l’ensemble des faits qu’il faut apprécier. La jurisprudence appuie ce point de vue. En effet, dans le jugement Davis v. Davis[30], le juge North déclare :

[traduction] … la réception par une personne d’une quote-part des bénéfices d’une entreprise constitue la preuve, en l’absence de preuve contraire, qu’elle est un associé de cette entreprise et, en l’absence d’autres éléments de preuve, elle constitue un élément de preuve sur lequel le tribunal doit se fonder. Mais s’il existe d’autres circonstances dont il faut tenir compte, le tribunal doit dans la mesure du possible les considérer dans leur ensemble, non pas en statuant que l’existence de la réception d’une quote-part des bénéfices démontre qu’il existe une société de personnes à moins qu’une autre conclusion ne réfute cette conclusion, mais en tenant compte de l’ensemble des circonstances, sans accorder une importance exagérée à l’une d’entre elles, mais en tirant une inférence de l’ensemble de ces circonstances[31].

Le rôle du tribunal consiste donc à apprécier les circonstances dans leur ensemble sans accorder d’« importance exagérée » à l’une quelconque d’entre elles.

En l’espèce, il y a lieu de tenir compte d’un grand nombre de circonstances, dont le soi-disant partage des bénéfices. Je constate tout d’abord que l’idée de partager les bénéfices est venue après coup lorsque les parties ont initialement élaboré l’accord. De surcroît—et cela est encore plus important—, la Leasing n’avait même pas légalement le droit de participer aux bénéfices. La clôture du premier exercice de la société avait été fixée à minuit le 27 décembre 1986. Mais le transfert de la participation de la Leasing à la Continentale devait se produire—et s’est effectivement produit—plus tôt le même jour. La Leasing n’était donc même pas un associé lors de la clôture de l’exercice et elle n’avait donc pas le droit de participer aux bénéfices qui ont été versés et ce, même si elle a d’abord reçu un chèque fait à son ordre.

Je constate en outre qu’en ce qui concerne le rôle que la Leasing a joué, la prétendue société n’a duré que trois jours pendant les vacances de Noël 1986. C’est une durée fort brève, il me semble, pour une entreprise d’une telle envergure. Bien que la brièveté de l’existence d’une société ne constitue pas un facteur déterminant, il n’en demeure pas moins que la période en cause correspondait à un moment où il était certain qu’aucune activité ne serait exercée. Il n’est donc pas étonnant qu’aucune réunion n’a eu lieu pendant la durée de l’accord, qu’aucune nouvelle affaire n’a été traitée et qu’aucune décision n’a été prise par les parties. Même si des revenus locatifs provenant des éléments d’actif du crédit-bail ont été gagnés au cours de cette période, ils l’ont été de façon automatique, indépendamment de la conduite des parties ou des activités que ces dernières auraient exercées durant la période d’existence de la prétendue société.

Dans le même ordre d’idées, chacun des « indices » qui, selon ce que prétend la contribuable, témoignent de l’existence d’une société, s’inscrit dans le cadre d’une série d’opérations sur lesquelles les parties se sont entendues avant de les mettre à exécution. C’est ce que confirme l’accord principal lorsqu’il stipule :

[traduction] A.10. … [T]outes les parties aux présentes confirment, en apposant leur signature au bas des présentes, leur intention d’effectuer la série d’opérations en question[32].

Toutes les dispositions avaient été prises à l’avance au 24 décembre 1986, date à laquelle les contrats et les autres documents ont été signés[33]. Après cette date, il ne restait plus rien—et il n’est effectivement rien resté« à régler, à transiger, à négocier ou à traiter de quelque manière que ce soit à titre d’élément accessoire d’une entreprise exploitée activement. On a simplement suivi tout naturellement chacune des dispositions qui avaient été prises à l’avance. En résumé, il n’y a tout simplement eu aucune activité pendant la période au cours de laquelle la société est censée avoir été exploitée.

Un autre élément qui, pris isolément, n’est peut-être pas important, est néanmoins éclairant. L’accord officiel d’entretien conclu entre la « société » et un tiers en vue de l’exploitation de l’entreprise de crédit-bail n’a été signé qu’en février 1987, longtemps après que la Leasing et la Continentale se furent retirées. Ni la Leasing ni la Continentale n’avait d’employés au 24 décembre 1986. Suivant la preuve, les parties auraient peut-être, si la loi le leur avait permis, antidaté l’opération (la « série d’événements ») au 1er novembre 1986, date de conclusion du marché initial portant sur les actions. Au lieu d’antidater l’opération—ce que, pour des raisons évidentes, elles ne pouvaient pas faire », elles ont convenu que le revenu tiré des éléments d’actif de la Leasing au cours de la période en question, à savoir du 1er novembre au 23 décembre 1986, serait versé à la société. En ce qui concerne ce versement, M. Lewis a déclaré, dans son témoignage :

[traduction] R. … Nous essayions de reproduire l’accord du 15 novembre et comme il fallait arrêter une date de clôture, il n’a pas été possible d’antidater l’opération. Nous avons donc essayé de prendre des mesures pour faire comme si l’opération avait eu lieu le 1er novembre[34].

Cette « simulation » s’accorde avec l’objectif que poursuivaient les parties de reproduire les effets économiques de l’opération relative aux actions, c’est-à-dire de procurer à la Central l’avantage du transfert comme s’il avait eu lieu à la date initiale proposée.

Suivant d’autres éléments de preuve tendant à mettre en doute l’existence d’une véritable société de personnes, la Leasing a expressément refusé dans l’accord qu’elle a signé de garantir qu’elle était [traduction] « dûment enregistrée et qualifiée … pour exploiter l’entreprise de la société ». Elle a également refusé de garantir qu’elle était en mesure [traduction] « de remplir ses obligations d’associé ». J’abonde dans le sens du juge de la Cour de l’impôt lorsqu’il affirme que [à la page 2143] :

Il est un peu étonnant que toute personne qui envisage sérieusement de former une société le ferait avec quelqu’un qui refuse de déclarer qu’il pourrait légalement s’acquitter de ses obligations d’associé. Vraisemblablement, cela importait peu pour la CC, étant donné que l’accord était un moyen temporaire de parvenir à une fin.

Outre chacun des facteurs susmentionnés—le caractère artificiel du partage des bénéfices, le fait que la Leasing n’avait pas légalement droit à une quote-part des revenus, la courte durée de l’accord, le fait que le déroulement des événements était déterminé à l’avance, l’absence d’activités commerciales actives, la date à laquelle le contrat d’entretien a été signé, l’absence d’employés, le fait que l’on a « fait semblant » d’antidater l’accord, et le refus de la Leasing de garantir qu’elle pouvait remplir ses obligations d’associé », la preuve testimoniale démontre à l’évidence, l’absence de volonté des parties de créer une société de personnes. M. Rattee, président et administrateur en chef des opérations de la Continentale, a témoigné que :

[traduction] R. … Je crois que cette série d’opérations visait un but précis, à savoir de nous permettre d’atteindre les objectifs que nous et l’acquéreur nous étions fixés et qui sont exposés dans la lettre du 15 octobre[35].

Un autre témoin a déclaré :

[traduction] R… . [S]i l’on parle sur le plan commercial, les objectifs des parties étaient avant tout commerciaux, économiques … L’intention des parties était de passer un marché et de vendre une entreprise[36].

Il est évident que les parties n’avaient pas l’intention d’exploiter conjointement une entreprise en vertu de l’opération qu’elles ont appelée « société de personnes » mais qui était en réalité autre chose.

En réalité, elles n’auraient pas pu exploiter une entreprise, parce que même avant que le prétendu contrat de société ne soit signé, la Continentale avait déjà décidé que la Leasing serait dissoute en vertu de l’article 203 de la Loi sur les sociétés commerciales canadiennes[37]. La Continentale avait elle-même déjà obtenu le 1er novembre 1986 l’agrément du ministre des Finances en réponse à sa demande de lettres patentes en vue de sa dissolution. Le même jour, le gouverneur en conseil avait approuvé la vente des éléments d’actif de la Continentale à la Banque Lloyds, obligeant à compter de cette date la Continentale à ne poursuivre ses activités que dans la mesure nécessaire pour procéder à sa liquidation[38]. Il a été jugé qu’en pareil cas, lorsque son objet est de liquider une entreprise, l’opération ne constitue pas une société[39]. En d’autres termes, les parties n’avaient tout simplement pas l’intention, dans ces conditions, d’exploiter activement une entreprise.

L’opération en cause ne constituait donc de toute évidence qu’un moyen employé pour vendre des éléments d’actif d’une façon qui n’entraînerait pas certaines conséquences fiscales. Le stratagème—dans tous ses aspects complexes—n’était en réalité qu’un contrat de vente. Il visait à remplacer l’ancien marché de vente des actions qui avait été élaboré et réalisé au terme de quelques jours de négociations. Dans son mémoire, la contribuable déclare :

[traduction] 182. … Pour cette raison, les parties ont convenu de restructurer l’opération de vente des actions et d’en faire une opération portant constitution d’une société dont l’objet central serait la vente d’une entreprise.

Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que l’opération n’était qu’un moyen employé pour transférer des éléments d’actif. Bien que la forme de l’opération ait été qualifiée de « société de personnes », le fond de l’opération en question était ce que les parties avaient en réalité l’intention qu’elle soit, c’est-à-dire une vente. C’est l’intention qui compte et [traduction] « aucun terme ingénieux que des rédacteurs habiles peuvent employer », pour citer lord Halsbury, [traduction] « ne peut réussir à empêcher les conséquences juridiques »[40]. Faute de quelque intention que ce soit d’exploiter conjointement une entreprise en vue de réaliser un bénéfice, on ne saurait affirmer que les parties ont constitué une société de personnes, même si elles affirment énergiquement le contraire dans les documents en cause.

Une décision récente de notre Cour, l’arrêt Hickman Motors Ltd. c. Canada[41], appuie mon opinion. Dans cette affaire, un contribuable essayait de se prévaloir d’une déduction pour amortissement dans des circonstances dans lesquelles la déduction en question avait été transférée dans le cadre d’une réorganisation complexe d’entreprises. Le juge de première instance a confirmé la décision par laquelle le ministre avait refusé la déduction au motif que le matériel faisant l’objet de la déduction pour amortissement n’avait pas été acquis et détenu par la compagnie contribuable en vue de tirer un revenu. La compagnie contribuable avait acquis ce matériel uniquement pour obtenir un avantage fiscal, comme le démontrait notamment le fait qu’elle n’ait détenu les biens que pendant quatre jours et qu’elle les avait ensuite transférés de façon opportune après avoir obtenu les conséquences fiscales désirées. Cette situation ressemble à la présente. En appel, le juge Hugessen, J.C.A. a confirmé la décision du juge de première instance en déclarant :

… l’appelante … avait, de son propre aveu, l’intention de transférer ces biens à « Equipment (1985) » dans un délai de cinq jours. Je ne voudrais certes pas laisser entendre qu’il existe une exigence concernant le délai minimum pendant lequel un contribuable doit détenir des biens aux fins de produire un revenu, mais le fait qu’en l’espèce la contribuable a conservé les biens en litige uniquement pendant un long week-end de congé dénote certainement qu’elle n’avait pas l’intention véritable de tirer un revenu de ces biens. À toutes fins pratiques, le transfert, en franchise d’impôt, par l’appelante de ces biens à « Equipment (1985) » aurait aussi bien pu se produire immédiatement après la liquidation de la société « Equipment ». Le juge de première instance a donc eu raison de conclure qu’aucune démarche n’avait été faite en vue de gagner un revenu.

La preuve démontre aussi clairement que l’appelante elle-même n’a pas, au moment où elle a acquis les biens lors de la liquidation d’« Equipment », considéré ces biens comme une source possible ou réelle de revenu….[42]

Ce que cette affaire nous enseigne, c’est que, lorsque la loi exige une intention quelconque de la part de quelqu’un, cette intention doit ressortir des faits, faute de quoi le tribunal conclura tout simplement à son inexistence. Par conséquent, si la seule intention qu’a une personne en transférant une entreprise commerciale à une compagnie ou à une société de personnes consiste à retirer un avantage fiscal de ce transfert, et que, lorsque cette incidence fiscale se produit, la structure qui a permis d’obtenir ce résultat disparaît ou que l’intéressé en est écarté, cette personne n’avait en réalité pas l’intention d’exploiter l’entreprise dans le cadre de cette structure. Il s’ensuit, pour reprendre les termes employés par le juge de première instance dans le jugement Hickman, que l’on doit conclure qu’aucune démarche n’a été faite en vue de tirer un revenu d’une telle entreprise dans le cadre d’une telle structure. Voici en quels termes on examine la question dans l’ouvrage Lindley& Banks on Partnership, 16e éd. :

[traduction] Lorsqu’une société de personnes a été constituée dans un but premier autre qu’un but lucratif, comme par exemple pour éviter l’impôt, mais qu’il y a aussi un élément véritable, bien qu’accessoire, de profit, il est quand même possible d’en inférer que l’entreprise est exploitée « dans un but lucratif ». Toutefois, si l’un des « associés » s’est associé uniquement dans le but de réclamer la déduction d’une perte fiscale (ou, anciennement, une déduction pour amortissement) et qu’il était prévu dès le départ que tant qu’il demeurait un associé de la firme, aucun profit (au sens de « gain net ») ne serait tiré de l’exploitation de l’entreprise, on ne peut dire qu’il poursuivait le « but lucratif » nécessaire pour pouvoir être considéré comme un associé[43].

Dans le cas qui nous occupe, l’intention des parties était marquée notamment par des considérations fiscales, ce qui me force à conclure qu’elles n’avaient pas l’intention de créer une véritable société de personnes[44]. Les parties ont peut-être créé certaines obligations légalement exécutoires, et notamment des obligations contractuelles, mais cela ne suffit pas à créer une société de personnes.

Pour conclure, l’opération qui m’est soumise ne constitue pas un trompe-l’œil, mais elle ne répond pas à la définition de la société de personnes. Elle a permis de réaliser une vente commode d’éléments d’actif au coût fiscal. C’était là son seul but. Les parties ne poursuivaient en réalité aucune autre fin. Une fois que certains des objectifs nécessaires à cette vente ont été atteints, la Leasing et la Continentale se sont toutes les deux retirées de la « société ». En fait, elles sont allées plus loin et ont fait modifier le contrat de société lors de leur départ pour effacer toute trace de leur participation. Malgré les efforts héroïques qu’elles ont déployés pour qu’il y ait apparence de société, aucune société n’a été créée. Les parties ne pouvaient donc pas se prévaloir du paragraphe 97(2).

3.         Illégalité et excès de pouvoir

Toutefois, même si je devais conclure que l’opération qui m’est soumise répond à la définition de la société de personnes, la participation de la Leasing et de la Continentale dans la société serait légalement invalide en raison de leur contravention à la Loi sur les banques.

L’alinéa 174(2)i) de la Loi sur les banques interdit aux banques de participer de quelque façon que ce soit à une société de personnes. Cet alinéa est ainsi libellé :

174. 

(2) Sauf dans les conditions prévues par la présente loi ou ses textes d’application, et conformément aux modalités fixées par règlement, la banque ne peut, directement ou indirectement :

i) acquérir ou détenir une participation, au Canada, dans une société de personnes ou dans une société en commandite ou autrement participer à une telle société; … [Soulignement ajouté.]

L’objet de cette interdiction semble suffisamment clair. Comme les banques se voient confier l’argent des déposants et les affaires financières de leurs clients, elles font l’objet de contrôles stricts de leur capital. Le contrôle du capital d’une banque suppose par ailleurs la détermination des obligations auxquelles elle est assujettie. Il est par conséquent interdit aux banques de participer à une société de personnes à cause de la responsabilité solidaire à laquelle les associés sont tenus les uns envers les autres[45]. En devenant un associé, une banque expose de façon illimitée les affaires de ses clients et de ses déposants à des obligations qui n’ont rien à voir avec les objets ou les activités de la banque. Ce risque constitue un danger public. Le législateur fédéral a, en conséquence et dans l’intérêt du public, interdit aux banques, sous peine de sanctions criminelles[46], de participer aux sociétés de personnes.

En l’espèce, la Continentale a de toute évidence participé à une société de personnes en permettant à la Leasing, la filiale qu’elle possédait en propriété exclusive, d’en faire partie. Cette conduite violait la Loi sur les banques[47]. Ce point de vue n’est pas contesté par les parties, qui semblent accepter la conclusion que le juge de la Cour de l’impôt a tirée sur cette question [aux pages 2148 et 2149] :

Il ne peut faire de doute—et d’ailleurs ce point n’a pas été contesté« que la participation par la CBL à la société constitue une violation par la BC de l’alinéa 174(2)i) de la Loi sur les banques. La contravention à la Loi sur les banques est une contravention commise par la BC, en ce qu’il s’agit d’un investissement ou d’une participation d’une façon « indirecte » d’une « banque » dans une société au sens de la définition du mot « banque » à l’article 2 …

Les mots « directement ou indirectement » sont à mon avis assez larges pour englober une participation dans une société par l’intermédiaire d’une filiale qui n’est pas une banque.

Ce qui est contesté, toutefois, c’est l’effet de la violation.

On peut rendre un contrat de société illégal et nul, au même titre que tout autre contrat[48], soit de façon expresse au moyen d’une loi, soit par la common law. À mon avis, tant la loi que la common law ont rendu illégal et nul l’accord qui a été conclu en l’espèce.

a)         Loi sur les sociétés en nom collectif : article 34

Je suis d’avis que l’article 34 de la Loi sur les sociétés en nom collectif dissout expressément toute société qui a pu être constituée en l’espèce. Cet article est ainsi libellé :

34. La société en nom collectif est dissoute dans tous les cas où se produit un événement qui rend illégale soit l’exploitation de l’entreprise de la firme, soit son exploitation par les membres de la firme dans le cadre d’une société en nom collectif.

La question de savoir si une violation, y compris une violation de l’article 174 de la Loi sur les banques, rend « illégale » au sens de l’article 34 l’exploitation d’une société par les membres de la firme est une question d’interprétation à laquelle il faut répondre en tenant compte des objets de l’article 34. C’est le point de vue exprimé dans l’ouvrage Lindley & Banks on Partnership, 16e éd. :

[traduction] … bien qu’une loi puisse sembler interdire certaines activités et prévoir une sanction en cas de défaut d’observer ses dispositions, il ne s’ensuit pas qu’une conduite qui donne lieu à la sanction soit nécessairement illégale. Si l’on peut véritablement qualifier la loi de loi prohibitive, comme c’est le cas si la peine est infligée pour la protection du public, la conduite en question est illégale[49].

La bonne question à se poser est alors de savoir si la violation porte suffisamment atteinte à l’intérêt du public pour amener le tribunal à annuler la société. Pour satisfaire à ce critère, la disposition législative qui a été violée doit être prohibitive et elle doit viser à protéger le public. Dans le cas qui nous occupe, la disposition de la Loi sur les banques visait manifestement à protéger le public. Qui plus est, la violation de cette disposition ne constitue pas une infraction insignifiante, car elle comporte une sanction criminelle. En violant cette disposition, la banque a porté atteinte à la protection du public visée par l’interdiction. Elle a également commis un acte criminel. Et, comme cette violation est « expressément interdite », l’illégalité de l’acte commis par la banque « ne fait aucun doute » pour citer Cheshire, Fifoot et Furmston[50]. Elle était manifestement illégale au sens de l’article 34 de la Loi sur les sociétés en nom collectif.

L’avocat de la contribuable affirme toutefois que la sanction prévue par la Loi sur les banques ne vise pas en fait « la protection du public ». Il soutient qu’elle vise plutôt la protection des déposants, des créanciers et des actionnaires. Au paragraphe 180 de son mémoire, la contribuable affirme en effet :

[traduction] [L]’alinéa 174(2)i) de la Loi sur les banques … vise à protéger les déposants, les créanciers et les actionnaires des banques, et non les simples citoyens. Si l’on interprète correctement les dispositions pertinentes de la Loi sur les banques, on constate que l’amende de 500 $ prévue au paragraphe 174(17) [sic] de la Loi représente ce que lord Lindley a qualifié de [traduction] « prix à payer pour obtenir la permission de faire ce que la loi semble interdire », et qu’elle n’amène pas nécessairement à conclure que la banque était d’une certaine façon incapable de faire partie d’une société valide et encore en existence.

Si je comprends bien, l’essentiel de la thèse de l’avocat est qu’il est non seulement acceptable de violer la Loi sur les banques, mais que cela rapporte. Je ne suis pas de cet avis. Et je ne fais pas la distinction que l’avocat tente d’établir. Les déposants et les autres clients de la banque font de toute évidence partie du « public ». Toute personne qui circule dans la rue et qui entre dans une banque pour y déposer de l’argent est un déposant. Toute personne qui fait des opérations financières avec une banque est un client. Ces personnes—propriétaires, consommateurs, gens d’affaires, etc.—font partie du grand public et l’interdiction est de toute évidence conçue à leur avantage.

L’avocat soutient en outre que, comme l’amende prévue par la Loi sur les banques est insignifiante, la violation qui donne lieu à son application ne devrait pas rendre la société de personnes illégale. Là encore, je ne suis pas de son avis. L’interdiction protège les droits et les affaires financières des personnes qui traitent avec les banques. Ces interdictions permettent à tout le moins au surintendant des institutions financières d’ordonner à l’auteur de la violation de s’abstenir d’agir lorsque la preuve de la violation est faite. Elles permettent également au tribunal d’examiner la validité des actes reprochés. Finalement, les interdictions n’excluent pas l’application d’autres lois dont on a prouvé la violation. Compte tenu de ces recours, il n’est pas nécessaire de prévoir une forte amende. Une telle amende ne permettrait pas non plus d’atteindre l’objectif visé par ces interdictions, qui est de protéger le capital de la banque. Il serait illogique que le législateur fédéral compromette par une forte amende ce qu’il essaie de protéger au moyen d’une interdiction. De plus, il me semble raisonnable de penser que le législateur fédéral savait que le fait d’assujettir à une sanction criminelle la participation d’une banque à une société de personnes donnerait lieu à l’application de l’article 34 de la Loi sur les sociétés en nom collectif. Toute société de personnes était donc, à mon avis, illégale et a été dissoute dès sa formation.

b)         Illégalité et excès de pouvoir en common law

J’estime en outre que la violation de l’alinéa 174(2)i) rend invalide la participation de la Leasing et de la Continentale à la société, étant donné que l’acte est illégal en common law et qu’il constitue un excès de pouvoir commis par la banque[51].

La contribuable invoque les paragraphes 18(1) et 20(1) pour contrebalancer la théorie de l’illégalité et celle de l’excès de pouvoir. Ces paragraphes disposent :

18. (1) La banque a, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, la capacité d’une personne physique.

20. (1) Les actes de la banque, y compris les transferts de biens, ne sont pas nuls du seul fait qu’ils sont contraires à la présente loi.

En ce qui concerne le paragraphe 18(1), l’avocat de la contribuable fait valoir que, faute de disposition expresse contraire, l’alinéa 174(2)i) ne limite pas la capacité des banques de participer à des sociétés. Comme il n’existe pas de telle disposition contraire, les banques seraient libres de participer à des sociétés de personnes. Je ne suis pas de cet avis. L’alinéa 174(2)i) précise dans les termes les plus nets qu’une banque « ne peut, directement ou indirectement … acquérir ou détenir une participation, au Canada, dans une société de personnes ou dans une société en commandite ou autrement participer à une telle société ». Ce sont là des mots forts qui se prêtent à une application très large. En résumé, ils interdisent à toute banque de participer de quelque façon que ce soit à une société de personnes. Cette interdiction impérative limite de toute évidence selon moi la capacité d’une banque d’agir comme si elle était une personne physique. Cette interdiction est tout à fait légitime. Premièrement, elle s’accorde avec le libellé du paragraphe 18(1). De plus—et je reviendrai sur ce point plus loin—, les banques sont créées par voie législative et, sous cet aspect important, elles sont fort différentes d’une personne morale ordinaire constituée sous le régime d’une loi régissant les personnes morales.

L’avocat de la contribuable soutient également que le paragraphe 20(1) rend valides, ou empêche de rendre invalides, tous les actes d’une banque qui contreviennent à la Loi.

Je ne suis pas de cet avis. La disposition en cause déclare simplement que les actes d’une banque ne sont pas nuls du seul fait qu’ils constituent une violation de la Loi. Cette disposition, par son libellé, n’empêche pas de conclure à l’invalidité de l’acte en question, mais envisage en fait la possibilité de tirer une telle conclusion. Le paragraphe 20(1) aurait facilement et clairement pu déclarer que toute conclusion d’invalidité est interdite. Or, ce n’est pas ce qu’il déclare. À mon avis, le libellé de la disposition en question est suffisamment large pour permettre au tribunal d’annuler certains actes et, lorsque les conditions applicables sont réunies, d’accorder une réparation dans les cas où il serait inéquitable d’annuler un acte. La disposition en question confère au tribunal le pouvoir discrétionnaire d’accorder une réparation et elle a été insérée dans la Loi pour protéger les tiers qui se fient de bonne foi aux pouvoirs de la banque ou qui pourraient subir un préjudice irréparable si l’acte était annulé[52]. Ce paragraphe permet également aux tribunaux d’annuler certains actes d’une banque dans des circonstances où ils jugent à propos de le faire.

En examinant les violations, le tribunal peut donc accorder une réparation adaptée aux circonstances. De nos jours, le concept de l’excès de pouvoir est assimilé en gros aux principes de l’illégalité reconnus en common law. Le professeur Waddams a expliqué ce concept en parlant des recours accordés dans le cas des contrats illégaux et des contrats interdits par la loi :

[traduction] Il conviendrait donc d’établir une distinction entre les diverses réparations qui peuvent être demandées. Dans chaque cas, la réparation demandée devrait être évaluée en fonction des principes de la loi en question[53].

À mon avis, l’acte consistant à participer à une société de personnes qui a été commis en l’espèce en sachant parfaitement que l’on violait ainsi la Loi sur les banques et dans le seul but d’obtenir le report d’une obligation fiscale, ne constitue pas une circonstance qui justifierait la Cour d’accorder une réparation en vertu du paragraphe 20(1). Notre Cour n’a pas l’intention de fermer les yeux sur des violations flagrantes de la loi. En l’espèce, la Leasing et la Continentale ont toutes les deux été avisées par les avocats qu’en signant le contrat de société, elles violaient la Loi sur les banques. Sachant cela, elles ont quand même signé le contrat et elles ne peuvent maintenant demander à la Cour de ne pas tenir compte de l’illégalité de leurs actes.

L’avocat de la contribuable soutient que la Cour devrait, dans ce contexte, suivre l’opinion incidente formulée par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Dans l’affaire Canadian Deposit Insurance Corp. v. Canadian Commercial Bank[54], une banque avait conclu avec des tiers certains accords qui donnaient lieu à des obligations fiduciaires. Les parties étrangères à ces accords soutenaient que la banque violait de ce fait l’alinéa 174(2)b) de la Loi sur les banques, qui interdit aux banques de se livrer à des activités fiduciaires. Bien que le juge Wachowich n’ait pas conclu comme tel à une violation de la Loi, il a déclaré que le paragraphe 20(1) aurait de toute façon empêché que l’on conclue que les activités reprochées constituaient un excès de pouvoir. Il a déclaré :

[traduction] Il me semble que, comme la loi reconnaît aux banques la capacité d’une personne physique, la question de l’excès de pouvoir ne se pose pas dans le cas de tiers traitant avec la banque conformément à sa charte. Cela ne veut pas dire que les actionnaires ne peuvent pas demander au tribunal de faire respecter les restrictions auxquelles la banque est assujettie, mais plutôt que les autres parties peuvent se fier à leurs transactions avec la banque. En ce qui concerne l’illégalité, la Loi semblerait couvrir toute la question sous deux aspects. En premier lieu, la Loi déclare expressément que les actes illicites commis par la banque ne sont pas nuls (par. 20(1)). En second lieu, la Loi prévoit les conséquences qui découlent d’une violation en prévoyant une sanction au paragraphe 314(1). J’estime, en conséquence, que les deux articles en question mettent à néant les allégations de violations de la Loi formulées par les créanciers chirographaires[55].

J’ai deux commentaires à faire au sujet de cet énoncé. En premier lieu, il me semble que l’on peut à juste titre qualifier le paragraphe 20(1) de disposition d’exception. Ainsi que le juge Wachowich l’a déclaré, cette disposition garantit que « les autres parties peuvent se fier à leurs transactions avec la banque ». En d’autres termes, cette disposition vise à empêcher l’annulation des transactions illégales lorsque, ce faisant, on causerait un préjudice à des personnes de bonne foi qui se sont fiées aux pouvoirs de la banque. À mon avis, hormis la déclaration du juge Wachowich de laquelle il découle que le paragraphe 20(1) rend automatiquement valides tous les actes illégaux—ce avec quoi je suis, de toute façon, en désaccord », la situation factuelle en l’espèce se prête bien à l’application de l’article en question. Les personnes qui ont conclu les accords avec la banque avaient le droit de se fier aux pouvoirs de la banque.

En second lieu, bien que cet énoncé puisse convenir dans le cas des compagnies du secteur privé, il est libellé de façon trop générale en ce qui concerne les interdictions contenues dans la Loi sur les banques. Si le paragraphe 20(1) avait pour effet de rendre valide chaque acte d’une banque, les interdictions seraient inutiles. On ne saurait, en toute déférence pour les tenants de l’opinion contraire, considérer que le législateur a adopté des lois inutiles. Pour reprendre les mots du juge en chef Ritchie de la Cour suprême du Canada :

[traduction] Cette interdiction constitue, comme le juge en chef Dorion le fait remarquer tout à fait justement, une règle de droit d’ordre public et d’intérêt public …

Ce serait un curieux état du droit si, après que le législateur a interdit une opération, des personnes pouvaient conclure une telle opération et, au mépris de la loi, pouvaient forcer les tribunaux à faire respecter et à donner effet à leurs opérations illégales[56].

Je ne crois pas que la situation ait beaucoup changé depuis que le juge en chef Ritchie a formulé ces observations. Bien que, de nos jours, la théorie de l’excès de pouvoir ait peut-être moins d’intérêt pratique pour les personnes morales qui ne sont pas constituées sous le régime d’une loi, on ne peut en dire autant de leurs homologues constituées en vertu d’une loi. À cet égard, je suis d’accord avec la Chambre des lords lorsqu’elle déclare :

[traduction] Je suis d’avis que, chaque fois qu’une personne morale est constituée sous le régime d’une loi du Parlement eu égard aux objectifs de cette loi et uniquement en vue de mettre ces objectifs à exécution, on doit non seulement déterminer les fins que la personne morale peut légitimement poursuivre en fonction de la loi elle-même, mais il faut aussi que les pouvoirs que la personne morale peut légalement exercer pour favoriser la réalisation de ces fins soient expressément conférés par les dispositions de la loi en question ou en découlent implicitement[57].

Sur cette question, la Cour suprême du Canada reconnaît l’importance de ce point de vue dans l’arrêt récent Fonds de développement économique local c. Canadian Pickles Corp. :

… malgré la tendance générale vers l’abolition de la théorie de l’ultra vires, ses aspects restreints, qui ressortent de l’analyse qui précède, peuvent s’appliquer aux sociétés constituées par une loi spéciale à des fins publiques. Il existe non seulement un important courant de jurisprudence à l’appui du principe, mais encore il est possible de soutenir que cela protège l’intérêt public puisqu’une société constituée à une fin précise par une loi du législateur ne devrait pas pouvoir faire des choses qui ne servent pas à réaliser cette fin[58].

Eu égard aux circonstances de la présente affaire, je ne suis pas enclin à oublier les interdictions énumérées à l’article 174 de la façon proposée par l’avocat de la contribuable. À mon avis, la Cour est tenue d’appliquer la théorie de l’illégalité et de l’excès de pouvoir et de considérer les actes de la Continentale comme nuls.

c)         Paragraphe 273(6)

L’avocat de la contribuable, dans le dernier argument qu’il a formulé sur cette question, affirme que l’article 174 ne vise que les activités quotidiennes des banques et qu’il ne s’applique pas à une banque qui est en train de procéder à sa liquidation. Il affirme qu’en pareil cas, les activités de la banque sont régies par le paragraphe 273(6), qui dispose :

273.

(6) Dès l’approbation d’un contrat de vente par le gouverneur en conseil, la banque vendeuse ne peut poursuivre ses activités que dans la mesure nécessaire pour permettre à ses administrateurs de poursuivre l’exécution du contrat et de procéder à sa liquidation.

L’avocat ajoute que l’opération portant constitution de la société ne constituait qu’une sorte d’activité qui était poursuivie « dans la mesure nécessaire » pour permettre à la banque de mener ses affaires à terme. L’opération par laquelle la société a été créée ne constituerait donc pas une violation de la Loi.

Cet argument est mal fondé. Le paragraphe 273(6) n’élargit pas les pouvoirs des banques en cas de liquidation; au contraire, il les limite encore plus en pareil cas. Rien ne permet de penser que les banques qui sont en train de procéder à leur liquidation sont soudainement libérées des restrictions qui leur sont imposées lorsqu’elles exercent leurs activités dans le cours normal de leurs affaires. La seule entreprise que les banques peuvent exploiter est une « entreprise bancaire » au sens de la définition contenue dans la Loi. Les interdictions prévues à l’article 174 s’appliquent à cette définition. Les banques ne peuvent faire rien de plus. Je suis par conséquent en désaccord avec l’avocat de la contribuable lorsqu’il affirme que, pendant qu’elles procèdent à leur liquidation, les banques peuvent faire ce qui leur plaît en faisant fi des restrictions habituelles auxquelles elles sont assujetties. Qui plus est, le paragraphe 174(2) déclare que, « [s]auf dans les conditions prévues par la présente loi ou ses textes d’application », une banque ne peut faire les choses qui y sont énumérées. Ces termes signifient de toute évidence que toute activité prohibée, comme la participation à une société de personnes, n’est permise que si elle est expressément autorisée par la Loi. Or, la Loi ne renferme aucune disposition qui autorise expressément une banque à participer à une société de personnes, que ce soit au cours de sa liquidation ou à tout autre moment.

4.         DISPOSITIF

Le présent appel sera, par conséquent, accueilli avec dépens. La décision du juge de la Cour de l’impôt sera annulée et la nouvelle cotisation établie par le ministre pour l’année d’imposition 1987 sera rétablie.

Le juge en chef Isaac. : Je suis du même avis.

Le juge McDonald, J.C.A. : Je suis du même avis



[1] Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148 [(mod. par S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 1), art. 97(2) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 58; 1985, ch. 45, art. 49)].

[2] Loi constituant en corporation la Banque Continentale du Canada, S.C. 1976-77, ch. 58, modifiée. À l’époque, la Continentale était la plus importante banque de deuxième rang au Canada et elle occupait le septième rang parmi l’ensemble des banques canadiennes.

[3] Les deux banques en question étaient la Banque Commerciale du Canada et la Norbanque.

[4] La juste valeur marchande des éléments d’actif dont on a demandé la déduction en vertu du choix prévu à l’art. 97(2) était de 147 828 984 $. La valeur fiscale de ces éléments d’actif, à savoir la fraction non amortie de leur coût en capital, se chiffrait à 64 989 724 $, une différence d’environ 83 000 000 $.

[5] La mise de fonds de chaque compagnie était de 656 929 $.

[6] La Leasing a reçu un chèque au montant de 130 726 $ relativement à ce qu’elle a déclaré être ses gains nets pour les quelques jours où elle a pris part à l’opération. Comme la Leasing s’était retirée de cette opération avant la clôture de l’exercice prévue aux termes de cette entente, le chèque aurait dû être libellé à l’ordre de la Continentale.

[7] Preuve (annexe commune II, vol. I, à la p. 737).

[8] La proposition initiale prévoyait que la société ne devait durer qu’un jour, le 24 décembre 1986. L’accord définitif prévoyait une durée de quelque cinq jours, du 24 au 29 décembre 1986.

[9] Banque Continentale du Canada c. Canada, [1995] 1 C.T.C. 2135 (C.C.I.).

[10] Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536 (le juge Estey).

[11] Ibid., aux p. 545 et 546.

[12] L’art. 245 n’a pas été invoqué dans le présent appel.

[13] Friedberg (A.D.) c. Canada, [1992] 1 C.T.C. 1 (C.A.F.), aux p. 1 et 2; confirmé par [1993] 4 R.C.S. 285.

[14] Inland Revenue Commissioners v. Westminster (Duke of), [1936] A.C. 1 (H.L.).

[15] Dominion Taxicab Assn. v. Minister of National Revenue, [1954] R.C.S. 82.

[16] Ibid., à la p. 85.

[17] Voir le jugement Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1993] 1 C.F. 622 (1re inst.); conf. par [1995] 2 C.T.C. 320 (C.A.F.).

[18] Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32, à la p. 52 (le juge en chef Dickson).

[19] Voir l’arrêt Canadian Pacific Ltd. v. Telesat Canada (1982), 36 O.R. (2d) 229 (C.A.); autorisation de former un pourvoi refusée à [1982] 1 R.C.S. vi. Dans cet arrêt, la Cour d’appel de l’Ontario a statué que lorsque le tribunal conclut à l’existence d’une société, il tire à la fois une conclusion de fait et une conclusion de droit.

[20] L.R.O. 1980, ch. 370.

[21] Pooley v. Driver (1876), 5 Ch. D. 458, à la p. 472 (le maître des rôles Jessel); Davis v. Davis, [1894] 1 Ch. 393; Collins v. Barker, [1893] 1 Ch. 578.

[22] Robert Porter & Sons Ltd. v. Armstrong, [1926] R.C.S. 328.

[23] Ibid., à la p. 329.

[24] Banks, Lindley & Banks on Partnership, 16e éd. (1990), à la p. 60.

[25] Schultz c. Canada, [1996] 1 C.F. 423(C.A.) (le juge Stone).

[26] Ibid., aux p. 438 et 439.

[27] Pooley v. Driver (1876), 5 Ch. D. 458; Stekel v. Ellice, [1973] 1 W.L.R. 191 (Ch. D).

[28] Weiner v. Harris, [1910] 1 K.B. 285 (C.A.), à la p. 290 (le maître des rôles Cozens-Hardy).

[29] Précité, note 9, à la p. 2151.

[30] Davis v. Davis, [1894] 1 Ch. 393.

[31] Ibid., à la p. 399.

[32] Article A.10 de l’accord principal, D.A., vol. V, annexe commune I, à la p. 888.

[33] Preuve (annexe commune I, vol. II, à la p. 219; annexe commune II, vol. I, aux p. 748 et 749).

[34] Preuve (annexe commune II, vol. II, à la p. 272).

[35] Preuve (annexe commune II, vol. II, aux p. 363 et 364).

[36] Preuve (annexe commune II, vol. I, aux p. 799 et 800).

[37] S.C. 1974-75-76, ch. 33, modifiée [mod. par S.C. 1978-79, ch. 9, art. 65].

[38] Art. 273(6) de la Loi sur les banques.

[39] Voir Halsbury’s Laws of England, 4e éd., réédition (1994), vol. 35, aux p. 5 et 6. Voir également Coates& Another v. Williams (1852), 7 Ex. 205; 155 E.R. 918 et Janes v. Whitbread and Others (1851), 11 C.B. 406; 138 E.R. 530.

[40] Adam v. Newbigging (1888), 13 App. Cas. 308 (H.L.), à la p. 315.

[41] Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1995] 2 .C.T.C. 320 (C.A.F.).

[42] Ibid., à la p. 327.

[43] Lindley & Banks on Partnership, 16e éd., à la p. 11.

[44] Voir le jugement van Halderen (G.) c. Canada, [1994] 1 C.T.C. 2187 (C.C.I.), dans lequel le tribunal a jugé qu’aucune société de personnes n’est créée lorsque les parties n’ont pas l’intention d’exploiter une entreprise.

[45] La Loi sur les sociétés en nom collectif renferme plusieurs dispositions qui portent sur la responsabilité. En voici les plus importantes :

10 Chacun des associés d’une firme est responsable, conjointement avec ses coassociés, de toutes les dettes et obligations de la firme contractées pendant qu’il est associé …

11 S’il est causé une perte ou un préjudice à une personne autre qu’un associé de la firme, ou si une peine quelconque est encourue, par suite d’un acte ou d’une omission illégitime d’un associé agissant dans la conduite ordinaire de l’entreprise de la firme ou avec l’autorisation de ses coassociés, la firme en est responsable dans la même mesure que l’associé qui a commis cet acte ou cette omission.

12 La firme est tenue de réparer la perte subie dans les cas suivants :

a)   lorsqu’un associé agissant dans le cadre de ses pouvoirs apparents reçoit l’argent ou les biens d’un tiers et en dispose indûment;

b)   lorsqu’elle reçoit dans la conduite de son entreprise de l’argent ou des biens d’un tiers, et que pendant qu’elle en a la garde, un ou plusieurs des associés en disposent indûment.

13 Chacun des associés est responsable, solidairement avec ses coassociés, de tout ce dont la firme devient responsable aux termes de l’article 11 ou 12, pendant qu’il en est un des associés.

[46] La sanction prévue en cas de contravention à l’art. 174(2)i) est prévue à l’art. 174(16), qui dispose :

174.

(16) La banque qui contrevient aux alinéas (2)a), c), f), h), i) ou j) commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de cinq cents dollars pour chaque contravention.

Aux termes de l’art. 34 de la Loi d’interprétation [L.R.C. (1985), ch. I-21], toute mention d’une « infraction sommaire » dans toute autre loi que le Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] équivaut à celle d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. L’art. 34 dispose :

34.

(2) Sauf disposition contraire du texte créant l’infraction, les dispositions du Code criminel relatives aux actes criminels s’appliquent aux actes criminels prévus par un texte et celles qui portent sur les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire s’appliquent à toutes les autres infractions créées par le texte.

[47] Suivant la jurisprudence, une participation « indirecte » peut prendre la forme d’une participation par le truchement d’une filiale ou d’un autre intermédiaire. Voir les arrêts Northern Crown Bank v. Great West Lumber Co. (1914), 7 Alta. L.R. 183 (C.A.) et White et al. v. The Bank of Toronto et al., [1953] O.R. 479 (C.A.). Le professeur Ogilvie souscrit à cette opinion dans son ouvrage Canadian Banking Law (1991), à la p. 330.

[48] La disposition relative à l’illégalité que renferme la Loi sur les sociétés en nom collectif ne fait que codifier les principes de common law relatifs aux contrats illégaux en les appliquant aux sociétés de personnes. En ce qui concerne les contrats illégaux, voici ce que déclarent Cheshire, Fifoot et Furmston dans leur ouvrage Cheshire, Fifoot and Furmston’s Law of Contract, 12e éd., 1991, à la p. 349 :

[traduction] Le contrat qui est expressément ou implicitement interdit par la loi est illégal. Dans le présent contexte, sont assimilés aux lois les arrêtés, règles et règlements que le législateur autorise si fréquemment les ministres de la Couronne et d’autres fonctionnaires à prendre.

Si le contrat effectivement conclu par les parties est expressément interdit par la loi, son illégalité ne fait aucun doute.

Voir la décision Williams v. Jones (1826), 5 B & C 108; 108 E.R. 40 (K.B.), dans laquelle une société de personnes créée entre un procureur et une personne ne remplissant pas les conditions requises par la Solicitors Act a été jugée illégale; voir également l’arrêt récent Hudgell Yeates & Co. v. Watson, [1978] 2 All E.R. 363 (C.A.).

[49] Lindley & Banks on Partnership, 16e éd., à la p. 114.

[50] Cheshire, Fifoot and Furmston’s Law of Contract, précité, à la p. 349.

[51] Voir, de façon générale, Fraser& Stewart Company Law of Canada (6e éd., 1993), à la p. 72.

[52] Voir le jugement Distribulite Ltd. v. Toronto Board of Education Staff Credit Union (1987), 62 O.R. (2d) 225 (H.C.), aux p. 276 et 277 (le juge Campbell). Voir, de façon générale, Ziegel, Studies in Canadian Company Law, vol. 2 (1973), à la p. 17.

[53] S. M. Waddams, The Law of Contracts, 3e éd., à la p. 384.

[54] Canadian Deposit Insurance Corp. v. Canadian Commercial Bank (1986), 75 A.R. 333 (B.R.) (le juge Wachowich).

[55] Ibid., à la p. 339.

[56] Bank of Toronto v. Perkins (1883), 8 R.C.S. 603, à la p. 610.

[57] Wenlock (Baroness) v. River Dee Company (1885), 10 App. Cas. 354 (H.L.), aux p. 362 et 363 (lord Watson).

[58] [1991] 3 R.C.S. 388, aux p. 406 et 407.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.